*{ (Rapport commission MacDonald 1983) } L'environnement, la société et l'économie. Au début du Rapport, nous avons passé en revue les perspectives globales et en particulier les grandes questions d'environnement que les citoyens et les décideurs du monde entier devront résoudre dans les années qui viennent. Ces questions, notamment l'épuisement des forêts, l'effet de serre, les pluies acides, la dégradation des sols, les déchets nucléaires, l'extinction des espèces et la qualité de l'eau touchent, dans une certaine mesure, chacun des aspects du mandat de la Commission. Dans la présente section, nous examinons la nature des grands problèmes de l'environnement auxquels les Canadiens doivent faire face, les conséquences de notre prise de conscience de ces problèmes et les moyens à notre disposition pour les résoudre. L'environnement: attitudes changeantes et réactions. La dimension internationale. La position du Canada en tant que moyenne puissance tient dans une large mesure à la part que nous prenons aux décisions internationales sur l'environnement, en particulier dans le cadre des Nations Unies. La participation du Canada aux sessions de la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) en est un bon exemple, de même que l'inclusion dans la Déclaration des Nations Unies sur l'environnement de 1972 de deux principes juridiques importants proposés par le Canada: [...] les États ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources [...] et le devoir de s'assurer que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l'environnement dans d'autres États ou dans des régions ne relevant d'aucune juridiction nationale. [...] les États doivent coopérer pour développer encore le droit international en ce qui concerne la responsabilité et l'indemnisation des victimes de la pollution et d'autres dommages écologiques que les activités menées dans les limites de la juridiction de ces États ou sous leur contrôle causent à des régions situées au-delà des limites de leur juridiction. Les récentes négociations commerciales multilatérales montrent elles aussi l'importance croissante, au niveau international, des questions d'environnement dans les secteurs économiques traditionnels. Le sentiment que certaines normes de protection de l'environnement pourraient constituer une tentative déguisée de restreindre la concurrence sur les importations est au moins partiellement responsable de la décision de créer un Accord relatif aux obstacles techniques au commerce (Code de normalisation) aux négociations du Tokyo Round. Le Code exige que ses signataires n'utilisent pas les normes portant sur l'environnement, la santé, la sécurité et la protection du consommateur pour créer des obstacles inutiles au commerce international. L'application de ce Code ne sera pas chose aisée. La question de savoir si un règlement donné est une barrière «inutile» est bien entendu une question d'opinion. D'ailleurs, la plupart des normes d'environnement sont établies non par les gouvernements nationaux, mais par les provinces (ou États) ou les municipalités. C'est pourquoi le Code exige que les gouvernements centraux utilisent «les moyens raisonnables à leur disposition», pour que les autres autorités à l'intérieur de leurs frontières respectent ces principes. En tant que nation prospère occupant une grande partie de la surface terrestre, le Canada a une grande responsabilité en matière d'environnement. Comme les répercussions de l'activité humaine sur l'environnement global sont souvent cumulatives et à long terme, et comme de nombreuses sources de détérioration de l'environnement débordent les frontières nationales, cette responsabilité s'étend au-delà de la présente génération et au-delà des limites de notre vaste pays. Notre degré de civilisation se mesurera en grande partie par la façon dont nous assumerons cette responsabilité chez nous et par notre consentement à offrir aide et direction à l'étranger. Environnement et croissance économique. Bien des observateurs prétendent que la protection de l'environnement se fait souvent aux dépens de la performance économique. Selon eux, les entreprises canadiennes ne peuvent être compétitives en raison du coût que représente l'observation des normes environnementales, surtout de celles qui dépassent ce que l'on exige des entreprises dans d'autres pays. On mentionne souvent les retards causés par la nécessité d'obtenir l'autorisation d'un projet, parfois de plusieurs autorités qui imposent des normes différentes. On se plaint, aussi souvent du fait que les contrôles en matière d'environnement contribuent au chômage en détournant le capital des investissements «productifs» vers le non-essentiel. En période de croissance lente, comme c'était le cas récemment les contrôles peuvent retarder les nouveaux investissements ou les décourager complètement, notamment dans une technologie susceptible de détériorer l'environnement. Ces critiques ne sont pas passées inaperçues car les dernières années ont vu un déclin des dépenses réelles du gouvernement en matière de recherche et de respect des normes. Du point de vue de la Commission, les efforts que déploie l'industrie pour améliorer sa position compétitive à court terme en évitant ou en retardant les coûts de gestion des ressources et de l'environnement ne font que repousser l'échéance ou laisser au public le soin d'assumer ces coûts sous la forme de dépenses gouvernementales, de dégâts écologiques ou de profits perdus et d'occasions manquées. Notre négligence à l'égard du reboisement n'illustre que trop bien cette position. Les Canadiens doivent trouver un moyen d'aborder cette question qui tienne compte de tous les coûts de l'activité économique, même s'il est difficile de les exprimer en chiffres. Comme l'a fait remarquer le représentant de la Saskatchewan Environmental Society devant la Commission: Le produit national brut est finalement une fausse mesure de la façon dont nous avons progressé car il ne tient pas compte de facteurs comme l'épuisement des sols et leur coût de restauration [ou] la contamination des chaînes d'alimentation et les conséquences sur la santé. Dans les prochaines décennies, il importera d'intégrer les décisions portant sur l'environnement aux décisions économiques car, selon les commissaires, il n'y a pas de contradictions fondamentales entre le développement économique et la préservation ou l'amélioration d'un environnement sain et d'une base de ressources durable. La politique de l'environnement de la Communauté européenne arrive d'ailleurs à la même conclusion: Le souci de ne pas faire supporter des charges supplémentaires à l'industrie fait que certains pays de la Communauté se montrent réticents à accepter des mesures de contrôle antipollution plus sévères, à imposer des impératifs d'utilisation des sols et des restrictions dans l'utilisation des matériaux potentiellement dangereux ou des procédés de fabrication. Les coûts à court terme qu'entraînent manifestement de telles mesures pour l'économie ont trop souvent masqué les avantages intangibles que la société tire à long terme d'un environnement plus sain et les coûts économiques substantiels qu'entraîne à long terme l'absence de lutte contre la pollution. Le défi environnemental: nouvelles perceptions. C'est dans les années 1960 que ces questions ont commencé à préoccuper l'opinion, au Canada et ailleurs. Au cours des années, la définition du problème s'est élargie et compliquée. Au début, on ne s'intéressait qu'à la pollution locale, problème d'environnement limité à un endroit particulier ou à une source unique dont les causes et les effets étaient relativement faciles à identifier. La destruction d'une partie de la côte anglaise à la suite du naufrage du pétrolier Torrey Canyon en 1967 est un exemple bien connu de ce genre de problème. Ce type de pollution classique est maintenant largement reconnu et des mesures ont été prises pour y remédier. Même si des catastrophes comme celle du Torrey Canyon sont encore malheureusement possibles, nous avons au moins amélioré les techniques qui permettent de nettoyer les dégâts. Sur terre, les usines qui crachent de la fumée noire sont beaucoup moins bien tolérées qu'autrefois, et les émissions sont soumises à un contrôle de plus en plus sévère. Malgré tout, de nombreuses usines continuent de polluer l'air tout comme les naufrages de pétroliers et les déversements délibérés continuent de contaminer les océans. Les années 1970 ont vu s'accroître notre capacité de gérer les ressources de façon durable. La première crise pétrolière de 1973 et l'étude du Club de Rome «Halte à la croissance» , ont grandement contribué à la prise de conscience globale de l'épuisement possible des ressources et ont ouvert un débat qui dure encore. Si le problème était de «manquer» et qu'il y avait de sérieux désaccords sur ce point, la solution aurait été de «trouver davantage» et «d'utiliser moins». On vit donc apparaître une «écosociété», encouragée par les travaux du Conseil des sciences du Canada et par des projets de conservation de l'énergie comme l'Arche de l'Ile- duPrince-Édouard, ainsi qu'un regain d'inquiétude devant l'état de nos forêts. Les années 1970 ont également vu l'apparition d'une distinction, même si elle est loin d'être absolue, entre les problèmes de pollution classique et ceux beaucoup plus complexes des dangers à long terme qui, à la limite, peuvent être incalculables et irréversibles. Les incidents de la centrale nucléaire de Three Mile Island et de l'usine chimique de Bhopâl en Inde illustrent de façon dramatique ce genre de problème. Les questions de santé et de sécurité au travail, comme les effets possibles des écrans cathodiques sur le foetus, constituent de nouveaux sujets de préoccupation dans la vie quotidienne du Canadien moyen. On comprend généralement moins bien les dangers à long terme pour lesquels il est plus difficile de trouver un remède, que les problèmes de pollution classique. On fait moins facilement le lien entre les causes et les conséquences de ces dangers et les problèmes ont tendance à être plus graves, comme le prouve l'exemple des contaminants chimiques à effets cancérigènes et mutagènes. Les contaminants durables ont souvent plusieurs sources et sont difficiles à identifier, en partie parce qu'ils n'existent souvent qu'à dose infinitésimale. Même quand leur présence est confirmée, ils sont plus difficiles à neutraliser que les polluants ordinaires. En fait, les dommages causés par bon nombre de ces contaminants sont irréversibles: d'après nos connaissances actuelles, ce qui est fait ne peut être défait. Les effets des dangers à long terme ont tendance à être plus largement dispersés géographiquement et à avoir une plus grande influence sur l'écologie que la simple pollution. Les dégâts causés par une marée noire sont localisés et relativement de courte durée, mais les effets destructeurs des pluies acides sont internationaux et peuvent persister pendant des dizaines d'années. Les questions d'environnement des années 1960 et 1970 se limitaient à la gestion de polluants temporaires provenant de sources industrielles et municipales, alors que l'attention se porte maintenant sur les atteintes à l'environnement qui menacent l'avenir de la planète. Les nouvelles valeurs et le mouvement écologiste au Canada. La nouvelle perception qu'ont les Canadiens du problème de l'environnement reflète et renforce à la fois le changement de nos valeurs, de nos aspirations et de nos attentes. Avant les années 1960, la conservation se limitait à la gestion efficace des ressources de consommation. Même si ce souci de l'utilisation des ressources existe toujours, l'intérêt que l'on portait à la consommation a cédé la place, au cours du dernier quart de siècle, à un nouvel intérêt pour la «qualité de la vie». Selon ce nouveau courant, l'environnement n'est pas seulement une source de richesse, mais aussi une source de satisfaction moins évidente et l'abus que l'on en fait menace non seulement notre prospérité, mais aussi notre santé, notre sécurité et finalement notre société. Si l'on a pu reprocher au mouvement écologiste des années 1960 de refléter les goûts esthétiques des Nordaméricains favorisés, dont l'intérêt dans la préservation des paysages menacés et des espèces en voie de disparition n'était pas toujours représentatif de l'opinion publique mondiale, il est beaucoup plus difficile aujourd'hui d'ignorer les nouvelles inquiétudes qui mettent l'accent sur la santé et la sécurité et qui reflètent souvent un fort sentiment de responsabilité à l'égard des générations futures. Il est difficile de quantifier l'importance de ces questions, mais il est impossible de les ignorer. En fait, on pourrait sans doute affirmer que cette prise de conscience fermement ancrée à l'égard de l'environnement devient l'une des caractéristiques fondamentales de la société canadienne. Naturellement, dans la mesure où les Canadiens adoptent une nouvelle attitude dans ce domaine, ils s'opposent beaucoup moins aux politiques sur la protection de l'environnement. Il est maintenant plus courant d'entendre des arguments, même des arguments économiques, en faveur des mesures de protection que le contraire. Les audiences sur l'environnement de la dernière décennie ont montré l'importance d'intégrer les questions économiques et sociales et de rechercher à la fois le développement économique et la qualité de la vie. La participation du public prend de plus en plus d'importance à toutes les étapes; de la prise de décision, de la définition des questions aux choix des politiques. Le mouvement écologiste canadien remonte aux années 1960, époque à laquelle des associations de quartier, des comités de citoyens et des particuliers ont voulu déterminer les conséquences de l'activité industrielle sur l'environnement. Parallèlement, de nombreuses localités ont commencé à se préoccuper de la question des décharges municipales, des plages contaminées, des bouteilles non consignées, des terrains de camping et des sentiers pollués. En réalisant que les problèmes d'environnement avaient de vastes conséquences, les associations locales se sont progressivement constituées en des groupes officiels plus importants afin d'exprimer leurs préoccupations à un niveau plus élevé. La formation du Pollution Probe à l'Université de Toronto en 1969 constitue une étape particulièrement marquante dans l'évolution de ces groupes d'intérêt au Canada. Un certain nombre d'organismes moins connus ont également vu le jour pendant cette période, et d'autres, déjà établis, comme les associations de camping et les groupes naturistes, ont ajouté ce sujet à leurs intérêts traditionnels. Aujourd'hui, les problèmes d'environnement qui touchent les Canadiens sont souvent exprimés par des «coalitions» et des «groupes-cadres» qui interviennent aux niveaux national et provincial, alors que les associations locales continuent d'assurer des fonctions importantes sur le plan pratique et éducatif. Réponses du gouvernement aux questions d'environnement. Depuis les années 1960, les gouvernements canadiens ont répondu aux problèmes d'environnement par des réformes législatives et institutionnelles. Ils n'ont pas eu à partir de zéro: la common law ou les statuts régissant les ressources offraient déjà des moyens de remédier à certains types d'abus écologiques'. Cependant, la nouvelle position gouvernementale s'est distinguée à la fois par sa forme et par l'importance qu'elle a accordée aux questions d'environnement. De 1968 à 1972, le Parlement a promulgué plusieurs grandes lois, notamment la Loi sur les ressources en eau du Canada, la Loi sur la lutte contre la pollution atmosphérique, la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques et la Loi sur les eaux intérieures du Nord. Il a aussi ajouté de nouvelles dispositions à la Loi fédérale sur les pêcheries et à la Loi sur la marine marchande du Canada. En 1971, le gouvernement fédéral a créé le ministère de l'Environnement afin de regrouper en un seul ministère tous les organismes responsables de la protection, de la gestion et de la recherche sur l'environnement. Pendant cette période, la plupart des gouvernements provinciaux ont accordé une plus grande priorité à la réglementation et aux organismes consacrés à l'environnement. Aujourd'hui, les diverses mesures utilisées par les gouvernements pour décourager ou limiter les activités préjudiciables à l'environnement comprennent des programmes éducatifs, des directives, des règlements régissant les normes et l'attribution de permis, des interdictions et des sanctions, des encouragements d'ordre fiscal et l'obligation d'établir des rapports. Notre Commission ne s'intéresse pas ici au détail des différents programmes, mais plutôt à la capacité de notre système de gestion de l'environnement de répondre aux nouveaux problèmes et aux nouvelles valeurs. Il est facile d'évaluer le succès des mesures éducatives destinées au grand public ou à des industries particulières. En faisant mieux connaître les problèmes écologiques et les moyens d'y remédier, les programmes éducatifs peuvent contribuer indirectement à la protection de l'environnement. Par contre, on a pu leur reprocher de se substituer à des mesures plus sévères et à des actions plus concrètes. L'observation de ces recommandations, directives et normes de bonne conduite a le désavantage de placer le citoyen «responsable». dans une position désavantageuse par rapport aux entreprises. Le gouvernement fédéral et les provinces utilisent largement la réglementation qui vise à modifier ou à contrôler les activités préjudiciables à l'environnement pour fixer certaines normes. La Loi Fédérale sur les pêcheries par exemple permet au ministre de désigner les substances «délétères» et d'empêcher leur déversement dans l'océan ou dans les eaux intérieures interprovinciales à moins d'en avoir obtenu l'autorisation. De même, la Loi sur le contrôle de la pollution de l'air autorise le gouvernement fédéral à établir des objectifs nationaux sur la qualité de l'air et à réglementer les normes qui s'appliquent à une source d'émission. Les sous-comités d'experts du Comité fédéral-provincial sur la pollution atmosphérique définissent les niveaux «souhaitables», «acceptables» et «tolérables» de qualité de l'air et élaborent des objectifs pour le contrôle des principaux polluants comme l'anhydride sulfureux et l'oxyde d'azote. Une réglementation normalisatrice est souvent une façon administrativement simple de traiter la question des polluants non persistants. Cette approche a pourtant fait l'objet de critiques considérables car si l'on applique uniformément une seule norme rigoureuse sur un grand territoire, le niveau de protection de l'environnement sera, dans certaines régions, plus élevé que nécessaire. Les politiques non statutaires et les examens de projets constituent une grande part du processus de prise de décision en matière d'environnement. Le Processus d'examen des évaluations environnementales (PEEE), établi en 1973 par le Cabinet fédéral, n'a pas de base statutaire. Il veille à ce que les programmes et les projets fédéraux qui impliquent des fonds ou des terrains du fédéral prennent en considération, au tout début de la planification, les répercussions sur l'environnement. Le processus se fait en deux étapes L'organisme responsable du projet détermine d'abord si ce dernier peut avoir des conséquences importantes sur l'environnement. Dans ce cas, des experts nommés par le Bureau fédéral d'examen des évaluations environnementales et le ministère de l'Environnement entreprennent un examen public, avec audiences, du document détaillé d'évaluation que l'organisme en cause a préparé conformément aux directives des experts. Depuis 1974, le PEEE a examiné ainsi plusieurs grands projets fédéraux. Selon certains critiques, le PEEE n est en fait que la conscience écologique du gouvernement fédéral étant donné que son autorité s'appuie sur la persuasion morale plutôt que sur une force exécutoire. Les limites des méthodes que nous venons de décrire ont encouragé une nouvelle réflexion sur la prise de décision en matière d'environnement et sur les moyens d'intégrer plus efficacement ce processus à la planification des projets publics et privés. Des expériences de médiation ont déjà eu lieu surtout aux États-unis, dans le but de réduire les coûts que représente le règlement des différends et de faciliter la participation d'un plus grand nombre de personnes et de groupes intéressés. Cette autre façon de résoudre les conflits est effectivement souhaitable dans certains cas. Cependant, il reste toujours la question du choix des intervenants et des personnes qui peuvent les représenter le plus utilement. D'autre part, ce genre d'accord de médiation risque de ne pas durer puisqu'il dépend de la capacité des parties en cause à en assurer le contrôle et l'application, par les tribunaux, le cas échéant. On a déjà proposé plusieurs fois au Canada de présenter une déclaration des droits sur l'environnement pour assurer aux citoyens canadiens un environnement propre et sûr où il fera bon vivre et travailler. Les auteurs d'un document sur l'environnement énumèrent quelques-uns des principes qui pourraient figurer dans ces déclarations: - Le droit à un environnement sain et agréable; - Le droit de faire appel à la loi pour défendre l'environnement devant les cours et les tribunaux; - Des études sur l'impact écologique; - L'accès à l'information; - La participation publique à l'établissement de normes sur l'environnement; - La nomination d'un médiateur sur l'environnement; - Des recours collectifs; - Le droit de défendre l'environnement à un coût raisonnable; - Des restrictions sur les décisions des organismes; - Une étude judiciaire des mesures administratives; - L'attribution au pollueur de la charge de la preuve. L'insatisfaction suscitée par les résultats de la plupart des règlements déjà en vigueur a poussé certains économistes à demander l'application de politiques plus orientées vers l'économie pour contrôler les dommages causés à l'environnement. Selon eux, un droit d'émission des effluents serait parfois plus efficace et plus économique qu'une réglementation. Ce droit est en fait un paiement correspondant à la quantité de pollution émise à partir d'une source désignée. Ce genre de programme permettrait d'accorder des droits d'émission des effluents en fonction de la totalité des émissions de pollution permises à partir de toutes les sources dans un endroit donné, soit au moyen de ventes aux enchères, soit en fonction des points d'émission déjà existants. Ces droits pourraient alors être transférés suivant un prix déterminé par l'offre et la demande. La dynamique de la prise de décision en matière d'environnement. La multiplicité des moyens d'intervention du gouvernement dans la gestion de l'environnement montre la complexité de ses réactions aux préoccupations du public sur la protection et les normes environnementales. Un bref examen de la dynamique de l'élaboration des politiques et de leur mise en oeuvre montrera encore mieux cette impression de complexité. L'information, qu'elle soit scientifique, technologique, économique ou législative, est essentielle au processus de protection de l'environnement. Bien entendu, pour qu'un contrôle de la pollution soit efficace, il faut d'abord mesurer cette pollution. Par exemple, un organisme responsable de la qualité de l'eau doit, à partir des critères relatifs à la pêche, aux loisirs et à la sécurité, établir des normes pour les solides en suspension et le besoin biochimique en oxygène. Pour fixer le montant total des émissions permises, l'organisme doit également déterminer la capacité d'absorption de l'eau. Lorsqu'il y a plusieurs sources d'émission, il faut trouver un système d'affectation de quotas dont la somme ne doit pas dépasser le total permis. On doit aussi parfois ajuster les totaux et les quotas en fonction de nouvelles données, car bien des effets des polluants ne se manifestent qu'après un certain temps. L'information scientifique nécessaire au contrôle efficace de l'environnement est coûteuse et difficile à acquérir et à évaluer. Le simple fait de rassembler les données fondamentales nécessaires à notre compréhension de l'interaction entre l'environnement et l'industrie, dans le cas particulier du Canada, représente un travail considérable. Il faut non seulement rassembler l'information scientifique, mais aussi la mettre à la disposition des intéressés: chercheurs, représentants de l'industrie, groupes écologistes et grand public. Tout comme l'information scientifique, tout ce qui touche à la réglementation et à ses résultats est difficile à obtenir et à évaluer. Dans ce domaine, on a rarement affaire à des règles ou à des normes générales. La plupart du temps, il s'agit d'accords discrets, et généralement confidentiels, passés entre une entreprise et un ministère fédéral ou provincial, à la discrétion du ministre. Les groupes d'intérêt ont bien essayé de contrôler la réglementation, mais leurs ressources sont bien trop limitées et les décisions prises à trop de niveaux pour qu'ils puissent agir à titre de tierce partie. L'industrie tout comme les groupes d'intérêt déplorent la complexité du processus de réglementation en matière d'environnement. Cette complexité est particulièrement évidente lorsqu'il s'agit d'obtenir l'approbation d'un projet ou d'un produit, ce qui implique souvent la tenue d'audiences. Le temps qui s'écoule entre la soumission d'un grand projet de développement de ressources ou celui d'une entreprise industrielle et la date de son démarrage est particulièrement crucial pour le requérant dont les dépenses pendant cette période doivent être financées par d'autres sources de revenus. Les audiences longues et coûteuses causent donc une frustration considérable, surtout lorsqu'il faut obtenir l'approbation de plusieurs autorités. On a souvent dit que ce genre de décalage décourage le développement économique et plus particulièrement les grands projets. Les audiences suscitent aussi une insatisfaction notable chez les groupes d'intérêt en ce qui concerne la prise de décision en matière d'environnement. La fragmentation du processus en plusieurs juridictions peut en effet détourner l'attention des grandes questions en donnant trop d'importance aux détails techniques. D'autre part, le fardeau de la participation au processus d'évaluation est souvent lourd, d'où le problème du «resquilleur», bien connu des groupes d'intérêt public. Les groupes d'intérêt ont en effet beaucoup plus de mal à recruter des membres permanents, et par là même des ressources, que les producteurs et les associations industrielles. En effet, les non-membres peuvent obtenir tous les avantages des activités du groupe sans avoir à y contribuer. Par conséquent, les groupes qui, par définition, se préoccupent beaucoup plus des performances en matière d'environnement que d'autres genres d'organismes, doivent surmonter d'énormes obstacles pour essayer de promouvoir et de contrôler les questions d'environnement. Lorsqu'on ajoute à cette faiblesse fondamentale le fait que la prise de décision est particulièrement diversifiée, on comprend l'extrême difficulté de la tâche entreprise par ces groupes. Les commissaires n'ont pas du tout l'intention de suggérer qu'aucun des autres participants ne s'intéresse sérieusement à l'amélioration de l'environnement. Bien entendu, ce n'est pas le cas. Mais le fait est que le niveau d'engagement à l'égard de l'environnement varie énormément suivant les compagnies privées et même les gouvernements. Le problème des non-membres et la complexité de la réglementation montrent bien la grave faiblesse, au niveau institutionnel, de la prise de décision en matière d'environnement et la nécessité de trouver une solution. La Commission pense qu'il faut augmenter le financement public de ces groupes de façon à renforcer leur présence aux audiences et leurs activités en matière de contrôle et d'application des normes. Il sera sans doute difficile de trouver un processus de prise de décision qui permette un degré suffisant de participation publique tout en évitant les retards 1. excessifs. Quant aux grands projets, pour lesquels il faut toujours l'approbation de plus d'un gouvernement, on pourrait envisager une réforme aboutissant à la tenue d'une seule audience mixte. Une autre réforme importante consisterait à donner une base statutaire au processus d'évaluation de l'environnement par le gouvernement fédéral. Bien entendu, il faudrait établir certaines limites à l'application d'un statut de ce genre; sans quoi, tout projet, même mineur, impliquant une propriété ou un financement fédéral ne pourrait se poursuivre sans la tenue d'une audience. La solution serait donc de définir à partir de quelle importance l'évaluation d'un projet devient obligatoire. Dans certains cas, le processus de prise de décision est trop long, mais dans d'autres, il ne l'est pas assez. Les questions d'environnement, souvent d'une grande complexité technologique, entraînent des débats scientifiques considérables. Le regroupement des procédés d'examen de deux autorités ou plus permettrait de consacrer plus de temps au débat technique et scientifique. La méthode d'évaluation doit non seulement accorder plus de temps au débat, mais aussi trouver de meilleurs moyens de l'éclairer et de le résoudre. En éclairant le débat scientifique, on exposerait aussi les motifs économiques et politiques souvent sous-jacents aux arguments «scientifiques». Un processus d'audience plus exigeant prendrait sans doute plus de temps que maintenant, mais les décisions seraient beaucoup mieux documentées et par conséquent moins coûteuses, à long terme tout au moins. Les problèmes quotidiens d'application et de mise en vigueur contribuent également à la complexité et à la précarité du . processus de protection environnementale. L'absence de mesures gouvernementales uniformes quant à la mise en vigueur, aux normes d'évaluation de la performance et aux nouvelles conditions économiques, entrave considérablement les progrès possibles dans ce domaine. Les critiques du système actuel prétendent que les gouvernements canadiens ne peuvent pas être neutres étant donné que leurs propres sociétés de la Couronne sont souvent les promoteurs de projets soumis à la réglementation. Selon certains observateurs, le régime de réglementation américain est supérieur au régime canadien, car il facilite les litiges privés et prévoit l'imposition de pénalités sévères. Mais il a l'inconvénient d'entraîner des querelles de procédure coûteuses et excessives dans le cadre du système judiciaire et de la réglementation. De nombreux observateurs reprochent aussi au gouvernement d'éviter d'imposer des normes universelles d'application en raison d'accords, généralement confidentiels, avec les entreprises. On peut évidemment leur répondre que les accords individuels sont nécessaires dans la mesure où il n'existe pas deux projets industriels produisant exactement le même effet sur l'environnement. Mais on éviterait ce genre de critiques en instituant un système rigoureux de pénalités, connu du public qui entrerait automatiquement en vigueur en cas de nonrespect des normes. L'autre solution serait d'imposer des pénalités moins sévères, mais d'obliger l'entreprise à publier son calendrier d'application des directives. Pour illustrer le mécanisme de réglementation dans sa formule actuelle, prenons l'exemple de deux industries. Dans l'industrie de la pâte à papier, la réglementation s'appuie sur la définition de la quantité d'effluents permis pour chaque usine. Le gouvernement fédéral et les provinces se partagent la juridiction, même si leurs intérêts sont différents: le gouvernement fédéral a autorité sur le poisson; les provinces sur l'eau. Les autorités fédérales prescrivent les niveaux d'effluents permis pour les transformations propres à chaque usine, alors que les directives provinciales s'appuient sur les caractéristiques de l'usine et la capacité d'absorption de l'eau. Dans les deux cas, les directives tiennent très peu compte du coût d'application des normes. Grâce à un degré raisonnable de collaboration, les deux niveaux de gouvernement se mettent en général d'accord sur l'ensemble de directives le plus rigoureux. Depuis vingt ans, le gouvernement fédéral accorde des indemnités spéciales d'immobilisations pour l'équipement antipollution des usines déjà existantes. En 1979, pour recevoir une aide financière spéciale en vertu d'un programme fédéral-provincial, il fallait d'abord que l'équipement antipollution soit approuvé. De fait, ces mesures se sont révélées de bien faibles stimulants. Prenons pour deuxième exemple les émissions d'anhydride sulfureux de la fonderie Inco à Sudbury en Ontario. Après la promulgation dans cette province de la Loi sur le contrôle de la pollution de l'air en 1967, Inco a dû construire une seule grande cheminée pour remplacer les trois petites. Les émissions d'anhydride sulfureux devaient être réduites à 4 716 tonnes par jour avant le premier juillet 1970, à 3 991 tonnes par jour avant le 31 décembre 1974, à 3 265 tonnes par jour avant le 31 décembre 1976 et à 680 tonnes par jour avant le 31 décembre 1978. Inco n'ayant pas pu atteindre la troisième cible on a entrepris des négociations intensives. En 1980, la province promulgait une nouvelle directive imposant une limite immédiate de 2 267 tonnes par jour et une réduction des émissions quotidiennes à 1 769 tonnes avant 1983. Les responsables chez Inco se sont demandés pourquoi on avait été si optimiste, puisqu'on allait juger la performance de l'usine en fonction de ces directives. Selon eux, on avait sans doute surestimé considérablement les perspectives économiques de l'industrie. On s'est alors aperçu que la stricte application de la Loi sur le contrôle de la pollution de l'air (de l'Ontario) pourrait obliger certaines fonderies et usines de pâte à papier à fermer leurs portes. Bien entendu, l'élaboration de directives en fonction des conditions économiques de chaque usine ou fonderie aboutit à des variations de la qualité de l'air et de l'eau suivant les endroits et à une inégalité de la répartition des coûts consacrés à l'amélioration de l'environnement. A la limite, on ne demande pas aux usines ou aux fonderies marginales de prendre des mesures antipollution, mais seulement aux entreprises rentables. Les nouvelles usines doivent respecter des normes plus sévères que les anciennes. Certains commentateurs ont même pu affirmer que les producteurs actuels sont allés au devant des exigences et des subventions au moyen d'indemnités accélérées d'investissement initial, ce qui leur assurait un avantage sur de nouveaux concurrents éventuels. Ces exemples montrent bien qu'il s'agit de ,( donnant, donnant», car l'organe de réglementation et les entreprises cherchent à établir un équilibre entre les objectifs environnementaux et les autres. La réglementation, si complexe, fait appel à tous les moyens: la carotte et le bâton, la persuasion et l'information publique. La clé du succès est la suivante: élaborer un ensemble de décisions qu'on puisse respecter de façon durable, ce qui implique des changements réels de comportement. Tous les intervenants dans cette affaire ont maintenant plus d'une décennie d'expérience, mais nous avons vu qu'en dépit des progrès accomplis, les gouvernements, tout comme les entreprises privées, ont parfois réussi à se dégager de leurs anciens engagements. C'est pourquoi les commissaires encouragent le regroupement et le renforcement juridique des nombreuses tribunes où se prennent les décisions sur l'environnement. Pour que les directives soient appliquées de façon durable, il faudra que l'utilisation de certains moyens, comme les droits d'émission des effluents, se fasse avec une circonspection politique et économique nouvelle. Cela ne veut pas dire que l'imposition de droits sur les effluents constitue en soi une solution suffisante aux problèmes de pollution. La Commission estime plutôt que, utilisée avec d'autres moyens, cette imposition peut contribuer à améliorer de façon durable les comportements, car on limite les coûts de pollution à l'entreprise et on crée une mesure pratique qui encourage les changements des comportements économiques. L'interaction entre les facteurs scientifiques, institutionnels et économiques en matière de prise de décision environnementale et de mise en oeuvre, soumet ces activités complexes à toutes sortes d'interruptions. Les décisions concernant l'investissement dans la recherche sur l'environnement peuvent subir l'influence de nombreux facteurs indépendants. Les différents procédés de réglementation ne sont pas toujours logiques ou utilisent plusieurs tribunes, éprouvant la patience du participant et empêchant la présentation et l'analyse utiles des questions fondamentales. Les efforts de mise en vigueur et de contrôle peuvent être modifiés suivant les budgets des gouvernements et de l'industrie. Tous ces phénomènes sont bien naturels dans ce qui n'est que le début de notre évolution vers une bonne gestion de l'environnement. Mais s'il est vrai, comme les commissaires le croient, qu'il n'y a pas de contradiction à long terme entre la croissance économique et les problèmes d'environnement, et que les décisions touchant l'environnement ne visent que le court terme, il faut trouver un système permanent pour contrôler ce genre de décision. Sans quoi, les Canadiens ne pourront être sûrs que les décisions prises correspondront à l'orientation à long terme qu'ils encouragent largement. Dans ce sens, les environnementalistes ont raison de demander une forme de comptabilité sociale, indépendante du PNB, qui tienne compte de certains indicateurs non économiques du bien-être. Ceci dit, les commissaires doivent reconnaître qu'il ne sera pas facile de s'entendre sur un système de contrôle de l'environnement. On pourrait par exemple mettre sur pied un organisme national indépendant ayant l'expertise scientifique nécessaire pour identifier les risques existants et potentiels et établir les fondements d'une action préventive. Le système de contrôle pourrait comporter des critères nationaux, régionaux et sectoriels: il contrôlerait les polluants et les risques à haute priorité nationale ou régionale, ainsi que les grandes étendues d'eau et les principales compagnies et sociétés de la Couronne de chaque secteur. Problèmes d'environnement à l'ordre du jour. Plusieurs grandes questions méritent d'être soulevées en raison de leur importance et des engagements à long terme qu'il faudra prendre pour les résoudre. Il faudra à la fois agir vite et persévérer dans nos efforts, ce qui ne sera pas facile. Les commissaires ont dressé un ordre du jour afin d'aider les Canadiens à comprendre combien il est urgent de s'occuper de certains grands problèmes d'environnement. Nous n'avons cependant pas pu approfondir suffisamment ces sujets pour recommander des solutions précises. Ceci ne relève d'ailleurs pas de notre mandat. A mesure que notre pouvoir sur l'environnement a augmenté, nous avons trop souvent abusé de notre milieu naturel. La menace de grandes catastrophes écologiques susceptibles d'endommager gravement la planète ne cesse de grandir. Dans de telles circonstances, combien sommes-nous prêts à risquer? Étant donné que c'est généralement par l'expérience que les gens apprennent le mieux, les moyens les plus pratiques d'atteindre nos buts économiques et immédiats entrent souvent en contradiction avec la nature et les procédés naturels. Il importe de détecter rapidement les signes préliminaires de dommages écologiques et d'agir avec sagesse. Toutefois, il arrive que le processus de détérioration soit déjà bien avancé et presque irréversible, lorsque nous en apercevons les signes. Au chapitre 2, nous avons passé en revue les principaux problèmes qui menacent les systèmes écologiques de notre planète. Nous aimerions attirer immédiatement l'attention des gouvernements, sociétés et citoyens canadiens sur les pluies acides, les autres formes de pollution de l'air, l'élimination des déchets dangereux, la qualité de l'eau et la conservation des forêts. Parmi les autres problèmes d'environnement particulièrement importants pour le Canada, on note la restauration des Grands Lacs, l'exportation de l'eau, la préservation de la faune et de la flore et la protection de l'Arctique. Les pluies acides et les autres formes de pollution atmosphérique. L'utilisation de combustibles fossiles par nos centrales électriques, nos usines et nos automobiles, entraîne une foule de problèmes de pollution atmosphérique. Les pluies acides causent des dégâts considérables aux forêts, aux cours d'eau et aux lacs. Les niveaux d'ozone dans l'atmosphère sont déjà suffisamment élevés pour endommager de précieuses récoltes comme le maïs, le blé et le soya. Il est bien connu que les gaz sulfureux et les oxydes d'azote ont des effets néfastes sur la peinture, le papier et les textiles, et qu'ils contribuent à l'érosion de la pierre des bâtiments. Mais l'accumulation à long terme de gaz carbonique dans l'atmosphère constitue probablement le risque le plus grave de la combustion de combustibles fossiles. Les scientifiques prévoient que l'augmentation de cette substance pourrait entraîner une élévation importante des températures du globe d'ici le milieu du siècle prochain. Ces phénomènes constituent des menaces écologiques et systémiques très complexes qui nécessitent une réaction officielle et coordonnée. L'expérience du Canada dans le domaine des pluies acides démontre combien il est difficile d'y parvenir. Comme toutefois, les pluies acides, l'ozone et l'accumulation de gaz carbonique dans l'atmosphère sont des problèmes d'origine commune, on peut probablement leur trouver des solutions communes même si jusqu'à présent, on traitait en général chaque problème séparément. Les systèmes actuellement disponibles pour contrôler les émissions de ces substances sont chers mais non hors de portée. Et si nous continuons à tergiverser, les générations futures risquent de ne plus pouvoir intervenir efficacement. Les Grands Lacs et la gestion de l'eau. Les Grands Lacs constituent une richesse naturelle sans pareille pour le Canada: ils représentent la plus grande chaîne de lacs d'eau douce au monde et renferment 18 pour cent du volume total d'eau douce de notre planète. A l'heure actuelle, un Canadien sur trois et un Américain sur sept, dépendent des Grands Lacs pour leur approvisionnement en eau. A chaque seconde, nous puisons 140000 litres d'eau de ces lacs. Le conseil de la Commission mixte internationale (CMI) prévoyait, dans un rapport publié en 1981, que cette demande pourrait s'élever à un million de litres par seconde d'ici 2035, ce qui pourrait entraîner une chute du niveau des lacs Michigan, Érié et Huron. Ce phénomène s'expliquerait par le fait que les réserves d'eau douce renouvelables des Grands Lacs - c'est- àdire l'eau qui y tombe sous forme de pluie et de neige-sont déjà utilisées à pleine capacité. Un abaissement permanent du niveau des Grands Lacs entraînerait des pertes économiques de centaines de millions de dollars par an. Vu les prévisions de diminution de la demande d'eau et de ralentissement de la croissance économique générale, la CMI a récemment déclaré qu'on ne peut prévoir avec certitude comment les choses évolueront après l'an 2000. La Commission est cependant convaincue que les réserves d'eau au Canada posent un problème et qu'on doit surveiller de près la demande d'eau. La qualité de l'eau, notamment dans le bassin des Grands Lacs, constitue depuis longtemps un problème au Canada. Les Canadiens semblent décidés à exiger que la loi impose des normes plus sévères pour protéger la qualité de l'eau potable, mais jusqu'ici le Québec est la première province à avoir décrété des normes de qualité. Depuis que le Canada et les États-Unis ont signé l'Accord de 1972 sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs, on a enregistré d'importantes améliorations, notamment dans le contrôle à la source du phosphore et d'un certain nombre d'autres polluants urbains et industriels courants. Mais malgré de gros efforts, on n'a pas réussi à éliminer les graves problèmes de pollution dans les Grands Lacs. Peu de progrès ont été réalisés dans 18 bassins de population où la CMI avait signalé d'importantes dégradations de l'environnement en 1981. De plus, les efforts déployés pour maîtriser la pollution des Grands Lacs par les produits chimiques toxiques n'ont pas donné grand résultat non plus. On ne cesse d'y déverser de nouvelles substances. Même si quelques-unes seulement sont dangereuses, il ressort de plus en plus que leurs effets individuels, combinés et à long terme, menacent sérieusement notre environnement. La Commission mixte internationale a remis en question la validité des techniques actuellement utilisées pour l'évaluation des risques écologiques, de même que le degré de confiance que l'on y place. Elle a instamment encouragé les gouvernements canadiens et américains d'une part à redoubler d'efforts pour mettre au point une stratégie coordonnée, fondée sur le résultat des recherches et destinée à réduire l'utilisation des produits toxiques et, d'autre part, à rechercher sérieusement des méthodes de surveillance de la nappe d'eau souterraine dans la région des Grands Lacs'. L'Accord de 1978 sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs marque une étape importante, car il s'agit de la première déclaration internationale qui établisse un rapport entre l'activité humaine et l'existence de phénomènes touchant la faune et la flore, la terre, l'eau et l'air dans notre environnement. La CMI soutient que, puisque dans de nombreux pays les programmes relatifs à l'environnement et aux ressources sont compartimentés et répartis entre plusieurs services, toute approche globale exigera, au minimum, une réorganisation de la pensée et peut-être également une réorganisation des ententes officielles. Il importe que le Canada redouble de vigilance en matière de pluies acides et de surveillance de la qualité de l'eau des Grands Lacs et des autres principaux lacs et cours d'eau. Il importe également que nous mettions en oeuvre des plans d'ensemble pour la préservation de nos fleuves et rivières ainsi que des règlements cohérents pour régir l'utilisation de l'eau, en particulier au nord du soixantième parallèle. Lors de l'Enquête sur la politique fédérale relative aux eaux, l'absence de structure de gestion des eaux, la pollution de l'eau et les problèmes de conservation constituaient les principaux sujets de préoccupation. La gestion des ressources hydriques n'est pas une mince tâche. Avant d'investir dans des infrastructures coûteuses, il faut pouvoir garantir qu'elles assureront notre approvisionnement en eau à long terme, et la répartition de cette eau entre les divers utilisateurs exige de nombreux compromis. Pour mettre au point un plan d'ensemble de gestion de cette ressource essentielle, nous devrons probablement engager un processus de consultation lent et répétitif, car il faudra absolument tenir compte des intérêts et des attentes des utilisateurs actuels des réseaux fluviaux, de même que des innombrables réglementations du pouvoir fédéral, des territoires, des provinces et des États qui les régissent. Exportation et détournement des eaux. L'exportation de l'eau, tout comme son transfert entre les divers bassins hydrographiques du pays représenteront très certainement des enjeux politiques importants dans les prochaines décennies. Ces questions ont soulevé un intérêt considérable lors des récentes audiences du Comité d'enquête sur la politique fédérale relative aux eaux, et l'on insiste de plus en plus pour faire détourner ou transférer de l'eau, soit à l'intérieur du Canada (notamment à partir du nord du pays et des Grands Lacs vers les centres urbains du sud), soit vers les ÉtatsUnis (en particulier vers les États du sud-ouest frappés d'une pénurie d'eau). Il est cependant prouvé qu'on pourrait éviter ces détournements d'eau si les habitants du Canada et des États-Unis géraient mieux leurs ressources. L'établissement d'un système de fixation des prix de l'eau davantage en rapport avec sa valeur mérite entre autres d'être envisagé. Deux projets de détournement sont à l'étude depuis de nombreuses années: le plan de la North American Water and Power Alliance (NAWAPA), d'une valeur de 150 milliards de dollars, et le plan de la Grand Canal Company, de 100 milliards de dollars. Le gigantesque plan de la NAWAPA prévoyait la construction de barrages sur des fleuves du Yukon et de l'Alaska, l'inondation d'une partie du sillon des Rocheuses et un canal reliant l'Alberta aux Grands Lacs. Le plan du Grand Canal, qui a suscité davantage d'attention ces derniers temps, propose de transformer la baie James en un lac d'eau douce, d'acheminer une partie de cette eau par divers cours d'eau et canaux québécois et ontariens jusqu'aux Grands Lacs; l'eau serait ensuite détournée à partir de là pour répondre aux besoins d'autres régions éloignées du Canada et des États-unis. Parmi les personnes intervenues devant le Comité d'enquête sur la politique fédérale relative aux eaux, une sur dix seulement voyait dans l'exportation de l'eau une possibilité intéressante. La très grande majorité a carrément rejeté cette idée, ou l'a assortie de conditions bien trop restrictives pour qu'elle ait des chances de se concrétiser avant des années. Les réserves exprimées reposaient sur trois grands points: l'incertitude des avantages économiques que rapporteraient de tels projets, la crainte des bouleversements sociaux et, surtout, des effets écologiques qu'ils risqueraient d'entraîner. Dans le cas de détournements importants, ces effets se feraient sentir à la fois pendant et après la phase des travaux. La perturbation des cours d'eau et des lacs risquerait d'abîmer ou de détruire l'habitat des poissons, et menacerait des populations entières de poissons en les envasant. Les travaux pourraient également nuire à la faune et à la flore des alentours, et risqueraient fort de nous faire perdre à jamais des terres agricoles et forestières. Après l'achèvement des travaux, d'autres effets permanents seraient à prévoir: débordement ou ralentissement du débit des cours d'eau, assèchement des marécages et des lacs, et apport d'espèces étrangères dangereuses dans les cours d'eau. Bien que certains effets soient prévisibles, il est impossible de connaître à l'avance toutes les conséquences écologiques d'un grand projet de ce genre. En 1982, les huit États des Grands Lacs, ainsi que le Québec et l'Ontario, ont signé une entente qui interdisait tout détournement d'eau du bassin des Grands Lacs avant qu'on ait d'abord étudié en profondeur les conséquences possibles, et obtenu l'accord des gouvernements fédéraux, des provinces et des États concernés. En 1985, ces mêmes gouvernements ont signé la Charte des Grands Lacs qui reprenait l'intention de la résolution précédente, et prévoyait davantage de consultations et de collaboration sur l'utilisation des eaux du bassin des Grands Lacs. Dans cette démarche, l'Ontario et le Québec ont pleinement reçu l'appui du gouvernement du Canada. L'environnement arctique. Les Canadiens possèdent un patrimoine nordique riche et varié, un paysage d'une incroyable beauté, fragile et hostile. L'océan situé sous la calotte glacière revêt une importance mondiale par sa profonde influence sur le climat du globe. Il représente aussi un précieux terrain de reproduction et un refuge pour les mammifères marins, les oiseaux migrateurs et autre faune. Au cours des dernières décennies, la construction d'installations de défense, la découverte de pétrole près de et sous l'océan Arctique, ainsi que l'augmentation des activités d'exploration minière nous ont fait réaliser que le développement économique de ces régions pouvait rapidement prendre la forme de défis techniques et scientifiques de grande envergure. Les problèmes techniques sont réels, et nous ne parviendrons à les surmonter que si nous comprenons bien les caractéristiques du climat rigoureux de l'Arctique. Dans cette région, aucun projet ne pourrait être élaboré sans qu'on se soucie à la fois de préserver la qualité de l'environnement et d'assurer un développement social et économique équilibré. Les poissons et autre faune constituent depuis longtemps la base de l'économie et de la culture traditionnelle des peuples autochtones du Nord du Canada. Seules, la protection et la gestion convenables de ces ressources renouvelables éviteront l'effondrement de l'environnement du Nord et des sociétés qui en dépendent. Bien que le gouvernement canadien ait parlé de «développement équilibré», on ne s'est pas assez préoccupé de protéger certaines régions naturelles extrêmement importantes. Il n'existe aucun système de zones protégées, bien que les moyens législatifs nécessaires soient à notre disposition depuis quelques années. Seuls quelques-uns des 151 sites écologiques dénombrés dans le Programme biologique international sont préservés et on y trouve une seule réserve nationale de la faune, la passe Polar Bear, délimitée en 1982. Soixante-dix pour cent des côtes canadiennes, les plus longues au monde, bordent l'océan Arctique. Nous partageons ce territoire marin avec cinq autres pays. A l'exception d'un certain nombre de traités bilatéraux particuliers, il n'existe aucun accord international définissant les droits et responsabilités des États dans la région arctique. En fait, l'incertitude règne dans presque tous les domaines: que ce soit l'emplacement des frontières marines, la délimitation et l'étendue des eaux territoriales, le statut et le contrôle de voies de navigation, les limites du plateau continental, les droits aux minéraux marins, la protection de l'environnement, ou la réglementation et la conservation des pêches. Le Canada doit revendiquer ses droits aux ressources de l'Arctique et les faire protéger par la législation nationale. Déchets toxiques. La présence et la manipulation des déchets toxiques représente une autre grande question à l'ordre du jour. Outre les effets néfastes de toutes sortes susceptibles de menacer la santé des êtres humains, la contamination de l'environnement par des substances chimiques risque d'entraîner la perte d'espèces alimentaires, la fin d'activités économiques importantes et une foule de changements écologiques irréversibles qui pourraient empêcher l'humanité de demain de jouir pleinement du monde vivant. On trouve certaines substances dangereuses dans les déchets des villes et des particuliers, mais la majorité d'entre elles sont rejetées par les industries et centrales nucléaires. Ces déchets renferment des huiles, des phénols, de l'arsenic, du mercure, du plomb, des substances radioactives ainsi qu'un grand nombre de produits chimiques de fabrication artificielle. Selon les estimations, la production de déchets toxiques au Canada atteint environ un million de tonnes sèches par an, dont la moitié est attribuable à l'Ontario. Les biphényles polychlorés (BPC) illustrent parfaitement la menace insidieuse que constituent les contaminants chimiques, ainsi que la nature essentiellement politique des décisions nécessaires à leur contrôle. Les BPC étant extrêmement mobiles, leur point d'émission n'a pas grand-chose à voir avec le danger qu'ils représentent. On a retrouvé des corps composés de BPC dans tous les océans, dans certains ours polaires, dans des poissons des Grands Lacs, dans les précipitations atmosphériques et dans des êtres humains. On estime que plus de la moitié des BPC produits ont été rejetés dans des remblais, des décharges d'ordures, sous forme de rebuts de plastique, de peinture et de matériel électrique. Les contaminants, ensuite drainés par les eaux, peuvent pénétrer dans les eaux souterraines, être emportés par la pluie et la neige vers des cours d'eau voisins, et se frayer un chemin jusqu'aux lacs et océans. Plutôt que d'entreposer à long terme les BPC,il est préférable de les détruire grâce aux nombreuses techniques efficaces dont bien des pays se sont servis. Au Canada cependant, on ne trouve pas d'installations pour s'en débarrasser en toute sécurité. L'incapacité des gouvernements, des industries et des habitants du Canada à s'entendre sur l'emplacement de telles installations a contribué à nous mener à l'impasse actuelle. Dans les prochaines années, les dommages écologiques provoqués par les déchets toxiques, l'élimination des déchets et le choix de sites pour ce faire ne manqueront pas de soulever des dissensions dans notre société. Le problème ne disparaîtra pas par magie. Il faudra construire des usines de traitement des déchets dangereux au milieu ou près de collectivités, et la résistance du public sera grande. Le problème est d'autant plus complexe que les sites d'enfouissement traditionnels ne sont plus considérés comme des lieux de décharge acceptables pour de telles substances. On entrepose donc actuellement dans des cuves et des citernes des produits non traités, dont certains sont extrêmement corrosifs, en attendant de pouvoir les traiter. Ou bien on entrepose définitivement des déchets dans des puits profonds, et les couches de roches poreuses situées sous le niveau de l'eau absorbent les contaminants liquides. L'expédition des déchets vers des régions «éloignées» du Canada n'est pas une solution. Aujourd'hui, même les régions du Canada les moins peuplées ont des voisins. L'idéal serait un système qui réduirait au minimum la production et l'utilisation de substances dangereuses, et qui permettrait de garder la trace de tous ces déchets toxiques durant tous les stades d'utilisation, en cours de transport et jusqu'à leur élimination. Nous avons besoin d'installations de traitement modernes. Nous devons cesser de n'intervenir qu'en temps de crise, et commencer dès maintenant à planifier. A long terme, nous avons bien plus à perdre en ne faisant rien pour empêcher la manipulation à l'aveuglette des déchets dangereux, qu'en intervenant pour que leur transport, leur traitement et leur élimination se fassent de façon contrôlée. Il est clair qu'il faudra de plus en plus réglementer la manipulation et l'élimination ou la destruction de ces déchets, et également poursuivre nos recherches dans ce domaine. Protection de la faune. La faune et la flore répondent en bonne partie à nos besoins quotidiens en matière d'alimentation, de fibre, de logement, de combustibles, de produits chimiques et biomédicaux. N'oublions pas non plus l'aspect récréatif des espèces animales, qui nous apporte des bénéfices économiques, et contribue à la qualité de la vie. En 1977, le Service canadien de la faune a évalué à 7 milliards de dollars les activités économiques liées à la faune. La gestion de la faune et de la flore, de même que de l'usage que l'homme en fait sont des questions complexes. Étant donné les façons très diverses, et parfois contradictoires, dont nous exploitons la nature, l'art de bien gérer consiste à offrir un choix d'activités capable de satisfaire le plus grand nombre possible, tout en tenant compte de la grande diversité des valeurs culturelles et de la nécessité primordiale de préserver nos ressources pour les léguer aux générations futures. Entre 1980 et 1982, un comité de la Conférence fédérale-provinciale sur la faune a dressé les Lignes directrices pour l'élaboration d'une politique de la faune au Canada. Celles-ci visent trois objectifs fondamentaux: - Le maintien des écosystèmes dont les animaux et les êtres humains dépendent; - La préservation de la diversité génétique de notre faune; - La garantie que la jouissance et l'utilisation de la faune seront préservées. Les commissaires appuient ces objectifs de même que les principes voulant que tous les Canadiens assument le coût de la gestion qui permettra de préserver les populations animales viables. Selon eux, toutefois, les mesures particulières requises pour les usages intensifs devraient être à la charge de ceux qui en profitent. Les politiques relatives à l'environnement, tout comme à la pollution de l'air devront être élargies et diversifiées afin d'englober la protection et la gestion de l'habitat.