*{ (Rapport commission MacDonald 1983) } Régime de sécurité du revenu. Vue d'ensemble. Le régime de sécurité du revenu est constitué au Canada par un ensemble complexe de programmes fédéraux, provinciaux et municipaux qui comprennent l'assurance sociale, les dépenses directes de l'État et les dépenses fiscales. Les principaux éléments du régime, avec leurs dépenses brutes prévues pour 1984-1985, sont l'assurance-chômage (11,6 milliards de dollars), la sécurité de la vieillesse (11,4 milliards de dollars), les exemptions fiscales relatives aux pensions (7,6 milliards de dollars), l'assistance sociale (6,6 milliards de dollars), les allocations familiales (2,4 milliards de dollars), les exemptions fiscales pour les enfants à charge (1,4 milliard de dollars), le crédit d'impôt pour enfants ( 1,1 milliard de dollars) et l'exemption de personne mariée (2 milliards de dollars). On y inclut aussi parfois l'exemption personnelle du régime fiscal des particuliers (14 milliards de dollars). Bien d'autres programmes tels que les allocations aux anciens combattants, les indemnités de formation professionnelle et l'aide sociale aux autochtones pourraient y être ajoutés. Une liste complète figure au tableau 19-1. Exception faite de l'exemption personnelle, l'ensemble constitué par les dépenses fiscales, les paiements du compte de l'assurance-chômage et les transferts directs des gouvernements fédéral et provinciaux s'élevait à plus de 60 milliards de dollars en 1984-1985. Comme ils s'élèvent à plus de 13 pour cent du produit national brut (PNB) du Canada, les programmes de sécurité du revenu exercent de toute évidence des répercussions très importantes au niveau macro-économique. La Commission a traité de ces répercussions et de l'assurance-chômage ailleurs dans son Rapport; elle s'intéressera donc ici à la conception des autres programmes de sécurité du revenu. Elle est en effet persuadée que la conception des programmes a des effets aussi importants que les dépenses globales qui y sont consacrées. La Commission estime qu'un réexamen des programmes de sécurité du revenu au Canada est un complément indispensable aux recommandations préconisées dans les autres parties du Rapport. Les programmes publics de sécurité du revenu occupent une place fondamentale dans le consensus social qui permet aux Canadiens de vivre ensemble. Ils traduisent, mieux peut-être que toute autre activité collective, notre attachement aux valeurs de justice, de sécurité et de partage. Ils devraient nous mettre en mesure de mieux saisir les occasions qui se présentent, ainsi que de prendre en charge nos propres besoins, dans la mesure du possible. Ils apportent un soutien fondamental à des millions de Canadiens et une sécurité additionnelle à des millions d'autres. Nous ne pourrons croître et nous doter d'une société meilleure si nous ne veillons pas à ce que ces programmes soient à la fois efficaces et justes. Les changements proposés en d'autres chapitres par la Commission exigeront des adaptations importantes et parfois pénibles, dont des millions de Canadiens ressentiront les effets. Un grand nombre y gagnera à court terme et la majorité en profitera à long terme. Ceux et celles d'entre nous qui vivent les effets des transformations économiques doivent bénéficier d'une protection et d'une sécurité convenables qui les incitent en même temps à saisir les occasions qui se présentent. Les avantages que nous laisse espérer la croissance économique doivent être partagés avec ceux qui ont de toute façon besoin d'un complément de revenu et qu'une assistance généreuse aidera à vivre dans la sécurité et la dignité. Objectifs. Comme nous l'avons déjà indiqué, les programmes de sécurité du revenu s'inspirent au Canada de deux grands objectifs: - partager nos ressources, afin d'assurer un revenu suffisant en regard des normes de la société; - assurer dans une mesure convenable la sécurité ou la stabilité du revenu. Les valeurs fondamentales exposées au début de ce chapitre se traduisent aussi par trois autres objectifs généraux: - permettre aux personnes et aux familles placées dans des situations différentes et éprouvant des besoins différents de bénéficier d'un régime équitable; - inciter la population à tirer parti des occasions qui se présentent; - encourager les personnes à prendre en charge leur vie et leur subsistance, quand elles en ont la capacité; - respecter la dignité personnelle des bénéficiaires. Les programmes de sécurité du revenu en vigueur au Canada visent également, de façon explicite ou implicite, d'autres fins, notamment: le maintien d'un appui politique, la redistribution de fonds entre régions et le soutien aux jeunes ménages ainsi qu'aux familles ayant des enfants à charge. Ces objectifs n'étant pas tous compatibles entre eux, la conception des programmes de sécurité du revenu est forcément marquée au coin du compromis. Des considérations administratives plus concrètes influent aussi de manière appréciable sur l'efficacité des programmes. Il faut notamment, au niveau de l'application: - rendre les programmes sensibles aux variations de revenus - prévenir les abus possibles; - inciter les bénéficiaires admissibles à se prévaloir au maximum des programmes; - compter sur des programmes faciles et économiques à mettre en oeuvre. Réalisation des objectifs: conception des programmes. Revenu suffisant. Assurer un revenu suffisant à tous les citoyens, voilà peut-être le but lié le plus souvent aux régimes de sécurité du revenu à notre époque; à peu près tous les programmes de transfert visent cet objectif. Certains, comme les programmes d'assistance sociale, tiennent compte assez rigoureusement des besoins de la famille ou de l'individu pour déterminer les prestations. D'autres programmes, comme le crédit d'impôt pour enfants ou le Supplément de revenu garanti (SRG), n'évaluent les besoins qu'au moyen de déclarations du revenu. D'autres encore, comme l'assurance-chômage, le Régime de pensions du Canada (RPC) ou la Sécurité de la vieillesse (Sv), reposent sur l'hypothèse que les besoins se manifesteront dans certaines situations comme la retraite la vieillesse ou le chômage; ils offrent ainsi des prestations à tous les citoyens admissibles qui se trouvent dans cette situation. Les programmes de transfert qui visent uniquement à compléter les revenus trop faibles sont toutefois relativement peu nombreux. Font partie de ce groupe l'assistance sociale, le Supplément de revenu garanti (SRG), le crédit d'impôt pour enfants et les divers « compléments » provinciaux de la Sécurité de la vieillesse (Sv) et du Supplément du revenu garanti (SRG). Stabilité du revenu. Le deuxième grand objectif consiste à préserver la stabilité ou la continuité du revenu. Au Canada, divers programmes s'inspirent de cet objectif avec plus ou moins de succès, selon les cas. Comme à peu près tout le monde voit diminuer son revenu à la retraite, on atteint partiellement l'objectif de la stabilité du revenu en versant une prestation universelle, qui prend la forme de la Sécurité de la vieillesse (Sv), à tous les Canadiens de plus de 65 ans. A la Sécurité de la vieillesse (Sv), s'ajoutent maintenant les prestations du Régime de pension du Canada, dont peuvent bénéficier les travailleurs qui ont cotisé au régime. Les personnes admissibles commencent à recevoir des prestations du Régime de pensions du Canada (RPC) à leur retraite, si elles ont au moins 60 ans. Le Régime de pensions du Canada vise donc spécifiquement à assurer la stabilité du revenu, puisque les cotisations et prestations sont fonction du revenu salarial. Il y a aussi, évidemment, diminution de revenu lorsqu'on perd son emploi; c'est cette cause d'instabilité du revenu que vise à pallier l'assurancechômage. Lorsque la baisse de revenu est liée à un fait générateur précis comme la retraite, les cotisations peuvent s'établir uniquement en fonction du revenu, chaque bénéficiaire éventuel présentant le même «risque». Par contre, quand la probabilité de diminution du revenu varie d'une personne à l'autre, le taux de cotisation devrait être établi, selon un principe strict d'assurance, en fonction du risque que se produise un fait donné (en l'occurrence le chômage). A l'heure actuelle, cependant, les taux de prime d'assurance-chômage ne varient pas en fonction du risque, bien que ce dernier diffère d'un emploi à l'autre. Il ne s'agit donc pas d'un programme d'assurance sociale au sens strict du mot. Justice L'une des conditions, auxquelles doivent répondre tous les programmes de sécurité du revenu, est de produire un effet net qui soit juste. Cet effet net du régime de sécurité du revenu pour une personne ou une famille dépend du jeu conjugué des programmes de transfert et du régime fiscal. La justice revêt deux dimensions dans le domaine de la sécurité du revenu: - la justice horizontale, qui veut que les personnes ou les familles soient traitées différemment par le régime fiscal et les programmes de transfert, selon les besoins divers inhérents à leur situation ou à leurs caractéristiques particulières; - la justice verticale qui veut que les personnes et familles, dont les revenus sont différents, mais dont la situation ou les caractéristiques sont similaires, soient traitées en fonction de leur revenu. Le programme d'allocations familiales, par exemple, est conçu de manière à ce que, pour un revenu donné, les familles ayant des enfants à charge, disposent de plus de ressources que celles qui n'en ont pas, contribuant ainsi à la justice horizontale. Par contre, le crédit d'impôt pour enfants bénéficie davantage, pour un nombre d'enfants donné, aux familles à revenu inférieur qu'aux familles à revenu supérieur, contribuant ainsi à la justice verticale. Les questions de justice peuvent devenir extrêmement complexes et, de par leur nature, font intervenir des jugements de valeur. Elles soulèvent ainsi bien des questions. Est-ce que le fait d'être propriétaire d'une maison, par exemple, accroît le revenu « réel » d'une personne âgée au point de justifier une réduction des transferts qui lui sont versés? Dans l'affirmative, quel est le revenu imputé qui correspond à la valeur de la maison? Quel soutien faut-il accorder aux familles ayant des enfants à charge, par rapport aux couples et aux particuliers qui disposent du même revenu mais n'ont pas d'enfants? Quel déboursé fiscal supplémentaire doit-on exiger de celui qui possède ou qui gagne plus que son voisin? Plus on veut accorder la conception des programmes à la justice, plus il faut tenir compte des caractéristiques des bénéficiaires. La recherche d'un degré élevé de justice, en particulier au niveau horizontal, oblige à confier de grands pouvoirs discrétionnaires aux fonctionnaires, ce qui entraîne des frais administratifs. Incitations et possibilités. Les programmes de sécurité du revenu ne doivent pas faire en sorte que les particuliers ressentent peu d'incitation à améliorer leur sort et à se prendre en main. Ils doivent, par contre, tendre à accroître l'efficacité de la population active canadienne. Aussi les programmes doivent-ils être conçus de manière à inciter les bénéficiaires aptes à travailler à chercher un emploi, à participer à la formation professionnelle ou de perfectionnement, à exploiter les possibilités de mobilité professionnelle et géographique de même qu'à intervenir de façon régulière sur le marché du travail. Il faut aussi veiller à ce que les programmes de sécurité du revenu ne comportent pas d'encouragements qui nuisent à la formation des ménages ou à la structure familiale. Sensibilité aux variations du revenu. Les programmes de sécurité du revenu doivent réagir avec une rapidité convenable aux variations de revenu. On peut juger que cette réaction doit être plus vive pour certains genres de revenus que pour d'autres, aussi bien en vue de contribuer à la souplesse du marché du travail que pour protéger les bénéficiaires contre de rudes épreuves. En règle générale, moins la cause de variation du revenu est prévisible, plus le programme doit pouvoir réagir rapidement. Quelle doit être la sensibilité des programmes visant à fournir temporairement un revenu de remplacement en période de chômage involontaire? Quelles sommes devraient être versées aux bénéficiaires? Les réponses varient selon l'opinion qu'on se fait de la responsabilité qui revient à chacun d'épargner en prévision d'une réduction temporaire de revenu. Un programme très sensible aux variations récentes de revenu et qui prévoit des prestations élevées risque de réduire l'épargne personnelle et entraîne certainement des dépenses publiques plus élevées. Dans le même ordre d'idées, on peut se demander si les personnes, dont le revenu a diminué momentanément et qui retrouvent subséquemment leur train de vie habituel, ne devraient pas rembourser tout ou une partie des prestations reçues. Accessibilité. Tout programme jugé utile doit pouvoir être facilement accessible à ceux et celles qui satisferont aux conditions d'admissibilité. Si l'accès aux programmes doit être contrôlé au moyen de barrières administratives ou discrétionnaires, c'est la structure même des prestations qui se trouve touchée, et les frais d'administration du programme deviennent excessifs. Les programmes universels de transfert présentent évidemment en général un taux d'utilisation extrêmement élevé, mais il devrait en être de même, idéalement, pour les programmes dits sélectifs ou «ciblés ». Les programmes sélectifs présentent un taux d'utilisation élevé lorsque les renseignements sont facilement accessibles, les formalités de demande peu complexes, les conditions faciles à satisfaire, les prestations sensibles aux variations de revenu et les obstacles administratifs inexistants. Prévention des abus. S'il convient, d'un côté, d'encourager les personnes admissibles à se prévaloir des programmes de sécurité du revenu, il faut, de l'autre côté, empêcher ceux qui n'y ont pas droit de les utiliser et les personnes admissibles d'obtenir des prestations trop élevées. Il est évidemment difficile d'évaluer les abus à l'endroit des programmes de sécurité du revenu, puisque, pour être commis, l'abus ne doit pas être décelé. Les estimations les plus élevées sont toutefois de l'ordre de 5 pour cent dans le cas de l'assistance sociale, un chiffre qui vaut probablement aussi pour l'assurance-chômage. Ce chiffre n'est selon toute probabilité pas supérieur aux estimations des abus commis par les particuliers et les sociétés à l'endroit du régime fiscal. De plus, il est presque impossible de frauder certains des principaux programmes de sécurité du revenu au Canada, comme les allocations familiales ou la Sécurité de la vieillesse (Sv), dont les prestations dépendent uniquement de l'admissibilité, puisque cette dernière est manifestement très difficile à simuler. Les abus commis à l'encontre des programmes de sécurité du revenu résultent bien souvent d'une conception fautive; on peut y remédier beaucoup plus facilement en corrigeant la structure du programme qu'en accroissant les effectifs d'inspection ou de vérification. Par exemple, la forme d'abus qui est de loin la plus courante dans le cas de l'assistance sociale est la non déclaration de faibles sommes par les bénéficiaires. La Commission estime que quiconque est en mesure de gagner un revenu modique, afin de compléter ses prestations, devrait être vivement encouragé à le faire, même si le programme dans sa conception actuelle vise explicitement à décourager les initiatives de ce genre. En fait, l'assisté social qui arrive à se trouver un travail à temps partiel risque de subir une diminution strictement équivalente de ses prestations, abstraction faite d'une faible exemption au titre des frais liés à un emploi. La solution, selon nous, consiste non à renforcer l'appareil répressif, mais à modifier les dispositions du programme. En vérité, une conception déficiente des programmes de sécurité du revenu risque d'être beaucoup plus coûteuse pour notre économie et pour le trésor public que tous les abus envisageables. Parmi les milliers de Canadiens, qui se prévalent actuellement de la facilité de rétablir leurs droits à l'assurancechômage ou aux prestations accrues en fonction du taux régional de chômage, et parmi les entreprises qui emploient ces personnes, bien rares sont ceux qui abusent du programme, au sens véritable du terme. Par contre, ce profil d'utilisation du programme a pour effet de contribuer au maintien d'industries relativement peu efficaces, et c'est sous cet angle que le coût économique réel du programme est extrêmement élevé. Quand le taux d'abus est faible, on peut se demander s'il vaut vraiment la peine de poursuivre les contrevenants. Déceler les abus coûte souvent aussi cher à l'État - sinon plus - que les abus eux-mêmes. Nous ne voulons pas dire que l'État devrait renoncer complètement à dissuader les personnes tentées d'abuser des programmes de bien-être social et qu'aucune sanction ne devrait s'appliquer. La crainte d'être découvert exerce certainement un puissant effet de dissuasion auquel les pouvoirs publics ne peuvent se permettre de renoncer. Il convient cependant de ne pas perdre de vue la rentabilité des mécanismes de lutte contre les abus. Respect de la dignité des bénéficiaires. Les bénéficiaires effectifs ou éventuels des programmes de sécurité du revenu ne devraient pas être victimes de honte ni de harcèlement. Ce sont, en général, les programmes d'assurance sociale, de prestations universelles ou d'allégements fiscaux qui sont les moins dégradants pour les bénéficiaires. Étant donné que la plupart des prestataires aptes à l'emploi sont imprégnés de l'éthique du travail, on peut préserver leur dignité en les aidant par des programmes d'emploi ou un mécanisme d'assurance sociale financé par des primes; pour une personne apte à travailler, il est beaucoup plus honorable de bénéficier de l'assurance-chômage que d'être un assisté social. Les programmes sont aussi généralement plus acceptables si l'admissibilité est facile à établir, sans enquête approfondie sur la vie personnelle des demandeurs. Des formalités portant atteinte à la dignité des demandeurs leur ont été imposées dans le passé en raison des préoccupations du contribuable en ce qui concerne la nécessité du travail et des économies budgétaires. Il convient donc de répéter que, si l'on pouvait concevoir les programmes de manière à y incorporer indirectement les encouragements appropriés, il ne devrait pas être nécessaire de maintenir des mesures de contrôle semblables, qui sont coûteuses et peu appropriées. Facilité et économie de mise en oeuvre. Les programmes de sécurité du revenu devraient être aussi simples et économiques à mettre en oeuvre que le permettent leurs autres objectifs. Ils ne devraient pas nécessiter une armée de fonctionnaires et des rayons entiers de guides décrivant les systèmes de prestation. De plus, l'établissement et le maintien de l'admissibilité ainsi que les taux de prestation devraient pouvoir être déterminés à l'aide de critères faciles à observer. La Commission est cependant consciente que, même si l'on ne doit jamais perdre de vue ce principe de conception des programmes, il existe des facteurs qui entraînent une certaine complexité administrative. Les impératifs de justice dans la sélection des bénéficiaires imposent parfois des jugements complexes sur les similitudes ou les différences réelles entre des situations. De plus, comme un certain taux d'abus est inévitable, des mécanismes de contrôle restent nécessaires. Enfin, si bien conçu que soit un programme, il y a toujours des cas particuliers qui surviennent. Ces derniers justifient des dispositions spéciales, d'où une certaine complexité administrative. Le régime actuel. A la lumière des normes que nous venons d'exposer, le régime actuel de sécurité du revenu au Canada présente des lacunes sérieuses. Cependant, avant de décrire ses imperfections, nous devons relever certaines des principales caractéristiques du système actuel. Établissement de catégories et encouragements: bénéficiaires aptes et inaptes au travail. Le régime actuel de sécurité du revenu au Canada repose essentiellement sur l'établissement de catégories, les groupes ne participant pas normalement à la population active étant distingués de ceux qui se trouvent ou devraient se trouver sur le marché du travail. Sont actuellement classés dans la première catégorie les personnes âgées, les personnes handicapées et les chefs de familles monoparentales ayant de jeunes enfants. Ces omissions reflètent bien, probablement, les valeurs actuelles de la société canadienne et n'entraînent pas une trop grande complexité administrative. L'âge est très facile à déterminer pour les responsables du programme et très difficile à falsifier pour les demandeurs. L'invalidité ou les handicaps peuvent être évalués par des examens physiques et psychologiques, même s'il y a inévitablement des cas « tangents ,.. Dans le cas des chefs de familles monoparentales, par contre, l'aptitude au travail peut être évaluée différemment: pour une partie de l'opinion, l'enfant le plus jeune devrait être d'âge à fréquenter une garderie, tandis que pour d'autres on devrait aller jusqu'à l'âge scolaire ou même à un âge plus avancé; la décision dépend aussi de l'accessibilité et du coût des garderies. Peu importent les différents points de vue exprimés, il est possible d'établir des critères relativement clairs pour déterminer les chefs de familles monoparentales qui sont aptes ou inaptes au travail, même si les critères varient légèrement selon les lois des divers gouvernements. L'une des questions les plus délicates auxquelles les Canadiens sont confrontés dans la réforme de la sécurité du revenu est de savoir s'il convient ou non de verser des prestations aux personnes aptes à travailler, en dehors de l'assurance-chômage. Ces prestations pourraient prendre diverses formes, par exemple celle d'un complément de revenu universel ou lié au travail pour les revenus peu élevés et des programmes d'emplois spéciaux dans le secteur public ou d'emplois subventionnés dans le secteur privé pour les travailleurs au chômage. Le principal argument susceptible de justifier le versement de certaines prestations aux personnes aptes à travailler est l'ampleur de leurs besoins. En 1985, plus d'un million de Canadiens font partie d'une famille qui tire au moins la moitié de son revenu du travail et où, pourtant, le revenu familial global est inférieur au seuil de pauvreté de Statistique Canada. Nombre de ces personnes s'en tireraient aussi bien, sinon mieux, financièrement en vivant de l'assistance sociale; le fait qu'elles continuent à travailler témoigne donc de leur ténacité et de leur attachement à la valeur du travail. Cependant, le moindre revers financier risque de les faire basculer dans les rangs des assistés sociaux. Bien des raisons, qui tiennent tant à la justice qu'à l'économie, conduisent à envisager un accroissement de l'aide aux faibles revenus au Canada. Il y a d'abord une raison humanitaire évidente, qui nous incite à pourvoir aux besoins de ces personnes par le partage. Là encore, plus d'un million d'enfants canadiens - un enfant sur cinq - font partie d'une famille à faible revenu, qui sont, pour la plupart, des familles dont les membres travaillent. Nous pouvons venir en aide à ces enfants maintenant ainsi qu'à tous les Canadiens, plus tard, en assurant un meilleur niveau de vie à leur famille. De plus, nous stimulons notre économie en aidant les familles qui gagnent peu. Par la force des choses, elles dépenseront la quasi totalité de leurs revenus et ce, en achetant des biens et des services canadiens plutôt que des articles de luxe importés. La Commission estime que, dans un régime idéal, les programmes seraient conçus de manière à fournir des prestations suffisantes, tant aux bénéficiaires aptes à travailler qu'aux prestataires inaptes à l'emploi; nous sommes convaincus qu'on peut y parvenir. Les personnes inaptes au travail, par exemple, ont besoin de prestations de base relativement élevées, les transferts constituant leur source essentielle de revenu. Dans leur cas, on pourrait maîtriser le coût des programmes en imposant un taux de réfaction (c'est-à-dire un pourcentage de réduction des prestations par dollar de revenu d'une autre source) relativement élevé mais non prohibitif, puisque l'incitation à travailler est moins importante pour les catégories de personnes que la société ne s'attend pas à voir sur le marché du travail à plein temps, que pour les personnes aptes au travail. Les prestations destinées aux bénéficiaires aptes au travail qui possèdent un faible revenu pourraient comporter un taux de base moins élevé, ces personnes étant censées pouvoir tirer un revenu d'un emploi. Ces prestations devraient également se réduire à un rythme relativement faible à mesure que le revenu salarial augmenterait, de façon à ce que le taux effectif d'imposition des gagne-petit - taux produit par la combinaison de l'impôt direct et de la diminution des prestations - ne soit pas prohibitif. L'établissement de catégories de travailleurs permet ainsi d'obtenir plus facilement l'équilibre visé entre l'incitation au travail, la suffisance des prestations et l'économie des programmes publics. Mécanismes de prestation: universalité et sélectivité. Le régime actuel comprend à la fois des prestations dites «universelles » et des prestations « sélectives ». Conformément aux conventions les plus généralement admises, nous qualifierons de sélectifs les programmes qui font intervenir un examen des besoins - habituellement établis en fonction du revenu et de la situation du bénéficiaire - avant le versement des prestations, ces dernières étant inversement proportionnelles au revenu du bénéficiaire. Nous qualifierons, par contre, d'universels les programmes qui accordent des prestations brutes égales à toutes les personnes qui présentent des caractéristiques données, quel que soit leur revenu. Au Canada, tous les programmes dits « universels » ont des prestations imposables. Cela veut dire que l'examen du revenu se produit, en fait, après le versement des prestations, par le biais du régime fiscal. Lorsque le taux marginal d'imposition normal n'est pas jugé suffisant, les prestations peuvent faire l'objet d'un mécanisme spécial de récupération fiscale; cela n'est cependant le cas d'aucun programme universel au Canada à l'heure actuelle. Par conséquent, on voit d'après cette définition qu'un programme universel peut être aussi redistributif, en fin de compte, qu'un programme sélectif et que, s'il entraîne des dépenses brutes plus élevées, il n'occasionne pas nécessairement des besoins budgétaires nets supérieurs à ceux des programmes sélectifs. Tous les grands programmes de sécurité du revenu au Canada comportent des prestations qui varient en fonction du revenu avant ou après impôt. Sur le plan strictement économique ou distributif, aucune des deux méthodes ne l'emporte nettement sur l'autre. Il s'agit essentiellement d'une question de conception des modalités de prestation. Cette conclusion diffère de l'opinion courante selon laquelle les programmes sélectifs seraient intrinsèquement plus efficaces, mieux orientés et moins coûteux que les programmes universels - opinion qui ne tient pas compte de l'interaction du régime fiscal avec les programmes de sécurité du revenu. Les facteurs d'ordre économique ne permettant pas de trancher, le choix de la méthode de prestation doit être guidé par d'autres considérations. Les programmes universels sont habituellement supérieurs au plan de la facilité et des frais d'administration de même qu'à celui de la surveillance de leurs prescriptions. Mais ces avantages risquent d'être annulés par la complexité des mécanismes de récupération fiscale, qui deviennent nécessaires quand les taux marginaux d'imposition du barème normal sont jugés insuffisants. En fait, pour des prestations catégorielles spéciales, comme les indemnités d'invalité partielle, il est souvent plus commode de procéder à l'examen du revenu avant le paiement, à l'aide d'une méthode sélective. La raison en est que, pour être efficace, un prélèvement doit s'intégrer aux retenues fiscales à la source, ce qui oblige les employeurs à connaître ceux de leurs travailleurs qui bénéficient des prestations catégorielles. Cette exigence accroît la complexité du système, elle entraîne des difficultés tout particulièrement lourdes pour les petites entreprises. D'autres considérations militent en faveur des programmes universels. Les prestations universelles respectent davantage la dignité des bénéficiaires et les taux d'utilisation sont généralement plus élevés. Les bénéficiaires ne souffrent d'aucun retard dans l'instruction des demandes de prestations, ces dernières étant versées selon un processus continu. Les prestations nettes réagissent rapidement aux variations du revenu, puisque ce dernier fait l'objet d'un examen fréquent au moyen des retenues fiscales à la source. Bien entendu, les programmes sélectifs comportent eux aussi des avantages. Ils réduisent le coût apparent des programmes publics puisque, en faisant intervenir l'examen du revenu avant le versement des prestations, ils diminuent les décaissements. Ils évitent aussi parfois d'accroître la complexité du régime fiscal et, quand les pouvoirs publics veulent établir des mécanismes administratifs appropriés, on peut les adapter rapidement aux besoins des intéressés. Les avantages et les inconvénients des programmes universels sur un plan plus strictement politique sont moins faciles à évaluer. Certains font valoir que les programmes universels accroissent la cohésion sociale et bénéficient d'un large appui de la population, les prestations brutes étant versées à un très grand nombre de gens. Pour d'autres, ces arguments étaient valables à l'époque où l'on acceptait, et même où l'on souhaitait, un secteur public omniprésent, mais les prestations universelles ont maintenant pour effet de rappeler régulièrement l'ampleur de l'administration publique à une classe moyenne qui n'est plus en faveur d'un État hypertrophié. Si la Commission est consciente que l'opinion publique est plus partagée qu'autrefois au sujet du rôle de l'État, elle estime que, tout compte fait, les avantages de l'universalité pèsent plus lourd que ses inconvénients pour la plupart des programmes. Cette analyse des principes de l'universalité et de la sélectivité vaut pour les programmes de soutien du revenu autres que l'assurance sociale. Cette dernière, dont relèvent le programme d'assurance-chômage et le Régime des pensions du Canada (RPC), s'inspire de considérations différentes qui imposent généralement un autre mécanisme de prestation. L'assurance sociale n'a pas un but essentiellement redistributif. Sous sa forme classique, elle constitue, comme son nom l'indique, un mécanisme d'assurance aux termes duquel les travailleurs et leurs employeurs versent des primes dont l'ensemble doit équivaloir aux versements prévus de prestations aux travailleurs. Ces derniers reçoivent les prestations lorsqu'ils satisfont à des conditions préétablies, par exemple quand ils perdent leur emploi ou arrivent à l'âge de la retraite; les prestations versées, au moins à concurrence d'un plafond, varient en fonction directe du revenu antérieur et sont imposables à titre de revenu. Régime fiscal et transferts. Tout comme le régime actuel de soutien du revenu comprend à la fois des programmes universels et des programmes sélectifs, les mesures d'aide fiscale y coexistent avec les transferts directs. Nous étudierons le rapport entre le régime fiscal et les paiements de transfert au Canada en prenant pour exemple l'aide à la famille. Cette aide, également appelée « prestations à la famille», ou « au titre des enfants », est constituée d'exemptions fiscales, de crédits d'impôt et de prestations universelles ou « démosubventions ». Les exemptions fiscales au titre des enfants remplissent une fonction de justice horizontale en permettant aux familles ayant des enfants à charge de payer un peu moins d'impôts et en faisant varier ces derniers en fonction de la dimension de la famille. Cependant, comme le barème d'imposition est progressif, les exemptions se traduisent par des économies d'impôt plus élevées pour les ménages à revenu supérieur, ce qui nuit à la justice verticale entre les familles. Le crédit d'impôt remboursable pour enfants est un programme sélectif qui produit un effet nettement plus redistributif en réduisant les impôts ou en versant un remboursement aux familles à faible ou moyen revenu qui ont des enfants. C'est un exemple de crédit d'impôt dit « remboursable », dont peuvent bénéficier même les familles qui ne paient pas d'impôts. Le crédit d'impôt est établi de manière à ce que le taux maximal de prestations soit versé à toutes les familles ayant des enfants, dont le revenu annuel est inférieur à un plafond fixé (à l'heure actuelle, à un peu plus de 26 000 dollars); au-delà du plafond, les prestations sont réduites de 5 pour cent du revenu. Comme les prestations nettes sont plus élevées pour les familles à revenu modique, on dit que ce programme a des effets « progressifs » et contribue à la justice verticale entre les familles ayant des enfants. Ce programme est sélectif puisqu'on tient compte du revenu avant de calculer la prestation à verser. A titre de « démosubventions », ou de prestations universelles, les allocations familiales sont versées à tous les foyers ayant des enfants à charge, sans égard à leur revenu, mais elles doivent être incluses dans le revenu imposable. Comme elles sont assujetties à l'impôt selon un barème progressif, les allocations familiales se traduisent par des prestations nettes plus faibles pour les familles à revenu supérieur, ce qui leur donne un effet modérément progressif. Les trois dispositions prévues au titre des enfants à charge sont un microcosme du régime actuel de sécurité du revenu au Canada. Elles font intervenir trois différents mécanismes de prestation qui se distinguent par leurs effets distributifs. Leur interaction est extrêmement complexe, de sorte que les familles ont le plus grand mal à en discerner l'effet global. L'un des principaux éléments, l'exemption fiscale, est en fait très régressif. Si nous ajoutons à ces trois mécanismes un autre élément de ce qu'on peut appeler « l'aide à la famille », on obtient un résultat global encore plus curieux. Le régime fiscal canadien accorde actuellement aux contribuables une « exemption de personne mariée » dont la valeur était de 3 470 dollars pour l'année d'imposition 1984. C'est une somme admise en déduction du revenu du conjoint qui est apparemment le seul dans une famille à gagner un revenu pour tenir compte du fait que l'autre conjoint est à sa charge. En 1917, date d'instauration de cette exemption, la société canadienne se composait en majeure partie de familles dont le mari travaillait à l'extérieur et la femme restait à la maison. L'exemption de personne mariée avait alors un effet positif; c'est cependant loin d'être le cas dans une société où environ 66 pour cent des femmes mariées sont sur le marché du travail. En effet, le second revenu de la famille (celui du conjoint) est alors imposé, à concurrence de 3 470 dollars, au taux marginal supérieur qui frappe le premier revenu; l'exemption personnelle qui s'applique au second revenu ne procurant qu'une compensation partielle. De plus, comme il s'agit d'une exemption et non d'un crédit d'impôt, cette disposition n'est d'aucune utilité aux familles vraiment pauvres dont le revenu n'est pas suffisamment élevé pour être imposable. Son coût se chiffrait à environ 1,4 milliard de dollars en 1984 pour le trésor fédéral et à 750 millions de dollars pour les provinces. Quelques observations s'imposent enfin au sujet de l'exemption personnelle. En 1984, cette dernière permettait à chaque contribuable de déduire 3 970 dollars de son revenu imposable. Cette exemption a pour effet de relever le seuil d'imposition, permettant aux Canadiens à faible revenu de payer moins d'impôts. Cependant, si son objectif est d'apporter un soutien ou un allègement aux Canadiens, cette exemption a des effets plutôt négatifs. Elle se traduit, en effet, par un avantage effectif de près de 2 000 dollars pour les particuliers à revenu supérieur qui sont imposés à un taux marginal de 50 pour cent, tandis que sa valeur effective n'est que de 800 dollars pour les Canadiens à très faible revenu dont le taux marginal d'imposition est plutôt de l'ordre de 20 pour cent. Elle n'est absolument d'aucun secours aux Canadiens vraiment pauvres qui n'ont pas de revenu imposable. Elle coûte 9,4 milliards de dollars chaque année au trésor fédéral et 4,7 milliards de dollars aux provinces. Comme nous le verrons plus loin, on pourrait améliorer considérablement l'efficacité de l'exemption personnelle sur le plan de la justice verticale en la transformant en crédit d'impôt remboursable - c'est- àdire, en fait, en élément de revenu garanti. Les mesures d'aide à la famille et à la personne ont, prises dans leur ensemble, un effet régressif. Cette conclusion n'apparaît cependant pas clairement si l'on n'examine pas l'interaction du régime fiscal et des programmes de transfert. Ce système, pris globalement, ne vient pas en aide autant qu'il le pourrait aux familles et aux personnes déshéritées qui en auraient vraiment besoin, et il accorde des prestations injustifiées aux salariés à revenu supérieur. Ainsi, par exemple, l'ensemble constitué par l'exemption personnelle, l'exemption de personne mariée, la déduction au titre des enfants et la déduction pour frais liés à un emploi, les allocations familiales et le crédit d'impôt pour enfants, donne des prestations nettes d'environ 5 035 dollars par an à une famille à revenu unique de l'Ontario qui gagne 100 000 dollars et qui compte deux enfants. Cet ensemble de mesures ne rapporte par contre que 2 240 dollars net à une famille à revenu double dont le revenu salarial total est de 25 000 dollars et qui compte deux enfants. De plus, ce système produit un effet qui va à l'encontre de la participation au marché du travail d'un deuxième membre de la famille dont le revenu est inférieur, soit en général, la femme. C'est là un exemple de programme fragmentaire mis en place à une époque où la structure de la population active, dont le modèle était la famille à revenu unique, était bien différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Résumé: critiques et préoccupations d'ordre général. Le régime actuel de sécurité du revenu au Canada fait l'objet de plusieurs critiques assez sérieuses. En résumé: - Il est inefficace. Malgré les milliards de dollars dépensés, bien des Canadiens continuent de vivre dans la pauvreté, tandis que ceux qui ne sont pas pauvres reçoivent des prestations de sécurité du revenu. - Il est trop complexe. Il y a trop de programmes et trop de fonctionnaires pour les administrer. Les Canadiens ont souvent du mal à savoir à quelles prestations ils ont droit et l'interaction des programmes se traduit souvent par des surprises désagréables pour les bénéficiaires. - Il produit un effet contraire à l'incitation au travail et ce, pour trois raisons possibles: les prestations sont trop élevées dans le cas de certains bénéficiaires ou sont versées pendant trop longtemps. Le taux marginal d'imposition ou le taux de réduction du système est extrêmement élevé, dépassant parfois 100 pour cent. Il se peut que les prestations versées encouragent certains travailleurs à rester dans des industries improductives ou non concurrentielles et les dissuadent de chercher un meilleur emploi. - Il est injuste. Comme il fait une large place aux exemptions fiscales, par opposition aux transferts directs ou aux crédits d'impôt, certaines familles à revenu élevé reçoivent plus de prestations que d'autres familles à faible revenu. Cette anomalie apparaît tout particulièrement lorsque l'on considère les dispositions fiscales et les programmes de transfert dans leur intégralité, compte tenu de tous les avantages fiscaux dont se prévalent généralement les Canadiens des classes moyennes et supérieures. - Selon certains, ce régime ne pourra être maintenu en raison de l'évolution de la pyramide des âges au Canada, de la persistance prévue d'un chômage élevé et des effets négatifs que l'on prête aux changements démographiques. En résumé, il ressort de ces considérations que le Régime de sécurité du revenu est entaché de graves défauts au Canada. Cette conclusion n'a rien d'étonnant, puisque les dispositions de ce régime ont été mises en place, selon les circonstances, parallèlement à des aménagements pas toujours coordonnés de la fiscalité des particuliers. Cet ensemble de dispositions convenait peut-être dans une certaine mesure à la société canadienne des années 1950, mais elle est beaucoup moins bien adaptée à notre situation en cette deuxième moitié des années 1980. La question n'est pas de savoir si une réforme est nécessaire, mais de déterminer l'ampleur et la rapidité de cette réforme. Réforme du régime. Plusieurs éléments devraient faire partie du Régime de sécurité du revenu au Canada afin de l'améliorer. A la lumière des considérations précédentes, on devrait viser à: - mieux faire correspondre les prestations aux besoins; - offrir aux Canadiens de meilleures incitations au travail, à la formation professionnelle ou à l'enseignement; - simplifier le système pour le rendre plus compréhensible; - mieux intégrer les dispositions fiscales, les mécanismes de transfert et les programmes d'assurance sociale; - élaborer un système facile à administrer; - préserver la dignité de la personne; - réagir rapidement aux changements de situation. La Commission n'a pas inclus la réduction des coûts dans cette liste. Il est possible qu'un régime rationnel conforme aux propositions précédentes revienne un peu moins cher que le système actuel, mais il ne faut pas oublier que beaucoup de Canadiens ont bel et bien besoin d'une aide. En outre, comme nous l'avons indiqué, tout en prenant acte des problèmes budgétaires qui existent à court terme, nous n'avons aucune crainte quant à notre capacité future de maintenir nos programmes de transfert et ne pensons pas que ces difficultés budgétaires à court terme doivent être réglées par une forte réduction des ressources redistribuées au moyen des programmes de transfert. En fait, nous considérons le maintien d'un financement suffisant comme indispensable aux adaptations qui permettront à tous les Canadiens de jouir d'un avenir plus prospère. Les éléments précités pourraient être mis en place par une réforme globale du Régime de sécurité du revenu et de la fiscalité des particuliers, ou par un train de réformes croissantes. Ils pourraient s'inscrire à l'intérieur d'un mécanisme de prestation « universel » qui permette à chacun, quel que soit son revenu, de recevoir des prestations de base, la prise en compte des besoins se faisant par le biais de l'impôt. On pourrait aussi recourir à un mécanisme fiscal de prestation, en corrigeant les impôts de ceux qui travaillent et en accordant des crédits remboursables à ceux qui ne travaillent pas ou aux personnes non assujetties aux retenues fiscales à la source. Nous avons déjà vu que la différence entre un système de « démosubventions » et le recours aux dispositions fiscales se situait surtout au niveau des mécanismes; la structure des prestations peut être la même dans les deux cas. Réformes partielles. La Commission estime, pour des raisons qu'elle exposera plus loin, qu'il est souhaitable d'envisager une réforme complète du régime de sécurité du revenu au Canada, mais la refonte de certains éléments ou sous-systèmes de ce régime pourrait se révéler efficace en rapprochant les Canadiens d'un certain nombre d'objectifs exposés précédemment. On peut à cette fin décomposer le Régime de sécurité du revenu en sous-systèmes destinés aux catégories suivantes: - les personnes âgées; - les familles ayant des enfants à charge; - les Canadiens au chômage mais aptes au travail qui ne retirent pas d'assurance-chômage; - les personnes nécessiteuses qui ne sont généralement pas aptes au travail. Les dispositions destinées aux deux dernières catégories sont mises en oeuvre conjointement, au palier fédéralprovincial, dans le cadre du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC). D'autres éléments moins importants du Régime de sécurité du revenu visent à soutenir des groupes comme les anciens combattants ou les autochtones, sans compter plusieurs programmes ou services assez spécialisés qui viennent en aide à un nombre relativement restreint de personnes. Bien que ces programmes revêtent une importance vitale pour ceux qui en bénéficient, la Commission ne peut les étudier ici; en fait, une réforme relativement générale pourrait rendre certains de ces programmes inutiles. Politique des pensions et situation des personnes âgées. Aucun élément de notre régime de sécurité du revenu n'a autant fait couler d'encre, depuis quelques années, que la politique des pensions. Depuis la fin des années 1970, toute une série de groupes de travail, d'organismes consultatifs et de commissions royales se sont penchés sur notre système de revenu de retraite dont ils ont mis en relief les lacunes. Associations patronales, organismes ouvriers, représentants des retraités, groupes sociaux et organismes féminins, tous ont fait valoir leur point de vue auprès de l'État. Une conférence nationale sur les pensions a eu lieu en 1981, et les travaux se sont poursuivis depuis dans l'administration publique. En réalité, depuis près d'une dizaine d'années, les Canadiens sont engagés dans un « grand débat ». sur les pensions. Ce débat a été alimenté par toute une série de préoccupations: les difficultés financières que connaissent nombre de Canadiens âgés, l'effet de l'inflation sur les prestations des régimes privés de retraite, les répercussions à long terme de l'évolution démographique sur le financement des pensions futures, la nécessité d'adapter nos mécanismes de retraite au rôle nouveau de la femme dans la société moderne. En raison de la diversité de ces préoccupations, le débat a touché tous les secteurs, aussi bien les programmes publics que les régimes privés de retraite et l'équilibre à réaliser entre les deux. Dans le cas des régimes de retraite privés ou professionnels, on a fait ressortir la protection insuffisante accordée à la population active, l'insuffisance de la dévolution, de la transférabilité et de la protection contre l'inflation. Dans le domaine des programmes publics, on s'est penché autant sur le niveau des prestations que sur les répercussions financières du vieillissement de la population canadienne au cours des cinquante prochaines années. En raison de l'ampleur même du débat, la réforme des pensions présente un défi de taille, puisqu'elle exige au Canada un consensus particulièrement fort. En effet, la répartition des pouvoirs entre les autorités fédérales et provinciales en matière de pensions est excessivement complexe, même jugée selon des normes canadiennes. La plupart des régimes de retraite professionnels sont réglementés sur le plan provincial; cependant, la Loi fédérale sur les normes des prestations de pension s'applique aux secteurs de l'économie qui sont du ressort direct du gouvernement fédéral, et les dispositions de la Loi fédérale de l'impôt sur le revenu ont une importance extrême pour tous les régimes privés. Dans le domaine des pensions publiques, la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti (SRG) relèvent du gouvernement fédéral. Toutefois, ce dernier ne peut modifier le Régime de pension du Canada qu'avec l'assentiment des deux tiers des provinces représentant les deux tiers de la population canadienne - condition encore plus rigoureuse que la formule générale d'amendement de la Constitution. Enfin, le Régime de rentes du Québec relève exclusivement du gouvernement de cette province. Il ne faut pas s'étonner, dans ces conditions, que le débat traîne depuis si longtemps et que les transformations concrètes aient été si limitées. Il semble toutefois qu'un consensus soit en train de se dégager. Même si le train de réformes probables va beaucoup moins loin que ne le préconisent les partisans d'une refonte complète, il représente un progrès marqué par rapport aux dispositions actuelles. Parmi les points sur lesquels une entente semble possible figure la réforme des normes minimales régissant les régimes privés de retraite, notamment: - Dévolution Les travailleurs devraient pouvoir bénéficier des cotisations patronales autant que de leurs propres cotisations. Dans la plupart des législations des divers gouvernements la dévolution ou l'acquisition des droits n'intervient actuellement qu'au bout de dix années de service et à l'âge de 45 ans. On s'entend généralement sur la nécessité de réduire les délais de dévolution - encore que la formule exacte ne fasse peutêtre pas l'unanimité. Le débat porte surtout sur les propositions de dévolution après deux ou cinq ans. La plupart des intéressés semblent convenir que la condition d'âge minimal devrait être éliminée. - Transférabilité On peut améliorer considérablement la transférabilité des pensions en « immobilisant », les fonds dans un compte personnel épargne retraite ou en concevant des formules améliorées de protection des prestations différées de retraite. L'amélioration de la transférabilité et des règles de dévolution est jugée particulièrement importante par la Commission puisque, selon elle, les Canadiens risquent d'avoir à changer plus souvent d'emploi ou de carrière à l'avenir. - Protection contre l'inflation Même si la question reste controversée, les propositions d'indexation partielle des pensions futures, formulées par le gouvernement fédéral et par l'Ontario en 1984, représentent un bon point de départ en vue d'améliorer les régimes. - Prestations de survivant La plupart des lois sur les normes de pensions n'obligent pas les régimes de retraite à prévoir des prestations de survivant et nombre de régimes n'en offrent pas. C'est l'une des raisons de la situation financière difficile dans laquelle se trouvent nombre de Canadiennes âgées; aussi toute réforme des pensions doit-elle assurer une protection suffisante aux survivants. - Partage des droits Le partage des droits de pension en cas de rupture du mariage, sauf décision contraire des tribunaux ou des parties, est conforme à la vision moderne du mariage conçu comme un contrat entre partenaires. - Travailleurs à temps partiel Les travailleurs réguliers à temps partiel devraient être admissibles aux régimes de retraite. Ce principe est conforme à l'importance que la Commission a déclaré accorder à la souplesse des horaires de travail. De plus, les dispositions fiscales régissant l'épargne-retraite pourraient devenir plus souples. De même, une entente paraît possible sur d'importants éléments du système public de pensions et plus particulièrement des Régimes de pensions du Canada et de rentes du Québec, notamment: - Maximum de gains donnant droit à une pension Le gouvernement devrait veiller à ce que le maximum des gains donnant droit à une pension soit porté au niveau de la moyenne des salaires dans l'industrie d'ici deux ans. - Partage des droits Le partage des droits en cas de rupture du mariage, qui est actuellement volontaire, devrait être rendu obligatoire, sauf renonciation formelle des deux conjoints. - Taux de cotisation Les autorités fédérales et provinciales devraient s'entendre sur un calendrier de relèvement progressif des taux de cotisation afin d'éviter des hausses brutales au début du siècle prochain. D'autres propositions, comme le versement d'une pension aux personnes qui restent au foyer, suscitent davantage la controverse et ne permettent pas de prévoir une entente dans un avenir prochain. Étant donné le vaste débat dont le système des pensions a déjà fait l'objet, la Commission n'a pas voulu y consacrer une étude approfondie. Le consensus qui est en train de se dégager entre les gouvernements ne réglera certainement pas toutes les difficultés que pose le système des pensions au Canada mais il représentera un progrès. La Commission invite instamment les autorités fédérales et provinciales à s'entendre le plus tôt possible sur les réformes à apporter. Il est temps de passer à l'action dans le domaine des pensions. En ce qui concerne la Sécurité de la vieillesse (Sv) et le Supplément du revenu garanti (SRG), la Commission estime que les dispositions actuelles correspondent au minimum acceptable. La dernière augmentation du supplément du revenu garanti, qui a porté le revenu des personnes âgées vivant seules au seuil de faible revenu, devrait avoir pallié les situations les plus difficiles. Nous relevons l'anomalie qu'entraîne l'interaction du revenu de pension et de la déduction fiscale « de personne âgée ». Comme toutes les autres déductions, cette disposition profite, de façon disproportionnée, aux personnes qui en ont le moins besoin, mais la faible proportion de Canadiens de plus de 65 ans qui ont un revenu élevé rend l'effet de cette déduction relativement négligeable. Toutefois, la Commission tient à souligner de nouveau que les pensions versées par les régimes publics au Canada sont très faibles en regard des normes internationales. Comme ces pensions peu élevées se conjuguent à un faible revenu moyen chez les personnes âgées, la plupart des gouvernements devraient penser à d'autres programmes s'ils veulent réduire leurs dépenses. Régime d'aide à la famille. Dans l'analyse consacrée à l'interaction du régime fiscal et des programmes de transfert, la Commission a relevé plusieurs défauts du régime d'aide à la famille. Ce dernier, rappelons-le, se compose des allocations familiales, du crédit d'impôt pour enfants et de l'exemption fiscale au titre des enfants. On peut également y inclure la déduction pour frais de garde d'enfants et « l'exemption de personne mariée». Le premier programme est de faible dimension, à l'échelle des autres programmes de sécurité du revenu; il compte un budget de 100 millions de dollars et 170 000 bénéficiaires. Nous le considérerons brièvement à la rubrique des garderies. Nous préconiserons aussi l'élimination de l'exemption de personne mariée dans le cadre d'une réforme globale. Signalons en passant qu'en consacrant les sommes économisées par la suppression de l'exemption de personne mariée à la réforme des prestations au titre des enfants qui est étudiée plus loin, on améliorerait ces prestations de près de 30 pour cent. Une gamme de solutions possibles à l'égard de l'aide à la famille a fait l'objet d'un débat public; dans son document d'étude, en 1985, sur les prestations aux personnes âgées et à la famille', le gouvernement fédéral a proposé deux réformes possibles. La Commission présente ici deux exemples des genres de modifications envisagées. La première option est très proche de la solution de rechange présentée par le gouvernement fédéral dans son document de consultation. Première option: aide maximale aux familles à faible revenu. L'ensemble de mesures évoquées le plus souvent pour modifier le régime d'aide à la famille comporterait une forte diminution des allocations familiales et des exemptions fiscales au titre des enfants. L'économie ainsi réalisée permettrait d'accroître le crédit d'impôt pour enfants. Considérons par. exemple les changements suivants: - allocations familiales ramenées de 360 dollars à 240 dollars par an; - exemptions fiscales au titre des enfants ramenées de 710 dollars à 240 dollars par an; - crédit d'impôt pour enfants porté de 343 dollars à 770 dollars par an; - plancher de revenu annuel (où débute l'admissibilité aux prestations) ramené de 26 330 dollars à 20 000 dollars. Ces modifications donneraient lieu à un système beaucoup plus orienté en fonction des besoins, tout en permettant au gouvernement du Canada de faire parvenir chaque mois un chèque à toutes les mères admissibles. Le tableau 19-2 indique l'effet des modifications proposées sur les familles ayant deux enfants et un seul revenu en Ontario. Les familles à revenu unique, qui gagnent moins de 20 000 dollars par an, bénéficieraient de cette option, tandis que les familles à revenu supérieur y perdraient. Dans l'ensemble, le nombre des « gagnants » et des « perdants » est à peu près équivalent, tout comme l'ampleur des gains et des pertes. Les changements indiqués permettraient aux familles dont le revenu salarial annuel s'élève à 6 000 dollars ou moins d'obtenir 650 dollars de plus, et aux familles dont le revenu se situe entre 10000 dollars et 20000 dollars de gagner environ 450 dollars. Les familles à revenu unique de plus de 50 000 dollars perdraient un peu plus de 530 dollars par an. L'aménagement de divers programmes permet d'élaborer des variantes de la première option. Par exemple, l'élimination des allocations familiales et de l'exemption fiscale au titre des enfants ou l'imposition de taux de récupération fiscale beaucoup plus élevés pour les revenus supérieurs à la moyenne feraient en sorte que l'État pourrait réduire considérablement ses dépenses et mieux orienter les programmes dans l'ensemble, mais les familles à revenu moyen verraient leurs prestations sensiblement réduites. Inversement, une majoration des allocations familiales, conjuguée à l'élimination des exemptions fiscales et des crédits d'impôt, permettrait d'accroître quelque peu les prestations nettes versées aux gagne-petit ainsi que de maintenir certains transferts, même en faveur des familles à revenu supérieur qui ont des enfants. On pourrait ainsi maintenir une certaine justice horizontale. Deuxième option: protection des familles pauvres avec réduction des dépenses. Une réforme analogue à la première option mais comportant une réduction des dépenses publiques pourrait facilement s'appliquer. Considérons par exemple les changements suivants: - allocations familiales ramenées de 360 dollars à 240 dollars par an; - exemption fiscale au titre des enfants ramenée de 710 dollars à 40 dollars par an; - crédit d'impôt pour enfants porté de 343 dollars à 563 dollars par an; - plancher de revenu annuel (où débute l'admissibilité aux prestations) ramené de 26 330 dollars à 20 000 dollars par an. Cette option permettrait à l'État d'économiser 380 millions de dollars par an, tout en maintenant la plupart des autres caractéristiques du système. Le tableau 19-3 illustre les effets qu'elle aurait sur les familles ayant un seul revenu et deux enfants en Ontario, effets qui sont présentés sous forme graphique à la figure 191; les familles dont le revenu unique est inférieur à 22 000 dollars dans l'année en sortiraient gagnantes, tandis que les familles à revenu supérieur y perdraient. La figure 19-2 présente une situation plus complexe - mais plus réaliste, elle comprend les familles à double revenu. Ces familles ne sont perdantes, dans cette option, que si leur revenu dépasse 34 000 dollars par an; leur perte est négligeable jusqu'à un revenu de 40 000 dollars par an. Les « gagnants » et les « perdants » sont à peu près dans un rapport de 35-40 à 60-65. L'amélioration est assez faible pour la plupart des gagnants et la perte sensible pour nombre de perdants. Comme nous l'avons vu dans la première option, si nous voulons que gagnants et perdants soient à peu près en nombre égal, nous devons atteindre un point très voisin de la neutralité fiscale, où il n'y a pas de réduction des dépenses. Étant donné les économies relativement faibles que l'on peut espérer de façon réaliste grâce à des réformes du genre de la deuxième option, et vu l'effet redistributif extrêmement favorable de l'option précédente, la Commission se prononce en faveur de la première option. Cependant, cette réforme, comme les autres modifications proposées dans cette section, est en fait relativement mineure dans un régime de sécurité du revenu auquel on peut apporter de grandes améliorations. Troisième option: la mauvaise façon de réformer le système. La troisième option est un exemple extrême de variante de la deuxième option. Nous la présentons pour indiquer ce qui arrive lorsqu'on applique une solution simpliste à un système complexe. Elle consiste tout bonnement à ôter toute aide au titre des enfants aux familles dont le revenu dépasse la moyenne. Deux figures illustrent les effets de cette mesure. La figure 19-3 présente le revenu avant et après impôt d'une famille ayant un revenu salarial moyen (32 000 dollars par an). La figure 19-4 illustre l'effet d'une élimination totale de l'aide à la famille quand le revenu annuel de celle-ci atteint 32 000 dollars. Il en résulte que le revenu disponible annuel (après impôt) tombe de 25 900 dollars à 24 500 dollars quand le revenu familial total s'élève de 32 000 dollars à 32 001 dollars, puis augmente au même rythme qu'auparavant à partir de ce nouveau montant plus faible. Ainsi, jusqu'à ce que son revenu dépasse 34 500 dollars, la famille dispose de moins d'argent qu'avec un revenu annuel de 32 000 dollars. Cette anomalie, qui était chose courante dans les premiers programmes de bien-être social, se rencontre encore à l'occasion. Par exemple, une famille, qui essaie de s'affranchir de l'assistance sociale en travaillant, risque de subir un taux réel d'imposition « globale » plus élevé que celui d'une famille dont le revenu dépasse 100000 dollars par an. Cela provient du jeu combiné d'une réduction des prestations en espèces et de l'élimination de certains services obtenus auparavant, comme les prestations médicales non assurées. Ces anomalies des programmes de soutien social et de sécurité du revenu sont l'illustration classique du « piège de la pauvreté » auquel un grand nombre de Canadiens à faible revenu font face. On pourrait améliorer cette « solution » simplement en recourant à des taux progressifs de réduction des prestations quand le revenu dépasse la moyenne familiale, mais on aurait alors un système analogue à la deuxième option quant aux effets qui s'ensuivent. Sous sa forme la plus simple, la troisième option produit des économies très importantes, d'environ 1,3 milliard de dollars par an, mais la majeure partie de ces économies sont obtenues grâce aux anomalies décrites précédemment. On peut se demander s'il convient de réduire de plus de 5 pour cent le revenu disponible de la famille canadienne moyenne pour mettre en oeuvre un programme où il n'y aurait aucun gagnant véritable, aucune redistribution de revenu en faveur de ceux qui en ont le plus besoin et, peut-être, un effet négatif marqué sur l'incitation à participer au marché du travail. C'est la raison pour laquelle seules les solutions analogues aux première et deuxième options devraient être envisagées. Assistance sociale et Régime d'assistance publique du Canada. Aux termes du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC), le gouvernement fédéral prend en charge 50 pour cent du coût de l'assistance sociale, des services de bien-être et des programmes d'adaptation au travail offerts par les provinces et les municipalités. Environ 73 pour cent des fonds fédéraux (3,1 milliards de dollars) sont consacrés à des programmes de sécurité du revenu qui subviennent aux besoins fondamentaux tels l'alimentation, le logement, l'habillement, le chauffage, les foyers d'accueil et l'hygiène, qui s'adressent à environ 2 millions de personnes. Le reste des dépenses consacrées par les autorités fédérales et provinciales à ce secteur (1,1 milliard de dollars) soutient les services à l'enfance, les soins aux enfants en établissement et les services sociaux comme les garderies, les services à domicile pour personnes âgées, les services de conseil et les programmes communautaires destinés aux handicapés et aux personnes âgées; ces dépenses soutiennent également la recherche et l'administration. La Commission estime qu'il peut y avoir place pour des réformes considérables au sein des programmes de transfert de revenu (d'assistance sociale) qui relèvent du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC). Comme un grand nombre de Canadiens qui ne peuvent gagner leur vie font appel à l'assistance sociale, celle-ci constitue l'ultime « filet de sécurité » au sein d'un régime moderne de transfert de revenu. Le Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) avait pour objet de prendre en charge une partie des frais des programmes provinciaux d'assistance sociale qui apportaient une aide convenable aux personnes nécessiteuses, peu importe la raison de leurs besoins. Cependant, les vastes pouvoirs discrétionnaires relatifs à l'application de ce critère se sont traduits par une aide inégale et, dans certains cas, insuffisante selon les régions du pays. Il en est résulté: - d'importantes variations dans le volume de l'aide; - une augmentation appréciable du nombre de personnes réduites à fréquenter les « soupes populaires » et autres institutions charitables; - une discrimination à l'endroit de certaines catégories de bénéficiaires, ce qui pourrait contrevenir aux articles 15 et 36 de la Charte canadienne des droits et libertés contenue dans la Loi constitutionnelle de 1982. De plus, les prestations d'aide sociale financées dans le cadre du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) produisent généralement un effet défavorable marqué à l'incitation au travail. Au-dessus d'une exemption fixée à un bas niveau, les prestations sont habituellement réduites de tout le revenu salarial, ce qui revient à imposer les salaires à 100 pour cent. D'une certaine manière cette politique est conforme au caractère de « dernier recours ». que ces programmes représentent pour les bénéficiaires ne participant normalement pas au marché du travail. Toutefois, la plupart des assistés sociaux sont des mères célibataires et des personnes handicapées. Nombre d'entre elles pourraient gagner un revenu modeste, ce qu'elles préféreraient sans doute, mais elles en sont dissuadées par le fait que, contrairement aux Canadiens mieux nantis, elles ne peuvent pas vraiment améliorer leur sort en travaillant. C'est pourquoi un certain nombre de réformes éventuelles du Régime d'assistance publique du Canada méritent d'être envisagées. Les programmes d'assistance sociale relevant du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) devraient être un peu plus uniformes d'une région à l'autre. Comme l'indique le chapitre 15, des écarts allant jusqu'à 100 pour cent des prestations ne sont pas chose rare entre les provinces. En 1983, par exemple, les chèques mensuels d'assistance sociale versés en moyenne pour une famille comprenant deux adultes et deux enfants allaient de 1 171 dollars en Alberta à 689 dollars au Nouveau-Brunswick; pour un bénéficiaire célibataire apte au travail, ces prestations allaient de 535 dollars en Saskatchewan à 103 dollars au Nouveau-Brunswick, 180 dollars au Québec et 226 dollars à Terre-Neuve. Certes, le coût de la vie et le revenu net par habitant des personnes autres que les assistés sociaux donnent lieu à des écarts considérables d'un bout à l'autre du Canada, mais pas au point de justifier des variations aussi accentuées de l'aide sociale. Il semble manifestement souhaitable de modifier la condition actuelle du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) voulant que, au-delà du seuil d'exemption (190 dollars par mois pour une famille comprenant deux adultes), le taux de récupération fiscale soit de 100 pour cent. Il conviendrait d'établir des taux plus faibles (de 75 ou 50 pour cent peut-être) d'imposition des prestations admissibles au partage des frais. Comme les programmes d'assistance sociale relèvent des provinces, le gouvernement fédéral devrait essayer de négocier avec ces dernières des ententes satisfaisantes à cette fin. Faute de quoi, il pourrait obliger les provinces qui veulent avoir droit au partage des frais à soumettre des plans comportant des taux de récupération fiscale qui incitent les bénéficiaires à travailler. Au cours de la fin des années 1970, les gouvernements fédéral et provinciaux sont venus à deux reprises très près de s'entendre au sujet de l'établissement de modalités distinctes de financement pour l'assistance sociale et les services sociaux relevant du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC). Il s'agissait là d'une initiative louable. Aussi, la Commission recommande-t-elle qu'on s'efforce à nouveau de parvenir à une entente, de manière à tenir compte des caractéristiques légèrement différentes des programmes dans le financement des deux éléments du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) - encore que Santé et Bien-être social Canada, par l'élaboration de lignes directrices distinctes pour le partage des frais des services sociaux dans le cadre de la Loi, se soit déjà quelque peu éloigné de cette façon de voir. Réforme globale: Régime universel de sécurité du revenu (RUSR). Toutes les propositions exposées jusqu'ici constituent essentiellement des réformes partielles d'un système mis en place au cours d'une soixantaine d'années. Si des réformes partielles comportent passablement des avantages, elles créent aussi un certain nombre de difficultés. Par exemple, si l'on n'améliore que le régime d'aide à la famille, dans le but principal de redistribuer davantage les ressources en faveur des catégories à faible revenu, il y aura finalement un transfert entre différentes catégories de familles ayant des enfants à charge, tandis que les célibataires et les familles sans enfant ne supporteront aucune charge. Cette conception assez étroite de la justice et du partage pourrait ne pas être souhaitable, à moins que les Canadiens n'estiment que les frais de la réforme doivent retomber entièrement sur les familles à revenu moyen ou supérieur qui ont des enfants. L'étroitesse propre à la plupart des réformes partielles limite le choix. Si l'on ne réforme que le régime de l'aide à la famille au sens étroit, les fonds globaux susceptibles d'être réaffectés, si l'on ne touche pas à l'exemption de personne mariée, s'élèvent à 3,4 milliards de dollars. Bien que cette somme ne soit pas négligeable, elle ne représente que 5,5 pour cent de l'ensemble des transferts et dépenses fiscales énumérés et n'améliore que la situation des familles à faible revenu ayant des enfants. L'initiative est louable, mais la Commission estime que l'on peut faire mieux. Un champ limité restreint, évidemment, le nombre des programmes susceptibles d'être réformés ou remplacés. Un ensemble plus « rationnel » de programmes sociaux remplacerait nombre d'exemptions fiscales actuelles, parce qu'elles sont régressives, et appliquerait peut-être des taux marginaux d'imposition supérieurs à la normale au sommet de l'échelle des revenus pour plusieurs transferts universels, afin de récupérer par l'impôt les prestations versées aux hauts salariés. Cette mesure simplifierait considérablement les avantages de la réforme et répartirait mieux les prestations. Au vu de ces considérations, la Commission estime qu'une rationalisation plus complète est un objectif valable en vue de la réforme de notre système de transferts. Elle consisterait à remplacer une bonne partie de la variété complexe des programmes que nous avons actuellement par un seul transfert. Celui-ci serait versé soit par l'intermédiaire du régime fiscal, aménagé de manière à permettre le versement mensuel des prestations, soit par le paiement de chèques distincts, comme on le fait actuellement pour la sécurité de la vieillesse. Pour des raisons qui tiennent à la conception même de la sécurité du revenu, qui seront étudiées plus loin, lorsque les bénéficiaires dépendraient totalement ou presque de paiements de transfert pour vivre, il faudrait ajouter un deuxième programme ou un deuxième « volet » de prestations afin de compléter les paiements. Conformément à l'analyse précédente, la Commission est d'avis que ce régime devrait comporter: - des prestations suffisamment élevées pour assurer un niveau de vie décent à ceux ou celles qui ne peuvent normalement travailler; - un supplément de revenu pour les travailleurs qui ne gagnent pas suffisamment pour subvenir aux besoins de leur famille; - un système d'impôts et de transferts plus simple à comprendre; - une structure de récupération fiscale qui ne dissuade pas ceux ou celles qui peuvent, par le travail, se libérer de leur dépendance à l'égard des prestations; - aucune augmentation du coût des transferts et des dépenses fiscales; - l'assurance que les Canadiens disposeraient d'un « filet de sécurité» convenable au moment où le Canada procède aux adaptations voulues pour être compétitif dans le monde moderne; - un minimum de justice entre les Canadiens qui se trouvent dans des situations familiales et personnelles différentes. Pour décrire les réformes complètes du système de transferts, on évoque habituellement le « revenu annuel garanti » (RAG). Cette expression ne convient toutefois pas au genre de réforme que préconise la Commission. L'expression « revenu garanti» qualifie souvent un programme qui comporte un « niveau garanti » très élevé (c'est-à-dire le versement de prestations élevées aux personnes qui n'ont aucun autre revenu) et un taux de réduction (un taux effectif d'imposition) relativement élevé. La Commission estime qu'un programme qui comporterait un niveau de revenu garanti relativement faible, mais un taux de réduction moins élevé ainsi qu'un « complément » spécial pour ceux qui ne peuvent travailler, atteindrait mieux le double objectif de soutien du revenu et d'incitation au travail. Dans un système de ce genre, les personnes aptes à travailler ne recevraient pas des paiements suffisamment élevés pour qu'elles puissent se contenter de cette seule source de revenu, et le taux de récupération fiscale ne serait pas assez fort pour les dissuader de travailler. Nous préférons parler de « régime universel de sécurité du revenu » (RUSR) pour décrire un régime de ce genre. On peut concevoir toute une variété de programmes de ce genre. La tâche de la Commission n'est pas de déterminer le meilleur de ces programmes, mais d'indiquer la voie dans laquelle l'État devrait, à son avis, se diriger. On pourrait alors assister à l'élimination des éléments suivants: - le supplément du revenu garanti (SRG) (mais non la sécurité de la vieillesse); - les allocations familiales; - le crédit d'impôt pour enfants; - l'exemption de personne mariée; - les exemptions au titre des enfants; - les contributions fédérales au Régime d'assistance publique du Canada (RAPC); - les programmes fédéraux de logement social. D'après la Commission, ces programmes devraient être remplacés par un système universel de transfert. Cependant, nous avons déjà recommandé le maintien de la sécurité de la vieillesse aux niveaux actuels. Parmi les programmes destinés aux personnes âgées, seul le supplément du revenu garanti serait remplacé. A titre d'exemple, nous exposons ici deux solutions possibles, l'option A et l'option B. Dans l'option A, outre les programmes qui viennent d'être énumérés, l'exemption personnelle serait supprimée. On accorderait, sans qu'il y ait augmentation de dépenses, un revenu garanti de 3 825 dollars par année pour chaque adulte et pour le premier enfant d'une famille monoparentale et 765 dollars pour chacun des autres enfants. Dans l'option B, l'exemption personnelle resterait en vigueur, de sorte que le revenu garanti tomberait à 2 750 dollars par adulte et 750 dollars par enfant. Dans les deux options, un taux de récupération fiscale de 20 pour cent s'appliquerait uniformément, tandis que la structure actuelle de l'impôt des particuliers ne serait pas modifiée. La figure 19-5 montre que, dans l'option A, les familles ayant deux enfants et dont un ou deux membres ont un travail rémunéré et dont le revenu salarial annuel est inférieur à 30 000 dollars seraient avantagées. Des gains de 5 000 à 7 000 dollars sont possibles pour les familles ayant un revenu salarial qui s'élève entre 8 000 et 10 000 dollars. Cependant, il est possible que les améliorations prévues pour un revenu nul ou extrêmement faible soient surévaluées parce que nous n'avons pas tenu compte ici de la perte des avantages en matière de logement ainsi que d'une partie de l'assistance sociale. Les pertes pourraient être assez appréciables, près de 5 000 dollars pour les familles dont le revenu dépasse 50 000 dollars. La figure 19-6 (option B) montre que le maintien de l'exemption personnelle ramène la perte des familles à revenu supérieur à un niveau de l'ordre de 1 000 dollars, mais qu'elle diminue aussi de 4 000 à 5 000 dollars les gains nets des familles dont le revenu salarial est de 8 000 à 10 000 dollars. La figure 19-7 montre que les familles ayant deux enfants et un double revenu et dont le revenu salarial annuel est inférieur à 30 000 dollars seraient avantagées par l'option A. Les familles gagnant plus de 40 000 dollars par an subiraient une perte maximale d'environ 3 800 dollars. Le plus important est que les familles qu'on peut qualifier de « gagne-petit », dont le revenu salarial se situe entre 8 000 et 12 000 dollars, obtiendraient aussi des gains de l'ordre de 5 000 à 7 000 dollars. Il ressort de la figure 19-8 que, si l'on ne touche pas à l'exemption personnelle actuelle, les gains des gagnepetit sont quelque peu réduits; ils passent de 4 000 à 5 000 dollars, mais les pertes des familles à revenu supérieur sont considérablement atténuées, de l'ordre de 1 000 dollars. Ces options ne sont soumises qu'à titre indicatif. On peut envisager une variété presque infinie de niveaux de revenus garantis et de taux de récupération fiscale; il ne fait aucun doute que, avec le temps et l'expérience, les programmes subiront des modifications. En fait, l'une des caractéristiques importantes de ces propositions de réforme globale tient à leur souplesse et à la possibilité d'en modifier les paramètres. On obtiendrait de la sorte des profils prévisibles de redistribution du revenu, qui contribueraient à la réalisation de nos objectifs de justice, de sécurité, de partage et de développement - et donc, au progrès au moyen de consensus. Ces exemples montrent aussi que, dans le cadre des contraintes budgétaires actuelles, il est possible de concevoir des programmes qui accroissent sensiblement la sécurité des Canadiens à revenu modique, sans imposer pour autant des coûts prohibitifs aux hauts salariés. Des exemples font également ressortir une autre constatation inévitable: on ne peut accroître les prestations au bas de l'échelle des revenus sans réduire les revenus nets aux échelons moyens et supérieurs. Les niveaux de revenus garantis, qui vaudraient pour de très faibles revenus salariaux, ne sont pas forcément suffisants pour subvenir à tous les besoins d'une famille, à moins qu'elles ne reçoivent une aide supplémentaire. Cela est dû au fait que les options que nous privilégions comportent un revenu garanti relativement faible, associé à des taux relativement peu élevés de récupération fiscale destinés à inciter au travail et à étendre les prestations aux familles qui gagnent peu. Les personnes, et plus particulièrement les familles, qui ont un très faible revenu, abstraction faite du Régime universel de sécurité du revenu (RUSR) resteraient admissibles aux suppléments provinciaux ou municipaux d'assistance sociale, qui constitueraient un deuxième volet de prestations, puisque les fonds que ces administrations consacrent actuellement à l'assistance sociale ne seraient pas touchés par nos propositions. Ces suppléments pourraient continuer d'être assujettis à des taux élevés de récupération fiscale parce qu'ils ne constitueraient qu'environ la moitié des prestations versées aux familles à revenu extrêmement faible; l'autre moitié proviendrait du supplément fédéral, passible d'un faible taux de récupération fiscale. Ainsi, pour une famille comprenant deux adultes et deux enfants qui n'auraient pas d'autre source de revenu, l'option A garantirait un revenu annuel de base de 9 180 dollars fourni par le gouvernement fédéral et l'option B, un revenu de base de 7 000 dollars. Les provinces pourraient continuer de verser les suppléments d'assistance sociale aux niveaux actuels à l'aide de leurs ressources propres, dans le cadre de l'assistance sociale relevant du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC). Si tel était le cas, les versements provinciaux accroîtraient le revenu de base d'environ 3 500 à 4 500 dollars, de sorte que les familles les plus pauvres disposeraient de 12 500 à 13 500 dollars dans l'option A, ou de 10 500 à 11 500 dollars dans l'option B. Même si le niveau garanti est relativement faible, on pourrait se demander à quel point ces propositions incitent au travail, en particulier dans le cas des jeunes bénéficiaires célibataires. Si la population s'en préoccupe, il faut faire en sorte que les prestations soient conditionnelles au fait de s'inscrire sur le marché du travail par la recherche active d'un emploi, selon la définition de la Commission de l'assurance-chômage ( AC), les prestations pourraient être également conditionnelles à la preuve d'un certain revenu salarial ou à la participation à des projets locaux de création d'emplois. Vers le milieu des années 1970, quand on étudiait des systèmes de ce genre, les responsables avaient envisagé la possibilité que les provinces participent à ces propositions et appliquent, sous une forme quelconque, une condition de « disponibilité au travail ,.. Les vérifications voulues pourraient aussi être effectuées par le réseau combiné des bureaux de la Commission d'assurance-chômage (A-C) et de Revenu national - Impôt. Au plan strict de l'efficacité, il est douteux que ces vérifications rapportent plus qu'elles ne coûtent, mais il pourrait être difficile d'obtenir l'appui du public à un programme qui ne tienne pas compte de la disposition des bénéficiaires à travailler. On pourrait atténuer la crainte que les jeunes n'aient tendance à « abuser ,. du programme en modulant les niveaux garantis aux adultes selon l'âge. Ainsi, par exemple, les prestations versées aux jeunes de 18 à 35 ans pourraient ne s'élever qu'à la moitié de celles que reçoivent les adultes de plus de 35 ans. L'opinion publique pourrait craindre qu'un tel programme n'exerce un effet défavorable à l'incitation au travail sur toutes les catégories de bénéficiaires. Cependant, les résultats obtenus par les expériences réalisées aux États-Unis, où les programmes comportaient un effet défavorable à l'incitation au travail plus marqué que les options que nous avons présentées ici, portent à croire que cet effet est négligeable. La Commission est néanmoins tout à fait consciente, elle aussi, de ce risque, et c'est en partie pourquoi nous préconisons des niveaux de revenus garantis et des taux de récupération fiscale relativement faibles. Cette préoccupation nous conduit également à exprimer une légère préférence pour une forme quelconque de l'option B, où les niveaux de revenus garantis sont un peu moins élevés que dans l'option A, même si cette dernière peut paraître supérieure au niveau de la justice verticale. On pourrait aussi craindre qu'un supplément général de revenu ne fasse obstacle à la mobilité de la population active. La Commission estime cependant que la conjugaison des modifications à l'assurance-chômage et au Programme temporaire d'assistance au recyclage (PTAR), qui ont été recommandées précédemment, aura dans l'ensemble un effet nettement positif sur la mobilité de la main-d'oeuvre, tout en assurant une protection parfaitement suffisante du revenu. Le Régime universel de sécurité du revenu (RUSR) renforcera sensiblement ce résultat en garantissant aux Canadiens, qui trouvent de nouvelles occasions d'emploi, que leur revenu sera complété, de manière à leur permettre de s'acquitter de leurs obligations envers leur famille. Pour des raisons déjà étudiées, la Commission recommande un mécanisme de prestation universel, du genre des démosubventions, plutôt qu'un mode de prestation faisant uniquement appel au régime fiscal, encore que les deux méthodes soient applicables. La mise en oeuvre d'un mécanisme de prestation pose également toute une série de questions techniques qui sont loin d'être négligeables. Il faut veiller, lorsqu'on définit l'entité familiale admissible, à ne pas favoriser l'éclatement des familles. Une prestation à taux unique pour tous les enfants, quel que soit leur âge, pourrait ne pas tenir suffisamment compte des besoins familiaux. La période de calcul (sur laquelle on établirait revenu et prestations) ne serait pas nécessairement annuelle. Dans nos exemples, nous avons pris un taux de réduction des prestations de 20 pour cent afin d'éviter une « imposition » globale prohibitive lorsqu'un bénéficiaire gagne un revenu suffisant pour devenir imposable. L'intégration des modalités avec une réforme fiscale plus générale permettrait d'obtenir une structure de prestations plus satisfaisante. Les considérations fédérales-provinciales revêtent une importance particulière dans la mise en place du Régime universel de sécurité du revenu (RUSR). Comme les gouvernements fédéral et provinciaux se partagent le domaine de l'impôt direct des particuliers, toute réduction ou élimination des exemptions accroîtrait leurs recettes. Inversement, les allocations familiales étant sujettes au revenu imposable, leur abolition réduirait quelque peu les recettes des provinces. En général, les modifications de l'impôt fédéral sur le revenu exercent sur les recettes provinciales un effet à peu près égal à la moitié de celui qu'elles ont sur les recettes fédérales, soit environ un tiers du total. En outre, comme le Québec a son propre régime fiscal, des modifications de la fiscalité fédérale n'auraient pas nécessairement d'effet sur les recettes de cette province. Les calculs utilisés dans la présentation du Régime universel de sécurité du revenu (RUSR) présument que les ressources dégagées par l'élimination de diverses exemptions et des allocations familiales pourraient être affectées en totalité au régime. Bien entendu, cela ne se fera pas automatiquement à mesure que le gouvernement fédéral modifie son régime fiscal. En fait, faute d'autres dispositions, environ les deux tiers seulement de ces ressources peuvent être récupérées par le gouvernement fédéral et converties en revenus par le Régime universel de sécurité du revenu (RUSR). La Commission estime que la quasi totalité des fonds disponibles devrait être consacrée aux programmes de sécurité du revenu; à notre avis, la coopération fédérale-provinci ale est absolument indispensable à la réussite de ces programmes. On peut à cet égard envisager deux grandes méthodes. Les provinces pourraient renoncer à un certain nombre de points d'imposition du revenu des particuliers, de façon que le gouvernement fédéral puisse percevoir les recettes correspondantes. L'histoire récente des ententes fédérales-provinciales au sujet de la perception fiscale ne renferme aucun précédent de ce genre. Mais les provinces ont fait savoir à diverses occasions que des mécanismes de transfert direct du genre du Régime universel de sécurité du revenu (RUSR) seraient une initiative des plus souhaitable de la part du gouvernement fédéral. Il se pourrait donc qu'une proposition de ce genre recueille un appui imprévu auprès des provinces. La deuxième grande méthode consisterait à laisser aux provinces leurs 5 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires, pour qu'elles les consacrent à améliorer leurs propres programmes de supplément du revenu, de la manière qu'elles jugent appropriée. Certaines provinces pourraient suivre la conception des programmes fédéraux, tandis que d'autres choisiraient peut-être des modalités légèrement différentes. Il conviendrait, de l'avis de la Commission, de veiller à ce que toutes les recettes disponibles restent dans le secteur de la sécurité du revenu et à ce que les négociations fédérales-provinciales portent sur cet aspect de la question aussi bien que sur la coordination à assurer entre les régimes fédéraux et provinciaux. On pourrait parvenir à ce résultat en réunissant les prestations fédérales et provinciales sur un seul chèque. Un tel système ne réduirait pas la complexité, qui est la plaie de nos programmes actuels, mais la Commission est consciente qu'une certaine différenciation selon les provinces pourrait être le prix nécessaire - et peutêtre pas trop élevé - à payer pour obtenir l'accord général. Selon la Commission, toutes les difficultés évoquées peuvent être résolues. Étant donné l'importance des autres adaptations auxquelles les Canadiens devront faire face au cours des prochaines décennies et en raison du volume considérable et des lacunes reconnues que contiennent les programmes actuels de transfert du revenu et d'imposition au Canada, nous estimons que le gouvernement Canadien doit absolument envisager une initiative audacieuse du genre de celle que nous avons décrite ici. Mise en oeuvre des réformes. Il pourrait se révéler impossible au gouvernement de mettre en place d'un seul coup un système rationalisé comme celui que nous avons proposé. La Commission recommande qu'on envisage dans ce cas une approche en deux temps. Dans un premier temps, les allocations familiales, le crédit d'impôt pour enfants et l'exemption fiscale au titre des enfants seraient éliminés pour faire place à une prestation unique de montant élevé, comparable aux allocations familiales, ou à un crédit d'impôt accru au titre des enfants, payable chaque mois. Pour l'année 1985, une prestation de l'ordre de 1 000 dollars par an serait probablement indiquée. Le mécanisme de prestation - démosubvention ou dispositions fiscales - devrait être choisi avec le plus grand soin, puisqu'il servirait probablement de modèle à la deuxième étape de la réforme. Le mécanisme de récupération fiscale des prestations améliorées au titre des enfants devrait être quelque peu différent du système appliqué actuellement au crédit d'impôt pour enfants. L'imposition d'un taux de réduction de 5 pour cent, à partir d'un revenu familial de 26 000 dollars, à une prestation de 1 000 dollars par enfant permettrait à toute famille comptant deux enfants et dont le revenu annuel serait inférieur à 65 000 dollars d'avoir au moins un certain supplément. Un taux de récupération fiscale de 10 pour cent réduirait le bénéfice de ce supplément aux familles dont le revenu est de l'ordre de 45 000 dollars, plafond qui descendrait à 35 000 dollars avec un taux de récupération de 25 pour cent. Les prestations d'assistance sociale relevant du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) devraient également être modifiées pour permettre l'application d'un taux moins élevé de récupération fiscale, de l'ordre de 75 pour cent, aux bénéficiaires qui gagnent un certain revenu au-delà du niveau actuel de l'exemption, qui est très faible. Dans un second temps, l'exemption personnelle et l'exemption de personne mariée seraient, elles aussi, éliminées; le gouvernement fédéral cesserait de payer une partie de l'assistance sociale, et le Supplément du revenu garanti (SRG) serait incorporé au système. Le gouvernement fédéral, seul ou de concert avec les provinces, instaurerait le Régime universel de sécurité du revenu, et les provinces verseraient au besoin des compléments d'assistance sociale aux Canadiens n'ayant guère ou pas du tout de revenu du travail. La mise en place du Régime d'assurance-chômage et du Programme temporaire d assistance au recyclage (PTAR) devrait s'effectuer parallèlement aux autres changements proposés par la Commission. Cependant, s'il ne veut pas créer de difficultés trop graves, notre gouvernement doit veiller à ce que les grands éléments de la réforme de l'assurance-chômage, mis à part l'établissement des primes selon les antécédents, ne soient pas entièrement appliqués avant que les dispositions du Programme temporaire d'assistance au recyclage (PTAR) ne soient mises en oeuvre et, de préférence, que le Régime universel de sécurité du revenu (RUSR) ne soit en place. Comme ces réformes tiennent à notre avis une place très importante dans les changements nécessaires pour aider les Canadiens à s'adapter aux réalités nouvelles, nous pressons le gouvernement de ne pas trop tarder à les mettre en oeuvre. Aussi recommandons-nous avec vigueur que la première étape de la réforme soit mise en route immédiatement, que les propositions du Régime universel de sécurité du revenu (RUSR) et du Programme temporaire d'assistance au recyclage (PTAR) soient instaurées sur une période de deux à trois ans et que la totalité des mesures soit en place d'ici la fin de 1987. La Commission tient à rappeler que ces modifications ne sont recommandées que pour indiquer les grandes directions à suivre. Nous laissons aux gouvernements fédéral et provinciaux le soin de concevoir les modalités des programmes, car elles dépendent de deux facteurs: le niveau des prestations prévues par les programmes de transfert au moment où les réformes commencent et les décisions relatives aux caractéristiques des programmes, qui ne peuvent être prises que par des pouvoirs publics à l'écoute de la population du Canada au moment où les changements sont institués.