*{ (Rapport commission MacDonald 1983) } Le fédéralisme et l'union économique. Introduction. Deux thèmes ont dominé notre étude des institutions nationales: la nécessité de renforcer un gouvernement représentatif responsable face à la croissance de l'État administratif, et la nécessité de réformer les institutions du gouvernement national afin de mieux refléter les diversités provinciales et régionales. Ces deux thèmes sont au coeur de notre analyse des institutions du fédéralisme et de notre évaluation de l'union économique canadienne. Nous devons être sûrs que le fédéralisme - c'est-à-dire le cadre institutionnel qui attribue l'autorité aux deux niveaux de gouvernement - fonctionne de façon démocratique et encourage la réconciliation des intérêts nationaux et régionaux. Le « gouvernement » du Canada résulte à la fois des activités du fédéral, de celles du provincial et de leur interaction. Les Canadiens continuent donc de se demander si le fédéralisme répond vraiment à leurs besoins économiques et sociaux. L'approche fonctionnelle de la réforme du fédéralisme et du concept de l'union économique, adoptée par les commissaires, traduit bien notre mandat « pour répondre aux défis que représentent les changements rapides aux niveaux national et international [...] et pour assurer des progrès économiques et sociaux continus, il sera important de trouver [...] l'appui nécessaire à l'union économique canadienne ». Nous devons envisager « l'intégrité de l'union économique canadienne en fonction de l'unité du Canada et de la capacité de tous les Canadiens à participer à une nouvelle prospérité économique ». On nous demande de recommander des changements institutionnels afin « d'encourager le développement de l'union économique canadienne ». Ces directives mettent l'accent sur l'étendue du concept d'union économique. Dans son sens le plus étroit, le concept implique la réduction ou l'élimination des restrictions ou de tout ce qui pourrait empêcher les partie du pays. D'ailleurs, la création de cette Commission est, en grande partie, le résultat de l'inquiétude suscitée par les politiques des deux niveaux de gouvernement qui érodaient cet aspect de l'union économique et réduisaient le rendement de l'économie nationale. Mais, dans un pays fédéral, « l'union économique " n'a pas qu'un seul sens. L'expression implique aussi des politiques actives visant à encourager et à faciliter le commerce et l'échange entre les Canadiens. Elle implique des politiques sociales et économiques communes et la création d'institutions pour les appliquer. Elle implique également la nécessité de mécanismes institutionnels qui veillent à ce que les bénéfices découlant de l'union économique soient distribués équitablement dans tout le pays. Par ailleurs, elle exige que les gouvernements coordonnent leur utilisation des fonds publics et assument leurs responsabilités de manière à répondre aux besoins des Canadiens. Le concept d'union économique comporte toutes ces dimensions, c'est-à-dire ce qui convient au bien-être économique des Canadiens et au maintien d'une économie forte et concurrentielle. L'union économique est aussi un concept politique qui englobe des aspects essentiels de la citoyenneté canadienne et de l'existence de notre pays. Si l'on ne retenait que l'efficacité et les revenus, nous n'aurions pas à nous soucier autant de répartition et de partage, et nous ne verrions pas le besoin d'appliquer certaines normes uniformes dans tout le pays. Nous nous contenterions d'un libre mouvement des biens et serions peu enclins à nous soucier des droits des citoyens à vivre et à travailler à l'endroit de leur choix. L'union économique au Canada serait alors comme une union économique avec n'importe quel autre pays. Il est d'ailleurs fort probable qu'un calcul purement économique pousserait certains Canadiens à « faire cavalier seul ». L'édification d'une union économique canadienne n'a de sens que parce que nous sommes avant tout une communauté politique nationale. Tout ce qui menace l'union économique menace aussi la communauté nationale, car les liens d'affinité et les intérêts qui rapprochent les Canadiens entre eux en sont affaiblis. Les commissaires ont structuré leur examen du fédéralisme et de l'union économique autour de quatre points-clés: - Le fédéralisme a-t-il provoqué la balkanisation ou la fragmentation de l'union économique canadienne? Les restrictions internes au commerce ont elles réduit l'efficacité économique ou diminué les revenus? Comme certains observateurs l'ont avancé, le coût des limitations à l'union économique canadienne est-il trop élevé? - Le fédéralisme gêne-t-il ou améliore-t-il notre aptitude à gérer l'économie? Les complexités du fédéralisme sont-elles responsables de certaines des faiblesses des politiques actuelles? Le fédéralisme est-il susceptible d'entraver la réalisation de certains des objectifs économiques que la Commission a établis? - La pratique du fédéralisme canadien a-t-elle abouti à un partage injuste des bénéfices et des coûts de la participation à la Confédération? Le partage est la pierre angulaire de la conception que nous avons de l'identité canadienne et du succès des aménagements de la Confédération. La fédération ne pourrait survivre longtemps si les citoyens des différentes régions estimaient que les règles étaient systématiquement choisies pour les défavoriser et que les politiques étaient systématiquement arbitraires. Pourtant les perceptions d'injustice dans les régions sont un élément constant de l'histoire canadienne, et ces perceptions persistent. - L'utilisation d'une base financière commune et du système de transferts entre gouvernements répond-elle aux besoins des contribuables et à la nécessité d'une certaine souplesse? Le fédéralisme a déjà fait la preuve de sa souplesse et de son adaptabilité, et peut encore le prouver. Nous demandons non pas une transformation radicale, mais un changement méthodique qui réponde à des besoins et à des objectifs précis et qui tienne compte des principes sous-jacents au fédéralisme canadien. Comment allons-nous alors concilier au mieux la coordination intergouvernementale et le règlement des conflits intergouvernementaux avec les normes de démocratie et d'imputabilité? Nos institutions, c'est-à-dire la division des pouvoirs, le processus d'amendement, les mécanismes de relations intergouvernementales, s'avèrent essentielles. Si elles sont en mesure de répondre aux besoins des citoyens, de gérer des intérêts divergents et de faciliter les prises de décision, nous pouvons avoir confiance en notre aptitude à faire face à l'avenir. Dans le présent chapitre, les commissaires s'intéressent aux mécanismes qui permettent aux Canadiens de garder un certain équilibre entre des valeurs et des concepts souvent contradictoires: fédéralisme, gouvernement parlementaire et Charte des droits, majorités nationales et majorités provinciales, revenu national et développement régional, liberté de mouvement et préservation de la communauté, uniformité et diversité, et bien d'autres. Le rôle essentiel de nos institutions, qu'elles soient nationales ou fédérales, est de maintenir cet équilibre. Il existe aujourd'hui un certain nombre de facteurs qui rendent particulièrement souhaitable de reconsidérer le fédéralisme. L'accroissement de la concurrence internationale nécessite une réévaluation de nos institutions nationales afin de faciliter plutôt qu'entraver l'adaptation aux nouvelles conditions. L'émergence de nouvelles exigences et de nouveaux groupes sociaux, tout comme la nécessité de mécanismes efficaces de consultation entre gouvernements et citoyens, représente de nouveaux défis. Nous devons évaluer les effets cumulatifs de tous les changements survenus dans les institutions fédérales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et veiller à ce que ces institutions soient adaptées à nos besoins éventuels. Le maintien de l'union économique: le problème des restrictions internes. Dans les prochains chapitres, nous allons d'abord évaluer l'union économique canadienne. Nous présentons en premier lieu quelques statistiques sur les comportements commerciaux du Canada pour donner un aperçu du pays en tant qu'union économique. Ces préliminaires sont en effet essentiels à la description et à l'analyse des caractéristiques et des effets des restrictions internes. Nous identifions ensuite les politiques susceptibles de déséquilibrer les échanges et le mouvement de la maind'oeuvre et du capital. Puis nous examinons le coût de ces distorsions et envisageons certaines des conséquences économiques et politiques. Finalement, nous tirons les conclusions sur l'importance que revêtent les restrictions internes pour l'union économique du Canada et proposons un certain nombre de réformes institutionnelles visant à réduire les coûts et à promouvoir une plus grande unification interne. Le commerce et le mouvement des facteurs. Le tableau 22-1 donne un aperçu de la production et des échanges canadiens. Pour l'année 1979, l'année la plus récente pour laquelle nous avons des renseignements détaillés sur les échanges interprovinciaux', le total des exportations et des ventes à l'intérieur des provinces s'est élevé à près de 444 milliards de dollars. Les services constituaient un peu plus de la moitié de cette production, alors que les produits manufacturés représentaient un autre tiers et les produits de base seulement dix pour cent. La première chose à noter est l'importance frappante du marché provincial local. Près des deux tiers de tout ce qui a été produit au Canada en 1979 a d'abord été vendu dans la province de production. Un cinquième de la production totale a traversé les frontières provinciales, alors que 15 pour cent étaient vendus à l'étranger. Lorsqu'on élimine l'échange des services, on obtient une toute autre image. Étant donné que de nombreux services ne peuvent être échangés ou offerts que localement, l'élimination de la catégorie des services du tableau statistique révèle plus clairement l'importance des échanges, au Canada et à l'étranger, des ressources et des biens produits dans les provinces. Seulement 44 pour cent de la production totale des biens a d'abord été commercialisée à l'intérieur de la province d'origine. Plus d'un quart des biens, c'est-à-dire une valeur de près de 54 milliards de dollars en 1979, a fait l'objet d'un commerce interprovincial. Ce chiffre n'est que légèrement inférieur aux 59 milliards de dollars que représentent les exportations enregistrées au cours de cette année. Pour l'économie canadienne dans son ensemble, le commerce interprovincial est donc presque aussi important que le commerce extérieur. Si l'on compare les grands groupes de produits, on remarque que les produits de base sont destinés aux marchés d'exportation plutôt qu'aux autres provinces (32 pour cent par rapport à 23 pour cent), alors que les producteurs de biens manufacturés répartissent leurs ventes équitablement (28 pour cent) entre les autres provinces et les marchés d'exportation. Il s'agit là d'observations générales. Il existe de nombreux produits de base, et parmi eux, les combustibles fossiles qui sont destinés aux marchés extérieurs à la province, alors que d'autres, comme les produits laitiers, le sont presque exclusivement aux marchés locaux. De la même façon, il existe certains produits manufacturés qui trouvent leurs principaux marchés à l'extérieur du Canada et certains services qui sont largement échangés entre les régions. Le type d'échange interprovincial résumé au tableau 22-2 pour 1979, est particulièrement important pour comprendre l'union économique et les décisions qui y sont associées. Comme on pourrait s'y attendre, c'est dans les deux provinces centrales que les échanges dominent. L'Ontario représente près de 40 pour cent de toutes les expéditions interrégionales du Canada et le Québec 25 pour cent. La quasi totalité des échanges de chaque province s'effectue d'ailleurs entre elles, ce qui rend leur domination commerciale encore plus significative. L'Alberta a contribué pour 17 pour cent au commerce canadien interprovincial, en grande partie sous la forme d'énergie. Aucune autre province n'a enregistré plus de 6 pour cent du total interprovincial. Étant donné ce type d'échanges, les limitations au commerce interprovincial pourraient donc entraver considérablement les échanges interprovinciaux entre l'Ontario et le Québec. En comparaison, si presque tout le reste des échanges bilatéraux entre les provinces, à l'exception du pétrole et du gaz, devait cesser, le commerce total national n'en serait que peu touché. L'ensemble des courants d'échange n'explique pourtant pas tout. Il faut également évaluer l'importance de la participation à l'union économique en fonction du niveau économique de chaque province. Si par exemple une petite province dépend largement de ses ventes à d'autres régions et si ces transactions sont menacées par des restrictions internes, cette province a toutes les raisons de s'inquiéter, même si, au total, l'impact économique semble limité. Par conséquent, il nous faut envisager l'union économique du point de vue de chacun de ses membres. L'importance des marchés provinciaux, nationaux et internationaux varie selon les provinces. Le tableau 22-2 montre la destination des biens par province et territoire. Pour six des provinces, Québec (48 pour cent), Ontario (47 pour cent), Colombie-Britannique (45 pour cent), Ile-du-Prince-Édouard (40 pour cent), NouvelleÉcosse (40 pour cent) et Alberta (39 pour cent), le marché provincial est plus important que les ventes ou les exportations interprovinciales. Trois provinces, Terre-Neuve, le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan ainsi que les Territoires du Nord-Ouest, trouvent leurs marchés les plus importants à l'extérieur du Canada. Le marché d'exportation est la destination de 51 pour cent de la production de Terre-Neuve. Pour le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan, les exportations représentent respectivement 42 et 46 pour cent des biens vendus. Seules les ventes du Manitoba aux autres provinces (41 pour cent) sont plus importantes que les ventes à l'intérieur même de la province (35 pour cent) et les ventes à l'étranger (24 pour cent). L'importance des marchés secondaires varie ainsi beaucoup d'une province à l'autre. Pour étudier les marchés secondaires, nous commencerons par les provinces pour lesquelles le marché provincial interne est le plus important. En Ontario et au Québec, où environ la moitié de la production est d'abord vendue à l'intérieur de la province, le reste est divisé équitablement entre les expéditions vers les autres provinces et les exportations (25 et 28 pour cent, 28 et 24 pour cent respectivement). Les exportations de la ColombieBritannique (40 pour cent) sont presque aussi importantes que ses ventes intraprovinciales (45 pour cent), tandis que ses expéditions vers d'autres provinces canadiennes et vers les Territoires du Nord-Ouest (15 pour cent) sont relativement faibles. Pour les trois autres provinces de ce groupe, l'Ile-duPrince-Edouard, la Nouvelle-Écosse et l'Alberta, la situation est exactement inverse: le marché canadien interprovincial reçoit davantage de biens produits par la province que le marché d'exportation. Pour les trois provinces dont les marchés les plus importants sont à l'extérieur du Canada, l'importance relative des marchés secondaires varie beaucoup. Pour le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan, les marchés et les expéditions interprovinciales vers les autres régions du Canada se valent approximativement. Les marchés intra-provinciaux de Terre-Neuve (qui absorbent 28 pour cent de la production) représentent une plus grande part que les marchés du reste du Canada (21 pour cent). Ce type d'échange est encore plus net que dans les Territoires du Nord-Ouest où les ventes intérieures (31 pour cent) sont nettement plus importantes que les expéditions vers le reste du Canada (8 pour cent). Ce n'est qu'au Manitoba et en Saskatchewan que les ventes aux autres provinces dépassent les ventes intérieures, bien que la Saskatchewan exporte davantage que le Manitoba. Dans ce sens, l'économie du Manitoba semble bien être directement liée à l'avenir de l'union économique canadienne. Pourtant, les ventes intra-provinciales (29 pour cent) et le commerce interprovincial (29 pour cent) s'équivalent au Nouveau-Brunswick. L'Ile-du- PrinceÉdouard, l'Alberta et la Nouvelle-Écosse dépendent presque autant, relativement parlant, des ventes aux autres provinces que de leurs propres marchés internes, ce qui les place dans la même catégorie que le Manitoba. Si l'on examine les sources des biens et des services de chaque province, on peut voir l'union économique canadienne sous un tout autre angle. Le tableau 22-3, qui énumère les sources des biens par province en 1979, fait la distinction entre les approvisionnements internes, les biens achetés à d'autres provinces et les importations de l'étranger. A part quelques différences intéressantes quant à la production des biens, on retrouve le même type d'échanges. L'Ontario et le Québec dominent à nouveau totalement, comme l'avait montré le tableau 22-2 pour l'analyse des destinations, même si l écart n'est pas aussi important. Ces deux provinces mises ensemble reçoivent la moitié de tous les biens expédiés entre les provinces, par rapport à 63 pour cent des biens qu'elles expédient. L'Alberta et la Colombie-Britannique représentent un autre quart de ces ventes, le reste étant réparti parmi les autres provinces. Même si sur le plan national, 32 pour cent des biens sont importés, les fournisseurs internationaux ne représentent pas la source principale des biens dans aucune des provinces. L'Ontario, le Québec, la ColombieBritannique et l'Alberta ont fourni la partie la plus importante de leurs biens au niveau local. Les autres six provinces et les Territoires du Nord-Ouest ont acheté davantage aux autres régions du Canada qu'à l'étranger ou à des fournisseurs d'autres provinces. Le regroupement de ces renseignements permet de calculer les balances commerciales interprovinciales et internationales de chaque province. Le tableau 22-4 montre le résultat des calculs pour les biens seulement et le tableau 22-5 montre le résultat des calculs pour l'ensemble des biens et des services, ceci pour l'année 1979. On y voit plus clairement les implications que l'union économique canadienne entraîne pour chaque province et l'on peut se faire une idée plus juste de tout ce qui a pu être dit sur la façon « équitable » dont la Confédération traite chaque région. Le déficit commercial signalé dans les tableaux par le signe moins, indique qu'une province consomme davantage qu'elle ne produit, c'est-à-dire que sa consommation dépasse sa production. Or, ce déficit doit être compensé à long terme par des transferts de fonds d'autres parties du pays. De la même façon, un excédent commercial signifie que la région est, soit en train d'accumuler les contributions financières imposées aux non-résidents, soit en train de transférer des fonds à l'extérieur de la région. Ainsi, l'aspect commercial de l'union économique canadienne est directement relié aux transferts fiscaux qu'on étudiera dans une prochaine section de ce chapitre. Comme le montre le tableau 22-4, seules l'Alberta et la Saskatchewan enregistrent un excédent dans l'ensemble de leurs échanges de biens. L'Alberta présente une balance favorable de ses échanges internes et externes, alors que le succès de la Saskatchewan sur les marchés internationaux compense son déficit commercial avec les autres provinces. En 1979, toutes les autres provinces du Canada ont consommé davantage de produits de base et de produits secondaires qu'elles n'en n'ont produits. C'est ainsi que le commerce interprovincial et international de trois d'entre elles, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et le Manitoba, a été déficitaire. Pour Terre-neuve, l'Ile-du-Prince-Édouard, la Saskatchewan, la Colombie-Britannique et les Territoires du Nord-Ouest, une balance favorable avec les pays étrangers a partiellement compensé leur déficit avec les autres régions canadiennes. Pour le Canada central, la situation est exactement inverse. De graves déficits extérieurs sont en partie compensés par un excédent des ventes aux autres provinces par rapport aux achats. Dans le tableau 22-5, où l'on a ajouté les échanges de services, on découvre une image quelque peu différente. Les quatre provinces de l'Ouest indiquent un surplus, c'est-à-dire qu'elles vendent plus qu'elles n'importent. C'est le cas de l'Alberta, sur les plans national et international. La Colombie-Britannique et la Saskatchewan vendent davantage sur les marchés d'exportation qu'elles n'importent de l'étranger, mais achètent davantage aux autres provinces qu'elles ne leur vendent. Pour le Manitoba, c'est l'inverse, alors que la Nouvelle-Écosse enregistre un déficit à la fois sur les plans international et interprovincial. Quant au commerce à l'intérieur du Canada, quatre provinces, le Québec, l'Ontario, le Manitoba et l'Alberta, ont fait des ventes nettes de biens et de services avec les six autres provinces. Pour le commerce international, la balance commerciale a été excédentaire pour Terre-Neuve, l'Ile-du-Prince-Édouard, le NouveauBrunswick, la Saskatchewan, L'Alberta et la Colombie-Britannique ainsi que pour les Territoires du Nord-Ouest. Les quatre autres provinces ont été déficitaires. Ce tableau des déséquilibres commerciaux a changé depuis 19742. L'Ontario est passé d'un excédent important à un petit déficit en 1979, ce qui reflète le changement radical des prix énergétiques et l'afflux des fonds qui en a résulté vers les provinces productrices de pétrole. Le passage d'un déficit à un excédent pour le Manitoba et la Colombie-Britannique est le seul autre changement notable. Alors que l'excédent de la Colombie-Britannique reflète son développement énergétique, il est plus difficile d'expliquer le changement survenu au Manitoba, même s'il reflète probablement aussi une conséquence secondaire du développement énergétique de l'Ouest. De ce bref aperçu de la production et du commerce au sein de l'union économique canadienne, on peut tirer deux grandes conclusions qui contribueront à mieux comprendre les sections suivantes de ce chapitre. Premièrement, les mouvements de biens et de services entre les provinces ne sont qu'une petite partie, environ un cinquième, de l'activité totale de l'économie canadienne. Comme les commissaires l'expliqueront plus loin, nous ne pensons pas que ces mouvements sont limités de façon appréciable par les restrictions déjà en place. Deuxièmement, la position de chaque province au sein de l'union économique varie beaucoup, et plus particulièrement en ce qui concerne les ventes et les achats aux autres provinces. L'intégration du marché et le concept d'union économique. Une union économique représente une étape avancée de l'intégration économique. Elle implique l'abandon des droits de douane parmi les juridictions participantes, la création d'un tarif extérieur commun, l'élimination des limitations au libre mouvement des biens et des facteurs de production (main-d'oeuvre et capital) et l'harmonisation des politiques économiques. D'autre part, certaines politiques, qui incombaient auparavant aux juridictions participantes, sont transférées à une autorité centrale ou coordonnées par son intermédiaire. Le Canada devait être, et il est clairement devenu, beaucoup plus qu'une union économique. Il est néanmoins utile d'employer les concepts et les principes associés à la théorie des unions économiques pour analyser les liens économiques et politiques interprovinciaux au sein de la fédération canadienne. C'est pourquoi nous devons traiter de l'échange intérieur des biens et des services, de la main-d'oeuvre et du capital, tout comme des politiques gouvernementales, c'est-à-dire les distorsions et les restrictions qui influencent ces échanges, et finalement des buts ou des justifications de ces politiques. Le concept de distorsion est très large et comprend, entre autres, toute politique qui interfère avec les fonctions d'allocation des ressources du marché, empêchant ainsi le libre-échange du capital, de la maind'oeuvre ou des biens et réduisant les avantages que l'on peut tirer de la spécialisation et de l'échange. Nous ne nous intéresserons ici qu'aux interventions gouvernementales qui perturbent les échanges commerciaux interprovinciaux, dans la mesure où les échanges observés sont différents de ce qu'ils seraient dans un environnement totalement sans entrave. Nous n'examinerons pas ici les distorsions intra-provinciales qui peuvent influencer l'activité économique à l'intérieur des provinces. Certaines politiques, nommées à juste titre «barrières », restreignent les transactions entre provinces. Lorsque cela se produit, le coût économique est représenté par les gains commerciaux non exploités, qui sont le sujet de préoccupation traditionnel des unions économiques. D'autres types de politiques peuvent, au contraire, augmenter le commerce interprovincial. Parfois ce résultat est délibéré, comme par exemple la décision de 1973 de détourner les approvisionnements de pétrole de l'Ouest des marchés américains vers l'Est du Canada. Parfois, il ne s'agit que de la conséquence fortuite d'une politique qui visait des buts bien différents. Par exemple, les tarifs sont utilisés pour encourager le développement industriel, mais dans un pays d'économie régionale spécialisée, les tarifs extérieurs accroissent le volume des échanges intérieurs. Dans ce cas, il est beaucoup plus difficile d'identifier les coûts économiques, car ils sont alors un mélange complexe d'échanges détournés, de frais de transport supplémentaires, etc. Il existe également des répercussions sur la distribution interrégionale qui, politiquement tout au moins, prennent souvent le pas sur les préoccupations d'efficacité. Le souci de « maintenir », « protéger », « préserver » ou « assurer » l'union économique canadienne n'est pas nouveau. Dès les années 1930, l'inquiétude suscitée par une nouvelle « jungle fiscale » canadienne égalait celle que suscitaient les obstacles au commerce à l'intérieur du Canada. Le Rapport de la Commission royale sur les relations provinciales du Dominion (la Commission Rowell-Sirois) s'attaquait directement à la question: Les États membres de la fédération depuis le début sont susceptibles d'être des États qui ont imposé des barrières tarifaires et peut-être même d'autres obstacles au commerce qu'ils font entre eux. Après la fédération, ces E;tats ou provinces pourraient atteindre une étape de développement où une pression politique pourrait s'exercer en faveur d'une certaine forme de protectionnisme local. Le fait de vouloir maintenir et augmenter les recettes provinciales, développer de nouvelles industries, assurer le plein emploi pendant une période de dépression, protéger les niveaux de salaire et les conditions de travail contre une compétition injuste ou un dumping social, peut, à un moment ou à un autre, contribuer à cette demande de protectionnisme local, qui pourrait même se manifester au niveau municipal. Étant donné que le champ d'activité du gouvernement s'est élargi et que les ressources et les instruments politiques que les gouvernements ont à leur disposition ont augmenté pendant la période de l'après-guerre, l'éventualité de ces politiques protectionnistes s'est accrue de façon radicale. C'est au moment des discussions constitutionnelles de 1979 et 1980 que l'intérêt actuel pour l'intégrité de l'union économique s'est d'abord manifesté avec le plus de netteté. Le débat était alimenté par un certain nombre d'exemples notoires de protectionnisme provincial et par une réaction à de nouvelles stratégies de développement économique provincial plus dynamiques. L'attention que l'on portait plus particulièrement aux restrictions internes répondait à deux grands courants: les préoccupations politiques du gouvernement fédéral et de certaines provinces, au sujet des implications du protectionnisme provincial, et un renouvellement d'intérêt parmi les décideurs pour l'importance que représente un marché libre dans la croissance économique. Ce dernier point était autant relié à l'intervention du fédéral dans l'économie qu'à celle des provinces. L'intérêt qu'il y a à créer une union économique tient aux profits que peuvent représenter la spécialisation et le commerce, en s'appuyant sur la théorie des avantages comparatifs. Dans le contexte canadien, les diverses bases économiques des régions du pays créent des avantages comparatifs différents et, par conséquent, la possibilité d'un échange interrégional mutuellement profitable. Les gains tirés du commerce pourront être d'autant plus nets que les économies d'échelle de la production sont importantes et les régions petites. Plus il y a d'harmonie dans certains secteurs comme les normes de qualité, les exigences d'étiquetage et les lois de protection du consommateur, plus les gains seront importants. Les membres d'une union économique peuvent accroître encore leurs profits en exploitant un certain pouvoir de négociation qu'aucun autre membre ne possède à lui seul, et faire changer, en leur faveur, les conditions internationales des échanges. En empêchant l'échange commercial qui se produirait normalement, les restrictions internes privent les régions des gains qui découlent de la spécialisation et de l'échange. La région qui les impose devra produire elle-même les produits ou les services, en utilisant plus de ressources que nécessaire, en raison de son désavantage comparatif. Le coût de la « barrière » est alors égal à la différence entre ce qui pourrait être produit ou fourni, si les ressources étaient allouées de façon optimale, et ce qui est réellement produit. Il s'agit d'une perte économique, dans la mesure où l'on renonce à une production réelle qui ne pourra jamais être rattrapée. Plus le volume d'échange supprimé par ces limitations est important, plus on voit disparaître les avantages possibles de l'union économique. La libéralisation des échanges à l'intérieur du Canada ne signifie pas que toutes les combinaisons possibles d'échange interrégional créeront des excédents. Et même là où il y aura un excédent, il ne sera pas forcément très important. Les avantages dépendent, dans une large mesure, du type d'économie des différents membres de l'union économique par rapport au type d'économie des juridictions non participantes, et de l'option la plus susceptible d'être adoptée quant aux aménagements déjà existants ou aux projets proposés. Il y a gains économiques ou « création commerciale n, lorsque l'ouverture commerciale permet de déplacer la production des fournisseurs locaux qu'il faut payer au prix fort à des sources moins coûteuses ailleurs au sein de l'union économique. Un plus grand marché permet également aux producteurs de profiter des économies d'échelle associées à des cycles de production plus importants. Mais, si l'on cesse d'importer d'une source extérieure bon marché pour passer à une source plus chère à l'intérieur de l'union économique, on dit alors que le commerce est « détourné n, Le fait que certains membres puissent être compétitifs sur le plan international dans leurs principales productions, alors que d'autres ne le sont pas, laisse à penser qu'un marché interne doté d'un tarif extérieur commun peut aboutir à une inégalité des avantages régionaux. L'intégration économique d'un marché commun présente une seconde facette, celle du marché des facteurs, c'est- àdire la main-d'oeuvre et le capital. La mobilité interrégionale des facteurs peut également contribuer à la production nationale. A tout moment donné, un pays possède une masse fixe de capital et de main-d'oeuvre, répartie parmi ses régions. La production totale atteindra son maximum lorsque la valeur des contributions des dernières unités de maind'oeuvre et de capital utilisées sera identique dans toutes les régions. Dans certaines conditions, la libre mobilité permettra cette répartition interrégionale optimale des facteurs. Si la main-d'oeuvre et le capital sont rémunérés selon la valeur de leur contribution à la production, les différences de productivité entre les régions se refléteront dans les salaires ou dans la rentabilité. En supposant qu'au moins certains travailleurs ou propriétaires de capital perçoivent le gain potentiel et agissent en conséquence, la réallocation s'effectuera. Si des travailleurs quittent leur région, la contribution de ceux qui restent augmente, puisqu'il y a davantage de capital et de ressources par travailleur. Pour la même raison, la contribution relative des travailleurs diminue dans la région de destination. Étant donné que ces changements se traduiront par une optimisation des facteurs, la théorie veut que la migration continue jusqu'à ce que les différences de salaire, et par conséquent toutes les différences réelles de productivité, soient éliminées. Si la migration comporte des coûts réels, un écart subsistera, mais le résultat représentera malgré tout une répartition optimale des facteurs, à condition que les prix et les salaires soient souples. Le coût potentiel des entraves est également évident par rapport à l'intégration des marchés de facteurs. Les restrictions qui font cesser la migration juste avant que les prix de facteur soient égalisés, empêchent certains mouvements économiquement utiles. La production nationale totale sera inférieure à ce qu'elle pourrait être, étant donné que les facteurs, qui pourraient être plus productifs dans une autre région, ne peuvent se déplacer. La différence entre le produit national brut réel (PNB) et son potentiel dans un contexte de libre mouvement, représente le coût économique des limitations. Que ces coûts soient justifiés en termes de bien-être général dépend de la valeur que l'on accorde au maintien des communautés locales et de leurs préférences pour un style de vie particulier, notamment pour des services publics distincts. Indirectement, la libre mobilité contribue aussi à la production globale en raison du rôle qu'elle joue dans le processus d'adaptation interrégionale. Les économies régionales croissent à des rythmes différents, car les progrès technologiques ou les nouvelles conditions commerciales n'ont pas partout les mêmes effets. Chaque région doit s'adapter individuellement aux changements, de façon interne, en modifiant généralement les prix, les revenus et l'emploi. Un ajustement au moyen du taux d'échange est impossible en l'absence de monnaie régionale. Étant donné que les salaires et les prix sont typiquement à la baisse, les régions en déclin devront payer le gros de l'adaptation sous la forme de chômage. Mais si les facteurs sont libres de passer d'une région à l'autre, il existe un autre moyen de s'adapter aux chocs extérieurs, qui minimise l'adaptation interne requise. La migration permet aux résidents d'une région qui traverse une crise de bénéficier directement de certains des gains de celles qui ont une situation plus favorable. Si les gens ont la possibilité de se réétablir ailleurs, il n'est plus aussi nécessaire de diversifier les possibilités d'emploi dans chaque région. La libre mobilité offre un genre d'assurance-chômage qui permet de bénéficier au maximum de la spécialisation et du commerce interrégionaux. Ceux qui ont la malchance de travailler dans une industrie en déclin, dans une région donnée, peuvent passer à d'autres industries en expansion ailleurs. L'avantage est encore plus net si l'union économique prévoit, comme la plupart le font, une assistance régionale d'adaptation. Ainsi, la mobilité interrégionale, tout comme la liberté d'échange, fait partie intégrante de toute union économique, permet l'allocation optimale des ressources de l'économie nationale et minimise les coûts de l'adaptation aux chocs économiques. Voilà donc les concepts fondamentaux qui découlent de la théorie de l'intégration économique. Ils illustrent les conditions dans lesquelles l'intégration des marchés de produits et de facteurs dans toutes les régions peut augmenter la production globale et, par inférence, comment les restrictions interprovinciales peuvent empêcher la perception de ces gains. Cette perspective économique est déjà une raison suffisante pour que les Canadiens s'inquiètent de l'état de leur union économique. Mais en plus de vouloir assurer le bien-être économique, il faut tenir compte aussi des objectifs politiques d'une telle union. Les limitations à la mobilité et au commerce peuvent en effet affaiblir le sentiment de notre identité nationale, ce qui justifierait que les Canadiens s'opposent à la fragmentation de l'union économique, même si on leur assurait que les coûts économiques directs seraient négligeables. L'opposition politique à la fragmentation a plusieurs dimensions. Elle découle en partie d'un sentiment de citoyenneté commune qui implique des attentes, à la fois individuelles et commerciales, d'une sphère où l'on peut développer les possibilités économiques et réaliser ses propres objectifs: De la même manière que tous les Canadiens devraient être libres de chercher du travail et de vivre n'importe où dans le pays, les hommes d'affaires canadiens devraient pouvoir commercer n'importe.où au Canada. Les arguments politiques en faveur de l'union économique impliquent également un sentiment de communauté nationale, peut-être celui de la place que l'on occupe dans un environnement international complexe, et une reconnaissance de la nécessité de partager les risques et les possibilités: Le Conseil économique du Nouveau-Brunswick retient l'image d'un Canada indépendant et d'une société ayant une identité distincte. Pour nous, être Canadiens, c'est reconnaître et appuyer le libre-échange dans tout le Canada, sans restrictions imposées par la loi ni par le milieu des affaires; mais c'est également reconnaître la nécessité de mieux partager les bénéfices de cette efficacité que nous espérons atteindre. Les critères politiques ont donné aux Canadiens une idée de l'union économique quelque peu différente de celle que les simples critères de marché auraient suggérée. D'un point de vue économique, la seule justification d'une « barrière », est le fait qu'elle en améliore une qui existe déjà. D'autre part, la théorie économique ne fait pas de distinction entre l'union économique canadienne et les autres unions économiques. En fait, sa logique veut que le marché soit le plus vaste possible. D'autre part, selon cette théorie, le libre-échange multilatéral nous éviterait d'avoir à trop nous soucier de notre marché intérieur. Le point de vue politique du marché, au contraire, s'intéresse explicitement à l'économie canadienne et à sa santé. C'est le point de vue politique de l'union économique canadienne qui a abouti à la politique nationale et qui a justifié la décision de construire un chemin de fer d'un bout à l'autre du continent. Selon le point de vue économique de l'union économique, l'intégration à l'intérieur du Canada n'est qu'un pis-aller, faute de participation à un marché multinational. Selon le point de vue politique, l'édification de liens économiques entre Canadiens porte en soi sa propre valeur et augmente les relations et les contacts personnels qui contribuent à un sentiment d'identité partagée et de citoyenneté commune. S'ajoute également à l'évaluation du bien-être, un certain nombre d'autres considérations comme l'égalité, la justice sociale, un environnement sain et d'autres objectifs sociaux. On justifie ainsi éventuellement une plus grande variété de ce que les économistes appellent u distorsions 1,, et plus particulièrement des politiques comme la péréquation. Ces politiques visent à assurer une juste répartition régionale des bénéfices et des politiques de développement économique régionales destinées à améliorer la contribution des économies régionales au bien-être national. Ce que nous avons dit des préoccupations politiques à l'égard des économies et des communautés provinciales et régionales montre clairement que les critères politiques, qui s'appliquent à l'évaluation des restrictions et des distorsions, diffèrent des critères économiques lorsqu'il s'agit d'appuyer deux perspectives bien distinctes. Ces perspectives reflètent les valeurs que les Canadiens donnent à leur communauté nationale d'une part et aux communautés provinciales d'autre part. Du point de vue de la communauté nationale, les restrictions, qui peuvent ne présenter que peu d'intérêt d'un point de vue économique, peuvent être politiquement influentes si elles contrarient le sentiment de notre citoyenneté canadienne. Sur le plan provincial, les restrictions auxquelles on aurait de bonnes raisons de s'opposer du point de vue économique, car elles coûtent cher aux Canadiens, peuvent être considérées comme souhaitables politiquement, du fait qu'elles renforcent les communautés provinciales. Ces critères politiques divergents diffèrent non seulement des critères économiques quant aux décisions auxquelles ils aboutissent, mais ils diffèrent également entre eux. Cette tension entre les critères politiques nationaux et provinciaux, en ce qui concerne l'évaluation de l'union économique, est inhérente au fédéralisme. Tenant compte de tous ces facteurs, les commissaires passent maintenant à la dimension juridique de l'union économique. Les protections assurées par la Constitution. On trouve les éléments fondamentaux de l'union économique canadienne dans la Loi constitutionnelle de 1867. L'article 121 élimine les droits de douane et les autres droits de même nature entre les provinces: « Tous les articles produits, fabriqués, confectionnés dans l'une ou l'autre des provinces, seront à partir de l'Union, admis gratuitement dans chacune des autres provinces. " Les tribunaux ont interprété cet article comme un principe général applicable aux deux ordres de gouvernement, interdisant l'établissement de barrières tarifaires entravant la libre circulation des biens entre les provinces. Il y a eu une tendance à analyser moins attentivement les mesures prises par le gouvernement central, car celui-ci était censé agir dans l'intérêt national. Précisons que cet article 121 ne s'applique qu'au commerce des biens; il ne touche pas des facteurs comme le capital et la main-d'oeuvre et il n'est pas certain qu'il s'applique aux services et aux barrières non tarifaires. Malgré l'existence de cet article 121, les tribunaux ont eu plus souvent recours au paragraphe 91 (2) - sur la réglementation des échanges et du commerce?pour invalider les législations provinciales apportant des restrictions aux échanges interprovinciaux de biens. Toutefois, pour conserver l'équilibre qui convient entre le parlement et les législatures, la Cour suprême a reconnu aux provinces le pouvoir de réglementer certains aspects du commerce au sein des provinces, même dans des cas où l'abondance de biens interprovinciaux était affectée par les contrôles provinciaux de production, les circuits de commercialisation, la création de monopoles et d'autres mesures. du même ordre. L'efficacité des articles 121 et 91(2) a encore été limitée car on peut y recourir plus facilement pour se concentrer sur des interventions législatives et réglementaires des gouvernements plutôt que sur des aspects administratifs comme les politiques d'achat et les octrois de subvention. Par contre, la juridiction exclusive du parlement sur les systèmes interprovinciaux et internationaux de transport a largement réduit les probabilités de voir apparaître dans ce secteur des politiques qui nuiraient à la libre circulation des biens à l'intérieur du Canada. Les clauses de libre circulation des biens dans le cadre de l'union économique ont été récemment renforcées par d'autres clauses traitant de la mobilité de la main-d'oeuvre. L'article 6 de la Charte canadienne des droits et des libertés assure aux individus le droit de s'installer et de gagner leur vie n'importe où au Canada. Cette clause de la Charte qui traite de la mobilité de la main-d'oeuvre traite automatiquement, dans une certaine mesure, de la protection constitutionnelle du commerce des services interprovinciaux. Il y a cependant des réserves à faire sur la protection constitutionnelle de la mobilité des personnes. De plus, l'article 6 de la Charte n'aborde pas clairement la question des services qui peuvent être fournis au-delà des frontières d'une province, sans pour autant nécessiter le déplacement de personnes. La technologie permet ceci dans les domaines du traitement de l'information, de l'expertise-conseil et du conseil professionnel juridiques ou financiers. De tels services peuvent être offerts partout au Canada à partir d'un seul lieu fixe. Cet élément de l'économie de service, au sein de l'union économique canadienne, ne bénéficie pas actuellement d'une protection constitutionnelle adéquate. L'opinion exprimée par le juge Rand de la Cour suprême du Canada dans Murphy v. CPR laisse entrevoir la possibilité que l'article 121 soit interprété comme un article s'appliquant aux services et aux barrières non tarifaires. Il utilise la notion d'entrave plutôt que le vocabulaire habituel des droits de douane et des taxes. Il insiste sur l'importance de la libre circulation du « commerce » à l'intérieur du Canada plutôt que sur le concept plus étroit des articles, des biens ou des produits: J'interprète l'article 121, sauf pour les droits de douane, comme s'opposant à toute réglementation dont l'objet est d'élever des entraves, ou de restreindre de toute autre fa,con, ou de limiter la libre circulation du commerce à travers la fédération, comme si les frontières provinciales n'existaient pas. Les commissaires sont en faveur d'une interprétation large de l'article 121, qui prévoit une protection contre les barrières tarifaires limitant la libre circulation des services au sein de l'union économique canadienne. L'incertitude qui règne actuellement sur l'interprétation de cet article 121 nous incite cependant à appuyer le principe d'un amendement constitutionnel pour clarifier cette situation. Entre-temps, il serait souhaitable de mettre au point, grâce à des discussions et à des négociations entre les gouvernements, des directives empêchant la mise en place de barrières tarifaires s'appliquant au commerce intérieur des services. Nous aborderons rapidement les procédures permettant de faire face aux problèmes des barrières non tarifaires qui touchent les biens et les services au sein de l'union économique canadienne. La Constitution traite de libre circulation du capital en passant par le partage des pouvoirs; elle donne au gouvernement fédéral la principale juridiction, y compris la responsabilité de la politique monétaire et du pouvoir exclusif de réglementer les banques, des pouvoirs étendus dans le domaine de la taxation et d'autres pouvoirs généraux applicables à la circulation des capitaux. Les provinces disposent du pouvoir de réglementation sur des institutions se rapprochant des banques, comme les compagnies de fiducie et les caisses populaires. Elles détiennent également certains pouvoirs pour contrôler l'entrée de capitaux. Ces pouvoirs sont issus de leur juridiction sur les ressources, les entreprises locales, l'utilisation des sols et leur vaste pouvoir de réglementation et de décision sur la propriété et les droits civils; ce dernier comprend le contrôle sur les marchés des valeurs mobilières, les fonds de pension et les assurances. Les limitations internes au commerce. Comme on l'a vu dans la section précédente, le cadre constitutionnel, tout en assurant les garanties essentielles de l'union économique, laisse quelques lacunes et ambiguïtés importantes qui ont permis à toute une série d'obstacles d'apparaître. Dans ce chapitre, les commissaires ont relevé un certain nombre de distorsions qui affectent de façon sensible la libre circulation des biens et des facteurs au Canada. Une étude des politiques concernées peut donner l'impression que toute distorsion au libre trafic des biens et des facteurs de production est fondamentalement mauvaise. Si tel était le cas, notre travail serait simple: nous rédigerions une clause constitutionnelle en béton armé qui interdirait de tels écarts. Si nous devions agir ainsi, nous recommanderions probablement en même temps la fin du fédéralisme ou de toute politique régionale fédérale. En réalité, bon nombre de limitations, fédérales et provinciales, sont bien sûr justifiées en termes politiques ou économiques. Les politiques du gouvernement fédéral et le commerce interprovincial. On émet souvent l'hypothèse que les entraves à la libre circulation du commerce sont essentiellement, sinon uniquement, le résultat de l'activité des gouvernements provinciaux. Les mesures prises par le gouvernement fédéral se traduisent également par des distorsions importantes. Historiquement, la distorsion d'origine fédérale la plus controversée-qui gonfle artificiellement le commerce entre les provinces et déforme les termes interrégionaux d'échanges-est le tarif douanier. Celui-ci permet aux fabricants de vendre aux consommateurs un plus grand nombre de biens produits localement à des prix plus élevés, ce qui serait impossible autrement. Comme la production des biens de transformation a été concentrée au Canada central, alors que la consommation est répandue partout dans le marché national, les tarifs douaniers se traduisent par une redistribution interrégionale du revenu. Si ces préoccupations traditionnelles ont été atténuées par la diminution générale des tarifs, elles demeurent encore importantes. Les restrictions volontaires récentes dans le domaine des importations d'automobiles et la prolongation des contingentements à l'importation sur les vêtements continuent à avantager des économies de transformation au détriment des consommateurs. De telles mesures ont encouragé des anomalies marquées dans certaines régions. Les politiques fédérales de transport, en particulier la tarification, peuvent aussi créer des distorsions économiques dans le volume des échanges interrégionaux; il existait cependant de bonnes raisons pour favoriser de telles politiques, le développement des régions périphériques par exemple. Les subventions au transport des céréales touchées par la réglementation, qui ont été en vigueur de façon plus au moins continuelle de 1897 à 1983, avaient pour effet de permettre aux agriculteurs des Prairies de recevoir un rendement par acre plus élevé qu'ils ne l'auraient eu autrement. On produisait moins de céréales dans les autres parties du Canada à cause de cet avantage statutaire, ce qui a eu pour effet secondaire de décourager la croissance des secteurs du bétail et de la transformation des aliments dans l'Ouest. La Loi sur le transport du blé dans l'Ouest, promulguée en 1983, permet aux chemins de fer Canadien National et Canadien Pacifique de facturer davantage le transport des céréales et de recevoir une subvention annuelle. Cependant, comme la subvention est encore payée aux chemins de fer plutôt qu'aux agriculteurs, les taux de transport restent inférieurs aux coûts réels de ce transport. Cela continue donc à nuire à la diversification. Il y a eu des subventions comparables pour le transport dans l'Est du Canada et dans le Canada atlantique pour promouvoir le commerce interrégional, même si au cours des dernières années ces subventions ont été progressivement réduites. Certaines caractéristiques de la politique énergétique canadienne au cours de la dernière décennie - contrôle des prix et des exportations et subventions à l'exploration dans le domaine de l'énergie - relèvent aussi de cet examen. Les contrôles exercés sur les prix ont maintenu ceux-ci à des niveaux inférieurs aux prix du marché mondial, et ont ainsi encouragé une consommation excessive et, par conséquent, le transport interprovincial de pétrole et de gaz naturel. Les restrictions à l'exportation ont détourné la production, destinée aux régions adjacentes des États-Unis, vers l'Est du Canada. Les subventions à l'exploration ont favorisé les régions frontalières par rapport à celles déjà exploitées et déformé ainsi l'échéancier et l'emplacement du développement des ressources. Des annonces faites récemment dans le domaine de la politique énergétique devraient atténuer de telles distorsions. Une autre source de distorsions imputable au fédéral est la politique d'achat du gouvernement. Par opposition aux exemples ci-dessus, les politiques d'achat ont eu pour effet de restreindre les échanges interprovinciaux. Pour cette raison, les coûts de production sont plus facilement identifiables dans le contexte d'une union économique. Les achats du gouvernement fédéral sont décentralisés grâce aux centres régionaux d'approvisionnement du ministère des Approvisionnements et Services (MAS). Ses bureaux régionaux sollicitent des offres de fournisseurs au sein de « régions géographiques d'offres », en tenant compte de considérations comme les coûts et la disponibilité de fournisseurs compétents. Les pratiques d'appels d'offres ont pour but d'assurer « [...] des chances égales à tous les fournisseurs compétents de la région d'obtenir les contrats du gouvernement » . De plus, quand c'est l'administration centrale du MAS qui procède aux achats, mais que le produit est destiné aux provinces de l'Ouest ou aux provinces atlantiques, les achats doivent être effectués auprès de fournisseurs de ces régions, en tenant compte des facteurs de coûts. On pourrait aborder les autres politiques fédérales dans la perspective de leur importance pour le fonctionnement de l'union économique. Les gouvernements fédéraux ayant utilisé de façon croissante les lois de l'impôt, les subventions et les autres instruments pour stimuler des secteurs ou des activités donnés comme la recherche et le développement, les possibilités de distorsions régionales ont augmenté puisque ces activités sont souvent concentrées dans une région. L'attribution de subventions industrielles pour promouvoir le développement régional a été une tentative explicite afin d'influencer les décisions concernant le choix des lieux de ces projets. Les politiques fédérales-provinciales. Quand l'occasion se présente, les deux niveaux de gouvernement travaillent ensemble pour mettre en place des politiques qui entravent les échanges interprovinciaux. Les offices nationaux de commercialisation dans le domaine agricole, par exemple, imposent des restrictions à ces échanges en introduisant une rigidité dans les modèles de production ou en imposant des réglementations limitatives. Les offices nationaux de gestion des approvisionnements présentent un intérêt particulier. Ces offices sont créés en vertu de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme. Ces produits sont touchés s'il y a entente entre les producteurs et le ministre de l'agriculture. Quand un produit est couvert par la législation, l'agence fédérale concernée peut déléguer son autorité aux organismes provinciaux désignés. On attribue alors un quota général à chaque organisme provincial, qui le répartit ensuite entre ses producteurs. Actuellement, la production d'oeufs, de poulets, de dindes et de tabac est réglementée en vertu de telles ententes. Un tel partage du marché contribue à la rigidité des modèles de production. Des producteurs ayant des coûts minimes ne peuvent en effet pas vendre leurs produits dans les régions avoisinantes. Les quotas régionaux sont attribués en pourcentage de la production totale canadienne au cours des cinq dernières années. Ces quotas ne sont pas modifiés, même si les coûts de production évoluent, à moins que les organismes dirigeants ne les modifient. La Loi impose à l'agence de retenir le principe des avantages comparatifs en attribuant des quotas, mais, en ce qui concerne la production de poulets, d'oeufs et de dindes, l'accent est plutôt mis sur l'autosuffisance provinciale que sur le rendement économique. En effet, les producteurs ne peuvent pas produire plus que les quotas qui leur sont affectés, et le marché est fermé aux nouveaux producteurs. Les politiques provinciales. L'un de nos intervenants a décrit en ces termes l'inquiétude générée par les politiques provinciales: Chaque province, voulant améliorer la situation de ses propres producteurs, s'adonne à des pratiques qui tendent à limiter la libre circulation des biens à l'intérieur du Canada. On peut en donner comme exemple la promotion des produits, les appels d'offres favorisant certains, la législation de la commercialisation. Chacun de ces éléments et d'autres de même nature peuvent être fort louables en eux-mêmes, mais on constate que leur nombre et leur fréquence augmentent. Cela aura pour résultat une fragmentation du marché canadien - un marché plus vaste que l'ensemble de ses éléments provinciaux. Les gouvernements provinciaux créent des distorsions en imposant des limites provinciales au commerce. S'ils se penchent sur les principales restrictions provinciales, les commissaires peuvent essayer de faire la distinction entre les politiques délibérément discriminatoires et celles qui le sont incidemment, alors qu'elles poursuivent des objectifs provinciaux sociaux ou économiques de bon aloi. Les gouvernements provinciaux, acheteurs de biens et de services, ont tendance à favoriser les producteurs locaux de ces biens et services. En 1981, les achats de biens et de services par les gouvernements provinciaux, locaux, et par les hôpitaux, représentaient l'équivalent de 15,2 pour cent du produit national brut. Une politique d'achat préférentielle peut être implicite ou explicite, une question de pratique ou de loi. Les méthodes usuelles d'achat préférentiel impliquent des appels d'offres sélectifs ou uniques et non publics, de la publicité ou des renseignements incomplets sur les appels d'offres à l'aide de listes de fournisseurs locaux, l'imposition de délais trop courts pour la présentation de soumission, l'adaptation des exigences à celles que les fournisseurs locaux sont capables de fournir, des exigences de résidence pour les vendeurs et des marges préférentielles pour les fournisseurs locaux. Ces politiques peuvent aller au-delà des achats des agences et des ministères gouvernementaux pour englober ceux des compagnies d'électricité, des systèmes municipaux de transport public, des systèmes scolaires, des compagnies ferroviaires, des compagnies aériennes et de téléphone, et des industries de ressources possédées par les gouvernements provinciaux ou dans lesquels ils ont des intérêts. Une étude récente de l'Association canadienne des manufacturiers (ACM) précise le genre de problèmes que cela peut entraîner. Les quatre entreprises canadiennes fabriquant les fils et le câble, dont on se sert dans le secteur des télécommunications, exploitent 16 entreprises implantées dans chaque province, à l'exception de l'Ile-du-Prince-Édouard et de TerreNeuve. Elles doivent faire preuve d'une présence régionale pour pouvoir devenir fournisseurs des compagnies provinciales de téléphone. L'ACM est d'avis que trois ou quatre usines seraient plus efficaces et permettraient d'être plus concurrentielles à l'échelle internationale. Toutes les provinces détiennent un monopole public pour la vente d'alcool. Trois types de politiques permettent de créer des entraves aux échanges interprovinciaux dans ce domaine. Les provinces peuvent exercer une discrimination à l'égard des producteurs de l'extérieur de la province en appuyant les producteurs locaux. Cette discrimination peut se manifester par des préférences sur les supports publicitaires, par le positionnement des produits sur les rayons des distributeurs, par des exigences de prix et par des politiques de prix. Les politiques de prix préférentiels ont, par exemple, le même effet qu'une barrière tarifaire appliquée au niveau local. De plus, les gouvernements peuvent limiter les achats privés qui proviennent d'autres provinces en imposant un système de quotas ou en prélevant des taxes sur ces achats. Enfin, une province peut avoir des exigences originales d'emballage entraînant des coûts trop élevés pour des produits venant de l'extérieur de la province. Une conséquence surprenante de la réglementation provinciale sur les boissons alcooliques est, par exemple, que les consommateurs de l'État de Washington peuvent acheter de la bière Old Fort de Prince George en Colombie-Britannique et que les habitants de Nouvelle-Angleterre peuvent acheter de la bière Moosehead du Nouveau-Brunswick, alors que plusieurs des provinces canadiennes n'ont pas le droit d'en vendre. Les politiques industrielles provinciales conçues pour promouvoir le développement économique prévoient souvent des subventions et des stimulants qui peuvent nuire aux producteurs de l'extérieur de la province. Les stimulants à l'investissement direct comprennent l'aide financière au moyen de subventions, de prêts, de dégrèvements fiscaux, de garanties d'emprunt, de participation directe au capital et d'infrastructures aux frais de l'État. Toute une série de programmes fédéraux d'aide industrielle ont des effets similaires, mais beaucoup plus vastes, même s'ils sont souvent mis en place de concert avec les provinces. Les gouvernements provinciaux ont mis en place une vaste gamme de réglementations qui affectent également le commerce interprovincial. Ils ont instauré ces mesures essentiellement grâce à leur juridiction sur « la propriété et les droits civils » et sur le commerce au sein de la province. Parmi ces réglementations, on trouve les normes de construction, les normes concernant les produits et celles de l'environnement, ainsi que les lois sur les contrats commerciaux. On a rapporté à la Commission le cas suivant: On peut donner comme exemple des problèmes du commerce interprovincial le cas de la récolte locale de la tomate du comté d'Essex. Prête à être récoltée dans des paniers mesurés en litres, d'après la nouvelle législation fédérale, pour être expédiée sur le marché du Québec qui en absorbe une partie importante, la cueillette des tomates s'est vue refuser l'entrée au Québec, car la province de Québec insiste encore sur l'utilisation des vieilles unités de mesure et voulait des paniers mesurés en boisseaux et non en litres. De plus, certaines pratiques d'attribution de licences professionnelles affectent le commerce des services. Toutes ces mesures peuvent imposer des coûts supplémentaires aux acheteurs et aux vendeurs qui travaillent audelà des frontières provinciales et peuvent freiner le développement de marchés qui s'étendraient autrement dans tout le Canada. Les politiques fédérales et provinciales peuvent, par tous les moyens donnés en exemple ci-dessus, se traduire par la mise en place de barrières non tarifaires (BNT) et nuire au fonctionnement de l'union économique canadienne. Quand le volume des échanges interrégionaux est réduit par les BNT à un niveau inférieur à ce qu'il serait autrement, les coûts pour l'union économique équivalent aux coûts des ressources supplémentaires nécessaires pour tirer pleinement parti des bénéfices du commerce et de la spécialisation. Les coûts des limites interprovinciales au commerce. L'analyse économique indique de façon nette que les distorsions, telles que précitées, ont peu d'effet sur les coûts de production. Diverses estimations ont évalué les pertes en bien-être pour 1974 entre 130 millions de dollars, ou 0,11 pour cent du produit national brut (PNB), et 1 750 millions de dollars, ou 1,54 pour cent du PNB, selon les hypothèses retenues. Les travaux plus récents de cette Commission confirment que les coûts économiques sont faibles. C'est toutefois un domaine où les évaluations sont imprécises et controversées. On peut donner l'exemple du commerce international pour lequel des évaluations récentes laissent entendre que les gains d'une libéralisation du commerce international seraient beaucoup plus importants que les modèles antérieurs ne le laissaient prévoir. Les modèles les plus récents essaient de tenir compte de l'importance des économies d'échelle. Celles-ci pourraient avoir des effets tout aussi importants sur le marché intérieur. Il faut cependant s'entendre sur la définition qu'on donne à « faible ». Comme un participant aux audiences l'a fait remarquer, 1 pour cent du PNB est « équivalent au PIB de Terre-Neuve, ce qui n'est pas rien ». (Anthony Scott, mémoire, le 12 décembre 1983, annexe, p. 1.) L'explication pour les faibles coûts apparents des barrières tarifaires est simple. On s'aperçoit au tableau 22-2 que seulement un peu plus d'un quart des produits canadiens (27 pour cent) franchissent les frontières provinciales. Ces barrières tarifaires n'affectent directement qu'une petite partie de cette portion; la plupart des produits se déplacent assez librement. Quant à ceux touchés par des restrictions, les distorsions se présentant sous la forme de préférences tarifaires, sont dans l'ensemble assez petites. Quand on met ensemble des distorsions généralement faibles et qu'on les applique à un ensemble de produits, qui ne représentent qu'un quart de la production nationale totale et qu'on saisit la méthodologie sous-jacente à ces calculs, on comprend les chiffres obtenus. Comme on l'a toutefois prétendu lors des audiences de la Commission, il n'y a pas que les coûts qui soient mesurables en termes économiques: La discrimination reposant sur la province d'origine n'est pas un critère pour faire du commerce, quand il s'agit de traiter avec les gouvernements provinciaux ou leurs agences [...] nous aimerions pouvoir exercer une concurrence libre et égale de Saint-Johns à Vancouver sans entrave. Nous sommes satisfaits d'un système d'appels d'offres concurrentiels dans un marché ouvert. Ce que nous craignons, c'est ce que nous considérons comme des contraintes discriminatoires ou artificielles dans la conduite de nos affaires au Canada [...] . Le résultat en est qu'il est souvent plus facile de faire des affaires aux États-Unis que dans certaines provinces du Canada. Cette citation laisse entendre que les coûts des restrictions aux échanges commerciaux peuvent être très élevés pour une entreprise donnée, même si les coûts agrégés pour l'ensemble de l'économie nationale ne semblent pas importants. Est-ce que ces restrictions gènent sérieusement certaines entreprises qui achètent et vendent sur le marché canadien? Le terme « union économique » dans le mandat de cette Commission invitait clairement les groupes du secteur privé à émettre leurs commentaires sur ces entraves. Les participants à nos audiences, qui ont répondu à cet appel appartenaient principalement au secteur de la transformation et provenaient surtout du centre du Canada. Une enquête menée par l'Association canadienne des manufacturiers auprès de 651 entreprises de transformation a révélé qu'un cinquième d'entre elles s'étaient heurtées à des difficultés en voulant vendre des biens, et ce, à cause de restrictions provinciales. Ce sont les grandes entreprises cherchant à desservir l'ensemble du marché national qui se plaignent le plus. Les politiques restrictives peuvent, en théorie, aider les petites entreprises, mais la même enquête a démontré que seulement 7 pour cent de toutes les entreprises et seulement 6 pour cent des petites entreprises déclaraient profiter d'une façon ou d'une autre des règles régissant les achats. L'ACM estime que la prolifération de ces limitations ralentit la croissance du commerce interprovincial. Un énoncé de positions de l'ACM demande « à tous les gouvernements de renverser la tendance protectionniste ». Il prétend que les restrictions du marché intérieur « rendent les entreprises de plus en plus dépendantes des gouvernements ». Les petites entreprises peuvent « entrer dans un cercle vicieux d'où il leur sera impossible de faire jouer la concurrence en dehors du marché local ». De l'avis de l'ACM, « notre petit marché intérieur, fragmenté, doit être renforcé si l'industrie canadienne veut optimiser son efficacité pour maximiser ses capacités concurrentielles.» Si des restrictions du marché intérieur répartissent la production sur un trop grand nombre de petites usines, comment pourrons-nous créer de grandes entreprises efficaces capables de réussir à l'échelle internationale? Si les vendeurs se rendent compte qu'ils ne peuvent même pas avoir accès au marché canadien, comment pouvonsnous espérer qu'ils soient des concurrents dynamiques sur les marchés mondiaux? La mobilité des capitaux. Même si de nombreux contrôles ont été effectués au cours des années sur le transfert des actifs ou des biens des entreprises, y compris la réglementation sur certains secteurs d'utilité publique et sur les institutions financières, on a relevé peu d'entraves à la libre circulation des capitaux au Canada. Toutefois, un certain nombre d'incidents dans ce domaine ont retenu l'attention au cours des années 1970. Dans un cas, le gouvernement de Colombie-Britannique a bloqué la prise de contrôle de MacMillan-Bloedel, une importante entreprise de produits forestiers, par le Canadien Pacifique. Dans un autre cas, le gouvernement du Québec a agi pour empêcher l'acquisition d'une compagnie de fiducie par des intérêts extra-provinciaux. Les deux cas semblent impliquer un concept de capital « provincial » par opposition à un capital « extérieur o. Tous deux laissent entendre que les gouvernements provinciaux veulent protéger leurs intérêts stratégiques de la même façon que le gouvernement fédéral le fait à l'égard de l'investissement étranger. Est-il possible qu'une province empêche des capitaux de circuler sur son territoire? Il est probable qu'au strict sens juridique la réponse soit « non ». Toutefois, les provinces, comme les autres gouvernements, disposent de nombreux moyens d'action pour agir sur de tels mouvements de capitaux. Ainsi, les gouvernements provinciaux contrôlent l'accès aux ressources forestières provinciales et la Colombie-Britannique aurait pu se servir de cet instrument. Des problèmes comparables sont apparus en ce qui concerne la propriété des terres. Ainsi, l'Ile-du-Prince-Édouard souhaite éviter que les terres de son littoral tombent entre les mains de nonrésidents, et que les prix deviennent hors de portée pour ces résidents. C'est pourquoi cette province a adopté la Prince Edward Island Lands Prolection Act qui impose aux non résidents, voulant acheter plus de dix acres de terre, d'obtenir auparavant l'approbation du Cabinet. De la même façon, pour protéger les exploitations agricoles familiales, la Saskatchewan Farm Ownership Act limite la quantité de terres agricoles que peuvent posséder des non-résidents ou des « entreprises non agricoles ». Les tentatives des gouvernements de limiter les afflux de capitaux ont retenu l'attention, même si elles soulèvent rarement beaucoup d'inquiétude. Il y a toutefois beaucoup plus important que ces prises de contrôle qui font la manchette; ce sont les mesures provinciales destinées à encourager l'entrée de capitaux dans la province ou leur implantation. Ces mesures sont conçues pour stimuler la croissance locale. La principale inquiétude est que les provinces s'engagent dans une guerre d'offres pour des approvisionnements limités en capitaux. Il n'est toutefois pas évident que n'importe lequel des stimulants que les provinces pourraient utiliser, mène à une mauvaise répartition des capitaux et génère des investissements dans des activités moins productives que ne le seraient d'autres utilisations. En autant que le Canada reste ouvert aux marchés internationaux de capitaux, les stimulants provinciaux des gouvernements bloqueront rarement la route à des projets potentiellement productifs dans d'autres régions. Ils peuvent cependant conduire à investir dans des projets qui, en d'autres circonstances, ne seraient pas viables financièrement". Du point de vue de l'union économique, les restrictions à la mobilité des capitaux semblent avoir relativement peu d'importance, même si les coûts de rendement au sein d'une région peuvent être assez élevés. Il y a, en général, peu de restrictions sur la mobilité de capitaux appartenant à des intérêts privés entre les provinces, et il est peu probable que dans une économie ouverte on impose de tels contrôles. Les regroupements d'intérêts financiers qu'une province peut contrôler plus ou moins directement sont peut-être plus importants. On pense ici aux masses de capitaux constituées par le Alberta Heritage Savings Trust Fund et, de façon comparable, mais dans une moindre mesure, par le fonds de fiducie de la Saskatchewan. D'autres provinces pourraient créer de telles institutions qui dépendraient, par exemple, du succès du développement pétrolier et gazier au large des côtes de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse. De plus, les provinces contrôlent l'utilisation des fonds déposés dans leur régime public de retraite. Le cas le plus important est celui de la Caisse de dépôts et de placements du Québec qui gère à la fois les fonds générés par le Régime de rentes du Québec et ceux provenant de la caisse de retraite des employés du secteur public. A l'extérieur du Québec, les fonds rattachés au Régime de pensions du Canada sont répartis par province. Les corporations de la Couronne appartenant aux provinces créent d'autres regroupements de capitaux. A des degrés divers, elles travaillent toutes à la promotion du développement au sein de la province. Il y a toutefois chez elles des conflits entre les partisans d'une politique d'investissement des fonds accumulés aux taux du marché, entre ceux voulant que la Corporation réalise une bonne performance et avec les participants de l'investissement à des taux moins rentables dans le but de poursuivre des objectifs de politique précis. Cela fait apparaître un autre conflit possible entre deux types de vision: l'une voulant que les agences soient des entités autonomes et l'autre les voyant comme des instruments de la politique du gouvernement. Si ces agences prennent le contrôle des grandes entreprises, elles pourraient inciter ces entreprises à s'installer dans la province, car en ne le faisant pas, elles nuiraient à leurs actionnaires. De telles inquiétudes rappellent le projet de loi fédéral S-31, la Loi visant la limitation de la propriété des actions de certaines sociétés, qui aurait limité la participation des agences provinciales dans les entreprises de transport réglementées par le fédéral. De tels dangers semblent cependant plus éventuels que réels. Les provinces qui se serviraient de leurs titres dans les entreprises privées pour rediriger des activités vers elles-mêmes pourraient être non seulement confrontées à la dure loi du marché, mais aussi s'exposer à des mesures de rétorsion de la part du gouvernement fédéral ou des autres gouvernements provinciaux. Pourquoi les provinces n'utiliseraient-elles pas des revenus générés par leurs propres ressources, comme le Heritage Fund, pour promouvoir le développement? Elles pourraient fournir l'infrastructure ou investir dans des activités qui pourraient, en d'autres occasions, attirer des fonds. Les politiques d'investissement de l'Alberta Fund, même si elles sont très critiquées, ont ménagé des revenus pour l'avenir et stimulé l'activité économique. De la même façon, la Caisse de dépôt et de placement, avec tout un réseau d'autres institutions d'investissement au Québec, a contribué à développer une forte communauté francophone d'affaires, qui joue maintenant un rôle plus important au Canada. On peut prétendre que de tels développements contribuent à renforcer la Confédération et non pas à l'affaiblir. Cependant, comme les commissaires l'ont déjà signalé auparavant, si de tels fonds devaient servir à offrir des subventions à des entreprises locales, ils pourraient nuire aux producteurs de l'extérieur de la province. Une autre activité provinciale qui pourrait entraver la mobilité des capitaux et contribuer à une mauvaise allocation des fonds est l'attribution de stimulants aux investisseurs privés, au moyen de concessions fiscales, de garanties d'emprunt, de subventions et d'autres mesures du même ordre. Toutes les provinces ont recours à la grande variété de ces mesures; toutes cherchent à encourager l'investissement grâce à l'octroi d'infrastructure et de services divers. Des programmes fédéraux utilisent une vaste gamme de mesures comparables pour compléter ces programmes provinciaux. L'Alberta prétend qu'elle s'est retirée des Accords de recouvrement d'impôt pour prélever son propre impôt sur les revenus des entreprises, afin de pouvoir offrir des stimulants fiscaux au capital. D'autres provinces ont songé à faire de même. Parmi les mesures mises en place ou auxquelles diverses provinces songent, il y en a plusieurs qui ont des effets de distorsion sur la répartition du capital et sur le fonctionnement du marché commun. Ainsi, en 1979, le Québec a mis en place un programme qui permet à ses résidents une déduction d'impôt équivalente au coût d'achat de nouvelles actions émises par des entreprises ayant leur siège social au Québec. Les gouvernements provinciaux ont également des programmes pour stimuler les petites entreprises. Pour la plupart de ces programmes, les montants impliqués sont limités; toutefois, si l'on prend pour hypothèse des marchés de capitaux ouverts, il est probable que cela aura pour effet d'investir de façon excessive dans des activités subventionnées plutôt que de limiter l'investissement aux autres endroits où il est productif. Le dernier élément laisse à entendre que notre principale inquiétude ne tient pas à des restrictions de mobilité des capitaux, mais à la gestion des marchés de capitaux pour assurer un marché national efficace. Ceux qui recherchent le financement devraient être bien informés des sources possibles de financement, et ceux qui disposent de capitaux devraient avoir les moyens de connaître les possibilités d'investissement partout à travers le pays. La mobilité des personnes. Le Canada est un pays d'immigrants, depuis les premiers aborigènes qui ont traversé le détroit de Béring, jusqu'aux premiers colons français de la vallée du Saint-Laurent, sans oublier les loyalistes, les Européens de l'Est, les autres qui se sont installés à l'Ouest au début de ce siècle et les immigrants qui sont arrivés chez nous depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous, Canadiens, nous sommes aussi déplacés à l'intérieur de nos frontières: les Canadiens de l'Est ont aidé à peupler l'Ouest; après la Seconde Guerre mondiale, des agriculteurs des Prairies se sont déplacés vers des régions urbaines; plus récemment, les Terre-Neuviens ont trouvé des emplois dans les régions pétrolières de l'Ouest. Nous nous sommes aussi déplacés au-delà de nos frontières nationales: jusqu'à ce que les États-Unis aient contingenté de façon stricte l'immigration dans les années 1960, ces déménagements se sont souvent avérés un leurre pour les immigrants canadiens, plus que pour les autres régions du Canada. Le recensement de 1981, comme on le voit au tableau 22-6, indique que plus de six Canadiens sur dix âgés de plus de cinq ans vivent dans la province où ils sont nés; un sur huit est un immigrant; l'autre quart provient d'une autre province. Il y a d'importantes variations entre les provinces. A Terre-neuve, 83 pour cent des résidents sont nés dans l'île, au Québec, 88 pour cent des résidents sont nés dans la province; ce sont là les populations les plus stables. Dans les provinces maritimes, au Manitoba et en Saskatchewan, entre 56 et 66 pour cent des résidents vivent dans la province où ils sont nés, en Colombie-Britannique et en Alberta, un tiers seulement, dans les Territoires du Nord-Ouest, un quart, et au Yukon, un dixième. De 1972 à 1984, 380 000 personnes en moyenne par année se sont déplacées d'une province à l'autre: c'est-à-dire environ 15 Canadiens sur 1000. De tels chiffres cachent d'importantes variations de population au cours des dernières années. Comme on le voit au tableau 22-7, entre 1971 et 1983, cinq provinces et les territoires du Nord ont enregistré une émigration nette: ce sont Terre-Neuve, le Québec, l'Ontario, le Manitoba et la Saskatchewan. Pendant cette période, des relevés statistiques globaux ont contredit l'image traditionnelle voulant que les provinces maritimes soient une source de population pour les autres régions. De la même façon, l'Ontario, qui attirait habituellement les migrants, a enregistré une perte nette de population à cause d'une migration interne de 1971 à 1981. Le Québec a enregistre chaque année une diminution nette de sa population au chapitre des migrations internes. Quant au Manitoba, sa population a diminué au profit des autres provinces tous les ans sauf une année. La Saskatchewan a enregistre une performance comparable pour la plupart des années, même Si elle a attiré davantage de personnes des autres provinces, au milieu des années 1970, qu'elle en a perdues par l'émigration. Au cours des années 1970 et au début des années 1980, l'Alberta et la Colombie-Britannique ont connu une croissance rapide de la population due à la migration interne, gagnant respectivement 278 153 et 227 247 résidents. Ces deux provinces, comme on le voit au tableau 22-8, ont été la destination de plus de 40 pour cent de tous les migrants de 1971-1972 à 1982-1983. Ces modèles de migration interne traduisent les grandes tendances économiques de la période. Ainsi, en 19701971, il n'y avait que 12,4 pour cent des migrants qui quittaient l'Ontario et se dirigeaient vers l'Alberta, alors que pour la période allant de 1970-1971 à 1981-1982, environ 24,9 pour cent se dirigeaient vers cette province. En 1971-1972, moins de 3 000 Canadiens des provinces atlantiques SC dirigeaient vers l'Alberta; en 1981-1982, il y en avait plus de 14 000. A la suite du ralentissement du développement des ressources de l'Ouest de 1982, ces tendances se sont renversées. En 1983 et en 1984, l'Alberta a enregistré des pertes nettes de mouvements interprovinciaux de population. Un renversement de la situation était évident; l'Ontario et les provinces maritimes ont enregistré des gains nets de migration sur leur territoire. Tout en étant un pays de régions et de communautés bien établies, nous sommes assez mobiles. Cette mobilité facilite l'ajustement économique quand les individus passent de régions à faibles potentiels économiques vers des régions à plus forts potentiels. Cela permet aussi de répandre les idées, de contribuer ainsi à la prise de conscience et à la compréhension mutuelle, et à un sens de la citoyenneté. De plus, cela permet aux citoyens de répondre à la concurrence entre gouvernements, en matière de politique, en « votant avec leurs pieds », tirant ainsi profit d'une des vertus du fédéralisme. La Loi constitutionnelle de 1867 n'enchâssait pas formellement le principe de la libre circulation des personnes au sein de l'union économique canadienne, même si, à l'occasion, les tribunaux ont appuyé ce principe sur la base du common law. Ainsi, dans une décision de 1951 sur le cas Winner v. S.M. T. (Eastern) Ltd, le juge Ivan Rand de la Cour suprême statuait que: Une province ne peut, en privant un Canadien de ses moyens de travail, l'obliger à quitter la province: elle ne peut le dépouiller de son droit ou de sa capacité à rester et à y travailler: cette capacité inhérente est un élément constitutif de son statut de citoyen et toute mesure prise dans ce sens par une province est nulle. L'article 6 de la Charte des droits et libertés reconnaît le droit à tous les citoyens canadiens et à tous les résidents permanents au Canada de se déplacer librement à travers le pays et de gagner leur vie dans n'importe quelle province. Cette clause lie à la fois le Parlement et le gouvernement canadien, ainsi que les législatures et les gouvernements provinciaux. Il y a toutefois des limites à ce droit à la mobilité, limites que nous aborderons au chapitre 23, dans le contexte d'une discussion plus large de la Charte. Les stimulants économiques sont les principales forces qui modèlent les migrations, en particulier pour les Canadiens engagés dans la vie active. Il n'est pas surprenant de constater qu'il y a davantage de déplacements sur des distances relativement courtes qu'il n'y en a d'une extrémité à l'autre du pays. Les gens tendent également à se déplacer d'une région à plus faibles revenus vers une région à revenus plus élevés et à être influencés par des perspectives de salaires plus élevés et de meilleures possibilités d'emploi. L' assurancechômage atténue l'importance des taux de chômage comme stimulants à la mobilité. D'autres facteurs ou d'autres caractéristiques personnelles sont également importants. Ainsi, les citoyens les plus éduqués sont les plus instables. Les différentes langues jouent un grand rôle sur les décisions de se déplacer: les Canadiens de langue française se déplacent maintenant rarement vers des régions de langue anglaise, et il y a peu de mouvements des anglophones vers le Québec. Des données indiquent par contre que le Québec francophone attire les francophones des autres provinces. Entre 1971 et 1976, la migration nette vers le Québec a été de 4,5 pour cent pour les francophones et de 0,4 pour cent pour les anglophones. Quant aux résidents du Québec, il semble que la connaissance de la langue anglaise soit un élément déterminant dans la décision de rester au Québec ou de se déplacer vers une autre province. Il est probable qu'un anglophone unilingue décidera d'un tel déménagement plus qu'un francophone unilingue. C'est une des raisons pour lesquelles le Québec devient graduellement une société de plus en plus francophone. Ces données laissent entendre que la mobilité dépend largement de décisions personnelles, d'après les attentes des individus et des familles, et en fonction de leurs propres caractéristiques culturelles et linguistiques. Les politiques du gouvernement peuvent également influencer la décision d'immigrer. Ainsi, les hauts niveaux d'imposition aux niveaux provincial et municipal peuvent encourager certaines personnes à se déplacer ou à rester. La variation des « avantages fiscaux nets », une combinaison des niveaux de taxation et des niveaux de services, semble avoir encouragé la migration vers l'Alberta pendant le boom des ressources, indépendamment du déclin relatif de l'économie ontarienne et du développement rapide de l'Ouest. Ce type d'influence pourrait bien devenir encore plus décisif si les variations provinciales dans les taux d'imposition et des services des gouvernements continuent à croître, surtout pour des facteurs aussi manifestes que l'impôt sur les revenus et la taxe de vente. Dans la mesure où la péréquation et d'autres transferts de fonds limiteront les écarts entre les taux d'imposition, la mobilité des personnes réagira plus probablement à d'autres signaux économiques et aux préférences des individus. Comme les commissaires l'ont déjà constaté précédemment dans ce Rapport, il est également évident que les prestations d'assurance-chômage réduisent l'incitation des citoyens à se déplacer pour chercher de nouvelles possibilités d'emploi. Les effets des autres écarts entre les provinces - exigences de licence pour les professionnels, différents systèmes scolaires, etc. - ne sont pas faciles à évaluer. Enfin, les facteurs culturels eux-mêmes peuvent être influencés par les politiques. La taille et la répartition des Canadiens francophones en dehors du Québec traduit, dans une large mesure, l'absence relative, pendant l'essentiel de l'histoire canadienne, d'une approche bienveillante à l'égard des minorités de langue française par les autres gouvernements provinciaux et leurs électeurs. Plus récemment, le gouvernement fédéral a songé à assurer les droits à l'éducation dans la langue des minorités et à offrir ses services dans les langues des minorités du Canada, en partie afin de permettre aux Canadiens francophones de se déplacer en dehors du Québec sans abandonner leur langue. Si l'on voulait évaluer l'ensemble des effets des entraves à la mobilité des personnes au Canada, il serait nécessaire de connaître à la fois la proportion de la main-d'oeuvre touchée par ces restrictions et leur importance. Il faudrait compter dans le coût de ces limitations, les coûts occasionnés par le déplacement des individus malgré les restrictions, ainsi que la diminution de la performance économique d'ensemble due à un manque de main-d'oeuvre qui pourrait être attribuable à ces contraintes. La complexité du processus d'analyse de certains types d'entraves à la mobilité explique le manque de données sur le coût des restrictions actuelles à la mobilité de la main-d'oeuvre. On peut cependant fournir des illustrations de ces restrictions à la mobilité interprovinciale et discuter de leurs conséquences générales pour l'union économique. Plusieurs provinces ont mis en place des directives ou des restrictions accordant la préférence d'emploi à leurs résidents. Certains de ces règlements s'appliquent aux employeurs privés, d'autres concernent le secteur public. Ainsi, la réglementation entrée en vigueur en 1978 à Terre-Neuve en vertu de la Newfoundland's Petroleum and Natural Gas Act prévoit que: « La condition attachée à tout permis ou à tout bail est que tout détenteur accorde, dans ses pratiques d'embauche, la préférence au personnel qualifié résidant normalement dans la province. » L'entente de 1985 sur les ressources offshore entre le Canada et Terre-Neuve veut qu'on retienne d'abord les biens et les services offerts à Terre-Neuve, quand leur prix, leur qualité et les délais de livraison sont compétitifs. Les résidents de la province doivent recevoir la priorité quand il y a des possibilités de perfectionnement et d'emploi, « tout en respectant la Charte canadienne des droits et libertés D'autres juridictions ont également imposé des restrictions. Celles qui sont relatives à la mobilité dans le secteur de la construction au Québec ont fait l'objet de controverses entre les provinces il y a quelques années, même si le gouvernement les avait mises en place pour répondre à des problèmes au sein de son industrie. Le Québec et la Nouvelle-Écosse accordent la préférence aux résidents de leur province quand il s'agit d'embaucher dans le secteur public. Le gouvernement fédéral a adopté des exigences comparables pour promouvoir des possibilités d'emploi dans le développement des ressources pour les résidents du Nord. En élargissant les politiques d'achat des biens aux services, les gouvernements ont créé d'autres contraintes à la mobilité de la main-d'oeuvre. Certains Canadiens voient comme une.menace à la mobilité de la main-d'oeuvre, la nécessité d'obtenir des licences et des certificats pour s'adonner à certains commerces et pratiquer certaines activités. Deux problèmes étroitement reliés se distinguent dans ce domaine: le manque d'uniformité des normes entre les provinces et le manque de réciprocité (c'est-à-dire la reconnaissance de la formation ou de l'expérience acquises en dehors de la province ). Les gouvernements provinciaux délèguent l'autorité d'accorder des licences aux associations professionnelles, afin qu'elles assurent la protection du public contre les blessures ou les abus. Ces associations peuvent, à leur tour, instaurer des restrictions pour exclure les autres professionnels de leur domaine de juridiction. Il n'est pas toujours facile de faire la distinction entre les exigences permettant d'assurer la compétence, et celles exerçant une discrimination contre les non-résidents cherchant à entrer dans la province. Pour les commerces, les exigences de licences et de certification sont souvent simplement volontaires; il est souvent possible d'obtenir une certification provisoire et les provinces pourraient s'entendre assez rapidement pour reconnaître les qualifications commerciales obtenues dans le respect des normes interprovinciales. L'impossibilité de transférer des régimes privés de retraite freine la mobilité de la main-d'oeuvre et peut donc affecter la mobilité interprovinciale et les transferts de travailleurs entre les employeurs. Comme la perte des prestations de retraite accumulées a déjà attiré attention dans d'autres études, les commissaires ne s'y attarderont pas ici. La perte du droit aux services sociaux pendant une période d'éligibilité et les schémas provinciaux d'aide au revenu peuvent également freiner la mobilité interprovinciale. Dans les provinces où des municipalités gèrent de tels programmes, la pratique locale peut limiter l'éligibilité à ces avantages d'une façon qui freine la mobilité. Les conditions établies pour le Régime à coûts partagés d'assistance publique du Canada assurent cependant un degré élevé de protection contre de telles mesures discriminatoires, comme les exigences de résidence. Les écarts constatés entre les systèmes d'enseignement au Canada peuvent également dissuader des personnes de déménager car elles s'inquiètent de l'effet que pourrait avoir un tel déménagement sur la scolarité de leurs enfants. Le petit nombre d'études qui se sont attachées à ce problème laissent entendre que les incompatibilités entre les systèmes d'enseignement ne sont pas un frein majeur à la mobilité interprovinciale. D'ailleurs, ces écarts entre les critères et les normes d'enseignement peuvent aussi bien se retrouver à l'intérieur d'une province qu'entre les provinces. L'harmonisation des normes en enseignement pourrait davantage encore augmenter la mobilité. Les liens sociaux, culturels et communautaires bien établis freinent la mobilité interprovinciale de la maind'oeuvre au Canada. En ce qui concerne les liens culturels, la langue semble être le plus important d'entre eux. La Charte de !a langue française du Québec pourrait bien freiner le déménagement au Québec de Canadiens qui ne parlent pas français et de ceux qui, à cause des effets combinés de la Charte du Québec et de la Charte canadienne des droits et libertés doivent renoncer au droit de faire recevoir à leurs enfants une instruction en anglais, si c'est leur volonté. De plus, la tendance croissante des francophones québécois à devenir unilingues limite la mobilité à l'extérieur de la province, où il y a peu d'emplois pour des francophones unilingues: Même si cela est pénible, des travailleurs des Maritimes n'ont qu'à changer leur lieu de résidence pour déménager à Toronto. Un tel déplacement ne met pas en danger la survivance de la communauté canadienne anglaise en général. Pour le Québec, un tel déplacement correspond virtuellement à une expatriation. Le bilinguisme officiel des autres provinces, un enseignement généreux dans la langue des minorités et un réseau de services de communication en langue française à travers le Canada faciliteraient la mobilité des Canadiens francophones. Les commissaires ne croient pas qu'il soit possible d'implanter partout au Canada des milieux culturels complètement bilingues, dans lesquels les francophones trouveraient une sécurité culturelle et linguistique permanente. Cependant, les ajustements permanents à l'évolution économique et la recherche d'une justice sociale exigent de fournir des services dans les langues officielles ainsi que l'aide institutionnelle qui s'y rattache partout au Canada. Cela est nécessaire pour faciliter des mouvements au moins temporaires des Canadiens francophones, afin qu'ils puissent tirer parti des possibilités d'emploi dans les diverses régions du pays, s'ils le souhaitent. De la même façon, des services correspondants en langue anglaise et une meilleure formation en français faciliteraient le mouvement des anglophones vers le Québec. Les migrations peuvent faciliter les ajustements interrégionaux et aplanir les disparités dans les emplois et les salaires. La persistance de telles disparités peut laisser entendre que ce mécanisme ne fonctionne pas bien. Certains de ces écarts traduisent cependant des préférences pour des endroits et des coûts de migration et ne sont donc pas des disparités au vrai sens du terme. Nous devons de plus émettre des réserves quant à l'opinion voulant que les déplacements tendent à égaliser les salaires. Les taux de migration sont plus élevés chez les travailleurs jeunes, les mieux éduqués et les plus productifs. Dans la mesure où ce phénomène se produit, le mouvement vers l'extérieur d'une province peut réduire, plutôt qu'augmenter, la moyenne des revenus par habitant de la population la moins bien nantie qui demeure dans cette province. Les recettes fiscales diminuant, les taux d'imposition peuvent augmenter, ou les services publics décroître. Alors que les migrations interprovinciales peuvent ne pas éliminer complètement les disparités qui persistent, étant donné ces réserves et d'autres, on peut probablement conclure néanmoins que les niveaux de mobilité que nous avons connus ont permis d'avoir des disparités régionales inférieures à ce qu'elles auraient été. Les effets des contraintes freinant l'aptitude des citoyens à se déplacer pour des motifs d'avancement et de satisfaction personnels sont tout aussi importants que les conséquences économiques des restrictions interprovinciales sur la mobilité des personnes. L'existence et la conservation d'une communauté canadienne nationale exigent que cette possibilité soit aussi grande que possible. Dans ce contexte, les commissaires concluent que le fardeau de la justification des entraves à la mobilité des personnes devrait incomber aux gouvernements qui les imposent. La politique de concurrence. L'une des raisons fondamentales de la mise en place d'une union économique est d'améliorer la concurrence économique entre les états membres. Il est donc évident que la politique de concurrence devrait être partie intégrante du débat sur les entraves aux échanges. C'est là l'approche qui a été retenue par le Traité de Rome, et qui traduit l'intention claire de lier le développement de la Communauté économique européenne non seulement à la conduite des États membres, mais aussi à celle des entreprises du secteur privé. L'article 85 interdit les ententes entre les entreprises qui affectent le commerce entre les États membres et limitent la concurrence entre les entreprises. L'article 86 interdit l'utilisation abusive par une entreprise ou plusieurs d'une situation dominante. Dans la pratique, ces clauses empêchent les entreprises privées d'imposer des restrictions au commerce analogues à celles qu'impose le secteur public, comme les droits à l'importation, les restrictions quantitatives et d'autres barrières commerciales comparables. La politique de concurrence de la Communauté économique européenne est donc tout d'abord et avant tout un instrument d'intégration économique. Dans cette perspective, elle semble avoir bien réussi, comme on s'en aperçoit à l'examen de bon nombre de décisions de la Commission européenne et de la Cour européenne de justice, qui ont rendu nuls et non avenus les accords réciproques exclusifs, les accords sur le partage du marché, la fixation de quotas de production ou de vente, la fixation des prix et diverses pratiques qui reviennent à « un abus d'une situation dominante ». Les Canadiens n'ont pas abordé la politique concurrentielle comme un instrument d'intégration économique. Dans le cadre de l'union économique, nous ne nous sommes pas attardés à la possibilité que le secteur privé érige des restrictions aux échanges. Cependant, et c'est là la conclusion d'une étude du fédéralisme canadien et de la théorie de l'intégration économique, une politique efficace de concurrence est nécessaire pour tirer parti des avantages du marché commun. Comme l'activité économique ignore les frontières provinciales, que la main-d'oeuvre, le capital et la technologie sont mobiles, il est difficile aux gouvernements provinciaux de réglementer efficacement les pratiques anticoncurrentielles. Pour être efficace, une telle réglementation devrait être fédérale. Le juge Brian Dickson de la Cour suprême du Canada a affirmé, dans l'affaire Procureur général du Canada c. Canadian National Transportation Ltd, que: Les schémas devant permettre la réglementation de la concurrence sont [...] un exemple du genre de législation qu'un gouvernement provincial ne pourrait, ni pratiquement, ni constitutionnellement, appliquer [...]. Si la concurrence doit être réglementée, ce doit être au niveau fédéral. Les justifications aux limitations. Jusqu'à maintenant, les commissaires ont traité les restrictions et les distorsions essentiellement comme si elles étaient, par nature, indésirables. On les a traitées comme des mécanismes incompatibles avec le sens de la citoyenneté canadienne, nuisibles aux citoyens, provoquant une mauvaise allocation des ressources et ralentissant l'efficacité économique. Est-ce que cela est toujours vrai? Est-ce que les Canadiens voudraient, même en principe, éliminer toute politique qui pourrait se traduire par l'établissement de limitations? La réponse est bien évidemment a non » . Il peut y avoir de nombreuses justifications aux entraves et aux distorsions. Certaines de ces justifications sont elles-mêmes liées à l'économie. Certaines limites peuvent, en réalité, corriger d'autres contraintes ou les contrebalancer. Bon nombre de politiques industrielles ont pour objet de modifier les stimulants et de diriger les investissements dans des secteurs que le marché négligerait. D'autres distorsions sont justifiées par toute une série d'objectifs sociaux et culturels qui contribuent tous à notre bien-être. Les politiques sociales redirigent donc les ressources équitablement et les règles sur le contenu canadien sont destinées à protéger notre souveraineté ou notre originalité culturelle. Au sein d'un système fédéral, l'objectif du partage interrégional, qui se manifeste au moyen des paiements de péréquation et du développement régional, implique des répartitions qui ne se font pas uniquement en fonction du marché et cela est essentiel à la négociation au sein de la Confédération. Aussi, si on veut déterminer quelles restrictions sont ou ne sont pas justifiées, il faut se lancer dans toute une série de calculs économiques et politiques complexes qui tiendraient compte des divers intérêts en jeu. En principe, les distorsions imposées par le gouvernement fédéral pourraient être plus défendables au niveau politique que celles imposées par les provinces. Si le gouvernement fédéral agit dans la perspective de l'intérêt de l'ensemble du pays, il est probable que les provinces, elles, agissent dans la perspective de l'intérêt de leurs propres résidents. En théorie, le gouvernement du Canada, qui détient ses pouvoirs de l'ensemble du pays, assure un équilibre entre les avantages et les inconvénients de ses décisions. L'électorat national peut tenir ce gouvernement responsable et il ne peut pas imputer le coût de ses mesures à d'autres juridictions. Par contre, si une province prend des mesures discriminatoires qui ont des effets néfastes ou coûteux pour les résidents d'une autre province, les résidents de celle-ci n'ont aucun moyen de tenir le gouvernement de l'autre province responsable, si ce n'est de demander à leur province de prendre des mesures de rétorsion. Une dernière raison pour aborder les distorsions fédérales de façon plus favorable est que les provinces les plus riches pourraient avoir recours aux distorsions pour augmenter leurs avantages par rapport aux plus petites et aux plus pauvres. Les mesures prises par le gouvernement fédéral devraient pouvoir rétablir l'équilibre. La pierre d'achoppement d'une telle analyse est de savoir dans quelle mesure le gouvernement fédéral est représentatif de l'ensemble du pays; les politiques électoralistes ne vont pas nécessairement dans ce sens. Ce sont, en partie, des inquiétudes de cet ordre qui conduisent les commissaires à recommander que, lorsqu'on utilise les institutions nationales, cet équilibre régional soit au centre des préoccupations. Faut-il prendre une orientation différente en ce qui concerne les limitations imposées par les provinces? Nombreuses sont celles qui sont par nature implicites au fédéralisme canadien, avec ses multiples gouvernements. Dans de nombreux cas, la création de restrictions au commerce ou à la mobilité est un sous-produit de législations conçues pour atteindre des objectifs provinciaux louables et pour satisfaire aux diverses demandes légitimes ou aux préférences des électorats provinciaux. Ainsi, les provinces peuvent établir des législations sur les normes des produits, afin de protéger les consommateurs. Ces normes peuvent bien varier d'une province à l'autre, en fonction de facteurs importants au niveau régional, comme le climat ou les cultures, par exemple. Il reste bien sûr difficile de juger si une réglementation provinciale répond à des besoins locaux ou si c'est une forme déguisée de discrimination contre les producteurs d'autres provinces. Ainsi, des lois plus strictes pour la protection de la consommation dans une province peuvent freiner le commerce; elles ne sont cependant pas discriminatoires en autant que les mêmes règles s'appliquent aux producteurs du marché intérieur et aux producteurs des autres provinces. Il faut alors se livrer à un examen cas par cas et les commissaires proposeront un mécanisme pour procéder de cette façon. Un tel examen doit tenir compte de facteurs tels que la valeur comparative de l'uniformité et de la diversité, ainsi que l'objet de la réglementation par rapport à ces effets, et peser tous ces éléments dans la balance. De façon plus générale, les variations provinciales, quant aux exigences concernant l'enseignement, l'hygiène ou les normes des produits, peuvent entraver le mouvement interprovincial des biens, des capitaux et des personnes. Pour les entreprises qui mènent leurs activités dans plusieurs provinces ou dont les activités sont régies à la fois par les provinces et le fédéral, l'existence d'un grand nombre de règlements, même s'il n'y a pas d'écart important entre eux, aurait les mêmes coûts. Ainsi: C-I-L est un employeur typique à l'échelle nationale [...]. Les relations de travail au sein de C-I-L sont donc soumises à 12 des 13 juridictions (y compris la juridiction territoriale) qui régissent le travail. Le transfert d'un employé d'une province à une autre, ou d'une partie de nos activités à une autre partie, même sans déménagement géographique, peut modifier sensiblement les règles. C-I-L pense que cela ajoute inutilement des coûts et de la complexité à nos affaires, que les employés n'en tirent aucun bénéfice et que cela nuit à la productivité. La plupart des restrictions provinciales correspondent en fait à un effort de promotion du développement économique provincial. La Constitution prévoit de telles activités et les provinces y sont d'ailleurs mêlées depuis les premiers jours de la Confédération. Les électeurs attendent des gouvernements provinciaux qu'ils travaillent à la promotion du développement économique de la province pour encourager de nouvelles entreprises, pour venir en aide à la diversification et pour maintenir l'emploi. C'est dans ce sens que nous parlons d'économies provinciales, ainsi que d'économie nationale. Les politiques conçues pour contourner ou annuler les effets des politiques fédérales sont beaucoup plus problématiques, ainsi que celles qui sont conçues pour exercer une discrimination à l'endroit des résidents d'autres provinces. Les provinces qui disposent de ressources plus importantes peuvent se trouver dans une meilleure situation dans la course à l'obtention de capitaux et d'investissements que celles qui sont moins bien nanties. Dans la mesure où les investisseurs peuvent comparer un gouvernement à un autre, ils peuvent obtenir des avantages sous forme de subventions qui vont au-delà du rationnel économique, de concessions de politique salariale, ou encore de concessions pour la protection de l'environnement allant jusqu'au niveau du dénominateur commun le plus bas. C'est là un phénomène international aussi bien que national. Cela peut avoir pour résultat le classique « dilemme du prisonnier »: toutes les provinces ont intérêt à coopérer pour harmoniser leurs politiques, mais chacune d'entre elles est tentée de tricher dans son propre intérêt à court terme. Les provinces peuvent arriver à passer des ententes profitables pour toutes, si elles s'abstiennent de prendre des mesures qui ne leur sont qu'individuellement avantageuses. Ces ententes seraient par contre mutuellement destructives si toutes les provinces devaient prendre des mesures de rétorsion. De telles ententes sont cependant fort instables. Il y a toujours le leurre des avantages à court terme et l'illusion que, peut-être, les autres ne s'apercevront pas des mesures prises. Les recommandations des commissaires sont conçues pour réduire la possibilité que les gouvernements adoptent de tels modèles de comportement. Le fédéralisme justifie des variations entre les provinces, en réponse à des préférences locales; il ne justifie pas une discrimination volontaire contre les autres provinces. Il faut équilibrer le besoin de tenir compte de la diversité des préférences, qui prêche en faveur de la décentralisation, par des objectifs tirés du commerce, qui prêchent en faveur d'une plus grande centralisation ou d'une uniformité des politiques. Comme presque tous les exemples ci-dessus le laissent entendre, c'est entre des considérations interpersonnelles et interrégionales que les conflits apparaissent. Les commissaires recommandent la mise en place d'un processus politique qui permettrait aux Canadiens de faire la distinction entre des préférences légitimes et une discrimination délibérée, et d'aider à évaluer les avantages des pratiques légitimes ainsi que les coûts qu'elles peuvent imposer à l'union économique. L'évaluation de l'effet des limitations. Nous n'ignorons pas les réalités politiques qui se cachent derrière ces restrictions, établies pour régler certains problèmes, mais nous devons aussi reconnaître qu'elles sont causes d'ennui pour autrui et vont à contre-courant des réalités. Les commissaires sont d'accord avec cet énoncé, mais cela ne veut pas dire qu'ils sont d'avis que le Canada est déjà balkanisé sans espoir de retour. Il semble que les coûts directs des restrictions interprovinciales au commerce actuellement en place, soient minimes. Il existe beaucoup de limitations au commerce interprovincial et à la mobilité des facteurs, mais leurs effets quantitatifs sur le niveau de l'activité économique au Canada ne sont pas suffisants pour justifier la demande d'une réforme en profondeur. Il y a aussi - au moins pour l'instant - une harmonisation importante entre les provinces dans des domaines comme l'imposition et la réglementation de l'assurance et des activités boursières, c'est-à-dire dans les domaines où le rendement économique fait fortement appel au bon sens pour la mise en place d'une telle coordination. Néanmoins, on s'est toujours inquiété sur l'état de l'union économique canadienne depuis au moins l'ère de la Commission royale sur les relations fédérales-provinciales (la Commission Rowell-Sirois), dans les années 1930. Nous devons aborder la nature de ces inquiétudes et nous pencher sur les réponses institutionnelles à y apporter. Il y a au moins deux explications possibles sur les craintes concernant les effets des entraves internes au commerce. Tout d'abord, les coûts sont minimes, parce que les restrictions sont limitées et la coopération et la coordination interrégionales encore importantes. Les coûts économiques pourraient facilement et rapidement devenir plus substantiels. Le processus d'effilochement, une fois entamé, pourrait aller fort loin. Il n'est pas facile d'évaluer la validité de cette inquiétude. Indubitablement, plus les contraintes augmentent, plus les pertes économiques se multiplient et pourraient devenir importantes. La question est de savoir si les gouvernements canadiens s'aventureraient dans un tel processus de destruction mutuelle. L'ouverture restreinte de la plupart des économies provinciales limite ce type de comportement, parce que les coûts de la plupart des contrôles sont, en fin de compte, à la charge des résidents de la province qui les impose. Cependant, ce genre de comportement est sûrement possible, même si les participants savent, dans une certaine mesure, qu'à long terme chacun en souffrira. En second lieu, certains observateurs pourraient soupçonner les études économiques de ne pas avoir réussi à mesurer tous les coûts de la fragmentation du marché. Par exemple, personne n'a mesuré les coûts additionnels des accords imputables à l'existence de nombreux codes du travail ou de la construction, en les comparant à ce qu'ils seraient s'il n'y en avait qu'un. De la même façon, nous ne sommes pas en mesure de savoir si des facteurs, comme la non-transférabilité des régimes de retraite, ralentissent ou même empêchent la mobilité des personnes, avec les coûts que cela entraîne pour l'union économique. Il semble, au premier abord, que cela ait relativement peu d'importance. En fait, cela pourrait être beaucoup plus important qu'on ne le croit, en particulier pour les producteurs qui commercialisent des produits et des services à travers tout le pays. Les producteurs les plus touchés sont ceux qui offrent des approvisionnements ou des services aux provinces, à leurs agences ou aux institutions régies par les provinces. Ce modèle de comportement est compatible avec les témoignages recueillis lors des audiences de la Commission. Si relativement peu d'intervenants ont soulevé la question des restrictions, ceux qui l'ont fait y ont vu un problème crucial, décrivant les grandes difficultés qu'ils éprouvent à contourner des entraves qui ralentissent les ventes à travers le pays. Certains ont même prétendu qu'il semble parfois plus facile de développer des marchés à l'étranger qu'au Canada. Nous ne savons pas combien d'entreprises n'ont pas essayé de résoudre ces difficultés, ou ont hésité à maintenir une présence active dans d'autres provinces canadiennes, de crainte de ne pas avoir accès continuellement à ces marchés. Les recherches menées à ce jour ne nous révèlent pas si les restrictions actuelles ont influencé les entreprises les plus petites ou les moins efficaces dans leur décision de s'attaquer à ces marchés. La logique peut laisser croire que c'est le cas. Les commissaires espèrent que l'efficacité de l'union économique canadienne peut améliorer la position concurrentielle du Canada dans l'économie internationale. S'il en est ainsi, il faudrait se livrer à d'autres analyses. Il est possible, comme les analystes de « la courbe d'expérience» l'ont suggéré en ce qui concerne les industries de transformation, que les entreprises capables d'augmenter rapidement leur production de nouveaux produits acquièrent des avantages importants, et ce, en prenant pour hypothèse que certains des coûts unitaires de production diminueront quand la production augmentera. Un document de recherche préparé pour cette Commission évoque quelques-unes de ces considérations: La vitesse à laquelle une entreprise peut continuer à doubler sa production dépend de l'avance qu'elle a sur ses concurrents, de l'envergure de son marché et de la facilité avec laquelle elle le sert. Un petit marché limite la vitesse à laquelle la production peut être augmentée et impose des limites sévères sur la taille maximum de la production qu'on peut obtenir. Si l'entreprise concurrence des entreprises étrangères qui ont accès à des marchés beaucoup plus importants et peuvent accumuler leur production beaucoup plus rapidement, on peut s'apercevoir que les petits marchés représentent un obstacle impossible à franchir si l'on veut faire de la concurrence au niveau international. Ainsi, les gains prévus ou prévisibles justifient également qu'on reste constamment vigilant à l'égard des restrictions interprovinciales au commerce. Enfin, tous les coûts de ces restrictions ne sont pas de nature économique. Qu'un producteur canadien trouve plus facile de vendre aux États-Unis ou dans d'autres pays étrangers que dans une autre province ne cadre pas avec le plein développement de notre communauté nationale. Les réactions aux limitations: vers un code de conduite économique. Les considérations précédentes ont amené les commissaires à d'importantes conclusions sur l'état des limitations internes et de l'union économique du Canada. Tout d'abord, malgré des manifestations récentes d'inquiétude sur la balkanisation et la fragmentation progressives de l'économie, l'union économique canadienne fonctionne néanmoins, de façon efficace en général. Les biens, les capitaux, les services et les personnes se déplacent relativement librement au sein du marché économique canadien. Par contre, il y a pourtant un nombre assez important d'entraves à la libre circulation et de nombreuses distorsions agissent sur le marché commun. Si, à un niveau général, les pertes de production économique imputables à ces distorsions semblent assez minimes, les commissaires ne croient pas que cette perte de production permette d'évaluer pleinement le problème; de nombreuses entreprises canadiennes et de nombreux particuliers signalent en fait que ces politiques leur posent d'importants problèmes. Outre l'analyse économique, l'analyse politique pour un droit national à la libre circulation offre un attrait puissant à la plupart des Canadiens. Qu'un producteur trouve plus facile de vendre dans un autre pays que dans une autre province heurte notre sens de l'identité canadienne. Les commissaires estiment également que les effets de ces distorsions - et le besoin d'une coordination efficace des politiques économiques - augmenteront probablement au fur et à mesure que les Canadiens seront confrontés à une concurrence plus forte venant de l'extérieur. Dans ces conditions, nous, les Canadiens, devrions arriver à des ententes internes qui stimuleraient la capacité de concurrence au niveau international et faciliteraient l'ajustement. Les obstacles en place sont souvent justifiés au nom des valeurs importantes. Le fédéralisme et la réponse des gouvernements aux préférences locales impliquent nécessairement que les politiques diffèrent souvent d'une juridiction à l'autre. Cela se traduira par un manque d'harmonisation, en particulier quand divers gouvernements canadiens mettront en place des solutions nouvelles à des problèmes nouveaux. Des objectifs économiques, sociaux et culturels importants peuvent justifier les interventions des gouvernements qui affectent directement ou indirectement la libre circulation des facteurs. L'engagement à la redistribution des revenus et à l'égalité des chances - sur lesquelles on insiste dans ce Rapport - justifient quelques-unes des restrictions fédérales. Aussi, dans certains cas particuliers, le défi n'est pas d'éliminer un obstacle, mais plutôt d'équilibrer les avantages économiques de la libre circulation avec d'autres objectifs auxquels les Canadiens peuvent tenir. Les choix ne sont pas uniquement entre l'efficacité économique et la diversité politique ou l'autonomie provinciale au sein de la fédération, car le fédéralisme canadien implique également une communauté à la dimension du Canada et qui a ses propres exigences. De plus, comme on le voit dans la Charte canadienne des droits et libertés, les droits des individus ont des implications pour l'union économique. L'existence même de notre union économique canadienne signifie non seulement que le libre marché devrait pouvoir fonctionner, mais aussi que les gouvernements doivent pouvoir prendre des mesures positives pour faciliter le fonctionnement de ce marché, venir à bout de ses imperfections, parvenir à la stabilité et poursuivre des politiques sociales et industrielles efficaces. Cette union économique implique également un vaste partage régional des avantages de l'intégration économique. Cet élément laisse voir à son tour le besoin de mesures positives de coopération et de coordination, tout autant que celui d'une réglementation efficace des restrictions qui entravent la libre circulation. Les suggestions de la Commission pour l'avenir tiennent compte de toutes ces considérations. L'article 121. L'article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 apporte un appui fondamental à la libre circulation interne du commerce des biens. On doit le prendre plutôt comme une clause d'union douanière que comme une clause de marché commun. Il est remarquable de constater que les tribunaux ont fait peu souvent usage de cet article, ce qui explique qu'on ne dispose pas d'une certitude absolue quant à son applicabilité aux barrières non tarifaires (BNT) interprovinciales et au commerce des services. Si l'on disposait d'une formulation plus rigoureuse de cet article, on pourrait alors prétendre que plusieurs ententes politiques et administratives reposent fondamentalement sur ces clauses formelles, juridiques, exécutoires et constitutionnelles. Au cours des dernières années, cette logique en a conduit plusieurs à faire des propositions bien spécifiques dans cette perspective. Les commissaires sont, eux aussi, d'avis qu'il faudrait renforcer la protection constitutionnelle de l'union économique; cela devrait se faire au moyen d'un amendement à la Constitution, si une interprétation judiciaire prochaine ne vient pas entériner une interprétation au sens large de l'article 121. Une protection constitutionnelle contre les barrières tarifaires devrait englober tout autant les services que les biens. En recommandant une telle modernisation, nous sommes donc d'accord avec les recommandations formulées par d'autres commissions et groupes de travail antérieurs qui ont également songé à améliorer l'efficacité de l'union économique. Nous sommes toutefois conscients du besoin d'équilibrer l'efficacité de l'union économique canadienne et les autres intérêts de la fédération. Nous sommes également pleinement conscients du fait que les tribunaux sont limités quand ils délibèrent sur des questions économiques. Ces difficultés ou ces limitations sont particulièrement importantes quand il s'agit de barrières non tarifaires, lorsque des considérations économiques et politiques complexes se présentent simultanément. Étant donné ces considérations et notre incertitude actuelle devant l'ampleur et l'importance des barrières non tarifaires (BNT), nous suggérons qu'avant la rédaction d'un amendement constitutionnel formel, on procède à la mise au point de lignes directrices sous la forme d'un code de conduite économique. Cet amendement, quant à lui, pourrait également prendre la forme d'un ajout à l'article 121 pour traiter des barrières non tarifaires touchant les biens ou les services. Le code de conduite économique. Afin d'être capables de faire des choix éclairés entre des valeurs concurrentes, les gouvernements du Canada devraient s'efforcer de mettre au point un « code de conduite économique ». Celui-ci commencerait par préciser les politiques et les pratiques acceptables ou non dans le cadre de l'union économique canadienne. Cependant, les commissaires ne recommandent pas, pour plusieurs raisons, d'incorporer ce code à la Constitution. L'une des raisons est que nous émettons des réserves sur le fait de confier davantage de responsabilités aux tribunaux dans un domaine où il semble qu'il faille souvent faire des choix politiques et économiques complexes. De nombreuses pratiques qui ont retenu l'attention, au titre de l'union économique, se situent dans des zones grises que même un article 121 renforcé aurait du mal à bien cerner. On prétend également que les mesures gouvernementales discriminatoires se situent souvent au niveau administratif ou dans des pratiques informelles non touchées par la loi. Elles sont difficiles à identifier et à contrôler au moyen de mécanismes juridiques. Nous pensons qu'un code de conduite économique pourrait traiter ces questions de façon plus efficace. Les commissaires ont mis l'accent sur le besoin de choix complexes et sensés: les « barrières » ne sont ni blanches ni noires. Les pays qui, comme l'Australie, ont des règles constitutionnelles très strictes quant au fonctionnement de leur marché commun, ont constaté que les gouvernements des deux niveaux étaient souvent frustrés. Malgré leur bonne volonté, les juges sont mal outillés pour trancher sur des choix de ce genre. Leur rôle est de décider si une action donnée est acceptable ou non: il ne leur est pas facile de suggérer des compromis ou des modifications à apporter à un programme. Ils n'ont pas le mandat de faire des propositions de programmes destinées à promouvoir un développement favorable de l'union économique, qui, nous le croyons, est nécessaire. Les tribunaux n'ont pas non plus le pouvoir de juger de leur propre chef des cas qui pourraient faire jurisprudence: ils ne peuvent trancher que sur ceux qui leur sont présentés. De plus, nos traditions juridiques n'ont pas mis l'accent sur le genre de preuve et d'analyse qui conviendrait au type de prise de décision que nous entrevoyons. Un code de conduite économique est un concept relativement nouveau. Il faudrait aborder de nombreuses questions et nous aurions certainement besoin de nombreuses expériences avant qu'il soit au point. Cela milite en faveur d'un processus d'implantation circonspect et progressif. De l'avis des commissaires, non seulement il ne serait pas souhaitable de tenter de rédiger et de constitutionnaliser un code maintenant, mais l'exercice se diluerait presque certainement dans le processus d'amendement constitutionnel. Si l'on devait formuler aujourd'hui un code constitutionnalisé, il comprendrait probablement tellement d'options de retrait, de clauses nonobstantes et d'exemptions qu'il pourrait peut-être ne servir qu'à légitimer ce qu'il était destiné à prévenir. Il ne serait pas non plus facile de modifier ou d'adapter un code constitutionnel en fonction de l'évolution des circonstances. C'est pourquoi nous recommandons de négocier un code de conduite économique plus informel. Les gouvernements du Canada pourraient élaborer un code qui cernerait les principes de l'union économique, commencerait à préciser et à décrire les pratiques acceptables ou non, et fournirait des mécanismes permettant de l'appliquer. Nous croyons qu'il conviendrait éventuellement d'incorporer les principes du code dans la Constitution, même si nous avons conclu que la mise en vigueur des détails du code serait probablement plus efficace avec l'aide d'une commission spécialisée sur l'union économique. Il ne revient pas aux commissaires de faire une proposition détaillée d'un code de conduite économique. Cependant, en nous appuyant sur nos consultations et nos travaux de recherche, et dans le cadre de nos conclusions sur les perspectives de développement du Canada, nous proposons à la réflexion plusieurs lignes directrices d'ordre général: - Le point de départ serait que le « fardeau de la preuve » incombe à l'autorité qui impose la restriction. Notre hypothèse est en faveur de l'union économique. Des déviations par rapport à ce modèle devraient être justifiées publiquement. - Le code devrait confirmer les principes généraux de l'union économique applicables aux gouvernements fédéral et provinciaux. Ces principes devraient comprendre: - La réduction des limitations à la circulation du capital, de la main-d'oeuvre, des biens et des services dans tout le Canada; - La non-discrimination contre les personnes (physiques et morales) d'après leur province de résidence; - L'engagement à minimiser les coûts des programmes provinciaux qui peuvent toucher les résidents d'autres juridictions et à tenir auparavant des consultations dans ce but; - La reconnaissance du besoin d'une infrastructure efficace de transport, de communications et d'information pour fournir une aide réelle au développement économique national qui apporterait des bénéfices régionaux importants. - Le code devrait également tenter de cerner les grands domaines de politique dans lesquels les réductions d'entraves au commerce intérieur pourraient être les plus efficaces. Il faudrait s'intéresser non seulement à la forme des entraves (politiques d'achat, subventions, etc.) mais également aux effets ou aux conséquences attendus. Les commissaires fondent cette conclusion sur leurs observations, selon lesquelles il est possible de trouver des substitutions aux diverses restrictions, et sur les grandes différences qui existent entre la taille des provinces, leur développement économique et leur capacité à nuire aux autres provinces ou à leurs résidents. Nous proposons que l'on s'intéresse en premier lieu aux obstacles qui empêchent les entreprises canadiennes de devenir concurrentielles au niveau international . Au départ, les gouvernements devraient négocier le code; celui-ci devrait être également renforcé par l'action du public et des gouvernements. Le processus intergouvernemental (comprenant en dernier ressort la réforme des institutions nationales recommandée par les commissaires) devrait offrir le forum adéquat pour traiter au niveau politique des restrictions intérieures au commerce. Quand les Canadiens connaîtront bien le fonctionnement du code, il faudra alors enchâsser ses principes dans la Constitution et donner force de loi à ses détails, grâce à une forme d'entente intergouvernementale qui pourrait donner naissance à une commission d'experts nommée par les gouvernements fédéral et provinciaux et qui serait chargée d'en assurer l'application. L'instrument le plus important pour mettre au point le code de conduite économique et assurer sa mise en place, devrait être le Conseil fédéral-provincial des ministres du développement économique, rallié à la Conférence des Premiers ministres. Ce conseil ministériel pourrait recevoir l'aide d'une commission fédérale-provinciale sur l'union économique canadienne formée d'un groupe d'experts nommés par le Conseil. Il incomberait à cette commission de préparer, sur demande, des documents nécessaires au Conseil, de faire des recherches sur l'état de l'union économique et les méthodes pour l'améliorer, de recevoir les plaintes des intervenants du secteur privé, y compris les groupes, les particuliers et les entreprises touchés par les mesures gouvernementales qui menacent cette union économique, d'enquêter et de faire rapport sur ces mesures et d'émettre des recommandations auprès du public et du conseil ministériel. Pour la mise en oeuvre du code, les commissaires proposent la procédure suivante: le Conseil demanderait aux gouvernements fédéral et provinciaux de dresser la liste de toutes les restrictions imposées par les autres gouvernements qui, à son avis, gênent les individus et nuisent à une économie provinciale ou à l'économie nationale. Chaque gouvernement défendrait alors ceux de ses programmes qui seraient identifiés comme tels. La Commission d'experts sur l'union économique canadienne analyserait les limitations selon leur justification, relèverait les violations des principes de l'union économique et recommanderait d'incorporer des éléments précis au code proposé. Il reviendrait alors au conseil des ministres du développement économique d'agir d'après ce rapport. Un tel processus serait en réalité assez comparable à celui qui est utilisé pour la négociation de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Cette procédure offre plusieurs avantages. En effet, pour mettre ce code au point, il faudrait montrer aux gouvernements les effets des interactions des politiques et les effets mutuellement destructifs des réglementations qui créent une situation dont personne ne profite. L'expérience acquise avec la pratique du code devrait d'ailleurs permettre d'augmenter l'intérêt pour son application. Le fait de traiter continuellement ces questions devrait aider à convaincre les gouvernements des avantages possibles de la coopération. Les tentatives de « tromperie » ou de mise en application de nouvelles politiques discriminatoires, devraient alors se révéler moins tentantes lorsque les diverses parties prendront conscience qu'elles doivent rendre des comptes si elles enfreignent le code. Ce conseil serait en même temps un forum où les deux objectifs de réglementation des restrictions et de coordination de politique positive, seraient intégrés. Peser le pour et le contre entre l'union économique et les autres objectifs s'avère être un processus essentiel qui devrait se dérouler dans un forum politique. Comme les politiques en cause sont celles qui relèvent des deux paliers de gouvernement, le moyen approprié serait un organisme intergouvernemental. Celui-ci devrait toutefois, pour plusieurs motifs, recevoir des conseils de la Commission d'experts sur l'union économique proposée par les commissaires. Il reste beaucoup de recherches et d'enquêtes à effectuer en cette matière. Cette tâche serait probablement mieux assumée par un groupe qui disposerait des compétences nécessaires et serait, néanmoins, étroitement lié au processus politique. Cette commission fédérale-provinciale sur l'union économique pourrait être composée d'experts indépendants nommés par le conseil des ministres. Les membres ne seraient pas des fonctionnaires des gouvernements fédéral ou provinciaux, pas plus qu'ils n'agiraient comme délégués ou représentants de ceux-ci. En second lieu, l'implication de personnes, dont la principale motivation serait d'améliorer l'union économique, ferait rentrer dans le processus des participants dont les intérêts ne seraient pas liés aux gouvernements. Cette indépendance par rapport aux responsabilités gouvernementales devrait leur permettre, si besoin est, de mieux donner « le signal d'alarme ». Plus important encore, ces experts formeraient un groupe très stimulé prêt à chercher des solutions de remplacement originales ou nouvelles, ce que les gouvernements ont de la difficulté à réaliser, lorsqu'ils sont parfois liés par leurs propres intérêts bureaucratiques et leur désir de satisfaire leur clientèle. Le rôle de la commission, qui consiste à recevoir les plaintes et à mener les enquêtes, serait fondamental. Il ouvrirait en effet la voie aux particuliers et aux groupes extérieurs au gouvernement et leur permettrait de faire directement part de leurs inquiétudes et récriminations sur les questions de relations intergouvernementales. De cette façon, les entraves au fonctionnement de l'union économique pourraient être étudiées à fond. Le fait que la commission ferait rapport publiquement de ses conclusions contribuerait à rehausser ses responsabilités. Les gouvernements qui pratiquent des politiques discriminatoires seraient plus régulièrement mis sous le feu des projecteurs. Pour le moins, une telle entente obligerait les gouvernements à justifier leurs activités. Les commissaires pensent qu'en soi, cela serait une assurance plus efficace que les ententes actuelles. Si, après une période de probation, les principes acceptés étaient éventuellement violés, la commission proposée ici pourrait jouer un rôle plus formel d'arbitre. Elle pourrait, par exemple, devenir une agence de réglementation, mais une agence réglementant les gouvernements. Ce serait là une expérience dans le domaine des lois administratives pour laquelle il y a peu de précédents au Canada. C'est pourquoi il conviendrait peut-être mieux, et cela cadrerait davantage avec nos traditions, que ce soit à la Cour suprême d'appliquer un code formel. Les commissaires croient cependant qu'il vaudrait mieux choisir un organisme spécialisé, car celui-ci permettrait d'éviter certains des problèmes qu'il faut affronter face à des décisions d'ordre juridique, comme on l'a évoqué précédemment. Les commissaires signalent enfin que le gouvernement fédéral a un rôle particulier à jouer dans la protection de l'union économique. Sa fonction de gouvernement national signifie qu'il doit d'abord s'intéresser à la santé de l'ensemble, et qu'il doit donc constamment veiller au développement de toutes sortes de liens positifs entre les Canadiens. Nous aborderons ailleurs dans ce Rapport et de façon plus détaillée les façons d'y parvenir. Contentons-nous ici de signaler quelques-uns des instruments disponibles. Il serait possible de fixer des conditions aux programmes à coûts partagés comme le Régime d'assistance publique du Canada ou la Loi sur la santé qui assureraient la transférabilité, l'accessibilité et la non-discrimination aux résidents d'autres provinces. De telles mesures pourraient également servir dans d'autres programmes à coûts partagés plus directement reliés à l'emploi, comme, par exemple, la formation, la création d'emplois et les ententes sur le développement économique régional (EDER). L'aide que peut apporter le fédéral en faveur d'un enseignement bilingue et l'amélioration de ses propres capacités à fournir des services en français sont également des moyens importants pour faciliter la mobilité. L'administration fédérale des lois provinciales de l'impôt sur le revenu, en vertu des Accords de recouvrement d'impôt, est aussi un instrument efficace. De façon plus générale, le développement du pouvoir fédéral dans le domaine des échanges et du commerce interprovincial pourrait aider à assurer le fonctionnement efficace de l'union économique. Les commissaires s'intéressent à ces questions et à celles des politiques économiques qui s'y rattachent dans d'autres parties de ce Rapport. La gestion économique et le fédéralisme. L'union économique canadienne ne s'arrête pas qu'au rôle essentiellement négatif du gouvernement que les commissaires ont décrit lors de leurs discussions sur les restrictions intérieures du commerce. Les gouvernements assument toute une variété de fonctions en gérant l'économie. Le caractère régional de l'économie canadienne et le partage des pouvoirs dans la Constitution définissent quels gouvernements assument ces fonctions, les valeurs et les objectifs qu'ils poursuivent. Comment les dimensions fédérales de notre société et de nos institutions ont-elles affecté l'aptitude de l'état canadien à gérer l'économie et à promouvoir une performance économique soutenue? Comment réconcilions-nous les réalités d'une autorité divisée et partagée avec les besoins économiques et sociaux du pays et de ses régions? Prévoyons-nous des défis économiques qui exigeront de notre part des modifications de ces institutions et pratiques du fédéralisme? Cette Commission est arrivée à la conclusion que le contexte international exercera davantage de pressions sur les Canadiens, augmentera la concurrence et fera apparaître des problèmes importants pour l'ajustement des travailleurs, des sociétés, des secteurs et des régions. L'émergence d'une gamme encore plus large de revendications des droits, nombre d'entre eux étant des droits de nature économique, fera apparaître de nouvelles contraintes sur la définition des politiques économiques. Nous, commissaires, avons également fait ressortir les orientations des politiques fondamentales que nous croyons essentielles au succès des relations du Canada avec le reste du monde. Nous souhaitons assurer au Canada l'accès à l'économie mondiale et espérons faire valoir plus énergiquement les intérêts canadiens. Nous mettons l'accent sur la nécessité impérieuse d'un ajustement permanent qui exigera, dans tous les domaines de l'économie, souplesse, innovation et capacité d'adaptation. Plus que par le passé, nous croyons que les Canadiens doivent se fier davantage aux stimulants et aux lois du marché, et accorder moins d'importance à certaines formes d'interventions du gouvernement, spécialement dans la répartition des ressources rares. Nous insistons également pour que des politiques sociales efficaces amortissent les coûts d'ajustement pour les particuliers et fournissent aux Canadiens de meilleurs outils pour tirer parti des nouvelles possibilités. Les politiques macro-économiques sont essentielles quand on veut offrir un cadre plus stable qui permette aux entreprises de croître. La politique industrielle doit faciliter l'ajustement et l'adaptation, grâce à des systèmes adaptés d'enseignement et de formation, de fonctionnement des marchés financiers du travail et d'innovation technologique. Les Canadiens doivent modérer et contenir les inévitables pressions politiques qui ont trop souvent fait de la politique industrielle un processus qui freine plutôt que de faciliter le changement. Le rôle de la répartition et de la stabilisation que le gouvernement assure depuis longtemps est essentiel. Il en est de même de l'inquiétude traditionnelle en ce qui concerne la distribution non seulement entre les groupes identifiés par classe, par âge ou par sexe, mais également entre ceux qui sont définis par région ou par province. Dans une période d'évolution rapide et d'incertitude, la façon dont les Canadiens partagent les inconvénients et les avantages de l'ajustement est une question politique fondamentale. Il est probable que de nouvelles responsabilités viennent s'ajouter à l'importance des gouvernements canadiens. Des forces internationales imposeront une articulation plus efficace des intérêts nationaux du Canada à l'étranger. D'ici là, nous devrons travailler plus fort pour gérer les effets internes des évolutions internationales. Les gouvernements seront également confrontés à de plus fortes pressions pour réagir aux divisions sociales imputables à la complexité croissante de la société industrielle. Les commissaires croient que, devant une société en même temps plus fragmentée à l'intérieur et plus ouverte au niveau international, les gouvernements devront essayer de renforcer le sens d'appartenance à une communauté nationale des Canadiens ainsi que celui d'obligations mutuelles qui seront la contrepartie des droits particuliers à chaque citoyen. Les Canadiens peuvent poursuivre ces finalités politiques, sociales et économiques à travers les gouvernements fédéral et provinciaux, chacun travaillant dans son propre domaine de juridiction et coopérant dans les domaines où l'action doit être coordonnée. Des débats politiques au sein du fédéralisme sont en même temps des débats sur ce qui devrait être fait et par qui ce devrait être fait. Ils deviennent également de plus en plus des débats sur la façon dont les deux niveaux de gouvernement peuvent exercer leur pouvoir formel afin d'accroître la cohérence des politiques et de réduire les coûts de la duplication des services. Le fédéralisme et l'économie: les résultats obtenus. De quels moyens disposons-nous, les Canadiens, pour adapter le fédéralisme aux défis actuels et futurs? Nous pouvons répondre en partie à cette question en observant les résultats obtenus dans le passé. Au moment de la Dépression, et après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux observateurs semblaient croire que le fédéralisme était peut-être une institution dépassée et que c'était une structure qui freinait l'aptitude de l'État à répondre aux nouvelles inquiétudes de l'économie industrialisée moderne. Il semblait alors que l'échec enregistré face aux perturbations massives de la Dépression était une preuve suffisante de la validité de cette opinion. Des opposants prétendaient tout d'abord que le fédéralisme mettait l'accent sur des communautés définies en termes territoriaux et sur des différences culturelles; il semblait ne pas bien cadrer avec les tendances modernes qui réduisaient le poids de ces différences, accentuaient l'importance des valeurs et des cultures nationales aux dépens des locales, et percevaient les divisions politiques sur la base de distinctions économiques plutôt que territoriales. En second lieu, l'évolution de l'organisation économique, en particulier l'apparition d'importantes sociétés opérant à l'échelle nationale et dans une plus grande mesure encore à l'échelle internationale, dépassait l'aptitude de petites unités politiques à assurer l'intérêt public. En troisième lieu, de façon plus importante, les nouvelles fonctions des gouvernements, gérer l'économie et construire un état-providence, semblaient exiger une centralisation. Par exemple, le nouvel accent accordé aux politiques de stabilisation signifiait pour certains analystes que les pouvoirs de taxation devaient être concentrés dans les mains d'une autorité politique plutôt que dispersés entre plusieurs. L'État-providence, avec son idéal de norme nationale, semblait également impliquer un besoin semblable de concentration. Seul le gouvernement fédéral pouvait mobiliser suffisamment de ressources pour venir à bout des disparités concernant les aptitudes des gouvernements provinciaux à assumer leurs responsabilités dans le domaine social. Plusieurs étaient d'avis que seul le gouvernement fédéral pouvait assumer un rôle de redistribution efficace entre les personnes et les régions. L'expérience vécue au cours des années 1930 avait convaincu de nombreux Canadiens que les rigidités de notre système fédéral rendaient le gouvernement incapable d'affronter ces nouvelles tâches. Une bonne part des critiques allaient aux tribunaux qui avaient rendu nuls les efforts d'innovation du gouvernement - en particulier ceux du New Deal du Premier ministre R.B. Bennett en 1935 - pour répondre à ces nouveaux besoins. D'autres encore accusaient les provinces de se servir du fédéralisme comme d'un écran servant à camoufler l'esprit de clocher des leaders et la défense des droits acquis. Tout cela explique qu'on ait voulu alors procéder à une révision constitutionnelle en profondeur afin de réformer le fédéralisme. Cette réforme a été effectuée, mais tout en restant pour l'essentiel dans l'esprit du fédéralisme et de la conservation des identités et des intérêts régionaux. Le Livre blanc de 1945 sur l'emploi et le revenu contenait l'engagement fondamental d'Ottawa à la stabilisation, à la gestion de la demande et à la participation à un ordre économique international ouvert. Il définissait le rôle dominant du gouvernement fédéral dans la gestion économique. La centralisation relative des ententes fiscales d'après-guerre allait dans ce sens. Le gouvernement fédéral a assuré un rôle prédominant dans le système canadien de sécurité sociale, grâce à des amendements constitutionnels, tels que ceux qui ont institué l'assurance-chômage en 1940 et les pensions de vieillesse en 1951; son pouvoir de dépenser dans l'attribution d'allocations familiales et dans la mise en place de programmes à frais partagés sur la santé, le bien-être ou d'autres domaines, a également beaucoup ajouté au rôle social du fédéral. La péréquation et, plus tard, les programmes de développement régionaux lui permettaient d'élargir ses responsabilités dans le domaine de la redistribution interrégionale. Les provinces, malgré la croissance des responsabilités fédérales, ont également été des intervenants de premier plan dans de nombreux domaines vitaux pour la gestion économique comme par exemple l'éducation, la santé, les services sociaux, la santé et la sécurité au travail ainsi que les relations de travail. Les gouvernements provinciaux ont souvent fait preuve d'imagination et d'efficacité pour répondre à de nouvelles demandes. Ils ont construit des écoles, des universités, des hôpitaux et toute l'infrastructure nécessaire pour faire face à la croissance colossale des zones urbaines. Pendant l'essentiel de la période d'après-guerre, les revenus et les dépenses des gouvernements provinciaux ont augmenté plus rapidement que ceux du gouvernement fédéral. Les gouvernements des deux niveaux ont donc connu la croissance. Une bonne partie de ce qui a été réalisé à cette époque impliquait un mélange original d'initiatives du fédéral et d'appui financier des administrations provinciales. Cette évolution a permis aux gouvernements provinciaux de disposer d'une liberté considérable pour réagir dans le cadre défini par le gouvernement fédéral pour maintenir des normes nationales. Les programmes de frais partagés ont été la marque de ce fédéralisme coopératif. La gestion économique et l'administration de la politique sociale ont marqué le caractère du fédéralisme canadien. En même temps, les dimensions fédérales de l'État canadien influençaient fortement notre façon d'aborder ces nouvelles tâches. Nous avons fait la preuve qu'avec un minimum de changements formels, nous pouvions adapter le fédéralisme à la Constitution et disposer ainsi d'une grande flexibilité dans l'utilisation des institutions dont nous avons héritées. La collaboration entre le fédéral et les provinces est devenu plus complexe dans les années 1960. Nous avons vu la continuation des initiatives fédérales - dans le domaine du développement régional, du Régime de pensions du Canada entré en vigueur en 1965, de l'assurance-maladie en 1968. Toutes ces étapes nécessitaient cependant la coopération provinciale. Les provinces qui avaient alors acquis une plus grande puissance et une plus grande confiance en elles-mêmes négociaient des parts plus importantes de ressources fiscales et devenaient plus actives dans le développement économique et social. Cela s'est vérifié tout particulièrement au Québec où les réformes de la Révolution tranquille ont conduit le gouvernement provincial à organiser bon nombre des principales fonctions sociales et économiques du gouvernement autour de l'État provincial. Le Québec s'est retiré de plusieurs programmes à frais partagés en ayant recours à la Loi sur les programmes établis (arrangements provisoires); il a instauré son propre régime de retraite. Dans les années 1970, un certain nombre d'éléments avaient renforcé la collaboration fédérale-provinciale dans les domaines de la gestion économique et sociale. Les difficultés économiques rencontrées au cours de ces années faisaient remettre en question l'efficacité des techniques de gestion économique d'après-guerre. Le large consensus sur les politiques entre les citoyens et les gouvernements commençait à s'effriter. Une bonne partie de ces dissensions croissantes se manifestaient dans des politiques économiques rivales et il devint alors à la fois plus important et plus difficile d'arriver à une coordination efficace. Les gouvernements fédéral et provinciaux commençaient à chercher de nouvelles approches, à mettre au point des politiques industrielles plus complètes et à faire une utilisation plus agressive des subventions, des politiques d'achat, des entreprises publiques et des autres instruments à leur disposition. Ces évolutions exacerbaient les divisions régionales mises de côté pendant la Seconde Guerre mondiale et au début de l'après-guerre et qui réapparaissaient en force après 1960 au Québec et après 1970 dans l'Ouest. On voyait également reparaître, dans les années 1970, l'inquiétude sur la persistance des disparités régionales qui ne s'étaient pas effacées malgré la croissance nationale d'ensemble de la fin des années 1950. Ces différences régionales sur les questions économiques se manifestaient avec beaucoup plus d'acuité dans les batailles interrégionales et fédérale-provinciales concernant l'énergie. On voyait apparaître alors un modèle de conflit dans la fédération lequel laissait présager l'essentiel de la crise constitutionnelle à venir. L'augmentation de l'activité provinciale dans la gestion économique n'était pas un phénomène nouveau. On avait vu apparaître un provincialisme dynamique à la fin du dix-neuvième siècle, en particulier pendant les récessions de 1874-1879 et de 1886-1896, alors que les avantages attendus de la Confédération étaient lents à se manifester. Quand le Canada central s'est industrialisé au début du vingtième siècle, nombre des instruments essentiels au développement, comme les routes et les services urbains par exemple, relevaient des provinces. La propriété provinciale des ressources (qui ne s'est appliquée à l'Alberta, à la Saskatchewan et au Manitoba qu'en 1930) a également servie à stimuler l'activisme provincial. On peut en donner comme exemple le développement de l'énergie hydro-électrique dans le cadre des propriétés provinciales et la promotion par les provinces de la transformation des ressources. Pendant la décennie des années 1930, les Canadiens ont cherché des solutions à la crise de la Dépression et plusieurs provinces ont expérimenté de nouvelles formes de politique économique et d'organisation politique. Les exemples qui viennent à l'esprit sont ceux du Crédit social en Alberta et de la Co-operative Commonwealth Federation (CCF) en Saskatchewan. Ces expériences se sont traduites par des programmes conflictuels et des tensions entre le fédéral et les provinces avec des différends qui se sont souvent terminés devant les tribunaux. Dans tous les cas, les gouvernements fédéral et provinciaux plaidaient en faveur de groupes et d'industries différents. Tous ces cas impliquaient à la fois des conflits entre les juridictions fédérales et provinciales et des griefs régionaux quant à l'exercice des pouvoirs du fédéral. Le renforcement des provinces dans les années 1960 et 1970 avait des origines comparables. Les gouvernements provinciaux cherchaient à diversifier leurs économies pour adoucir les cycles des économies reposant sur l'exploitation des ressources naturelles et pour offrir une gamme plus importante de possibilités économiques à leurs habitants. C'est ainsi que, pendant la Révolution tranquille, les Québécois ont cherché à avoir un état provincial activiste pour redresser la sous-représentation historique des francophones dans la propriété et la gestion de l'économie provinciale. Les instruments dont ils se sont servis ont été l'Hydro-Québec, la Caisse de dépôts et de placements, la Société générale de financement et des réformes à l'emporte-pièce du système d'enseignement. Ces efforts ont réussi à de nombreux égards. La croissance du secteur privé qu'ils ont stimulé par la suite a aidé à créer et à conserver un secteur privé francophone plus confiant, plus agressif et qui est devenu une force novatrice de l'économie canadienne. Quant à l'Ouest, et en particulier en l'Alberta et en Saskatchewan, les déplacements des échéances internationales du commerce ont stimulé le renforcement des provinces. Cette nouvelle situation rendait possible un déplacement permanent du pouvoir économique qui devait réduire la dépendance historique de l'Ouest envers des forces économiques et politiques extérieures. Le développement des ressources était dans une certaine mesure une réponse aux demandes historiques de redressement de la situation. Comme au Québec, le renforcement des provinces dans l'Ouest présupposait un haut degré de confiance dans l'aptitude des citoyens, grâce à leurs gouvernements, à modifier les conditions économiques. Ce renforcement des provinces, à la fois dans ses dimensions politiques et économiques, a été l'une des caractéristiques les plus marquantes de l'évolution récente du fédéralisme canadien. D'un autre côté, il en est résulté un grand nombre de conflits entre le fédéral et les provinces. Il ne faut pas cependant exagérer l'importance de ce renforcement des provinces. Les politiques fiscales, monétaires et tarifaires du fédéral restent des facteurs déterminants essentiels au développement économique régional, et national d'ailleurs. Le gouvernement fédéral continuait à assumer la responsabilité d'une part importante des dépenses dans le développement industriel. De plus, alors que toutes les provinces devenaient plus actives dans le développement économique, seulement un petit nombre voulait appliquer à des stratégies de développement ambitieuses, ou avait les moyens de les réaliser. Dans de nombreuses provinces, on ne pouvait procéder au développement régional qu'avec la participation massive du fédéral. L'accroissement de l'activité des deux niveaux de gouvernements s'est traduit par une interdépendance croissante entre eux. Chaque niveau s'efforçant de répondre à de nouvelles préoccupations, au moyen des instruments constitutionnels à sa disposition, les politiques se sont imbriquées. La situation devient moins compatible avec le modèle classique de compartiments étanches quant au partage des pouvoirs. On s'est retrouvé avec des « catégories » contemporaines dans les domaines de la politique économique et sociale qui correspondaient rarement avec celles définies dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Chaque gouvernement s'est alors aperçu que, pour atteindre ses objectifs, il avait besoin de tenir compte des ressources et des instruments appartenant à l'autre. Ce processus d'intrusion a fonctionné dans les deux sens. Les politiques d'un niveau de gouvernement débordaient souvent sur celles de l'autre. De plus, l'élargissement des responsabilités des gouvernements, dans le domaine du bien-être économique, façonnait la préoccupation qui s'est manifestée quant à l'équité du système fédéral. En effet, les Canadiens voyaient de plus en plus les résultats de la répartition comme étant les produits des politiques du gouvernement, produits dont il fallait les tenir responsables, plutôt que de les considérer comme le résultat de forces impersonnelles et incontrôlables du marché. Le fédéralisme et la gestion économique. Dans le domaine de la gestion économique, le fédéralisme génère des défis à deux niveaux. Le premier se centre sur la nature « régionalisée » de notre économie et de notre société. Tout problème économique national est virtuellement en même temps un problème régional. Les besoins et les intérêts régionaux différeront; les politiques bien adaptées au besoin d'une région ne conviendront pas aux autres. Cela serait d'ailleurs vrai même si le Canada était un état unitaire. Les contraintes régionales exercées sur la formulation des politiques économiques fédérales proviennent non seulement des gouvernements provinciaux, mais aussi des intérêts des régions représentées par leurs élus au caucus fédéral et au Cabinet. Les institutions fédérales elles-mêmes sont source d'inquiétudes dans le domaine de la gestion économique. On peut citer les intérêts et les politiques des deux niveaux de gouvernements, le partage des pouvoirs entre eux et les façons dont ils interagissent. Chaque gouvernement répond à un groupe différent de mandants et s'intéresse donc à des inquiétudes économiques différentes et formule des réponses différentes. La présence de dix gouvernements provinciaux accentue encore probablement les différences régionales naturelles. Cette division tend à faire rentrer les discussions de politique économique dans un moule régional, et à minimiser ou à cacher des questions définies comme des solutions de remplacement. Un autre élément qui complique la gestion économique tient au fait que les deux niveaux de gouvernement divisent et partagent les moyens ou les instruments dont ils disposent pour la formulation de politique. La Loi constitutionnelle de 1867 a instauré cette interaction, mais l'évolution de notre vision de la gestion économique a encore augmenté la complexité de cette situation. Les deux niveaux de gouvernements peuvent réclamer toute une gamme de pouvoirs pour justifier leurs initiatives de politique. Le gouvernement fédéral détient la plus vaste gamme de pouvoirs économiques: le pouvoir de lever des impôts directs et indirects, celui du contrôle de la monnaie et des banques, des échanges et du commerce interprovincial et international, du transport entre provinces et les pouvoirs généraux relevant « de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement ». Les tribunaux ont cependant refusé de façon constante d'accorder les pleins pouvoirs économiques au gouvernement fédéral et se sont au contraire efforcés d'assurer l'intégrité des pouvoirs provinciaux. C'est ainsi que les tribunaux ont affirmé qu'une interprétation large de concepts comme « l'intérêt inhérent national » et « le commerce général » pourraient avoir une telle portée que « la juridiction provinciale reposant sur les droits fonciers et civils, la réglementation du contexte social local, et l'administration de la justice ne survivraient pas si ce n'est dans une forme nettement diminuée ». Les tribunaux se sont montrés prudents pour permettre tout « élargissement déséquilibré » des pouvoirs constitutionnels fédéraux rattachés à l'économie. On a prétendu qu'il y a beaucoup de conséquences découlant de cette situation. Certains prétendent que le fédéralisme complique indûment le processus de la prise de décision. Les coûts de la prise de décision augmentent puisque 11 autorités politiques différentes doivent coordonner leurs activités. Dans les domaines des intérêts en cause, le résultat évoque souvent l'immobilité et l'indécision et il semble qu'il faille, pour parvenir à des modifications importantes de politiques, obtenir d'abord un haut degré de consensus ou faire des efforts massifs de bonne volonté politique. Les citoyens qui veulent obtenir des réponses ou qui désirent comprendre les décisions prises par des gouvernements font face à un processus complexe et doivent affronter la duplication, l'incertitude et les délais des diverses juridictions. Les gouvernements doivent consacrer des efforts considérables afin de travailler les uns avec les autres et ceux-ci peuvent éprouver plus de difficultés à répondre aux demandes de consultation des groupes dont les intérêts sont exprimés en termes non territoriaux. Dans cette perspective, le fédéralisme semble être l'ennemi des politiques planifiées, globales, cohérentes et uniformes. Dresser la liste des coûts du système fédéral pourrait conduire à prescrire une centralisation dans la main unificatrice d'un gouvernement central fort. Les commissaires ne croient pas toutefois qu'une telle recommandation soit nécessaire. Tout d'abord, comme la Commission royale Rowell-Sirois sur les relations fédérales-provinciales l'a souligné quand elle a abordé cette question, cela serait contraire au respect des diversités provinciales qui sont inhérentes au fédéralisme. En second lieu, il n'y a pas que l'existence de deux niveaux de gouvernements à compliquer la gestion économique; cela tient également aux différences économiques et sous-jacentes entre les régions auxquelles un gouvernement unitaire devrait faire face tout comme un gouvernement fédéral. Il faut cependant noter que les pressions décentralisatrices qui vont de pair avec le fédéralisme ne sont qu'un aspect d'un grand mouvement de décentralisation dans toutes nos institutions politiques. Même dans le cadre d'un gouvernement fédéral, les décideurs en matière de politique économique ont des points de vue différents, exprimés par des ministères et des agences différents, bénéficiant chacun de l'éclairage de ses propres objectifs de politique. Peu de raisons incitent à croire que la seule centralisation permettrait une planification cohérente. Les gouvernements modernes sont confrontés à une gamme presque invraisemblable de demandes. L'ampleur de l'État a, dans beaucoup de domaines, dépassé nos capacités administratives et techniques et notre aptitude à assurer la responsabilité démocratique. Une façon de minimiser ce problème est de limiter les domaines d'intervention de l'État: encourager l'État à en faire moins, mais à le faire mieux. Une autre serait de reconnaître les avantages du partage des pouvoirs et des responsabilités entre les gouvernements. Il n'y a pas un gouvernement qui doit essayer de tout faire, ou qui doit être responsable de tout. Il n'y a pas non plus un groupe d'institutions qui doivent recevoir toutes les demandes et répondre à toutes les attentes des citoyens ou essayer de régler toutes les divisions et les conflits de la société. Dans un pays aussi diversifié que le Canada, la centralisation serait une recette pour la paralysie. Le fédéralisme offre par contre des avantages importants pour la gestion économique. Ce n'est pas en effet simplement un problème à contourner du mieux que nous pouvons, c'est une force. Le fédéralisme offre une plus grande stabilité en diffusant les conflits et les attentes à travers tout le système. Il offre la possibilité d'adapter les politiques économiques à des besoins et à des inquiétudes précis des citoyens et des groupes dans diverses parties du pays. Il minimise le danger toujours présent d'échecs spectaculaires auquel il faut s'attendre quand on met tous ces oeufs dans le même panier. Dans un monde d'incertitude où les défis économiques se déplacent rapidement, où on est loin d'être certain de ce qui sera le plus efficace, le fédéralisme offre la possibilité d'expérimenter et d'apprendre, de faire preuve de flexibilité et d'invention. Il améliore la réceptivité aux divers points de vue exprimés et permet la discussion de multiples sources de renseignement et de perspectives différentes. Le fédéralisme nous permet de mettre à l'essai différents modèles pour améliorer les relations de travail, pour intégrer l'enseignement et la formation, pour stimuler les investissements et pour diffuser la technologie. Il ne faut pas oublier non plus que le développement économique dans les fédérations devrait dépasser celui des États centralisés, en raison des effets bénéfiques de la concurrence dans le secteur public. Les rôles du fédéral et des provinces. Les commissaires tiennent compte de toutes ces considérations dans leurs opinions, quand il s'agit d'améliorer la performance du Canada en matière de gestion économique, dans un système fédéral. Le défi est de tirer partie le plus possible de la diversité que le fédéralisme encourage, tout en cherchant à dépasser ou à réduire les effets des tensions et des complexités inévitables que ce fédéralisme engendre. Nous devons tous admettre que les gouvernements fédéral et provinciaux assument des fonctions légitimes et importantes dans la gestion de l'économie, et que ces fonctions ne sont pas identiques. Il y a une division réelle des tâches entre les deux niveaux de gouvernement, qui tient en partie à nos traditions constitutionnelles et qui est également en partie le résultat de nos besoins. Le gouvernement fédéral doit avant tout s'intéresser aux besoins de l'économie nationale dans son ensemble. Cette responsabilité tient à la fois à son mandat politique comme seul gouvernement élu par tous les Canadiens et à ses pouvoirs et ressources. Quant aux gouvernements provinciaux, ils doivent répondre aux besoins de leurs propres économies. Le gouvernement fédéral est avant tout responsable, et il doit l'être, en ce qui concerne la présence canadienne au niveau international; il doit servir d'intermédiaire entre la vie économique et politique internationale et notre propre vie économique et politique. Il doit pour cela disposer d'un rôle prédominant dans la négociation et la ratification des traités, dans la coordination des activités fédérales et provinciales à l'étranger ainsi que dans la gestion des ajustements intérieurs qui découlent des activités internationales. Le gouvernement fédéral doit ensuite se faire l'avocat et le catalyseur d'un fonctionnement efficace de l'union économique. Il se doit de minimiser les effets des restrictions fédérales et provinciales au commerce interprovincial et maximiser les bienfaits de l'union économique. C'est également lui qui est essentiellement responsable des politiques de stabilisation. Ce gouvernement fédéral est enfin le principal responsable de la redistribution entre les régions et les provinces, entre les intérêts sociaux et économiques et entre les différents citoyens. Le rôle du fédéral est donc d'offrir à l'activité économique du secteur privé et aux initiatives provinciales un cadre national unifié afin de favoriser le développement économique. Le gouvernement fédéral a également un rôle immédiat et direct dans la vie des citoyens. Il doit être, dans la mise en pratique de ses diverses fonctions, sensible aux effets de ses politiques sur les diverses régions, et à la nécessité d'un équilibre et d'une conciliation des préférences régionales. Il est possible que les forces allant dans le sens du changement ait un caractère national, voire même global, mais que des particuliers, vivant à des endroits donnés et conscients de leurs propres besoins et de leurs inquiétudes, devront affronter les effets de ce changement. Le gouvernement fédéral doit alors les y aider. Ce point de vue qu'ont les commissaires n'implique pas nécessairement que le gouvernement fédéral devrait avoir dans tous ces domaines un monopole. C'est avec précaution que nous utilisons des mots comme « prépondérant o. Dans la plupart de ces domaines, les provinces ont également un rôle à jouer. Il est bien évident que dans la mesure où les obligations internationales du Canada nécessitent la mise en place de mesures dans des domaines de juridiction provinciale, les provinces doivent s'occuper également du domaine international. L'ampleur des pouvoirs provinciaux de taxation et de dépense, ainsi que l'interdépendance entre les systèmes fiscaux, fédéral et provinciaux ont pour corollaire que les provinces doivent participer aux politiques de stabilisation. Les préférences que les provinces affichent pour la politique sociale complètent l'activité fédérale tout en la modifiant dans ces tâches de redistribution. Comme une partie importante des limitations au commerce découlent d'activités provinciales légitimes en réponse à des préférences locales, les provinces doivent participer à la négociation et à la mise en place de codes de conduite régissant l'union économique. Il ne faut pas oublier non plus que les provinces ont, à leur niveau, d'importantes fonctions à assumer en ce qui concerne le développement économique. Leur base politique, tout comme les pouvoirs qui leur sont conférés en vertu de l'article 92 et d'autres parties de la Loi constitutionnelle de 1867, leur impose de s'intéresser au bien-être économique de la région. Nombre de ces pouvoirs et de ces responsabilités sont indispensables afin d'atteindre une performance économique satisfaisante dans l'avenir. Tout comme l'activité fédérale dans le domaine de la gestion de l'économie n'interdît pas l'implication provinciale, il y a, et il doit y avoir, une conscience des intérêts nationaux de la part des provinces qui assument ces responsabilités. Le gouvernement fédéral peut y veiller de nombreuses façons. Les tribunaux peuvent élargir les pouvoirs économiques généraux déjà attribués au gouvernement fédéral, en particulier en ce qui concerne les échanges et le commerce, « la paix, l'ordre et le bon gouvernement », sans oublier le pouvoir de promulguer des lois relevant du droit criminel. Les tribunaux canadiens n'ont pas suivi l'exemple américain en définissant ces pouvoirs comme pléniers, ce qui limiterait les législations provinciales au domaine dans lesquelles le gouvernement fédéral a choisi de ne pas être présent. Au Canada, les tribunaux ont, au contraire, conditionné, limité ou frustré les diverses formes d'affirmation de pouvoirs économiques du fédéral. Un amendement constitutionnel serait un autre moyen d'étendre le rôle du fédéral, comme ce fut le cas avec l'assurance-chômage en 1940. Comme on l'a vu toutefois, on a rarement eu recours à ce procédé, spécialement dans le domaine des pouvoirs économiques. Pour atteindre ce même but le gouvernement fédéral peut avoir recours à des mesures coopératives pour la même fin, en particulier grâce à son pouvoir de dépenser. Il peut mettre en place diverses ententes contractuelles, comme par exemple acheter à des endroits donnés dans un but de formation dans des collèges techniques provinciaux. Le réseau de telles ententes est actuellement considérable. Enfin, le gouvernement fédéral peut, grâce à ses propres activités dans le cadre de sa propre juridiction, donner le ton, établir des priorités et promouvoir de nouvelles approches ou de nouvelles idées. La mise en place de processus de consultation publicisés, la réalisation de recherches, la publicité faite sur des sujets comme la gestion des forêts, et le recours à des forums publics comme par exemple les comités parlementaires qui peuvent donner un leadership économique afin de modifier le climat des théories au sein desquelles les deux niveaux de gouvernements travaillent. En ce sens, le gouvernement fédéral peut avoir un rôle de catalyseur et d'innovateur sans pour autant concevoir et offrir des programmes. Au-delà de toutes ces considérations sur les pouvoirs, leurs partages et les divers mécanismes en place, il y a le besoin d'une orientation commune de tous les Canadiens sur ce qu'ils désirent comme actions de leurs gouvernements. S'il a été possible d'éclaircir ce point grâce aux recommandations que les commissaires ont effectuées dans les chapitres précédents, des adaptations nécessaires aux institutions du fédéralisme devraient suivre. La remarque de Samuel Beer, un spécialiste du fédéralisme américain, peut également s'appliquer au Canada: « La leçon de l'avenir est que le rôle suit la fin. Si nous voulons concevoir un nouveau fédéralisme, nous devons d'abord raviver notre sens d'une direction nationale. » C'est dans le cadre de cette vaste conception de la répartition des responsabilités entre les gouvernements que les commissaires s'intéressent à des questions précises d'un point de vue fonctionnel et orienté vers les problèmes. Nous pensons qu'une gestion économique efficace va, en général, bien au-delà d'une distinction adéquate entre les autorités constitutionnelles. Aujourd'hui, la prise de décision ne peut se faire sans la coopération de nombreux intervenants, à la fois du secteur public et du secteur privé. Personne ne peut imposer cette coopération si ce n'est dans un cadre très étroit. Nous devons donc disposer d'institutions capables de refléter les divers points de vue, leur donnant accès au processus de prise de décision et cherchant des accommodements entre elles. Les commissaires ne cherchent pas à minimiser la réalité des conflits fédéraux-provinciaux au chapitre de la gestion économique. Nous croyons toutefois qu'il est indispensable d'atténuer la portée des interprétations du fédéralisme de la gestion économique qui met trop l'accent sur les conflits. Si certains gouvernements ont été plus interventionnistes que d'autres, tous font partie du même grand milieu intérieur et international et y réagissent. Il y a énormément de domaines présentant des intérêts communs. La performance de l'économie nationale est essentielle à la performance de chaque économie provinciale. Chaque province a donc un intérêt manifeste à la coopération avec le gouvernement fédéral afin de pouvoir gérer l'ensemble de la croissance économique avec succès. De la même façon, le développement national global dépend de la performance économique des provinces, car les provinces sont des participantes essentielles au processus de la croissance économique nationale. Nous pouvons également tirer des leçons de l'expérience. Il était évident, au début des années 1980, pour tous les participants, que l'hostilité et la confrontation dans les domaines de l'énergie ainsi que dans tant d'autres étaient allées trop loin. Cela avait donné naissance à un climat d'incertitude et de confusion qui minait les investissements et la confiance. Les gouvernements ont réagi et ils semblent maintenant vouloir établir des relations plus axées sur la coopération pour la gestion économique. La gestion économique de l'avenir. Cette Commission a, dans les chapitres précédents, énoncé ses objectifs de politique économique et sociale. Il est temps maintenant de récapituler ces objectifs et d'expliquer comment nous nous proposons de les atteindre dans le cadre du système fédéral canadien. Comment le fédéralisme affectera-t-il notre aptitude à atteindre ces objectifs? Comment ces réalisations pourront elles, à leur tour, affecter le mode de fonctionnement du fédéralisme à l'avenir? Nous proposerons des changements dans certains domaines de fonctionnement du système fédéral afin de mieux parvenir aux objectifs que nous poursuivons, alors que dans d'autres domaines, nous tempérerons et modifierons les objectifs pour tenir compte de valeurs et d'inquiétudes propres au caractère fédéral et régional du Canada. Le fédéralisme et la performance internationale du Canada Nous n'avons pas le choix. Il faut absolument que nous cheminions dans un contexte international ouvert et concurrentiel. Cela nous met en même temps en face de possibilités sans équivalent. Les commissaires ont en particulier incité les Canadiens à s'efforcer d'avoir un commerce plus libre avec les États-Unis et à continuer à étendre le libre-échange multilatéral. De façon plus générale, nous avons poussé les Canadiens à prendre des positions internationales plus dynamiques sur toute une gamme de sujets. Est-ce que la structure des pouvoirs au sein du fédéralisme canadien freine l'aptitude à atteindre ces objectifs? Est-ce qu'elle affecte notre aptitude à procéder aux changements et aux ajustements nécessaires cheznous? Afin de répondre à ces questions, nous devrons d'abord nous pencher sur certaines caractéristiques de la répartition des pouvoirs dans le domaine des affaires étrangères, et en particulier au sein de la sphère économique. Nous constatons des manques importants dans nos instruments institutionnels lesquels, s'ils ne sont pas comblés, pourraient affaiblir sérieusement notre efficacité. L'article 132 de la Loi constitutionnelle de 1867 traitait de la gestion des relations extérieures du Canada de la façon suivante: Le Parlement et le Gouvernement du Canada auront tous les pouvoirs nécessaires pour remplir envers les pays étrangers, à titre de partie de l'Empire britannique, les obligations du Canada ou de l'une quelconque de ses provinces, découlant de traités conclus entre l'Empire et ces pays étrangers. Le pouvoir de ratification des traités restait au Parlement britannique à Westminster. C'était là une bonne illustration de la vision que la plupart des Canadiens avaient d'eux-mêmes à cette époque: ils se percevaient comme des citoyens du plus vaste Empire britannique plutôt que comme les détenteurs d'une nationalité canadienne distincte. C'est pourquoi notre Constitution ne prévoyait clairement aucun pouvoir de passation de traité compatible avec l'existence d'un état fédéral. Au fur et à mesure que le Canada acquerrait de la maturité comme pays indépendant, il devenait de plus en plus manifeste que la représentation diplomatique par un autre pays, si amicale et expérimentée, ne pouvait pas garantir les intérêts canadiens. Notre participation à la Première Guerre mondiale nous a bien fait voir, ainsi qu'à nos alliés, que le Canada était une communauté politique distincte et que nous devions être capables de mener nos relations extérieures par nous-mêmes. Cette aspiration à l'indépendance est devenue une réalité légale avec la passation du Statut de Westminster en 1931. A compter de cette époque, le Canada était un état souverain au regard des lois internationales et le gouvernement du Canada détenait les moyens de représenter la nation sur la scène internationale. Les leaders fédéraux étaient d'avis que cette autorité allait jusqu'à la négociation et à la mise en place des traités. Avec le cas des Conventions de travail (1937), le Comité juridique du Conseil privé, puis la plus Haute Cour du Canada, décidèrent néanmoins que le pouvoir fédéral de passer des traités ne s'appliquait qu'aux domaines dans lesquels le fédéral avait juridiction en vertu de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le mandat du fédéral ne s`étendait pas à l'acceptation ou à la mise en force des obligations se rattachant aux juridictions provinciales en vertu de l'article 92. Cette répartition des pouvoirs interdisait donc au Parlement du Canada de promulguer une loi pour imposer un traité international sur des questions relevant de la compétence provinciale Au cours du demi-siècle suivant, le Canada jouait un rôle de plus en plus actif sur la scène internationale, passant un grand nombre de traités sur toute une gamme de sujets. Toutefois, reconnaissant les limitations à ses pouvoirs de mettre en pratique au pays certains aspects des mesures auxquelles il aurait pu consentir à l'étranger, le gouvernement du Canada s est montré hésitant à assumer des obligations internationales qui auraient nécessité des mesures législatives des provinces. Dans la mesure où les relations commerciales internationales traitent pour l'essentiel des tarifs douaniers, un sujet relevant sans l'ombre d'un doute de la juridiction fédérale, le cas des conventions de travail ne s'est pas avéré une contrainte importante lorsqu'il s'agissait de la participation canadienne à des forums comme l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Toutefois, quand les discussions internationales ont commencé à porter de plus en plus sur des barrières non tarifaires comme les subventions, les politiques d'achat discriminatoires et les normes de produits conçues pour éliminer la concurrence, les contraintes sont devenues beaucoup plus évidentes. Nombre des pratiques dont on traite dans ces décisions relèvent des juridictions provinciales. Les lois internationales supposent, dans l'ensemble. l'existence d'états souverains unitaires. Elles manifestent peu de sympathie, ou de compréhension, à l'égard du partage des pouvoirs à l'intérieur de ces états. Bon nombre d'ententes internationales contiennent des clauses dites « de l'État fédéral » dans lesquelles l'État fédéral s'engage à faire tous ses efforts pour obtenir l'appui des gouvernements sous-nationaux, alors que les autres états reconnaissent implicitement les limites imposées par les constitutions de nature fédérale. Néanmoins, de telles clauses ne règlent pas les problèmes. A moins que les parties à une négociation internationale ne puissent engager pleinement leur pays à respecter les accords signés, ils n'auront qu'une capacité limitée à obtenir des concessions. Les ententes informelles passées entre les provinces et les états pour satisfaire aux accords internationaux négociés ne régleront pas le problème. Le Tokyo Round des négociations du GATT a vu aborder la question de la politique de fixation des prix des vins et des alcools importés par les provinces canadiennes. L'Ontario y a signé une déclaration d'intention l'engageant à modifier sa politique. Toutefois, sous la pression des producteurs locaux, cette province a rapidement trouvé des moyens d'échapper à cette entente, prétendant que la déclaration d'intention ne la liait pas légalement. Cette lacune constitutionnelle dans le pouvoir de passation des traités devrait amener un nombre croissant de problèmes pour le Canada à l'avenir. Elle gêne sensiblement notre aptitude à passer des ententes efficaces et elle exerce des contraintes sur notre participation à la communauté internationale. Les commissaires sont d'avis que le gouvernement fédéral est, et doit rester, le principal représentant du Canada à l'étranger. C'est le gouvernement du Canada qui doit négocier les traités. Cependant, ce vaste pouvoir fédéral doit tenir compte de la réalité du partage fédéral des pouvoirs au sein de la Constitution. C'est pourquoi les commissaires ne retiennent pas la notion de pouvoirs illimités du gouvernement fédéral dans la passation et l'application de traités ayant des clauses débordant la juridiction fédérale. Il faut trouver une procédure faisant en sorte que les traités, une fois conclus, lient les autorités fédérale et provinciales au Canada. Cela a pour contrepartie que les gouvernements provinciaux doivent nécessairement être impliqués dans ces négociations. Il faut d'ailleurs à ce niveau faire la distinction entre les deux étapes: la négociation et l'application. Là encore, les commissaires prennent comme exemple le commerce. Pendant les négociations du Tokyo Round, on a vu apparaître une procédure qui s'est avérée très efficace pour impliquer les provinces dans l'adoption de la position de négociation du Canada. Cette procédure permettait la formulation de choix entre les intérêts complexes des diverses régions. Cela a permis aux négociateurs fédéraux de devenir pleinement conscients des inquiétudes provinciales et aux gouvernements provinciaux de se familiariser davantage avec des questions de plus grande envergure. Ces négociateurs canadiens pouvaient alors traiter avec les représentants d'autres pays sans crainte de provoquer des conflits chez nous. Les commissaires sont d'avis, comme on l'a dit à la Partie 11, qu'une procédure de consultation de ce genre devrait devenir une caractéristique des négociations canadiennes à l'échelle internationale, en particulier en ce qui concerne le libre-échange avec les États-Unis. Si ce processus de consultation avec les provinces s'avérait efficace lors de négociations, il garantirait que les traités passés par la suite recevraient l'adhésion des provinces. Cette consultation fédérale-provinciale devrait également s'étendre à la coordination nécessaire pour l'application de ces traités. Dans certains cas, les représentants des provinces pourraient même faire partie de l'équipe canadienne de négociations, en particulier quand les principales questions relèvent des juridictions provinciales. Il est toutefois essentiel que le Canada soit l'interlocuteur unique dans de telles discussions et que les désaccords intérieurs soient réglés auparavant. Les commissaires pensent que des consultations informelles seraient suffisantes dans le cadre du processus proposé pour pouvoir se diriger vers un libre-échange plus accentué avec les États-Unis. En ce qui concerne la passation de traités, leur ratification et leur application, il serait inutile de compliquer le processus avec un débat concomitant à propos de la Constitution et du partage des pouvoirs. Les commissaires sont cependant d'avis, qu'à plus long terme, il est essentiel de s'efforcer sérieusement de régler cette situation constitutionnelle. Les forces internationales exerceront des pressions de plus en plus marquées sur notre capacité institutionnelle et mettront nos valeurs constitutionnelles au défi. Quand les commissaires ont discuté d'institutions nationales ils ont souligné la nécessité d'aider le Parlement à tenir l'exécutif responsable de sa conduite se rapportant aux affaires internationales et ont donc recommandé qu'il y ait une ratification parlementaire systématique des traités internationaux. Les commissaires poussent maintenant ce principe plus loin pour dépasser le fédéralisme. Dans le cas où un traité proposé à l'adoption se traduirait par des obligations pour les provinces, dans des domaines de juridiction provinciale, les législatures provinciales devraient approuver les sections qui les concernent. Deux mécanismes se présenteraient alors. Le premier consisterait en un amendement constitutionnel général concernant la ratification des traités de ces mécanismes. Une des solutions serait que les provinces entérinent les clauses du traité individuellement. Les clauses concernées du traité ne prendraient effet dans cette province qu'une fois ratifiées par sa législature. Cette méthode présenterait cependant des inconvénients sérieux, étant donné qu'un accord international passé par des négociateurs canadiens pourrait ne prendre effet que dans certaines provinces. Le résultat serait certainement à la fois confus et inacceptable; cela pourrait signifier qu'un petit nombre de provinces pourraient empêcher le reste du pays de profiter d'ententes particulièrement avantageuses pour l'ensemble du Canada. L'autre solution à laquelle on pourrait avoir recours est celle que les commissaires ont déjà présentée dans la Partie 11: la formule de l'amendement constitutionnel. Les articles d'un traité se traduisant par des obligations pour les provinces pourraient entrer en vigueur quand les deux tiers des provinces auraient fait adopter à leur législature des résolutions en ce sens, les deux tiers de ces provinces devant en même temps représenter au moins la moitié de la population canadienne. Certains observateurs pourraient faire remarquer que cette solution imposerait des restrictions non souhaitables à l'aptitude du gouvernement fédéral à négocier au nom du Canada à l'étranger. Les commissaires y répondraient que le gouvernement fédéral n'aurait pas le pouvoir d'imposer des clauses de traités aux juridictions provinciales et qu'un accord provincial à un amendement qui donnerait une autorité sans limite dans ce domaine au gouvernement du Canada serait pratiquement inconcevable. Signalons également que cette reconnaissance formelle du rôle provincial dans la ratification des traités présenterait également un avantage puisqu'elle pourrait faciliter l'application d`un traité. En effet, un traité adopté de cette façon impliquerait que les engagements pris par le gouvernement central aurait force de loi au Canada. Les provinces auraient l'obligation d'y adhérer et pourraient être poursuivies si elles se dérobaient. Nous croyons que cette procédure offrirait le meilleur compromis entre l'impératif d'une participation effective aux discussions internationales et celui du respect de la Constitution de nature fédérale. Il y a d'autres incertitudes dans le domaine du pouvoir de passation de traités. Est-ce que les provinces peuvent s'adonner elles-mêmes à des activités internationales? Au moins une province a prétendu que les provinces ont les mêmes pouvoirs juridiques de passer des traités en vertu de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, que le gouvernement fédéral en vertu de l'article 91. Cet argument est loin d'être probant. Néanmoins, au cours des vingt-cinq dernières années les activités provinciales se sont multipliées à l'extérieur du Canada, allant d'ententes formelles et informelles à des représentations à l'étranger, à la participation à des organisations internationales. Le Québec a, depuis de nombreuses années, un ministère du Commerce extérieur et il a récemment scindé son ministère des Affaires intergouvernementales en une section canadienne et un ministère des Relations internationales. La Colombie-Britannique créait, au mois de février 1985, un ministère du Commerce et du développement international. Ces questions de commerce international retenaient également sérieusement l'attention des ministères de l'industrie, du développement et du commerce dans plusieurs autres provinces. Les activités provinciales sur la scène internationale prennent de nombreuses formes. Le cas le plus litigieux est sans doute celui du Québec qui a voulu affirmer sa présence internationale à l'étranger conformément à la perception qu'il a d'être une communauté nationale distincte et le principal représentant des francophones du Canada. Au cours des années 1960 et 1970, on a assisté à bon nombre de disputes au grand jour au cours desquelles le Québec cherchait à passer des ententes avec des pays comme la France et la Belgique et à obtenir une représentation à des organisations rattachées à la francophonie. Le gouvernement fédéral a alors argué que toutes les activités de cette nature devaient se dérouler sous l'autorité fédérale; le Québec affirmait qu'il avait sa propre autorité indépendante pour conclure des ententes. Il semble aux commissaires qu'il soit impossible de réconcilier de telles positions. Un modèle qui pourrait peut-être permettre la réconciliation est celui des accords successifs passés entre le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral sur l'immigration. Grâce à ces ententes, le Québec a obtenu un droit direct de choix de ses immigrants en reconnaissance de ses propres priorités liées aux caractéristiques linguistiques de sa population. Les responsables de l'immigration du Québec, en vertu de cette entente, ont rejoint les bureaux de l'immigration canadienne à l'étranger. Le gouvernement fédéral conservait en même temps l'autorité ultime de choix des immigrants, pour définir le niveau d'immigration et pour assumer d'autres responsabilités du même ordre. Il devrait être possible d'arriver à des ententes de ce genre dans d'autres domaines, que ce soit sur des questions concernant la langue française, la culture et l'enseignement francophones, et le droit civil. Le Québec pourrait avoir le droit de mener des discussions avec d'autres pays, pourrait obtenir une représentation directe dans certaines organisations internationales et fournir des membres aux délégations canadiennes. D'autres activités provinciales à l'étranger posent moins de difficultés politiques. La plupart entre dans deux catégories: la promotion du commerce et la gestion des relations avec les États américains frontaliers. L.a tradition des représentations provinciales à l'étranger date de 1868, date à laquelle l'Ontario et le NouveauBrunswick ouvraient des bureaux à Londres. Aujourd'hui, les gouvernements provinciaux ont plus de 40 bureaux à l'étranger, la plupart ouverts depuis les années 1960. Environ la moitié d'entre eux sont situés aux ÉtatsUnis, même si aucune province n'a encore ouvert de bureau à Washington. Leur vocation est essentiellement la promotion du commerce et la recherche d'investissements, ce qui ne les empêche pas à l'occasion d'assumer des responsabilités politiques, comme quand ils ont participé à des activités de lobbying à Londres à propos de l'initiative constitutionnelle fédérale de 1980. Les gouvernements provinciaux organisent également fréquemment des missions commerciales à l'étranger. Les activités promotionnelles de cet ordre pourraient s'avérer dommageables pour les intérêts canadiens. Elles peuvent en effet transporter la concurrence entre les provinces pour la recherche de marchés et d'investissements sur l'arène internationale, même s'il est peu probable que la spécialisation régionale de l'économie canadienne débouche sur ce genre de choses. Ces activités permettent également de donner une image discordante du Canada, ce qui pourrait miner notre pouvoir de négociation. La Commission est cependant d'avis que la promotion du commerce à l'étranger est une conséquence naturelle des responsabilités économiques provinciales au pays. En autant que les provinces s'occupent essentiellement de leur propre promotion, il y a peu à craindre quant à l'intégrité des intérêts nationaux du Canada. Il reste toutefois beaucoup de place pour une coopération plus profonde entre le fédéral et les provinces et entre les provinces dans ce domaine. L'expertise régionale des gouvernements provinciaux pourrait venir en aide aux efforts du gouvernement fédéral et les provinces pourraient avoir recours aux compétences et aux ressources internationales des responsables canadiens du commerce. La coopération interprovinciale serait également possible. C'est pourquoi, à ce stade, les commissaires recommandent que le gouvernement fédéral suive les activités provinciales et en soit informé, sans pour autant exercer de contrôle direct. La responsabilité que le gouvernement fédéral a sur le commerce international lui confère un mandat clair de le réglementer et, si cela devait s'avérer nécessaire, d'aller à l'encontre des activités économiques extérieures de certaines provinces qui supposent des ententes formelles avec d'autres États ou la création de relations commerciales d'État à État. Rappelons enfin que la très longue frontière entre le Canada et les États-unis se traduit par une multitude de relations entre les États américains et les provinces canadiennes. Une étude de 1974 du département d'État américain a recensé 766 ententes en vigueur entre un État et une province. Une étude publiée en 1968 affirmait que la Colombie-Britannique était impliquée dans 649 interactions différentes avec le gouvernement fédéral et des États américains. Les rencontres entre les Premiers ministres et les gouverneurs des États américains sont devenues des événements réguliers comme la Conférence des Premiers ministres de l'Est et des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre. Tout récemment, les États des rives des Grands Lacs se sont entendus avec le Québec et l'Ontario sur le détournement des eaux du Bassin des Grands Lacs. La plupart des interactions de ce genre impliquent une coopération limitée sur des problèmes mutuels et ne mettent pas en question la souveraineté canadienne. Les commissaires sont cependant d'avis qu'il devrait incomber aux provinces d'informer le ministère fédéral des Affaires extérieures de l'existence de telles ententes et que ce ministère devrait définir des procédures pour exercer un contrôle. La gestion économique intérieure. Les commissaires ont déjà insisté dans ce Rapport sur le rôle plus important que le gouvernement a joué depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce qui correspond d'ailleurs à ce qui s'est passé dans tous les grands pays industrialisés du monde occidental. Si les contribuables sont nombreux à croire que ces gouvernements ont pris trop d'importance, il y en a toutefois peu à prôner un retour vers le bon vieux temps du dix-neuvième siècle. Nous sommes aujourd'hui plongés dans une économie mixte dans laquelle la loi invisible du marché est encore très puissante, sans toutefois être la seule. Les gouvernements aident à gérer ou à orienter l'activité économique même si le système de la libre entreprise se règle de lui-même dans une large mesure. La spécialisation continuelle de l'activité économique, à la fois à l'échelle nationale et à l'échelle internationale, qui se traduit par une interdépendance croissante, a eu pour effet que la prise de décision dans les secteurs privé et public est devenue un processus ardu et complexe. L'enchevêtrement et l'interaction des activités sont inévitables et il n'y a pas de marche arrière possible. Un des thèmes centraux de ce Rapport, en ce qui concerne les pratiques actuelles, est que les gouvernements devraient davantage se fier aux forces du marché et moins pratiquer les interventions destinées à contrecarrer ces forces ou à les précipiter. La recommandation des commissaires concernant l'élargissement du processus de la libéralisation internationale du commerce va dans ce sens. Il en est de même de la politique industrielle proposée dans la mesure où, comme nous l'avons déjà dit, il est peu probable qu'une approche par objectif soit plus efficace qu'un ensemble de politiques orientées vers le marché. Ce thème de la concurrence de marché n'est toutefois pas une panacée à la gestion de l'économie. Les gouvernements doivent encore définir les règles du jeu, à l'intérieur de leurs frontières comme au niveau international. Il ne fait pas de doute que la spécialisation et l'interdépendance s'intensifieront avec l'évolution technologique, établissant un réseau de plus en plus serré entre les partenaires économiques des secteurs public et privé. Cette évolution n'est pas inquiétante en soi, en autant qu'elle se fasse par des lignes de communication bien précises et en autant que la concurrence pour les ressources humaines, naturelles et essentielles au Canada se traduisent par des emplois dans des activités valorisantes. Les gouvernements font cependant face à des choix difficiles. Ainsi, la diversité régionale du Canada fait de la recherche d'un consensus un processus fort long. Certains secteurs de l'économie ont des dimensions régionales qui semblent contradictoires, allant vers le protectionnisme d'une part et vers un commerce plus libre d'autre part. Le gouvernement fédéral qui définit les politiques nationales doit tenir compte de ces intérêts régionaux divergents. Il doit en même temps faire preuve de politiques cohérentes orientées vers une communauté internationale la plus vaste possible dont dépend 30 pour cent du produit national brut du Canada. Les gouvernements du Canada influencent la croissance de la productivité de l'ensemble de l'économie avec leur politique fiscale, de dépense et de réglementation ainsi qu'avec leurs programmes. Les diverses combinaisons de politiques et de programmes peuvent affecter la croissance de la productivité de diverses façons et donc affecter aussi le niveau de vie de tous les Canadiens. Les mesures prises par les gouvernements influencent aussi la capacité concurrentielle de l'industrie canadienne dans une très large mesure. Ces observations sur le rôle des gouvernements s'appliquent à tous les pays; notre rôle est de nous assurer que les gouvernements canadiens fonctionnent au moins aussi efficacement que ceux des autres pays. Il est vital pour notre intérêt à tous que le Canada soit administré avec une haute compétence. En tant que Canadiens, nous devons donc poursuivre des objectifs globaux de société par des moyens cohérents avec ces objectifs, lesquels maximisent les rendements de nos ressources humaines, naturelles et essentielles. Notre forme fédérale de gouvernement présente, dans cette perspective, à la fois des avantages et des inconvénients pour la gestion de l'économie intérieure. La répartition des responsabilités constitutionnelles entre deux niveaux distincts de gouvernement laisse les Canadiens répartir les biens et les services fournis dans le secteur public selon les préférences des divers groupes à travers le pays. Le fédéralisme en soi témoigne bien du fait que, dans de nombreux cas, il n'est pas nécessaire d'avoir un consensus national pour offrir des biens et des services publics. Il n'est pas nécessaire que nos systèmes d'enseignement soient uniformes car les points de vue des communautés varient grandement à travers le Canada. Par contre, il y a des cas dans lesquels ce consensus national est indispensable. La défense nationale en est un exemple, mais on en trouve également des cas dans la gestion de l'économie intérieure. Il est bien évident que notre position sur le commerce ne peut pas être scindée pour respecter la tendance au protectionnisme de certains Canadiens et le penchant vers le libre-échange de d'autres. Si nous devons nous diriger vers un libre-échange sur une base multilatérale ou bilatérale, il faut avoir un objectif commun. Les tenants du fédéralisme parmi lesquels les commissaires se comptent voient dans ce fédéralisme la forme optimale de gouvernement: c'est un système qui permet de contrôler les équilibres plus qu'un gouvernement monolithique dans un état unitaire. La répartition des responsabilités constitutionnelles entre deux niveaux de gouvernement met en évidence les excès ou les inadéquations de n'importe quel gouvernement. Bref, le fédéralisme est un système de gouvernement concurrentiel qui empêche une catégorisation trop étroite des responsabilités constitutionnelles. Cependant, de nombreux observateurs imputent à ce caractère très concurrentiel une improductivité extrême. La lutte que se livrent les gouvernements pour attirer les investissements du secteur privé en faveur de certains mandants peut faire implanter une industrie là où le besoin est le plus important, permettant ainsi de réaliser de vastes avantages sociaux associés aux investissements privés. Une telle concurrence peut cependant se rendre jusqu'au point où, étant donné la vivacité des demandes auprès des investisseurs du secteur privé, une entreprise ou un groupe d'entreprises peut s'approprier la totalité des avantages. Il est également possible que la concurrence entre les gouvernements fédéral et provinciaux puisse fragmenter une industrie, entraînant ainsi des opérations à plus petite échelle et ayant des coûts plus élevés. Ce qui est plus grave, c'est qu'une telle concurrence pourrait casser les marchés communs canadiens en créant des restrictions à la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux. La présence simultanée des avantages et des inconvénients de notre forme fédérale de gouvernement implique qu'il faudrait disposer de mécanismes institutionnels adaptés à cette question de politique. Aucune panacée n'existe, il n'y a pas de modèle standard de coordination et de coopération entre 11 gouvernements. Cette coordination et cette coopération ont leurs coûts et il n'est pas toujours évident que les avantages l'emportent sur les coûts. Cette Commission propose de retenir une approche ponctuelle, en commençant par la gestion de la demande macro-économique pour se rendre au niveau des décisions micro-économiques de la répartition des ressources. Les politiques de stabilisation et d'emploi élevé. Les gouvernements, cherchant à contrer les variations du cycle des affaires, utilisent des politiques de gestion de la demande conçues soit pour stimuler, soit pour modérer l'ensemble de la demande des biens et des services. L'enthousiasme initial à l'égard des politiques de gestion de la demande inspirées de Keynes s'est cependant atténué progressivement. On mesure maintenant beaucoup plus, qu'on ne l'a fait immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, la difficulté à prévoir les événements et les écarts enregistrés entre la réalité et les résultats attendus des modifications de politique. Les économistes reconnaissent de plus, maintenant, que les attentes du public sont une partie intégrante du système économique, remettant donc en question la vieille notion de choix entre l'emploi et l'inflation. De plus, l'interdépendance des économies nationales et la rapidité des mouvements des capitaux exercent des contraintes sérieuses sur la latitude dont une petite économie comme celle du Canada dispose pour contrer les chocs extérieurs. L'indépendance en matière de prise de décision de politique intérieure est un privilège beaucoup moins grand que dans de nombreux États et les économies semblent vouloir le reconnaître. Les commissaires ont indiqué dans la Partie 111 de ce Rapport que les décideurs en matière de politiques de gestion de la demande doivent s'intéresser plus au moyen et au long terme, en ayant recours à des modifications de politiques discrétionnaires uniquement pendant les périodes de récession sérieuses et prolongées ou de « surchauffe » de l'économie. On a rappelé également que les caractéristiques structurelles et institutionnelles de notre économie signifient que des niveaux élevés de chômage (entre 6,5 et 8 pour cent) sont inévitables pour échapper aux pressions inflationnistes. Tant que ces caractéristiques structurelles et institutionnelles n'auront pas été modifiées par des moyens comme la réforme du système de l'assurance-chômage et des diverses compensations salariales, nous ne devrions pas avoir recours aux politiques de gestion de la demande pour réduire le chômage à des taux inférieurs à ces 6,5 à 8 pour cent. Nous insistons sur le fait que le contrôle de l'inflation est un élément essentiel d'une bonne gestion économique. Nous avons souligné également dans la Partie 111 de ce Rapport plusieurs mesures permettant d'atténuer les conséquences sur l'emploi du cycle des affaires, afin de rechercher des niveaux d'emploi plus élevés tout en maintenant la stabilité des prix. On a envisagé toute une série de mesures dont le contrôle des salaires et des prix et d'autres formes de contrats salariaux, y compris des participations aux profits. Ces mesures peuvent parfois être des substituts acceptables aux politiques traditionnelles de gestion de la demande, mais elles y sont également des compléments. Les contrôles sur les salaires et les prix ne seront probablement efficaces que si les politiques de gestion de la demande agissent en tandem pour freiner l'économie. Les politiques discrétionnaires de gestion de la demande sont moins importantes si la participation au profit est répandue, car il est plus facile de conserver la production et l'emploi pendant les périodes de ralentissement des marchés. Quelles conséquences et conclusions ont-elles sur le partage constitutionnel des pouvoirs? Quelles implications les mécanismes institutionnels ont-ils sur la coordination et la coopération entre les gouvernements fédéral et provinciaux? La réponse dépend des moyens qui seront utilisés pour assurer la stabilité et un emploi élevé. La politique fiscale. Les opposants au fédéralisme ont souvent dit qu'il fragmente le système de prise de décision, avec pour résultat que les gouvernements prennent des orientations différentes. L'application de la politique fiscale a semblé pendant de nombreuses années illustrer à merveille cette affirmation. Les provinces pouvaient, en augmentant les impôts ou en réduisant leurs dépenses, nuire à toute tentative du gouvernement fédéral d'augmenter les dépenses, que ce soit en augmentant les dépenses fédérales ou en réduisant les impôts. De la même façon, les réductions et les augmentations de dépenses des provinces pouvaient aller à l'encontre des tentatives du gouvernement fédéral de ralentir la « surchauffe » de l'économie. Les risques de ce type de comportement antiproductif ont nettement augmenté depuis 1945 avec l'essor des gouvernements provinciaux par rapport au gouvernement fédéral. Alors que le gouvernement fédéral comptait pour 58 pour cent des dépenses gouvernementales totales en 1950, il n'en représente plus que 49 pour cent en 1980. Cette évolution des parts est encore plus marquée si l'on considère les transferts entre gouvernements versés à d'autres niveaux de gouvernement. De même que les dépenses des provinces, les revenus des provinces en impôt ont augmenté plus rapidement au cours des dernières décennies. La taxe de vente au détail est un élément important de revenu pour la plupart des provinces et certaines ont, parfois, réduit leurs taux pour augmenter la demande des consommateurs dans des périodes de récession. L'Ontario et le Québec ont eu recours à cet instrument pour venir en aide à certains secteurs de leurs économies. Le gouvernement fédéral, en 1978, s'efforçant de stimuler la demande à court terme, promettait aux gouvernements provinciaux de leur rembourser la réduction qu'ils consentiraient, sur leurs taxes de vente au détail. Le Québec a alors réduit sa taxe de vente beaucoup plus que nécessaire, mais uniquement sur certains produits importants dans sa production industrielle, donnant ainsi naissance à un conflit fédéralprovincial qui devait limiter l'efficacité de ce projet. Il n'est pas évident, malgré les risques de politiques fiscales divergentes et parfois, comme en 1978, de politiques fiscales mal coordonnées, que notre forme fédérale de gouvernement empêche une gestion efficace de la demande. Les deux niveaux de gouvernements ont, en général, à harmoniser leurs bases fiscales et l'influence du fédéral sur les dépenses du secteur privé reste forte grâce à la structure et au niveau d'imposition. Les gouvernements fédéral et provinciaux ne coordonnent pas formellement leurs niveaux de dépense, mais cela ne s'est pas révélé un problème important pour la politique fiscale fédérale. Les ministres des finances des 11 gouvernements se rencontrent en général au moins une fois par année pour se consulter sur leurs projets de budget et le Comité permanent sur les questions fiscales et économiques, fondé en 1955, permet encore d'autres échanges. Le gouvernement fédéral peut donc, quand il formule sa propre politique fiscale, tenir compte des activités des gouvernements provinciaux. Le volume des dépenses fédérales, même s'il diminue par rapport au total des dépenses publiques, n'a pas diminué par rapport au produit national brut et ses effets sur le niveau de la demande totale de l'économie ne se sont pas effrités de façon importante. Les commissaires ne perçoivent pas le fédéralisme comme un élément nuisible à la conservation de l'efficacité de la politique fiscale fédérale. C'est pourquoi nos recommandations sont relativement mineures. Il nous semble que les consultations entre les ministres des finances se sont avérées utiles et nous recommandons une reconnaissance formelle de ce processus, reconnaissance qui fixerait un calendrier et des procédures précises. Il devrait y avoir une meilleure coordination des calendriers pour les budgets fédéral et provinciaux afin de réduire l'incertitude pendant la période où les gouvernements fédéral et provinciaux préparent leur budget. Des budgets mieux coordonnés auraient bien sûr des effets sur la fréquence et le calendrier des réunions formelles des ministres des finances. Nous recommandons enfin des moyens permettant de conserver le niveau actuel d'harmonie dans l'assiette fiscale. La politique monétaire. La politique monétaire cherche à régulariser l'offre d'argent et de crédit dans l'ensemble de l'économie. Elle doit être coordonnée avec la politique fiscale afin que les deux soient complémentaires pour stabiliser l'économie. Comme dans le cas de la politique fiscale, il ne fait pas de doute que le gouvernement fédéral possède l'autorité constitutionnelle de poursuivre ces objectifs. Il détient l'autorité, en vertu de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, sur la monnaie, la frappe des pièces, les opérations bancaires, l'incorporation des banques, et l'émission du papier-monnaie. Ces instruments nous permettent d'influencer, au moins dans une certaine mesure, les taux d'intérêt et le taux de change. L'activité croissante du secteur « para-bancaire », c'est-à-dire les compagnies de fiducie, de crédit et les caisses populaires à charte provinciale, affectent l'aptitude de la banque centrale à influencer l'offre d'argent. Le Parlement a toutefois conclut, quand on a révisé la Loi sur les banques en 1980, que cela ne posait pas de problèmes importants pour la politique monétaire. De la même façon, comme les gros emprunteurs de fonds sur les marchés internationaux, les provinces peuvent agir sur le taux de change même si, là encore, les principaux instruments sont dans les mains du fédéral. Les questions concernant le fédéralisme sont donc plutôt économiques et politiques que constitutionnelles. Une question politique importante en ce qui concerne la politique monétaire a été la demande formulée par plusieurs provinces concernant la mise en place d'une politique différenciée par région. En réalité, la mobilité des taux au sein de l'union économique ne permet aucune variation des taux d'intérêts entre les différentes régions. De plus, comme les commissaires l'ont déjà signalé, nous ne croyons pas qu'une politique macroéconomique soit un instrument qui convienne pour la recherche du développement régional. En tout état de cause, les expérience récentes ont démontré qu'une petite économie ouverte comme celle du Canada ne peut pas suivre une politique monétaire qui soit isolée du système financier international. La contrainte est internationale et non pas intérieure. Les politiques de revenu. L'objet des politiques de revenu est de ralentir le taux d'inflation en contrôlant les augmentations de prix et les augmentations de salaires. Au chapitre 3 de ce Rapport, les commissaires se sont opposés à l'adoption de politiques permanentes de revenu au Canada. Nous ne croyons pas qu'une telle politique cadre soit nécessaire, compte tenu de la flexibilité et de la capacité d'adaptation requises dans un monde en changement rapide. Toutefois, comme la réglementation du travail, la propriété et les droits civils - qui sont tous affectés par les politiques de revenu - relèvent pour l'essentiel de la juridiction provinciale; une politique permanente de revenu redistribuerait les pouvoirs et les responsabilités des deux niveaux de gouvernement. Si des contrôles temporaires devenaient nécessaires en cas d'urgence, le pouvoir fédéral a l'autorité nécessaire pour les imposer en vertu de la clause « de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement . Cette autorité a clairement été affirmée dans le Cas du renvoi sur l'inflation de 1975. Si les commissaires ne sont pas en faveur d'une politique de revenu permanente, il y a toutefois deux approches qui ne s'exposeraient pas à des objections constitutionnelles auxquelles font face les contrôles permanents sur les salaires et les prix: il s'agit d'une politique de revenu basée sur l'impôt ou d'une politique, qui comme les programmes récents des cinq et six pour cent, ne s'appliquerait qu'aux employés et aux employeurs fédéraux relevant de la juridiction fédérale du travail. Une politique de revenu basée sur l'impôt nécessiterait certainement une consultation entre le fédéral et les provinces, puisqu'elle impliquerait des changements importants à la Loi fédérale de l'impôt sur le revenu avec des conséquences importantes également pour les provinces. Il faudrait toutefois que les provinces y acquiescent, même sans grand enthousiasme, puisque les gouvernements provinciaux pourraient toujours émettre des règlements ou modifier leurs impôts de façon à neutraliser les stimulants fiscaux fédéraux qui devraient rendre un tel programme efficace. Le recours à une approche du type du programme des six et cinq pour cent, pour une politique de revenu, que ce soit sur une base permanente ou temporaire, permet d'éviter l'épineuse question du partage des pouvoirs en limitant cette réglementation fédérale aux employeurs et aux employés relevant de la juridiction fédérale. Ce groupe ne constitue pas une majorité d'employeurs et d'employés, mais il est suffisamment important pour que la politique de revenu qui s'y appliquerait ait des effets sensibles sur l'économie et serve d'exemple aux provinces et aux intervenants du secteur privé qu'elle réglemente. Le gouvernement fédéral pourrait d'ailleurs étendre la portée d'une telle politique en imposant de se conformer à de telles contraintes pour pouvoir figurer sur certaines ou sur toutes ses listes de fournisseurs. Rappelons enfin que les gouvernements provinciaux ont également été en faveur des contraintes. Comme dans le cas du programme fédéral des six et cinq pour cent, ils se sont efforcés récemment de restreindre les augmentations de salaire du secteur public et de contrôler des prix réglementés par les provinces. Les programmes provinciaux ont varié beaucoup en fonction des conditions locales et des objectifs politiques et économiques de chaque gouvernement. Dans plusieurs provinces, comme en Colombie-Britannique, au Québec et à Terre-Neuve, ces programmes provinciaux ont été à l'origine de vifs conflits internes. Ces écarts dans les solutions retenues soulignent encore, de l'avis des commissaires, les avantages du fédéralisme lequel permet la variété, l'expérimentation, et la diffusion des conflits dans une large proportion. Ces diverses approches sont toutefois situées dans un vaste cadre commun qui était le résultat de conditions communes dans lesquelles les provinces et le gouvernement fédéral se trouvaient tous. La restructuration du marché du travail: la participation aux profits. Les commissaires estiment que l'évolution de la structure des marchés du travail est peut-être le meilleur moyen dont on dispose pour réduire les hauts niveaux de chômage structurels sur lesquels les politiques fiscales et monétaires semblent incapables d'agir. Nombreux sont les éléments qui affectent le fonctionnement des marchés du travail. Les canaux d'information efficaces peuvent établir des liens entre les travailleurs et l'évolution des possibilités d'emploi. Les subventions à la mobilité peuvent faciliter ce processus d'adaptation. L'enseignement et la formation peuvent permettre de disposer de la bonne combinaison de compétences dans la population active. L'intervention dans le processus de la détermination des salaires est un autre élément qui peut avoir une influence sur le marché du travail. Il peut s'agir de politique du salaire minimum, de stimulants fiscaux ou d'autre nature conçus pour influencer les syndicats et le patron dans leur négociation; il peut s'agir de réglementation des relations de travail comme celles touchant la reconnaissance syndicale et les droits de grève. La plupart de ces éléments relèvent des juridictions provinciales. Est-ce que cela limite la capacité d'action du gouvernement fédéral et, de façon plus générale, est-ce que cela empêche de disposer d'une politique efficace? La principale recommandation des commissaires en ce qui a trait aux marchés du travail, dans la troisième partie du Rapport, était le recours aux stimulants fiscaux fédéraux pour inciter le secteur privé à déterminer les niveaux de salaire, dans une certaine mesure, en fonction des gains réalisés sur le marché par l'employeur. Il nous semble que le gouvernement fédéral, tout en restant dans son propre domaine de juridiction, peut poursuivre un tel objectif grâce au système fiscal. Nous ne nous attendons pas à ce que de telles mesures provoquent des tensions sérieuses entre les régions et les différents gouvernements. Enfin, quand le Canada cherche de nouvelles approches pour apporter des réponses à ces questions, la variété des solutions expérimentées et retenues permise par le fédéralisme offre encore un avantage important. Les lois provinciales sur le travail ont beaucoup en commun. Elles puisent en général leurs origines dans la législation fédérale sur les relations de travail en temps de guerre. Il y a sans aucun doute des similitudes dans les forces économiques et politiques en jeu dans les provinces. Cela s'accompagne également d'importants écarts d'une province à l'autre. La Colombie-Britannique, la Saskatchewan, l'Ontario et le Québec se sont livrés à des innovations importantes dont plusieurs ont fait l'objet de controverses. Au cours des dernières années, les politiques favorables au travail organisé ont enregistré un certain recul dans plusieurs juridictions, en particulier dans le secteur public. La question n'est pas ici de savoir si les individus sont d'accord ou non avec ces modifications, mais plutôt de savoir si les gens sont satisfaits des possibilités de variétés des solutions expérimentées et retenues que le système permet. Les relations de travail sont une question d'intérêt national, mais cela ne veut pas dire que la réglementation provinciale est inappropriée. Le développement infrastructurel. Les réseaux de transport et de communications établissent des liens entre les citoyens répandus partout à travers notre vaste pays, facilitant ainsi les échanges de biens, de services et d'idées entre eux. Les institutions financières jouent un rôle important en adaptant les fonds disponibles pour les investissements aux besoins et aux possibilités des Canadiens. Ce type de liens matériels et symboliques a aidé à construire la nation canadienne comme en témoigne la contribution vitale des chemins de fer du Canadien Pacifique. Tous ces réseaux sont essentiels, non seulement pour la santé économique de la Confédération, mais également pour la conservation des unités politiques qui est la raison ultime de l'existence de l'union économique. Ces réseaux, en termes économiques et politiques, sont essentiels pour faire des concepts de l'union économique une réalité vécue. Le transport. Le Canada doit développer un régime de réglementation cohérent qui englobe toutes les principales formes de transport qui unissent le pays: le transport ferroviaire, routier, le camionnage, le transport maritime sur les Grands Lacs, le transport océanique et aéronautique. La Constitution du Canada ne confère pas expressément de juridiction sur une catégorie générale de transport. Toutefois, le paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 précise que la navigation et l`expédition, les chemins de fer, les canaux et les télégraphes sont de juridiction fédérale et accorde au gouvernement fédéral le pouvoir de prendre sous son autorité d'autres travaux et d'autres systèmes qui franchissent les frontières provinciales. Les tribunaux ont interprété la clause « de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement » comme une clause accordant l'autorité constitutionnelle de réglementation dans les domaines de l'industrie aéronautique au fédéral. Le gouvernement fédéral a donc maintenant de façon bien établie une juridiction sur l'ensemble de ce secteur. Une juridiction bien établie n'est toutefois pas toujours suffisante comme les auteurs d'une étude menée pour le compte de cette Commission l'ont suggéré. Ils ont conclu que la propriété provinciale, ou la participation d'une province au capital d'une importante compagnie aérienne régionale a empêché le gouvernement fédéral de se servir de la réglementation aérienne comme d'un instrument de développement économique national. C'est, d'après eux, au moins une des raisons qui ont incité récemment le gouvernement fédéral à se diriger vers la dé-réglementation du secteur aérien. Les problèmes constitutionnels liés à la réglementation fédérale du transport ferroviaire et du camionnage sont sensiblement différents. L'interprétation juridique des aliénas (a) et (b) de l'article 92(10) ont conféré au fédéral la juridiction sur la réglementation d'entreprises interprovinciales de cette nature et la juridiction aux provinces sur les entreprises intraprovinciales. La part du fédéral dans ce partage de juridiction a augmenté graduellement quand les tribunaux ont décidé que les unités de transport qui assuraient des fonctions à la fois interprovinciales et intra-provinciales tombaient exclusivement sous la juridiction fédérale. Le gouvernement fédéral détient également la juridiction sur les entreprises rattachées à des entreprises interprovinciales plus larges ou y faisant partie. Cette approche a permis au gouvernement fédéral de disposer de suffisamment de latitude, en termes juridiques, pour mettre en place des politiques nationales de transport dans ce secteur et il semble bien qu'il ait utilisé de la façon qui convient cette autorité dans le secteur ferroviaire. On ne peut pas toutefois en dire autant du secteur du camionnage où, en vertu de la partie 111 de la Loi nationale sur les transports, le gouvernement fédéral a délégué ses pouvoirs des licences et de réglementation aux agences provinciales de réglementation. Cette délégation s'est traduite par dix ensembles distincts de réglementation de l'industrie du camionnage, chacune formulée par deux niveaux de gouvernement. L'entente résultante est coûteuse à administrer et ses effets prêtent à confusion. Au moment où on rédige ces pages, les divers gouvernements du Canada participent à des discussions dans le but d'harmoniser ces réglementations et un accord semble imminent. Si un tel accord ne se concrétisait pas, il faudrait songer sérieusement à consolider la responsabilité du camionnage interprovincial dans le cadre de la juridiction fédérale. Les communications. Les liens de communication électronique sont aussi vitaux à l'union économique canadienne que ne l'étaient les chemins de fer dans le passé. Les objectifs de la politique fédérale, en ce qui concerne les communications, sont comparables à ceux déjà identifiés pour le secteur des transports. Le statut constitutionnel des communications relève également de la réglementation fédérale puisque les tribunaux ont décidé que le gouvernement fédéral détient la juridiction exclusive sur les communications radio dans ses diverses formes, y compris la radio, la télévision, la télévision par câble, les transmissions par micro-ondes et l'utilisation des satellites. La situation juridique du téléphone et des diverses formes de télécommunications qui y sont rattachées est cependant unique. Les tribunaux n'ont reconnu là ni le partage de juridiction qu'on retrouve dans l'industrie du camionnage, ni une juridiction exclusive d'un des niveaux de gouvernement. On a vu au contraire dans ce domaine une mosaïque de juridictions évoluer graduellement. Les deux plus grandes entreprises de téléphone du Canada et deux transporteurs publics intérieurs spécialisés relèvent de la juridiction fédérale. Sept grands transporteurs provinciaux et une foule de petites entreprises relèvent par contre de réglementations provinciales. Ajoutons à cela que personne ne réglemente Télécom Canada, une association des dix principaux transporteurs qui coordonnent le fonctionnement du seul réseau national public de téléphone interconnecté. Il est difficile, du fait de cette mosaïque juridique, de mettre au point une politique nationale de télécommunications. L'échec en ce domaine a, à son tour, empêché la création d'autres réseaux et services nationaux de remplacement. Du point de vue des normes internationales, le Canada dispose d'un système de télécommunications avancé et efficace. Comme il convient à un pays où la victoire sur les distances est un défi fondamental, le Canada a innové dans bon nombre de domaines technologiques importants en télécommunications. Nous sommes toutefois menacés de ne pas être capables de suivre le rythme d'adoption des nouvelles technologies et de passer derrière les États-Unis. Il est donc très important de clarifier les juridictions et les rôles. Les tentatives du fédéral de mettre au point une politique nationale d'ensemble sur les systèmes téléphoniques et de communications remontent à 1968. Les provinces étudiaient également à la même époque le rôle des communications dans le développement économique et la culture. Pendant les années 1970, tous cherchaient à obtenir une plus grande autorité constitutionnelle en cette matière. Ces objectifs conflictuels ont donné naissance à des conflits fédéraux-provinciaux et très peu de mesures efficaces ont été prises. Les distinctions entre le contenu et le matériel ou entre les communications inter et intra-provinciales seront rapidement dépassées du fait de la rapidité de l'évolution technologique. Les Canadiens doivent réagir à cette situation. Il est possible de prendre trois orientations différentes pour faire débloquer cette situation. Tout d'abord, le gouvernement fédéral pourrait revendiquer la juridiction sur l'ensemble du secteur des télécommunications. Toutes les entreprises téléphoniques réglementées par les provinces, ainsi que Télécom Canada, relèveraient alors de la réglementation fédérale, mais il semble que cela soit très difficile à réaliser. Plusieurs provinces possèdent actuellement leur propre compagnie téléphonique, et il y a de nombreuses facettes aux services dans une province qui représente des problèmes d'intérêt légitime pour les gouvernements provinciaux. On peut citer à ce titre les services aux régions éloignées et l'intégration des services de câble et de téléphone. Une deuxième solution serait de former une juridiction concurrente, sous le couvert du fédéral. Une telle entente permettrait au gouvernement fédéral de réglementer les aspects des télécommunications qui sont essentiels aux services interprovinciaux et internationaux et ainsi de maintenir un système de télécommunications efficace dans l'ensemble du pays. Les provinces conserveraient l'autorité de réglementation aux niveaux locaux. Une telle coopération permettrait de disposer d'un haut degré de flexibilité pour s'adapter aux changements technologiques. Une juridiction partagée de cette nature présente cependant des dangers comme l'expérience américaine l'a démontrée. Les services intra et inter-États utilisant les mêmes installations, il serait difficile d'appliquer à la fois les réglementations des États et du fédéral sur les tarifs locaux et inter-États, de plus la gestion de ces réglementations deviendrait coûteuse à gérer. La troisième solution serait une réglementation conjointe. Dans ce cas, les gouvernements fédéral et provinciaux délégueraient leur autorité de réglementation à une agence commune fédérale-provinciale de réglementation. Cela se traduirait par une modification importante du rôle et de la composition du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et de la Commission des télécommunications, soit en transférant ses responsabilités à une nouvelle entité ou en impliquant les provinces dans les nominations du CRTC et dans ces procédures. Si une telle entente permettait de régler les problèmes d'une réglementation à deux niveaux, elle réduirait par le fait même la flexibilité et la responsabilité des deux niveaux de gouvernement. A ce sujet, les commissaires expriment leur préférence pour une juridiction concurrente sous le couvert du fédéral, puisque cela permet de répondre aux objectifs clés d'assurer un réseau national de communications de toutes sortes et de rester sensibles aux intérêts des provinces. Les institutions financières. Tout comme nos systèmes de transport et de communication assurent un lien vital entre les acheteurs et les vendeurs, entre les producteurs et les consommateurs, nos institutions financières sont un lien essentiel de l'infrastructure économique, offrant les liens nécessaires entre les épargnants et les investisseurs canadiens. Il y a eu, de façon traditionnelle, quatre types distincts d'institutions financières à la base de notre système financier: les banques, les compagnies de fiducie, les compagnies d'assurance et les courtiers en valeurs mobilières. Chacune de ces sources n'avaient accès qu'à quelques formes d'épargne et ne pouvaient procéder qu'à certains types d'investissement. On assiste en ce moment à une modification fondamentale du système, les différences entre ces quatre types d'institutions devenant de moins en moins marquées au fur et à mesure que chacune empiète dans des domaines qui étaient auparavant réservés à une autre. L'évolution technologique rapide, stimulée par la concurrence internationale, est une des forces qui poussent à cette transformation. Ces modifications ont permis aux institutions financières d'offrir aux consommateurs toute la gamme des services financiers à un seul endroit. Le Québec procède à la déréglementation de ces institutions financières et cela a poussé les autres gouvernements provinciaux à suivre la même voie. Au niveau constitutionnel, le gouvernement fédéral a la juridiction exclusive sur les banques, alors que les gouvernements provinciaux réglementent le marché des valeurs mobilières et les courtiers qui opèrent sur ce marché. Quant au régime constitutionnel qui concerne les compagnies de fiducie et d'assurance, il est plus complexe. Les ententes constitutionnelles actuelles se sont avérées satisfaisantes pour une réglementation effective des quatre types d'institution financière, mais cette nouvelle convergence fait apparaître de nouveaux problèmes constitutionnels. Si la distinction entre ces quatre types d'institutions s'efface, les régimes distincts de réglementation deviendront automatiquement dépassés. Le Conseil économique du Canada a prétendu qu'il faudrait les remplacer par une approche fonctionnelle à la réglementation, en appliquant des règles uniformes à la performance de services financiers donnés comme le courtage des titres, indépendamment de la nature de l'institution qui s'en occupe. La Loi sur les banques pourrait ainsi réglementer les fonctions « bancaires 1, des compagnies de fiducie. Dans cette perspective, les développements technologiques du secteur financier semblent nécessiter les mêmes types de modifications à la réglementation dont on a déjà parlé en ce qui concerne les téléphones et les télécommunications. La question qui nous préoccupe ici est de savoir si le partage actuel des pouvoirs peut permettre une réglementation efficace basée sur la fonction. Cette question a plusieurs aspects. Est-ce que le fonctionnement d'un système fonctionnel et efficace de réglementation impose un leadership fédéral? Si tel est le cas, le gouvernement fédéral détient-il l'autorité constitutionnelle pour assurer ce leadership? S'il l'a, est-ce que l'application de ce leadership susciterait une opposition importante des provinces? La dernière question est encore plus importante, quelles sont les grandes orientations qu'il faut suivre? Il est beaucoup plus facile de poser ces question que d'y répondre. Les opinions sont partagées pour la première. Nous avons pu, malgré une réglementation très fragmentée, avoir un système financier intégré à l'échelle nationale et fort efficace. Pendant très longtemps, les banques ont été des institutions à l'échelle nationale. Les développements récents dans d'autres secteurs de l'industrie financière allaient également dans le même sens. Il faut cependant reconnaître qu'il y a eu de façon traditionnelle au Canada des griefs régionaux quant au fait que l'industrie financière était trop concentrée et donc insensible aux besoins et aux possibilités financières de régions données. La réglementation provinciale du marché des valeurs mobilières est un exemple très intéressant. Il semble en principe qu'il y ait des arguments puissants en faveur d'une réglementation fédérale. On a toutefois, en pratique, obtenu sensiblement le même résultat avec des juridictions provinciales à cause du rôle dominant que l'Ontario, le centre de l'industrie financière canadienne, a pu jouer, souvent avec le Québec comme partenaire. Une étude préparée pour cette Commission prétend qu'il n'y a pas de raison sérieuse pour modifier cette entente: ici, la réglementation provinciale a répondu à des objectifs nationaux. D'autres travaux de recherche ont une vision moins optimiste de l'avenir. Il est probable, d'après eux, que l'évolution technologique, l'intégration internationale croissante des marchés de capitaux et le désir des provinces, en particulier du Québec, de réglementer les marchés pour réaliser des objectifs provinciaux de développement devraient soumettre dans un avenir proche le système à des pressions plus fortes. Étant donné l'importance de nos institutions financières pour le développement économique efficace et l'adaptation de notre économie à un monde plus concurrentiel, il est indispensable de trouver des réponses à ces questions dans les plus brefs délais. Le comité qui a récemment fait enquête sur la réglementation des institutions financières canadiennes» , un comité conjoint formé de représentants du gouvernement fédéral et de l'industrie, s'est penché sur certains de ces problèmes. Les provinces n'y ont pas participé pleinement, ce qui est malheureux étant donné qu'une bonne partie de l'expertise dans ce domaine est provinciale et que, comme on l'a dit, la juridiction dans ce secteur est partagée. C'est là un domaine dont le conseil des ministres responsables du développement économique pourrait surveiller l'évolution. Les politiques d'ajustement et les politiques sociales. Les travailleurs et les employeurs canadiens doivent, dans le contexte d'un commerce plus libre et de politiques de stabilisation et de développements infrastructurels efficaces, s'adapter avec un esprit créatif à l'évolution de la situation économique, en se détournant progressivement des activités en déclin pour s'intéresser aux nouvelles possibilités. Nous devrions nous intéresser à trois groupes de politiques, toutes conçues pour faciliter ce processus. Les gouvernements fédéral et provinciaux devraient tous deux jouer des rôles importants dans tous ces domaines. La réduction des obstacles à la répartition des ressources du marché. Les commissaires ont énoncé, dans la Partie 111 de ce Rapport, des recommandations importantes pour réduire les limitations entravant la répartition des ressources du marché. Nous mettons l'accent sur l'importance qu'il y a à restreindre la tendance naturelle en politique à évincer des industries particulières. Il est bien évident que ce problème ne soulève pas de questions quant au partage des pouvoirs dans le système fédéral et qu'il s'agit tout simplement d'y apporter des limites. Les Canadiens devraient avoir conscience que le fédéralisme incite probablement à mettre en place des politiques « de sauvetage ». Les industries qui éprouvent des problèmes, que ceux-ci soient importants ou non en termes économiques, sont des éléments importants de la vie de chaque province et de chaque communauté. Les gouvernements provinciaux peuvent donc manifester un intérêt relativement important à ces industries. Si le gouvernement fédéral résiste à la tentation de les sauver, il s'exercera des pressions beaucoup plus importantes sur les gouvernements provinciaux pour qu'ils interviennent et pour qu'ils exercent également des pressions sur le gouvernement fédéral. Une politique industrielle fédérale moins interventionniste aura tendance, dans cette perspective, à adoucir les conflits entre les gouvernements et entre les régions. Une source courante des griefs régionaux est la perception que les sauvetages fédéraux discrétionnaires dans des régions données répondent à des motivations hautement politiques. La réaction courante est: ,. Pourquoi ne faites-vous pas la même chose pour nous? » Si, à long terme, le gouvernement fédéral limitait beaucoup plus ce genre d'intervention, cela renforcerait la perception générale d'équité et de traitement égal. La politique de concurrence et les normes sur les produits sont des instruments vitaux à la répartition efficace des ressources du marché. Il est essentiel de disposer d'une politique de concurrence efficace si on veut tirer pleinement partie des possibilités qu'offre une union économique. Le Canada n'a pas été très agressif dans ses mesures pour encourager la concurrence, ce qui s'explique peut-être en partie par notre situation constitutionnelle. La législation canadienne qui concerne la concurrence trouve sa justification constitutionnelle presque uniquement dans le pouvoir fédéral sur le droit criminel. Cela s'est traduit par des limitations des instruments de politique et de la gamme des remèdes disponibles, et par une certaine ambiguïté quant à savoir qui, du fédéral ou des provinces, doit entamer des poursuites. C'est là une excellente illustration de la tendance des exigences du fédéralisme qui exerce des contraintes sur les outils et les instruments servant à l'application d'une politique. L'arrêt récent de la Commission nationale des transports tranché par la Cour suprême a réglé quelques-unes de ces questions. Dans un jugement concurrent, le juge Brian Dickson a prétendu que la réglementation de la concurrence est une des activités auxquelles les gouvernements provinciaux ne peuvent pratiquement ni constitutionnellement s'adonner car « si la concurrence doit être réglementée, elle doit l'être au niveau fédéral ». Le juge Dickson s'est interrogé quant à savoir si cette situation implique que le gouvernement fédéral pourrait justifier une législation sur la concurrence en vertu des pouvoirs généraux sur les échanges et le commerce accordés par le paragraphe 91(2), plutôt que par les pouvoirs qu'il détient en vertu du code criminel. Il est essentiel, de l'avis des commissaires, de résoudre cette ambiguïté. La réglementation de la concurrence est, de toute évidence, un aspect de l'ensemble de la réglementation du commerce et des échanges au Canada. Nous proposons donc que le paragraphe 91(2) soit amendé de façon claire pour englober un pouvoir fédéral de réglementation sur la concurrence. La réglementation sur l'étiquetage et les normes des produits est étroitement reliée à la politique de concurrence. Les arrêts récents impliquant Labatt et les magasins Dominion semblent avoir jeté beaucoup de confusion sur les pouvoirs du fédéral en cette matière. Ces décisions ont invalidé des articles importants de la Loi des aliments et drogues en alléguant une présumée intention d'imposer des normes à des produits fabriqués et commercialisés à l'intérieur d'une province. Cependant, dans le cas de Labatt, le produit en question était de la bière, un produit normalisé, publicisé et vendu à travers tout le Canada par des entreprises à l'échelle nationale et qui était tout simplement brassée dans chaque province. Décrire ces activités de brasserie, ainsi que toute une gamme d'autres genres de productions analogues, comme des activités locales est, comme l'a fait remarquer un économiste, dangereusement déphasé par rapport à la structure moderne d'une économie de production, de promotion et de vente de biens de consommation. Dans le cas des magasins Dominion, il s'agissait de normes de classification définies par le fédéral pour des pommes, et l'essentiel de la même analyse s'appliquait. A l'examen de ces deux décisions, on s'aperçoit qu'elles réduisent sensiblement l'interprétation du pouvoir fédéral en vertu du paragraphe 91(2) pour réglementer les échanges et le commerce à travers le pays. Des normes et des définitions variant beaucoup dans des produits d'usage courant peuvent imposer des coûts élevés aux producteurs et aux consommateurs. C'est pourquoi les commissaires recommandent d'ajouter un élément aux pouvoirs généraux sur les échanges et le commerce: la réglementation des normes des produits. Aucun de ces cas n'impliquait des questions importantes à l'échelle régionale. Dans les deux cas, des solutions efficaces semblaient hors de portée des provinces. Peu de provinces ont d'ailleurs manifesté un intérêt à légiférer dans ce domaine. Toutefois, si on se fie à des discussions constitutionnelles antérieures, une majorité de provinces a manifesté sa bonne volonté d'étudier un amendement constitutionnel qui traiterait des normes des produits. Un dernier élément en faveur de l'élimination des obstacles nuisant à la répartition des ressources du marché est l'avis voulant que les gouvernements canadiens devraient s'efforcer de réduire, ou au moins de rationaliser, le poids de la réglementation dans autant de domaines que possible. C`est là encore une recommandation d'ordre général que les commissaires expriment avec insistance auprès des deux niveaux de gouvernement. Dans de nombreux domaines, comme dans ceux des normes sur l'environnement, de la protection des consommateurs ou de la santé et de la sécurité au travail, les intervenants économiques se trouvent soumis à une réglementation provenant de deux sources et même parfois de plus, que ce soit sous la forme de dix régimes de réglementation provinciaux différents ou sous la forme de régimes fédéral et provinciaux. Cette pléthore de systèmes peut s'avérer très onéreuse. Par contre, dans le domaine de l'environnement, nous recommandons le renforcement d'un cadre de réglementation. Dans de nombreux cas, ce sont là des domaines relativement nouveaux de l'activité gouvernementale dans lesquels les deux niveaux de gouvernement progressent et dans lesquels il faut s'efforcer d'arriver à des relations stables. Les commissaires souhaitent souligner deux points. Tout d'abord, dans les domaines où les régimes de réglementation provinciaux divergent, le modèle qui conviendrait le mieux serait l'harmonisation de lois provinciales par le biais de mécanismes interprovinciaux. En second lieu, quand des problèmes surviennent à la suite d un partage des pouvoirs de réglementation entre le fédéral et les provinces, comme c'est le cas des télécommunications et des finances, nous pensons que le principe à retenir serait celui d'une réglementation fonctionnelle, c'est-à-dire la réglementation d'activités précises plutôt que d'institutions précises. L'encouragement et la facilité d'adaptation. Tout au long de ce Rapport, nous avons mis l'accent sur la nécessité d'encourager la mobilité des travailleurs, pour qu'ils passent de régions à faibles possibilités de revenu à d'autres régions en offrant de meilleures. Nous avons recommandé un programme temporaire d'assistance au recyclage (PTAR) afin d augmenter les encouragements au déplacement et à la formation. Nous avons fortement insisté sur le retrait des stimulants actuels, en particulier sur ceux du système d'assurance-chômage, qui encouragent certains types d'industries inefficaces. Nous avons également prôné une collecte et une diffusion plus efficaces des renseignements sur les possibilités d'emploi dans le pays. Le gouvernement fédéral a le pouvoir de traiter ces questions. Nous nous rendons cependant compte que l'accent mis sur l'ajustement à travers la mobilité semble aller à l'encontre de l'accent mis sur la prospérité d'un endroit. Il faut en effet savoir que l'appui apporté aux communautés existantes est souvent à la base des politiques régionales fédérales et de la plupart des politiques provinciales de développement industriel. A notre avis, les Canadiens doivent continuellement chercher un équilibre entre la prospérité d'un endroit et l'efficacité nationale et la mobilité des individus qui vont à l'encontre du maintien des communautés. L'activité des gouvernements peut certainement améliorer la prospérité de certains endroits. Quand cela n'est pas possible, les programmes temporaires d'assistance au recyclage (PTAR) offrent une forme idéale d'aide à l'ajustement. La formation. Les commissaires prétendent, dans la Partie v de ce Rapport, que la formation d'une main-d'oeuvre canadienne compétente et qui s'adapte partout est essentielle à un acclimatement efficace aux nouvelles possibilités qui se présentent. Nous sommes également en faveur d'un nouvel équilibre entre la formation institutionnelle et la formation en cours d'emploi, dans le sens de l'approche précédente, et pensons que les programmes temporaires d assistance au recyclage (PTAR) pourraient permettre d'y parvenir. Les activités de formation et de recyclage ont donné naissance depuis longtemps à des relations fédérales-provinciales complexes. D'un côté, la formation est un élément essentiel de la gestion économique nationale; elle est étroitement liée à de nombreux autres programmes fédéraux, comme l'assurance-chômage, et permet de satisfaire aux besoins du marché national du travail. D'un autre côté, la formation fait partie du processus d'enseignement qui relève des juridictions provinciales. Le gouvernement fédéral a aidé, par le biais des programmes à frais partagés, à mettre sur pied des écoles et des collèges communautaires se consacrant à la formation dans les diverses provinces. Avec la Loi sur la formation professionnelle des adultes, c'est « l'achat » par le fédéral de places d'étudiants dans les cours de formation et de recyclage pour certaines personnes qui a retenu l'attention. La Loi nationale sur la formation de 1982 a accordé davantage d'importance au financement de la formation par le secteur privé, une tendance sur laquelle les commissaires sont d'accord. Il reste beaucoup de place pour l'expérimentation et l'innovation dans ce domaine. Nous ne croyons cependant pas qu'il soit nécessaire de déplacer les pouvoirs et les responsabilités. La formation étant un processus à nombreuses facettes qui peut durer toute la vie d'un individu, les gouvernements fédéral et provinciaux, comme les secteurs public et privé, doivent tous y participer. On a donc surtout besoin ici d'une coordination efficace. Nous pensons qu'au sein d'un vaste cadre national, les gouvernements du Canada et de chaque province pourraient arriver à une composition particulière de programmes pour cette province, le rôle du gouvernement fédéral étant alors de donner ses prévisions des besoins du marché national du travail, celui de la province étant de les donner pour son propre marché. L'enseignement. A peu près toutes nos valeurs, en allant de l'identité nationale aux valeurs sociales et culturelles en passant par l'efficacité économique, affectent l'enseignement. Dans la cinquième partie de ce Rapport, les commissaires ont constaté l'intérêt tout particulier de nombreux intervenants pour le caractère et la qualité du système d'enseignement canadien. Nous en avons conclu que les institutions canadiennes d'enseignement, en particulier celles du secteur postsecondaire, ne sont pas toujours réellement prêtes à faciliter l'adaptation ou à mettre l'accent sur l'excellence. Des changements importants doivent être apportés dans ce domaine et nous prétendons que c'est un cas typique pour lequel il faut réorienter l'activité du fédéral afin qu'il aide ces institutions d'enseignement à remplir leur tâche. Le gouvernement fédéral joue déjà un rôle très important dans l'enseignement, principalement dans l'enseignement postsecondaire et dans la recherche. Il a dépensé en 1983-1984 plus de 3 milliards de dollars dans des domaines rattachés à l'enseignement, plus de la moitié de ces dépenses allant à l'enseignement postsecondaire dans le cadre du Financement des programmes établis (FPE). Aucune condition n'est attachée à ces paiements de transfert et les montants versés ne sont plus nécessairement en relation directe avec les sommes réellement dépensées dans ce domaine. Les commissaires font relativement peu de recommandations sur l'enseignement primaire et secondaire, l'activité fédérale y étant réduite. Le conseil interprovincial des ministres de l'Éducation (CIME) s'est livré à de vastes travaux de coordination des programmes d'enseignement, d'organisation d'échanges et d'autres activités du même ordre, et il pourrait encore pousser plus loin ses travaux. Nous croyons qu'il faut faire encore plus pour assurer le contrôle de la qualité des normes dans l'enseignement primaire et secondaire, ainsi que pour y mener des travaux de recherche pertinents. De façon idéale, les modifications apportées à ces orientations pourraient découler d'initiatives du secteur privé, et le travail ainsi réalisé influerait sur les deux niveaux de gouvernement. Nous constatons enfin que, dans la Loi constitutionnelle de 1982, les Canadiens se sont engagés à adhérer à une norme nationale fondamentale de l'enseignement: le droit à l'enseignement dans la langue officielle des minorités locales de chaque province, avec comme seule condition « là où le nombre le justifie Les commissaires pensent que l'enseignement postsecondaire fait tellement partie d'un système national et international, et qu'il est tellement nécessaire à l'innovation pour la formation qu'il assure aux personnes compétentes et la recherche, qu'une réorientation du rôle du fédéral est essentielle, même s'ils estiment que les provinces peuvent et doivent conserver une responsabilité juridique dans ce secteur. Nous nous sommes intéressés, dans la Partie v de ce Rapport, à deux grandes options. La première serait de canaliser l'aide du fédéral à l'enseignement postsecondaire directement vers les étudiants. Décider d'agir en ce sens nécessiterait de procéder à une consultation attentive avec les provinces. En effet, dans le cadre des ententes actuelles, la part du financement du gouvernement fédéral dans l'enseignement postsecondaire varie tellement d'une province à l'autre qu'il serait important que la transition se fasse sans faire apparaître d'inégalités régionales. Un tel modèle de subventions directes et inconditionnelles aux étudiants serait, de l'avis des commissaires, une utilisation constitutionnelle du pouvoir de dépenser. Toutefois, si le gouvernement fédéral voulait utiliser ces subventions comme un instrument plus actif de l'intervention fédérale - en s'en servant par exemple pour fixer des normes d'admission aux universités ou en pondérant les subventions accordées, en fonction des domaines et des champs d'étude - la situation serait alors passablement plus complexe. Une telle utilisation des fonds, en vertu de la législation fédérale dans les domaines de juridictions provinciales, pourrait être contestée avec succès. De façon plus pratique, cela pourrait provoquer des désordres dans le système si les provinces et les universités louvoyaient en permanence pour s'adapter à l'évolution des définitions des besoins du fédéral. Une telle situation pourrait se présenter si les provinces exerçaient peu d'influence sur les définitions retenues et si le gouvernement fédéral n'assumait aucune responsabilité sur les difficultés financières ou administratives que ces décisions provoqueraient. C'est pourquoi nous ne croyons pas que les subventions ou les prêts versés directement aux étudiants devraient être utilisés à des fins sélectives. Si Ottawa et les provinces décident que le gouvernement fédéral devrait s'intéresser davantage au contenu des politiques d'enseignement, une autre option serait de réinstaurer des conditions aux transferts fédéraux versés pour l'aide à l'enseignement postsecondaire. Le gouvernement fédéral pourrait établir un lien entre ces transferts et les dépenses réelles des provinces et exiger que cela se fasse dans le cadre d'objectifs nationaux clairs. Il serait fondamental, si on devait aller dans cette direction, de commencer par fixer avec précision de tels objectifs. De façon plus générale, les commissaires pensent qu'il serait essentiel de procéder à une très vaste consultation fédérale-provinciale pour pouvoir déterminer des niveaux globaux de financement qui soient réalistes et productifs, ainsi que des objectifs nationaux d'enseignement dans le secteur postsecondaire. Force a été de constater avec tristesse que les accords fiscaux ont exercé une influence beaucoup plus importante sur les relations fédérales provinciales que ne l'ont fait les objectifs mêmes de l'enseignement postsecondaire. Le partage des avantages et des inconvénients de l'ajustement. Les commissaires ont prétendu, dans la Partie v de ce Rapport, qu'il est impératif, lors de mécanismes d'ajustement, de protéger ceux que cela affecte. Il est indispensable, pour réaliser ces ajustements avec succès, de disposer d'une politique sociale efficace, c'est-à-dire d'un filet de protection social bien conçu. Si on ne devait pas se protéger contre les effets néfastes du changement, cela ne ferait qu'accentuer la résistance politique à ces changements. Cela est vrai pour les particuliers, les communautés, les provinces et les régions. On comprend donc que les politiques d'ajustement et les politiques sociales soient inextricablement liées entre elles. Une juridiction partagée est essentielle dans les deux cas. Les modifications au système fédéral depuis la Seconde Guerre mondiale ont été imputables dans une large mesure à la croissance de l'État-providence et sont devenues un élément central du fédéralisme coopératif. La Loi constitutionnelle de /867 confiait aux provinces la responsabilité de la plupart des aspects du bien-être social. L'évolution économique, démographique et sociale des années 1930, qui s'est accompagnée d'une modification des conceptions de la justice sociale, a bien démontré que les provinces ne pouvaient pas mettre seules sur pied un État moderne de « service social ». Certains programmes à frais partagés dans le domaine des retraites, de la santé, ainsi que dans d'autres, remontent aussi loin qu'aux années 1920. Le gouvernement fédéral a dû assumer davantage de responsabilités pendant la Grande dépression des années 1930 en fournissant aux provinces aide sociale et assistance pour leurs résidents. Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, l'autorité juridique du fédéral dans le domaine de la politique sociale s'est élargie, car des amendements constitutionnels ont conféré au gouvernement central des pouvoirs en matière d'assurance-chômage et de retraite. C'est grâce à son pouvoir de dépenser que le gouvernement fédéral a pu mettre en place le programme d'allocations familiales. Ce même pouvoir a permis la mise en place d'autres programmes à frais partagés dans les domaines de la santé, de l'enseignement postsecondaire et du bien-être, programmes comprenant tous des innovations qui étaient d'abord apparues dans les provinces. A l'exception de l'aide sociale, le gouvernement fédéral est aujourd'hui responsable du fonctionnement de tous les principaux programmes de sécurité du revenu au pays, et il est le pourvoyeur de la plupart des fonds dépensés à ce titre. Il est également un intervenant majeur quand il s'agit des soins hospitaliers et médicaux, du financement des services sociaux et de l'aide sociale, le tout grâce au Régime à frais partagés d'assistance publique du Canada (RAPC). Quant aux provinces, il leur incombe d'organiser et d'assurer la fourniture des services sociaux, comme l'assistance aux familles, le bien-être et les soins de santé. On constate une grande souplesse en politique sociale. Les façons dont les provinces administrent et financent les soins de santé varient beaucoup, même si la Loi sur la santé a réduit ces écarts. Les provinces conservent en effet beaucoup de pouvoirs discrétionnaires pour fixer les taux des allocations d'aide sociale et pour organiser et offrir les services. Elles assurent des versements complémentaires au programme fédéral de sécurité de la vieillesse grâce à des crédits d'impôt et à des versements directs. Quant au programme fédéral d'allocations familiales, il permet aux provinces de modifier les bénéfices en fonction de leurs propres priorités. La politique sociale a également permis de respecter le caractère distinct du Québec. De nouvelles ententes fédérales-provinciales permettaient au Québec, en 1964, ainsi qu'à toute autre province d'ailleurs, de se retirer d'un bon nombre de programmes et de recevoir des fonds fédéraux équivalents sous forme d'une part accrue des recettes fiscales. C'est ainsi que Québec a pu mettre en place son propre régime de retraite contributaire, le Régime de rentes du Québec (RRQ), qui reste cependant étroitement coordonné avec le Régime des pensions du Canada (RPC) qui, lui, couvre le reste du pays. La pièce maîtresse des propositions des commissaires en ce domaine est la création d'un Régime universel de sécurité du revenu (RUSR) qui se substituerait à tous les suppléments de revenus universels disponibles, mais serait sujet à réduction, à un taux de récupération dite tax-back relativement faible. Un tel système, qu'il soit assuré par l'intermédiaire du système fiscal fédéral ou par des paiements de transfert directs, semble relever de la juridiction fédérale. La responsabilité actuelle du fédéral dans le domaine des allocations familiales, de l'assurance-chômage (A-C) et de la sécurité de la vieillesse (S-v) démontre clairement que le fédéral a un vaste mandat de sécurité du revenu dont le RUSR ne serait qu'une suite logique. Nous croyons de plus que les provinces prises isolément ne seraient pas capables d'appliquer un tel programme. La création d'un tel RUSR impliquerait, cependant, une modification profonde des relations fédéralesprovinciales qui serait très salutaire au système fédéral, de l'avis des commissaires. La répartition, à parts égales, des responsabilités entre les deux niveaux de gouvernement pour les prestations d'aide sociale, qui existe actuellement dans le cadre du RAPC, prendrait fin et les provinces n'auraient plus qu'à assurer un supplément au-dessus du niveau fixé de revenu garanti. Des modifications du système fiscal aideraient à financer le RUSR. Les provinces, si on retenait l'une des approches recommandées, pourraient retirer et céder au gouvernement fédéral un certain champ de taxation, et celui-ci devrait alors fournir l'ensemble du programme. Aux termes d'une entente qui paraît moins souhaitable aux commissaires, les gouvernements provinciaux pourraient ajouter aux paiements de transfert du fédéral un versement provincial. Cette proposition de RUSR, surtout si la première option était retenue, se traduirait par une clarification importante des responsabilités fédérales et provinciales: la responsabilité de l'aide au revenu de base reviendrait au gouvernement fédéral, qui fixerait un niveau minimum national; les provinces, quant à elles, seraient libres de relever le niveau de ces prestations en apportant un complément aux versements fédéraux. Cette proposition augmenterait donc la flexibilité fédérale et provinciale et améliorerait sensiblement la responsabilité des deux niveaux de gouvernement. Il est cependant probable que les provinces s'opposent à un RUSR, si cette proposition devait avoir pour effet d'augmenter les responsabilités provinciales tout en diminuant les fonds dont disposent les provinces. Le gouvernement fédéral devrait donc mettre au point ce programme en étroite collaboration avec les gouvernements provinciaux. La clarification des responsabilités que le RUSR entraînerait n'éliminerait pas pour autant l'interdépendance fédérale provinciale, puisque toute modification future au niveau des programmes aurait des conséquences immédiates sur les obligations des provinces. S'il n'est pas possible de mettre en oeuvre immédiatement un programme de ce genre, les commissaires suggèrent des modifications intérimaires progressives de la politique sociale. Tout d'abord, les prestations versées aux familles pourraient être rationalisées en remplaçant les programmes actuels par une simple démosubvention ou des crédits d'impôt, qui seraient progressivement réduits pour les familles dont le revenu dépasse 26 000 dollars par an. Une telle modification ne soulèverait pas de problèmes importants entre le fédéral et les provinces. Une seconde réforme, à laquelle il faudrait procéder immédiatement, comme on l'a déjà proposé dans la Partie v de ce Rapport, serait la révision du régime d'assurance publique du Canada (RAPC), afin de réduire ces caractéristiques qui laissent des « zones de pauvreté » et qui ne stimulent pas les bénéficiaires de cette aide à réintégrer le marché du travail. Il faudrait, pour cette étape, avoir une grande part de coopération et de coordination entre le fédéral et les provinces. Le meilleur moyen d'y parvenir serait d'avoir recours au Conseil des ministres responsables de la politique sociale dont nous allons bientôt proposer la création. Les commissaires ont également proposé d'apporter bon nombre de modifications au système d'assurance-chômage (A-C). Nous avons proposé de l'orienter davantage dans le sens d'une assurance rattachée au risque, en allongeant la période de qualification pour toucher les prestations et en retirant du programme les subventions à caractère régional. De telles modifications auraient d'importantes ramifications régionales et fédérales provinciales. En effet, les prestations de caractère régional rattachées à l'assurance-chômage, ainsi qu'une période d'admissibilité courte, sont devenues un élément important du système social de nombreuses communautés dans les provinces atlantiques. Il ne faut pas oublier non plus que des modifications fédérales unilatérales à l'assurance-chômage ont inévitablement des répercussions importantes sur les coûts de l'aide sociale à la charge des provinces. Les modifications proposées par les commissaires affecteraient surtout les provinces les plus pauvres et au taux de chômage le plus élevé. Avec les ententes actuelles, les gouvernements provinciaux sont protégés, dans une certaine mesure, des réductions fédérales du niveau des transfert d'assurance-chômage. Dans le cadre du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) le gouvernement fédéral prend à sa charge la moitié de tout coût additionnel d'aide sociale. Si ce programme devait disparaître, ce mécanisme ne serait plus disponible et le programme d'assurance-chômage plus coûteux devrait le remplacer. Il faut donc évaluer avec soin les effets que de telles modifications à l'assurance-chômage auraient sur les besoins budgétaires des provinces, et le gouvernement central doit s'assurer que même les provinces durement touchées par ces modifications disposeraient d'une compensation. Il ne faut pas oublier que le principal objectif de ces modifications serait d'augmenter les encouragements à la mobilité des individus et non pas d'en faire porter le poids aux provinces. Les villes qui ne vivent des ressources que d'un seul secteur d'activités posent un problème d'ajustement particulier. La fermeture d'une mine ou un événement comparable peut pratiquement ruiner une communauté en une nuit. Les coûts de telles fermetures vont bien au-delà de ceux que doivent supporter les travailleurs employés dans le secteur précisément touché. Pour alléger le poids de tels chocs économiques, il faudrait une coordination des activités des trois niveaux de gouvernement. C'est pourquoi les commissaires proposent la mise en place d'un mécanisme analogue à celui qui est utilisé dans d'autres situations d'urgence: un groupe de travail fédéral-provincial-municipal expert en la matière, auquel participeraient des représentants de la communauté, devrait coordonner les efforts. Les commissaires ont suggéré, dans la cinquième partie de ce Rapport, que le PTAR, qui serait financé au moyen des économies réalisées grâce aux réformes proposées de l'assurance-chômage, compense les pertes d'actifs, comme la valeur du logement imputables à la brusque désagrégation des fondements économiques d'une communauté. Conclusions. Le fédéralisme est inévitablement un système complexe de gouvernement qui n'est pas rassurant pour les esprits qui aiment les choses claires. Nous, les Canadiens, l'avons cependant adapté avec succès aux besoins de notre société d'après-guerre, et il reste à nos yeux un moyen permettant d'appliquer des politiques bien adaptées à une grande diversité de besoins et d'intérêts dans tout le pays. Le fédéralisme canadien a également été une source de dynamisme pour notre société. Cette Commission a examiné des buts et des objectifs en se demandant s'il était nécessaire de procéder à des modifications importantes de la structure et du fonctionnement du système fédéral pour les atteindre. Certains lecteurs en déduiront que notre réponse est positive. Il est vrai que nous avons fait bon nombre de suggestions de modifications importantes: renforcer le pouvoir fédéral dans le domaine des échanges et du commerce, en lui en donnant de nouveaux dans le domaine de la concurrence et des normes sur les produits et redéfinir les responsabilités fédérales au chapitre de l'enseignement postsecondaire, pour n'en mentionner que deux. Les commissaires ont également constaté, en étudiant chacun de ces domaines, que le système avait un très large potentiel de flexibilité. Notre vision des choses n'est pas celle d'un gouvernement central désavantagé par le fédéralisme en face des défis à venir; c'est plutôt celle d'une vaste étendue de mesures à prendre au sein de la juridiction fédérale. Nous avons de plus adressé bon nombre de nos recommandations aux provinces, plutôt qu'au gouvernement fédéral, et avons conclu dans la plupart des cas que les provinces avaient les moyens d'y répondre. Enfin, nous avons reconnu que dans nombreux domaines de politique, le partage des juridictions n'est pas un accident constitutionnel, mais le reflet exact de la coexistence des préoccupations provinciales et nationales légitimes. Vouloir s'orienter vers une centralisation totale des pouvoirs, ou vers une large décentralisation dans de tels domaines, amènerait certainement les technocrates à négliger des dimensions importantes et à être moins sensibles aux intérêts vitaux de notre pays. C'est pourquoi nous pensons que le partage des juridictions dans les domaines de la formation, par exemple, est nécessaire et souhaitable. Nous pensons aussi qu'il est possible de concevoir des mécanismes efficaces permettant d'atteindre la coordination recherchée. Les commissaires croient de plus que la juridiction fédérale sur les échanges et le commerce, et « de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement » peut évoluer en fonction des besoins économiques qui se présenteront. Les tribunaux ont limité les pouvoirs sur les échanges et le commerce et le gouvernement fédéral s'est largement servi ,I de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement » comme d'un pouvoir d'urgence. Ces deux pouvoirs sont toutefois venus en aide à des législations présentant une importance nationale propre à notre pays. Nous espérons que cela se renouvellera. Comme par le passé, il faudra arriver à un équilibre entre le dynamisme du fédéralisme et la vivacité des besoins nationaux. Tout élargissement législatif de ces deux formes du pouvoir fédéral devrait bien évidemment correspondre à un besoin auquel les législations fédérales ou provinciales actuelles, ne peuvent répondre; pour être efficace, il devrait s'appliquer uniformément dans tout le pays. Une telle législation devrait également, pour être acceptable, respecter les modèles économiques provinciaux en vigueur, qui ne devraient pas être ignorés, à moins qu'un besoin national évident et impératif ne l'exige. Même alors, cela ne devrait se faire que dans les limites qu'il faut pour répondre à des objectifs nationaux bien précis. Nous croyons donc qu'il est indispensable de protéger les objectifs provinciaux valables contre une intervention fédérale sans limitation des objectifs nationaux. Il pourrait y avoir cependant des cas auxquels les juges pourraient adapter les pouvoirs généraux du fédéral sur les échanges, en appliquant un concept d'intérêt national impératif « qui est plus large qu'un pouvoir d'urgence », mais plus étroit qu'un simple intérêt national non défini. Nous attendons d'autres preuves de créativité juridiques dans la mise au point de principes constitutionnels de médiation. Du point de vue de la démocratie et de la prise de décision efficace en matière de politique, les vertus du fédéralisme restent importantes. Non seulement l'existence de provinces aux pouvoirs importants concorde bien avec le sens politique que nous avons de notre pays, mais on constate également que les provinces offrent d'autres voies d'accès, d'autres forums pour résoudre les intérêts contradictoires et d'autres arènes permettant l'adaptation, l'expérimentation et le regroupement d'informations. La très grande complexité du fédéralisme assure une résistance et une capacité d'absorption aux chocs qui ne se retrouvent pas toujours dans les systèmes fortement centralisés. Néanmoins avec les deux ordres de gouvernements qui déploient autant de moyens pour parvenir à la croissance économique dans un contexte international concurrentiel, les commissaires reconnaissent qu'il faut un degré élevé de coordination. On a fait beaucoup de recherche pour trouver le mécanisme qui conviendrait le mieux pour atteindre cette coordination, mécanisme qui devrait également permettre une évolution presque continuelle des structures politiques, grâce auxquelles notre gouvernement fédéral insère des points de vue nationaux et régionaux dans son propre processus de prise de décision politique. Les commissaires estiment que le mécanisme récemment mis au point pour les ententes sur le développement économique régional (EDER) est un modèle prometteur. Les EDER permettent une coordination bilatérale sur des objectifs fondamentaux, ainsi qu'une répartition des tâches reposant sur une entente définissant quelles responsabilités chaque niveau de gouvernement assumera et dans quels domaines. Ces ententes deviennent alors les abris sous lesquels les gouvernements négocient des ententes plus précises entre les divers ministères. Nous croyons que, dans ce cadre, il est souhaitable que chaque gouvernement cherche à prendre la responsabilité de la conception finale et de la mise en place des éléments qui conviennent à une entente plus large. Lors des discussions, le gouvernement fédéral devrait mettre l'accent sur sa perspective de l'ensemble de l'économie nationale et de l'intégration de chaque région dans cette économie, et chercher à maximiser les liens entre ces régions. Nous croyons également, conformément à l'importance constante que nous avons accordée à l'ajustement, que les efforts fédéraux devraient aider les provinces et les citoyens du Canada à s'adapter à un nouveau milieu compétitif. Les contraintes que le fédéralisme fait reposer sur la gestion économique ne sont pas essentiellement de nature constitutionnelle. Elles sont plutôt imputables à la structure régionale de notre pays. Ainsi, ce n'est pas un manque d'autorité qui limitera les efforts fédéraux pour mettre moins d'emphase sur la prospérité d'un lieu et davantage sur la mobilité des individus. La difficulté réelle se situera dans une opposition politique et dans les besoins d'équilibrer des indications de conflit entre les différentes parties du pays. C'est pourquoi nous devons nous fier aux institutions politiques, tant au niveau national qu'intergouvernemental. Réorienter la politique économique canadienne ne sera pas facile. Il faudra en effet réaliser un nouveau consensus sur les stratégies de nos instruments de développement et de répartition. Définir cette stratégie est une tâche qui incombe au leadership politique démocratique, qui s'inspirera des opinions émises par les citoyens dans une multitude de forums. Le partage des avantages de l'union économique. On a souvent eu l'impression que les politiques canadiennes étaient la politique des intérêts régionaux et des griefs régionaux. Alors qu'avec les autres pays on parle souvent en termes de relations entre le capital et le travail, les Canadiens parlent surtout en termes de régions et de provinces. La question « qui a quoi? » est exprimée en termes de territoire et de géographie. C'est là une constante de l'histoire canadienne, une constante qui prend ses sources dans notre structure sociale et économique variée, tout autant que dans nos institutions politiques. Les Canadiens sont récemment sortis d'une période au cours de laquelle cette perception régionale des avantages et des inconvénients avait été particulièrement manifeste. Les questions qui semblent avoir le plus divisé les Canadiens tout au cours des années 1970 ont dressé les régions les unes contre les autres. C'est là un thème qui est souvent revenu lors des audiences de la Commission. On constate dans tout le pays un sens très marqué du grief. On a, en effet, le sentiment que les décisions du gouvernement fédéral ne répondent pas aux besoins des régions qu'elles affectent et, moins fréquemment mais de façon non négligeable, que les décisions prises exercent une discrimination contre une région donnée. On a demandé aux Canadiens, lors d'une enquête, s'ils étaient d'avis que leur province avait été traitée de façon équitable par le gouvernement fédéral. Les réponses étaient partagées. Ainsi, dans une enquête menée en 1977 dans cinq provinces, une légère majorité des répondants estimaient que leur province était toujours ou le plus souvent traitée de façon équitable. Il faut, toutefois, signaler que les résidents de l'Ontario étaient les seuls à être affirmatifs en ce sens, alors que la majorité des répondants de l'Ile-du-Prince-Édouard, du Québec, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique estimaient que leur province était traitée parfois de façon équitable ou encore, réponse assez rare, jamais. Dans une autre enquête, menée en 1979, 31,5 pour cent des Canadiens trouvaient que leur région payait plus que sa juste part du coût associé au gouvernement du Canada, alors que 5,4 pour cent seulement trouvaient qu'elle payait moins que sa juste part. La réponse, toutefois, la plus fréquente (63,2 pour cent) et qui obtenait la majorité dans toutes les provinces, à l'exception de l'Alberta (50 pour cent), montrait que la région payait sa juste part. Ces données projettent donc une image mitigée. Cependant, de nombreux Canadiens estiment que la négociation au sein de la Confédération n'a pas donné de résultats équitables et qu'il est arrivé au gouvernement fédéral, à l'occasion, d'être davantage l'instrument des régions les plus peuplées du pays qu'un « gouvernement national ». De telles perceptions ont des origines nombreuses. Elles sont dues, dans une certaine mesure, à un sens marqué de l'identité provinciale, dans laquelle la santé économique d'une province donnée reste un point de référence vital. Les mesures prises par les gouvernements provinciaux renforcent également ces perceptions. Il s'agit dans une certaine mesure d'un phénomène plus politique qu'économique: le sentiment d'être exclus du pouvoir dans la capitale nationale peut donner plus de force aux griefs régionaux. Ces griefs régionaux ne sont pas un élément nouveau de la vie politique canadienne. C'est un thème que l'on retrouve constamment depuis les origines de la Confédération. Les récriminations régionales ont alimenté toute une série de mouvements politiques de protestation dans l'Ouest: les Progressistes, les United Farmers, le Crédit social, la Co-operative Commonwealth Federation. Au Québec, les questions régionales ont également tenu une place de choix dans les expressions successives du nationalisme. Si cette tendance régionaliste a connu moins de succès au Canada atlantique, il n'empêche que des groupes comme le mouvement Maritime Rights des années 1920 ont souvent formulé leurs plaintes en termes régionaux quand ils demandaient un meilleur équilibre. Tout au long de l'histoire du Canada, ces griefs régionaux ont été exprimés à la fois sous forme de demande d'une plus grande autonomie provinciale qui permettrait aux provinces de mieux modeler leur avenir et sous forme de demande de politique fédérale qui serait plus sensible aux intérêts régionaux. Ces protestations régionales sont des demandes pour disposer d'une plus grande influence dans le processus de décision nationale et aussi pour obtenir parallèlement une plus grande liberté et une plus grande autonomie dans la prise de décisions. Quant au sentiment d'iniquité qui est apparu quelquefois au Canada, il avait des origines différentes selon les époques et selon les lieux. Dans l'Ouest, par exemple, ces griefs étaient au départ rattachés à la perception que la politique nationale traitait la région comme un arrière-pays économique du Canada central, comme une source de matières premières et de gains à l'exportation, comme un marché protégé pour les entreprises de transformation et de transport du Canada central, sans oublier les intérêts financiers. D'un point de vue historique, le conflit s'est donc cristallisé autour des questions tarifaires et, dans une moindre mesure, sur la politique du transport. Pendant les années 1970, les provinces ont eu le sentiment qu'on ne leur permettait pas de retirer tous les avantages de la valeur croissante de leurs ressources naturelles, alors qu'elles voyaient dans ces ressources le moyen qui devait leur permettre de diversifier leurs économies et de faire glisser le pouvoir économique et politique en dehors du Canada central. Dans les Maritimes, ce qui a alimenté ces griefs a été le long déclin de l'économie de la région au cours du dix-neuvième siècle, de son importance par rapport à l'ensemble du pays et la persistance des disparités régionales. Le ressentiment s'est accru dans les années 1970 au sujet de la dépendance continuelle envers les paiements de transfert, alors qu'en même temps la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve, en particulier, réalisaient qu'elles pouvaient transformer leurs économies en développant les ressources offshore. Au Québec, les griefs sont nés de la perception qu'on avait d'une politique nationale favorisant le développement économique ontarien et de contraintes imposées par le fédéralisme limitant l'aptitude du Québec à prendre en charge son propre développement économique. Quant à l'Ontario, il a tenté de réagir aux événements des années 1970 d'une façon « régionale » de crainte que son rôle dominant dans l'économie canadienne ne soit menacé à la fois par l'augmentation des revenus des ressources de l'Ouest et par les affirmations nationalistes du Québec. Les gouvernements provinciaux ont eu tendance à exprimer ces griefs régionaux en se plaignant du rôle du gouvernement central et de ses mesures. Ils ont adopté l'opinion voulant que le modèle du développement économique du Canada ne soit pas le résultat des forces économiques normales, mais plutôt celui de l'utilisation du pouvoir politique par des grands groupes d'intérêt agissant à travers le gouvernement central. Ils ont également demandé au gouvernement fédéral de rééquilibrer les effets des forces du marché dans les régions qu'elles défavorisaient, en faisant usage de son autorité. Ces attentes croissantes quant au rôle du gouvernement ont renforcé la tendance économique canadienne à voir les politiques en termes régionaux. De plus, l'importance croissante des forces internationales sur la vie intérieure est allée dans le sens de cette vision régionaliste. La diversité des bases économiques des provinces signifiait que les forces internationales auraient fort probablement des effets différents dans chacune d'elles. C'est pourquoi les tensions régionales des années 1970 ont dressé les producteurs de ressources contre les consommateurs et les transformateurs de ressources, ou encore les régions qui avaient intérêt à ce que les prix des ressources soient plus élevés se sont opposés à celles qui en voulaient de plus bas. Il faut, toutefois, noter ici que ces tensions n'étaient pas fondamentalement le produit de pressions d'origine intérieure, mais, plutôt, celui des forces internationales qui modifiaient sensiblement les termes des échanges entre les régions du Canada. Toute cette vision des choses a été identifiée dans « la bataille des bilans » de la fin des années 1970. On s'est livré au cours de cette controverse à de savants calculs et à des efforts souvent polémiques pour trouver quelle partie du pays était ou n'était pas « perdante » et pour cerner plus précisément la répartition régionale des coûts et des bénéfices des activités du gouvernement fédéral. On a tiré peu de conclusions de tout ceci, si on a pu en tirer. Il était assez facile de trouver les sources de revenu d'impôt du fédéral, facile également de savoir où allait l'argent de la sécurité de la vieillesse, des allocations familiales ou les subventions au développement régional. Il était par contre beaucoup plus difficile d'évaluer les effets régionaux des vastes politiques structurelles. Cette tentative de trouver les gagnants et les perdants régionaux était d'ailleurs, pour de nombreux Canadiens, sans intérêt. Les questions importantes n'étaient-elles pas, en effet, l'économie nationale et le bien-être des particuliers? On constate ici la rupture entre notre tendance à percevoir le Canada comme un ensemble d'économies régionales avec des griefs historiques et notre sens du Canada avec une économie nationale dans laquelle les diverses parties contribuent distinctement au bien-être de l'ensemble. Cette approche ne correspondait pas non plus à la subtilité de notre sens de l'équité, en ce qui a trait à la répartition des coûts et des avantages. Presque toutes les politiques et tous les programmes répartissent leurs avantages et leurs coûts de façon différente et il nous faut évaluer ces répartitions d'après de nombreuses catégories comprenant, entre autres, les catégories de revenu, l'âge et le sexe. Les écarts constatés entre les divers avantages régionaux peuvent être explicites et intentionnels, mais ils peuvent également être le résultat de politiques de redistribution définies dans d'autres catégories. A titre d'exemple, une politique conçue pour venir en aide aux personnes âgées profitera davantage aux provinces ayant les plus fortes proportions de Canadiens âgés. Il ne faut pas non plus oublier que des politiques qui exercent délibérément une forme de discrimination sont perçues de façon différente. Il est évident que la discrimination en faveur des pauvres ou des désavantagés ne provoque pas les mêmes réactions que celles en faveur des riches et des puissants. Pour terminer, disons aussi qu'on ne juge pas de l'équité sur un simple programme ou une simple politique, mais en fonction des effets cumulatifs d'un bon nombre de politiques. C'est l'absence répétée d'une réponse ou la discrimination systématique qui conduit à l'aliénation. En tant que commissaires, nous ne voulons pas dresser ici notre propre bilan de la Confédération. Nous nous intéressons plutôt à deux domaines précis de politiques: la péréquation et le développement régional. Les deux sont conçus pour venir à bout des disparités régionales qui persistent dans l'économie canadienne. Ce sont des politiques complémentaires, la péréquation étant destinée à réduire les conséquences fiscales d'un sousdéveloppement relatif, alors que les politiques régionales sont conçues pour faire disparaître les désavantages économiques sous-jacents. Plus ces dernières politiques connaissent de succès, moins on a besoin de programmes de péréquation. Les commissaires sont convaincus que la question d'équité réelle et perçue relève, pour l'essentiel, de la politique. Dans la mesure où les Canadiens concentrent leurs plaintes sur le manque d'équité et de réponse du gouvernement central et de ses agences, c'est à ce niveau-là qu'il faudrait faire des réformes. L'équité a également une dimension fédérale. Cela implique qu'il est légitime pour les provinces de s'intéresser au développement économique de leur propre région. Cela laisse aussi entendre que les provinces peuvent se sentir raisonnablement rassurées dans l'application de leur pouvoir constitutionnel et dans leurs titres de propriété sur les ressources à l'intérieur de leurs frontières. Ces derniers sont d'ailleurs essentiels à la pratique d'un pouvoir provincial efficace pour le développement économique. La péréquation. Au cours de toutes les rondes successives du débat constitutionnel, il y a pratiquement eu unanimité pour enchâsser à l'article 36 de la Constitution l'engagement de principe de faire des paiements de péréquation. Les Canadiens ont ainsi reconnu formellement qu'un des éléments essentiels de la Confédération était la négociation. L'idée est que tous les citoyens ont droit à des niveaux raisonnablement comparables de services publics fournis par leurs gouvernements provinciaux pour des niveaux raisonnablement comparables d'imposition. Des variations de politique adaptées aux préférences locales étaient souhaitables, mais celle concernant la nature et la qualité des services dues à des différences de capacité à les rendre ne l'était pas. Le programme de péréquation représente l'engagement le plus durable et le plus explicite au partage entre les régions du Canada. Ce programme prévoit le versement inconditionnel de fonds par le gouvernement fédéral aux provinces les moins riches. Il devrait atteindre, pour 1985-1986, un total de 5 milliards de dollars payables à toutes les provinces, à l'exception de la Colombie-Britannique, de l'Ontario, de l'Alberta et de la Saskatchewan. L'harmonie apparente entre les provinces et le fédéral, que l'entente sur l'enchâssement de l'article 36 laisse imaginer, existe bien, malgré toute une série de malentendus sur la nature réelle des ententes de péréquation au Canada. On confond souvent la péréquation avec les programmes de développement régional ou avec les mesures de protection et de sécurité du revenu pour les particuliers. Les leaders séparatistes de l'Ouest ont souvent dépeint la péréquation comme un moyen permettant de faire des transferts directs des provinces riches en énergie de l'Ouest vers les provinces pauvres en énergie de l'Est. On a dit de la péréquation qu'elle était trop généreuse, qu'elle ne l'était pas assez, qu'elle était nécessaire à une répartition efficace du capital et de la main-d'oeuvre, qu'elle était la cause première de distorsions dans ces modèles, qu'elle était trop mécanique et routinière et qu'elle était trop ponctuelle. Les commissaires estiment que la péréquation est une caractéristique vitale de la Confédération canadienne. Cependant, même s'il y a de nombreuses raisons d'être fier de ce que les Canadiens ont réalisé dans ce domaine, il y a encore place pour l'amélioration. Étant donné la confusion qui règne autour de ce sujet, les commissaires souhaitent d'abord revoir les fondements de nos accords de péréquation. Les principes de la péréquation. Les schémas de péréquation ne seraient pas nécessaires dans un état unitaire où tous les impôts seraient versés à un seul gouvernement et où l'ensemble des services offerts par le secteur public serait alimenté par eux. Il n'est pas nécessaire que le gouvernement traite tous les individus de la même façon, et il ne le ferait certainement pas. Les groupes à revenu plus élevé paieraient une partie plus importante de leur revenu en impôt; les grandes familles auraient droit à des déductions de base plus importantes du revenu brut que les petites, ceux qui n'ont pas de revenu recevraient plus sous la forme de transfert qu'ils ne paient d'impôt. De tels écarts dans le système de dépenses des revenus d'impôt sont délibérés et traduisent en vérité, même de façon imparfaite, un jugement sur la répartition équitable des avantages et des charges. Or, dans un système fédéral, les citoyens sont confrontés à deux systèmes d'imposition et à deux sources de biens et de services publics. Il est fort probable que le traitement auquel les soumettent les gouvernements provinciaux varie. Certaines provinces peuvent décider d'offrir davantage de biens et de services par l'intermédiaire de leurs services publics et de financer ceux-ci au moyen d'impôts plus élevés. D'autres peuvent choisir des mécanismes plus ou moins redistributifs entre les classes de revenu. Il faut, cependant, avoir conscience que s'il n'y avait pas ces différences entre les provinces, qui traduisent des valeurs ou des préférences locales l'une des principales justifications du fédéralisme disparaîtrait. De telles variations d'une province à l'autre ne sont pas un problème en soi. Si les gouvernements accomplissent fidèlement les voeux de la majorité de leurs électeurs, le système fonctionne comme il le devrait. Les variations de politique que nous connaissons traduisent la diversité canadienne au niveau provincial. Il est même probable qu'avec la libre circulation des personnes d'une province à l'autre, ce modèle s'adaptera encore mieux aux préférences des citoyens. On pourrait en effet prétendre qu'en théorie, les citoyens qui déménagent en signe de protestation se regroupent en des sous-groupes relativement homogènes. Ceux qui préfèrent un secteur public actif vont dans les provinces qui ont choisi cette voie, alors que les autres peuvent se diriger vers les provinces qui ont choisi une approche différente. Il y a, toutefois, une raison moins acceptable aux écarts entre les provinces. Toutes n'ont pas été créées égales au sens économique. Les revenus per capita varient en fonction de facteurs comme la richesse en ressources, l'amalgame d'activités et d'industries qu'on retrouve dans la province, le niveau d'urbanisation ou la facilité d'accès aux grands marchés. Un revenu moyen inférieur, qui s'explique par des salaires moyens inférieurs, des rendements sur les investissements plus faibles et des loyers moins rentables sur la terre et les ressources, signifie que le gouvernement de cette région a une capacité de prélèvement d'impôt plus faible et qu'il obtiendra donc moins de revenus pour un effort de taxation donné qu'un voisin plus riche. Une province plus pauvre devra donc offrir un niveau inférieur de biens et de services gouvernementaux à des taux d'imposition comparables à ceux en vigueur dans les autres provinces ou elle devra pratiquer des taux d'impôt plus élevés pour financer des niveaux comparables de services. Elle pourra encore choisir une combinaison des deux. Quelle que soit la solution retenue, les citoyens résidant dans une région plus pauvre seront traités différemment par leur gouvernement que leurs homologues des autres provinces. Cela tient, inévitablement, au fait qu'il y a des disparités dans les richesses économiques régionales. Certains prétendront que de tels écarts sont tout simplement le prix d'un système fédéral: les provinces ne peuvent avoir la liberté totale de concevoir leur politique d'imposition des dépenses que si elles ont la pleine autorité de prélever des impôts. Si cela a pour résultat des variations dans les capacités de prélèvement d'impôts d'une province à l'autre, alors de telles variations sont inhérentes au fédéralisme. Les programmes fédéraux de protection et de sécurité du revenu seront destinés aux individus qui ont besoin d'aide. Les commissaires rejettent cette logique pour deux raisons. Tout d'abord, et c'est la plus importante, cette logique va à l'encontre de ce que signifie pour nous être canadiens. Un élément essentiel qui caractérise la citoyenneté dans ce pays est qu'elle doit donner un accès relativement égal aux services gouvernementaux de base, quel que soit le lieu de résidence du citoyen. Si les commissaires acceptent que la distribution de ces services soit décentralisée, ils ne sont, par contre, pas près à accepter de trop grands écarts dans l'accès des particuliers à ces services en fonction des juridictions. Cet engagement à l'égalité régionale relève des mêmes principes que l'engagement envers les politiques sociales de bien-être. La péréquation traduit la perception qu'ont les Canadiens d'une obligation commune, de notre interconnection avec la communauté locale, du bien-être et de la satisfaction qu'elle procure au sein de la communauté nationale. Ces dernières convictions reposent bien sûr sur l'assurance que nous avons de tous partager à peu près équitablement les bienfaits de notre société et d'en supporter tous à peu près équitablement le poids. La péréquation ajoute une dimension régionale importante à ce sens d'appartenance partagée. Elle implique qu'il y a une forte communauté canadienne qui l'emporte sur l'existence de fortes communautés provinciales prospères. L'équité au niveau des particuliers ne reflète pas notre engagement comme Canadiens envers ces communautés provinciales. En tout état de cause, c'est l'adhésion de tous à l'ensemble de la communauté canadienne qui nous permet de comprendre la nécessité qu'il y a à assurer la vitalité de chaque élément constitutif de notre société. Si la première justification que l'on peut donner à la péréquation est l'équité et la justice sociale, la seconde est certainement l'efficacité. Des travaux de recherche récents ont démontré que les variations entre les capacités fiscales des gouvernements provinciaux peuvent à elles seules provoquer des distorsions suffisantes pour réduire la production nationale globale. On peut arriver à corriger un tel résultat au moyen de schémas de péréquation bien conçus. L'argument de l'efficacité étant récent, et comme il met en évidence un débat aussi récent que les recommandations de la Commission, on peut le décrire rapidement. La production nationale est maximisée quand le capital et la main-d'oeuvre sont répartis entre les régions d'une façon telle que les contributions au produit national brut (PNB) de la dernière unité de capital employée et de la dernière unité de main-d'oeuvre employée sont identiques. Dans des circonstances normales, la libre migration interne du capital et de la main-d'oeuvre donnera automatiquement cette répartition optimale du capital et de la main-d'oeuvre. En autant que les écarts de productivité se traduisent dans les salaires ou les rendements et en autant que la dernière fraction de la population active ou des investisseurs soit sensibles aux possibilités de gains associées à de tels écarts, les migrations continueront des régions à faible productivité vers les régions à haute productivité. Mais qu'en est-il, s'il y a des écarts importants dans les capacités des provinces d'obtenir des revenus d'impôt? Un employé qui songe à se déplacer ne se contentera pas de comparer les gains offerts par le secteur privé dans les diverses régions, mais étudiera également le traitement auquel il sera soumis par les divers secteurs publics. Si une juridiction offre davantage de services gouvernementaux pour un même montant d'impôt qu'une autre, si les gains espérés sont comparables, la personne prête à se déplacer sera poussée à choisir l'endroit qui lui offrira le traitement le plus avantageux. Il y aura alors afflux vers cette province, qui poussera les salaires à la baisse jusqu'à ce que les avantages espérés des dépenses d'impôts compensent juste les gains plus faibles du secteur privé. Le contraire est également vrai des régions pauvres en revenu d'impôt. Les gains du secteur privé peuvent être plus élevés pour compenser la relative pauvreté des biens et services publics offerts. Une telle migration induite par la fiscalité répond davantage à des signes de politique qu'à des signes de marché basés sur la répartition la plus productive. On pourrait alors enregistrer une production plus faible, puisqu'il y aurait alors trop de travailleurs dans les régions avantageuses fiscalement et pas assez dans les autres. Les paiements de péréquation offrent à une fédération les moyens de répondre à la fois aux problèmes d'équité et aux problèmes d'efficacité. Les gouvernements provinciaux, qui ont une capacité fiscale inférieure à une norme acceptable, reçoivent sans condition des revenus de transfert, réduisant ainsi les écarts fiscaux avec les autres provinces. Ces transferts compensent en réalité l'absence d'assiette fiscale naturelle pour la province. Quand ces différences fiscales sont réduites, voire même effacées; les Canadiens, où qu'ils résident, ont alors, entre eux, un statut plus comparable dans leur relation avec leur gouvernement, et l'encouragement à des déplacements socialement inefficaces diminue. Le seul objet de ces transferts est de permettre à une province d'offrir des services publics élémentaires à un niveau standard défini d'avance, sans devoir pour autant mettre en place un système de taxation trop lourd. Par contre, qu'une province décide d'utiliser ces fonds pour offrir des services précis ou qu'elle se contente de les redistribuer, c'est sa responsabilité. Comme l'a déjà affirmé la Commission royale sur les relations fédérales-provinciales (la Commission Rowell-Sirois) quand elle a abordé la question des subventions nationales d'ajustement (l'ancêtre de la péréquation): Si une province décide d'offrir moins de services et d'imposer une taxation plus faible elle est libre de le faire. Elle peut également décider d'offrir de meilleurs services que la moyenne nationale si ses habitants acceptent d'être imposés en conséquence. Elle peut également par exemple. décider de négliger son réseau routier au profit de l'enseignement ou de négliger l'enseignement au profit du réseau routier [...]. Les paiements de péréquation permettent d'assurer que tous les gouvernements peuvent assumer de façon adéquate les responsabilités qui leur ont été imparties, quelles qu'elles soient. Cela ne signifie en aucune façon une diminution de la liberté ou de l'autorité provinciale, ni un renforcement du contrôle du fédéral sur les provinces. Si ces paiements de péréquation devaient devenir, dans une certaine mesure, conditionnels, cela irait à l'encontre de l'esprit du fédéralisme. La péréquation est une caractéristique fondamentale du fédéralisme canadien. Elle permet de réconcilier réellement le principe de l'autonomie provinciale avec le principe de l'égalité d'accès de tous les Canadiens aux services de base du gouvernement. Sans elle, il nous faudrait une fédération beaucoup plus centralisée, ou encore accepter de tolérer de plus grands écarts dans les niveaux de vie et un moins bon fonctionnement des migrations de la main-d'oeuvre et de capitaux. La Commission Rowell-Sirois a été la première à attirer l'attention sur ce point, quand elle a précisé les motifs sous-tendant la proposition de subventions nationales à l'ajustement: Elles sont concues pour permettre à chaque province d'offrir à sa population des services satisfaisant à des normes canadiennes moyennes et pour permettre de venir à bout de la détresse et des situations honteuse.s qui affaiblissent maintenant l'unité nationale et gênent de nombreux Canadiens. C'est là la formulation concrète de la conception que la Commission a d'un système fédéral qui doit à la fois préserver une autonomie locale satisfaisante et permettre de construire un pays plus fort et plus uni. De toute évidence, les conditions d'après la Grande dépression, auxquelles la Commission Rowell-Sirois était confrontée, ne sont plus d'actualité; néanmoins leur principe reste valide. Laisser entendre qu'un schéma de péréquation est souhaitable fait apparaître deux questions. Tout d'abord, on doit se demander si les écarts dans les traitements fiscaux qu'on constate entre les provinces doivent être égalisés en totalité, ou seulement partiellement. Cela fait apparaître à son tour toute une gamme de questions techniques secondaires. Ensuite, le financement et le fonctionnement d'un tel programme devraient-ils relever du gouvernement central, des provinces ou des deux ordres de gouvernement? Il n'y a pas de réponse toute faite à la question « Jusqu'à quel degré la péréquation doit-elle aller? » La réponse traditionnelle que le Canada y a donné, dans les termes de la Commission Rowell-Sirois, a été que la péréquation est nécessaire pour atteindre des normes moyennes de service dans chaque province. Un ancien ministre fédéral des Finances disait que l'objectif de la péréquation était de permettre à chaque province d'assurer un niveau adéquat de services publics, sans pour autant devoir s'en remettre à des taux d'imposition nettement plus élevés que ceux des autres provinces. On retrouve presque la même formulation dans l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982: Le Parlement et le gouvernement du Canada prennent l'engagement de principe de faire des paiements de péréquation propres à donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour leur assurer des services publics à des niveaux de qualité et de fiscalité sensiblement comparables. Il est en théorie assez facile de mettre au point un schéma de péréquation incorporant le principe de normes raisonnablement comparables. Les diverses approches qu'on a utilisées pendant une quarantaine d'années au Canada ont permis d'arriver à une formule de paiements de péréquation à toute province dont les taux moyens d'imposition ou les taux représentatifs (pas son propre taux d'imposition) généreraient des revenus inférieurs, per capita, à ceux obtenus au Canada en général. La méthode utilisée dresse d'abord la liste de toutes les grandes catégories de revenus accessibles aux provinces pour leur assiette fiscale provinciale moyenne ou représentative. On calcule ensuite un effort provincial d'imposition représentatif. On détermine à ce niveau un taux d'imposition qu'on juge représentatif de l'ensemble des provinces pour chaque catégorie de revenu dans l'assiette fiscale. En appliquant ces taux d'imposition à l'assiette fiscale et en normalisant pour la population, on obtient les revenus qu'une province devrait recueillir si elle avait une capacité fiscale moyenne ou représentative et prélevait des taux d'imposition moyens. Le chiffre obtenu donne le montant minimum de revenu auquel une province de cette taille devrait avoir droit. L'étape suivante permet de calculer l'assiette fiscale réelle de chaque province. On procède à ce calcul pour chaque catégorie de revenu faisant partie de l'assiette représentative. En appliquant l'effort d'imposition provincial représentatif ou moyen (et non pas les taux d'imposition réels de la province) à cette assiette fiscale, on obtient le revenu total que la province pourrait obtenir si elle taxait toutes ses sources de revenu au taux moyen national ou représentatif. Si les chiffres obtenus dépassent le plancher des revenus calculés ci-dessus, il n'y a alors aucun problème. Le droit aux versements de péréquation est cependant nécessaire, quand les revenus d'une province obtenus en taxant sa propre assiette fiscale à des taux représentatifs moyens sont inférieurs au plancher des revenus calculés ci-dessus. Comme une province est assurée de toucher des paiements de péréquation pour combler cet écart, elle peut consacrer ses fonds à son secteur public pour améliorer sa performance par rapport à celle de la province canadienne moyenne ou représentative. Ce qu'il est important de retenir ici, c'est que les revenus que la province recueille réellement n'entrent pas directement dans le calcul. La comparaison ne s'établit pas entre ce qui serait possible et ce qui est. On compare plutôt entre ce qui pourrait être, si la province était la province canadienne moyenne ou représentative, mesurée en termes à la fois d'assiette fiscale et d'effort de taxation, et ce qui pourrait être, si la province décidait d'imposer son assiette fiscale aux taux nationaux moyens ou représentatifs. Le niveau d'imposition que la province utilise n'affecte pas directement son droit à la péréquation. Plus la province imposera à des taux supérieurs aux taux représentatifs, plus les revenus totaux seront élevés, mais le droit à la péréquation ne disparaîtra pas pour autant. Par contre, si une province choisit de moins imposer, son droit à la péréquation n'augmentera pas pour autant. C'est là un contrepoids pratique au principe d'inconditionnalité de la Commission Rowell-Sirois. Mettre cela en pratique soulève un grand nombre de problèmes techniques. Qu'est-ce qui serait exactement une assiette fiscale provinciale représentative? Faudrait-il y inclure toutes les catégories de revenu qui peuvent être accessibles aux provinces, ou uniquement celles qu'elles utilisent réellement? Comment faudrait-il interpréter les résultats, si toutes les provinces ne se servent pas des sources de revenu auxquelles elles ont droit? Quelles conséquences cela aurait-il si elles utilisaient toutes les sources de revenu disponibles, mais les traitaient parfois de façon fort différente? Quelle est la base qui convient pour taxer chaque catégorie de revenu? Est-ce que le niveau représentatif d'imposition devrait n'être qu'hypothétique ou devrait-il être rattaché à ce que les provinces canadiennes font en réalité? Les profits réalisés par les corporations de la Couronne devraient-ils entrer dans les revenus des gouvernements? Ce ne sont là que quelques-unes des questions qu'il faudrait aborder en mettant au point un schéma de péréquation. Comme on le verra ci-dessous, il arrive qu'une mauvaise conception engendre davantage de problèmes d'ordre général. L'expérience canadienne. La première proposition précise de schéma formel de péréquation a été celle de subventions nationales à l'ajustement de la Commission Rowell-Sirois. Les tentatives antérieures pour atténuer les écarts dans les capacités fiscales des provinces étaient jusqu'alors restées ou implicites ou ad hoc. Les transferts aux provinces que le gouvernement fédéral avait accepté de faire en 1867 étaient, par nature, des formes de péréquation, puisqu'il s'agissait de subventions per capita. Il n'y avait pas de lien entre le montant prélevé par le gouvernement fédéral auprès des résidents d'une province et les transferts effectués vers cette province. Il arrivait de plus que des versements spéciaux soient consentis à des provinces, en particulier, ou même à des régions entières. C'est ainsi que le Nouveau-Brunswick a reçu, dès le début, ces versements spéciaux, suivi de peu par la Nouvelle-Écosse. La Commission royale sur les réclamations des Maritimes (Commission Duncan) a enquêté en 1926 sur les réclamations de ces provinces; la Commission royale sur les banques et la monnaie au Canada (Commission White) a fait de même en 1933 pour les Maritimes et pour les Prairies. Il a fallu la Dépression des années 1930 et le risque de faillites imminentes de plusieurs provinces pour faire la preuve que ces ententes ad hoc étaient insuffisantes. Les subventions nationales à l'ajustement, ainsi que la plupart des autres recommandations de la Commission Rowell-Sirois, étaient des accidents imputables à l'urgence en temps de guerre. Le gouvernement fédéral exerçait un contrôle exclusif sur la fiscalité des individus et des entreprises, sur les droits de succession et payait des loyers à chaque province selon une formule prédéterminée. C'était là, comme les solutions précédentes, une forme implicite de péréquation. La formule de péréquation que nous connaissons aujourd'hui est entrée en vigueur en 1957. Les accords de partage des impôts apparus cette année-là établissaient un lien entre le montant que le gouvernement fédéral transférait directement à chaque province et les revenus obtenus de cette province. Dix pour cent des revenus de l'impôt des particuliers d'une province allaient à la province, 9 pour cent des profits des sociétés et 50 pour cent des droits de succession versés au fédéral. Il est bien évident que 10 pour cent de l'impôt sur le revenu des personnes, prélevé dans une province plus riche, représentaient plus par contribuable que dans une province plus pauvre. Pour compenser ces écarts, le gouvernement fédéral transférait sans condition à chacune des provinces les plus pauvres un montant qui lui permettrait de ramener son rendement per capita pour ces trois impôts normalisés au niveau du rendement moyen des deux provinces les plus riches (l'Ontario et la Colombie-Britannique). Grâce à ce calcul, toutes les provinces, à l'exception de l'Ontario, avaient droit à des paiements de péréquation. C'est ainsi, qu'au cours de l'année financière 1957-1958, un total de 139,1 millions de dollars fut versé à neuf provinces. Depuis sa création, le système de péréquation est devenu progressivement plus complet. C'est ainsi qu'en 1962, on rajoutait dans le calcul de l'assiette fiscale les revenus des provinces provenant des ressources naturelles. La norme était également abaissée au rendement moyen national des impôts entrant dans l'assiette fiscale. Ces deux modifications ont eu pour résultat que l'Alberta et la Colombie-Britannique n'ont plus eu droit à leurs paiements de péréquation. Plus tard, en 1967, 16 autres sources de revenus provinciaux, y compris celles qui n'étaient pas partagées avec le fédéral, furent rajoutées à l'assiette fiscale. Le nombre d'impôts entrant dans le calcul de l'assiette passait de 19 en 1972 à 29 en 1977. Ainsi, la péréquation se rapprochait de plus en plus des pratiques réelles d'imposition. Le schéma de la péréquation a été durement mis à l'épreuve, au cours des années 1970, quand on a enregistré une augmentation marquée des revenus des ressources naturelles en Alberta, en Colombie-Britannique et en Saskatchewan. Comme le schéma en vigueur prévoyait des versements fédéraux, toutes les autres juridictions avaient droit à des compensations pour leur manque de revenus de cette nature, y compris les provinces peuplées de l'Ontario et du Québec, et ce, même si le gouvernement fédéral n'avait pas en pratique d'accès direct à ces revenus. De plus, l'Ontario ayant connu un ralentissement économique, aurait eu droit à ces paiements de péréquation. Tout cela se produisait à une époque où on s'inquiétait de plus en plus de l'importance du déficit fédéral. Des ajustements adaptés à la formule retenue furent apportés, ajustements qui ont surtout redéfini la façon dont les revenus provenant de l'énergie étaient traités. Les règles furent changées pour exclure des paiements de péréquation les provinces dont les revenus per capita dépassaient la moyenne nationale. L'augmentation des revenus de l'énergie imposait l'abandon du concept de la péréquation complète. Les questions simplement techniques ou conceptuelles n'ont pas été les seules à retenir l'attention, pendant cette période. Les revenus importants générés par l'énergie dans les provinces de l'Ouest, en particulier en Alberta, firent s'interroger sur la question plus fondamentale de la détermination d'une péréquation adéquate. On se demanda, de façon précise, si l'augmentation soudainement importante de la capacité fiscale de l'Alberta suffisait à autoriser les autres provinces à recevoir des paiements de péréquation plus importants. (Les revenus de l'Alberta provenant de ses propres sources avaient atteint, en 1980, 232 pour cent de la moyenne nationale.) On s'est demandé par exemple dans quelle mesure la bonne fortune de l'Alberta affectait les demandes de la Nouvelle-Écosse en services publics provinciaux. L'expérience canadienne du passé, qui comparait des niveaux raisonnablement comparables de services à des taux d'imposition raisonnablement comparables, ne nous renseignait pas beaucoup. Fallait-il faire la comparaison avec les provinces les plus riches, ainsi que dans la formule de 1957? Si tel était le cas, il fallait pour l'essentiel mettre en place une péréquation complète des revenus de l'énergie. Fallait-il se contenter d'une péréquation calculée sur les rendements d'impôt moyens nationaux, comme avec le système en vigueur alors? Cela revenait à reconnaître qu'un peu moins de la moitié des revenus de l'énergie entrerait dans la péréquation. Est-ce que des normes » adéquates « seraient plus ou moins exigeantes que des normes » comparables ? Si tel était le cas, cela faisait appel à un critère relatif plutôt qu'à un critère absolu. Le gouvernement fédéral trouvait que même un tel engagement plus limité devenait de plus en plus difficile à financer. Sans les modifications de la formule imputables à l'énergie, les paiements de péréquation en 1981-1982 auraient dépassé de près de 3 milliards de dollars le niveau de 4,61 milliards estimés par ailleurs. Tout dollar additionnel de revenu en ressource allant aux provinces aurait imposé à Ottawa de verser en péréquation 75 cents de plus. Certains analystes prétendaient tout simplement qu'il n'était pas nécessaire d'égaliser tous ces gains dus à la bonne fortune. Ce n'est pas parce qu'une province est subitement plus riche que l'aptitude des autres à fournir des niveaux acceptables de biens et de services publics pour un niveau d'imposition acceptable diminue. En d'autres termes, des revenus gouvernementaux plus importants dans une province ne créent pas des besoins plus importants dans d'autres provinces. D'autres, par contre, prétendaient que des écarts aussi marqués entre les situations fiscales de l'Alberta et du reste du pays étaient intolérables. Comme la province la plus importante avait enregistré le déclin relatif le plus important et que la plus petite avait profité du boom, on accordait du poids politique à cet argument, étant donné que les résidents des provinces les plus peuplées pouvaient se servir de leur poids politique sur le gouvernement national pour obtenir un partage plus avantageux, que ce soit sous la forme de transferts ou de prix réduits. C'était la première fois que des considérations sur l'efficacité jouaient un rôle important dans les débats sur la péréquation. Certains observateurs prétendirent que, puisque les revenus en énergie de l'Ouest n'étaient égalisés qu'imparfaitement, on créait un déséquilibre dans la migration du capital et de la main-d'oeuvre d'une province vers l'autre. On disait que ce déséquilibre se faisait au détriment de l'ensemble du Canada, puisqu'il était imputable aux revenus des gouvernements plutôt qu'à des possibilités économiques. Les travaux menés sur ce sujet ont, en effet, montré que les migrations manifestaient une certaine sensibilité aux écarts fiscaux nets entre les provinces. On a prétendu, lors de ce débat, que si l'on ne disposait pas d'un schéma de péréquation bien adapté, il en coûterait plus cher au Canada d'adopter les prix énergétiques mondiaux que de conserver les prix du pétrole à un niveau artificiellement bas. L'argument était que l'efficacité imposait une certaine péréquation des revenus des ressources, même si l'on n'était pas convaincu de sa nécessité pour arriver à une plus grande égalité entre les Canadiens. Le chef de file de ce nouveau point de vue sur la péréquation a été le Conseil économique du Canada (CEC) avec son rapport intitulé « Le financement de la Confédération, d'aujourd'hui à demain ». Les concepts de l'équité provinciale et de l'efficacité économique apparaissaient comme les piliers formels du schéma de la péréquation qui remplaçaient le critère de normes comparables beaucoup moins précis. Cela a conduit le Conseil à proposer une péréquation complète de toutes les sources de revenu provinciales, à l'exception de celles qui étaient rattachées aux ressources. Dans ce domaine, on ne recommandait qu'une péréquation partielle. Le Conseil économique prétendait que, puisque les ressources sont, d'après la Constitution, la propriété des résidents des provinces, il fallait traiter les revenus qu'elles engendrent comme des revenus des particuliers et les imposer aux taux en vigueur pour les particuliers ou les entreprises. En appliquant ces taux, seul le rendement anticipé entrerait dans le calcul de la péréquation. Le Conseil économique du Canada faisait également bon nombre d'autres propositions, en particulier, la réduction de revenu imputable aux bas prix consentis pour l' hydroélectricité en Ontario et au Québec comptabilisée comme revenu de ressources. Ces prises de position du Conseil sont apparues trop tard dans le débat pour avoir pu influencer les négociations qui devaient mener aux mesures actuelles de péréquation. Ces mesures, dans le cadre de la Loi sur les ententes fiscales de 1982, prévoyaient plusieurs modifications par rapport à la formule antérieure. La péréquation à une moyenne nationale était remplacée par la péréquation à une norme pour cinq provinces. Les provinces devaient recevoir la différence entre leur revenu hypothétique, à un taux d'imposition national moyen, et un niveau représentatif de fonds obtenu en appliquant ces taux d'imposition moyens nationaux à la moyenne pondérée per capita de l'assiette fiscale de l'Ontario, du Québec, du Manitoba, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique. En laissant l'Alberta hors de la norme, cela revenait tout simplement à mettre de côté le problème des revenus de l'énergie; la formule ignore maintenant tout revenu de cette source. L'exclusion de l'Alberta a fait baisser les attentes imputables aux revenus des ressources, alors que l'exclusion des quatre provinces de l'Atlantique faisait augmenter les attentes pour la plupart des autres sources de revenu. La Loi sur les ententes fiscales de 1982 comprenait également d'autres modifications aux ententes de péréquation. La couverture comprenait les revenus municipaux et 100 pour cent des revenus des ressources. L'exclusion de l'Alberta signifiait, cependant, que les revenus des ressources ne représentaient qu'une petite partie de ceux comptabilisés auparavant. On mettait des limites aux versements en en limitant leur croissance à celle de l'augmentation du produit national brut (PNB) depuis 1982. Une garantie de niveau minimum de paiement et de paiements transitoires faisait son apparition pour compenser les effets de modifications particulières dans certaines provinces. Ce sont le Québec et le Manitoba qui furent les principaux perdants à la suite de ces changements; la position des provinces atlantiques est restée sensiblement la même. Le passage au nouveau système a eu pour résultat de réduire les droits à la péréquation (y compris les paiements transitoires) de 11 pour cent, soit de 560 millions de dollars en 1982-1983, même si les versements ont encore dépassé de 13 pour cent ceux de l'année antérieure avec l'autre formule'?. Les succès de la péréquation. Est-ce que la péréquation a effectivement permis d'adoucir les écarts entre les capacités fiscales des diverses provinces? Est-ce que les Canadiens ont atteint les normes fixées par la Commission Rowell-Sirois, il y a 45 ans? Puisqu'il n'y a pas de mesure précise de la capacité fiscale, il n'y a pas de réponse ferme à ces questions. On peut toutefois se servir de mesures indirectes pour se faire une idée des effets de la péréquation. La première chose qui vienne à l'esprit quand on veut évaluer la capacité fiscale relative des provinces est de comparer les revenus réels actuels per capita d'une province à l'autre. On trouvera ces données au tableau 22-9. La première ligne indique les revenus de source propre, c'est-à-dire les fonds que les provinces ont prélevés en 1981-1982, en appliquant leurs taux d'imposition à leur propre assiette fiscale. Les variations entre les provinces sont importantes, allant d'un revenu per capita de 1 026 dollars en Nouvelle-Écosse à 3 900 dollars en Alberta. Il faut toutefois reconnaître que ce dernier chiffre, imputable au revenu imposant de l'énergie, est un exemple extrême. Si l'on exclut de l'échantillon l'Alberta et la Saskatchewan, l'écart se réduit de beaucoup, allant de 1 026 dollars à 1 765 dollars. Il n'empêche qu'il y a d'importantes disparités de revenus entre les provinces. Les quatre provinces de l'Atlantique et le Manitoba sont les plus pauvres, alors que le Québec,l'Ontario et la Colombie-Britannique se situent entre celles-là et l'Alberta et la Saskatchewan. La seconde ligne du tableau 22-9 additionne les transferts fédéraux autres que les paiements de péréquation au revenu propre de la province. Certains transferts étant de façon implicite une péréquation, les disparités entre les provinces sont réduites dans une certaine mesure, mais restent importantes. Les paiements de péréquation apparaissent à la troisième ligne. Là, les écarts entre les provinces se réduisent sensiblement et le classement des provinces change. L'Alberta est toujours la province la plus riche, mais l'Ontario va au bas de la liste. En effet, cette province ne disposant pas de revenus des ressources et n'ayant pas droit à la péréquation, elle a la plus faible capacité fiscale, même si elle est en apparence la province la plus industrialisée. L'importance de la péréquation pour certaines provinces se manifeste à la quatrième ligne du tableau 22-9. Les paiements atteignent presque les deux tiers des revenus que l'Ile-du-Prince-Édouard est capable de prélever par elle-même et représentent environ la moitié du revenu correspondant pour les trois autres provinces de l'Atlantique. Il ne faut, toutefois, pas prétendre que les chiffres du tableau 22-9 donnent une mesure absolument précise des capacités fiscales relatives. Ils indiquent les revenus réels des provinces et sont donc le résultat à la fois des possibilités de revenu et des efforts pour obtenir ces revenus. La péréquation voulant égaliser la capacité des provinces à générer des fonds, on obtiendra une réponse plus valable en cherchant à voir ce qui se produirait, si chaque province appliquait les mêmes taux. On trouvera au tableau 22- 10 l'assiette fiscale per capita pour trois périodes, depuis 1972. On constate, aux trois premières lignes, les importantes variations qu'il y a entre les revenus des sources propres aux provinces. Si, dans le cas de l'Alberta, ils atteignent 217 pour cent de la moyenne nationale, pour l'Ile- duPrince-Édouard, ce n'est que 55 pour cent. Les autres provinces atlantiques ne font pas beaucoup mieux. Ce sont ces chiffres qui, plus que n'importe quels autres, démontrent le besoin de péréquation dans la fédération canadienne. S'il n'y avait pas ces compensations, les écarts entre les aptitudes des provinces à offrir le bienêtre à leurs résidents seraient par trop élevés. Ces écarts ont augmenté sensiblement depuis 1972, à cause des importants revenus de l'énergie dans l'Ouest. On le voit clairement de la quatrième à la sixième ligne du tableau. Il faut, toutefois, signaler que, même sans les revenus des ressources, l'Alberta et la Saskatchewan auraient encore été les provinces qui auraient le plus profité des augmentations de fonds. Cela tient au fait que les revenus des personnes et des entreprises y sont plus élevés, que les ventes au détail sont plus importantes et que l'activité autour de l'énergie stimule le reste de l'économie. Les commissaires souhaitent enfin attirer l'attention sur la différence de position du Québec dans les deux tableaux. L'écart entre des chiffres relativement élevés au tableau 22-9 et des chiffres relativement faibles au tableau 22-10 s'explique par des taux d'imposition supérieurs à la moyenne et démontre l'importance de la normalisation des efforts réels d'imposition, quand on veut comparer les capacités fiscales relatives. Les lignes sept à neuf du tableau 22-10 montrent les effets des paiements de péréquation. Ces paiements réduisent largement les écarts entre les provinces. Ainsi, les revenus de l'Ile-du-Prince-Édouard atteignent maintenant 83 pour cent de la moyenne nationale qui est elle-même largement gonflée par les revenus de l'Alberta. La performance des sept provinces les plus à l'est ne varie que de 83 à 88 pour cent par rapport à la moyenne nationale. Si l'on en ajoute d'autres aux transferts fédéraux, comme on le fait aux trois dernières lignes du tableau, on réduit encore davantage ces disparités. Les provinces atlantiques ont maintenant des revenus potentiels d'environ 90 pour cent de la moyenne nationale. Il est ironique de constater que l'Ontario a maintenant les revenus potentiels les plus faibles: 87 pour cent de la moyenne nationale. Cela ne s'explique pas par des taux d'imposition plus élevés, puisque l'effort d'imposition de l'Ontario est la moyenne du pays, mais cela explique cependant pourquoi l'Ontario aurait eu droit à des paiements de péréquation entre 1977 et 1982, mais ne les a pas reçus. La Colombie-Britannique et la Saskatchewan se situent légèrement au-dessus de la moyenne nationale, alors que l'Alberta est loin devant. Ces chiffres démontrent donc que la péréquation et d'autres paiements de transfert fédéraux produisent des effets. Ils sont efficaces pour égaliser l'accès des trésoreries provinciales aux revenus publics. Les commissaires conclueront donc que la péréquation a certainement contribué de façon importante à la réduction de la variation de la capacité fiscale d'une province à l'autre. Il semble que la tendance vers une péréquation plus marquée ait cessé et se soit même peut-être renversée, à cause des effets des revenus de l'énergie et, dans une moindre mesure, du besoin de restriction. « Avec le temps, le niveau auquel les revenus des provinces sont égalisés, diminue par rapport au niveau moyen national de capacité fiscale». Ainsi, en 1972-1973, après tous les transferts, aucun gouvernement provincial ne se situait en-dessous de 90 pour cent de la capacité fiscale moyenne nationale. En 1981-1982, deux provinces étaient cependant en-dessous de ce niveau. En 1972-1973, la province la plus riche avait une capacité représentant 121 pour cent de la moyenne nationale, en 1981-1982, 186 pour cent. Des modifications plus récentes ont également réduit, dans une certaine mesure, l'engagement à la péréquation. On a calculé qu'en 1982-1983, la nouvelle norme des cinq provinces réduisait les paiements aux taux de péréquation de 732 millions de dollars, par rapport à ce qu'ils auraient été avec l'ancienne formule, c'est-à-dire 4 557 milliards de dollars. Cette réduction était toutefois atténuée par les paiements transitoires au Québec et au Manitoba, les provinces les plus touchées par les changements. La limitation de l'augmentation des paiements de péréquation au taux d`augmentation du PNB indique également que, dorénavant, ces paiements ne seront plus sans limite. La péréquation a permis au Canada de réduire sensiblement les écarts entre les diverses aptitudes des provinces à fournir des services à leurs citoyens. Néanmoins, les écarts entre les provinces restent importants et le système a eu beaucoup de difficultés à contrer les effets inégaux produits par les revenus du pétrole et du gaz. Les modifications récentes ont réduit, dans une certaine mesure, le niveau global de péréquation. En qualité de commissaires, nous souhaitons insister sur le fait que, à notre avis, le concept de partage qui repose dans la péréquation est toujours appuyé fortement par les Canadiens de tout le pays. Si certains aspects du programme sont controversés, l'engagement constitutionnel de l'article 36 reflète indéniableQuestions et propositions. Les Canadiens doivent d'abord décider de l'interprétation à donner aux principes sous-Jacents à la péréquation au Canada. Est-ce que prévaudra l'interprétation rigoriste de la formulation de l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui stipule qu'il faut «assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables»? Ou bien, la péréquation sera-t-elle un moyen permettant aux juridictions les moins prospères du pays de partager également et automatiquement les bonnes fortunes de leurs voisins mieux nantis? Il n'y a pas de réponse simple à ces questions. La réponse qui sera donnée sera en même temps un jugement sur les objectifs de la fédération canadienne. Les commissaires ont tendance à favoriser une interprétation laxiste de l'engagement de la nation à l'égard de la péréquation que celle contenue dans le programme actuel de péréquation. Nous croyons qu'il est temps de changer les normes minimales de ce dernier pour adopter des mesures plus complexes de répartition des revenus. Nous justifions cette recommandation pour une raison importante: il est évident que les provinces ont assumé un rôle beaucoup plus important dans la fédération que celui qu'elles jouaient en 1940, à l'époque de la Commission Rowell-Sirois, ou encore en 1957, lors de la mise en place des premiers schémas de péréquation. Les citoyens canadiens sont maintenant beaucoup plus dépendants de leur gouvernement provincial pour toute une gamme de services. Si l'on accepte dans les grandes lignes que cette orientation a la préférence des Canadiens, l'aptitude de ces gouvernements provinciaux à offrir ces services devient beaucoup plus importante. Par conséquent, les disparités entre les provinces deviennent beaucoup moins acceptables. La question suivante, à laquelle il n'y a pas non plus de réponse simple, est: qui devrait appliquer le programme? La réponse dépend de la vision que les Canadiens ont de la fédération. Il est possible de choisir entre trois modèles. Tout d'abord, la péréquation pourrait rester la seule responsabilité du gouvernement fédéral. Ce gouvernement souhaiterait alors certainement consulter les provinces et d'autres groupes intéressés, mais il ne serait pas nécessairement lié à leur avis. Une variante de ce modèle permettrait aux gouvernements provinciaux de contribuer plus activement à la conception du programme, peut-être en accordant en contrepartie au gouvernement fédéral l'accès à certaines sources de revenu, comme les revenus des ressources qui relèvent maintenant de la juridiction provinciale. Selon la logique qui sous-tend le premier modèle, la redistribution au sein de la fédération est, et devrait être, la responsabilité du gouvernement national. Le problème repose toutefois sur le fait que l'engagement financier du gouvernement fédéral est, dans une large mesure, fonction des politiques fiscales provinciales, et qu'il devrait néanmoins égaliser des sources de revenu, même s'il n'y a pas accès. Un second modèle, de type plus confédéral, a retenu l'attention au cours des dernières années. Certains observateurs ont proposé de faire de la péréquation une question interprovinciale, les provinces faisant alors des partages entre elles. Le potentiel en recettes fiscales de chaque province serait calculée de façon indépendante. Celles qui enregistrent des excédents contribueraient alors à un fonds qui servirait à effectuer des versements aux régions les moins avantagées financièrement. On pourrait incorporer dans ce calcul toutes les sources de revenu, même les revenus non perçus. L'entente serait alors exclusivement du ressort des provinces; il leur reviendrait de décider quel pourcentage des excédents fiscaux serait imposé et quels déficits fiscaux seraient compensés. Une troisième option est celle d'un schéma de partage à deux niveaux dont un est supérieur à l'autre, schéma qui répartirait les responsabilités de péréquation entre les deux ordres de gouvernement. Il est vrai qu'il existe de nombreuses propositions de cette nature, mais toutes commencent par mettre à l'écart les revenus des ressources, puisque ceux-ci relèvent en totalité du domaine provincial. Le gouvernement central continuerait à appliquer un schéma de péréquation comparable à celui en vigueur avant 1982, mais sans tenir compte des catégories de revenus rattachées aux ressources. Les revenus versés en vertu du premier niveau proviendraient des bases d'imposition que beaucoup de provinces partagent d'ailleurs déjà. Si les déboursés augmentaient à cause de revenus additionnels en impôt sur le revenu dans une province riche, le gouvernement fédéral aurait alors accès à ces revenus et aurait la responsabilité d'assurer les paiements. La péréquation des revenus de ressources serait, quant à elle, la responsabilité de l'ensemble des provinces. Les gouvernements provinciaux définiraient la capacité moyenne de revenus des ressources du pays. Comme dans le second modèle, les provinces ayant des revenus supérieurs à la moyenne contribueraient, avec une partie de leur excédent, à financer les versements effectués aux provinces se situant en-dessous de cette moyenne. Dans l'ensemble, les versements seraient équilibrés dans la mesure où le total des versements faits par les provinces riches en ressources serait équivalant aux déboursés versés aux autres. Les commissaires recommandent que le gouvernement fédéral garde la première responsabilité du fonctionnement du programme de péréquation. Les deux autres options sont certainement intéressantes, mais présentent deux défauts. Il n'est tout d'abord pas évident que les provinces souhaitent jouer le rôle de redistribution plus important exigé par les deux autres modèles. Les propositions allant dans ce sens se sont heurtées à beaucoup d'hostilité il y a quelques années, et l'on ne voit pas pourquoi elles seraient mieux reçues aujourd'hui. Les provinces riches en ressources estiment qu'un tel schéma les priverait de leurs revenus bien mérités; les provinces pauvres en ressources ne souhaitent pas être dépendantes du bon vouloir des provinces plus avantagées. Plus important encore, les deux schémas refuseraient de reconnaître au gouvernement fédéral une partie ou la totalité de son rôle traditionnel de redistribution dans la fédération. Comme nous avons pu le constater, traduire les principes généraux de péréquation dans un schéma opérationnel est fort complexe, surtout dans un contexte fiscal particulièrement changeant. Des modifications mineures, un petit nombre d'accrocs possibles et des statistiques équivoques peuvent avoir des conséquences importantes pour une province donnée. C'est pourquoi les commissaires ne peuvent que s'en tenir à des recommandations d'ordre général, qui soient cohérentes avec leurs prises de position sur les partages et avec celles qui veulent que le gouvernement fédéral soit le principal responsable des accords de péréquation. Le Canada devrait revenir à une formule de péréquation qui tiendrait compte des dix provinces. Le système actuel, qui exclut arbitrairement cinq provinces du calcul, laisse trop de place à la distorsion, à la stratégie et aux effets non souhaités. Ainsi, si une entreprise décidait de quitter l'une des provinces exclues, l'Alberta par exemple, pour l'une de celles qui font partie de la formule, l'Ontario par exemple, le droit à la péréquation de la province accueillant l'entreprise augmenterait selon cette formule, en proportion de l'augmentation de l'assiette fiscale. Si cette même entreprise se déplaçait vers la Nouvelle-Écosse, le schéma de péréquation ne serait pas touché, puisque ni l'Alberta ni la Nouvelle-Écosse ne font partie des cinq provinces retenues dans le calcul. Comme l'a fait remarquer un ministre des Finances en ne plaisantant qu'à moitié, les provinces sans péréquation pourraient avoir avantage à gonfler leurs dépenses de développement à la façon de l'Ontario. La péréquation devrait reposer sur l'évaluation la plus grande possible de la capacité fiscale des provinces. Procéder à des ajustements conjoncturels avec quelques provinces seulement afin de régler des problèmes financiers n'est pas souhaitable et rend confus des principes fondamentaux. Il faudrait également englober une partie des revenus des ressources - plus grandes que 0 pour cent mais nettement inférieures à 100 pour cent - dans la péréquation. Il n'existe pas de chiffre magique, mais il semble que 20 à 30 pour cent soit un compromis acceptable entre les deux extrêmes de la pureté théorique et de la réalité politique. Ce type de proposition a été appuyé par le Groupe de travail sur les ententes fiscales de 1981, le gouvernement de la Saskatchewan de cette époque et le Conseil économique du Canada dans son rapport de 1982. Le Groupe de travail appuyait cette proposition parce que, si les ressources naturelles appartenaient à des intérêts privés, 20 pour cent des revenus du secteur allaient en impôts dans les budgets provinciaux. Il était donc normal que ces 20 pour cent entrent dans la péréquation. Le Groupe de travail prétendait également qu'il n'y a que les revenus des ressources utilisés à des fins budgétaires qui doivent entrer dans la péréquation, et non pas ceux déposés dans des heritage funds. De plus, les revenus des ressources servant à offrir des avantages spéciaux ou inhabituels aux citoyens devaient être exclus. Les commissaires considèrent que c'est une approche efficace à la résolution de ce problème épineux. Ils croient aussi que les paiements fédéraux de péréquation provenant des revenus des ressources ne devraient pas dépasser les revenus que le gouvernement fédéral peut espérer obtenir de l'imposition de l'activité dans le domaine des ressources. L'accent mis sur les redevances provenant des ressources pétrolières et gazières néglige les redevances implicites provenant d'autres ressources. Il faudrait donc également les incorporer dans les sources provinciales de revenu utilisées dans la formule de péréquation. Les commissaires font ici surtout allusion à la pratique de fixation de prix à rabais de l'électricité produite par des corporations provinciales de la Couronne. On trouvera les détails d'une proposition en ce sens dans le Rapport du Conseil économique du Canada. Nous, commissaires, appuyons pleinement leur opinion et recommandons qu'on fasse davantage de travaux pour évaluer de façon plus sûre les pertes de revenus ainsi encourues. Les commissaires estiment enfin qu'il faudrait étudier attentivement l'idée selon laquelle on retient les besoins fiscaux ou le coût de fourniture des services. Le critère de niveaux raisonnablement comparables de services publics à des niveaux comparables d'imposition, donné dans la Constitution, comprend les deux termes de l'équation. La plupart des schémas de péréquation accordent cependant plus d'importance au terme « revenus ». Ils prennent implicitement pour hypothèse que le coût de la fourniture des services est le même partout dans le pays. Il est bien évident qu'il n'en est pas ainsi. Les routes coûtent plus cher à construire en ColombieBritannique qu'au Manitoba, à cause de la nature du terrain. Une province comme Terre-neuve, qui doit fournir des services à une population petite, dispersée et rurale, supporte des coûts plus importants qu'une province où la population est plus concentrée. Les profils démographiques d'une province qui varient beaucoup en fonction de l'âge de la population, du taux de chômage, etc., ont pour résultat des niveaux variables de demande de services. « Des niveaux raisonnablement comparables de services publics » pourraient donc englober des écarts dans les coûts, et il semble que ce soit là un argument puissant dont il faille tenir compte dans le système de péréquation. Le système australien de péréquation procède ainsi avec succès. Il y a cependant de très gros obstacles à surmonter pour inclure les besoins en dépenses dans la formule de péréquation. Il faudrait pour cela disposer d'un « système représentatif de dépenses » correspondant au système représentatif d'impôts. Les Canadiens devraient s'entendre sur les dépenses provinciales à y faire entrer et sur la façon d'évaluer les différences de coûts. On peut imaginer que cette évaluation traduirait les écarts en besoins per capita (par exemple, la proportion de citoyens d'âge scolaire) et en coûts unitaires (par exemple, le coût de construction d'un kilomètre de route). Une telle formule devrait combiner un niveau « moyen » de services tout en laissant les provinces libres de faire leur propre choix quant aux niveaux d'un service donné à offrir. Tous ces problèmes sont considérables, à la fois au niveau des concepts et de la complexité des instruments de mesure et de collecte de données qu'ils supposent. Les résoudre nécessiterait des bases statistiques beaucoup plus complètes et beaucoup plus normalisées. Pour pouvoir définir les dépenses représentatives à travers toute la gamme des services provinciaux, il faudrait porter un jugement politique beaucoup plus difficile encore que ne le serait un accord sur des impôts représentatifs. Cela pourrait également provoquer des pressions non souhaitables sur l'uniformité provinciale. Néanmoins, au fil des ans, les Canadiens ont réussi avec succès à régler des problèmes complexes propres à un système de finances publiques basé sur l'équité. Les commissaires croient que le Conseil des ministres des Finances et les gouvernements devraient commencer à préparer le terrain pour incorporer éventuellement les besoins en dépenses dans les programmes de péréquation; ce serait là une évolution naturelle. L'expansion économique régionale. Pour diverses raisons, l'expansion régionale est l'une des rares questions du mandat de cette Commission, qui ait laissé les participants perplexes. Notre examen des travaux de la communauté des chercheurs a révélé que l'on sait fort peu de choses sur les motifs et le modus operandi de la croissance des économies régionales. Les théories abondent mais aucune n'a reçu l'approbation générale. Il est difficile d'évaluer le degré de succès que le Canada a connu dans ses efforts pour stimuler la croissance économique et l'industrialisation des régions les plus pauvres. Nous avons mis à l'essai plusieurs genres de programmes, de politiques et de stratégies mais, comme le déclarait le Premier ministre Hatfield du NouveauBrunswick, dans l'exposé qu'il a soumis à la Commission: Malgré les allégations que des sommes importantes ont été déboursées, rien de ce qui a été entrepris n'a vraiment modifié l'écart entre le Nouveau-Brunswick et le reste du Canada, là où il est question des bienfaits de l'établissement d'une base industrielle viable. Le plus que l'on puisse dire est que nous sommes peut-être parvenus à empêcher les régions défavorisées de rétrograder davantage. C'est peut-être à cause de ces succès mitigés que la politique régionale a empêché nos meilleurs efforts d'élaborer les paramètres d'une gestion appropriée. Il y a eu un débat constant pour savoir lequel des paliers de gouvernement était le plus apte à concevoir et à appliquer les programmes. Ce débat porte aussi sur les critères justifiant les besoins; il porte encore sur le lien approprié entre les politiques régionales et les initiatives économiques nationales de nature plus générale, comme les politiques de transport ou de stabilisation des prix. Il appert que le temps consacré à discuter de la façon d'appliquer des mesures qui étaient vouées à l'échec, était aussi considérable que celui investi dans la recherche de solutions nouvelles. Dans un système fédéral, les disparités économiques régionales sont, par définition, des sujets épineux, le Canada ne faisant pas exception à la règle. Les inégalités d'une région à l'autre sont tout au moins aussi embarrassantes que celles que l'on retrouve parmi les membres d'une même collectivité. Parfois, les ajustements économiques exigent des migrations, ce qui ajoute un fardeau supplémentaire sur les épaules du citoyen. Sur ce plan, les États unitaires ne diffèrent guère des États à système fédéral. Cependant, dans ces derniers, les migrations peuvent affaiblir les collectivités provinciales que le fédéralisme est censé protéger. En pareil cas, la survie de la collectivité est en cause. Quand il existe un attachement à la collectivité régionale aussi fort que celui que l'on trouve au Canada, ou quand une migration implique la perte d'une langue et d'une culture, comme cela peut arriver pour un Québécois francophone, l'ajustement s'avère beaucoup plus coûteux. Par conséquent, on ne peut songer au développement uniquement si on a une vision d'ensemble du Canada, car il faut également prendre en considération les économies régionales et les collectivités provinciales qui y sont associées. Cette façon de voir suscite la controverse. La critique revêt plusieurs formes. D'aucuns prétendent que l'on devrait se préoccuper du développement économique de l'individu et non pas des régions, car l'individu est l'axe central de toute initiative. De ce point de vue, la préservation ou le développement des collectivités ne devrait pas faire l'objet de politiques gouvernementales. De plus, se concentrer sur les injustices interrégionales détourne des injustices sur lesquelles l'attention devrait porter et qui n'ont rien à voir avec les régions ou le territoire. De même, en tendant vers l'efficacité économique on risque de reléguer les politiques régionales au second plan. En tentant de diversifier les économies provinciales, afin de les transformer en entités autonomes, on refuse de reconnaître à l'ensemble des Canadiens les avantages fondamentaux de la spécialisation économique et de la complémentarité. C'est presque par définition que, selon cette optique, les politiques d'expansion régionale détournent les ressources des lieux de productivité maximale vers des lieux moins productifs, diminuant ainsi l'ensemble de l'économie. Par conséquent, il existe un échange direct entre l'ensemble de la richesse nationale et la richesse de chaque région. L'une des réponses à cette critique est qu'il peut y avoir un échange entre l'expansion régionale et le revenu national à court terme, mais pas nécessairement à long terme. Dans la mesure où les régions sous-utilisent leurs ressources, celles-ci ne fournissent pas leur pleine contribution au produit national. L'économie nationale sera plus saine dans la mesure où chaque région aura développé ses possibilités. Tout opposant à une politique de développement régional rétorquera probablement que, si l'on tient compte de l'objectif, les politiques d'expansion régionale, à ce jour, n'ont pas transformé les bases économiques des provinces au point de les rendre plus productives. On peut dire à cette lecture, que nous sommes parvenus à compenser les injustices par des transferts interpersonnels et régionaux mais, que nous avons fait bien peu pour modifier les conditions qui freinent le développement. Aujourd'hui, ce débat sur les politiques régionales revêt une grande importance. Certains participants ont soutenu que dans la conjoncture économique actuelle et face à la montée constante de la concurrence internationale, l'expansion régionale est peut-être un luxe que nous n'avons plus les moyens de nous payer, du moins aux niveaux et dans les formes que nous avons connus jusqu'ici. Les critiques soutiennent qu'il faut nous soumettre à la loi du marché et utiliser les ressources à des fins plus productives, même si les autres objectifs sont justifiés sur le plan social ou culturel. L'argumentation ne porte pas sur l'abandon des politiques régionales, mais sur une réévaluation de leur importance, de façon à faire pencher les politiques davantage vers l'efficacité nationale et moins vers l'expansion régionale. De plus, comme l'ont fait les commissaires dans la discussion précédente sur les politiques industrielles et sociales, nous devrions nous efforcer de mieux distinguer entre les dimensions de « compensation du bien-être social » et les dimensions expansionnistes. Si l'expansion économique régionale traitait uniquement de l'efficacité nationale, les commissaires auraient tendance à donner raison aux critiques. Cependant, comme nous l'avons soutenu tout au long de ce Rapport, le bien-être est un concept plus vaste, plus englobant; et, au Canada, le bien-être possède une composante régionale essentielle. Les politiques d'expansion régionale demeurent donc d'une importance vitale et elles doivent comporter, à la fois, une diminution des disparités inhérentes au concept des transferts interrégionaux et une composante de développement inhérente à l'idée qui veut que l'on tire le meilleur parti possible des ressources canadiennes dans chaque région. Ainsi, même si les commissaires se soucient de minimiser les distorsions et d'assurer qu'une saine préoccupation d'efficacité soit à l'origine de l'allocation des fonds de développement régional, nous croyons que ce concept doit demeurer une composante essentielle des politiques canadiennes, et, en fait, du pacte confédératif. Pour une Commission royale, comme pour les gouvernements, l'expansion régionale peut constituer un nid de guêpes. Les enjeux sont de taille, les émotions vives; les Canadiens, historiquement, ont souvent malmené le processus et connaissent à peine la façon dont il fonctionne actuellement. Néanmoins, si l'on considère les raisons déjà citées et l'engagement constitutionnel du gouvernement du Canada et des gouvernements provinciaux «de promouvoir l'égalité d'opportunités pour le bien-être des Canadiens » et de « pousser le développement économique afin de diminuer la disparité des opportunités », on ne peut ignorer les politiques régionales. La croissance économique, la répartition des revenus, les ajustements et le fédéralisme. Jusqu'ici en tant que commissaires, nous nous en sommes tenus, dans notre Rapport, à trois volets de la vie économique: la croissance économique, la répartition des revenus et les ajustements. Nous avons étudié ces volets dans la perspective de l'économie nationale dans son ensemble et nous avons examiné ses répercussions sur les individus. Notre discussion s'est déroulée comme si toute l'activité économique se concentrait dans un même lieu géographique. La croissance économique, à laquelle nous nous référons, augmente selon la croissance réelle du produit national per capita. La recherche a démontré la répartition des revenus selon l'âge, le sexe, l'occupation et le groupe linguistique ou ethnique. Les ajustements touchaient les problèmes de réorientation du capital et de la main-d'oeuvre des secteurs en voie de déclin vers ceux où se manifeste une tendance à la hausse. La première mesure à prendre pour rendre cette analyse plus réaliste consiste à reconnaître que l'activité économique est répartie à travers tout le Canada et que les travailleurs et les hommes d'affaires sont répartis, non seulement selon des catégories d'industrie ou d'occupation, mais aussi selon leur emplacement géographique. Il nous faut ensuite identifier les facteurs de croissance de certaines régions et établir comment les économies régionales affectent les tendances nationales ou sont affectées par celles-ci. Il nous faut aussi comparer les revenus, d'une région à l'autre. Les travailleurs et les investisseurs d'une région du pays obtiennent-ils les mêmes bénéfices que leurs homologues d'une autre région? En outre, les ajustements s'avèrent plus complexes depuis que les migrations sont susceptibles d'entraîner une chute des revenus réels d'une personne. Les provinces jouissent d'un statut constitutionnel officiel et de véritables pouvoirs économiques et sociaux, qui en font des centres d'activité économique importants. Ce sont aussi des collectivités avec lesquelles les résidents ont des engagements politiques et des liens émotionnels. Par conséquent, on a raison de les considérer comme des régions économiques et de parler de leur bien-être de la même manière que l'on parle des intérêts canadiens et des aspirations canadiennes. L'addition de cette dimension fédérale à notre analyse rend cette dernière plus complexe encore. Le taux de croissance consolidé d'une province n'est pas seulement une portion d'un processus économique plus vaste, mais il faut que nous tenions compte de la capacité d'une unité politique d'assurer l'avenir économique de ses résidents, en effet, l'emplacement des emplois ou des investissements est important. Il faut donc se demander si les personnes pourront assurer leur survie économique dans les collectivités provinciales desquelles elles font partie. On ne peut se contenter de comparer les revenus des personnes qui, d'autre part, ont un profil identique d'un bout à l'autre du pays. Il nous faut plutôt comparer les revenus réels per capita de régions entières, en tenant compte des différentes composantes en matière de profession, de données démographiques et de circonstances. Ajouter le fédéralisme à l'analyse introduit toute une gamme de préoccupations politiques et sociales aux considérations relevant des ajustements interrégionaux. Ainsi, l'émigration n'est pas seulement un mécanisme d'ajustement parmi d'autres. Si le mouvement est assez marqué, il peut menacer l'existence de certaines collectivités régionales. Des mouvements de population qui semblent justifiés, quand il est question d'efficacité économique, peuvent s'avérer alors inacceptables dans le contexte de ces valeurs politiques et sociales. On ne doit pas juger les hommes politiques seulement d'après leur aptitude à créer des emplois, mais bien plus selon l'existence des emplois dans les secteurs du pays où vivent les chômeurs. Nous nous sommes éloignés du domaine économique pour passer à l'aspect politique. Ce faisant, nous devons nous demander: quelle importance notre pays devrait-il accorder au maintien des collectivités régionales? Quelle portion de l'efficacité économique les Canadiens sont-ils prêts à sacrifier pour garantir cet objectif? Devrions-nous ajuster le niveau des ressources que nous consacrons à l'expansion régionale à la performance de l'économie nationale, les réduisant chaque fois que le taux de croissance économique ralentit? Une répartition équitable des revenus implique-t-elle un revenu per capita identique dans toutes les provinces? Le citoyen a- til le droit de s'attendre à trouver un emploi dans la région de son choix et offrant une rémunération comparable à celle qui est offerte pour le même travail dans une région plus prospère? Avant de tenter de répondre à ces questions, il faut d'abord comprendre le schéma des disparités régionales au Canada. Les disparités régionales. Que savons-nous des disparités économiques régionales au Canada? D'abord la rémunération per capita ou le revenu provenant du marché du travail (excluant les paiements de péréquation) varie beaucoup d'une province à l'autre. Ainsi, en 1981, comme l'indique le tableau 22-11, le revenu du marché du travail à Terre-Neuve ne représentait, per capita, que 53,8 pour cent de la moyenne nationale, alors que celui de l'Alberta atteignait 114,1 pour cent. Cette année-là, trois provinces seulement dépassaient la moyenne nationale, soit l'Alberta, l'Ontario et la Colombie-Britannique, bien que la Saskatchewan en ait été très près avec 98,7 pour cent. Le groupe suivant se composait du Manitoba et du Québec, à un peu plus de 90 pour cent, suivis de la Nouvelle-Écosse, à 70 pour cent alors que les trois provinces atlantiques se maintenaient à moins des deux tiers du revenu moyen. Au cours des soixante années pour lesquelles nous disposons de données valables, ce schéma d'ensemble a peu changé, bien que, à l'occasion, les provinces aient figuré à des rangs différents. Le revenu de rémunération est, en général, la première mesure de toute disparité économique, puisqu'il reflète, avec beaucoup de précision, la vigueur et la productivité relatives des différentes économies. D'autres mesures représentent de façon plus complète le bien-être économique relatif des individus. Si nous ajoutons les transferts aux individus à leur revenu de rémunération, nous avons alors une meilleure idée du revenu personnel total. Selon cette norme, la province la plus défavorisée se retrouverait à 65,1 pour cent de la moyenne nationale, alors que la plus riche serait à 110 pour cent; ces chiffres représentent une différence légèrement supérieure à un rapport de deux sur trois. Si nous y ajoutons l'effet de l'impôt progressif en évaluant les revenus après impôt plutôt qu'en évaluant le revenu brut, les écarts s'amenuisent encore. Et si l'on calcule les revenus par foyer plutôt que par personne, le résultat est encore moindre. Dans cette perspective, le revenu disponible par foyer terre-neuvien s'élève alors à 87,6 pour cent de la moyenne nationale, alors que l'Ile- duPrince-Édouard et le Nouveau-Brunswick deviennent les provinces les plus défavorisées, avec des revenus atteignant 79 pour cent de la moyenne nationale. L'écart dans le revenu per capita est réduit de moitié par rapport à ce qu'il était quand on le calculait sur la base du revenu de rémunération per capita. Si, ensuite, on ajuste le revenu par rapport aux prix courants, afin d'obtenir le véritable pouvoir d'achat, on obtient encore une légère variation d'une province à l'autre. Pourquoi les revenus de rémunération diffèrent-ils autant d'une province à l'autre? En général, on offre deux explications, la première étant choisie un peu plus souvent que la seconde, à savoir: les différenciations dans le taux salarial et dans le taux d'embauche. En d'autres termes, si les Canadiens travaillant dans les régions les plus pauvres gagnaient, en moyenne, ce que gagnent leurs homologues des régions plus riches, la disparité des revenus s'en trouverait réduite de moitié. La différence s'expliquerait par le fait qu'une portion plus faible de la main-d'oeuvre est employée. La question qui se pose alors est la suivante: pourquoi les salaires et les taux d'embauche varient-ils d'une région à l'autre? La réponse la plus évidente en ce qui concerne les salaires réside dans les différences structurelles de l'emploi et de l'industrie. Un pêcheur gagne moins qu'un vice-président de grande société. Or, si, en NouvelleÉcosse il y a plus de pêcheurs et, en Ontario plus de cadres, la rémunération per capita va refléter ces différences dans l'amalgame des différentes professions. Cependant, dans ces circonstances, les disparités régionales refléteraient la gamme habituelle des rémunérations selon les professions ou les personnes, ce qui est caractéristique de toute société industrielle. Pourtant, bien peu des disparités observées semblent être fondées sur des différences de professions. La rémunération pour un emploi donné, beaucoup plus que les différences dans le genre d'emploi disponible, explique le manque à gagner. L'explication des différences dans la rémunération repose sur le taux de productivité des employés. Or, un certain nombre de facteurs peuvent expliquer la variation de ce taux. Ainsi, la « qualité » et la somme de capital employé sont responsables d'une partie de cet écart puisque, dans les régions les plus pauvres, le rapport capital-travail est moindre. Les régions à faible revenu ont aussi moins d'ouvriers dans la force de l'âge et la force ouvrière y compte moins d'années de scolarisation. En ce qui concerne le reste de l'insuffisance de productivité, il s'explique par l'adoption moins rapide de nouvelles technologies, une gestion moins efficace, des centres urbains plus petits et peu nombreux et un plus grand éloignement des principaux marchés. Le fait de dresser la liste de cet assemblage ne l'explique en rien. En fait, il est extrêmement difficile de séparer la cause et l'effet. Il semble que le niveau de scolarité de la force ouvrière des régions les plus pauvres soit plus bas, parce que les individus, possédant une formation plus adéquate, se trouvent généralement en meilleure position d'émigrer là où les perspectives d'emploi sont les meilleures. D'autre part, le fait que l'investissement par ouvrier est plus bas reflète peut-être tout simplement un climat d'investissement tout aussi faible. Quant à la décision d'adopter de nouvelles technologies, elle dépend surtout de la conjoncture économique; la rapidité d'adoption reflète en général la vigueur de l'économie régionale. Pour ce qui est des gestionnaires, en général, les meilleurs sont promus au siège social, sans égard à leur lieu d'origine. L'autre moitié des différences dans les gains per capita provient des taux d'embauche plus bas des régions défavorisées. On constate, en particulier, que, dans les provinces pauvres, il y a moins de gens en âge de travailler; les membres de cette catégorie d'âge, les femmes surtout, ne cherchent pas à entrer sur le marché du travail: quant à ceux qui sont sur le marché du travail, ils sont plus susceptibles de connaître le chômage. Cependant, comme nous l'avons vu pour la rémunération, ces schèmes n'expliquent pas la différence dans les taux d'emploi. Un taux de participation moindre est le reflet et non l'explication d'une économie en crise. En prenant cette analyse pour base, on peut identifier trois approches théoriques aux problèmes de l'expansion économique régionale. La première met l'accent sur les ajustements interrégionaux au sein de l'économie nationale. Elle est axée sur cette question: quels ajustements doivent survenir pour égaliser les gains de travailleurs de même niveau situés dans différentes provinces, compte tenu des forces qui sous-tendent l'économie à l'heure actuelle? La première solution serait l'élimination de toute entrave au mouvement des travailleurs et des capitaux vers les régions où ils peuvent être les plus productifs, c'est-à-dire, les ajustements interrégionaux. En théorie, pareils ajustements récompenseraient à la fois le travail et le capital. Cependant, ils n'entraîneraient pas une égalité des revenus per capita dans chacune des provinces. Si les niveaux de compétence, la qualité de la gestion la technologie disponible et les richesses naturelles diffèrent, alors, même après des ajustements parfaits, il y aurait encore une différence dans la moyenne des revenus. De plus, les ajustements surviennent en grande partie à la suite de la mobilité du capital et de la main-d'oeuvre; par conséquent, cette approche n'offre aucune garantie d'un certain niveau d'activité économique dans une province donnée. La deuxième approche se fonde sur la compensation. Elle met l'accent sur les mesures destinées, non pas à faciliter les ajustements, mais plutôt à assurer aux personnes d'une région donnée une compensation pour la situation dans laquelle elles se trouvent face aux conditions du marché. Les paiements de péréquation, mentionnés plus haut, sont l'archétype canadien de cette solution. La troisième approche est une approche de développement. Sa politique vise à stimuler l'expansion économique en tentant de pallier les facteurs inhérents qui sont à la source d'un sous-développement relatif. Les imperfections du marché et les caractéristiques que chaque région fournit à l'économie nationale font alors l'objet de politiques gouvernementales. Certaines de ces caractéristiques, comme l'éloignement des marchés ou la carence de richesses naturelles, sont plus ou moins immuables bien que, dans une certaine mesure les politiques de transport puissent réduire les inconvénients de la distance. Cependant, d'autres aspects de la structure économique sont, en principe, plus réceptifs aux efforts des politiques et ceux-ci font l'objet de politiques d'expansion régionale plus clairement définies. Les Canadiens ont fait l'expérience de ces trois approches: les gens ont émigré; les revenus ont baissé; on a versé des paiements de péréquation et établi des programmes de développement économique. Malgré tout cela, le niveau des disparités mesurées a bien peu changé, bien que les différences aient varié quelque peu selon les cycles économiques, l'écart se creusant dans les périodes difficiles pour ensuite se résorber dans les périodes fastes. L'ajustement du marché interrégional. Si l'on veut comprendre comment la théorie pure de l'ajustement du marché interrégional contribue à la compréhension des disparités régionales, il faut étudier deux questions. Dans un contexte idéal où tous les courants et le commerce interrégionaux sont complets, quel schéma de distribution des revenus peut-on s'attendre à trouver dans un pays comme le Canada, qui comporte autant de différences régionales? Comment pareille économie peut-elle s'ajuster aux chocs qui viennent rompre cet équilibre et quelles sont les implications des ajustements pour la redistribution régionale des revenus? S'il n'y a pas d'entraves au mouvement interrégional des biens et des services, les producteurs de tout le pays peuvent expédier leurs produits là où ils s'avèrent le plus profitables. Si la main-d'oeuvre, les capitaux et la technologie sont tout aussi libres de s'installer dans une région, rien n'empêche un ouvrier en construction de l'Ontario de travailler au Québec ou un dentiste de l'Ile-du-Prince-Édouard de s'établir en Alberta. Comment ces circonstances affecteraient-elles la répartition des revenus à travers les provinces? Soumis à une série de postulats très contraignants, le libre-échange de biens et de services égaliserait les facteurs de rémunération dans l'ensemble des régions: les salaires, les revenus d'investissement et les prix des produits (à l'exclusion des coûts de transport) devraient être identiques, quel que soit le lieu de résidence. Le facteur de mobilité devrait fonctionner de la même façon. Ainsi, le capital et la main-d'oeuvre émigreront à la recherche de gains plus élevés, dans la mesure où les gains anticipés du revenu réel de l'ouvrier ou de l'investisseur émigrant seront égaux ou supérieurs aux coûts de déplacement. A mesure que les personnes quittent les secteurs à faible salaire ou que les capitaux s'éloignent des lieux où le taux de rentabilité est plus bas, l'offre diminue par rapport à la demande, entraînant une hausse des prix. Le contraire se produit dans la région de destination, où les prix baissent en raison d'une demande plus forte. Si l'émigration répond aux différences anticipées dans le revenu réel, on peut prévoir en théorie des migrations de région où l'embauche est élevée vers des régions où elle est faible, compte tenu des différences de salaires. En fait, dans une économie moderne complexe, il existe toute une variété d'emplois; cette variété est le reflet des différents types et des différents niveaux de formation, de compétence et d'expérience et, par conséquent, des différents niveaux de salaires et de rémunération. Ainsi, l'émigration peut égaliser les revenus au sein des groupes de compétence, mais non pas au sein de l'ensemble de la force ouvrière. Il en est de même pour les capitaux. En général, les entreprises engagent leurs usines et leurs équipements à des fins bien précises, à court terme du moins et ne sont pas en mesure de leur assigner d'autres utilisations. De plus, pour l'investisseur, les risques diffèrent d'un investissement à l'autre et ils ne sont assumés que si le taux de rentabilité est satisfaisant. La mobilité des capitaux ne peut niveler la rentabilité qu'à l'intérieur d'une catégorie de risque bien déterminée. La théorie de l'ajustement interrégional du marché veut que les migrations égalisent les rémunérations (au sein d'une même catégorie de compétence) et les gains de capitaux « ajustés-au-risque » mais non pas les revenus per capita. Ce nivellement ne peut survenir que si chaque région est également dotée de ressources, de capitaux, de technologie et de main-d'oeuvre spécialisée. Tant et aussi longtemps que les bases économiques différeront, les caractéristiques de la main-d'oeuvre et les schèmes d'investissement différeront aussi. Le sol et les ressources sont des éléments fixes de la base économique et aucun ajustement occasionné par le commerce et l'émigration ne saurait les modifier. Les régions possédant d'assez grandes réserves de main-d'oeuvre spécialisée ou des ressources précieuses auront des revenus per capita plus élevés que les régions où les réservoirs de main-d'oeuvre sont plus petits et où les ressources sont plus limitées. L'ajustement est fait de changements qui surviennent à l'intérieur de paramètres donnés de ressources humaines et naturelles dans le cadre du libre-échange interne. Deux questions importantes se posent en rapport avec l'ajustement du marché. Comment les marchés commerciaux et les marchés de facteurs répondent-ils à ces changements de prix relatifs et de gains possibles qui proviennent des soubresauts de l'économie? Avec quelle rapidité l'ajustement corrige-t-ll les déséquilibres? Par exemple, que se passe-t-il quand la valeur de rendement d'une région baisse à longue échéance, peut-être en raison d'une modification des conditions du marché par rapport aux exportations, ou à la suite de l'épuisement d'une ressource importante? De toute évidence, la région ne peut plus produire le même revenu per capita, pour le même nombre de résidents que par le passé. Logiquement, le marché peut répondre soit de deux façons, soit par une combinaison des deux réponses. D'abord, par le départ de quelques résidents; c'est la réponse la plus évidente. Tant que cette hémorragie humaine n'est pas un facteur de déstabilisation, c'est-à-dire qu'elle ne diminue pas la capacité de l'économie régionale de produire efficacement des biens et services, un nombre plus restreint de personnes se partageront un rendement global proportionnellement diminué, ce qui ramènera l'ancien niveau de revenu per capita. D'autre part, la région peut subvenir aux besoins de la même population, mais par des revenus per capita moindres La chute de la demande globale face au produit régional va exercer des pressions à la baisse sur les prix du rendement et les marchés de facteurs. Si ceux-ci sont flexibles, il y aura plein emploi mais baisse de revenus. Si, par contre, les prix ne répondent pas suffisamment, il y aura du chômage. Le revenu global sera aussi diminué et, à court terme, l'équilibre sera restauré A la longue, les sans-emploi, s'ils ne reçoivent aucune aide, devront émigrer a; la recherche d'un emploi ou bien leur présence exercera une pression à la baisse sur les prix des facteurs locaux. D'une façon ou d'une autre, le revenu total de la région s'ajustera à la valeur de sa production, réduite à cause du changement des circonstances. Que prévoit cette même théorie pour le schéma des revenus régionaux et pour l'efficacité de l'ajustement interrégional? Les différences de prix, au niveau des facteurs, ne peuvent durer longtemps s'il y a mobilité à l'échelle interrégionale, tant pour les produits que pour les facteurs. Si les marchés s'avèrent capables de reconnaître ces différences et de prendre les mesures nécessaires, les prix des facteurs deviennent semblables d'une région à l'autre. Si des « frictions » naturelles ou des déformations découlant de nouvelles politiques nuisent à l'ajustement, la conformité ne sera plus aussi prononcée. Au Canada, un certain nombre de politiques gouvernementales ont été conçues pour faciliter cette formule d'ajustement des marchés. En fait, les Canadiens misent surtout sur les décisions individuelles des intervenants du secteur privé de l'économie pour faciliter l'ajustement selon les facteurs de mobilité qui répondent aux fluctuations des stimulants de l'économie. Dans le passé, ce genre d'ajustement s'est avéré assez efficace. Ainsi, à mesure que les accords commerciaux étaient modifiés en faveur des producteurs de ressources de l'Ouest, dans les années 1970, les institutions financières emboîtaient le pas au même rythme que la main-d'oeuvre et les capitaux. En conséquence, la baisse de popularité de ces ressources a suscité un afflux comparable de ces facteurs vers l'Ontario. Le processus d'ajustement impliquant encore la migration de main-d'oeuvre et de capitaux fut facilité par toute une série de politiques, y compris les efforts d'Emploi Canada pour agencer travailleur et emploi, les subventions et les déductions d'impôt accordées pour couvrir les dépenses de déménagement vers un nouvel endroit. Dans un cadre plus général, on peut dire que l'appui accordé par le gouvernement du Canada à l'enseignement postsecondaire, à l'hygiène et à d'autres services publics aide à vaincre les obstacles à la mobilité propres aux divergences qui surviennent dans ces domaines, dans les politiques provinciales. Les politiques linguistiques ont aussi contribué à diminuer certaines des barrières culturelles qui s'opposaient à la mobilité des personnes. Nous avons déjà vu comment des paiements de péréquation contribuent à assurer une redistribution efficace de la main-d'oeuvre et du capital. Les politiques compensatoires. La deuxième option est celle des politiques de compensation. Les paiements de péréquation en sont l'exemple le plus évident. Les provinces sont admissibles à ces paiements dans la mesure où l'assiette fiscale qui s'offre à elles est trop faible. Si certaines provinces bénéficient de ces paiements, alors que d'autres s'en voient privées, cela est voulu, puisque la péréquation vise justement à compenser les désavantages naturels de l'économie et non pas à modifier les forces qui en constituent le fondement. Les différences régionales des conditions et prestations de l'assurance-chômage (A-C) offrent un autre exemple des différenciations régionales. Les variations au sein du système d'A-C prouvent que certaines régions du Canada sont plus aptes à subir du chômage que d'autres et, qu'à certains endroits, il est susceptible de durer plus longtemps. Conditions et prestations plus généreuses compensent alors ces différences. En général, ce sont ces politiques qui font diminuer les disparités dans les revenus personnels dont nous avons parlé auparavant. L'application de ces transferts peut parfois rendre les ajustements moins indispensables; elle permet aux régions bénéficiaires de maintenir leur niveau de consommation; elle prévient la chute de revenu réel per capita; et elle dispense certains individus de devoir émigrer. Ainsi, la base démographique reste intacte, ce qui diminue les pressions à la baisse sur les rémunérations. Bien que ces résultats puissent sembler tout à fait positifs pour ce qui est des individus ou des familles, du point de vue du marché, pareilles politiques compensatoires peuvent nuire à l'ajustement. Là où les transferts sont élevés, la rémunération et le chômage demeurent également trop élevés. Les politiques expansionnistes. La troisième option bien qu'elle propose des politiques explicitement axées sur l'aspect régional, a toutefois un but expansionniste. Cette option a été définie comme suit: L'expansion économique [...] traite d'une transformation structurelle de l'économie telle qu'après un certain temps, elle peut de plus en plus maintenir son aptitude à développer ses propres ressources internes. Comme au préalable, il faut à cette expansion continue une structure économique de plus en plus diversifiée et intégrée, alliée à des mesures d'incitation pour amener les « acteurs-clé » à accumuler des capitaux, à innover et à se montrer efficaces, l'objet de toute politique expansionniste est d'assurer la création de ces conditions préalables. Les politiques expansionnistes ne sont pas conçues pour .s'adapter aux circonstances économiques ou pour les compenser; elles visent plutôt à changer ces circonstances ou à appuyer certaines régions dans leurs efforts pour modifier leurs propres capacités, afin de vaincre leurs désavantages. Ces approches expansionnistes mettent souvent l'accent sur une série plus complète de facteurs historiques, politiques et même culturels que ne le font les théories fondées sur les fluctuations du marché. On y voit même un exemple de forces cumulatives où la dynamique du marché mène à une centralisation encore plus grande des forces productives. La présence de vastes marchés, d'économies d'échelle, de services spécialisés sophistiqués, d'un réservoir de main-d'oeuvre hautement spécialisée et d'autres circonstances du genre, contribuent à y attirer la main-d'oeuvre et les capitaux des régions périphériques. Par conséquent, ces régions perdent bon nombre de leurs citoyens les plus dynamiques et ne peuvent plus offrir autant d'avantages aux nouveaux investisseurs. Cette croissance cumulative centralisée peut, de ce point de vue, entraîner ainsi un déclin cumulatif ailleurs. Les politiques régionales visent à contrer ces forces. Tout au long de son histoire, le Canada a utilisé une forme ou une autre de politique de développement régional. Une forte proportion des politiques d'expansion visant des secteurs particuliers a eu des assises régionales très prononcées là où l'on a concentré ces secteurs dans une ou deux régions précises. Ainsi, dans les secteurs des hydrocarbures, de l'automobile, des pêches et des forêts, par exemple, une grande partie de l'activité a été concentrée sur un petit nombre de régions. Au début du siècle, le gouvernement fédéral a imposé des droits d'exportation sur les troncs d'arbres bruts afin d'augmenter l'étendue du processus de transformation du bois au Canada central et en Colombie-Britannique. Au cours de la Dépression, des mesures d'assistance ont été planifiées sur une base régionale et la Loi sur la réhabilitation des fermes des Prairies en est un bon exemple. De plus, les politiques d'expansion nationale, comme celles qui sont destinées à faciliter ou à promouvoir le mouvement des biens et des services à travers le pays, se sont avérées bénéfiques pour les régions qui en profitent directement. La construction et l'expansion de nos vastes réseaux ferroviaires et routiers font partie de cette catégorie. En fait, ces politiques implicitement régionales ont été sans conteste plus essentielles au développement régional, au sens le plus large du terme, que ne l'ont été les programmes explicites d'expansion régionale du ministère de l'Expansion économique régionale (MEER) et d'autres agences similaires. Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, les efforts régionaux explicites tinrent bien peu de place dans la politique économique du gouvernement fédéral. On mit plutôt l'accent sur la promotion de la croissance et de la stabilité économiques globales et sur la création des grandes lignes du modèle de l'État-providence moderne. Le gouvernement fédéral, dans la mesure où les régions défavorisées faisaient partie de ses préoccupations, prévoyait qu'elles bénéficiraient de la prospérité économique générale: « On concevait le développement régional comme un corollaire naturel du développement national. » Par contre, la Grande-Bretagne, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, a utilisé la politique de développement régional comme fondement de sa politique de plein-emploi de l'après-guerre. Au Canada, les premières politiques explicitement destinées à compenser les disparités économiques régionales furent élaborées à la suite du rapport de la Commission royale sur les perspectives économiques du Canada (la Commission Gordon). La Commission et les études connexes à l'appui avaient découvert qu'une croissance économique nationale soutenue n'avait pas éliminé les disparités régionales. L'action politique ne se fit pas attendre; ce fut le programme des « Routes vers les Ressources » du Premier ministre Diefenbaker. De plus, le gouvernement du Canada introduisait des primes de travaux d'hiver afin d'aider les travaux de construction entrepris à un moment et dans des régions où le chômage était relativement élevé. La Loi sur l'aménagement rural et le développement agricole introduisait, en 1961, toute une série de commissions, d'agences, de comités et de ministères. Le tout visait la pauvreté rurale. L'objectif était de trouver des moyens de maintenir sur leurs terres des fermiers qui n'en tiraient qu'un faible rendement en leur fournissant de meilleures techniques d'utilisation des terres. En 1962, la création de la Commission de développement de l'Atlantique (CDA) offrait une approche plus précisément régionale que sectorielle, qui mettait l'accent sur les efforts de développement, bien qu'au moment de sa création la nouvelle Commission ne se soit vue confier qu'un rôle de chercheur et de conseiller. L'expansion régionale connut une importance accrue avec le changement de gouvernement qui survint en 1963. Cette année-là, le nouveau gouvernement de Lester B. Pearson conférait à la CDA une orientation des programmes, de même que des fonds à dépenser, dont la majorité fut consacrée à des projets visant l'infrastructure sociale. En 1964, l'ARDA devenait la Loi sur l'aménagement rural et le développement agricole et un nouveau ministère des Forêts et du Développement rural assurait la responsabilité de sa mise en application. L'orientation de l'ARDA passait donc de l'assistance strictement agricole à une approche plus générale de développement économique au niveau rural. Le nouveau ministère fixait l'attention sur certaines régions spéciales de développement rural. Le Fonds de développement économique rural (FODER), établi en 1966, détenait un mandat encore plus vaste: appliquer des stratégies de développement rural dans des emplacements jugés « prometteurs ». Les régions qui répondaient aux critères devaient recevoir des fonds d'ajustement; on jugea que l'émigration était inévitable et que la principale tâche était de rendre ce processus le moins pénible possible. Cependant, les régions rurales ne furent pas les seules à susciter l'attention du gouvernement. Le gouvernement fédéral introduisit en 1963 l'Agence de développement régional (ADR), afin de promouvoir le développement industriel dans les régions les plus pauvres. Les entreprises qui s'installaient dans les régions désignées étaient admissibles à des exemptions fiscales, à des provisons anticipées pour amortissement et, à compter de 1965, à des subventions en espèces, grâce à la Loi stimulant le développement de certaines régions. Ces premiers efforts de développement régional étaient éparpillés dans toute la bureaucratie fédérale, chacun ayant des liens différents et parfois ténus avec les gouvernements provinciaux en cause. Avec la création, en 1969 du ministère de l'Expansion économique régionale, les programmes régionaux furent rapatries sous un même toit. L'expansion économique régionale était désormais centrée dans un ministère et ce nouveau portefeuille: [...] ne devait pas être tout simplement un autre ministère à autorité parallèle; mais, devait, au contraire, amorcer et faciliter les efforts de coopération entre les ministères parallèles, coordonner, quand il y était autorisé, la mise en vigueur de programmes et, si nécessaire, passer lui-même à l'action. La nomination d'un ministre soulignait l'importance accordée à la tâche du nouveau ministère. Le MEER continua d'utiliser les mêmes instruments que ses prédécesseurs puis introduisit des approches nouvelles, en partie parce que ses responsabilités englobaient l'aide à l'industrie. Il désigna certains centres urbains dans les provinces défavorisées comme « zones spéciales », les rendant éligibles à recevoir des fonds qui appuieraient la mise en place d'une infrastructure sociale. Ces cités et villes devaient être les « noyaux » ou les « pôles )> de croissance, autour desquels l'expansion économique serait centrée et rayonnerait à travers toute la région. Conformément à la Loi sur les subventions au développement régional (LSDR), on continua à désigner certaines régions comme éligibles aux garanties de prêts et subventions que l'on versait aux entreprises qui choisissaient de s'y établir. L'enthousiasme qui avait présidé à la naissance du MEER disparut rapidement. Les adversaires du ministère s'y attaquaient sur deux fronts. D'abord, les politiques elles-mêmes devinrent suspectes, à mesure que le ministère acquérait la réputation de verser des sommes considérables n'aboutissant qu'à des résultats minimes. Les subventions à l'industrie, en particulier, firent l'objet de critiques sévères. D'aucuns ont soutenu que ces subventions n'affectaient pas véritablement les décisions touchant l'emplacement de certaines entreprises, que, même quand elles y parvenaient, ces décisions n'impliquaient que des déplacements de l'activité économique d'une zone défavorisée à une autre et que, de plus, les stimulants offerts par le MEER créaient des distorsions coûteuses. Même les subventions touchant l'infrastructure des zones spéciales devinrent la cible des critiques, à mesure que la théorie des « pôles de croissance » perdait de sa popularité chez les spécialistes de la planification. La deuxième préoccupation soulevée par le MEER tenait à son approche administrative. Le ministère parut à certains trop centralisé et trop rigide, surtout par rapport aux objectifs de développement de certains gouvernements provinciaux. Au sein même de la bureaucratie fédérale, il y avait des tensions marquées entre le MEER et son mandat explicite qui concernait l'expansion régionale et les ministères parallèles qui avaient une approche plus sectorielle. Le Transport, l'Énergie et les Pêches, par exemple, pouvaient affecter l'économie d'une région, de façon beaucoup plus marquante qu'une politique mise de l'avant par le MEER avec des fonds limités. A la suite de ces pressions, en 1973, le gouvernement fédéral réorganisait le MEER et instituait le système des Ententes-cadres de développement (ECD). Le ministère négociait avec chaque province une entente individuelle dans laquelle étaient précisés les principaux objectifs de développement. Des comités de représentants des deux paliers de gouvernement mirent au point des projets précis qui devaient être réalisés, à frais partagés, par les provinces. Le personnel du MEER, y compris l'un des principaux sousministres adjoints, fut réparti dans chaque région, afin que chacune d'entre elles puise bénéficier sur place de personnes compétentes. A Terre-Neuve, le gouvernement fédéral absorbait jusqu'à 90 pour cent des coûts des projets; en Nouvelle Écosse et au Nouveau-Brunswick, la contribution était fixée à 80 pour cent, à 60 pour cent au Québec, au Manitoba et à la Saskatchewan, et à 50 pour cent dans les trois provinces alors considérées comme les plus riches. Quant à l'Ile-du-Prince-Édouard, elle continua à être couverte par l'entente fédéraleprovinciale de développement qu'elle avait auparavant négociée. Cette procédure du MEER constituait une approche radicalement différente de toutes les formes précédentes de consultations fédérales-provinciales touchant l'expansion économique. L'approche de toute la question du développement économique régional fut aussi modifiée au niveau du gouvernement fédéral. On abandonna l'accent qui avait été mis précédemment sur les centralisations de croissance. On organisa des projets sur une échelle plus restreinte, mais devant englober un plus grand nombre de secteurs et susceptibles d'être répartis partout à l'intérieur d'une province donnée. Désormais, ce fut la province entière, plutôt que certaines régions en particulier, qui devint l'unité de planification pertinente et « en plaçant l'accent sur les provinces on en venait à une politique de développement provincial plutôt que régional ». Ce fut aussi au cours de cette période que les dégrèvements d'impôts ajustables sur l'investissement et l'embauche et les prestations variables de l'Assurance-chômage furent adoptés. Bientôt, des représentants des gouvernements fédéral et provinciaux commencèrent à critiquer les ECD. Certains gouvernements provinciaux voulaient exercer un contrôle encore plus marqué sur la mise en oeuvre du programme, alors que la majorité considèrait favorablement ce système, surtout par comparaison aux arrangements antérieurs et à ceux qui furent imposés plus tard. Au cours des audiences de cette Commission, nous avons entendu à maintes reprises des déclarations favorables à l'approche adoptée par les ECD. C'est surtout au niveau fédéral que ces ententes posaient des problèmes. Les ministères parallèles souhaitaient avoir une plus grande influence sur les programmes du MEER, qu'ils considéraient comme trop étroitement liés aux priorités provinciales. A la suite de ces tensions au sein de la bureaucratie fédérale, la coordination et l'intégration des politiques sensibles aux besoins régionaux, comme on les souhaitait à l'origine, rencontrèrent des obstacles. On trouva un autre terrain favorable à la critique: les hommes politiques fédéraux jugèrent que le gouvernement ne recevait pas le crédit voulu pour ces programmes financés, parfois jusqu'à 90 pour cent par le gouvernement fédéral. Toutefois, les provinces étaient mieux placées que le gouvernement national pour s'afficher comme la source de ces largesses et plusieurs d'entre elles profitèrent de cette situation. Vinrent ensuite une série de réorganisations qui, parfois, ont laissé l'observateur perplexe. En 1982, la responsabilité de l'expansion économique régionale passa d'un ministère spécifique à l'ensemble des ministères de l'économie. « La perspective régionale devait désormais se refléter dans le travail de tous les ministères du développement économique et dans tous les processus de prise de décision du Cabinet. Dans le cadre de la réorganisation nécessitée par cette décision, les programmes régionaux du MEER furent reliés aux questions de l'industrie et de la petite entreprise du ministère de l'Industrie et du Commerce (MIC) pour former le nouveau ministère de l'Expansion industrielle et régionale (MEIR). Le MEER et le MIC disparurent en tant que ministères individuels. Puis, le Comité du Cabinet sur le développement économique devint le Comité du Cabinet sur le développement économique et régional et le ministère d'État au développement économique devint le ministère d'État au développement économique et régional (MEDER). On effectua un certain nombre d'autres changements, y compris la nomination, dans chaque province, de Coordonnateurs fédéraux de développement économique (CFDE). L'assimilation de préoccupations d'ordre régional à celles d'un ordre plus général touchant les politiques de développement économique était alors terminée du moins sur le plan administratif. Dans tout cela, les préoccupations centrales passèrent du « développement régional » en tant que développement des régions à faible croissance, au « développement régional » en tant que considérations de développement économique au sein de chaque province. Dans le cadre de ce nouveau système, le principal instrument de planification économique était l'Entente de développement économique et régional (EDER), que le gouvernement fédéral devait ratifier avec chacune des provinces. Comme ce fut le cas pour les ECD d'une époque antérieure, ces ententes devaient être des documents portant sur l'ensemble de la planification, au sein de laquelle des politiques et projets spécifiques seraient élaborés. Cependant, à l'intérieur du cadre adopté, on mettrait l'accent sur la mise en oeuvre directe, par chacun des gouvernements provinciaux, de ses propres programmes, afin d'accorder au gouvernement fédéral ce qui lui était dû. Dans chaque province, l'effort économique fédéral et ses liens avec les intérêts économiques de celle-ci, seraient coordonnés par les CFDE. Il n'y a rien de très original dans ces EDER et les projets qu'elles coiffent ressemblent beaucoup à ceux que l'on trouvait dans les ECD. Mais il y eut encore d'autres changements. En juin 1984, on abolit le MEDER et la responsabilité du développement économique et régional fut entièrement confiée au ministre d'État à l'Expansion régionale, qui agissait sous le MEIR. Puis, en septembre 1985, ce poste fut lui aussi aboli. C'est maintenant le ministre de l'Expansion industrielle régionale qui assume la responsabilité des politiques d'expansion régionale. L'évaluation. Dans quelle mesure nos politiques de développement régional ont-elles réussi? Pour répondre à cette question, il faudrait être en mesure de comparer l'état actuel du développement économique des régions, qui ont bénéficié de l'aide fédérale à celui qu'il serait, en l'absence de ces politiques; malheureusement, pareille tâche s'avère impossible à réaliser. Cependant, certaines recherches permettent de voir plus clairement les effets de diverses politiques d`expansion régionale. Les chercheurs se sont arrêtés aux subventions de l'ADR, surtout parce qu'elles sont les plus visibles et les plus controversés, même si les subventions à l'industrie ne représentent qu'une petite portion des dépenses gouvernementales totales consacrées au développement régional. Au départ, les chercheurs ont tenté d'établir si les subventions influençaient les décisions des en reprises sur leur emplacement. Un relevé effectué en 1971 par le Conseil économique des provinces atlantiques (CEPA) a établi que seulement 20 pour cent des entreprises consultées se seraient installées dans les régions désignées, même sans les subventions. Les autres 80 pour cent avaient donc été partiellement influencées par les subventions, bien que l'enquête n'indique pas si les subventions accordées s'étaient avérées simplement suffisantes ou trop généreuses. Une étude complétée par le MEER en 1973 avait donné des résultats semblables à ceux du CEPA. En 1977, le Conseil économique du Canada a publié une étude complète sur le développement économique régional, dans laquelle il tentait d'évaluer l'efficacité des subventions du MEER. On y comparait les taux de chômage, de revenu et d'émigration des régions bénéficiaires, avant et après la mise en place du programme. Le Conseil a conclu que « au cours des dernières années, les possibilités d'emploi se sont améliorées dans la région de l'Atlantique, bien qu'ailleurs, rien ne semble avoir beaucoup changé » . Cependant, il est impossible de prouver que ce sont les politiques du MEER qui ont abouti à ces résultats. Pour contrer cette incertitude, le Conseil entreprit lui-même une étude visant à déterminer dans quelle mesure les subventions avaient réussi à influencer l'emplacement des entreprises dans les provinces atlantiques. Il a établi que 25 pour cent des entreprises appuyées par le MEER avaient véritablement été influencées par le programme de subventions, et que 34 pour cent de plus avaient probablement été influencées, elles aussi. On ne recueillit que peu de preuves que les subventions aient pu prendre la place d'autres activités économiques dans la région, de sorte que le gain net demeura entre 25 et 59 pour cent. En dernier lieu, le Conseil a comparé l'apport à la production nationale découlant de la création de ces emplois par le MEER aux coûts de création de ces emplois. Même à partir d'estimations prudentes sur l'efficacité avec laquelle le programme de subventions a influencé les choix d'emplacement, ce programme s'est tout de même avéré un succès. La contribution additionnelle à la production nationale des travailleurs qui, autrement, auraient été sans emploi, couvrait largement le coût des fonds utilisés. Dans son ensemble, l'évaluation du programme des subventions à l'industrie préparée par le Conseil économique affiche un optimisme prudent: Notre propre évaluation des preuves précédentes, ainsi que notre analyse des données sur la naissance et la mort des établissements dans l'une des régions seulement (l'Atlantique) nous incitent à conclure que le programme de subventions a beaucoup moins de succès que les prévisions de création d'emplois qu'on a publiées, ne le laissent croire. Sur ce point, les critiques ont raison. Cependant, les subventions semblent avoir assez bien réussi pour être considérées comme une proposition rentable. La valeur des emplois créés semble dépasser l'inefficacité du choix d'emplacements inappropriés pour la production. Le Conseil ne put arriver à aucune conclusion définitive sur les autres composantes de la politique de développement régional, comme les subventions à l'infrastructure. D'autres auteurs ont émis davantage de critiques vis-à-vis des programmes du MEER. Ainsi, l'un d'entre eux conclut que: Dans la situation présente, l'objectif de la LDIR, tel que reconnu par le public, est la création d emplois dans certaines régions défavorisées [...]. Or le MEER ne parvient pas à atteindre le plus grand nombre possible de nouveaux emplois et assume un coût plus élevé pour chaque nouvel emploi en continuant de verser des subsides qui ne sont pas conformes à ses objectifs . La plainte particulière, fondée sur des analyses rigoureuses des statistiques touchant le programme et ses incidences, visait la préférence accordée à des techniques de production exigeant de lourds investissements. Un autre critique était encore plus véhément: Compte tenu de toutes les incertitudes inhérentes à la question des subventions à l'entreprise - absence de preuves solides que l'investissement ait vraiment augmenté dans les régions désignées, doutes encore plus prononcés quant à l'embauche, effets sur la répartition du revenu parmi les particuliers, possibilité de certaines injustices dans les tractations entre gouvernements et compagnies, diminution probable du revenu national de l'ensemble du pays et absence d'une assurance valable que la modernisation et le progrès sont encouragés dans les régions désignées- je me demande s'il ne vaudrait pas mieux que le gouvernement fédéral limite son programme de subventions à l'aide aux personnes pauvres [...] et aux transferts aux provinces, tel que convenu dans les négociations fédérales-provinciales et qu'il se tienne loin des décisions des compagnies sur l'emplacement de leurs investissements. Un document de recherche préparé pour notre Commission a résumé les données disponibles sur les initiatives de développement régional comme suit: Malgré des orientations politiques et des circonstances économiques très différentes, il n'y a pas eu beaucoup d'amélioration dans la position de la plupart des provinces les plus pauvres, comme l'a mesuré le revenu, après déduction des transferts [...]. On peut raisonnablement conclure qu'il n'y a pas eu de progrès visible en matière de développement régional. A lui seul, cet aspect semble constituer une sérieuse condamnation des nombreuses politiques et des gros déboursés de fonds publics qui, à ce que l'on soutenait, pouvaient permettre d'atteindre les objectifs. Malgré tout, comme l'ont noté les commissaires, il se peut que ces mêmes politiques aient empêché les disparités de devenir encore plus prononcées. Et l'on n'a pas démontré non plus que, si le Canada avait consacré plus de fonds au développement régional, il y aurait eu plus de progrès. Les critiques des efforts de développement ne se contentent pas de les condamner en raison de leur inefficacité. L'un des points de vue les plus discutés et les plus controversés attribue au concept de ces transferts une part de la responsabilité de la persistance des disparités économiques régionales. Les circonstances économiques créent, dans une région donnée, un excédent d'offre globale. Les salaires et les prix ne s'ajustent pas parfaitement et le chômage appelle alors divers paiements de péréquation dans la région, y compris les compensations individuelles versées aux sans-emploi et un ajustement supplémentaire des redevances au gouvernement provincial en cause. La perception de ces sommes bloque tout ajustement sous forme d'émigration ou de baisse des salaires réels. Dépourvue des ces ajustements, la région n'arrive plus à retrouver son ancienne position économique, puisque son taux salarial ne correspond toujours pas à la productivité de sa main-d'oeuvre. Les transferts ont été associés à certaines des politiques économiques provinciales les moins appropriées. Ici l'argument repose, essentiellement, sur ce qu'il est convenu d'appeler un risque moral. Si les gouvernements provinciaux ne sont pas forcés d'assumer le coût total de leurs actions, ils vont mettre en vigueur des politiques qui, pour populaires qu'elles puissent être sur certains plans, n'en seraient pas moins évitées en toute autre circonstance. Les trois exemples que l'on cite sont ceux des lois peu réalistes touchant le salaire minimum, les politiques linguistiques et les restrictions sur les achats de terrain par des non-résidents. Pareils programmes, populaires au sein de la province qui les applique, peuvent être mis en oeuvre, du fait que les déformations qu'ils entraînent seront payées, du moins en partie, par d'autres. Ainsi, l'assurance-chômage protège les personnes qui perdent leur emploi à cause de la législation sur le salaire minimum, et les paiements de péréquation compensent les conséquences économiques défavorables qui découlent des deux autres exemples. Ce système amène une situation que les observateurs appellent « l'assujettissement aux transferts ». Il crée un cercle vicieux selon lequel les déboires économiques engagent des transferts qui, à leur tour, donnent naissance à des politiques économiques entraînant d'autres déboires économiques. Tous les agents économiques des régions bénéficiaires, tant publics que privés, agissent rationnellement au sein du système existant des stimulants et, pourtant, on se retrouve en fin de compte avec une stagnation économique persistante. Cet état de choses entraîne des dépenses de plus en plus lourdes au sein de l'ensemble de l'union économique. Quels que soient, en principe, les mérites de cet argument, il demeure sujet à une évaluation empirique. Certains faits peuvent être cités à l'appui de divers aspects de cette thèse mais, à ce jour, personne n'en a fait l'évaluation complète. Les études sur l'assurance-chômage et les ajustements du marché du travail ont une tendance générale à soutenir l'idée que les transferts affectent les migrations interprovinciales. Plus d'une analyse a conclu que les changements apportés au programme d'assurance-chômage en 1971, changements se traduisant par de généreuses augmentations, ont contribué à retarder l'émigration à partir des provinces atlantiques. Ces études permettent de croire que cette émigration, compte tenu des niveaux de revenu et de chômage des lieux d'origine et des lieux de destinations probables auraient eu des bénéfices sociaux. On a aussi attiré l'attention de la Commission sur les travaux de recherche qui suggèrent que: Le programme de l'A-C renforce la concentration d'emplois instables et à court terme dans les régions où le chômage est élevé et où il y a une forte concentration d'industries saisonnières. Les commissaires notent que ces critiques concernent les obstacles aux processus d'ajustement efficaces et non pas la question de l'efficacité des politiques comme instruments de l'amélioration de la base économique des régions défavorisées. Ces débats visent les aléas dont s'entoure toute élaboration de programmes de développement régional. Ces incertitudes se manifestent à plusieurs niveaux. L'un des choix se situe au niveau de la croissance du revenu, entre celle de l'ensemble du revenu national et celle de chaque province ou région. La question est de savoir si les mesures favorisant ces dernières réduisent le revenu national en redirigeant les ressources vers des endroits où la rentabilité est moindre; ou alors, si, à long terme, les programmes de développement régional contribuent à la croissance de toute l'économie nationale. Les commissaires cherchent, par leurs recommandations, à minimiser ce dilemme en soulignant que toute politique de développement régional devra s'orienter le plus possible vers l'amélioration de la capacité de production des régions les plus pauvres. Il faut aussi choisir entre les politiques «compensatrices » destinées à réduire l'écart entre revenu du travail et revenu total et les politiques expansionnistes ou celles qui favorisent l'ajustement. La « compensation » vise à estomper les effets des forces du marché sur l'individu. Dans la Partie v de ce Rapport, les commissaires recommandent, cependant, de repenser les politiques sociales du Canada, afin de consolider le concept de justice sociale préconisé par les Canadiens, tout en diminuant les éléments qui font obstacle a l'aJustement. Si ces recommandations sont suivies, elles auront d'importantes répercussions sur les régions. Dans ce chapitre, nous avons également vu que la péréquation, en tant que programme de compensation, a des incidences positives sur l'efficacité. De plus, il existe des tensions entre les politiques interrégionales d'ajustement au marché, politiques destinées surtout à faciliter la mobilité de la main-d'oeuvre et des capitaux vers des régions où leur productivité serait accrue, et les politiques expansionnistes visant à améliorer la capacité de production de chaque région. Les commissaires croient que les Canadiens veulent des politiques ajustées de façon à permettre à ceux qui le souhaitent de se déplacer, mais il faut aussi assurer la promotion de la viabilité économique et sociale de chacune de nos régions. Ces décisions politiques trouvent leur reflet dans les tensions administratives. Comme le suggère notre analyse, jusqu'ici les Canadiens ne se sont jamais arrêtés à un amalgame stable de politiques dans ce domaine. Nous sommes passés d'une orientation sectorielle, selon l'ARDA, à une approche dirigée de façon plus générale vers le développement économique, comprenant l'ajustement hors des régions, grâce au FODER, à une stratégie de création de pôles de croissance, en vertu de l'ADR et du MEER. Les programmes spécifiques sont passés de l'aide à l'ajustement aux subventions à l'infrastructure, en passant des dégrèvements fiscaux et subsides directs aux crédits, variables d'une région à l'autre, en matière d'investissement et d'emploi. En tant que Canadiens nous n'avons pas, non plus, défini la relation entre les responsabilités provinciales et fédérales d'encouragement et d'appui au développement économique régional. Les premiers efforts fédéraux étaient fortement centralisés et avaient tendance à ignorer les desiderata des provinces. Cependant, pendant toute la période des ECD, ce fut le contraire: le gouvernement fédéral finançait ce que les provinces voulaient bien construire. Puis le pendule est revenu brièvement dans la direction opposée. Le gouvernement fédéral n'a pas été en mesure de relier correctement ses responsabilités en matière de développement régional à son rôle, plus vaste, de gestionnaire de l'économie nationale. L'incessante réorganisation de la bureaucratie fédérale, dans ce domaine, est la manifestation la plus évidente de cet échec; en effet, on a tenté, tout d'abord, de regrouper les intérêts régionaux dans un ministère séparé, pour ensuite inciter tous les ministères à prendre en considération les incidences régionales de leurs décisions, et revenir enfin au concept du ministère unique. Nous devons donc faire face à trois questions: quelle est la juste répartition des responsabilités entre le palier fédéral et le palier provincial? Comment le gouvernement du Canada doit-il équilibrer ses responsabilités économiques régionales avec ses responsabilités nationales? Quels sont les politiques et les programmes qui doivent être adoptés? Conclusions. Les commissaires n'iraient pas jusqu'à dire que la persistance de nos disparités économiques régionales constitue une situation de crise. Cependant, nous sommes d'avis qu'il s'agit d'un problème grave. La nature des perspectives économiques futures de chaque Canadien ne devrait pas dépendre autant de sa province ou de son lieu de naissance. Il faut dire que le développement régional demeure l'un des principaux objectifs du Canada. Cependant, les commissaires sont également convaincus que les Canadiens doivent revoir leur concept des disparités économiques régionales, leurs notions des actions à entreprendre pour les éliminer et leurs idées sur les mécanismes institutionnels qui devraient nous permettre d'accomplir cette tâche. Certaines des propositions mises de l'avant par la Commission sont des principes que nous voudrions faire accepter aux Canadiens; d'autres sont des énoncés de contraintes économiques que les Canadiens n'auront d'autre choix que d'accepter; d'autres, enfin, représentent les conclusions que nous avons tirées de notre recherche et de nos audiences. Le tout forme un ensemble qui, nous l'espérons, servira à guider l'élaboration de nos politiques régionales, au cours des années à venir. Ces propositions sont conçues pour être insérées dans les grands thèmes de ce Rapport pour tout ce qui a trait aux principes de l'ajustement économique et du fédéralisme. Notre première proposition a trait au concept même de la disparité entre les régions. A notre avis, il est grand temps de cesser d'envisager les inégalités du seul point de vue des différences de revenu per capita. Les transferts aux individus et aux gouvernements font qu'il n'est pas nécessaire de consacrer autant d'attention à cet aspect. De nos jours, chaque Canadien peut faire appel à tout un éventail de mécanismes d'appui, sur lesquels il peut compter s'il rencontre des difficultés personnelles; les propositions que nous présentons dans la cinquième partie de ce Rapport, et surtout celles qui concernent le nouveau Régime universel de sécurité du revenu (RUSR) et le Programme temporaire d'assistance au recyclage (PTAR), si elles étaient adoptées, amélioreraient davantage la situation. Notre système de péréquation, si imparfait qu'il soit sur certains points de vue, laissera à chaque gouvernement provincial les moyens d'offrir à ses résidents un niveau de biens et de services comparable à celui d'autres provinces, sans avoir à leur imposer le fardeau d'un taux d'imposition trop élevé. En fait, les revenus per capita varient moins d'une province à l'autre qu'entre les diverses régions d'une même province. Dans la mesure où les Canadiens désirent vraiment éliminer les inégalités, notre première priorité devrait s'adresser à la dimension verticale du problème, c'est-à-dire l'application à des individus. Les facteurs essentiels des disparités régionales sont les différences salariales qui existent pour un même type d'emploi et les variations des taux d'embauche. L'emploi est important, d'abord et avant tout parce qu'il fournit une source de revenu. Mais il offre plus encore. Dans une société comme la nôtre, tout emploi stable donne un sentiment de dignité et valorise l'individu à ses propres yeux, plus qu'aucun des généreux programmes de transfert ne saurait faire. Dans un État fédéral, l'enjeu est encore plus grand, puisque le fait qu'il y ait des emplois disponibles dans une région assure à l'État la population nécessaire à la survie de cette collectivité. Les commissaires en sont venus à la conclusion que, dans le passé les politiques canadiennes ont parfaitement compensé les disparités économiques régionales, mais qu'elles n'ont pas su promouvoir un développement économique autosuffisant. L'amalgame complexe des programmes de transfert est parvenu à niveler considérablement les revenus per capita des diverses régions, mais il n'a pas été le fondement d'un développement économique assez solide pour l'avenir. Les commissaires sont d'accord avec la thèse selon laquelle les Canadiens ont eu de la difficulté à établir des taux d'embauche acceptables dans certaines régions du pays, en partie à cause des déformations créées par toute une variété de politiques économiques bien intentionnées mais mal dirigées. Le souci qu'ont les Canadiens de compenser les carences économiques de certaines régions est en partie responsable du fait que le statut de ces régions ne change pas. Nous n'avons pas su structurer des politiques et des programmes destinés à fournir les stimulants nécessaires aux travailleurs, aux entreprises et aux gouvernements. On a créé un cycle de dépendance vis-à-vis des transferts, selon lequel toute faiblesse économique suscite des compensations qui, à leur tour, engendrent une conduite qui maintient cette disparité économique. Pour bien comprendre ce point, précisons que les commissaires ne croient nullement que la dépendance vis-à-vis des transferts explique toute la question des disparités régionales. Après tout, les disparités étaient déjà très marquées dans les décennies précédant les années 1950, alors que les programmes de transfert étaient à peu près inexistants. Ce qu'ils entrevoient plutôt, c'est que certains stimulants inappropriés expliquent, en partie, quelques-uns des problèmes qui persistent dans ce domaine. Les commissaires sont d'avis que le bien-être économique régional est du ressort de tous les paliers de gouvernement, y compris le municipal. Le rôle des provinces et des municipalités est clair. Que le gouvernement fédéral soit inclus vient du concept qu'ont les Canadiens de ce que chaque citoyen est en droit d'attendre de son pays et du besoin pratique d'intégrer l'expansion régionale à l'expansion nationale. Nous en arrivons maintenant à une importante contrainte économique directement reliée à la question du concept institutionnel. En général, bien que cela ne soit pas toujours le cas, il y a conflit entre les objectifs régionaux de développement économique et les objectifs d'efficacité. L'emplacement d'une activité économique n'est pas une question neutre. Pour toute une série de raisons complexes, certaines régions du Canada sont tout simplement mieux situées que d'autres pour aider les entreprises exposées à la concurrence internationale. De plus, comme l'a démontré cette analyse de notre union économique, moins il y a d'obstacles au marché interprovincial, plus notre économie nationale est efficace et plus il est facile d'assurer la relocalisation interrégionale des capitaux et de la main-d'oeuvre. Et pourtant, les déformations survenant sur ces marchés sont souvent le produit d'efforts défendables des gouvernements fédéral et provinciaux en vue d'encourager le développement économique dans les régions les plus pauvres du Canada. Une contrainte politique s'ajoute à la contrainte économique. La confrontation entre objectifs divergents signifie très souvent que le développement économique régional suscite des tensions politiques qui se répercutent à deux niveaux. La fonction publique fédérale est elle-même partagée entre les ministères à vocation sectorielle et nationale et les ministères à vocation plus centrée sur l'aspect régional. Et l'inévitable conflit fédéral-provincial vient s'ajouter à ces sources de tension. Chaque fois que le gouvernement national entreprend des politiques économiques destinées à un endroit particulier, ce qui est, par définition, le fait de toute mesure de développement régional, cela influe sur les plans du gouvernement provincial en cause. Dans les recommandations contenues dans ce Rapport, les commissaires ont étudié à la fois la politique fédérale de développement régional et sa mise en vigueur. Comme nous l'avons souligné plus haut, le gouvernement fédéral a un rôle légitime à jouer dans le développement régional, mais son implication dans ce domaine a fait naître des conflits avec l'ensemble de ses responsabilités nationales. Il ressort donc de cet examen qu'il existe un besoin supplémentaire: assurer la concordance de l'activité fédérale dans ce domaine avec les plans des gouvernements provinciaux. Cette position satisfait aux principes fondamentaux du fédéralisme, mais n'implique pas que le gouvernement fédéral doive appuyer aveuglément n'importe quelle stratégie de développement proposée par les provinces. Tout ce noeud gordien de contraintes laisse-t-il libre cours à l'initiative fédérale? Nous croyons que oui. En tant que commissaires, si nous revenons aux deux domaines de disparités que nous jugeons importants, ce sont, pour définir le rôle qui revient en propre à l'échelon fédéral, les taux de salaire et d'embauche. L'écart salarial provient du fait que la productivité de la main-d'oeuvre n'est pas égale d'une région à l'autre. Si la production par ouvrier des régions défavorisées pouvait être ramenée au niveau qui existe dans les régions mieux nanties, l'une des plus importantes sources de différences régionales serait éliminée. Il en est de même pour les différences dans le taux d'embauche: si les Canadiens, quelle que soit leur région, avaient une chance égale d'obtenir un travail permanent, l'autre grande source de disparités régionales disparaîtrait aussi. La forme que devrait prendre l'implication du gouvernement du Canada en matière d'expansion économique régionale découle logiquement de ces observations. La responsabilité de notre gouvernement national devrait être de travailler à éliminer les différences de productivité de la main-d'oeuvre qui existent d'une région à l'autre ainsi que tout facteur qui pourrait nuire à l'exploitation efficace des marchés régionaux de main-d'oeuvre. Si les régions plus pauvres adoptent moins rapidement les technologies nouvelles, c'est au gouvernement fédéral qu'il incombe d'accélérer le processus. Si la formation de la main-d'oeuvre laisse à désirer, il pourrait aider en fournissant le recyclage. S'il existe des problèmes structurels dans les cas où il faut adapter les compétences de la main-d'oeuvre aux demandes des employeurs, il pourrait établir des centres d'information. Cette proposition rejoint l'argument proposé à la troisième partie de ce Rapport, dans laquelle on cherchait à définir les actions gouvernementales susceptibles de corriger les carences du marché, quelle qu'en fut l'origine. On considérait que toute intervention serait économiquement efficace ou socialement bienfaitrice, si les entreprises canadiennes avaient quelque difficulté à adopter les plus récentes technologies ou à relocaliser leurs capitaux et leur main-d'oeuvre des industries en déclin vers les industries d'avenir; elle le serait également si elle améliorait la position concurrentielle de certains groupes de la main-d'oeuvre qui, historiquement, n'ont jamais été en mesure d'être compétitifs en termes d'égalité. Dans ces cas, le marché du secteur privé ne réussit pas quand il ne donne pas le résultat le plus souhaitable socialement. Les commissaires ont tout simplement ajouté à cette analyse une autre dimension inhérente à toute la question des disparités régionales. En fait, nous nous permettons d'affirmer que le marché a failli à sa tâche, s'il n'a pas su fournir à des entreprises comparables de toutes les régions du pays les mêmes facilités d'accès au capital, à la technologie et aux compétences requises, tant sur le plan de la main-d'oeuvre que sur celui de la gestion. Dans la Partie 111 de ce Rapport, nous nous sommes demandés si les intervenants du secteur privé apporteraient à l'industrie canadienne la toute dernière technologie, à un rythme qui permettrait au Canada d'être concurrentiel sur les marchés internationaux. Si la réponse est négative, il faudra alors envisager une stratégie industrielle. Ici, nous nous demandons si les mêmes agents diffuseront cette même technologie de façon adéquate à travers toutes les régions du pays. Sinon, les politiques régionales sont alors justifiées. Ces politiques ne viseraient pas à créer la même structure industrielle ou ouvrière pour chaque économie régionale. Elles auraient plutôt pour objet d'assurer aux industries qui s'installent dans des régions défavorisées, la possibilité d'une production aussi efficace que leurs homologues n'importe où ailleurs. Ainsi, une brasserie ou une agence gouvernementale installée dans l'Atlantique devrait pouvoir atteindre la même productivité que son alter ego en Ontario. Cependant, il est à peu près certain qu'il continuera d'y avoir une plus grande concentration d'industries de pointe dans cette dernière province. L'analogie s'applique aussi à la question des différences dans les taux d'embauche. Les commissaires s'inquiètent du chômage à l'échelon national et cherchent des politiques susceptibles d'y remédier en partie, car ils ne croient pas que le marché du travail soit assez flexible pour résoudre à lui seul le problème. Cependant, comme nous l'avons souligné plus haut, au Canada, le chômage a une dimension régionale très marquée. La statistique nationale sur le chômage comporte des taux généralement plus hauts dans certaines provinces et plus bas dans d'autres. De plus, ces différences deviennent encore plus marquées quand l'ensemble du chômage augmente, et tendent à s'amenuiser lorsqu'il diminue. On peut conclure, d'après la première observation, que tous les marchés régionaux de la main-d'oeuvre ne sont pas aussi efficaces dans leurs efforts pour marier emploi et travailleur, de façon à satisfaire la demande globale. Comme cet écart s'accroît lorsque l'activité économique ralentit, on peut en conclure que les modifications qui surviennent dans la demande globale ne sont pas réparties également dans toutes les régions. Dans les deux cas, les marchés ont failli à leur tâche, en ce sens qu'ils n'opèrent pas avec une même efficacité d'un bout à l'autre du pays. Comme c'est le cas pour les différences au niveau de la productivité, cet échec justifie la présence fédérale en matière de politique régionale. Il est bien plus facile de constater qu'il faut faire quelque chose à propos des divergences dans les taux d'embauche que de recommander le palliatif qui convient. D'ailleurs, ces différences vont disparaître naturellement, à mesure qu'on éliminera les écarts de productivité et qu'on égalisera les salaires pour certains types d'emploi. A mesure que l'équilibre s'établira, les émigrations des ouvriers plus jeunes ou plus qualifiés diminueront. A mesure que les perspectives économiques s'amélioreront, les taux de participation augmenteront. Ensemble, ces deux effets élèveront à la moyenne nationale le rapport entre le nombre de personnes cherchant du travail et la population totale de la province, éliminant ainsi une partie de la différence dans les taux d'embauche. Pour toute proposition de nouvelles politiques, le problème s'aggrave du fait qu'il y a une troisième composante à la différence dans les taux d'embauche: les taux de chômage beaucoup plus élevés que l'on trouve dans les régions les plus pauvres. Sur ce point, il importe d'être réaliste. Rien ne garantit qu'à mesure que les taux de productivité et de salaires s'élèveront jusqu'à la moyenne nationale, il y aura assez de création d'emplois dans les régions les plus pauvres, pour qu'on puisse employer pleinement la main-d'oeuvre existante. Examinons de plus près les facteurs en jeu. Supposons d'abord qu'un effort concerté des gouvernements fédéral et provinciaux ait accru la productivité de la main-d'oeuvre dans les régions les plus pauvres. Leur action aura deux effets distincts. Premièrement, pour produire un certain niveau de rendement, une région aura besoin de moins de main-d'oeuvre. Deuxièmement, pour les produits que la région fabrique en concurrence avec des fournisseurs extérieurs, les coûts diminueront, ce qui permet de croire que le produit total pourrait augmenter. Mais l'effet demeure incertain. Si l'amélioration de la productivité comporte un fort élément d'économie de main-d'oeuvre et si la capacité de capter de nouveaux marchés est faible, on se retrouvera avec une perte nette d'emplois. Si les conditions sont inversées c'est le contraire qui se produira. Jusqu'ici, il n'existe aucune preuve solide que l'une ou l'autre de ces deux éventualités réussisse dans les différentes régions du Canada. C'est ici que les commissaires introduisent une distinction marquée entre les fonctions fédérales et provinciales, en matière d'expansion économique régionale. En effet, nous aimerions suggérer que le gouvernement fédéral ne s'implique plus directement dans la création régionale d'emplois, mais que ses responsabilités se limitent à son engagement à pallier les écarts régionaux en matière de productivité et les imperfections du marché du travail. Il pourra se targuer d'avoir bien desservi l'égalité régionale, si des emplois identiques donnent droit à des rémunérations assez similaires et si l'ajustement aux changements du marché du travail s'effectue aussi efficacement partout. De plus, le gouvernement fédéral devrait ajouter à la question du développement régional son souci d'établir des liens complémentaires et mutuellement bénéfiques entre les économies provinciales. En d'autres mots, il devrait situer sa politique régionale dans un cadre national. Bien sûr, les gouvernements provinciaux et leurs électorats demandent davantage aux programmes économiques. Ils ont, plus précisément, eux aussi, des objectifs absolus en matière d'emploi. En général, ils souhaitent que chaque résident actuel et futur soit en mesure de trouver localement un emploi convenable. Venant d'un gouvernement provincial, cette insistance sur la prospérité du lieu est à la fois compréhensible et défendable. Cependant, ce n'est pas là l'une des grandes préoccupations du gouvernement fédéral. Les commissaires pensent qu'assurer la survie de chaque collectivité dans la mesure où les gens le souhaitent est du ressort des citoyens et de leurs gouvernements local et provincial. Le gouvernement fédéral ne doit pas faire entrave à l'atteinte de cet objectif, en ce sens que ses politiques économiques et sociales ne devront pas exercer de discrimination systématique contre un groupe particulier, mais il ne doit pas, non plus, consacrer ses ressources à pareil objectif. Cependant, les provinces devront avoir accès à ces fonds. Les conclusions suivantes sont à la base de nos recommandations: - Afin de rendre l'économie nationale plus efficace et de promouvoir l'ajustement interrégional, le gouvernement fédéral devrait modifier certains programmes qui occasionnent des déformations régionales et ce, selon des orientations conformes à l'analyse présentée à la Partie 111 de ce Rapport; - Le gouvernement fédéral devrait orienter ses programmes de développement régional vers une amélioration de la productivité régionale et de l'efficacité du marché du travail; - Les provinces devraient assumer l'entière responsabilité des mesures de création d'emploi reliées à un endroit précis dans le cadre de leurs propres politiques de développement régional. Afin de pouvoir mieux répondre aux besoins locaux, les provinces qui reçoivent des paiements de péréquation, devraient également recevoir du gouvernement fédéral, des subventions au titre du développement économique régional; - La coordination de ces activités fédérales et provinciales devrait s'effectuer par l'entremise du mécanisme des ententes de développement économique régional; - tout engagement continu du gouvernement fédéral envers le développement régional exige qu'une seule agence centrale soit responsable de piloter les préoccupations régionales à l'intérieur des programmes des divers ministères fédéraux et d'assurer la coordination de l'effort fédéral; - Les commissaires croient que l'engagement financier total du gouvernement fédéral envers le développement régional devrait augmenter de façon considérable au cours des prochaines années, alliant les fonds dépensés à travers les EDER à ceux des subventions au titre du développement économique régional. Les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces. En tant qu'institution de la fédération, les arrangements fiscaux sont au moins tout aussi importants que les mécanismes des relations intergouvernementales. Au même titre que les autres pays ayant un système fédéral de gouvernement, le Canada s'est sensiblement écarté de l'équivalent fiscal de la doctrine des compartiments étanches où chaque gouvernement prend ses décisions en matière d'impôt et de dépenses en toute indépendance. Au Canada, les deux ordres de gouvernement tirent profit des principales sources de taxation; toute modification fiscale effectuée par un ordre de gouvernement aura des conséquences directes sur l'autre. De plus, des sommes importantes sont transférées entre les gouvernements; il est difficile pour le gouvernement fédéral de réduire ses dépenses, étant donné que les sommes transférées aux provinces en représentent le quart; le même raisonnement s'applique dans le cas des transferts des provinces aux municipalités. La fiscalité a une histoire longue et complexe au Canada et, depuis 1867, la question des arrangements fiscaux a toujours été au coeur des relations fédérales-provinciales. En vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, le gouvernement fédéral se vit octroyer un pouvoir d'imposition illimité, alors que les provinces durent se contenter des impôts directs. Ceci eut comme conséquence d'enlever aux provinces les droits de douane de même que les taxes d'accise qui étaient les plus importantes sources de revenu à l'époque; et c'est pourquoi le gouvernement fédéral accepta de faire des paiements annuels qui devaient constituer un règlement «complet et final » de toutes les réclamations des provinces. En vertu de ces arrangements, les provinces ne perçurent au début de la Confédération que 27 pour cent de l'ensemble de leurs revenus. A la fin du siècle dernier et également au cours de la période qui suivit la Première Guerre mondiale, le budget des dépenses des provinces s'accroissant, elles intensifièrent graduellement leur effort de taxation, et ce, notamment dans le domaine des impôts directs sur le revenu. Au cours de la Première Guerre mondiale, le gouvernement fédéral entreprit de prélever lui aussi des impôts sur le revenu. Toutefois, au début de la crise des années 1930, les gouvernements locaux et provinciaux prélevaient plus de 70 pour cent des fonds publics au pays. Les efforts pour prélever des revenus eurent pour effet de créer une « jungle fiscale » où s'entremêlaient la « double taxation » et des systèmes de réglementation contradictoires. La Commission royale sur les relations entre le Dominion et les provinces, la Commission Rowell-Sirois, fit une analyse approfondie de la structure générale des finances des gouvernements fédéral et provinciaux. La Commission recommanda que le gouvernement fédéral prélève tous les impôts sur le revenu des particuliers et des corporations ainsi que tous les droits de succession, et qu'il remette une partie de ces fonds aux provinces. Celles-ci s'opposèrent fortement à cette recommandation. Quoi qu'il en soit, la Seconde Guerre mondiale permit de réaliser ce que les recommandations d'une Commission royale n'avaient pu réaliser. En effet, pour la durée de la guerre, le gouvernement fédéral se réserva l'utilisation de ces diverses sources, en échange de quoi, il accorda aux provinces des subventions en vertu des Ententes de location d'impôts. Selon la plupart des analyses, c'est au cours de cette période que le régime fiscal canadien atteignit le degré le plus avancé de centralisation, tout comme au cours des cinq années précédant la crise, il avait atteint le degré le plus avancé de décentralisation. Dans les années qui suivirent la fin de la guerre, les Ententes de location d'impôts furent maintenues. Elles subirent cependant des changements Importants en ce qui concerne leur structure et leur portée. Les plus importants furent le retrait complet du Québec et le retrait partiel de l'Ontario en 1947. Ces ententes furent renouvelées en 1952; cependant, le premier changement d'ordre conceptuel fut apporté en 1957, lorsqu'on accorda aux provinces le choix de continuer de a louer » au gouvernement fédéral leur champ de taxation directe, ou alors de prélever leurs propres impôts sur le revenu et sur les droits de succession tout en laissant au gouvernement fédéral le soin de prévoir un « abattement » de l'impôt fédéral exigible qui compenserait l'effet des nouveaux impôts. Au même moment, on mit en place un système de paiements de péréquation pour les provinces dont les rendements des impôts sur le revenu et des droits de succession étaient inférieurs à la moyenne de l'Ontario et de la Colombie-Britannique. A la suite des nombreuses rondes de négociations fédérales-provinciales qui suivirent l'abattement des impôts fédéraux fut régulièrement augmenté afin d'accorder un plus grand « espace fiscal » aux provinces. L'abattement de l'impôt fédéral sur le revenu des particuliers, établi à l'origine à 10 pour cent de l'impôt fédéral exigible, fut porté à 28 pour cent, en 1967. En 1962, suite à des modifications apportées à la Loi, les provinces furent tenues de prélever leurs propres impôts sur le revenu des particuliers et des corporations. Toutefois, le gouvernement fédéral s'engaga à continuer de percevoir les impôts au nom des provinces, et cela sans frais, à condition que ces dernières se conforment aux règles fédérales énoncées dans les dispositions des Accords de perception fiscale. Autrement, les provinces avaient tout le loisir d'établir et d'administrer leur propre régime, ce que le Québec fit aussi bien pour l'impôt sur le revenu des particuliers que pour celui sur le revenu des corporations, et ce que l'Ontario fit pour l'impôt sur le revenu des corporations. Ces ententes consécutives eurent comme effet de changer considérablement la centralisation fiscale du temps de la guerre. Lorsqu'on considère uniquement les revenus que chaque ordre de gouvernement tire de ses propres sources, on constate que la part fédérale est passée de 73,9 pour cent de l'ensemble de ces revenus en 1945, à 67,1 pour cent en 1955, et à 43,3 pour cent en 1983. Au cours de ces mêmes années, la part des gouvernements provinciaux et de leurs municipalités passa de 26,1 pour cent à 32,9 pour cent, et de là à 56,7 pour cent. Le changement fut d'autant plus marqué que durant cette même période, les subventions intergouvernementales augmentèrent. Lorsqu'on tient compte des transferts, on note que la part fédérale dans le total des revenus gouvernementaux passe de 69,2 pour cent en 1945 à 32,6 pour cent en 1983, alors que la part des gouvernements provinciaux et locaux augmente de 30,8 pour cent à 67,4 pour cent. Le tableau 22-12 trace un portrait général de cette évolution historique en termes de produit national brut (PNB). Il existe d'autres indicateurs d'une décentralisation relative et d'une plus grande souplesse du régime fiscal canadien. Dès l'entrée en vigueur des accords de perception fiscale, les provinces furent libres d'établir leurs taux d'imposition au-dessus ou en-dessous des abattements fédéraux. Cette flexibilité des provinces s'accrut lorsqu'on supprima le régime des abattements d'impôt sur le revenu des particuliers. Les provinces en vinrent a établir divers crédits d'impôt à faire valoir contre l'impôt provincial à payer, ce qui augmenta leur autonomie et leur flexibilité. Ces changements se sont également traduits, tout particulièrement au cours des années 1970, par une diversification accrue des taux de l'impôt provincial. En 1985, les taux de l'impôt provincial sur le revenu des particuliers, exprimés en pourcentage de l'impôt fédéral, variaient entre un maximum de 60 pour cent à Terre-Neuve, et un minimum de 43,3 pour cent en Alberta, et de 43 pour cent dans les Territoires du Nord-Ouest. Les provinces ont également acquis plus de flexibilité en ce qui concerne les subventions octroyées par le gouvernement fédéral. Une part plus importante des subventions fédérales prirent la forme de paiements inconditionnels (péréquation) ou de subventions globales assorties de conditions générales et peu nombreuses. Les transferts intergouvernementaux augmentèrent également: en proportion des dépenses fédérales, ils s'élevèrent, entre 1945 et 1983, d'un peu moins de 4 pour cent à un peu plus de 18 pour cent. Tous les gouvernements prélèvent leurs propres impôts, mais seul le gouvernement fédéral tire la totalité de ses revenus, excluant bien sûr les emprunts, au moyen de l'impôt. Les autres, soit les gouvernements provinciaux, les pouvoirs locaux et les conseils hospitaliers, dépendent, à des degrés divers, des transferts accordés par les autres gouvernements. A titre d'exemple, en 1983 les revenus du gouvernement fédéral se chiffraient à un peu plus de 70 milliards de dollars et, de cette somme, quelque 17,5 milliards de dollars furent transférés. En d'autres termes, pour chaque trois dollars que le gouvernement fédéral percevait sous forme d'impôt pour ses besoins cette année-là, il en percevait un de plus à la seule fin de l'octroyer à un autre pouvoir politique. La plupart de ces fonds sont allés aux trésors publics des provinces. Les contributions fédérales aux programmes de santé, d'éducation et de bien-être représentent de loin, la plus grande part des transferts. En 19831984, plus de 11 milliards de dollars, soit un peu plus de 60 pour cent du total des transferts en espèces, sont alloués comme suit: 7,6 milliards de dollars pour le financement des programmes établis, 3,1 milliards de dollars pour la part fédérale des paiements au titre du Régime d'assistance publique du Canada, 70 millions de dollars pour le financement d'autres programmes de santé et de bien-être, et 182 millions de dollars pour les programmes de bilinguisme dans l'enseignement. Les paiements de transfert inconditionnels à des fins générales, particulièrement de péréquation, constituent l'autre composante importante. Ces paiements totalisent près de 5,5 milliards de dollars, soit environ le tiers de la totalité des transferts en espèces. Divers transferts tels que ceux versés aux municipalités et aux territoires constituent le reste. On retrouve un résumé de ces diverses catégories de paiements au Tableau 22-13. Au tableau 22-14 figure un sommaire des paiements effectués au cours des années antérieures. En 1983, les 17 milliards de dollars et plus que les provinces ont reçus, comptaient pour un cinquième des fonds à leur disposition cette année-là. Il y a donc eu une diminution par rapport à 19754 alors que les transferts comptaient pour un quart des fonds à leur disposition. En retour, les provinces ont remis un tiers du total de leurs revenus, soit 27,8 milliards de dollars, aux gouvernements locaux, aux écoles et aux administrations d'hôpitaux. En chiffres nets, cela signifie que les provinces ont versé 10 milliards de dollars de plus que les sommes qu'elles avaient reçues. En effet, elles ont financé l'ensemble des dépenses en biens et services à même leurs propres revenus ou dans certains cas, à l'aide d'emprunts. A l'inverse, les gouvernements locaux ne génèrent eux-mêmes que la moitié seulement de leurs revenus et les administrations d'hôpitaux n'en génèrent euxmêmes que 5 pour cent seulement. Ces derniers sont les principaux bénéficiaires nets du système de transferts intergouvernementaux en vigueur aujourd'hui. Le tableau 22-15 illustre l'évolution historique de ces transferts intergouvernementaux. La part du budget fédéral consacrée à ces transferts a, en général, augmenté et la dépendance des provinces à l'égard de tels transferts s'est maintenue de façon assez régulière. On constate toutefois que ces deux tendances se sont atténuées au cours des dernières années. On note au tableau 22-16 que la dépendance des provinces à l'égard des transferts fédéraux varie considérablement. Ainsi, en 1980-1981, près de la moitié des revenus des quatre provinces de l'Atlantique provenait de sources fédérales, bien que ce pourcentage ait quelque peu diminué en 1984-1985. De même, la proportion du Manitoba a diminué de 38 à 30 pour cent. Près du quart des revenus du gouvernement du Québec provenaient du gouvernement du Canada. Une part équivalente à environ 17 pour cent de l'ensemble des revenus de l'Ontario, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique, était de source fédérale. L'Alberta, ayant des sources de revenus considérables, est la province la moins tributaire des fonds fédéraux. Par conséquent, ce qui caractérise notre régime fédéral, c'est une grande interdépendance des systèmes fiscaux fédéral et provinciaux, un degré de décentralisation relativement élevé et un esprit de collaboration impressionnant. Quelles sont les causes d'une telle évolution? A première vue, la notion d'un système fiscal où chaque ordre de gouvernement est entièrement responsable de prélever et de dépenser ses propres fonds, paraît intéressante. Ce type d'arrangement est le plus conforme aux principes du fédéralisme classique: chaque ordre de gouvernement est libre, dans le domaine de ses compétences, de définir ses politiques comme il l'entend. Il apparaît tout à fait logique que tous les gouvernements puissent avoir les moyens financiers de s'acquitter de leurs responsabilités selon la perception qu'ils en ont. Un tel système encourage la responsabilité fiscale. Les gouvernements sont donc comptables de leurs actes. Tout comme les individus, les gouvernements font montre de plus de prudence dans leurs actions lorsqu'ils savent qu'ils en seront tenus directement responsables. Ce truisme implique que les gouvernements qui effectuent les dépenses, devraient lever des impôts. Il apparaît trop facile aux gouvernements de répondre aux attentes de groupes d'intérêts particuliers fort limités, alors qu'ils n'ont pas besoin d'imposer leurs commettants pour financer la réalisation de leurs promesses. Dès lors, on peut se demander comment une fédération pourrait adopter tout autre système. Il y a plusieurs raisons à cela. Premièrement, les provinces ont des capacités fiscales inégales. Pour un effort fiscal donné, les gouvernements des régions plus pauvres vont tirer moins de revenus que ceux des régions plus riches et, conséquemment, fourniront de moins bons services. A titre d'alternative, ils devront taxer à des taux plus élevés afin de fournir des biens et services publics de qualité comparable. Ceci soulève des problèmes d'équité et d'efficacité et c'est là que réside la principale justification de la péréquation. Un second problème tient au fait que des régimes séparés d'imposition sur le revenu sont plus coûteux à gérer et qu'ils comportent des inconvénients pour les contribuables. Parmi les onze différents systèmes de perception fiscale qu'un tel arrangement requiert, il y en aurait deux ou plus qui exigeraient des corporations et des particuliers qu'ils remplissent chaque année des déclarations d'impôts fort différentes. A tout le moins, les Canadiens souhaiteraient que les efforts de perception fiscale soient coordonnés et que les gouvernements collaborent entre eux sur ce plan. Un troisième problème consiste à assurer un équilibre entre revenus et dépenses. Certains ordres de gouvernement, laissés à eux-mêmes, seraient dans l'impossibilité de prélever des revenus suffisants pour assumer les responsabilités de dépenses que leur assigne la constitution, alors que d'autres auraient accès à des fonds plus que suffisants. Il a souvent été dit que la capacité d'imposition du gouvernement fédéral était beaucoup plus importante que ne l'étaient ses responsabilités de dépenses, alors que les provinces et, en particulier, les municipalités se retrouvaient dans la situation inverse. Cet état de choses résulte de l'augmentation rapide des services exiges des gouvernements régionaux et locaux et du fait que ceux-ci ont des sources de revenus inélastiques. Récemment, on en est venu à croire que c'est l'inverse qui est vrai; le gouvernement fédéral fait maintenant face à un déficit structurel alors que les provinces, du moins celles qui sont riches en ressources, sont en mesure d'enregistrer des surplus de façon continue. Peu importe où se situe le déséquilibre à un moment donné, il s'ensuit que les transferts intergouvernementaux sont une composante nécessaire de nos arrangements fiscaux. Lorsque la Constitution empêche un ordre de gouvernement d'exploiter une ou plusieurs sources importantes d'imposition, il peut se produire alors un déséquilibre entre les capacités de revenus et les responsabilités de dépenses. Un autre facteur pouvant contribuer à un tel déséquilibre est l'existence de conditions économiques et politiques empêchant les autorités en place d'exploiter pleinement certaines sources d'imposition en dépit du fait qu'elles soient en principe accessibles. La concurrence entre les provinces ou les municipalités en vue d'attirer des investissements ou de la main-d'oeuvre spécialisée, peut inciter ces autorités à réduire les impôts sur le revenu des particuliers et des entreprises à un niveau égal, voire même inférieur, aux coûts des services offerts. Le gouvernement fédéral rencontre moins de contraintes de cette nature. C'est pourquoi il est possible en principe qu'il soit plus efficace pour le gouvernement central de prélever les impôts « appropriés » sur tous les revenus et de redistribuer les recettes. En quatrième lieu, les gouvernements régionaux opérant dans un système d'impôts et de dépenses complètement décentralisé, peuvent modifier leurs pratiques d'imposition et de dépenses selon les besoins et les aspirations qu'ils auront identifiés dans leur milieu. Une telle façon d'agir s'accorde parfaitement aux principes du fédéralisme. Cependant, cela peut créer des problèmes à l'échelle nationale, problèmes qui se traduiront de façon générale par des « débordements » et un manque d'harmonisation fiscale. Ces problèmes sont attribuables au fait qu'une juridiction donnée a tendance à ignorer les conséquences que ses actions peuvent avoir sur les résidents des autres régions. Dans le contexte d'une économie où il y a échange de produits et de facteurs de production entre les régions, il est inévitable que les décisions portant sur des questions d'impôts et de dépenses dans une région affectent les décisions relatives à la production, l'investissement et l'émigration dans une autre. Les pouvoirs locaux n'ont pas à s'inquiéter de ces débordements, étant donné qu'ils n'en sont pas responsables; par ailleurs, ils ne sont pas en mesure de s'approprier les avantages politiques que peuvent procurer des débordements avantageux. Ainsi, certains gouvernements peuvent choisir d'offrir moins de services dans certains domaines tels que l'enseignement supérieur, dont ils ne peuvent capturer entièrement les bénéfices puisque les diplômés peuvent émigrer dans une autre province. Dans de telles circonstances, il y aura des citoyens qui seront touchés directement par les décisions fiscales d'un gouvernement sur lequel ils n'ont aucun contrôle politique et qu'ils ne peuvent ni récompenser, ni punir; d'autres citoyens, résidant à l'intérieur ou à l'extérieur de la province, souffriront d'une carence de services publics dans certains domaines. Une des solutions à ce problème consiste à transférer le pouvoir d'imposition et certains aspects reliés aux dépenses, à une autorité politique ayant une assise plus large et qui serait ainsi responsable auprès de tous les citoyens touchés par la politique qu'elle a mise en oeuvre. Un autre problème créé par ces débordements réside dans le fait que les individus qui prennent les décisions ne prendront pas toujours les décisions les plus appropriées s'ils ne sont pas responsables formellement des conséquences qui en découleront. Par exemple, les provinces pouvant a exporter » leur fardeau fiscal, c'est- àdire pouvant le faire supporter par d'autres provinces, auront tendance à utiliser cette source de revenus de façon excessive. Si les citoyens d'une autre province assument une partie des coûts, les gouvernements seront enclins à offrir plus de services que n'en demanderaient autrement les résidents de cette province s'ils agissaient rationnellement. L'exportation des impôts peut donc aboutir à un gouvernement trop tentaculaire. De la même façon, lorsqu'une province ne peut pas exporter son fardeau fiscal au-delà de ses frontières, mais qu'elle craint qu'il y ait coulage » de certains des bénéfices qu'elle fournit, elle peut être amenée à offrir moins de services que les résidents n'en demanderaient autrement s'ils agissaient rationnellement, de sorte qu'on aurait alors un gouvernement qui est « trop petit ». Étant donné qu'un gouvernement central est, par définition, comptable de ses actes à un éventail plus large de citoyens, les effets de débordements de ses mesures d'imposition sont moins grands; en outre, il peut, grâce à des programmes à frais partagés, inciter les gouvernements provinciaux à établir des niveaux de dépenses plus appropriés pour les services qui relèvent de leur compétence. Un cinquième problème, c'est que le Canada pourrait se retrouver un jour avec un système fiscal dénué de toute harmonie où existeraient des différences considérables entre les provinces, en termes de taux d'imposition et même de définition du revenu imposable. Cette situation correspond à la a jungle fiscale » qui a tant préoccupé les Canadiens au cours des années 1930. De même, le pays pourrait engendrer un système de prestation des services qui n'aurait aucune harmonie, en ce sens que les bénéfices ne pourraient être transférés et que les services disponibles varieraient sensiblement d'une province à l'autre. Dans un cas comme dans l'autre, le principe de la justice horizontale, en tant qu'il s'applique au fédéralisme, serait miné: en d'autres mots, des citoyens canadiens qui sont identiques en tout sauf la province de résidence et qui, par conséquent, devraient être traités de la même façon par l'administration publique, seraient, en réalité, traités fort différemment. On pourrait répliquer à cela que c'est précisément pour permettre la mise en oeuvre de politiques sociales et de politiques de redistribution différentes que fut créée une fédération. On peut s'attendre à ce que le gouvernement central traite de la même façon les Canadiens qui se trouvent dans une même situation, peut importe le lieu où ils résident; mais le principe de la justice horizontale ne va pas plus loin: nul ne peut s'attendre à ce que les provinces agissent toujours de la même façon. On peut également s'interroger sur les effets au niveau de l'efficacité économique d'un manque d'harmonie fiscale ou de normes nationales en ce qui a trait aux programmes impliquant une distribution de services. Si les divers systèmes provinciaux d'impôts et de dépenses affectent d'une manière suffisamment différente la maind'oeuvre et le capital, ils auront une incidence sur le choix d'établissement. A titre d'exemple, lorsque des travailleurs décideront s'il est opportun d'émigrer et où ils émigreront, ils prendront en considération certains facteurs tels que le niveau de salaire auquel ils s'attendent ainsi que l'ensemble des services gouvernementaux offerts en retour des impôts qu'ils auront à payer. Si ce sont de tels facteurs, et non pas la productivité économique, qui président aux décisions relatives à l'émigration, alors l'efficacité économique sera sacrifiée. Toutefois, on peut retrouver un rendement économique maximal si on arrive à mettre au point un régime fiscal qui n'influence pas les décisions relatives à la localisation du capital et de la main-d'oeuvre et si les gouvernements peuvent fournir des services uniformes, à travers tout le pays. Quelle meilleure méthode pour réaliser cette uniformité que celle de confier les responsabilités à un gouvernement central et de veiller à ce qu'il remette une partie des revenus aux provinces en vertu d'une formule prédéterminée? Les provinces ne peuvent se faire concurrence qu'en matière de capital et de main-d'oeuvre, lesquels constituent des facteurs de production relativement mobiles. Cependant, la façon dont ces gouvernements traiteront les facteurs de production moins mobiles, tels que la terre ou l'équipement déjà en place peut varier. Cette situation peut amener les gouvernements provinciaux à s'en remettre de plus en plus à ces seules sources de revenus, pour financer leurs dépenses générales. Ils renoncent progressivement à prélever certains impôts tels que ceux portant sur les droits de succession, tout en misant sur d'autres tels que les impôts fonciers, pour leur faire assumer une plus grande part du fardeau . De plus, même si le fédéralisme comme tel peut engendrer une certaine harmonie entre les provinces, la concurrence qu'elles se livrent en matière d'impôts et de dépenses peut nuire à la réalisation d'objectifs de développement ou de redistribution économique. De généreux programmes de redistribution peuvent avoir comme effet de chasser les contribuables fortunés et d'attirer les moins nantis des provinces avoisinantes, ce qui mine l'efficacité des programmes en question. D'autres provinces s'empresseront d'adopter des mesures fiscales pour stimuler l'investissement sans, en fin de compte, obtenir de résultats. Il se peut que seul le gouvernement national, parce qu'il peut tirer avantage d'une situation de monopole dans certains domaines d'imposition, puisse mettre en oeuvre un plan véritable de redistribution ou un plan efficace de développement. Des entreprises de cette nature qui sont d'envergure proprement régionale, bien qu'intéressantes en principe, peuvent s'avérer tout simplement irréalisables. Un sixième problème que soulève un système décentralisé d'impôts et de dépenses, c'est qu'il peut nuire à la capacité qu'a un pays de mener à bien une politique fiscale contre-cyclique. Traditionnellement, on a toujours considéré qu'il était logique de confier au gouvernement central la responsabilité de la stabilisation économique. De petits gouvernements régionaux verront leurs efforts gaspillés en raison du caractère très ouvert de leur économie. Des concessions fiscales inciteront à dépenser tout autant sur la production d'une autre province que sur la production locale. Une politique de stabilisation aurait alors beaucoup moins d'effets. Ce problème est moins sérieux pour le gouvernement fédéral étant donné que l'économie nationale est plus grande et plus autonome que toute économie provinciale. Cependant, pour que le gouvernement du Canada puisse mener à bien cette tâche, il doit pouvoir contrôler une partie importante de l'ensemble des impôts et des dépenses. Autrement, les provinces et les municipalités pourraient tout simplement annuler certaines mesures fédérales en adoptant des décisions en matière d'impôts et de dépenses qui, loin d'atténuer le cycle des affaires, le renforcent. Trois arguments sont souvent invoqués à l'encontre de cette position. En premier lieu, certains économistes prétendent qu'aucun gouvernement, qu'il soit fédéral ou provincial, ne peut en fait mettre en application des politiques efficaces de stabilisation anticyclique. Deuxièmement, même en admettant que le gouvernement fédéral ait un rôle à jouer à cet égard, on ne sait pas quelle part de l'ensemble des sources d'imposition devra revenir à ce gouvernement pour qu'il puisse s'acquitter de cette tâche. Cette part n'est certes pas de 100 pour cent, comme certains le laissent souvent entendre. Cependant, il semble difficile de déterminer quel en serait le seuil minimum. Enfin, il n'est pas nécessairement juste de prétendre que les gouvernements provinciaux prendraient des mesures jugées impropres. Comme nous l'avons souligné dans la Partie 111 du Rapport, nous ne souscrivons pas à l'idée selon laquelle il est impossible d'appliquer des politiques efficaces de stabilisation, bien que nous soyons d'avis que certaines précautions devraient être prises lors de leur mise en oeuvre. Nous croyons aussi que la base des impôts et des dépenses que le gouvernement fédéral a à sa disposition est suffisante et qu'elle lui permet de mettre au point des politiques efficaces de stabilisation. Nous sommes en outre convaincus que l'harmonisation des systèmes fiscaux ainsi que l'adoption de normes nationales pour certains programmes ou services, constituent un élément important de la réalité nationale canadienne. Et nous avons constaté que dans quelques cas, tels que celui de l'enseignement postsecondaire où la fourniture de fonds fédéraux n'était pas assortie de conditions préalables, l'absence de telles conditions peut avoir abouti à une offre insuffisante de services. C'est pour toutes ces raisons que la Commission est convaincue du bien-fondé des liens étroits unissant les arrangements fédéraux et provinciaux en matière d'impôts et de dépenses. Ces arrangements constituent une base solide pour favoriser le développement et pour entreprendre des réformes au niveau des programmes et des institutions. La Commission s'intéresse ensuite aux mécanismes grâce auxquels peut sc réaliser une certaine harmonie des impôts et des programmes. Dans ce qui suit, nous n'avons pas tenté de faire des propositions concernant la part spécifique des revenus et des dépenses qui devrait être attribuée à chaque ordre de gouvernement. De toute façon, de telles décisions peuvent varier quelque peu d'une année à l'autre. Mais ce qui est plus important encore, c'est qu'elles ne peuvent être prises que dans le cadre plus général d'une réforme fiscale: avant de partager le gâteau, il faut en connaître la taille, la forme et la saveur. De l'avis de la Commission, ce sujet nécessite en soi une autre enquête ayant un mandat beaucoup moins large centré sur des questions de réforme fiscale telles que celles soulevées antérieurement, ainsi que sur le partage des revenus qui en découlerait. Les Accords de perception fiscale. Le gouvernement fédéral administre et perçoit, pour le compte de toutes les provinces à l'exception du Québec, les impôts sur le revenu des particuliers. Il définit ce que l'on doit entendre par revenu, ainsi que les déductions que le contribuable est autorisé à faire, et il établit le montant du revenu imposable auquel s'applique le taux fédéral d'imposition. Les provinces appliquent alors un pourcentage unique à « l'impôt fédéral de base » qui en résulte, afin de calculer l'impôt provincial à payer avant dégrèvements. A ce stade, les provinces sont autorisées à établir tous les crédits d'impôts qu'elles veulent établir, par exemple les crédits d'impôts fonciers ou ceux pour contributions politiques. Le gouvernement fédéral administrera ces programmes individuels pour un montant déterminé selon une échelle mobile, pourvu qu'ils satisfassent a certains critères de simplicité et qu'ils ne soient pas établis en vue de modifier l'harmonie si essentielle à l'ensemble du système d'imposition. Ce système est communément appelé un « impôt sur impôt » . Un contribuable est imposé par la province dans laquelle il résidait le dernier jour de l'année civile. Les dispositions portant sur l'impôt sur le revenu des corporations sont presque identiques à celles concernant l'impôt sur le revenu des particuliers Le gouvernement fédéral définit la structure de l'impôt et les provinces signataires (toutes les provinces sauf l'Ontario, le Québec et l'Alberta) établissent leurs propres taux d'imposition en fonction de cette structure. Cependant, les taux provinciaux s'appliquent au revenu imposable des corporations tel que défini aux fins de l'impôt fédéral, et non à l'impôt fédéral exigible. Ceci veut dire que les provinces sont libres d'établir leur propre taux d'imposition ou de faire varier ces taux selon, par exemple, l'importance de l'entreprise. Toutes les provinces, même celles qui ne sont pas signataires souscrivent à une formule commune pour répartir le revenu imposable des corporations ou entreprises faisant affaire dans plus d'une province, ce qui constitue un sujet de discorde important dans certains autres pays fédéraux. Ces principes amènent deux questions au sujet des accords de perception fiscale présentement en vigueur. Premièrement, sont-ils un moyen économique et commode pour percevoir l'impôt sur le revenu? En d'autres termes, contribuent-ils à minimiser les frais d'administration et les frais que les contribuables assument pour se conformer à la loi? Deuxièmement, s'agit-il de la meilleure façon de concilier le désir de respecter l'autonomie des gouvernements et le besoin d'harmonisation fiscale? Il est difficile de comparer l'efficacité des accords de perception fiscale présentement en vigueur au Canada à celle que l'on trouve dans les systèmes moins centralisés. Toutefois, le Conseil économique de l'Ontario a tenté d'estimer ce qu'il en coûterait à cette province pour établir son propre impôt sur le revenu des particuliers. Il en est venu à la conclusion que les coûts seraient « assez considérables » 6, Cela signifie qu'un système coordonné de perception et d'administration fiscale est valable et qu'il serait, par conséquent, regrettable que l'existence de neuf agences supplémentaires nuise à son bon fonctionnement. L'opportunité de l'harmonisation fiscale est une meilleure justification des Accords de perception fiscale. On a décrit en ces termes le système d'imposition fédéral idéal: [...] un système offrant les avantages de la centralisation que sont l'harmonisation fiscale et les coûts peu élevés de perception, tout en permettant de satisfaire la volonté des provinces de maintenir leurs propres structures et politiques d'impôts conformément aux désirs particuliers de leurs électeurs, et ce, d'une manière qui ne fragmente pas trop l'union économique. Est-ce que les accords de perception fiscale s'accordent bien à l'énoncé de ce principe? On peut affirmer que ces accords nous ont été utiles jusqu'à présent. Entre toutes les fédérations, le Canada possède un des systèmes d'imposition les plus harmonieux et ce, malgré son caractère apparemment décentralisé. Par exemple, même les provinces qui ne sont pas signataires souscrivent à la formule de répartition utilisée pour le revenu imposable des corporations. Néanmoins, le système tolère une très grande diversité entre les régions et laisse aux provinces beaucoup de souplesse quant aux moyens à prendre pour prélever des revenus. Il y a pourtant un problème: c'est que ce système de coordination et d'harmonisation montre des signes de faiblesse. Ainsi, l'Alberta s'est retiré récemment des accords relatifs à l'impôt sur le revenu des corporations et a mis son propre système en place. La Colombie-Britannique a menacé de faire de même. Récemment, deux autres provinces, soit l'Ontario et l'Alberta, exprimaient publiquement leur intention de se retirer des accords relatifs à l'impôt sur le revenu des particuliers à moins que des changements n'y soient apportés. En 1979, le Québec institua un Régime d'épargne-action qui permet aux résidents de cette province de déduire jusqu'à 15 000 dollars de leur revenu imposable provincial, à la condition que le montant déduit serve à l'acquisition de nouvelles actions d'entreprises québécoises. Dernièrement, la Colombie-Britannique a adopté un crédit d'impôt pour l'habitation et l'emploi qu'Ottawa a accepté d'administrer, et ce, malgré le fait qu'il contribuera à ériger des barrières freinant la libre circulation des entreprises et du capital entre les provinces. Un processus qui a déjà été suffisamment flexible pour équilibrer les exigences d'une grande diversité régionale et les avantages économiques résultant d'un cadre fiscal cohérent sur le plan national ne semble plus, depuis peu, être à la hauteur des attentes qu'il a suscitées. Cet état de choses s'explique en partie par le fait qu'on lui impose beaucoup plus d'exigences qu'auparavant. Les provinces ont maintenant un éventail d'objectifs beaucoup plus large en matière de politique sociale et économique et se font, par conséquent, beaucoup plus insistantes quand il s'agit d'indiquer les politiques fiscales qu'elles privilégient. Lorsque les systèmes d'impôts sur le revenu fédéral et provinciaux sont imbriqués, une modification au système de revenu fédéral peut soulever de sérieuses difficultés puisque toute décision d'accroître ou de réduire le revenu imposable affectera nécessairement le niveau des revenus provinciaux. C'est pour cette raison que les provinces ont réclamé la tenue de consultations avant que de tels changements ne soient apportés et qu'elles ont souvent critiqué ce qu'elles pensaient être un refus du fédéral de répondre à leur requête. L'introduction de l'indexation de l'impôt sur le revenu des particuliers en 1974 et les modifications structurelles importantes annoncées dans le budget fédéral de novembre 1981 sont autant d'exemples d'initiatives fédérales unilatérales. (C'est en raison des changements annoncés dans le budget de novembre 1981 que le gouvernement de l'Ontario a considéré la possibilité de se retirer des Accords de perception fiscale). La règle du secret budgétaire rend le problème encore plus difficile puisqu'elle a comme conséquence d'exclure la possibilité de tenir des consultations avec les gouvernements provinciaux. Le même raisonnement s'applique à la connaissance du gouvernement fédéral en ce qui concerne les mesures proposées dans le cadre des budgets provinciaux. Il y a deux courants d'opinion au sujet des Accords de perception fiscale. Selon le premier courant, ces accords ne devraient pas être modifiés Jusqu'ici, les provinces ont toujours souscrit à ces accords en raison des avantages considérables qu'elles en retirent; un retrait en masse de leur part serait fort peu probable. Même si le processus de fragmentation se poursuivait, il se pourrait qu'il ne soulève pas un problème sérieux. Le système fiscal canadien est maintenant très bien coordonné, non pas en raison de la bonne volonté des politiciens et des fonctionnaires, mais surtout en raison du fait que les provinces, avec leurs économies ouvertes et petites, ne peuvent s'écarter des pratiques des autres gouvernements sans se nuire économiquement. Ayant une compétence souveraine au niveau local, elles sont, de toute façon, en droit d'agir de la sorte: de mauvaises décisions influenceront les résultats de la prochaine élection. Les autres provinces s'inspireront des bonnes décisions et les mettront en application alors que le gouvernement fédéral en reconnaîtra éventuellement la valeur. Le second courant d'opinion, sans nier la logique qui inspire les agents de la vie économique et ceux de la vie politique, admet cependant que certaines situations peuvent les amener à adopter des comportements mutuellement destructeurs. En réalité, une suite d'actions et de réactions peut faire en sorte que chacun se retrouve dans une situation pire qu'auparavant. Toutefois, des règles clairement définies au départ et qui auraient reçu l'assentiment de tous pourraient grandement contribuer à prévenir ce genre de comportement mutuellement destructeur. De cette analyse, les commissaires ont tiré certaines conclusions et recommandations. Les Accords de perception fiscale se sont avérés précieux pour le Canada. Ils sont très utiles aussi bien pour les citoyens que pour les gouvernements. Favorisant grandement le maintien de l'harmonisation fiscale, ils contribuent également à renforcer l'union économique. En conséquence, ils doivent être maintenus. Néanmoins, les Accords sont actuellement soumis à d'énormes tensions. Le rôle éminent des impôts provinciaux dans les finances publiques du Canada, la nature souvent acrimonieuse des négociations fiscales entre le gouvernement fédéral et les provinces et la tendance qu'ont les provinces à établir des systèmes d'impôt divergents, constituent tous des éléments qui soulèvent d'importantes questions. Les Canadiens souhaitent préserver ces accords, mais ils veulent le faire sans diminuer la responsabilité des législatures et la souplesse du régime. Les provinces ont deux préoccupations importantes en ce qui concerne les accords présentement en vigueur. En premier lieu, le gouvernement fédéral n'est pas tenu d'aviser au préalable les provinces de tout changement qu'il entend effectuer au niveau de l'assiette fiscale ou du barème des taux, en dépit du fait que ces modifications ont inévitablement des effets sur les revenus des provinces. Cependant, les Accords prévoient une garantie de revenus pour une année: lorsque les recettes d'une province sont diminuées de plus de 1 pour cent, suite à des changements effectués au niveau fédéral, cette province reçoit une indemnité au titre de cette perte pour une année fiscale. Cette mesure a pour objet de donner aux provinces assez de temps pour ajuster leurs taux en conséquence. Étant donné certaines différences relatives à la mise en oeuvre des Accords, toute modification fédérale unilatérale pose plus de problèmes au niveau de l'impôt sur le revenu des particuliers qu'à celui de l'impôt sur le revenu des corporations. Dans le cas des corporations, les taux provinciaux d'imposition s'appliquent à l'assiette fédérale. Ceci signifie que les revenus des provinces ne sont pas affectés par un changement des taux fédéraux: ils ne le sont que si l'assiette fédérale est modifiée. En ce qui concerne l'impôt sur le revenu des particuliers, les taux provinciaux sont appliqués après que le taux fédéral a été établi. Dès lors, la Commission recommande que les Accords soient modifiés de telle sorte que l'impôt sur le revenu des particuliers soit traité de la même façon que l'impôt sur le revenu des corporations. En d'autres mots, nous recommandons que les taux d'imposition provinciaux s'appliquent à l'assiette commune déterminée par la loi fédérale. Ceci aurait comme effet de rendre les provinces moins vulnérables aux modifications fiscales fédérales, tout en leur assurant une plus grande autonomie puisqu'elles seraient encore plus libres de décider du degré de progressivité de leur impôt. Les accords antérieurs de perception fiscale garantissaient des systèmes d'impôt uniformément progressifs à travers le pays. Cependant, le fait que les provinces aient été autorisées à introduire divers crédits d'impôt et des programmes d'exemption, dans le cadre de leur administration fiscale, a déjà altéré cette uniformité. En dépit du fait que les provinces et le gouvernement fédéral se partagent l'assiette fiscale et qu'ils ont, en vertu de la Constitution, un pouvoir égal d'imposition, c'est le gouvernement fédéral qui, dans le cadre des Accords détermine l'assiette pour les provinces. Certains spécialistes estiment que les assiettes devraient être établies conjointement dans le cadre de négociations entre les gouvernements participants et qu'aucun changement ne devrait être apporté sans l'assentiment de toutes les parties concernées. La Commission ne recommande pas une telle mesure. La nécessité d'obtenir l'accord de tous les gouvernements sur toute modification de l'assiette nuirait trop à la flexibilité du système et réduirait l'aptitude du gouvernement fédéral à rendre compte de ses activités financières devant le Parlement. En vertu du système actuellement en vigueur, une province peut se retirer des Accords de perception fiscale si elle juge inacceptables les actions du gouvernement fédéral. Or, la simple menace d'un retrait suffit à garantir que le gouvernement fédéral prendra en considération les intérêts des provinces. De plus, les provinces ont le droit, en vertu de ces Accords de réclamer différents types de crédits et d'exemptions d'impôt, ce qui leur donne une grande marge de manoeuvre. Le gouvernement fédéral consentira à gérer ces programmes provinciaux à la condition qu'ils répondent à trois critères: ils doivent être réalisables du point de vue administratif; ils doivent s'appliquer au revenu gagné dans la province concernée; et finalement, ils ne doivent pas entraver ou être susceptibles d'entraver l'union économique. La plupart des demandes des provinces à cet égard ont été acceptées, bien que certaines d'entre elles, comme la proposition de la Colombie-Britannique en vue d'établir un crédit d'impôt sur les dividendes de compagnies situées dans cette province, aient été refusées. Encore une fois, les raisons invoquées dans ce cas étaient, en règle générale, justifiées puisqu'une province peut se retirer des Accords pour mettre un programme en oeuvre. Le désir du gouvernement fédéral d'éviter de telles situations devrait le rendre sensible aux aspirations des provinces. Même si aucune modification importante ne paraît nécessaire, deux propositions additionnelles permettraient d'améliorer la coordination des systèmes d'impôt. Premièrement, compte tenu de notre désir de voir la règle du secret budgétaire atténuée, et pour favoriser un débat de fond sur les propositions budgétaires, au Parlement et dans les législatures provinciales, la Commission recommande qu'en élaborant toute modification fiscale pouvant avoir des conséquences importantes sur la relation entre les deux ordres de gouvernement, le gouvernement fédéral consulte au préalable les provinces En deuxième lieu, même si la Commission appuie le principe d'une révision quinquennale des arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, elle estime que le conseil des ministres des finances devrait élargir ce processus de consultation pour y inclure un examen régulier des pratiques en vigueur. Afin d'aider le Conseil dans l'exécution de ses tâches, la Commission recommande la création d'un comité fédéral-provincial du régime fiscal composé de fonctionnaires ayant pour mandat d'évaluer les définitions du revenu imposable, les exemptions de base, les taux marginaux et les questions connexes, et d'analyser la répartition de l'espace fiscal entre les deux ordres de gouvernement des champs de taxation, en tenant compte des revenus et des dépenses anticipés. La Commission tient à préciser que ces propositions ne visent qu'à ,. raffiner » un processus qui fonctionne déjà relativement bien. La coordination des arrangements fiscaux et l'harmonisation du système de perception fiscale sont deux grandes réalisations de notre régime fédéral. Les transferts intergouvernementaux. A la suite de l'augmentation des activités gouvernementales durant la période qui a suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, tous les régimes fédéraux ont eu de plus en plus recours aux accords de transferts intergouvernementaux. En vertu de ces arrangements, un ordre de gouvernement peut participer au financement de programmes d'un autre ordre de gouvernement en transférant des fonds ou un pouvoir de perception fiscale. Au Canada, le gouvernement fédéral transfère aux provinces des sommes d'argent et de « l'espace fiscal », alors que les gouvernements provinciaux transfèrent des montants aux gouvernements municipaux et aux administrations d'hôpitaux. Au Canada, ces transferts ont atteint des proportions considérables. En 1983-1984, le gouvernement fédéral a transféré aux provinces quelque 17,6 milliards de dollars en paiements en espèces. De ce montant, une somme équivalente à 5,5 milliards de dollars était allouée, sous forme de subventions, a à des fins générales » ou « inconditionnelles ». Il s'agissait surtout des paiements de péréquation. Le reste consistait en paiements au titre de programmes spécifiques. Les paiements en espèces effectués en vertu des arrangements de financement des programmes établis totalisèrent 7,6 milliards de dollars, ce qui constituait l'aide fédérale aux soins de santé et à l'enseignement postsecondaire. Une somme de 4,6 milliards de dollars était consacrée au financement d'autres programmes à frais partagés. Parmi ces derniers, le plus important était le Régime d'assistance publique du Canada qui représentait une somme de 3,1 milliards de dollars. De plus, les arrangements de financement des programmes établis, adoptés en 1977, répartissent la contribution fédérale relative à ces programmes entre une fraction à payer en espèces et un transfert de points d'impôts assujettis à la péréquation. Ce transfert représentait en 1983-1984 quelque 6,6 milliards de dollars. La valeur en dollars de tous ces transferts a triplé entre 1974 et 19849 L'importance de ces montants montre bien que la gestion des transferts intergouvernementaux s'avère fondamentale pour notre régime fédéral. Au cours des dernières années, deux ensembles de questions ont davantage retenu l'attention et pourraient soulever des problèmes à l'avenir. Le premier ensemble de questions consiste à se demander si le pouvoir qu'a le gouvernement fédéral de dépenser dans les domaines de compétence provinciale devrait être restreint ou non. En d'autres termes, jusqu'à quel point le gouvernement fédéral devrait-il pouvoir utiliser son pouvoir de dépenser pour projeter l'intérêt national dans des domaines qui ne relèvent pas de sa compétence? Le deuxième ensemble de questions concerne les tensions provoquées par les efforts des gouvernements en vue de limiter la croissance des dépenses et de réduire ainsi la taille des déficits du secteur public. En d'autres termes, de quelle façon les efforts déployés pour limiter les dépenses à un niveau affecteront-elles les programmes de l'autre niveau? Les compressions effectuées par un ordre de gouvernement auront-elles comme effet d'augmenter la demande de services à un autre niveau'? Ou auront-elles comme effet de diminuer la capacité financière de l'autre niveau de défrayer les coûts de ces programmes? D'une façon plus particulière, devrait-on maintenir ou même privilégier les transferts fédéraux aux provinces, étant donné que ces dernières en dépendent grandement? Bien que ces problèmes soient toujours latents dans un État fédéral, force est de constater qu'ils sont devenus, après 1980, particulièrement importants au Canada. Ils se sont manifestés en premier lieu, en 1982-1983, lors des débats portant sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur le financement des programmes établis. Ils se posèrent de nouveau un peu plus tard dans le cadre du débat portant sur la politique de soins de santé entourant l'adoption de la Loi sur la santé en 1983. L'historique. Les transferts intergouvernementaux ont joué un rôle-clé dans le processus d'adaptation du système fédéral canadien au nouveau rôle de l'État. Bien que plusieurs des nouvelles responsabilités gouvernementales aient manifestement relevé de la compétence des provinces, les coûts qu'elles comportaient se sont avérés souvent trop élevés pour les gouvernements provinciaux. A titre d'exemple, les programmes d'assurance-santé ou d'enseignement postsecondaire étaient trop coûteux pour que la plupart des gouvernements provinciaux puissent les financer à eux seuls. De plus, dans le domaine de l'enseignement postsecondaire, où la mobilité des diplômés signifiait que les dépenses effectuées par une province étaient converties en bénéfices pour une autre, les gouvernements provinciaux, agissant tous vraisemblablement dans leur propre intérêt, étaient incités à offrir des services moins importants que ce qui paraissait souhaitable d'un point de vue national. Pour pouvoir répondre à l'ensemble des besoins nationaux, l'aide du fédéral s'est donc révélé nécessaire. Étant donné les difficultés et les objections qu'un transfert constitutionnel de toutes ces compétences au gouvernement fédéral soulevait et compte tenu de la volonté unanime de préserver les avantages du fédéralisme, la solution résidait dans l'établissement de programmes à frais partagés, en vertu desquels le gouvernement fédéral devait défrayer une partie des coûts occasionnés par de nouveaux besoins. La mise en place de ce type de programme a constitué l'événement marquant du fédéralisme coopératif d'après-guerre, non seulement dans le domaine de la politique sociale mais également dans le cadre des programmes de développement économique, tel que la construction de l'autoroute transcanadienne. Il existe aujourd'hui des accords à frais partagés, importants et moins importants, bilatéraux et multilatéraux, dans presque tous les domaines et dans la quasitotalité des ministères du gouvernement. En vertu des programmes à frais partagés, il peut y avoir un grand éventail d'arrangements particuliers. D'une manière générale, ces arrangements peuvent être classés en deux grandes catégories: les arrangements de partage des coûts et les arrangements de financement global. Dans le cadre des arrangements de partage des coûts, le gouvernement fédéral consent à rembourser au Trésor provincial un pourcentage fixe (représentant généralement la moitié) des dépenses provinciales occasionnées par les programmes assujettis aux arrangements. Le meilleur exemple qu'on pourrait citer est le Régime d'assistance publique du Canada en vertu duquel le gouvernement fédéral rembourse cinquante pour cent des coûts associés aux programmes de bien-être et de services sociaux des gouvernements provinciaux, à condition que l'aide soit accordée à des personnes «qui en ont besoin ou qui sont susceptibles d'en avoir besoin ». Les arrangements relatifs au financement de l'enseignement postsecondaire en vigueur de 1967 à 1977 comportaient une légère variante, en ce sens que le gouvernement fédéral, en vertu de ces arrangements, remboursait cinquante pour cent des coûts de fonctionnement des institutions. Dans le cadre des arrangements de financement global, le transfert fédéral est moins directement associé aux coûts des programmes spécifiques. Il prend la forme d'un transfert dont la valeur par habitant est la même d'une province à l'autre: le transfert à la province est égal au montant par habitant multiplié par la population de cette province. Toutefois, les arrangements de financement global ne sont pas totalement sans rapport avec les dépenses reliées aux programmes. Ainsi, la subvention au titre de l'assurance-maladie était basée avant 1977 sur la moyenne nationale des coûts par habitant des programmes d'assurance-maladie, pour chaque année. Actuellement, le financement des programmes établis (FPE) constitue l'arrangement le plus important de financement global. En vertu de cet arrangement, le calcul des transferts du gouvernement fédéral aux provinces se fait de la façon suivante. Premièrement, les coûts de fonctionnement par habitant de l'assurance-santé et de l'enseignement postsecondaire sont établis pour l'année 1975-1976, année de base. Ensuite, la moitié de ce montant est augmentée chaque année selon un pourcentage égal à la moyenne mobile sur trois années des hausses nominales du produit national brut (PNB). Finalement, le résultat de ces calculs est multiplié par le chiffre de la population de la province pour l'année de versement du paiement. Le transfert qui s'ensuit se fait sous forme d'une contribution payable en espèces et d'« espace fiscal ». Il existe également des mécanismes de transfert mixtes. A titre d'exemple, entre 1957 et 1977, les transferts au titre de l'assurance-hospitalisation et des services diagnostiques, étaient basés sur 25 pour cent des dépenses encourues par chaque province et sur 25 pour cent de la moyenne nationale des coûts par habitant. Les arrangements à frais partagés peuvent être fondés sur une proportionnalité des coûts ou sur un financement global, et ils seront plus ou moins conditionnels selon qu'ils appartiennent à l'une ou l'autre catégorie. Dans le cadre des programmes hautement conditionnels, le gouvernement fédéral définit de façon très précise les termes et les conditions auxquels doivent souscrire les gouvernements dans la mise en oeuvre des programmes, pour pouvoir bénéficier de la subvention fédérale. En vertu des arrangements moins conditionnels, le gouvernement provincial reçoit des fonds peu importe la nature de ses programmes. Présentement, les arrangements relatifs au financement de l'enseignement postsecondaire sont hautement inconditionnels. En effet, les provinces reçoivent des transferts quels que soient les services d'enseignement postsecondaire qu'ils offrent en retour. Inversement, les arrangements actuels relatifs au financement de l'assurance-santé en vertu du financement des programmes établis (FPE) et de la Loi sur la santé au Canada, sont hautement conditionnels. Les programmes d'assurance-santé des provinces doivent répondre à des normes clairement définies, faute de quoi les provinces risquent d'être pénalisées sur le plan financier. Finalement, tel qu'il a déjà été mentionné, les accords de transfert peuvent stipuler que les transferts se feront sous forme de paiements en espèces ou d'« espace fiscal » que le gouvernement fédéral cède au Trésor provincial. Les arrangements de FPE, par exemple, stipulent que le gouvernement fédéral doit céder 13,5 points de pourcentage sur le revenu des particuliers et 1,0 point de pourcentage du revenu des corporations, afin que les provinces puissent « occuper » cet espace fiscal et en percevoir les recettes. Cet espace fiscal cédé par le gouvernement fédéral devait, à l'origine, représenter la moitié du transfert total au titre du FPE. Lorsque le financement est assuré par le transfert d'impôts, le contrôle exercé par le gouvernement fédéral sur les programmes provinciaux diminue parce que, contrairement aux contributions en espèces, les points d'impôt ne peuvent être réduits ou retirés. De plus, les provinces ne les conçoivent pas comme catalogués ou destinés à des programmes spécifiques, mais comme faisant plutôt partie de leurs revenus généraux. Au gouvernement fédéral qui s'inquiétait de ce que les transferts en espèces et en impôts au titre de l'enseignement postsecondaire pouvaient être détournés vers d'autres fins, les trésoriers provinciaux ont eu tendance à répliquer qu'en vertu du FPE, il n'existait plus de lien direct entre le transfert et des fins particulières. A leur avis, le transfert pouvait être utilisé à toute fin provinciale, quelle qu'elle fut. Alors que le gouvernement fédéral considérait ces transferts comme des « incitations » ayant pour objet d'influencer les priorités des provinces, ces dernières tendaient à les considérer comme inconditionnels. Tous ces éléments réunis donnent une image déconcertante des arrangements relatifs aux transferts intergouvernementaux. Cependant, leur complexité rend au moins un grand service aux gouvernements canadiens: elle confère à ces accords une très grande souplesse. Par exemple, si nous aspirons, en tant que Canadiens, à décentraliser davantage notre système fiscal et à accorder aux provinces plus de pouvoirs et plus d'autorité, nous tendrons à nous orienter vers un financement global assorti de très peu de conditions et un transfert important de points d'impôt. On peut, par ailleurs, envisager d'imposer des conditions qui soient clairement définies, afin d'en arriver à un niveau de centralisation plus grand et à l'établissement de normes nationales. Les gouvernements fédéral et provinciaux se sont interrogés sur la nature des accords de transferts, chaque fois qu'un programme d'envergure à frais partagés a été introduit. Au cours des années 1950 et au début des années 1960, la plupart des gouvernements, sauf celui du Québec, semblaient admettre de façon générale que ces programmes constituaient un outil approprié pour assurer le respect de normes nationales et pour fournir à tous les Canadiens un large éventail de services gouvernementaux adaptés aux besoins de l'époque. Les provinces ont elles-mêmes réclamé, à maintes reprises, une participation fédérale plus importante au financement des domaines de compétence provinciale évoluant rapidement. Ce consensus commença à s'effriter vers les années 1960. Les gouvernements du Québec avaient rejeté l'idée des programmes à frais partagés bien avant le début des années 1960, en alléguant que l'utilisation du pouvoir fédéral de dépenser, en vue d'envahir des champs de compétence provinciale et d'imposer des valeurs « nationales » au Québec, était inconstitutionnelle. Cette attitude essentiellement négative à l'égard des programmes fédéraux n'a fait que se renforcer à partir du début des années 1960, alors que les différents gouvernements du Québec s'identifièrent à l'État québécois et s'employèrent à accroître leurs programmes et à développer la société québécoise. Il ne s'agissait donc pas uniquement de limiter les interventions fédérales, mais également d'accroître le pouvoir fiscal de la province pour être en mesure d'atteindre les objectifs qu'elle s'était fixé. En conséquence, on adopta en 1964 la Loi sur les programmes établis (Arrangements provisoires) qui permettait à toute province de se retirer d'un grand nombre de programmes conjoints et de recevoir, par le truchement de points d'impôt et de paiements « d'appoint », des fonds équivalents au montant que le gouvernement fédéral aurait dépensé au titre de ce programme, si la province avait choisi d'y participer. Le Québec fut la seule province à se prévaloir de son droit de retrait en vertu des arrangements. Au fur et à mesure cependant que se consolidait l'État-providence, les autres provinces, se sentant plus aptes à gérer leurs propres affaires, s'opposèrent de plus en plus aux nouvelles initiatives du gouvernement fédéral. Elles devinrent aussi beaucoup plus critiques face à son « ingérence », soutenant que celle-ci bouleversait leurs priorités, assujettissait la planification fiscale provinciale aux décisions capricieuses du fédéral et réduisait la flexibilité du gouvernement provincial, en incitant les législatures à privilégier les programmes bénéficiant des largesses fédérales, au détriment des autres programmes. D'autres tensions apparurent au cours des années 1970. Premièrement, le gouvernement fédéral se préoccupa du fait que le retrait du Québec et son acceptation des points d'impôt lui avaient conféré de facto un statut particulier. Par conséquent, il chercha des façons de rétablir l'équilibre entre les provinces. Deuxièmement, le gouvernement fédéral se préoccupa davantage de contrôler la croissance de ses propres dépenses. L'engagement qu'avait pris le gouvernement fédéral de défrayer 50 pour cent des coûts des programmes signifiait que les décisions des provinces déterminaient une grande partie des dépenses fédérales. De plus, le gouvernement fédéral s'inquiétait du fait que les programmes à frais partagés incitaient très peu les provinces à réduire leurs dépenses. En vertu de ces arrangements, les provinces pouvaient compter sur « cinquante cents par dollar » pour faire face à de nouvelles dépenses. Par ailleurs, en limitant leurs dépenses, les trésors provinciaux ne gardaient que la moitié seulement de leurs épargnes. Toutes ces contraintes amenèrent le gouvernement fédéral à opter en faveur d'arrangements fiscaux moins centralisés et préparèrent le terrain pour l'adoption de la Loi sur le financement des programmes établis de 1977. Les détails de ces arrangements étaient compliqués, mais leurs principes étaient assez clairement définis. L'objectif de décentralisation serait réalisé par certaines mesures telles que le financement global et les transferts de points d'impôt. Quant à l'objectif de décentralisation de l'enseignement postsecondaire, il serait atteint en éliminant tout lien direct entre soit les dépenses au titre des programmes, soit les termes et les conditions relatifs aux programmes. Les coûts seraient réduits en rompant le lien entre les paiements et les coûts des programmes en vigueur. Dès lors, les paiements seraient déterminés en fonction de l'augmentation du PNB, laquelle, à l'époque, était généralement inférieure à celle des dépenses au titre des programmes. Les contributions fédérales seraient contrôlées et les provinces seraient encouragées à limiter l'augmentation de leurs dépenses. De plus, étant donné que les paiements se feraient sous la forme de paiements en espèces et d'un transfert de points d'impôt, toutes les provinces se trouveraient dans une situation comparable à celle du Québec. La mise en place de ces arrangements a constitué un pas important vers une plus grande autonomie des provinces, vers un « démêlage » des responsabilités fédérales et provinciales et vers la modération des dépenses. La flexibilité sous-jacente aux arrangements de transferts intergouvernementaux fut à nouveau démontrée. Toutefois, l'objectif de décentralisation ne fut pas atteint sur tous les plans. Les conditions se rattachant à l'assurance-hospitalisation et à l'assurance-maladie demeurèrent inchangées. De plus, les provinces consentirent à tenir des consultations avec le gouvernement fédéral sur les dépenses relatives à l'enseignement postsecondaire. En 1982, la situation avait changé. En premier lieu, l'inflation rapide du PNB nominal eut comme effet d'augmenter les transferts encore plus rapidement que s'ils avaient été liés aux dépenses. Puis, en raison d'une garantie comprise dans la formule de FPE (garantie selon laquelle la valeur des points d'impôt transférés aux provinces serait toujours, au moins, égale à la valeur des paiements en espèces), lorsque la récession sévit et que les rendements des points d'impôt diminuèrent, la part des paiements en espèces dans la valeur totale des transferts augmenta. En outre, comme les transferts n'étaient dorénavant plus fonction des dépenses au titre des programmes, le gouvernement fédéral eut le sentiment qu'il avait perdu le peu de contrôle qu'il avait déjà exercé sur le contenu des programmes et sur leurs normes. Dans un certain sens, les provinces n'ont fait rien de plus que ce que les arrangements de FPE les incitaient à faire, c'est-à-dire qu'elles limitèrent leurs dépenses à la fois dans les programmes de soins de santé et dans ceux de l'enseignement postsecondaire. Dans le secteur de la santé, plusieurs provinces eurent recours aux « frais aux usagers » et à la « facturation additionnelle » en vue de permettre aux trésors publics de diminuer les coûts des programmes de santé et, conséquemment, de réduire les dépenses provinciales, mais non pas les dépenses fédérales. Ceci laissa le gouvernement fédéral sur l'impression que les fonds étaient utilisés à d'autres fins, le résultat étant que la part des coûts défrayés par le gouvernement fédéral augmentait rapidement, particulièrement dans le secteur de l'enseignement postsecondaire. De plus, le public en général s'opposa à ces réductions et surtout aux frais aux usagers et à la facturation additionnelle, et réclama une intervention du gouvernement fédéral. Enfin, dans le sillage du référendum au Québec et du débat constitutionnel, le gouvernement fédéral était devenu de plus en plus préoccupé par la décentralisation fiscale et l'érosion du pouvoir fédéral. Il estima qu'il avait fait trop de concessions aux provinces, ce qui avait eu comme conséquence de diminuer sa capacité d'influencer les programmes d'une importance capitale, de répondre de ses dépenses devant le Parlement et de maintenir des liens directs avec les citoyens. Le gouvernement fédéral considéra qu'il était temps de rétablir l'équilibre. En 1982, il s'appliqua à reprendre un certain contrôle sur l'ensemble de ses dépenses et à recouvrer une certaine influence sur ses programmes. Il fixa un plafond sur les transferts au titre de l'enseignement postsecondaire et fit part de son intention d'engager des négociations, dans le but d'élaborer des normes nationales et de circonscrire de façon précise le rôle du gouvernement fédéral dans ce domaine. Il poursuivit également l'élaboration de la Loi sur la santé. L'objectif consistait à définir clairement les conditions qui avaient été établies au départ lors de la mise en place du programme, soit l'universalité, la transférabilité, l'accessibilité, une couverture complète et une gestion gouvernementale. De plus, il entreprit d'éliminer les frais aux usagers et la facturation additionnelle en menaçant les provinces qui y avaient recours de réduire, dollar pour dollar, les montants des transferts qui leur étaient accordés par le gouvernement fédéral. Aucun de ces sujets ne fit l'objet d'une entente fédéraleprovinciale, mais, comme il s'agissait de programmes fédéraux de dépenses, le gouvernement fédéral put procéder unilatéralement. Le débat qui eut lieu entre les gouvernements porta sur les détails complexes de différentes formules de remplacement pour les arrangements de transfert. Mais au cours de ce débat on souleva une question plus fondamentale concernant la voie que le Canada devrait suivre en 1982. D'une part, on pouvait aller plus loin sur la voie indiquée dans les arrangements de FPE de 1977 et continuer à décentraliser les arrangements de transfert, en faisant en sorte que les transferts se fassent entièrement sous forme de paiements de points d'impôts assujettis à la péréquation, en y intégrant le Régime d'assistance publique du Canada et en éliminant les conditions sous-jacentes aux programmes de soins de santé et d'assurance-hospitalisation. D'autre part, il aurait été possible de se retirer des arrangements de 1977 et d'opter en faveur d'arrangements de financement plus conditionnels, en exigeant des provinces qu'elles justifient davantage au gouvernement fédéral l'utilisation des transferts fédéraux, et en définissant une politique plus précise concernant le rôle du gouvernement fédéral. Il se pourrait que le FPE ait bien satisfait aux exigences politiques du moment, mais il se situe néanmoins entre ces deux solutions. Selon un observateur, cet état de choses a contribué à l'instabilité des arrangements. Les conclusions qu'il tire au sujet de l'enseignement postsecondaire s'appliquent également aux autres secteurs d'activités: Le gouvernement du Canada doit décider si, oui ou non, il doit y avoir une relation directe entre les transferts au titre de l'EPS (l'enseignement postsecondaire) et les programmes provinciaux. S'il estime qu'il devrait y en avoir, alors l'échelle et/ou le taux de croissance des paiements de transfert fédéraux devrait être fonction d'une certaine mesure de l'échelle ou du taux de croissance des dépenses dans les provinces, au titre de l'EPS [...]. Si, d'un autre côté. le gouvernement du Canada a uniquement l'intention de verser aux provinces des subventions per capita sans condition [...], on devrait alors supprimer, dans la Loi, toute référence à l'enseignement postsecondaire. C'est aussi simple que cela. Les questions soulevées par le EPE et par la Loi sur la santé débordent sur questions plus générales portant sur le pouvoir fédéral de dépenser et sur rôle en matière de politiques publiques au Canada. Le pouvoir fédéral de dépenser. La plupart des programmes à frais partagés de même que plusieurs autres (tels que celui des allocations familiales), en vertu desquels des sommes d'argent sont octroyées dans certaines conditions aux individus, caractérisent l'exercice du pouvoir fédéral de dépenser. Celui-ci est habituellement considéré comme l'un des grands pouvoirs discrétionnaires du gouvernement fédéral. Toutefois, à la différence des pouvoirs déclaratoire et de désaveu, le pouvoir de dépenser n'est nulle part explicitement défini. L'on retient donc qu'il découle de principes plus généraux. Il dérive en partie du pouvoir de prérogative de la Couronne-puisque tous les revenus publics lui appartiennent - laquelle est « une personne susceptible de faire des donations, de conclure des contrats comme tout un chacun et d'en faire bénéficier qui elle veut ». La Constitution exige seulement que la Couronne reçoive l'approbation du Parlement ou d'une législature. Ce n'est que lorsque cet assentiment a été obtenu que le gouvernement peut répartir les revenus comme il l'entend. Dans cette perspective, le donateur de fonds publics a le pouvoir d'établir des conditions à l'allocation des subsides et le bénéficiaire a le droit de les refuser. « On a souvent reconnu le caractère bien fondé du pouvoir de dépenser en se référant à l'article 91(1A) de la Loi constitutionnelle de 1867, visant a [...] La dette et la propriété publiques » et à l'article 102 qui permet la création d'un Fonds consolidé du revenu. On a souvent dit que les énoncés de ces deux articles conféraient au gouvernement fédéral le droit de dépenser à n'importe quelle fin [...] pourvu que la législation ne crée pas un cadre réglementaire qui tombe sous le coup des pouvoirs provinciaux. » Il est étonnant de constater que le pouvoir de dépenser n'a pas fait l'objet sur le plan constitutionnel, d'examens approfondis de la part des tribunaux. Les accords concernant le partage des frais entre le fédéral et les provinces n'ont pas fait l'objet de contestations juridiques importantes et il ne semble pas qu'il y ait de restrictions constitutionnelles au pouvoir détenu par le fédéral d'accorder dans certaines conditions des subsides aux provinces A la rigueur, les provinces sont protégées par le pouvoir qu'elles ont de refuser de prendre part à ces arrangements, lequel peut néanmoins s'avérer, sur le plan politique, plus théorique que réel. Un autre domaine d'incertitude au niveau constitutionnel concerne les subsides accordés par le gouvernement fédéral aux individus et aux institutions, notamment lorsque de tels subsides pourraient être considérés comme donnant lieu à une forme de contrôle dans un domaine de compétence provinciale. Là encore, le fait qu'il n'existe qu'une jurisprudence limitée à cet égard ne facilite pas la tâche. La limitation du pouvoir fédéral de dépenser est une question qui appartient au domaine politique. La Commission souligne qu'il y a un certain nombre de facteurs dont il faut tenir compte. Premièrement, le gouvernement fédéral a le droit et le devoir, au nom de tous les citoyens et de la communauté politique nationale, de répondre aux besoins qui se manifestent et de changer d'attitude face aux intérêts nationaux. L'histoire démontre que l'intérêt national n'a pas un caractère immuable. Bien au contraire, celui-ci évolue en fonction des changements qui se produisent sur la scène internationale, en fonction des questions d'actualité, des changements de mentalités et d'aspirations. Certaines questions, jugées autrefois d'intérêt purement local, peuvent s'avérer et s'avèrent en fait d'intérêt national, exigeant la recherche de solutions à ce niveau. Il arrive souvent que l'action des gouvernements provinciaux à l'égard de certaines questions ne peut laisser le gouvernement fédéral indifférent, même si elle s'exerce dans le cadre des compétences provinciales. Lorsque le gouvernement fédéral n'a pas de pouvoir constitutionnel et que les provinces sont incapables ou n'entendent pas réagir avec empressement aux nouvelles attentes, il est possible dorénavant, comme par le passé, de plaider en faveur d'un élargissement du pouvoir fédéral d'avancer des propositions concernant des programmes à frais partagés. Cependant, si l'on se réfère aux fondements mêmes du fédéralisme, il appert que ce pouvoir ne devrait pas s'exercer en-dehors de toute contrainte. Si le pouvoir de dépenser contribue en effet à donner au système fédéral la souplesse qui lui est nécessaire, il peut, à l'extrême, arriver jusqu'à l'ébranler en rendant moins nettes les différences entre les responsabilités des gouvernements fédéral et provinciaux. Du point de vue pratique, les conditions imposées par le fédéral au niveau des programmes à frais partagés, particulièrement celles qui sont modifiées fréquemment et sans consultation préalable des gouvernements provinciaux, peuvent entraver les efforts des provinces en vue de planifier et de rationaliser leurs activités et entraîner également des interventions de nature éventuellement arbitraire et gênante de la part du fédéral dans les systèmes administratifs provinciaux. Pour juger du bien-fondé du pouvoir fédéral de dépenser, il nous faut concilier d'une part l'intérêt national ainsi que les changements de valeurs et d'objectifs nationaux qui s'y rattachent, et d'autre part la nécessité de préserver le caractère diversifié du fédéralisme ainsi que l'intégrité des administrations provinciales. Trois autres facteurs méritent également considération. La réforme de nos institutions doit s'attarder en premier lieu à l'aspect de la responsabilité. Certains s'opposent sérieusement à l'utilisation du pouvoir de dépenser pour promouvoir les programmes à frais partagés, ceux-ci pouvant porter atteinte à la responsabilité des deux niveaux de gouvernement. En effet, les provinces dépensent des sommes d'argent qu'elles n'ont pas eu à collecter. Le gouvernement fédéral, pour sa part, transfère des fonds aux provinces, en exerçant très peu de contrôle sur la manière dont elles dépensent cet argent. Les citoyens ne peuvent tenir le gouvernement fédéral responsable, puisqu'ils reçoivent les services non pas directement de celui-ci mais par l'intermédiaire des provinces. De même, le Parlement ne peut tenir le gouvernement fédéral responsable, puisque ce dernier est dans l'impossibilité d'indiquer de manière précise comment les fonds ont été utilisés. En vertu des arrangements financiers des programmes établis, la rupture entre les montants transférés et les coûts associés aux programmes, ainsi que l'absence de normes de mise en application efficace des programmes ou de mécanismes d'application, ont contribué à accentuer le problème. Les principes de responsabilité peuvent mener au désengagement. De manière générale, celui-ci pourrait se faire, soit en transférant la responsabilité complète de ces programmes au gouvernement fédéral, soit en transférant la totalité des revenus nécessaires aux provinces. La première solution ne pourrait pas fonctionner, dans le système fédéral canadien, en ce qui a trait aux programmes de santé et d'enseignement, mais pourrait utilement s'appliquer à l'égard d'autres programmes moins litigieux. Quant à la seconde, elle restreindrait sérieusement la possibilité du gouvernement fédéral d'agir dans l'intérêt national au nom de tous les Canadiens. Une autre alternative pourrait consister, par ailleurs, en l'élaboration de conditions précises d'application et de financement des programmes: en vertu d'une législation adéquate, le Parlement pourrait tenir le Cabinet fédéral responsable de ses dépenses si ce dernier, en retour, pouvait tenir responsables les provinces des dépenses des fonds fédéraux qui leur sont transférés. La flexibilité constitue un autre critère qui peut être conçu de deux manières. Dans une perspective historique plus large, on constate que le pouvoir de dépenser et les programmes à frais partagés ont constitué d'importants mécanismes de souplesse à la disposition du système fédéral. A l'inverse, les conditions inspirées par le fédéral peuvent diminuer la marge de manoeuvre des provinces dans l'application des programmes Un exemple classique demeure le programme d'assurance-hospitalisation, lequel, mettant l'accent sur les services d'urgence, limite ainsi la recherche en matière de médecine préventive, de soins aux malades chroniques et des services après soins. Certains observateurs affirment avec force que la Loi sur la santé au Canada récemment promulguée, en introduisant des sanctions fédérales plus sévères contre l'application de frais aux usagers et la facturation additionnelle, en réaffirmant et en redéfinissant les conditions initialement établies dans le cadre de l'établissement des programmes, et en précisant la façon dont les provinces peuvent négocier avec les professionnels de la santé au sujet du montant des honoraires, a sérieusement diminué la capacité des provinces à mettre en place des systèmes de distribution plus efficaces. On peut, en dernier ressort, opter pour une diminution des coûts liés à la gestion et au processus décisionnel. Cette considération mérite d'être précisée. Plus les conditions établies dans le cadre des programmes à frais partagés seront précises, plus les ressources bureaucratiques affectées aux tâches de négocier, de surveiller et de faire rapport seront importantes et, par là même plus la possibilité qu'il y ait des conflits au niveau de la bureaucratie sera grande. Ces divers facteurs ont amené la Commission royale d'enquête sur les relations entre le Dominion et les provinces (la Commission Rowell-Sirois) à mettre en garde contre les « problèmes reliés à la séparation des pouvoirs » et à plaider en faveur du maintien, autant que possible, du principe d'un cloisonnement bien « étanche » des compétences. Elle a donc recommandé qu'il y ait un transfert de compétences seulement lorsqu'une action du gouvernement fédéral s'avère essentielle et que l'on ne recoure aux programmes à frais partagés qu'en tout dernier ressort. Comment peut-on à la fois concilier ces divers points de vue et définir quelle est la meilleure façon pour le fédéral d'exercer son pouvoir de dépenser? Au cours des deux dernières décennies, ceux qui plaidaient en faveur d'un changement ont avancé un certain nombre de propositions en vue de définir plus précisément ce pouvoir. Il y a eu un consensus largement répandu, même au sein des gouvernements fédéraux successifs, à l'effet que le pouvoir de dépenser devait être l'objet de certaines réserves ou de certaines restrictions. Diverses solutions ont donc été envisagées. L'une d'elles consistait à abolir l'exercice du pouvoir de dépenser dans les domaines qui relevaient des compétences provinciales. Au nom du fédéralisme, cette proposition n'a guère été acceptée, car elle pouvait avoir pour conséquence de rendre le système beaucoup trop rigide. En effet, étant donné que d'emblée les provinces privilégiaient les programmes à frais partagés, en tant qu'aide financière dans les domaines qui évoluaient rapidement, cette proposition aurait, selon toute probabilité, semblé tout aussi inacceptable à plusieurs gouvernements provinciaux qu'au gouvernement fédéral. La Commission rejette donc elle aussi cette solution. Une deuxième solution consisterait à soumettre le pouvoir fédéral de dépenser dans les domaines de compétence provinciale, à une certaine forme d'approbation. Cette approche est sans doute celle qui a été la plus largement débattue. Entre autres, les gouvernements provinciaux, le Parti libéral du Québec, les auteurs du Rapport de la Commission Pépin-Robarts et l'Association du Barreau canadien ont proposé divers moyens. Selon ces groupes, l'une des solutions à l'absence d'un consensus au niveau des provinces serait de réformer le Sénat de manière à ce qu'il soit composé de représentants nommés directement par les provinces. Ce consentement pourrait être également obtenu lors d'une conférence des Premiers ministres ou par le biais de la formule de modification constitutionnelle, en recueillant les votes favorables d'un nombre déterminé de législatures provinciales. En 1969, le gouvernement fédéral a proposé que le pouvoir fédéral de dépenser fasse l'objet d'un énoncé explicite dans la Constitution, que le pouvoir qu'il détient d'accorder des subsides de façon inconditionnelle ne soit pas soumis à des restrictions et que les subsides accordés sous conditions concernant les programmes fédéral-provinciaux, reconnus comme étant de compétence provinciale, fassent l'objet de « l'assentiment » national, avant que le Parlement n'exerce son pouvoir. Un tel consensus serait conjointement obtenu du Parlement et des législatures provinciales. Dans le cadre des discussions constitutionnelles qui ont eu lieu par la suite entre 1979 et 1981, le gouvernement fédéral a exprimé également sa volonté d'obtenir le consentement d'un nombre important de provinces. De telles propositions réaffirment le principe du fédéralisme en ce qu'elles constituent une très grande incitation pour le gouvernement fédéral de considérer d'abord sa propre juridiction et d'engager des consultations avant d'agir et ce, afin d'accroître ses chances d'obtenir le consentement nécessaire des provinces. Elles assurent également la tenue d'un très vaste débat. En effet, le gouvernement fédéral serait tenu d'avoir la faveur du public à l'égard de ses propositions et les provinces devraient justifier leur opposition dans leur législature respective et auprès de leurs électeurs. Il est fort probable que la plupart des programmes importants actuellement en vigueur aient été conçus dans cet esprit. Toutefois, compte tenu du plus grand pouvoir de négociation dont les provinces jouiraient dans ce cas, il est permis de penser que leurs législatures pourraient bien invoquer la nécessité du consentement pour bénéficier de meilleures conditions de la part du gouvernement fédéral ou exercer davantage leur influence dans d'autres domaines de politique. Les commissaires ne sont pas portés à favoriser des mécanismes de consentement qui soient trop rigides ou qui puissent empêcher indûment le Parlement du Canada d'exercer ses droits légitimes et d'assumer ses responsabilités. Une troisième solution se rapporte au pouvoir de retrait des provinces que nous avons largement expérimenté par le passé. Ce principe a été incorporé dans le processus de modification de la nouvelle constitution. De fait, le droit de retrait d'un programme à frais partagés a toujours existé; aucune province n'est obligée constitutionnellement d'y participer. De plus, cette solution diminue de manière importante les dépenses encourues par les provinces, du fait que des paiements de compensation ou d'« équivalence fiscale » leur sont alloués. Ainsi, l'Association du Barreau canadien a recommandé que toute province soit en droit de se retirer d'un programme et de recevoir une compensation égale aux montants qu'elle aurait reçus du gouvernement fédéral, en autant que cette province accepte les dispositions relatives à la mobilité interprovinciale. La proposition fédérale de 1969 prévoyait également une compensation fiscale sous forme toutefois de subsides aux citoyens plutôt qu'aux gouvernements provinciaux. De sérieuses objections ont été soulevées à l'encontre du pouvoir de retrait. En effet, on craignait que le Canada ne devienne un pays fragmenté, car quelle serait la valeur de « normes nationales » si elles s'appliquaient dans certaines provinces et non dans d'autres? Est-ce que les parlementaires fédéraux auraient le droit de voter sur des programmes qui ne s'appliquent pas dans leurs provinces d'origine? Pour quelle raison des revenus du fédéral devraient-ils être remis entre les mains des gouvernements provinciaux qui n'entendent pas participer à des programmes nationaux, même si ces programmes ont reçu l'approbation générale du public et qu'ils sont constitutionnels? Cependant, malgré ces divers arguments défavorables, on a défendu le principe du pouvoir de retrait en affirmant qu'il offrait un plus grand degré de flexibilité dans le système fédéral. Il permet, en particulier, de reconnaître le caractère distinctif du Québec, tout en évitant une situation où celui-ci pourrait être en mesure de bloquer un programme qui serait considéré comme hautement souhaitable dans d'autres régions du pays. Le pouvoir de dépenser s'est avéré un outil précieux de préservation de la flexibilité du système et d'adaptation aux intérêts changeants de la Nation. La Commission estime qu'il faut conserver ce pouvoir sous réserve d'un certain nombre de lignes directrices. En premier lieu, bien que la Commission croie que ce pouvoir est et devrait être étendu, elle n'en demeure pas moins convaincue qu'il n'est pas illimité. Elle estime qu'il est approprié d'établir une distinction judiciaire entre la législation fédérale, qui attribue des subsides ou des dons, et celle qui implique une réglementation directe dans les domaines de compétence provinciale. A titre d'exemple, il lui semble justifié, en vertu de la Constitution, que le fédéral accorde des prêts, des crédits d'impôt ou des subsides aux étudiants de niveau postsecondaire. Cependant, si ceux-ci étaient soumis à la condition que les universités établissent des critères particuliers d'admission, ils pourraient alors être considérés comme une ingérence du fédéral dans les domaines de compétence provinciale. La Commission est d'avis qu'il serait utile que la Cour suprême détermine avec précision les limites constitutionnelles lorsqu'elle devra se prononcer à l'avenir à l'occasion de litiges portant sur ces questions. Deuxièmement, la Commission estime, dans la foulée du Rapport de la Commission Rowell-Sirois, qu'en principe le gouvernement fédéral ne devrait avoir recours à la formule des programmes à frais partagés qu'en dernier ressort plutôt qu'en premier lieu. En effet, il serait souhaitable que dans plusieurs cas, les activités reliées aux programmes à frais partagés, concordent entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Cependant, il semble qu'en général, l'esprit de responsabilité et le caractère défini des champs d'activités soient mieux garantis lorsqu'un gouvernement établit des programmes dans le domaine de ses compétences. Troisièmement, l'exercice du pouvoir de dépenser dans un domaine de compétence provinciale doit faire l'objet d'un consensus à l'échelle nationale. Un sénat réformé comportant une représentation régionale plus importante pourrait s'avérer un moyen sûr de parvenir à cette fin. Toutefois, étant donné d'une part, que le Sénat serait composé d'individus et non de gouvernements, et que d'autre part ce sont les gouvernements qui ont la responsabilité de voir au déroulement et à la gestion des programmes à frais partagés, il est peu probable que même un Sénat réformé puisse constituer une solution de rechange valable. Les gouvernements provinciaux doivent être consultés directement sur toute question. Le conseil des ministres des gouvernements fédéral et provinciaux devrait s'avérer un mécanisme efficace de consultation. La Commission va encore plus loin et suggère que le Premier ministre fasse tous les efforts nécessaires en vue d'obtenir un consensus général de la part des Premiers ministres préalablement à toute initiative fédérale en matière de législation. En vertu des arrangements présentement en vigueur, la consultation a presque toujours lieu autour de nouveaux programmes en raison du fait que leur succès n'est assuré que si les provinces consentent à y participer. Cependant, il est encore plus essentiel de recourir à une consultation lorsque le gouvernement fédéral entend modifier les termes et les conditions associés à un programme ou l'abroger. Les provinces ayant déjà accepté d'y participer, il leur est, par conséquent, difficile de réagir à ces changements en décidant de se retirer. C'est pourquoi la Commission estime que les provinces devraient être avisées longtemps à l'avance et qu'il devrait y avoir place pour un débat avant que des modifications au niveau des conditions soient apportées ou que l'on décide d'abroger des programmes. Il pourrait être de pratique courante, par exemple, de concevoir des programmes à frais partagés qui seraient applicables sur une période de cinq ans, comme c'est le cas en ce qui a trait aux arrangements fiscaux. On renégocierait le programme tous les cinq ans sans toutefois qu'aucun gouvernement ne puisse modifier les conditions établies, de façon unilatérale, au cours de cette période Enfin, la Commission croit que la souplesse du système ainsi que les possibilités d'innovation seront accrues dans la mesure où les conditions reliées aux programmes à frais partagés seront énoncées en termes de buts et de fins à atteindre et que le gouvernement fédéral ne dictera pas de mesures précises à prendre sur le plan administratif, mais laissera ce soin à l'initiative des provinces. Le fédéralisme et les mesures de restriction fiscale. Si des conflits importants doivent se produire à l'heure actuelle au niveau des relations fédéralesprovinciales, ils concerneront les questions d'impôt, notamment celles ayant trait à la diminution de la portée des programmes et à leur réaménagement en raison de considérations financières. Encore une fois, le problème résulte de l'interdépendance et de la probabilité que dans un avenir prévisible les gouvernements cherchent tous à réduire leurs dépenses et à gérer leurs finances. Les efforts entrepris dans ce sens par un niveau de gouvernement vont avoir inévitablement des conséquences sur la situation budgétaire des autres niveaux de gouvernement. Un tel développement peut survenir de diverses manières, même lorsqu'il ne se produit aucun transfert fiscal et que chaque niveau de gouvernement agit dans le cadre de sa propre sphère de compétence. Ainsi, des dispositions fédérales plus restrictives sur l'assurance-chômage pourraient faire augmenter la demande de services de bien-être dans les provinces. En retour, les provinces pourraient tenter de réduire le fardeau financier relatif au bien-être en instaurant des programmes de main-d'oeuvre à court terme qui dureraient suffisamment longtemps pour permettre aux participants d'être admissibles aux prestations d'assurance-chômage. De manière plus générale, les restrictions imposées dans presque tous les domaines par un gouvernement pourraient vraisemblablement exercer des pressions sur un autre gouvernement pour que ce dernier se voit dans l'obligation de combler le vide. La Commission n'entend pas présenter de recommandation sur cette question mais simplement susciter une prise de conscience. Les transferts intergouvernementaux sont des questions d'un intérêt plus particulier. Les conditions fiscales étant devenues beaucoup plus volatiles au cours des dernières années, les gouvernements ont donc pris des mesures qui touchent les montants de transferts, en vue d'introduire une série de changements modifiant la péréquation afin de s'adapter à l'escalade des revenus de pétrole et de gaz au cours des années 1970, de couvrir les transferts ayant subi une hausse dans les domaines de l'enseignement postsecondaire et de l'assurance-santé au milieu des années 1970, ou plus récemment, et de couvrir les transferts au titre de l'enseignement postsecondaire soumis au programme de lutte à l'inflation du « six et cinq 1) pour cent. On peut se poser la question suivante, à savoir si on ne devrait pas, d'une certaine façon, protéger de tels transferts contre tout changement d'ordre budgétaire. D'un certain point de vue, il semblerait que oui. Ce raisonnement est fondé sur la nécessité que l'attribution de ces transferts soit juste et garantie, tout autant que sur la reconnaissance du niveau important de dépendance des provinces à l'égard de ces subventions. On a prétendu que les provinces avaient été incitées à participer à ces programmes en leur indiquant que le gouvernement fédéral continuerait à leur accorder son aide. Elles ne peuvent effectivement planifier leur propre budget, lorsqu'elles ne sont pas sûres des montants de transferts qui leur seront attribués. On présente souvent l'argument tout à fait valable que les paiements de péréquation devraient être à l'abri des mesures fédérales de contrôle des déficits, et ce, en vertu de l'engagement constitutionnel relatif au partage qui se retrouve maintenant à l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ceux qui considèrent la question d'un point de vue opposé s'interrogent sur le bien-fondé de privilégier, de quelque manière que ce soit, des programmes qui sont appliqués selon des mécanismes intergouvernementaux, au détriment des autres catégories de dépenses fédérales. Il est vrai que cela peut se justifier par le fait que ces programmes sont d'un intérêt national et qu'ils sont définis selon des critères nationaux. Or, les programmes, qui relèvent entièrement de la compétence du fédéral, pourraient vraisemblablement se justifier de la même façon. Il est juste de dire que les éléments imprévisibles entourant le budget rendent toute planification difficile. Or, il appert que les revenus d'impôt ne sont également pas prévisibles en soi. En effet, gouverner signifie composer avec l'imprévu. Il est souvent arrivé que, lorsque le gouvernement fédéral incitait les gouvernements provinciaux à participer à certains programmes particuliers, en leur proposant des arrangements à frais partagés, les gouvernements provinciaux réclament en retour une participation du fédéral. De plus, étant donné que les programmes intergouvernementaux sont protégés, il s'ensuit que toute mesure fédérale de restriction devra s'appliquer, de façon déséquilibrée, à un éventail limité de programmes non protégés. Compte tenu du fait qu'en 1984, environ un cinquième du montant total des dépenses fédérales a été consacré aux transferts intergouvernementaux et qu'un autre cinquième a servi à couvrir l'intérêt sur la dette publique, les mesures de restriction du gouvernement fédéral ne devront s'appliquer que dans les domaines relativement limités du pouvoir discrétionnaire. Si l'on considère que les transferts aux individus devraient également être protégés, environ 70 pour cent du total des dépenses fédérales seraient alors gelées et la marge de manoeuvre du gouvernement fédéral en serait considérablement réduite. Un aspect intéressant de ces transactions intergouvernementales réside dans le fait qu'il appartient au gouvernement fédéral d'assumer la responsabilité de la plus grosse part du déficit du secteur public au Canada. Sans les transferts, le déficit fédéral serait beaucoup moindre et les déficits des provinces beaucoup plus importants. C'est ainsi, qu'en 1982, le déficit du fédéral, en excluant les subsides intergouvernementaux, était de 4,7 milliards de dollars et qu'après y avoir inclus les subsides, il s'élevait à 20,5 milliards de dollars. La même situation se produisit au niveau provincial et municipal. Sans le calcul des montants de transfert, les provinces avaient un excédent de 7,4 milliards de dollars. Lorsqu'on incluait les montants attribués aux autorités locales et aux hôpitaux, les provinces enregistraient un déficit de 1,6 milliard de dollars. Les administrations locales et les hôpitaux sont ceux qui bénéficient le plus des transferts. Ensemble, ils accusaient, en 1982, un déficit de 25 milliards de dollars, à partir de leurs propres revenus. Après avoir ajouté les montants de transfert des autres gouvernements, ils retrouvaient un certain équilibre. A la lumière de ces facteurs, comment le Canada peut-il conserver une certaine flexibilité et un certain esprit de responsabilité à l'égard du Parlement, tout en accordant aux provinces une certaine stabilité dans leurs activités de planification et en leur assurant une certaine protection contre les changements rapides et non prévisibles dans les dépenses fédérales. La solution la plus simple serait d'exiger du gouvernement fédéral qu'il informe à l'avance les provinces de ses intentions de réduire les transferts fédéraux. Par exemple, si on avisait les provinces un an avant l'entrée en vigueur des coupures, cela leur donnerait suffisamment de temps pour ajuster leurs revenus et leurs dépenses en fonction des changements à venir. Toutefois, ce plan ne protégerait les provinces que d'une manière limitée. Une deuxième solution serait de revoir tous les cinq ans les mesures de transfert entre le fédéral et les provinces, et de limiter entre les périodes de révision, les changements que le gouvernement fédéral pourrait effectuer, sans l'accord des provinces. Un tel arrangement permettrait, par exemple, au gouvernement fédéral, d'ajuster les paiements jusqu'à cinq pour cent dans une année donnée, toute hausse additionnelle exigeant l'accord des provinces. Une formule appropriée devrait être élaborée. Par contre, les modifications que le fédéral apporterait aux programmes de transfert intergouvernemental pourraient dépendre du niveau moyen des diminutions de programmes, qui ne font pas l'objet de transferts. On a également soumis un certain nombre de propositions relatives a l'application des mesures de restriction du gouvernement fédéral. Par exemple, les programmes sociaux pourraient être à l'abri de toute réduction. Toutefois, étant donné que ces programmes représentent plus de 80 pour cent de tous les transferts intergouvernementaux, le fait de les exempter limiterait sérieusement le gouvernement fédéral. Une autre solution consisterait à ajuster le montant des réductions en fonction des différents besoins des provinces; la Commission a cependant mis en évidence les difficultés que peut comporter une telle procédure dans son analyse sur la péréquation. Enfin, les provinces les plus dotées pourraient payer les frais des réductions, et les provinces moins favorisées pourraient être protégées. Toutefois, la Commission est d'avis que le programme de péréquation, et non les programmes individuels à frais partagés, constitue le mécanisme le plus adéquat pour faire face aux disparités de revenus. Encore une fois, il est essentiel d'arriver à un équilibre: le gouvernement fédéral doit avoir suffisamment de marge de manoeuvre au niveau fiscal pour pouvoir exercer un contrôle sur son budget, mais il ne devrait pas être en droit d'interrompre impunément les transferts ayant trait aux programmes à frais partagés. La Commission estime que les provinces ne sont pas suffisamment protégées en étant avisées un an à l'avance des changements apportés à ces programmes. Au contraire, la Commission considère qu'il est préférable de déterminer à l'avance les limites de réductions qui seront permises. De plus, hormis les conditions énoncées dans la législation qui permet leur application, le gouvernement fédéral devrait laisser aux provinces l'entière liberté de décider par elles-mêmes de la meilleure façon d'accorder leur programme et leur gestion administrative à toute forme de réduction. En conclusion, la Commission estime que l'application des restrictions au cours des années à venir risque d'entraîner des tensions importantes au sein de la fédération. La tentation pour un gouvernement de passer ses problèmes fiscaux à un autre gouvernement sera plus forte et les pressions politiques à l'endroit du gouvernement fédéral pour qu'il réagisse aux mesures prises au niveau provincial, s'intensifieront. Pour faire face à de telles tensions inévitables, une grande confiance mutuelle, une ouverture au niveau de l'échange d'information et un dynamisme institutionnel s'avèreront indispensables. Les relations intergouvernementales et les institutions de la fédération Les commissaires ont traité précédemment des avantages et des faiblesses des institutions fédérales canadiennes. Nous voulons ici approfondir ce sujet dans le contexte du partage des compétences, de la formule de modification constitutionnelle, du mécanisme des relations intergouvernementales et, enfin des tribunaux. Quels sont les moyens dont disposent les Canadiens pou; rendre plus efficace la prise de décision politique, tout en tenant compte des choix politiques difficiles auxquels ils font face? Comment ces institutions peuvent-elles mieux correspondre aux valeurs démocratiques d'accessibilité d'imputabilité et de sensibilité aux aspirations des citoyens, valeurs qui sont sous-jacentes à tout changement institutionnel profond? Le mandat de cette Commission précise que nous devons « tenir compte de l'esprit de la Constitution canadienne » et qu'il faut « s'appuyer sur l'hypothèse selon laquelle la structure fédérale canadienne ne s'écartera pas sensiblement de ce qu'elle est à l'heure actuelle. » Nous voulons ici parler de cet esprit et, à la lumière des besoins et des valeurs qui sont actuellement les nôtres, proposer certaines améliorations à cette structure. Au cours de nos audiences, les intervenants ont sans cesse insisté sur l'impression de confusion qui se dégageait des relations entre les gouvernements fédéral et provinciaux. On jugeait qu'il y avait simplement trop de conflits, trop d'acrimonie et trop de méfiance. La perception des relations fédérales-provinciales était celle d'une confrontation devant des journalistes et cameramans prêts à monter en épingle les différends. L'aptitude des Canadiens à trouver des solutions aux problèmes concrets et urgents auxquels ils avaient à faire face semblait s'amorcer dans une lutte, les gouvernements concernes se préoccupant davantage de cette lutte que de leurs citoyens, pour le triomphe de leur position, la reconnaissance de leur statut ou la protection de leurs « plates-bandes ». Cette situation de conflit inquiète les Canadiens car elle détourne l'attention des politiques sociales et économiques et risque de miner la confiance dans nos institutions politiques, peut-être même dans la légitimité de l'ordre constitutionnel. Les Canadiens se préoccupent également des menaces que notre exercice du fédéralisme laisse planer sur les valeurs démocratiques. Comme les gouvernements partagent de plus en plus de responsabilités dans différents domaines, il devient de plus en plus difficile pour les Canadiens, et en fait pour les gouvernements eux-mêmes, de préciser leurs responsabilités respectives. Les relations intergouvernementales, qui sont la conséquence du partage ou du chevauchement des compétences, ont généralement abouti à des résultats concrets aux échelons exécutif et bureaucratique. La consultation et les ententes interprovinciales ont eu pour effet de soustraire d'importants secteurs politiques au contrôle parlementaire. Préoccupés par la dimension intergouvernementale de leurs responsabilités, ceux qui prennent les décisions politiques peuvent être moins enclins à donner suite aux demandes qui proviennent de groupes dont les objectifs ne sont pas territorialement délimités, ou peuvent être moins capables de répondre à ces demandes. Le processus intergouvernemental est souvent marqué par la discrétion et les questions en litige risquent de se perdre dans le labyrinthe intergouvernemental. Certaines questions d'importance primordiale ont effectivement déjà subi ce sort et les groupes de pression ont constaté que leurs objectifs étaient en cause. C'est pourquoi ils ont réclame une plus grande accessibilité au processus intergouvernemental, comme lors des discussions constitutionnelles de 1980 à 1982 et au cours des débats sur la Loi sur la santé en 1983 et en 1984. L'examen des faits exige toutefois une atténuation de ces critiques. En effet, même dans les périodes de conflit les plus amères, alors qu'on avait prononcé la « mort » du « fédéralisme coopératif », on a continué à pratiquer une politique efficace de coordination dans plusieurs domaines. En second lieu, le présumé entêtement des principaux participants et les faiblesses des institutions ne sont pas les seules causes de conflit. Certaines caractéristique des relations intergouvernementales encouragent les conflits et empêchent la coopération; la principale cause du problème réside dans les divergences fondamentales des intérêts tant des régions que des gouvernements. Dans ces luttes, les gouvernements ne représentent pas uniquement leurs intérêts politiques, mais aussi des visions différentes du Canada ainsi que les intérêts matériels de leurs citoyens. Les Canadiens s'attendent à ce que leurs dirigeants provinciaux s'affichent comme les défenseurs des préoccupations des provinces et, récemment, les gouvernements de plusieurs d'entre elles ont subi les foudres de leurs électeurs, non pour avoir fait preuve de trop d'agressivité, mais, au contraire, pour avoir été trop conciliants. Il est impensable, et de fait il ne serait pas souhaitable, de s'attendre à ce que nos institutions et nos ententes intergouvernementales éliminent tous les conflits. Nous devons tâcher de nous assurer qu'elles n'engendrent ni ne perpétuent leurs propres désaccords artificiels, découlant de la préoccupation des participants à l'égard de leur statut respectif. La concurrence entre gouvernements, le chevauchement des tâches et le double emploi dans les services sont inhérents au fédéralisme. En réalité, ils comptent parmi ses principaux avantages. Une décision politique est susceptible de répondre davantage aux aspirations des citoyens, lorsque ceux-ci peuvent s'adresser à un autre ordre d'autorité si le premier ne tient pas compte de leurs préoccupations, surtout lorsque ces deux ordres de gouvernement rivalisent pour se mériter la confiance des électeurs. Lorsque des questions litigieuses font l'objet de débats tant dans les rencontres intergouvernementales que dans les législatures, il y a beaucoup plus de chance qu'on examine à fond toute la gamme des intérêts politiques et toutes les solutions possibles. En tant que Canadiens, même si nous devons viser à l'établissement de mécanismes qui permettront d'éviter les conflits destructeurs des années récentes, nous devons aussi reconnaître que le fédéralisme, comme les autres éléments du cadre institutionnel canadien, favorise la concurrence et le caractère contradictoire des relations et constater l'aspect positif de ces facteurs. Le principe même du gouvernement responsable devient plus complexe dans un contexte fédéral. La responsabilité politique de chaque gouvernement à l'égard de ses citoyens doit demeurer le fondement de l'imputabilité, mais il faut l'appliquer à 11 gouvernements plutôt qu'à un seul. Dans notre système fédéral, la Constitution ajoute toutefois une autre norme d'imputabilité Ainsi, quelle que soit la majorité détenue par un gouvernement dans une législature, celui-ci sera assujetti à certaines contraintes. La Charte des droits impose encore d'autres restrictions à l'autonomie des gouvernements. Dans la mesure où les divers gouvernements concluent des ententes à l'égard de programmes à frais partagés par exemple, ils sont responsables les uns des autres en raison du principe du fédéralisme contractuel. Les problèmes occasionnés par le fédéralisme à la responsabilité gouvernementale ne constituent qu'une partie du défi que doit relever la démocratie face à la croissance étatique. Ce défi se situe autant au sein même des gouvernements que dans leurs relations réciproques. Aussi devons-nous, à titre de Canadiens chercher l'équilibre dans nos institutions fédérales. Nous devons chercher le Juste milieu entre la concurrence et l'harmonie ainsi qu'entre la responsabilité des gouvernements à l'égard de leurs citoyens et la collaboration entre ces mêmes gouvernements. Tous ces facteurs nous prouvent l'importance de définir plus clairement « l'esprit de la Constitution. Le fédéralisme et le constitutionnalisme. Dans notre système fédéral, le constitutionnalisme puise à plusieurs sources Il y a d'abord le droit constitutionnel et l'interprétation qu'en donne la Cour suprême du Canada. La seconde source est celle des conventions constitutionnelles, c'est-à-dire des principes depuis longtemps reconnus comme celui de la responsabilité ministérielle, et des pratiques non écrites qui, par tradition et par l'engagement fondamental de nos dirigeants, ont été acceptées comme une partie intégrante de notre ordre constitutionnel. Les voies de recours en cas de violation constitutionnelle reposent essentiellement sur le processus politique, bien que les tribunaux puissent, intervenir à l'occasion. Ainsi, dans l'affaire récente du renvoi sur la résolution pour modifier la Constitution, la Cour suprême du Canada a reconnu qu'il existait une convention constitutionnelle voulant qu'une modification à la Constitution nécessite le consentement des provinces a un degré suffisant, et elle a décidé que cette convention faisait partie intégrante de l'ordre constitutionnel canadien même si sa violation n'entraînait pas de sanction judiciaire. Il faut enfin considérer le principe de prudence ou de retenue que doivent s'imposer les dirigeants. Cette qualité ne se fonde pas uniquement sur la volonté de ne pas contrarier les électeurs. Les politiciens doivent être conscients des conséquences de leurs actes sur l'ensemble de la société, de la nature des conflits que leurs actions peuvent susciter, de l'influence de ces dernières sur l'unité nationale et de la coopération requise des autres gouvernements. Ces trois principes réunis constituent les éléments fondamentaux de l'esprit de notre Constitution. Cet esprit aide les Canadiens à concilier la règle de la majorité et les droits des minorités, les intérêts de la société canadienne et des sociétés provinciales ainsi que l'uniformité et la diversité qu'on retrouve au pays L'esprit de notre Constitution s'applique au gouvernement fédéral et à son Parlement ainsi qu'aux provinces. On en retrouve un exemple concret dans la modération que s'impose la majorité à la Chambre des communes. Dans un pays aussi varié que le nôtre, qui se compose de provinces avec des écarts de population considérables et de deux communautés linguistiques principales, le respect des droits des minorités est capital. L'insistance sur les droits de la simple majorité au Parlement serait un facteur de désunion. La conciliation de ces divers intérêts nécessite des qualités exceptionnelles de la part des dirigeants, un profond respect des droits des minorités et la recherche de politiques et d'objectifs qui favorisent l'unité plutôt que la division des Canadiens. La Constitution a accordé au gouvernement fédéral de nombreux pouvoirs qui lui permettent d'agir dans des domaines de compétence provinciale et, peut-être, d'apporter des modifications concrètes dans le partage des compétences. Le Parlement se doit toutefois d'exercer ces pouvoirs avec modération. Les pouvoirs de réserve et de désaveu, qui ont été fréquemment invoqués autrefois, sont pratiquement devenus caducs par le jeu de la convention constitutionnelle. Les commissaires recommandent que ces pouvoirs soient définitivement abrogés par une modification à la Constitution. Le pouvoir déclaratoire du gouvernement fédéral lui permet de déclarer que certains travaux et entreprises dans une province sont d'intérêt général pour le Canada. Ce pouvoir, qui existe toujours, n'a pas été exercé au cours des années récentes. En invoquant ce qui est connu comme « le pouvoir de dépenser » le gouvernement central peut imposer des conditions aux subventions financières qu'il accorde aux gouvernements, aux institutions et aux individus. Le pouvoir de faire des lois pour « de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement » (l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867) permet une intrusion massive, quoique temporaire, du gouvernement fédéral dans des domaines de compétence provinciale. Chacun de ces pouvoirs a soulevé de sérieuses controverses et on a proposé soit de les abolir, soit d'en limiter l'application par les tribunaux ou encore par certains mécanismes qui subordonneraient leur exercice à l'obtention d'un consensus de la part des provinces. Les commissaires croient que le pouvoir déclaratoire, le pouvoir de dépenser, et la clause «de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement » constituent des instruments importants et souples qui peuvent servir dans un contexte politique incertain et que le gouvernement fédéral devrait les conserver. Bien que nous ne recommandions pas de restreindre formellement leur application, nous considérons, en raison des conséquences considérables qu'ils pourraient avoir sur le fédéralisme, que ces pouvoirs ne devraient être utilisés qu'avec une grande modération. Il faudrait généralement n'y avoir recours qu'après avoir tenu des discussions approfondies et seulement lorsque les autres pouvoirs fédéraux n'offrent aucune solution. Le partage des compétences est laxiste: en voulant occuper les champs de compétence jusqu'à leurs limites ou au-delà, on risque de mettre en question le caractère fédéral du Canada. L'esprit de la Constitution impose aux gouvernements provinciaux des contraintes tout aussi importantes. Tout comme le gouvernement fédéral qui se doit d'être prudent lorsque ses activités touchent à la compétence provinciale, les provinces doivent aussi limiter leurs vastes pouvoirs de dépenser, d'acquérir des biens publics ou de taxer, pouvoirs qui sont tous susceptibles d'empiéter sur les pouvoirs fédéraux ou sur les intérêts d'autres gouvernements. Les provinces doivent également respecter les minorités. Elles doivent s'assurer que leur expansion économique n'entraîne pas des coûts excessifs pour les citoyens et les gouvernements des autres juridictions. La Commission a proposé certains moyens d'assurer le respect de ce principe. L'adhésion des provinces à ces critères est d'autant plus importante que leur rôle s'est élargi et qu'elles prétendent avoir droit au chapitre dans l'établissement des politiques nationales. Elles doivent, elles aussi, assumer leurs responsabilités à l'égard de l'ensemble du régime institutionnel dont elles font partie. Les normes constitutionnelles de modération s'appliquent de façon particulière aux relations intergouvernementales. A cet égard, il existe deux principes fondamentaux. Tout d'abord, comme les commissaires l'ont mentionné, les gouvernements doivent tenir compte des conséquences inévitables de leurs programmes sur les politiques et les programmes des autres juridictions. En second lieu, chaque ordre de gouvernement doit accepter la légitimité de l'autre dans cette démarche collective qui vise à satisfaire les besoins des Canadiens. Il peut sembler banal et futile de faire ainsi appel à la modération et au respect mutuel. Toutefois, à la lumière de l'expérience des années récentes durant lesquelles on semble avoir ignoré l'un et l'autre de ces principes, ce rappel est essentiel. Les deux ordres de gouvernement ont contribué à mettre durement à l'épreuve l'esprit de la Constitution, ce qui a eu des conséquences coûteuses pour les Canadiens. Les commissaires se sont fondés sur les normes constitutionnelles pour proposer des modifications aux institutions. Notre analyse a défini certains problèmes particuliers et identifié plusieurs domaines où une réforme institutionnelle serait susceptible d'améliorer la coordination des activités et la gestion des conflits. Nous ne proposons pas une transformation radicale du régime fédéral canadien. Nous suggérons toutefois des modifications importantes qui assureraient, à notre avis, un régime fédéral plus efficace. Le partage des compétences et la souplesse constitutionnelle. Les commissaires abordent l'évaluation des institutions du fédéralisme par l'examen du partage des compétences. Certains critiques ont soutenu qu'il fallait refaire complètement le partage des compétences établi par la Constitution. L'interprétation des tribunaux et l'évolution des usages ont tellement transformé la portée des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de /867 qu'ils ne fournissent plus aux citoyens et aux gouvernements un guide cohérent de la répartition des responsabilités. Les catégories énoncées dans ces articles reflètent surtout l'attitude du milieu du dix-neuvième siècle à l'égard du gouvernement et elles ont très peu de rapports avec les fonctions d'un État moderne ou avec les concepts et la terminologie du discours politique. Dans les faits, les domaines de compétence concurrente entre le fédéral et les provinces se sont multipliés bien au-delà de l'immigration, de l'agriculture et des pensions dont il est fait mention dans la Constitution. Cette évolution du partage des compétences a contribué à diminuer grandement le contrôle que la Constitution pouvait exercer sur les gouvernements. Notre Constitution est devenue en effet extrêmement laxiste, en offrant un grand nombre de rubriques auxquelles les gouvernements peuvent rattacher à peu près n'importe quelle action qu'ils veulent justifier. Pourquoi alors ne pas modifier le partage des compétences afin de traduire de façon plus adéquate la perception actuelle des Canadiens à l'égard de l'État? Plusieurs motifs incitent les commissaires à s'abstenir de faire une telle recommandation. D'abord, la Constitution, ainsi que l'interprétation que les tribunaux en ont donné, ne doit pas servir uniquement de guide pour l'avenir, mais elle doit aussi refléter le passé. Elle doit obliger les Canadiens à se pencher à nouveau sur les leçons des années écoulées. Une constitution en évolution est l'image du chemin parcouru au fil des années par une société complexe. Il ne s'agit pas d'un processus continu de rédaction sur une ardoise. Un texte constitutionnel complètement nouveau effacerait les constats de notre expérience collective et les leçons qu'elle contient. En deuxième lieu, l'incertitude et le caractère permissif de notre Constitution peuvent présenter un avantage. Une constitution en évolution comme la nôtre nous donne beaucoup de souplesse pour nous adapter aux idées et aux besoins nouveaux. Cette liberté devient importante lorsque l'on considère combien il est difficile de moderniser et de préciser le partage des compétences. La simple codification des décisions judiciaires antérieures dans un énoncé qui donnerait un aperçu de la situation actuelle serait une tâche énorme et controversée. De plus, aucune des grandes distinctions que l'on pourrait envisager comme modèle d'une refonte fondamentale ne semble facilement applicable à une époque de chevauchement des politiques dans les différents domaines. Les distinctions entre les politiques à caractère économique et social ou entre les facteurs d'ordre national ou local paraissent souvent arbitraires. Les changements dans la technologie et les communications et les nouveaux schèmes de pensée nous influencent constamment dans notre vie quotidienne. Il n'est pas facile dans une époque aussi complexe que la nôtre d'établir des distinctions bien définies. Une autre raison de nos hésitations devant une réforme constitutionnelle en profondeur est qu'une répartition nouvelle des compétences constitutionnelles pour les rendre conformes aux concepts actuels serait probablement devenue désuète le jour même où cette réforme serait enchâssée dans un document. Au lieu de favoriser la certitude et la clarté, nous risquerions ainsi de faire face à une incertitude encore plus grande pendant que nous chercherions le véritable sens des nouveaux concepts et de la nouvelle terminologie. Nous vivons actuellement un phénomène semblable à l'égard de la Charte canadienne des droits. Pour interpréter cette nouvelle constitution, les tribunaux joueraient nécessairement un rôle plus important, incompatible avec un régime de gouvernement parlementaire. L'augmentation évidente du nombre de domaines de compétence partagée a rendu le partage des responsabilités entre les gouvernements tellement nébuleux que les articles 91 et 92 de notre Loi constitutionnelle ont perdu leur signification. Alors que les zones grises abondent, les rubriques de la Loi énoncent les différentes fonctions de chaque ordre de gouvernement. Un large éventail de pouvoirs, ainsi que l'avantage d'avoir accès à la tribune nationale que le Parlement lui accorde, permettent au gouvernement fédéral de parler pour tous les Canadiens comme citoyens d'une collectivité nationale d'exprimer notre volonté nationale et de se préoccuper des relations entre citoyens et entre régions. Notre gouvernement fédéral ne possède pas un pouvoir d'action illimité chaque fois qu'il le juge à propos, puisqu'il est restreint par la Constitution. Les pouvoir fédéraux d'une portée éventuelle très vaste, comme ceux résultant de la clause « de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement » et de la compétence en matière d'échange et de commerce, auraient pu empêcher les provinces d'exercer un grand nombre d'activités si on leur avait donné une interprétation large, mais le pouvoir judiciaire les a considérablement restreints. En raison de ces limites constitutionnelles, les représentants du gouvernement fédéral ont souvent besoin, dans leur poursuite d'objectifs nationaux, de la coopération des provinces qui agissent directement dans plusieurs de ces domaines. Le partage des compétences, même s'il ajoute un facteur de complexité, démontre que la responsabilité et l'orientation du gouvernement central à l'égard de l'intérêt national sont bien différentes de celles des provinces. Les provinces possèdent également des pouvoirs économiques, sociaux et culturels. L'article 92 de la Loi constitutionnelle de /867 leur confère l'autorité de fournir des services locaux et de réglementer les relations entre les individus et les groupes. De plus, les provinces possèdent des droits de propriété importants sur les terres et autres intérêts fonciers. Les mesures prises par une province peuvent avoir des conséquences importantes sur la politique nationale, même si les législatures provinciales n'ont pas d'autorité extraterritoriale. Comme nous l'avons mentionné, la présente répartition des compétences a fait l'objet de contestations. Au cours des années 1970, certains gouvernements provinciaux ont réclamé un élargissement de leur champ de compétence en plusieurs domaines, la limitation de divers pouvoirs discrétionnaires du gouvernement fédéral et la participation directe des provinces à l'élaboration de la politique nationale dans plusieurs secteurs, notamment lorsque cette politique a une incidence régionale importante. Ces initiatives démontrent le désir de plusieurs provinces d'exercer un plus grand contrôle sur leur propre développement économique et social. Certains ont fait valoir que le pouvoir électoral du Canada central et le déséquilibre dans la représentation au sein des cabinets fédéraux et des partis qui dirigent le pays entraînaient l'adoption de politiques fédérales injustes ou insensibles aux aspirations des provinces plus petites. Ces provinces ont donc cherché à neutraliser les politiques qui leur étaient préjudiciables et demandé voix au chapitre pour prévenir leur adoption. Les commissaires ne croient pas justifiée la demande de ceux qui prônent une décentralisation générale et une limitation importante des pouvoirs fédéraux. Le partage actuel ne constitue pas un obstacle insurmontable pour les provinces qui veulent répondre aux besoins de leurs citoyens. Il reste que dans la mesure où le gouvernement central a exercé ses pouvoirs sans tenir compte des intérêts de certaines régions, les Canadiens doivent réformer les méthodes et les structures du gouvernement fédéral et améliorer le régime des ententes intergouvernementales. Ceux qui favorisent la solution opposée soutiennent que l'ordre constitutionnel actuel entrave sérieusement la capacité du gouvernement fédéral de poursuivre des objectifs nationaux et que notre gouvernement central pourrait avoir besoin de pouvoirs plus étendus. Encore une fois, la Commission ne croit pas que ce point de vue soit justifié puisque dans la plupart des cas l'autorité que la Constitution confère au gouvernement fédéral est suffisante. Les pouvoirs provinciaux ne réduisent pas la capacité du gouvernement central de résoudre les problèmes. En nous fondant sur notre examen de l'union économique et de la gestion politique du régime fédéral, nous ne trouvons aucun motif qui puisse nous inciter à accroître sensiblement la centralisation ou à nous faire l'apôtre de la décentralisation. Nous n'approuvons pas les efforts qui visent à rétablir le modèle classique des « compartiments étanches ». Pareille tentative serait vouée à l'échec. Certains éclaircissements dans des domaines particuliers pourraient réduire la confusion et les coûts de la prise de décision, mais le chevauchement de l'autorité et une concurrence réelle sont non seulement inévitables mais souhaitables dans bien des cas. La responsabilité partagée laisse la porte ouverte à la possibilité que les gouvernements fédéral et provinciaux puissent rivaliser entre eux pour résoudre les problèmes des citoyens. Dans le cadre d'une telle rivalité, le besoin d'obtenir l'appui du public peut atténuer les intérêts particuliers des gouvernements. Toutefois, cette appréciation de la situation ne nous empêche pas d'admettre la nécessité de modifier et de préciser les responsabilités. Il se pourrait bien que les Canadiens aient avantage à trouver un mécanisme plus souple pour transférer les pouvoirs d'un ordre de gouvernement à un autre. Nous recommandons deux méthodes qui permettraient ce genre de transfert. La première consisterait en une modification de notre Constitution qui permettrait la délégation tant législative qu'administrative des pouvoirs d'un ordre de gouvernement à un autre. Si la délégation des pouvoirs législatifs possède ses partisans, elle a aussi ses adversaires; cela est normal compte tenu des avantages et des désavantages qui peuvent en résulter. Son principal avantage réside dans sa souplesse. Une responsabilité particulière peut être transférée d'un ordre de gouvernement à un autre sans modification constitutionnelle. Il n'est cependant pas nécessaire qu'un transfert de responsabilités dans un domaine particulier s'effectue à l'égard de toutes les provinces. Cette marge de manoeuvre rend notre régime constitutionnel encore plus souple. La délégation permet aussi d'unifier des responsabilités variées, qui autrement devraient être réglementées en vertu de plusieurs pouvoirs constitutionnels. Elle offre aussi une plus grande certitude aux individus qui, à l'occasion, pourraient tomber sous le coup de réglementations contradictoires. Les critiques soutiennent que la délégation législative sape le partage constitutionnel des compétences, favorise l'incertitude et la confusion et diminue l'imputabilité gouvernementale. Selon eux, pareille délégation menace le fédéralisme en rendant possible une centralisation massive ou, en revanche, en favorisant un confédéralisme hautement décentralisé. Une fois que les pouvoirs auraient été délégués, il serait impossible de les recouvrer. Les commissaires sont conscients des risques et des avantages de la délégation, mais, tout compte fait, nous croyons que concrètement la fédération en profiterait si le recours à la délégation législative lui était permis. Nous ne croyons pas toutefois que cette procédure soit utilisée assez fréquemment pour menacer l'équilibre constitutionnel. Aux termes de la Constitution actuelle, les gouvernements peuvent déléguer des responsabilités administratives à des organismes administratifs établis par d'autres gouvernements. Les commissaires proposent d'étendre le pouvoir de délégation intergouvernementale de façon à permettre à un gouvernement de déléguer sa compétence législative à l'égard d'une certaine matière à un autre gouvernement. Les législatures de tous les gouvernements concernés devraient consentir au préalable à ce genre de délégation. Ces transferts d'autorité pourraient s'effectuer pour des périodes fixes ou pour un temps indéterminé entre, d'une part, le gouvernement fédéral et, d'autre part, l'ensemble des provinces ou une ou plusieurs d'entre elles. La seconde méthode de transfert des responsabilités est l'accord intergouvernemental. Il s'agit d'un concept qui fait depuis peu partie des pratiques fédérales et, dont le statut juridique ou constitutionnel n'est pas très bien défini actuellement. Les ententes intergouvernementales, contractuelles ou officieuses, existent depuis longtemps. Parmi ces ententes, mentionnons les accords de perception fiscale, les programmes à coûts partagés, les ententes cadres de développement ainsi que les ententes de développement économique et régional. De nombreuses ententes interprovinciales ont également été conclues. Elles ont été très utiles en permettant de conserver une certaine souplesse tout en précisant davantage certaines questions relatives aux affaires intergouvernementales. Le terme «accord » semble avoir une portée plus étendue que les « ententes » mentionnées. On semble retrouver dans l'accord et dans la terminologie employée certaines caractéristiques d'un traité et vouloir lui conférer un statut particulier. Un accord n'est pas une modification constitutionnelle; il ne s'agit pas non plus d'une simple entente administrative qu'un gouvernement peut modifier de façon unilatérale. C'est peut-être même plus qu'une entente ratifiée par une loi qu'une législature peut toujours révoquer. L'Accord de l'Atlantique de 1985 intervenu entre Ottawa et Terre-neuve embrasse la gestion des droits miniers sous-marins. Il comporte un transfert important de pouvoirs et de responsabilités à la province. Ses modalités comprennent sa mise en vigueur par l'adoption « d'une législation mutuelle et parallèle » dans chaque législature. Toute modification subséquente exige le consentement des deux gouvernements. L'Accord de l'Atlantique prévoit son enchâssement éventuel dans la Constitution. Même si les termes de l'Accord ne mentionnent pas expressément que celui-ci lie les gouvernements, le texte indique clairement que c'est là le résultat recherché. Ces Accords soulèvent un certain nombre de questions pour l'avenir. Sommes-nous en présence d'une forme d'entente, semblable à la délégation, qui pourrait être plus souple qu'une modification constitutionnelle? Peuton y avoir recours pour établir des ententes ou des mécanismes temporaires? Les termes de l'accord peuvent-ils être formulés de façon plus détaillée qu'on pourrait le faire dans la Constitution? Pourrait-il être plus facilement modifié à la lumière de l'expérience? Et si la réponse à ces questions est affirmative devrions-nous conférer à ces accords un statut juridique plus précis et les rendre exécutoires? Nous pouvons modifier notre Constitution pour permettre de telles ententes et leur donner un statut juridique. Cette éventualité soulève évidemment des points de droit complexes. Elle soulève aussi d'importantes questions touchant à la souveraineté du Parlement, puisque le principe selon lequel le Parlement ne peut pas lier ses successeurs est un principe fondamental du gouvernement responsable. Les commissaires n'ont pas l'intention de fournir ici une réponse détaillée. Nous suggérons toutefois que les gouvernements étudient cette question afin de préciser le statut juridique actuel des ententes intergouvernementales et qu'ils examinent la possibilité d'une modification constitutionnelle pour les légitimer. La modification constitutionnelle. A long terme, la modification de la Constitution demeurera un instrument important pour adapter le système fédéral aux exigences nouvelles. Lors de la Confédération, la Constitution du Canada ne comprenait pas de « formule d'amendement Y. En 1949, le gouvernement fédéral a obtenu le pouvoir de modifier la Constitution en certains domaines relevant de la compétence fédérale, à l'exclusion des dispositions relatives au partage des compétences, au Sénat et à d'autres dispositions capitales. Lors des récents changements, peu nombreux d'ailleurs, relatifs au partage des compétences, le gouvernement fédéral a cherché à obtenir l'appui des provinces. Malgré de nombreuses tentatives, ce n'est toutefois qu'en 1982 que les Canadiens ont obtenu une formule de modification à la Constitution. Les propositions de changement constitutionnel avaient toujours provoqué des désaccords sans fin sur les méthodes pour y parvenir. Maintenant, les règles sont claires, bien que complexes. Notre nouvelle formule de modification contient certaines conditions imposées par les provinces, conditions qui résultent du compromis nécessaire pour parvenir à l'entente constitutionnelle de 1981. La formule traite toutes les provinces également, et elle n'accorde pas aux deux provinces les plus populeuses le droit de veto retenu par plusieurs formules antérieures. Il n'est pas question des régions dans l'obtention du consentement requis pour la modification. Les modifications les plus importantes exigent le consentement de la Chambre des communes, du Sénat et de sept provinces (soit les deux tiers) où habitent au moins 50 pour cent de la population du pays. Certaines questions cruciales touchant les institutions, notamment les modifications à la procédure de modification, exigent l'unanimité. Pour les modifications qui touchent certaines provinces en particulier, il suffit d'obtenir le consentement de celles qui sont concernées. La forme de protection la plus importante pour les provinces est la disposition qui leur donne le « droit de retrait »: une province peut refuser d'être liée par une modification qui déroge à ses pouvoirs ou privilèges. Si une modification porte sur la culture ou l'éducation et qu'une province choisisse de s'y soustraire, elle a droit à une juste compensation Un bon nombre des caractéristiques de la nouvelle procédure semblent faciliter les modifications constitutionnelles. Ainsi, n'importe laquelle des onze législatures peut maintenant proposer une modification et la modification ne nécessite plus le marchandage qui était autrefois nécessaire. Aucune province ne possède de droit de veto et le Sénat n'a qu'un veto suspensif. Malgré ces importants facteurs de souplesse, les commissaires ne s'attendent pas à de fréquentes modifications. Il demeure relativement facile de former une coalition suffisamment importante pour empêcher l'approbation des propositions. Aucune disposition ne prévoit de consultation populaire qui permettrait de contrecarrer les positions gouvernementales. Plus important encore, même si le droit de retrait peut faciliter une modification à laquelle certaines provinces s'opposent, nous croyons qu'il aura pour effet de restreindre le nombre des changements. Si seulement une ou deux des provinces les plus populeuses choisissent de se soustraire à une modification proposée, leur action peut annuler les conséquences du changement proposé. De plus, si les provinces devaient se prévaloir du droit de retrait, nous pourrions facilement nous retrouver avec un échiquier canadien, dans lequel les dispositions applicables à la Constitution varieraient d'une province à l'autre. Nous croyons que le gouvernement fédéral devrait considérer une telle perspective comme dangereuse et qu'il devrait même peut-être refuser de consentir à une modification, s'il y avait une forte possibilité que pareille situation se produise. En pratique, la nouvelle procédure de modification est sans doute très peu différente d'une formule qui exigerait l'unanimité. Il est fort probable qu'il n'y aura des modifications constitutionnelles que dans les domaines qui ne sont guère susceptibles de controverse et à l'égard desquels on a obtenu un large consensus. Les commissaires s'attendent à ce qu'on ait surtout recours aux instruments institutionnels, variés et nombreux, qui s'offrent aux Canadiens. Nos gouvernements auront vraisemblablement recours aux ententes formelles et officieuses et notamment à la délégation. De tels instruments satisfont aux principaux besoins communs et contribuent à faire baisser l'enjeu des négociations intergouvernementales en permettant de renégocier à la lumière de l'expérience. L'élément fondamental de toute constitution fédérale est un tribunal d'appel de dernier ressort qui agit comme arbitre. Des différends en matière constitutionnelle surgissent constamment. Ils peuvent être soumis au processus judiciaire dans le cadre d'actions intentées par des citoyens ou par des groupes privés ou à la suite d'une action gouvernementale, notamment par la procédure de renvoi. Jusqu'en 1949, l'arbitre suprême du Canada était le Comité judiciaire du Conseil privé du Royaume-Uni. Son interprétation de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a rendu la Constitution du Canada beaucoup plus fédéraliste que le texte de l'Acte ne semblait l'indiquer. Toutefois, en 1949, la Cour suprême du Canada est devenue notre tribunal de dernier ressort en matière constitutionnelle. La Cour a démontré depuis qu'elle était sensible au principe du fédéralisme dans le contexte d'une société en évolution et, par ses décisions, elle a assuré au cours des années le maintien d'un fédéralisme équilibré. Au cours des années 1970, en raison des nombreux conflits entre gouvernements, le nombre des affaires constitutionnelles entendues par la Cour suprême a augmenté et elles ont porté sur des questions plus délicates. Le rôle de la Cour suprême a été capital à l'égard de certaines questions contentieuses, comme celle de l'énergie. Avec l'avènement de la Charte des droits, son rôle pourra devenir encore plus capital. Les actions des deux ordres de gouvernement feront l'objet de contestations qui porteront non seulement sur la question de savoir si ces actions sont ultra vires, mais aussi si elles violent la Charte des droits. C'est pourquoi certains observateurs ont proposé d'accorder expressément à la Cour suprême le statut de tribunal constitutionnel et aussi, puisque la Cour surveille les deux ordres de gouvernement, de permettre aux provinces de participer, avec le gouvernement fédéral, à la nomination des juges. Nous traiterons de ces questions ultérieurement. Les décisions des tribunaux peuvent préciser les limites des compétences constitutionnelles au sein de notre fédération. La délégation des pouvoirs, les accords et autres ententes peuvent aider à déterminer les responsabilités des gouvernements. Il y aura toujours cependant des relations fédérales-provinciales et les commissaires examineront donc maintenant les structures et les méthodes des relations intergouvernementales au Canada. Le mécanisme des relations intergouvernementales. Le mécanisme des relations intergouvernementales aide à la gestion des liens complexes qui existent entre les gouvernements du Canada dont chaque ordre touche l'élaboration de politiques en plusieurs domaines et dispose de plusieurs moyens de gouverner, notamment le pouvoir de dépenser, la taxation et la réglementation. Sous réserve des limites imposées par le partage des compétences et de l'éventualité toujours existante d'une intervention de la Cour suprême à titre d'arbitre final, les activités des gouvernements fédéral et provinciaux se recoupent dans plusieurs domaines. Le besoin de répondre aux demandes nouvelles de citoyens qui vivent dans un contexte social et politique toujours en évolution requiert une interaction constante de la part des dirigeants de chaque ordre du gouvernement. Le défi que doivent alors relever les Canadiens est de créer un mécanisme intergouvernemental pour assurer la gestion de cette interdépendance et de le faire sans sacrifier les autres valeurs politiques. Ce compromis devra assurer que nos gouvernements fonctionnent à l'intérieur d'un cadre suffisamment large et généralement accepté, et que l'ensemble des mesures provinciales et fédérales satisfont aux besoins actuels. L'élaboration de ce cadre est à la base même de la façon dont les commissaires veulent aborder la gestion de l'interdépendance entre les gouvernements. L'efficacité véritable des décisions politiques et la sensibilisation des gouvernements résulte des actes de deux ordres d'autorité qui travaillent de façon à la fois indépendante et conjointe, dans un contexte complexe où la concurrence côtoie la coopération. Le caractère même de l'interdépendance au sein de notre fédération implique aussi que, sauf en certains domaines, un gouvernement ne peut imposer sa volonté à un autre ou le forcer à faire quelque chose: au contraire, ils sont tenus de marchander, de convaincre et d'amadouer. Ils sont, pour employer les termes de l'un des participants, « condamnés à coopérer ». Les commissaires ne veulent pas dire que l'idéal ou que l'objectif premier des Canadiens devrait être une nouvelle structure intergouvernementale qui recherche à tout prix l'harmonie et évite les conflits et la controverse. Nous connaîtrons sans aucun doute une bonne dose de rivalité au sein des organes consultatifs du régime fédéral. Il est inévitable que le gouvernement fédéral dont les préoccupations touchent l'ensemble du pays et qui répond à un électorat pancanadien, mette de l'avant des politiques différentes de celles des provinces dont le territoire et la population sont plus restreints. Il est aussi inévitable que les gouvernements tentent de rivaliser entre eux pour obtenir le crédit des politiques qui sont bien reçues par la population et de jeter le blâme sur les autres pour les politiques moins populaires. De même, il est inévitable que les différents gouvernements provinciaux s'occupent des besoins particuliers qui résultent de leur structure économique particulière ou de la composition de leur population. Elles sont très peu nombreuses les questions qui peuvent rallier l'ensemble ou la majorité des provinces face au gouvernement fédéral. Très souvent, les désaccords entre les provinces sont aussi prononcés que les désaccords entre les provinces et le gouvernement central. Le processus démocratique de la fédération entraîne une rivalité pour obtenir l'appui du public alors que les gouvernements cherchent à mettre en place les politiques demandées par leur population respective. Le défi, pour lequel il n'existe pas d'ailleurs de solution toute faite, est d'assurer que cette rivalité n'entraîne pas des coûts excessifs et disproportionnés pour les autres gouvernements concernés, et qu'elle s'exerce de manière à ce que les intérêts des citoyens demeurent toujours au premier plan. De fait, même si la coordination demeure le résultat souhaité, la méthode pour y parvenir peut laisser place à la rivalité et à l'opposition. Les commissaires ne souhaitent pas que chaque activité soit le résultat d'un acte conjoint des gouvernements au sein de la fédération et que chacun d'entre eux soit lié envers les autres selon le plus petit dénominateur commun. Pareille politique priverait le fédéralisme de l'un de ses principaux avantages soit l'occasion de profiter de la diversité et de cueillir les fruits qu'engendrent la souplesse et l'expérience. L'unanimité complète aurait pour conséquence la paralysie et l'immobilisme. Elle serait aussi contraire au principe de la responsabilité ministérielle en vertu duquel chaque gouvernement est responsable, par le truchement de sa législature, devant ses électeurs. Il est essentiel que chaque ordre de gouvernement comprenne et accepte le rôle different Joué par l'autre et que chacun soit conscient du fait que l'autre répond aux besoins de ses citoyens et qu'il accepte cette réalité. Leurs fonctions sont complémentaires et non identiques. De fait, dans la mesure où il y a une acceptation très claire des différences entre les pouvoirs conférés à chaque ordre de gouvernement par la Constitution et entre les bases électorales sur lesquelles chacun de ces gouvernements doit s'appuyer l'interdépendance devrait se réaliser de façon plus efficace. Des relations intergouvernementales dans le régime fédéral supposent une interaction à des niveaux différents. A l'une des extrémités du continuum, le processus de décision politique est complètement indépendant: les gouvernements agissent sans consulter les autres gouvernements et sans prendre en considération les intérêts de ces derniers. Dans ce contexte, chacun des autres gouvernements doit s'adapter lui-même aux initiatives qui sont adoptées. C'est d'ailleurs souvent de cette façon que sont prises les décisions politiques, tant par le gouvernement fédéral que par les gouvernements provinciaux. Les gouvernements sont et devraient être libres d'agir de façon autonome dans les domaines de compétence qui leur sont propres. Lorsque leurs décisions politiques ont des conséquences importantes sur les autres gouvernements, cette interdépendance exige alors qu'une attention particulière soit accordée aux intérêts de ces autres gouvernements. A un second niveau, l'interaction se caractérise par la consultation. Ici, chaque gouvernement reconnaît les conséquences de ses actes sur les autres gouvernements et admet que tous agissent dans des domaines identiques ou très intimement reliés. Il est alors important que les gouvernements disposent de moyens de se renseigner et que chacun ait l'occasion de faire preuve de persuasion, d'exercer des pressions ou d'user de son influence. Au sein d'une fédération interdépendante, les domaines d'activités communes sont nombreux et vont depuis quelque temps en s'accroissant. Par conséquent, les institutions proposées par cette Commission visent à encourager des consultations étroites dans une grande variété de domaines qui peuvent faire l'objet de politiques. Les commissaires croient que les gouvernements au sein d'un régime fédéral doivent viser à « une courtoisie mutuelle qui n'ignore jamais les préavis et les consultations et recherche toujours les accommodements. Il s'agit là d'un élément nécessaire à un véritable régime fédéral au sein d'un pays industrialisé à la fin du vingtième siècle. Le troisième niveau des relations intergouvernementales implique la recherche de moyens de coordination. Les gouvernements tâcheront d'élaborer des politiques et des objectifs communs qu'ils appliqueront au sein de leur propre législature et dans leur administration. Cette coordination peut s'effectuer de différentes façons, depuis l'élaboration d'une politique économique commune lors d'une conférence des Premiers ministres jusqu'à des ententes détaillées sur la façon dont les politiques fédérales et provinciales vont pouvoir se conjuguer, par exemple dans les ententes de développement économique et régional. Enfin, il doit exister un processus décisionnel conjoint qui suppose que les gouvernements fédéral et provinciaux agissent ensemble pour poursuivre certains objectifs et agir selon certains critères. La formule de modification constitutionnelle constitue le meilleur exemple d'une décision de ce genre au sein de notre fédération canadienne. Les programmes à frais partagés peuvent aussi prendre cette forme. Pareil contexte peut faire craindre que l'imputabilité du gouvernement responsable soit sacrifiée aux exigences d'un consensus intergouvernemental. Nous partageons ces craintes et nous en avons tenu compte dans la formulation de nos recommandations relatives à une réforme des relations intergouvernementales. Nous trouvons des exemples de ces diverses catégories d'interaction gouvernementale dans le vaste réseau de relations fédérales-provinciales qui s'est développé depuis la Seconde Guerre mondiale, notamment au cours des années 1960 et 1970. L'établissement de la Conférence des Premiers ministres en fournit l'exemple le plus frappant. Il existe aussi au niveau ministériel de nombreuses rencontres qui portent sur une grande variété de sujets et un plus grand nombre encore de comités conjoints de fonctionnaires. Aux rencontres entre les 11 gouvernements viennent s'ajouter les rencontres bilatérales et celles qui mettent en présence le gouvernement fédéral et un certain nombre de provinces. Pour leur part, les conférences interprovinciales sont devenues un instrument extrêmement important, tant pour coordonner les réactions des provinces aux initiatives du gouvernement fédéral que pour concilier les politiques provinciales. En plus de toutes ces rencontres officielles, d'innombrables contacts ou rapports officieux s'établissent quotidiennement. Même si, en principe, tous les gouvernements sont égaux, les relations entre le gouvernement fédéral et les provinces ont varié grandement. Ainsi, le Canada a mis sur pied un réseau complexe de relations intergouvernementales qui permet une gestion contrôlée de cet état de fait bien que la Constitution ne fasse aucune mention de ces ententes et que celles-ci n'aient à peu près pas de fondement législatif. Plusieurs aspects de cette « industrie » intergouvernementale ont été critiqués. Pour certains, il s'agit là d'un « troisième ordre de gouvernement » qui menace de saper les principes de la responsabilité parlementaire. D'autres croient que le processus intergouvernemental a pour effet d'introduire beaucoup de parti pris dans l'élaboration des politiques canadiennes. Selon eux, le mécanisme met trop l'accent sur des questions de « second ordre » reliées au statut politique ou sur les rivalités qui visent à obtenir la faveur des électeurs et à éviter leurs reproches. On prétend parfois qu'en mettant l'accent sur le rôle des gouvernements provinciaux, le mécanisme intergouvernemental renforce la tendance à se pencher sur les dimensions régionales des problèmes. Il en résulte une impression d'homogénéité au sein des provinces alors que, dans les faits, il y a souvent autant de différences au sein des provinces qu'il y en a entre elles. Le processus détourne aussi l'attention d'autres problèmes d'ordre plus général et les groupes qui représentent des intérêts non régionaux ont beaucoup moins l'occasion de mobiliser l'opinion et de se faire entendre. Ce point de vue a sans doute sa part de vérité: lorsque les gouvernements discutent entre eux de politique économique, ils ne mettent pas l'accent sur les mêmes questions que dans les discussions qui se déroulent entre les secteurs public et privé. C'est une conséquence inévitable d'un régime fédéral dont il ne faut toutefois pas exagérer les difficultés. Les discussions intergouvernementales prennent en considération les préoccupations exprimées dans un cadre plus large. En effet lorsque le public se préoccupe davantage des questions à l'égard desquelles les différences régionales sont minimes, comme lors de l'établissement des mesures sociales après la guerre, les débats entre les gouvernements sont susceptibles de refléter ce genre de consensus. Enfin, même si les discussions intergouvernementales peuvent exclure certains éléments, les ministres et fonctionnaires des gouvernements fédéral et provinciaux qui négocient sur des questions précises font souvent valoir les intérêts des groupes qu'ils représentent. D'autres critiques ont porté sur le mécanisme gouvernemental lui-même. Même si les consultations entre les gouvernements sont nombreuses, celles-ci se font souvent de façon sporadique et ponctuelle. Les gouvernements ont tendance à vouloir consulter lorsqu'il est politiquement avantageux pour eux de le faire, alors qu'ils sont susceptibles d'ignorer les demandes qui pourraient leur causer des ennuis. Il n'existe, par conséquent, aucune certitude qu'une attention suivie sera toujours accordée aux problèmes communs du jour. Même la question de convocation des réunions, plus particulièrement, pour ce qui a trait à la Conférence des Premiers ministres, peut entraîner un débat politique qui accapare les efforts qui pourraient être consacrés à la recherche de solutions aux problèmes communs. Les réunions publiques, surtout celles des premiers ministres, semblent attacher beaucoup plus d'importance aux prises de position, énoncées dans les termes les plus forts, plutôt qu'à des efforts de compréhension et de compromis. Le processus réussit davantage à faire état des différends qu'à contribuer à leur conciliation. Au cours des dernières années, les attentes divergentes des participants ont eu aussi pour résultat d'entraver le mécanisme intergouvernemental. Les provinces ont vu les conférences des Premiers ministres comme des occasions de discuter de l'ensemble des politiques fédérales et d'exercer une influence sur le processus de décision du gouvernement central. Trois facteurs ont contribué à cette tendance. La croissance et la plus grande efficacité des gouvernements provinciaux ont permis à ceux-ci de réclamer une participation à l'élaboration d'une politique nationale et ont fourni à plusieurs de ces gouvernements une expertise et une connaissance souvent égales à celles du gouvernement central. Jusqu'à tout dernièrement, la faible représentation du parti au pouvoir, dans certaines régions, avait permis de donner une certaine crédibilité aux prétentions des gouvernements provinciaux de représenter ces régions, même en matière de politiques nationales. Certaines modifications dans l'attitude du gouvernement central, à l'égard de la gestion de notre économie, ont entraîné une participation fédérale plus grande dans des secteurs qui étaient autrefois surtout considérés comme provinciaux. Le conflit fédéral-provincial semble plus intense lorsque les gouvernements sont à la recherche de nouvelles solutions politiques et qu'ils abordent de nouveaux domaines. La croissance gouvernementale a donné lieu à des modifications de structure qui ont eu des effets sérieux sur les relations intergouvernementales. Le rôle des « organismes centraux » et des institutions, comme le cabinet du Premier ministre et le Conseil du Trésor, a pris de l'expansion, alors que les gouvernements cherchaient des moyens pour en arriver à une plus grande uniformité dans leurs activités et à une meilleure coordination. Par une direction plus centralisée et par ses efforts pour établir un meilleur contrôle fiscal et politique sur les ministères à vocation particulière, le gouvernement a cherché à concevoir et à poursuivre des visions plus globales ou mieux intégrées de l'intérêt public. Dans une certaine mesure, ces efforts ont affaibli la méthode antérieure selon laquelle les relations gouvernementales s'effectuaient surtout au niveau des ministres et des fonctionnaires des ministères, auxquels on avait confié un mandat politique bien précis. Au sein de ces ministères, les fonctionnaires fédéraux et provinciaux partageaient souvent des politiques communes et les mêmes objectifs professionnels et rendaient compte aux mêmes secteurs de la population. Leurs activités et leurs intérêts communs favorisaient chez eux une confiance mutuelle ainsi que la perception qu'ils poursuivaient un but commun. Au niveau des Premiers ministres et au sein des organismes centraux, on donnera vraisemblablement plus d'importance aux objectifs reliés au statut politique et les gouvernements seront moins susceptibles de subir les influences des groupes de pression. L'objectif de coordination des politiques dans tous les secteurs d'un même gouvernement entre souvent en conflit avec la gestion de la coordination intergouvernementale dans un domaine politique donné. Récemment, certaines questions comme celles de la Constitution et du statut des gouvernements ont aussi contribué à une tension dans les relations intergouvernementales. Le projet de réforme constitutionnelle, alimenté par le désir du Québec d'obtenir un nouveau statut et la demande de l'Ouest qui veut redéfinir sa position, a dominé le processus intergouvernemental durant la période de 1968 à 1983. Le débat constitutionnel mettait directement en question le statut et le pouvoir des gouvernements. Les questions soulevées étaient à la fois importantes et symboliques et ne se prêtaient guère aux compromis où chacun fait son bout de chemin, qui caractérisent normalement les questions de nature plus concrète et moins remplies d'émotivité. Comme les fonctionnaires participant à ces discussions se devaient de défendre la vision de la Confédération de leurs gouvernements respectifs, ils avaient beaucoup moins de points en commun. En raison de l'absence de groupes de pression bien informés, personne ne demandait de comptes aux participants ni n'encourageait la solution des différends. En résumé, les débats sur la Constitution ont fait ressortir les pires caractéristiques du processus intergouvernemental. Alors que les relations étaient plus cordiales dans plusieurs secteurs, les luttes sur les questions constitutionnelles et énergétiques ont contribué à empoisonner l'ensemble des relations intergouvernementales, et à convertir le processus en une bataille rangée entre « les bons » d'un côté et « les méchants » de l'autre. Les commissaires sont convaincus que le règlement de quelques-uns des principaux problèmes a permis de briser ce cercle vicieux. Nous sommes également persuadés qu'il est possible d'établir des relations plus efficaces maintenant que les questions à résoudre divisent le pays moins vivement en fonction des appartenances régionales et sont susceptibles d'être résolues grâce à des négociations directes entre les gouvernements. L'appréciation que nous venons de donner du mécanisme des relations intergouvernementales peut laisser entendre que celui-ci est tellement lourd et inefficace qu'il est impossible de le réformer véritablement. Les commissaires ne partagent pas cette conclusion. Les institutions intergouvernementales sont nécessaires pour répondre au besoin de coordination dans plusieurs domaines importants où il existe un chevauchement des activités et des responsabilités des gouvernements fédéral et provinciaux. Les modifications institutionnelles que nous proposons ont donc pour but de consolider la structure actuelle; nous ne visons pas à une prolifération des organismes intergouvernementaux, mais à rendre efficace la structure déjà en place. Plutôt que de proposer de nouvelles contraintes, nous voulons nous assurer que les actions qui pourraient avoir une influence sur les autres ordres de gouvernement soient examinées à l'avance de façon à favoriser une plus grande ouverture au niveau des relations intergouvernementales. Nous croyons aussi qu'il est essentiel d'assurer une réforme de l'ensemble du processus qui le rende plus conforme aux critères de l'imputabilité politique; il faut également améliorer l'accès du public aux relations gouvernementales et en permettre ainsi une meilleure compréhension. Les commissaires veulent favoriser les institutions et les mécanismes qui faciliteront la confiance mutuelle car, à moins qu'il n'existe une certaine compréhension des objectifs communs, les institutions les mieux planifiées ne pourront pas survivre. Mais des objectifs communs ne suffisent pas à eux seuls pour établir des relations positives; si nous voulons aboutir à des résultats cohérents, ces objectifs doivent aussi pouvoir s'appuyer sur des consultations et des discussions positives. La coopération et la reconnaissance du bien-fondé des différends devraient susciter des relations constructives. Les propositions. Les commissaires proposent donc que la Conférence des Premiers ministres soit enchâssée dans la Constitution. Les Premiers ministres devraient se réunir annuellement à une date déterminée et d'autres rencontres pourraient être convoquées au besoin. La Conférence des Premiers ministres est la pierre angulaire de la structure intergouvernementale. Au cours des récents débats constitutionnels, il a été question de tenir régulièrement une Conférence des Premiers ministres (CPM). La plupart des provinces ont toujours attaché beaucoup d'importance à la tenue de ces conférences et, à l'occasion, le gouvernement central les a appuyées. A la Conférence des Premiers ministres tenue à Régina en février 1985, le Premier ministre Mulroney s'est engagé au nom de son gouvernement à tenir des conférences annuelles sur l'économie au cours des cinq prochaines années. Certains peuvent s'opposer à institutionnaliser le plus contesté des organismes fédéraux-provinciaux, au sein duquel les différences politiques doivent prédominer. Toutefois, les commissaires croient qu'en conférant un statut officiel à la CPM, on reconnaîtrait la nécessité d'établir une formule satisfaisante d'interdépendance ainsi que le besoin, pour les gouvernements fédéral et provinciaux, de coordonner leurs politiques et leurs activités. Pour assurer une accessibilité et une imputabilité plus grandes, certaines séances de la CPM devraient être ouvertes au public, de même qu'on devrait pouvoir tenir aussi des discussions privées dans la mesure où celles-ci seraient nécessaires. La tenue de rencontres à date fixe et de façon régulière aurait pour effet d'éliminer l'un des aspects les plus litigieux des récentes conférences, alors que les gouvernements débattaient constamment l'opportunité ou le moment de tenir ces conférences. Dans une grande mesure, les conférences régulières éviteront l'escalade des hostilités et de l'inflation artificielle des attentes gouvernementales et publiques qui résultait de ce genre de joutes. Le but principal de la CPM est d'offrir un lieu de rencontre où les dirigeants fédéraux et provinciaux peuvent discuter des besoins politiques et envisager les mesures possibles. Comme cela se fait actuellement, les gouvernements devront s'entendre à l'avance sur l'ordre du jour. La CPM ne saurait être un organisme législatif dont les décisions lieraient les gouvernements. Plutôt que de légiférer, la CPM chercherait à établir un cadre politique commun. Il ne serait pas nécessaire d'avoir des règles précises relativement aux votes qu'on pourrait y prendre. Les commissaires suggèrent que l'adoption de lois qui donneraient suite aux discussions au sein de la CPM et des autres organismes soit laissée à la discrétion des gouvernements. La CPM devrait néanmoins prendre en main sa propre organisation. Les commissaires proposent plus loin la création d'autres commissions ministérielles. Il sera loisible à la CPM de restructurer les commissions si nécessaire, de définir leur mandat, de leur assigner des tâches et de prendre connaissance de leurs rapports. Il est possible qu'elle veuille établir un mode de scrutin à l'égard des décisions qui concernent la structure, la composition et le mandat des commissions ministérielles. Si elle le fait, nous croyons que la formule la plus appropriée serait de copier la procédure de modification constitutionnelle, c'est-à-dire que la majorité nécessaire à l'approbation d'une mesure devrait comprendre les deux tiers des provinces, regroupant au moins 50 pour cent de la population ainsi que le gouvernement fédéral. Les gouvernements qui ne voudraient pas faire partie d'une commission ministérielle pourraient en être exemptés. Le facteur le plus important du succès de toute institution intergouvernementale est une préparation suffisante. Celle-ci comprend une discussion préalable approfondie de l'ordre du jour, un échange d'information et l'étude par chacun des domaines où il y a possibilité d'entente ou de compromis. La CPM devrait établir un secrétariat indépendant responsable de ce travail préparatoire. Une telle mesure aurait pour effet la participation d'un groupe de fonctionnaires dont l'objectif serait la réussite du processus lui-même. En revanche, il pourrait en résulter certaines difficultés. Une bureaucratie intergouvernementale autonome semblable à celle qui existe, par exemple, à la Commission de la Communauté européenne, irait à l'encontre des critères canadiens de la responsabilité gouvernementale. Les commissaires recommandent donc de faire appel à une institution canadienne mieux établie, soit un comité permanent de hauts fonctionnaires comme le Comité permanent des fonctionnaires des affaires économiques. - Pareil comité, dont les membres seraient nommés par les Premiers ministres, devrait être établi pour appuyer Même si les commissaires ont rejeté l'option d'un secrétariat intergouvernemental pour la CPM, des organismes semblables peuvent jouer un rôle utile. Souvent, des tiers impartiaux, qui ne sont pas directement reliés aux intérêts gouvernementaux, peuvent favoriser la conclusion d'ententes en offrant des perspectives différentes et des renseignements nouveaux et en proposant des solutions que les participants n'avaient pas envisagées. Un conseil consultatif des relations intergouvernementales pourrait remplir ces fonctions et faciliter au public la compréhension des questions fédérales-provinciales. Nous avons examiné deux modèles soit la l'Advisory Commission on Intergovernmental Relations (ACIR), depuis longtemps établie aux États-Unis, et l'Advisory Commission on Intergovernmental Relations de l'Australie. Ces conseils établis par une législature, comprennent des représentants du gouvernement fédéral et des gouvernements des états (et aux États-Unis des administrations municipales) et ils sont appuyés par un personnel restreint de professionnels. Dans chacun des pays, les conseils étudient différentes questions, effectuent des recherches et organisent des conférences. Leur travail a grandement contribué au bon fonctionnement des relations intergouvernementales. Les membres d'un tel conseil pourraient agir officieusement à titre de médiateurs pour aider à résoudre les conflits entre gouvernements. Les techniques de médiation, élaborées à partir des structures des relations de travail aussi bien que de celles des négociations entre les grandes puissances, pourraient faciliter la solution des conflits intergouvernementaux au Canada. Un organisme consultatif peut facilement travailler en coulisse pour diminuer la tension de ces conflits et fournir des renseignements et des analyses aussi bien aux gouvernements qu'au public. Les Premiers ministres pourraient éventuellement vouloir examiner l'établissement d'un tel organisme qui jouerait l'un ou plusieurs des rôles que nous avons mentionnés. Les rencontres au niveau ministériel touchent maintenant plusieurs domaines des politiques gouvernementales. Elles souffrent aussi, jusqu'à un certain point, de leur caractère sporadique. A quelques exceptions près, notamment les rencontres des ministres des Finances, elles ne permettent pas une interaction, un partage des idées et de l'information sur une base permanente. Les commissaires recommandent le renforcement de ces relations comme l'un des éléments d'un objectif plus global, soit celui de mettre davantage l'accent sur les problèmes politiques concrets. Ce nouvel objectif a plus de chance de se réaliser au sein d'organismes établis pour traiter de problèmes particuliers. Les commissaires proposent donc que la Conférence des Premiers ministres établisse plusieurs commissions ministérielles pour agir dans les principaux secteurs opérationnels. Les rencontres des commissions devraient aussi être tenues régulièrement, probablement à des intervalles plus fréquents que les conférences des Premiers ministres, afin de stimuler l'élaboration de perspectives communes et l'échange d'information et pour établir un climat de confiance parmi les participants. Comme la CPM, les commissions ministérielles seraient appuyées par des comités permanents de fonctionnaires. La Commission n'entend pas donner une liste de toutes les commissions qui devraient être mises sur pied. Nous voulons toutefois donner une description de trois de ces commissions dont le travail revêtirait une importance particulière en fonction des thèmes déjà traités dans ce Rapport. Une commission ministérielle responsable des finances. Les commissaires considèrent cette commission comme le modèle à suivre. Depuis plusieurs années, les ministres des Finances et les trésoriers des différents gouvernements se rencontrent régulièrement pour examiner et négocier les arrangements fiscaux, pour discuter des perspectives économiques, pour échanger leurs vues avant de préparer leurs budgets et pour discuter de la politique macro-économique. Notre proposition vise simplement à donner un statut à la commission actuelle des ministres des Finances et à exiger aussi qu'ils se rencontrent plus fréquemment. Cette commission serait appuyée par un groupe d'experts, le comité sur la structure fiscale, qui poursuivraient des recherches et examineraient les initiatives en matière fiscale. Une commission ministérielle responsable dù développement économique. Comme les commissaires en ont fait état auparavant, la protection de l'union économique canadienne ne consiste pas simplement à empêcher l'érection de barrières économiques ou à trouver la personne capable d'en assurer l'application. Il faut plutôt, pour assurer la réussite de cette union, que les gouvernements canadiens s'entendent sur une série d'objectifs qui entraîneraient la coordination des efforts dans toutes les activités de développement économique auxquelles participent les gouvernements. La principale fonction de la commission ministérielle responsable du développement économique serait de discuter de ces objectifs et de la façon de les atteindre. Le succès de l'union économique canadienne exige aussi un échange d'information entre les gouvernements de façon à prévenir, avant qu'elle ne soit trop avancée, l'escalade des pratiques qui peuvent être préjudiciables aux autres gouvernements. La commission ministérielle responsable du développement économique devra donc examiner et évaluer l'état de l'union économique canadienne. Par le truchement de cette commission, les gouvernements pourraient élaborer le « code de conduite économique » dont il a déjà été question. La commission chercherait à ce que les gouvernements s'entendent sur des objectifs communs en matière de politique économique et commerciale et favoriserait l'établissement, entre les régions, de liens qui seraient à leur avantage mutuel. Un auxiliaire essentiel de cette commission serait un conseil fédéral-provincial sur l'union économique dont les membres seraient nommés par la commission. Le conseil examinerait attentivement l'état de l'union économique canadienne, ferait les recherches pour identifier les obstacles ainsi que les domaines susceptibles d'une plus grande conciliation et ferait rapport publiquement au conseil des ministres de ses constatations. Il fournirait aussi un cadre officiel pour l'audition des particuliers et des groupes qui croient que les contraintes actuelles entravent sérieusement leurs propres activités. Le conseil ferait enquête sur les plaintes ainsi reçues, les examinerait à la lumière des autres facteurs et ferait aussi rapport à la fois au public et à la commission, tout en faisant des recommandations sur les mesures à prendre. Cet organisme assurerait la participation du public aux débats portant sur notre union économique. Il constituerait aussi une source importante de conseils sur les façons de renforcer l'union économique. De plus, en obligeant les gouvernements à justifier publiquement leurs actions, il contribuerait à accroître leur imputabilité. Les commissaires prévoient qu'un tel organisme découvrirait plusieurs domaines où les différences de critères pour la délivrance des permis ou de règlements relatifs à la sécurité ne servent pas des objectifs fédéraux ou provinciaux distincts, ni ne protègent le public. Plusieurs de ces différences sont tout simplement le résultat de la tradition, de l'inertie ou de l'inconscience. Une commission ministérielle responsable de la politique sociale. L'importance de la politique sociale dans de nombreux aspects de la vie canadienne et l'ampleur des responsabilités partagées en ce domaine sont de fortes indications du besoin d'une commission ministérielle responsable de la politique sociale. Un tel organisme examinerait tous les aspects de la politique sociale, notamment les domaines à frais partagés inclus dans le financement des programmes établis et le Régime d'assistance publique du Canada. Les recommandations en matière de politique sociale, déjà mentionnées dans notre Rapport, supposent un bon nombre de réformes qui exigeront une consultation intergouvernementale. La consultation avec les professionnels en exercice ainsi qu'avec les groupes de pression et les particuliers est particulièrement importante en ce domaine. Nous encouragerions les comités parlementaires à s'engager plus activement dans l'élaboration de la politique sociale, en effectuant des recherches sur les questions en litige et en tenant des audiences publiques. La CPM pourrait établir autant de commissions ministérielles qu'il serait nécessaire. Ainsi, elle pourrait constituer des commissions dans des domaines tels que la formation professionnelle et l'administration de la justice. Ces commissions pourraient fournir un cadre qui assurerait une plus grande cohérence du régime fédéralprovincial. On retrouverait aussi naturellement d'autres formes d'interaction, moins structurées celles-là, dans les discussions bilatérales et interprovinciales qui portent sur des questions particulières. De fait, les recherches de la Commission lui ont permis de constater que de nombreuses relations de ce genre avaient été établies; les commissaires ne voient pas de raison pour empêcher l'évolution de cette tendance. Tout au long de ce Rapport, les commissaires ont insisté sur le besoin d'accroître l'imputabilité des gouvernements dans le cadre de leurs relations mutuelles. Le fait que seuls les gouvernements responsables peuvent adopter des lois favorise l'imputabilité des organismes de consultation et de coordination intergouvernementales. On se doit de continuer dans cette veine, mais il faut de plus que le processus intergouvernemental soit accessible au public. Quelques-unes des propositions déjà formulées visent cet objectif. Par exemple, en examinant les plaintes, la Commission fédérale-provinciale sur l'union économique ouvrira au public une fenêtre sur le processus. La proposition qui veut que la Conférence des Premiers ministres soit publique vise le même objectif, c'est-à-dire que les gouvernements répondent de leurs actes. Si les gouvernements discutent entre eux de questions plus concrètes et plus substantielles, les participants devraient être plus conscients des intérêts des groupes visés. La préoccupation déjà manifestée par les commissaires portant sur l'avantage de la mise en oeuvre d'un programme par celui qui en est l'auteur, devrait avoir le même effet. Si le gouvernement qui adopte un programme l'applique lui-même plutôt que de s'en remettre à un autre gouvernement, les liens entre les citoyens et les gouvernements sont plus directs et il en résulte une imputabilité plus grande. La Commission croit toutefois qu'on peut faire davantage. Les gouvernements doivent répondre de leur conduite des affaires intergouvernementales et les comités parlementaires ou législatifs constituent la meilleure façon de les y astreindre. Au cours des dernières années, le Groupe de travail Bureau sur le fédéralisme fiscal, les comités parlementaires sur la Constitution et des organismes provinciaux de même nature ont fait la preuve du mérite de l'examen des affaires intergouvernementales par les organes législatifs. Tous ont contribué à tempérer cette tendance des rencontres intergouvernementales à s'attacher à l'aspect du « qui fait quoi », en mettant fortement l'accent sur ce qui doit être fait. Les comités permanents des deux ordres de gouvernement devraient être en mesure de surveiller ces relations de façon plus permanente. Les commissaires proposent donc que le Parlement et les législatures établissent des comités permanents responsables des relations intergouvernementales. L'harmonisation interprovinciale. Jusqu'ici, les commissaires se sont penchés sur la dimension fédérale-provinciale des relations intergouvernementales. Il existe toutefois de nombreuses relations entre les provinces et certaines institutions interprovinciales importantes. Depuis le début des années 1960, les dirigeants des gouvernements provinciaux se sont rencontrés annuellement à l'occasion de la Conférence des Premiers ministres. Au début, ces rencontres portaient principalement sur la façon de coordonner leur approche des questions d'intérêt provincial. Plus récemment, les provinces ont surtout cherché à s'unir pour faire face aux initiatives fédérales, notamment en matière fiscale et constitutionnelle. A quelques occasions, les provinces en sont arrivées entre elles à des compromis qui visaient l'adoption d'une attitude commune. La présidence de la Conférence est assumée à tour de rôle par chacun des Premiers ministres qui parle au nom des provinces lorsqu'il traite avec le gouvernement fédéral. Les ententes provinciales sont susceptibles d'avoir des conséquences sur les relations intergouvernementales, notamment lorsqu'elles portent sur des questions d'intérêt commun pour les provinces et surtout de celles qui, comme la question constitutionnelle, ont rapport à leur statut à titre de gouvernement. Sur les autres questions d'ordre économique et social les besoins et les intérêts différents des régions diviseront souvent les provinces autant qu'elles divisent le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Les provinces voudront souvent aussi traiter individuellement avec le gouvernement fédéral, plutôt que collectivement. Dans une union économique, l'harmonisation des politiques au sein des gouvernements participants est essentielle. Comme nous l'avons vu, les différences qui existent dans les normes des produits, dans les critères pour la délivrance des permis d'occupation, ainsi que dans les pratiques commerciales en usage, peuvent empêcher la mobilité et les échanges commerciaux entre les membres de l'union. Il faut donc chercher l'équilibre entre, d'une part, le maintien chez les états membres d'une autonomie qui leur permet d'adopter des politiques qui leur conviennent et, d'autre part, l'uniformité qui facilite les échanges entre les membres. Dans un régime fédéral comme celui du Canada, le gouvernement fédéral a un rôle essentiel à jouer pour assurer l'harmonie entre les provinces. Lorsque des critères communs sont essentiels, il incombe au gouvernement central de les élaborer. C'est pourquoi la compétence constitutionnelle en matière d'échange et de commerce entre les provinces relève du gouvernement fédéral. Les commissaires croient que des domaines tels que la concurrence, les télécommunications et l'établissement de normes pour les produits sont des questions qui relèvent d'abord du gouvernement central. Le code de conduite économique proposé favoriserait aussi l'harmonisation. Il viserait à assurer que les activités de développement économique, tant du gouvernement fédéral que des gouvernements provinciaux, n'imposent pas d'obstacles à l'union économique canadienne. Il reste toutefois un vaste domaine d'activités assujetties à la réglementation provinciale, en raison surtout de la compétence des provinces en matière de propriété et de droits civils. Ces activités sont susceptibles d'avoir comme résultat des pratiques différentes parmi les provinces, ce qui constitue un inconvénient pour ceux qui veulent faire du commerce à l'échelle nationale. Les commissaires veulent s'assurer que les provinces répondent d'abord aux besoins locaux, un élément essentiel du fédéralisme. Même si la différence entre les lois provinciales crée des difficultés, le transfert d'autorité au gouvernement central n'est pas la seule voie possible. Une autre solution serait d'encourager les provinces à harmoniser leurs lois dans la mesure du possible, lorsque cette mesure est nécessaire à une véritable intégration du marché canadien. Bien sûr, l'uniformisation s'accomplit souvent spontanément, puisque toutes les provinces subissent les mêmes pressions de la part de leurs électeurs et que leurs politiques ne sont pas susceptibles de varier tellement. Lorsqu'un gouvernement se prépare à agir dans un domaine, il est normal qu'il regarde d'abord les lois existantes ailleurs. Les innovations introduites dans une province peuvent alors être imitées par les autres. Les Canadiens devraient aussi se demander quels sont les mécanismes existants susceptibles de favoriser une harmonisation plus complète. Le mécanisme le plus ancien est la Conférence canadienne sur l'uniformisation des lois, qui s'appelait autrefois la Conférence des commissaires sur l'uniformisation des lois, créée en 1915. Ses membres, qui se rencontrent annuellement, comprennent des représentants du gouvernement fédéral, de toutes les provinces et des territoires. La Conférence a publié plus de 60 lois uniformes dans différents domaines. Vingtquatre d'entre elles ont été acceptées par au moins six participants et une seule a été adoptée par tous. Les résultats sont donc modestes, mais la situation s'explique par plusieurs facteurs. La Conférence possède un secrétariat restreint et des ressources limitées en matière de recherche. Ses membres sont des fonctionnaires affectés ailleurs à temps plein. L'accent mis sur la rédaction de lois uniformes a empêché les membres de se concentrer sur des principes de portée plus générale. Les projets de loi, rédigés dans l'optique du common law, ont été reçus avec peu d'enthousiasme dans un Québec de tradition civiliste. La Conférence a fait peu d'efforts pour intéresser d'autres groupes à son travail ou pour faire des pressions afin que les lois uniformes qu'elle a proposées soient adoptées. Un autre mécanisme qui serait susceptible de favoriser cette harmonisation consisterait en la formation de groupes de travail composés de ministres ou de fonctionnaires. Probablement que l'institution semblable la mieux établie au Canada est la commission ministérielle responsable de l'éducation, qui a favorisé un meilleur échange d'information et l'établissement de programmeS d'études communs. Certains comités établis pour étudier des questions plus restreintes ont connu également du succès. Parmi ceux-ci, mentionnons un groupe de travail fédéral-provincial, établi en 1983, qui s'est penché sur l'établissement d'un bureau central pour l'enregistrement des valeurs mobilières en matière aéronautique. Les efforts pour atteindre l'harmonisation exigent de fortes pressions de l'extérieur, comme celles exercées par des groupes qui subissent les inconvénients des divergences provinciales et qui travaillent à l'unité. Les commissions de réforme du droit, fédérale et provinciales, devraient exercer des pressions semblables. Il serait relativement facile d'inclure dans le mandat de ces commissions l'harmonisation interprovinciale des lois, même si jusqu'à maintenant on a très peu fait à cet égard. D'autres organismes appelés à jouer un rôle semblable seraient les associations professionnelles à vocation pancanadienne, notamment l'Association du Barreau canadien et l'Institut canadien des comptables agréés. En 1963, la Section de droit commercial de l'Association du Barreau canadien a établi un comité d'experts afin de rédiger un modèle de loi uniforme sur les garanties sur les biens mobiliers. Le comité a eu une influence sur la modernisation et l'uniformisation des lois dans ce domaine essentiel aux transactions commerciales interprovinciales. Au moins sept provinces ont adopté ou se préparent à adopter des lois qui retiennent la plupart des éléments de la loi modèle. Quelles leçons se dégagent de ces réalisations en matière d'harmonisation interprovinciale? Le manque évident de dynamisme pour appuyer ces efforts pourrait s'interpréter de différentes façons. Peut-être existe-t-il déjà un haut degré d'harmonie; peut-être les divergences n'entraînent-elles pas tellement d'inconvénients; peut-être encore existe-t-il un grand besoin non comblé d'institutions nouvelles. Les commissaires retiennent les deux premières explications. Dans l'ensemble, nous croyons toutefois qu'une plus grande harmonisation permettrait de profiter au maximum des avantages de l'union économique. Nous ne recommandons pas l'établissement de nouvelles structures: les institutions que nous avons décrites devraient suffire amplement. Ainsi, la commission ministérielle responsable du développement économique se penchera certainement sur la question de l'harmonie entre les provinces et la commission fédérale-provinciale sur l'union économique devrait faire de même. Cette dernière fournit l'occasion à des intérêts privés d'insister pour une plus grande harmonisation dans des domaines particuliers. De la même façon, les autres commissions ministérielles peuvent confier à des groupes de travail le soin d'examiner cette question. La Conférence des Premiers ministres peut aussi s'y arrêter, en confiant des tâches particulières à des ministres ou à des fonctionnaires. Il existe donc des mécanismes pour répondre aux besoins à mesure qu'ils se présentent. Conclusions. Les commissaires ont conçu leurs recommandations de manière à rationaliser la structure des relations intergouvernementales. Nous voulons faciliter la gestion de l'interdépendance au sein du régime fédéral, car les Canadiens ne peuvent se permettre de retourner au scénario classique des compartiments étanches du fédéralisme. Nous avons fait certaines suggestions pour distinguer les activités fédérales des activités provinciales comme, par exemple, une division plus précise des tâches en matière de développement régional et le remplacement du Régime d'assistance publique du Canada par un régime de supplément du revenu qui serait administré par le gouvernement fédéral, mais auquel les provinces pourraient ajouter leurs propres programmes. Nous croyons qu'à mesure que les commissions ministérielles examineront les autres programmes, il sera beaucoup plus facile de comprendre quels sont ceux qui devraient être mis en oeuvre par l'un ou l'autre des gouvernements. Les commissaires ont recommandé certaines modifications constitutionnelles et ont insisté sur le besoin de mécanismes plus souples pour la délégation législative et les ententes intergouvernementales. Les responsabilités partagées et la nécessité d'adapter les politiques aux structures nouvelles entraîneront toujours de nombreuses relations intergouvernementales. Nous avons beaucoup à gagner d'une rationalisation de la structure déjà existante et de l'établissement de moyens plus efficaces de consultation et de coordination. Les recommandations des commissaires devraient favoriser les consultations et amener la création de mécanismes qui rendraient cette consultation accessible au public. Nous exhortons les Canadiens à considérer nos recommandations de réforme des ententes intergouvernementales parallèlement avec nos autres recommandations visant à la modification des institutions, notamment celles relatives à la réforme des institutions nationales. Le gouvernement fédéral doit posséder, dans l'accomplissement de sa tâche, la capacité de représenter les intérêts de toutes les régions et de s'adapter à ces intérêts. Les relations intergouvernementales ne peuvent remplacer une véritable représentation régionale au sein du gouvernement central. De la même façon, une meilleure représentation régionale dans les institutions nationales ne peut constituer un substitut des relations intergouvernementales. L'existence d'un véritable partage de compétences et de deux ordres de gouvernement forts signifie qu'une coordination est essentielle, quel que soit le degré de représentation régionale au sein des institutions nationales. C'est pourquoi nous considérons qu'une réforme du pouvoir central n'exclut pas une réforme des institutions de la fédération, mais que l'une et l'autre sont complémentaires: le Canada a besoin des deux, à des fins différentes. La réforme des institutions nationales dans le sens proposé par les commissaires devrait modifier le caractère et le dynamisme des relations fédérales-provinciales. Une meilleure représentation de toutes les provinces dans les institutions nationales sera une garantie que les intérêts de chaque province sont représentés au caucus et au Cabinet. De plus, un gouvernement plus représentatif des régions devrait pouvoir, par l'intermédiaire de ses députés, communiquer de façon efficace avec les citoyens de chaque province afin d'obtenir leur appui pour ses programmes et ses initiatives et afin de répondre aux besoins locaux. Un gouvernement fédéral jouissant d'un appui pancanadien serait en mesure de négocier de façon plus efficace avec les gouvernements provinciaux et de réfuter leur prétention selon laquelle ils sont les seuls représentants légitimes des intérêts locaux. Une conséquence du déséquilibre de la représentation régionale au sein des institutions nationales a été d'imposer un fardeau presque insupportable au processus intergouvernemental. Une leçon qu'on peut tirer d'un passé récent est que l'intégration politique constitue une tâche trop considérable pour la confier à une catégorie unique d'institutions. Un régime fédéral vigoureux est celui dans lequel il existe de nombreux liens qui unissent le niveau fédéral et le niveau provincial. Ces liens existent, non pas seulement entre les gouvernements, mais aussi au sein des partis politiques, dans la fonction publique, dans les médias, dans les associations de toutes sortes et enfin, dans l'esprit des citoyens. Les commissaires ne veulent pas terminer cette discussion sur les relations intergouvernementales sans souligner toute l'importance que revêtent les relations personnelles dans la vie sociale, commerciale et familiale des Canadiens des différentes parties du pays. Dans une société fédérale, les liens officieux entre les citoyens aussi bien que ceux qui les unissent à l'État, constituent des moyens importants de restreindre les abus. La communication entre les régions tempère les tendances à des divergences excessives; elle sert de fondement à la tolérance de la diversité laquelle, à son tour, peut fournir un précieux moyen de contrôle de l'autorité unificatrice du gouvernement central. En définitive, ce sont les citoyens qui doivent résoudre les conflits entre leurs gouvernements.