*{ (Rapport commission MacDonald 1983) } Introduction. La réponse de l'État à la question épineuse de notre identité en tant que peuple n'a jamais été sans varier et les Canadiens n'ont pas trouvé non plus d'accord sur le sujet. Cependant, l'État, par le biais des modifications institutionnelles et législatives, doit représenter le pluralisme de la société canadienne et s'y intéresser, au moment où les composantes de ce pluralisme se transforment en fonction des facteurs, souvent internationaux, sur lesquels l'État n'a que très peu d'emprise. Notre programme pour 1985 comprend les questions urgentes des collectivités, dont plusieurs sont étudiées ci-dessous par les commissaires, ainsi que des propositions de réformes. Les commissaires essaient d'établir, grâce à ces réformes, une corrélation plus étroite entre les dimensions sociales de la collectivité et les mesures institutionnelles qui expriment ces dimensions et les englobent. Notre système de gouvernement doit tenir compte des collectivités nationales et provinciales, ainsi que des clivages sociaux qu'on y voit toujours naître. Les réformes que nous proposons reflètent notre reconnaissance d'un peuple canadien unique. Une citoyenneté commune réunit des gens qui diffèrent par la langue, l'ethnicité, le sexe, la province, le mode de vie, le revenu et bien d'autres caractéristiques. Nous souhaiterions contribuer à réunir tous ces groupes dans un cadre institutionnel qui n'étouffe ni les divergences ni les revendications, mais qui facilite, au contraire, la coopération et la reconnaissance de l'entité du peuple canadien. La Loi constitutionnelle de 1982, avec sa Charte des droits, sa formule d'amendement et sa clause de ressources naturelles, était un compromis, particulièrement dans le cas de la Charte, influencé par le pouvoir des citoyens. Bien que le gouvernement du Québec n'ait pas été l'un des signataires de l'accord qui a précédé la Loi constitutionnelle, les dispositions de la Loi sont applicables et judiciairement en vigueur dans cette province. Le gouvernement dans la province du Québec, où 80 pour cent des Canadiens français ont élu domicile, ne considère pas la Loi comme une partie légitime de la Constitution. Ce point de vue concerne la Charte et la formule d'amendement. D'autres partis politiques représentatifs du Québec partagent cet avis de différentes façons. Par conséquent, le motif du désaccord n'est pas près de disparaître. Le rapatriement de la Constitution et la Loi constitutionnelle sont, par conséquent, des réalisations incomplètes. Le refus du Québec d'accepter les dernières modifications de la Constitution est le principal problème des collectivités qui existe au Canada et qui n'a pas été résolu. Étant donné le déclin apparent du «nationalisme» québécois, les commissaires laissent supposer qu'une attitude de bienveillance et de compréhension envers la province pourrait conduire à un rapprochement vers la Constitution; nous faisons d'ailleurs des propositions dans ce but. En général, la coexistence harmonieuse des Canadiens francophones et anglophones, qui devrait comprendre la juste reconnaissance institutionnelle et constitutionnelle, exige un effort à trois niveaux. Premièrement, il faut reconnaître le rôle essentiel que joue le gouvernement du Québec qui entretient une population florissante en majorité francophone. Deuxièmement, le gouvernement national doit traduire, dans l'ensemble de ses opérations, la dualité linguistique qui existe au Canada. Enfin, le Canada, dans son entité, doit, aux niveaux national et provincial, s'intéresser aux minorités de langues officielles, les francophones hors-Québec et les anglophones au Québec, et les soutenir. Viennent s'ajouter aux problèmes institutionnels qui touchent le Québec et les Canadiens francophones, d'autres préoccupations du même type relatives aux territoires du Nord, à l'autonomie politique des autochtones et aux municipalités. On étudie, depuis quelque temps, plusieurs propositions importantes de changements dans l'organisation et la structure des gouvernements du Nord canadien. D'après les commissaires, il est bon d'inciter les gouvernements à continuer le processus actuellement mis en application, dans le but d'aligner les mesures gouvernementales des territoires du Nord à celles qui sont pratiquées dans le reste du Canada; les Canadiens devraient, en même temps, mettre en place des mesures qui tiennent compte des différentes caractéristiques sociales, économiques et culturelles de la région. En ce qui a trait à l'autonomie politique des autochtones, les commissaires appuient la présentation de mesures qui augmenteraient l'influence et le contrôle des autochtones sur leurs propres affaires sociales et économiques. Cet objectif est fondé sur la place caractéristique que ces populations occupent au sein de la société canadienne en tant que premier peuple du Canada et sur la reconnaissance dont ils jouissent aujourd'hui, en vertu de la Constitution. Il n'est cependant pas sûr que les implications et les conséquences de l'autonomie politique des autochtones, qui pourraient avoir un effet sur l'ensemble des politiques gouvernementales du Canada, aient été examinées avec suffisamment de soin. Il existe, en fait, plusieurs régions dans lesquelles la situation demande plus mûre réflexion. Les politiques des gouvernements locaux varient de façon importante d'une région à l'autre. Cette diversité correspond aux différences de taille et de moyens financiers des régions, et au fait que le gouvernement local est, en vertu de la Constitution, sous la responsabilité des provinces. Les commissaires remarquent, néanmoins, que les gouvernements locaux prennent de plus en plus d'envergure en taille, en complexité et en responsabilité, et nous croyons que certaines mesures pourraient rendre les municipalités encore plus aptes à apporter leur meilleure contribution à la société canadienne et à sa croissance économique. La place du Québec dans la Confédération. Depuis le début des années 1960, le débat sur la place du Québec dans la Confédération a mobilisé une quantité considérable d'énergie au Canada. Il ne faut donc pas s'étonner si après le référendum de 1980, dans un contexte de crise économique, on en soit venu à considérer que ce débat avait déjà accaparé trop de temps et qu'il devait céder la place à l'étude d'autres questions importantes intéressant l'ensemble de la population canadienne. De fait, avec l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, le débat sur le Québec s'est estompé, au point de faire croire que le problème pouvait se régler de lui-même sous l'effet d'une politique active garantissant à tous et chacun des droits égaux au plan linguistique. Vouloir le ressusciter, dès lors, apparaissait non seulement inutile mais dangereux. Mais la réalité est souvent têtue. Il aura suffi de quelques années à peine pour que la question du Québec soit ramenée à l'agenda des discussions constitutionnelles. Rarement, en fait, la situation sera-t-elle apparue plus propice à un règlement de cette dernière. Tant le gouvernement du Québec que celui d'Ottawa ont énoncé clairement leur volonté d'en arriver à un accord et déjà certains Premiers ministres provinciaux se sont montrés favorables à une initiative en ce sens. Semblables manifestations de bonne volonté, si elles ne changent rien à la complexité des problèmes, donnent au moins l'espoir qu'un pas décisif dans la bonne direction pourra être franchi dans un avenir rapproché. Le Québec en tant que société distincte. Afin qu'une entente durable s'installe entre le Québec et le reste du Canada, entente qui assure la place du Québec dans la Confédération et contribue à la prospérité de la province et du pays tout entier, il importe au départ de dépasser les clichés traditionnels sur la spécificité du Québec pour dégager une vue réaliste des données qui, en 1985, caractérisent cette province. Deux écueils en particulier doivent être évités. Le premier est celui de la recherche à tout prix d'une homogénéité culturelle qui définisse cette spécificité: si une telle homogénéité a jamais existé, elle n'est certes plus caractéristique du Québec. Le second est celui d'une dépréciation de la dimension collective du problème du Québec au point de le ramener à une simple question de droits individuels susceptibles d'être exercés partout au Canada; si vivre, travailler et s'épanouir dans sa langue est ce dont il s'agit, ceci ne pourra jamais être totalement vrai. La période qui s'échelonne du début des années 1950 à nos jours témoigne indubitablement d'une transformation radicale de la société québécoise. A tel point que celui qui lit le Rapport Tremblay, paru en 1956, et compare sa description de la société québécoise avec ce qu'elle est aujourd'hui, a l'impression de comparer deux mondes tout à fait différents. En 1956, le Rapport Tremblay décrivait une société québécoise distincte, essentiellement rurale, marquée par son attachement aux valeurs religieuses, son opposition au matérialisme économique et essentiellement conservatrice au plan politique, c'est-à-dire hostile au développement de l'appareil gouvernemental. Mais derrière cette façade, les idées évoluaient sans qu'on s'en rende très bien compte. Au sein de différents groupes et mouvements, la conception traditionnelle de l'autorité était remise en question, la laïcisation de l'État était discutée et surtout de nouveaux développements dans les domaines économique, social et culturel étaient envisagés. La fin du duplessisme et le début des années 1960 voient, à la surprise du reste du Canada, une transformation majeure se produire. L'édifice ancien se lézarde, la toute puissance du clergé au plan politique devient rapidement chose du passé et l'on découvre les possibilités immenses qu'offre l'État comme instrument de promotion économique et sociale. Jusqu'au début des années 1980, les Québécois vont développer et raffiner ce nouvel instrument. Une vaste réforme du secteur de l'éducation est entreprise, le système de sécurité sociale est revu de fond en comble, un régime distinct de pensions est mis en place, plusieurs sociétés d'État sont créées, particulièrement dans le domaine économique, et finalement, diverses mesures visant à ouvrir le Québec sur l'extérieur sont adoptées. Cette nouvelle défense et illustration de l'appareil bureaucratique et politique, considérée comme un élément de renforcement extraordinaire du nationalisme québécois, va donner lieu également à des demandes répétées d'accroissement des pouvoirs provinciaux. Toutefois, coïncidant avec le début des années 1980 et le référendum sur la souveraineté du Québec, une nouvelle rupture se produit. D'une part, l'escalade du débat politique entre Québec et Ottawa se trouve bloquée. Dans la mesure où l'indépendance du Québec, en tant qu'hypothèse, est écartée, la poursuite du débat va devoir prendre pour acquis le maintien du lien fédéral. D'autre part, une nouvelle constatation se fait jour au plan économique: l'appareil gouvernemental, de plus en plus lourd, et surtout de plus en plus coûteux, n'est plus perçu comme le seul instrument de développement de la société québécoise. Dans un tel contexte, la recherche de pouvoirs constitutionnels accrus perd quelque peu de son sens, alors qu'il est déjà assez difficile d'exercer pleinement ceux qui sont effectivement reconnus. Parallèlement à ce changement, on constate une nouvelle attitude face au rôle du secteur privé dans l'économie. Stimulés par l'exemple d'un nombre croissant d'entrepreneurs francophones qui s'imposent dans un monde des affaires traditionnellement anglophone, les Québécois se découvrent un intérêt nouveau pour les affaires: l'ancien démon du matérialisme a été exorcisé. Témoignage éloquent de ce nouveau développement, en 1985, près de 40 pour cent de tous les étudiants en maîtrise en administration dans les universités canadiennes sont québécois. Durant toute cette période, également, l'image que se font les Québécois d'eux-mêmes ainsi que la réalité sociale du Québec, changent substantiellement. Ceux qui se décrivaient auparavant comme des «Canadiens français» se définissent de plus en plus comme des «Québécois». Un nouveau nationalisme surgit, moins préoccupé par la survivance, davantage axé sur la croissance et essentiellement lié au territoire du Québec. Avec l'arrivée au pouvoir du Parti québécois, ce nouveau nationalisme est présenté comme l'expression du dynamisme d'une collectivité qui a en£in trouvé son identité. Mais paradoxalement, plus le français, sous l'impulsion de la Loi 101, s'impose, plus le gouvernement cherche à rallier à sa cause une majorité de tous les Québécois, plus l'on doit se rendre à l'évidence que l'ethnicité ne peut servir de point d'ancrage à ce nouveau nationalisme. La culture québécoise elle-même, profondément marquée par l'histoire, perd peu à peu de son homogénéité avec l'arrivée d'un nombre croissant d'immigrants. Intimement liée à la vie politique, elle évolue de concert avec celle-ci. Davantage tournée, durant les années 1960 et 1970, vers l'affirmation d'une nouvelle identité collective, elle s'oriente à l'aube des années 1980, vers des interrogations plus individuelles qui débouchent sur les grands courants internationaux. Non seulement cette culture devient plus ouverte, davantage pluraliste, mais pour certains elle est même menacée, dans son existence, par l'influence envahissante de la culture américaine. En réalité, elle évolue et s'adapte. Alors qu'elle se définissait autrefois par opposition à la culture anglo-canadienne, la culture québécoise, davantage liée maintenant à la langue qu'à l'ethnicité, se cherche une nouvelle identité dans les contextes nord-américain et international. Autre changement important, la minorité anglophone du Québec, forte de son pouvoir économique et de son influence politique, solidement implantée grâce à un réseau d'institutions très bien développé et largement sous son contrôle, voit en quelque vingt ans sa situation remise en cause par l'intervention accrue du gouvernement québécois dans le domaine linguistique. S'identifiant traditionnellement à la majorité canadienne, elle se découvre graduellement minorité québécoise. Sous l'effet combiné de la Loi 101 et de la perte de vitesse de Montréal au plan économique, bon nombre d'anglophones québécois vont quitter le Québec, contribuant ainsi à affaiblir davantage la position de cette minorité en constante diminution depuis une centaine d'années. La tendance, en effet, n'est pas nouvelle: au tournant du siècle, la ville de Québec, tout comme les Cantons de l'Est et certaines autres régions rurales, comptait d'importantes minorités anglophones qui ont vu leurs effectifs décimés au fil des ans. Mais ce qui est nouveau, c'est l'accélération de cette tendance: entre 1971 et 1981, on assiste à une baisse de 10 pour cent de la population anglophone du Québec, maintenant concentrée surtout dans la ville de Montréal. Cette minorité anglophone sent sa survie au Québec tout aussi menacée au début des années 1980 que la population francophone avait dû le sentir au début des années 1960. Assez vite, cependant, une nouvelle conscience de son appartenance au Québec se fait jour. A la conviction d'avoir contribué par le passé au développement de la province s'ajoute maintenant le sentiment d'un nouveau rôle et de nouvelles responsabilités à assumer. De plus en plus bilingue, la minorité anglophone, sous l'impulsion d'organismes tels qu'Alliance Québec, se définit une nouvelle identité au Québec, contribuant ainsi à la transformation de la société québécoise toute entière. C'est ainsi en particulier qu'une nouvelle image se dégage graduellement de Montréal, celle d'une ville essentiellement francophone, mais aussi multi-ethnique et bilingue, riche de cette diversité, culturellement et économiquement dynamique et ouverte sur le monde. Certains problèmes, néanmoins, demeurent encore non résolus. La Loi 101, en particulier, dans la mesure où elle véhicule l'image d'un Québec unilingue fait l'objet d'attaques répétées de la part de la minorité anglophone. Pour celle-ci, il ne peut être question d'accepter un statut de second ordre: même si la province, aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867 est officiellement bilingue en ce qui concerne ses institutions législatives et judiciaires, elle n'accepte pas le refus de reconnaître l'anglais comme langue officielle de la province, pas plus que les restrictions imposées à l'anglais au plan de la communication. Malheureusement, la virulence même des attaques dans certains cas, inquiète et donne parfois à croire que ce qui est souhaité n'est rien d'autre qu'un retour à la situation d'avant 1960. Dans le Québec en mutation des années 1980, une véritable confiance réciproque entre la majorité francophone et la minorité anglophone demeure encore à établir sur des bases solides. Compte tenu de tous ces changements, on peut se demander ce qu'il reste exactement de la spécificité du Québec. Pour répondre à cette question, il faut revenir à l'essentiel. Ce qui caractérise le Québec, au point de départ, c'est l'existence sur son territoire d'une population majoritairement francophone dotée d'institutions politiques et sociales qu'elle contrôle et dont elle détermine les orientations. Cette première constatation, qui met l'accent sur le statut majoritaire des francophones québécois par opposition au statut minoritaire des francophones hors-Québec, est fondamentale. Ainsi que l'écrivait il y a quelque temps le directeur du journal Le Devoir, «[...] s'il est vrai que la dualité canadienne transcende les frontières géographiques, il est aussi vrai qu'elle perdrait tout son sens si le Québec disparaissait demain.» Derrière cette constatation, toutefois, il y a une réalité plus fondamentale encore qui définit l'essence même de la société québécoise. Foyer principal, mais non pas unique, de la vie française au Canada, politiquement structurée, la société québécoise demeure à la base une société largement isolée et enclavée au plan linguistique, un îlot de vie française dans un vaste ensemble anglophone. Dès qu'on sort du Québec, vivre en français, travailler en français et plus généralement, s'épanouir en français devient difficile, sauf dans quelques régions du Nouveau-Brunswick et de l'Ontario situées en bordure du Québec et ce, malgré les progrès sensibles enregistrés depuis quelques années au plan du bilinguisme dans les domaines de l'éducation et des services publics. Une étude de Statistique Canada, basée sur les données finales du recensement de 1981, venait confirmer récemment les conclusions de certains chercheurs à l'effet que le français était en régression partout au Canada, sauf au Québec. Conséquence inéluctable de son isolement, le Québec se trouve donc contraint de négocier sur une base permanente un aménagement avec son environnement extérieur. Pendant près de deux siècles, cet arrangement a pris la forme d'un repli sur soi-même, d'un refus des valeurs extérieures. Plus récemment, dans la foulée de la Révolution tranquille, un nouvel accord a été proposé sous la forme du projet de souveraineté-association du Parti québécois. Mais jugé trop radical par une majorité, celui-ci a été rejeté au profit d'un fédéralisme que l'on voulait renouvelé avec le reste du Canada. Celui-ci malheureusement ne s'est pas matérialisé de sorte que le Québec demeure, à l'heure actuelle, isolé constitutionnellement en ce sens qu'il n'a toujours pas adhéré à l'Accord constitutionnel de 1982 Le récent rapprochement entre Québec et Ottawa témoigne, cependant, d'une volonté réciproque de briser cet isolement. La nouvelle entente susceptible de se réaliser sera particulièrement importante au niveau des symboles. En réponse à la volonté clairement marquée des Québécois en 1980 de s'ouvrir sur le reste du Canada, il sera d'autant plus significatif qu'elle témoignera, en contrepartie de cette ouverture, de la spécificité du Québec, de son droit à l'existence dans la différence. En plus de cette reconnaissance du caractère spécifique du Québec, c'est l'existence de la communauté francophone toute entière, c'est-à-dire le caractère fondamentalement dualiste du Canada, qui se trouve mis en cause. Dans les faits, l'isolement fondamental de cette communauté au plan linguistique ne cessera pas pour autant. La question essentielle pour le Québec et pour les francophones hors-Québec restera toujours la même: comment demeurer français en Amérique du Nord? Des problèmes importants devront être résolus en pratique. Si, par exemple, l'économie québécoise n'offre pas les possibilités d'emploi dont les francophones ont besoin pour s'épanouir dans leur langue, si la contribution intellectuelle francophone ne trouve d'issue qu'au Québec, si les efforts du Québec pour s'ouvrir sur l'extérieur sont découragés, alors la société québécoise, enclavée comme elle l'est, risque de devenir une société en voie d'asphyxie. Or, reconnaître la spécificité du Québec et le caractère dualiste du Canada, c'est justement affirmer que des réponses à ces problèmes peuvent être trouvées dans le contexte canadien, avec l'appui du reste du Canada. Ces réponses, ce sont d'abord et avant tout les Québécois et les francophones hors-Québec eux-mêmes qui devront les trouver, individuellement et collectivement, au plan économique comme au plan culturel. Mais cet aménagement se fera alors dans un contexte précis, celui de la reconnaissance et de la valorisation d'une complémentarité culturelle qui, en définitive, est au coeur même de la réalité canadienne. Une chance inespérée se présente donc de sceller une nouvelle entente entre le Québec et le reste du Canada. Ce qui est exigé, au niveau des principes d'abord, c'est une déclaration, dans le préambule de la Constitution, qui pourrait se lire de la façon suivante: Reconnaissant le caractère distinct de la société québécoise, foyer principal mais non exclusif des francophones au Canada, et acceptant comme une donnée essentielle de la fédération canadienne son caractère dualiste, [...]. Lors des négociations constitutionnelles de 1980, des discussions serrées sur cette question avaient presque abouti à un consensus. Nous croyons qu'en 1985, sur la base d'un texte comme celui qui est proposé ici, un tel consensus devrait pouvoir se réaliser assez rapidement. A partir de là, les problèmes concrets découlant de la spécificité du Québec pourront être envisagés. Précisément parce qu'ils sont spécifiques au Québec et n'intéressent qu'indirectement le reste du Canada, ces problèmes souvent n'exigeront pas, pour leur solution, des changements de nature constitutionnelle. Certains pourront trouver une réponse adéquate dans des accords intergouvernementaux, d'autres dans une simple délégation de pouvoirs. Vouloir en fournir une liste exhaustive serait illusoire, car des problèmes nouveaux sont toujours susceptibles de surgir. Mais il en est un au moins que nous devons aborder de façon immédiate et détaillée, car il renvoie carrément à l'Accord constitutionnel de 1982, c'est celui des garanties essentielles. Les garanties essentielles. Lors de l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, le Québec s'est retrouvé encore une fois dans la position de dire non au reste du Canada. Mais ce refus, contrairement à ceux apposés antérieurement à la formule Fulton-Favreau ou à la Charte de Victoria, ne pouvait plus déboucher sur une escalade du débat avec le reste du Canada: la menace ultime, celle de l'indépendance, avait été écartée deux ans plus tôt. Dès lors, le problème de la récupération du droit de veto du Québec, ou plutôt de l'octroi d'un droit de veto, car celui que la province croyait posséder devait lui être dénié par la Cour suprême quelques mois plus tard, devenait une condition majeure de la reprise du dialogue. Pour un groupe minoritaire au sein de l'ensemble canadien, ce que l'on a dit et répété à satiété aux Québécois, qu'ils avaient la possibilité de dire «non», la possibilité d'apposer un droit de veto, prend forcément une importance fondamentale face à la volonté toute puissante de la majorité. Aussi ne faut-il pas être surpris que cette question revienne à nouveau. Profondément enraciné dans la culture politique au Québec, le droit de veto offre, en effet, la garantie d'un seuil au-delà duquel il n'est plus possible d'aller. Mais revenir sur le droit de veto, manifestement, n'est pas chose facile. Déjà à la fin de 1982 et au début de 1983, la possibilité de garantir au Québec un droit de veto avait été envisagée, mais avait dû être abandonnée lorsque certaines provinces firent part de leur réticence à engager de nouveau des négociations sur ce sujet. Sans doute était-il trop tôt alors pour entamer une telle discussion. Avec quelques années de recul, cependant, et avec le bénéfice d'une meilleure compréhension de la nécessité de résoudre cette question de l'adhésion du Québec à la Loi constitutionnelle de 1982, dégager des éléments de solutions valables n'apparaît certes plus hors de portée. L'objectif ultime serait de faire en sorte que le Québec ne se voit point imposer dans le futur un amendement constitutionnel susceptible, à ses yeux, d'affecter ses intérêts essentiels en tant que société distincte. Pour y arriver, deux voies sont ouvertes. La première est celle du droit de veto proprement dit, qui permet de bloquer l'adoption d'un amendement constitutionnel. La seconde est celle du droit de retrait, qui n'empêche pas l'adoption d'un amendement, mais soustrait plutôt celui qui l'exerce à son effet. Toutefois, pour que le droit de retrait soit considéré dans les faits comme l'équivalent d'un droit de veto, on affirme généralement qu'il doit s'accompagner d'une pleine compensation pour les coûts supplémentaires encourus. Ces derniers varieront suivant les cas et seront souvent complexes à évaluer. Dans la mesure d'abord où une province se refuse à céder un champ de compétence, on ne peut prétendre qu'elle assume directement de nouveaux coûts; la pénalité résultera plutôt du fait que les citoyens de cette province se trouveront éventuellement imposés pour des services fédéraux qui ne seront pas offerts dans cette province. Par ailleurs, les coûts en question seront peu significatifs dans le cas de cession d'un pur pouvoir réglementaire: il en irait de même, par exemple, dans l'hypothèse d'un amendement octroyant au Parlement fédéral le pouvoir exclusif de réglementer l'incorporation des compagnies ou encore celui d'établir les normes de sécurité applicables aux biens de consommation. La formule d'amendement en vigueur présentement reconnaît déjà le droit de retrait avec compensation dans le cas de transferts de compétences législatives provinciales au Parlement en matière d'éducation et de culture. Le Québec dispose donc de l'équivalent d'un droit de veto dans ces domaines. Reste à savoir si la même formule peut être étendue aux autres domaines de compétences dévolus par la Constitution aux provinces. Mais, pour répondre adéquatement à cette question, il faut d'abord envisager les avantages et inconvénients d'une telle hypothèse. L'avantage principal d'un droit de retrait général avec pleine compensation réside dans la très grande souplesse de la formule. Les provinces favorables à un amendement constitutionnel, pourvu qu'elles soient suffisamment nombreuses, peuvent arriver à leur fin sans obstruction de la part de celles qui sont en désaccord, et ces dernières peuvent exprimer leur désaccord sans pour autant être pénalisées à cause de leur geste. Au surplus, la formule respecte le principe de l'égalité des provinces, chacune de celles-ci pouvant recourir au droit de retrait. Mais elle a aussi ses inconvénients, qui sont loin d'être mineurs. En particulier, elle entraîne le risque, très réel, d'une multiplication des statuts particuliers. Déjà la formule actuelle du droit de retrait sans compensation comporte ce risque; en élargissant la formule actuelle pour y intégrer un droit de compensation généralisé, le risque s'accroît d'autant. Mais le risque malgré tout ne doit pas être surévalué: non seulement les amendements constitutionnels impliquant un transfert de compétences des législatures au Parlement demeurent assez rares, mais le gouvernement fédéral conserve toujours, en définitive, le pouvoir de n'introduire un amendement que lorsqu'il est convaincu d'avoir le support de l'ensemble des provinces. Une autre difficulté liée à cette formule est qu'elle oblige à une négociation sur l'étendue de la compensation; en cas de désaccord, on doit présumer pour l'instant que l'offre du gouvernement fédéral prévaudra, à moins que la question n'aboutisse ultimement devant les tribunaux. Par ailleurs, il pourrait arriver dans certaines circonstances que l'exercice du droit de retrait ait pratiquement le même effet qu'un droit de veto; il en serait particulièrement ainsi lorsque l'objectif recherché est justement d'en arriver à une solution uniforme pour l'ensemble du Canada. Enfin, il faut souligner que la formule du droit de retrait avec pleine compensation demeurerait inapplicable aux amendements concernant les institutions nationales; en effet, la Loi constitutionnelle de 1982 exclut explicitement le droit de retrait dans de tels cas. Compte tenu de ces différentes remarques, il peut être intéressant d'examiner maintenant si la formule du droit de veto proprement dit ne répond pas de façon plus adéquate au besoin de protection du Québec. Tout comme la formule du droit de retrait, celle du droit de veto présente à la fois des avantages et des inconvénients. Dans la mesure, tout d'abord, où son utilisation entraîne carrément le rejet d'un projet d'amendement, elle ne peut en aucune façon conduire à une multiplication des statuts particuliers. Si au surplus ce droit de veto est octroyé sur une base élargie, comme par exemple dans le cas de la Charte de Victoria, aucun avantage exclusif ne serait réservé au Québec. La Charte de Victoria, comme on le sait, exigeait l'assentiment non seulement d'une majorité des provinces, mais également de chacune des provinces ayant déjà eu une population d'au moins 25 pour cent de l'ensemble de celle du Canada, ce qui inclut le Québec. Elle exigeait aussi l'accord de deux des provinces de l'Atlantique et de deux des provinces de l'Ouest, pourvu que leurs populations combinées représentent au moins 50 pour cent de la population totale des provinces de l'Ouest. Côté négatif, le droit de veto permet à une ou à quelques provinces, selon la formule employée, de faire obstacle à la volonté de la majorité. Bénéficiant en particulier au Québec, ce droit de veto pourrait même être perçu comme un frein indu à toute modification constitutionnelle, compte tenu de l'attitude traditionnelle de cette province. Dernier problème, enfin, le droit de veto, même octroyé sur une base régionale suivant la Charte de Victoria, crée un déséquilibre entre les provinces qui peuvent l'exercer individuellement et celles qui ne peuvent l'exercer que regroupées. La seule façon alors de résoudre cette difficulté est de l'octroyer à chacune des provinces, ce qui risque de conduire à la sclérose constitutionnelle. Un droit de veto à la seule province de Québec pourrait-il sous certaines conditions être acceptable? Une hypothèse intéressante, suggérée récemment, serait de modifier l'actuelle procédure d'amendement de telle façon que dans les cas de changements aux institutions nationales ou au partage de compétences législatives, lorsqu'aucune compensation n'est offerte les Québécois détiennent un droit de veto collectif qui serait exercé par le biais d'une consultation populaire. Pour souligner davantage la gravité d'une telle décision, une majorité qualifiée pourrait même être requise. Le soin de décider d'une telle consultation reviendrait au gouvernement du Québec lequel devrait choisir alors entre la formule du droit de retrait, là où ce dernier droit est applicable, et la formule du droit de veto, sujet à confirmation par la voie d'un référendum. Une telle hypothèse aurait au moins l'avantage de ne pas modifier substantiellement la présente formule d'amendement tout en assurant la sauvegarde des intérêts essentiels du Québec. Au surplus, l'usage du référendum introduit un élément de démocratie directe qui tend à rendre l'exercice du droit de veto plus acceptable. Une variante de cette formule pourrait être de confier à l'Assemblée nationale du Québec la responsabilité de décider du recours au droit de veto, pourvu que cette décision soit appuyée par une majorité des deux tiers ou des trois quarts des membres. Une autre hypothèse, suggérée il y a plusieurs années par le gouvernement de l'Ontario, serait de lier l'adoption de tout amendement constitutionnel à l'approbation des deux tiers des provinces représentant 85 pour cent de la population du Canada. Une telle formule équivaudrait dans les faits à donner un droit de veto au Québec dans la mesure où la population de la province n'apparaît guère susceptible de tomber en-deçà de 15 pour cent de la population totale du Canada. Mais cette suggestion devait être rejetée parce qu'elle impliquait entre autres que le refus de trois des quatre provinces maritimes ne suffisait pas à faire échouer un amendement. D'autres solutions pourraient encore être envisagées. De quelque façon que l'on retourne le problème, cependant, il faut reconnaître que l'octroi d'une garantie minimale au Québec implique d'une façon ou d'une autre un coût politique. Si pour y arriver on doit maintenir à tout prix le principe de l'égalité des provinces, le risque encouru alors est de voir les statuts particuliers se multiplier, ou encore la Constitution du Canada se figer dans le temps, suivant que l'on procédera en généralisant le droit de retrait avec pleine compensation ou en accordant à toutes les provinces un même droit de veto. Dans l'hypothèse inverse où l'on octroirait un droit de veto sur une base régionale, suivant la formule de la Charte de Victoria, ou encore un droit de veto à la seule province de Québec, on remet inévitablement en cause le principe de l'égalité des provinces, principe gagné de haute lutte par les provinces de l'Ouest et les provinces maritimes lors des récentes négociations constitutionnelles. Quelle solution privilégier dans ces conditions? Pour plusieurs, la Charte de Victoria demeure encore celle qui réconcilie de la façon la plus adéquate l'ensemble des intérêts en cause, y compris ceux du Québec. Malheureusement, il n'apparaît guère possible pour le moment de revenir à cette dernière, compte tenu de l'opposition catégorique de certaines provinces durant les négociations constitutionnelles de 1981. Comme, par ailleurs, l'impact réel de la présente formule d'amendement ne se fera sentir que lorsqu'elle aura été mise à l'essai, il apparaît peu probable qu'un retour à la Charte de Victoria puisse sérieusement être envisagé avant la conférence constitutionnelle qui, au plus tard en 1997, doit réexaminer toute la question de l'amendement. Entretemps, le moyen le plus simple d'offrir au Québec la garantie qu'il requiert, sans remettre en cause le principe de l'égalité des provinces, est d'accorder à chacune d'entre elles le droit de retrait avec pleine compensation dans tous les cas. Cette solution, qui avait déjà reçu l'appui de huit des dix provinces en 1981, semble encore la plus acceptable à l'ensemble de celles-ci; de plus, la plupart des dangers qu'elle comporte se retrouvent déjà dans la présente formule d'amendement. C'est donc la solution que nous recommandons en ce qui concerne les transferts de compétence des législatures au Parlement. En ce qui concerne les modifications aux institutions fédérales qui, en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982, échappent à la formule du droit de retrait, la seule façon d'accorder une protection au Québec résiderait dans l'octroi d'un droit de veto. Si l'on prend pour acquis encore une fois qu'un retour à la Charte de Victoria est irréalisable à court terme, les seules autres possibilités qui s'offrent sont de l'octroyer à toutes les provinces ou encore uniquement au Québec. La solution la plus simple serait certes de l'octroyer à toutes les provinces, comme c'est le cas, par exemple, en ce qui concerne la composition de la Cour suprême. Mais cette solution peut s'avérer coûteuse, car elle risque de figer pour longtemps nos institutions. Octroyer un droit de veto au seul Québec est plus difficile à réaliser politiquement, mais en même temps plus conforme à l'objectif poursuivi dans la mesure où la spécificité du Québec est ouvertement reconnue et que l'on cherche à protéger celle-ci. Dans cette perspective, tout amendement aux institutions ayant pour effet de diminuer les garanties constitutionnelles reconnues au Québec et reliées à sa spécificité pourrait faire l'objet d'un droit de veto. Ainsi, à supposer qu'une formule de double majorité soit introduite dans le fonctionnement du Sénat pour certaines fins spécifiques, tel que nous le proposons plus loin, le droit de veto du Québec empêcherait une diminution de cette protection sans son consentement. De fait, l'introduction d'une telle formule de double majorité au sein du Sénat pourrait même servir de véhicule à ce droit de veto. Il suffirait pour ce faire de modifier l'article 47 de la Loi constitutionnelle de 1982 de manière à octroyer au Sénat un véritable droit de veto dans le cas d'amendements couverts par la règle de la double majorité. Quelle que soit la solution choisie, cependant, il nous apparaît important que le Québec puisse disposer à l'avenir d'un droit de veto sur tout amendement aux institutions décrites au paragraphe 42(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, pour autant que tel amendement mette en cause la spécificité du Québec et la dualité du Canada. Ces garanties concernant le processus d'amendement, de même que la reconnaissance de la spécificité du Québec dans le préambule de la Constitution, devraient faciliter l'adhésion du Québec à l'Accord constitutionnel de 1982. Néanmoins, pour qu'une entente durable s'installe entre Québec et Ottawa, d'autres questions devront être abordées, certaines relatives aux institutions centrales, d'autres au partage des compétences. Il n'est pas dans notre intention ici d'examiner dans le détail toutes et chacune de ces questions: ce faisant, nous excéderions le mandat de cette Commission. Par contre, il peut être utile de s'arrêter brièvement sur les mécanismes susceptibles d'assurer une prise en considération des intérêts fondamentaux du Québec au sein des institutions parlementaires fédérales. Nous avons soulevé plus haut la possibilité que le Sénat se voit octroyer un droit de veto en matière linguistique. Une telle idée n'est pas nouvelle. Déjà le projet de loi C-60, en 1978, puis beaucoup plus récemment le Rapport du Comité mixte spécial sur la réforme du Sénat, en janvier 1984, entérinaient la proposition que toute loi de portée linguistique devrait recevoir l'aval d'une double majorité au Sénat, soit la majorité de tous les sénateurs et la majorité des sénateurs francophones. Une telle mesure devrait contribuer positivement à rassurer le Québec, et également les francophones hors-Québec, quant à la sauvegarde de la langue française. En effet, outre le droit de veto accordé, le simple fait d'avoir à décider dans certains cas si une loi a une portée linguistique attirera inévitablement l'attention sur cette dimension particulière de la législation fédérale. La nouvelle visibilité ainsi donnée à la dimension linguistique des interventions fédérales constituerait donc un moyen supplémentaire de protection pour le Québec comme pour tous les francophones du reste du Canada. Ceci, comme le soulevait le Rapport du Comité mixte spécial, n'ira pas sans créer certains problèmes, en particulier en ce qui concerne l'identification des sénateurs francophones, les critères à utiliser pour déterminer les projets de lois assujettis à la double majorité et la procédure de règlement des conflits. Mais les avantages paraissent surpasser nettement les inconvénients, de sorte que nous faisons nôtre la proposition que toute loi de portée linguistique, plus précisément tout acte législatif concernant la langue française et les questions culturelles s'y rapportant, devrait recevoir l'aval d'une double majorité au Sénat. En ce qui concerne la Chambre des communes, le poids relatif du Québec en terme de population y a toujours été tel que la province a pu y exercer traditionnellement une influence significative. Toutefois, le taux de natalité au Québec a maintenant atteint un niveau à ce point alarmant qu'on en arrive à parler du jour où la province ne représentera plus que 20 pour cent de la population du Canada. De là à songer à une clause qui garantirait au Québec une proportion donnée de sièges, il n'y a qu'un pas qu'il ne faudrait cependant pas franchir trop rapidement. De telles prévisions, en effet, sont à long terme, et bien des choses peuvent changer entre temps. Par ailleurs, les autres provinces canadiennes, à l'exception de la plus petite d'entre elles, l'Ile-du-Prince-Édouard, ont toujours accepté par le passé les conséquences de la représentation proportionnelle et il est peu plausible qu'elles acceptent maintenant de dispenser le Québec de son application. Si, à l'avenir, la position du Québec devait devenir vraiment critique, il y aurait toujours lieu de revenir sur la question. Pour l'instant, la protection accordée par le biais de la règle de la double majorité au Sénat, tel que proposé plus haut, apparaît suffisante dans la mesure où elle joue, sans égard au nombre absolu de francophones au Canada. Les problèmes relatifs au partage des compétences. Les problèmes relatifs au partage des compétences, par contre, se soulèveront de façon beaucoup plus immédiate et exigeront pour leur solution non seulement une bonne dose d'imagination, mais également un sens très concret du compromis. L'expérience des quinze dernières années, en effet, tend à démontrer que lorsqu'un véritable compromis est recherché dans une perspective essentiellement fonctionnelle, comme dans le cas des allocations familiales et de l'immigration, des solutions peuvent effectivement être trouvées. Que les compromis réalisés se concrétisent dans des accords bilatéraux ou encore dans une forme quelconque de délégation, deux méthodes de coopération dont nous suggérons ailleurs la reconnaissance formelle dans la Constitution, ou encore par la voie plus complexe d'amendements constitutionnels, les résultats à long terme, plus souvent qu'autrement, seront fonction de la volonté de collaboration des deux parties impliquées, ce qui ne veut pas dire que des points de désaccord ne se présenteront pas. Les quelques problèmes abordés ci-dessous, ainsi qu'on pourra le constater, n'intéressent pas que le Québec; mais aux yeux du Québec, il ne fait pas de doute qu'ils revêtent une importance particulière. Certains domaines, en effet, tel celui de l'éducation, seront toujours des domaines névralgiques aux yeux du Québec:. C'est ainsi qu'en ce qui concerne la question de l'instruction dans la langue de la minorité, le gouvernement du Québec considère encore avoir été dépossédé d'une partie importante de ses compétences par l'entrée en vigueur de la Charte. Avant d'adhérer à la Loi constitutionnelle de 1982, il est donc possible qu'il demande certaines modifications à cet article. En ce qui concerne, par exemple, l'accès à l'école anglaise des frères et soeurs d'un enfant qui a fait une partie de ses études en anglais dans une autre province, on semble craindre que le paragraphe 23(2) soit utilisé dans le seul but d'échapper à la réglementation linguistique de la province en matière d'éducation. Toutefois, la Cour suprême a déjà établi que la clause Québec édictée par la Loi 101 était inconstitutionnelle eu égard, en particulier, à l'alinéa 23(1)b) et au paragraphe 23(2) de la Charte. Il ne sera pas facile maintenant de revenir sur la clause Canada, d'autant plus que de l'aveu même du gouvernement du Québec, les transferts susceptibles d'en résulter ne sont pas de nature à menacer l'équilibre linguistique au Québec. De plus, en vertu de l'article 41 de la Charte, et sujet au paragraphe 43(b) qui vise les modifications applicables à certaines provinces seulement, tout amendement à la Constitution du Canada relatif à l'usage du français ou de l'anglais requiert le consentement unanime des provinces. Une façon de réouvrir le débat pourrait être de l'élargir de façon à inclure une discussion de l'alinéa 23(1)a) qui accorde le droit à l'instruction dans la langue de la minorité aux citoyens canadiens «dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident». Le Québec, comme on le sait, n'a toujours pas ratifié cette disposition ainsi que le lui permet l'article 59. Toute solution à ce problème, cependant, pourra difficilement être négociée à la satisfaction de tous sans impliquer à un moment ou à un autre les minorités linguistiques elles-mêmes. Si l'on va au-delà de cette question pour envisager un problème beaucoup plus vaste comme la mise en place de «normes nationales» en matière d'éducation, on peut facilement imaginer la réaction du Québec: une telle entreprise, a priori, sera perçue comme une grave atteinte à sa compétence exclusive. Cette attitude, il faut bien le reconnaître, n'est pas nouvelle. Déjà dans les années 1950, le Premier ministre Duplessis refusait aux universités les subventions accordées par le gouvernement fédéral. Et tout récemment encore, en 1984, les universités du Québec posaient un geste assez semblable relativement à certaines subventions accordées par le gouvernement fédéral pour le développement de centres d'excellence. De concert avec le gouvernement du Québec, ces dernières avaient soumis une liste de projets avec un ordre de priorité donné. Le gouvernement fédéral ayant modifié cet ordre de priorité, le geste fut considéré comme une ingérence indue et les universités n'acceptèrent l'argent offert que pour le placer en fidéicommis jusqu'à ce qu'un accord soit conclu entre Québec et Ottawa. Le changement de gouvernement, à l'automne 1984, devait permettre de dénouer l'impasse l'ordre original de priorité étant accepté intégralement par Ottawa. Il ne faut pas en déduire pour autant que le Québec est fermé à toute collaboration avec Ottawa et les autres provinces dans la poursuite d'objectifs nationaux en matière d'éducation. Mais manifestement il s'agit d'un domaine où le Québec considère avoir des intérêts très particuliers à protéger et où il n'acceptera de s'engager que dans des formules qui ne portent pas atteinte à ce qu'il considère être sa responsabilité ultime. Compte tenu des très sérieuses préoccupations manifestées par de nombreux Canadiens devant cette Commission en ce qui concerne la qualité de l'enseignement au Canada, il apparaît urgent de rechercher les moyens de collaboration entre Québec et Ottawa qui permettront de promouvoir cette excellence souhaitée par tous. Il est à prévoir également que dans des domaines comme ceux des relations internationales et des communications, le Québec va continuer à faire valoir ses positions traditionnelles pour qu'une plus grande marge de manoeuvre lui soit accordée. Isolé sur un continent essentiellement anglophone, le Québec n'a pas d'autre choix que de chercher à s'ouvrir sur le monde extérieur et en particulier sur la francophonie internationale. Or, les efforts entrepris pour y arriver depuis une vingtaine d'années n'ont pas manqué de soulever des réactions à Ottawa, les objectifs du Québec n'étant pas toujours jugés compatibles avec la responsabilité ultime du Canada dans le domaine des affaires extérieures. Pour l'instant, un certain modus vivendi semble s'être établi. Mais un jour ou l'autre, il faudra bien envisager la véritable question qui se pose, qui est celle du rôle du Québec dans ce domaine par rapport au reste du Canada. Il en va de même à certains égards en ce qui a trait aux communications, domaine particulièrement crucial pour l'avenir de la culture québécoise. Les principaux développements intervenus depuis une quinzaine d'années au niveau des techniques de communications ( câblodistribution), informatique et vidéofilms) laissent entrevoir une pénétration de plus en plus importante de l'anglais au Québec. A moins que des efforts très sérieux ne soient faits en vue de contrer ce mouvement, tant au niveau de la création originale en français qu'au niveau de la traduction, et ce en étroite collaboration avec les autres pays francophones, des conséquences majeures peuvent en résulter pour l'avenir de la langue et de la culture françaises au Québec et au Canada. Dans ces deux domaines, des solutions fonctionnelles pourraient facilement être élaborées en recourant aux mécanismes déjà mentionnés de la délégation ou des accords intergouvernementaux. Dans le domaine économique, enfin, le problème majeur sera de fournir de l'emploi à une population dont la mobilité est limitée en raison de la langue. La libre circulation des personnes que garantit maintenant la Constitution est peut-être une réalité dans le reste du Canada, mais elle demeure encore théorique en ce qui concerne les Québécois de langue française. Entre 1976-1981, que ce soit parce qu'ils ne parlaient pas l'anglais ou parce qu'ils refusaient l'acculturation susceptible d'en résulter, moins de 1 pour cent des Québécois de langue française ont quitté le Québec, temporairement ou définitivement, pour s'établir ailleurs au Canada. Mais reconnaître le problème est une chose; y trouver une solution en est une autre. Dans la foulée du Rapport Gendron sur la situation du français au Québec, et en application directe des principes dégagés dans son Livre blanc intitulé La politique de la langue française, le gouvernement du Québec a entrepris depuis plusieurs années une vaste campagne dans le but d'accroître la place du français dans le monde du travail. S'il ne fait aucun doute que le statut du français et des francophones au Québec s'est amélioré considérablement ces dernières années, il n'est pas sûr que la cause principale en soit les récentes législations linguistiques. Ainsi que le souligne François Vaillancourt, elles ont certes eu un effet, soit par la lecture anticipatrice qu'en ont fait les entreprises avant leur adoption, soit de façon directe après leur adoption; mais d'autres explications jouent également, tels l'accroissement des firmes sous contrôle francophone, la croissance du secteur privé interne, etc. Un bilan complet devrait faire état, par ailleurs, des pertes d'emplois résultant des déménagements de sièges sociaux occasionnés par la mise en place de ces politiques linguistiques, encore que la raison véritable de ces déménagements était peut-être toute autre dans certains cas. Quoiqu'il en soit de l'efficacité de ces politiques, il n'est pas certain qu'elles puissent être totalement abandonnées dans un avenir immédiat. A certains égards, elles peuvent être considérées comme des programmes d'action positive destinés à améliorer les chances d'emploi des francophones au Québec. A plus long terme, cependant, l'avenir de ces derniers au plan économique dépendra beaucoup plus du dynamisme du secteur privé francophone au Québec. Or, à cet égard, il faut admettre que le nouvel esprit d'entreprise qui s'est développé au Québec ces dernières années est des plus prometteurs. Se manifestant dans un contexte d'ouverture accrue sur le monde extérieur, cet esprit d'entreprise devrait contribuer non seulement au développement de l'économie québécoise, mais également à son insertion plus poussée dans l'ensemble de l'économie canadienne et nord-américaine. Les communautés francophones hors-Québec. Le problème est beaucoup plus complexe en ce qui concerne les communautés francophones hors-Québec. Au-delà des garanties individuelles que leur offre la Charte canadienne des droits et libertés au plan de l'éducation et des services, force est de reconnaître que leur épanouissement en tant que communauté demeure intimement lié au développement, dans les diverses provinces, d'institutions actives et diversifiées qui répondent à leurs principaux besoins et contribuent à créer un véritable milieu de vie francophone. Or, à cet égard, la situation varie énormément d'une province à l'autre. Beaucoup mieux pourvu de ce point de vue, le Nouveau-Brunswick se retrouve dans une position relativement favorable avec un très faible taux d'assimilation. Plus on s'éloigne du Québec, par contre, plus les institutions publiques et privées arrivent difficilement à regrouper des communautés éparpillées qui offrent de moins en moins d'occasions de travailler en français. Dans plusieurs provinces, ainsi que le souligne le plus récent Rapport du Commissaire aux langues officielles, appuyé en cela par une étude de Statistique Canada, le taux d'assimilation est tel que les communautés francophones qui s'y trouvent risquent de disparaître complètement dans un avenir plus ou moins rapproché. La situation, à certains égards, peut être considérée comme critique. Cette tendance peut elle être enrayée? Faut-il se résoudre à voir les communautés francophones hors-Québec disparaître les unes après les autres? Un tel résultat consacrerait l'échec non seulement d'une politique gouvernementale, mais davantage encore d'une vision du Canada partagée par bon nombre de citoyens, celle d'un pays où les communautés linguistiques et culturelles sont valorisées au point d'être protégées par la Constitution. Manifestement, quelque chose doit être fait rapidement. En tout premier lieu, au niveau même des symboles, il importe de réaffirmer l'attachement du Canada au principe de la dualité linguistique. Pour ce faire, il faut, d'une part, reconnaître officiellement le caractère dualiste du Canada dans le préambule de la Constitution, tel que suggéré précédemment, et, d'autre part, promouvoir la reconnaissance du français et de l'anglais comme langues officielles au niveau du plus grand nombre possible de provinces. A cet égard, il n'y a aucun doute que si l'Ontario devait décider de poser un tel geste, les répercussions se feraient sentir non seulement dans cette province, mais aussi dans le reste du Canada, du fait de l'appui qui en résulterait pour le principe de la dualité linguistique. Nous ne saurions trop insister sur l'importance que revêt à nos yeux l'extension du principe du bilinguisme à cette province, qui dispose, en chiffres absolus, de la plus importante minorité francophone. S'il est illusoire par ailleurs de croire que toutes les provinces vont se conformer un jour au niveau d'obligations constitutionnellement assumé par le Québec ou le Nouveau-Brunswick, il n'est certes pas exagéré d'espérer que suivant les conditions propres à chacune d'entre elles, des garanties de base pourront être offertes à leur minorité linguistique. Au-delà des principes et des symboles, toutefois, il y a la réalité. Bien que des progrès très concrets aient été réalisés depuis une quinzaine d'années dans l'affirmation du caractère bilingue du Canada, les résultats, malgré tout, demeurent très variables suivant les secteurs et les régions et, dans l'ensemble, clairement endeçà des exigences d'une véritable égalité. On trouvera plus loin dans la partie de ce Rapport traitant de l'égalité, une analyse de la situation du bilinguisme au Canada. De façon générale, cependant, il suffit de consulter les rapports du Commissaire aux langues officielles pour constater jusqu'à quel point la mise en application du bilinguisme au niveau de l'administration centrale demeure difficile et délicate. De la même façon, au niveau provincial, les récents problèmes rencontrés au Manitoba et au Nouveau-Brunswick témoignent de la complexité de toute stratégie visant à faire de l'égalité linguistique une réalité au Canada. Faut-il en conclure que le bilinguisme a été introduit trop rapidement au Canada et qu'il y a lieu maintenant de marquer le pas dans ce domaine? Certains, arguant des coûts considérables d'une telle politique et des craintes irraisonnées qu'elle fait naître, seraient favorables à une telle attitude. Mais une telle solution, à nos yeux, serait de nature à remettre en cause les gains déjà réalisés. Ce qu'il faut, au contraire, c'est chercher à favoriser davantage le bilinguisme, et surtout de façon plus efficace. Une première voie pour y arriver est la voie judiciaire. Agissant en vertu de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, de l'article 23 de la Loi du Manitoba de 1870 ou des articles 16 à 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, une personne peut chercher à obtenir des tribunaux le respect de ses droits linguistiques fondamentaux. De fait, plusieurs jugements, depuis les dix dernières années, sont venus indiquer aux divers gouvernements concernés leurs devoirs au chapitre des droits linguistiques. Mais il s'agit d'une voie longue et ardue, et malheureusement pas toujours concluante au niveau des résultats. Ce qui faisait dire à la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'affaire du Renvoi sur l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, que le pouvoir judiciaire n'était pas le seul gardien des droits constitutionnels des Canadiens et que le Parlement et les législatures avaient aussi des responsabilités en matière de droits linguistiques. Et le tribunal d'ajouter: «Les droits des minorités linguistiques devraient être définis par une législation générale, qui assurerait à tous un traitement égal et équitable, plutôt que par la jurisprudence». Ceci étant, il nous apparaît qu'il revient avant tout au Parlement et au gouvernement fédéral de donner l'exemple, ne fut-ce qu'en raison de l'expérience acquise dans l'application de la Loi sur les langues officielles. Il faut encourager plus particulièrement le Commissaire aux langues officielles à poursuivre avec vigueur son travail d'éducation et de mise en application des lois et règlements. A cet égard, les recommandations formulées par le Comité mixte spécial sur les langues officielles témoignent d'une ferme volonté de valoriser encore davantage son poste au plan matériel comme au plan des moyens d'action. Ces diverses recommandations, dans toute la mesure du possible, devraient être appuyées par le gouvernement. Reste, malgré tous ces efforts, que l'éparpillement des communautés francophones hors-Québec, lié au petit nombre de leurs membres dans bien des cas, rend très problématique la survie de certaines d'entre elles en tant que milieu de vie francophone. Particulièrement sensible à cette dimension du problème, la Fédération des francophones hors-Québec publiait, il y a quelques années, un rapport intitulé Un espace économique à inventer où elle formulait des recommandations visant à renforcer les fondements économiques des communautés francophones hors-Québec. Ce Rapport était suivi peu de temps après, soit en 1982, d'un colloque national sur l'économie organisé par la Fédération. Plus récemment encore, un autre colloque se tenait à l'Université de Moncton sur le thème.«De la protection linguistique au développement économique». Ce qui ressort, tant du Rapport que de ces colloques, c'est une prise de conscience très nette de l'importance de créer un espace économique où il est possible pour les francophones hors-Québec de vivre, travailler et évoluer en français. Cette constatation rejoint les conclusions de certaines recherches entreprises pour le compte de la Commission à l'effet que la survie des communautés francophones hors-Québec passe obligatoirement par la création de pôles d'activités structurés autour d'institutions publiques et privées francophones. Encore une fois, il serait illusoire de croire que toutes les communautés francophones hors-Québec peuvent développer de tels pôles d'activités suivant un modèle unique. Pour certaines provinces, ce pôle d'activités aura une orientation essentiellement culturelle: il se développera d'autant plus qu'il saura intégrer le plus grand nombre possible de ces Canadiens qui, grâce en particulier aux cours d'immersion, possèdent maintenant une connaissance fonctionnelle du français. Pour d'autres provinces, en particulier l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, la composante économique, qui s'ajoute à la composante culturelle, sera nécessairement plus importante. Mais tout comme dans le cas du Québec, c'est d'abord l'initiative individuelle des francophones eux-mêmes qui permettra un tel développement. L'aide gouvernementale, toute utile qu'elle soit, ne se substituera jamais à cette initiative individuelle. C'est dans cette direction, à notre avis, qu'il y a lieu d'aller, si l'on souhaite assurer la survie à long terme des communautés francophones hors-Québec. Conclusions. Au-delà de tous les problèmes auxquels nous avons fait allusion et qui sont inhérents d'une certaine façon à notre processus de croissance politique, ce qu'il importe de faire valoir par-dessus tout est la richesse inestimable que constitue pour le Canada la complémentarité entre ses deux principaux groupes linguistiques. Il est temps maintenant de tourner la page sur une période révolue des relations Québec-Canada pour ouvrir la porte à une nouvelle ère de collaboration. En reconnaissant clairement la dualité de la société canadienne ainsi que la spécificité de la société québécoise, nous faisons le pari que les problèmes inévitables qui se poseront encore à l'avenir trouveront leur solution dans la recherche de l'intérêt commun des parties. Les territoires du Nord. Bien que les travaux de la Commission aient porté sur l'étude des problèmes canadiens dans une perspective nationale plutôt que régionale, la situation dans le Nord canadien mérite qu'on s'y attarde en raison de la place exceptionnelle que ces territoires occupent dans la fédération et l'union économique canadienne, et du fait que la plupart des Canadiens comprennent mal la nature des défis auxquels les habitants de ces territoires font face. Le Nord est d'une importance inestimable pour l'avenir de l'économie canadienne. Même si le coût élevé de la mise en valeur des ressources non renouvelables empêchera vraisemblablement la croissance rapide de ce secteur dans un avenir prochain, les ressources inexploitées de ces vastes territoires fourniront probablement les matières premières et les combustibles nécessaires à l'industrie canadienne pendant une bonne partie du siècle à venir. Les territoires du Nord sont aussi la partie d'origine de Canadiens de souches et de cultures diverses. Toute politique en vue du développement de la richesse économique du Canada doit donc tenir compte des intérêts et des aspirations des habitants du Nord canadien. A bien des égards, le succès, avec lequel les chefs politiques réussiront à concilier les intérêts nationaux et régionaux dans les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon, au cours des deux prochaines décennies, permettra de juger la fédération canadienne. Dans le Nord, les questions fondamentales, portant sur les droits collectifs et les droits individuels ainsi que sur l'unité nationale et la diversité régionale, sont aujourd'hui au premier plan. Les erreurs commises ailleurs dans la fédération, au cours des ans, peuvent être évitées puisque dans ces territoires on peut commencer presque à neuf. Il est encore possible d'élaborer des solutions aux problèmes persistants, qui caractérisent la politique du Canada du sud et d'y faire la démonstration des solutions innovatrices possibles dans le cadre des institutions canadiennes. Avant de traiter des questions et des problèmes des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon et de formuler des recommandations, il est opportun de faire une revue des principales caractéristiques de ces régions: la population, l'économie, la politique ainsi que le lien constitutionnel particulier de ces territoires avec le reste du Canada. La population, l'économie et la culture. La population du Nord. Comme les commissaires ont pu le constater lors des audiences et des rencontres tenues dans plusieurs collectivités, pour bien comprendre les questions qui se posent dans le Nord, il faut se rendre compte de la grande diversité qui y existe. Les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.) et le Yukon sont différents sous bien des aspects, et ces particularités se retrouvent à l'intérieur des régions de la vallée du Mackenzie, du delta du Mackenzie et de la mer de Beaufort, de Kitikmeot, de Keewatin, de Baffin et du Haut-Arctique. Bien qu'on trouvera quelques généralisations dans les commentaires qui suivent, les commissaires reconnaissent que le Nord est une région vaste et très diverse. Quelque 70 000 habitants sont dispersés dans une région qui comprend approximativement 40 pour cent du territoire canadien: environ 47 000 Canadiens vivent dans les Territoires du Nord-Ouest et 23 000 au Yukon. Cette population est non seulement peu nombreuse mais elle présente des caractéristiques linguistiques et culturelles diverses. Dans les Territoires du Nord-Ouest, les Inuit forment 35 pour cent de la population, ils se retrouvent dans le nord et à l'est, au-delà de la limite des arbres. Ils partagent une langue commune comprenant plusieurs dialectes régionaux et ont conservé des liens culturels étroits avec les Inuit de l'Alaska et du Groenland. Les Denes, Indiens de la vallée du Mackenzie et de la région du Grand Lac des Esclaves, forment 17 pour cent de la population du territoire. Ils parlent plusieurs langues qui trouvent toutes leur origine dans l'athapaskan. Les Métis, qui constituent 6 pour cent de la population du Nord, habitent dans les mêmes régions que les Denes, partageant les mêmes agglomérations et les mêmes territoires. Les non autochtones forment la portion restante de la population, soit 42 pour cent. Ce groupe est souvent constitué de travailleurs itinérants ou de résidents temporaires à l'emploi de ministères ou d'établissements d'enseignement ou encore, travaillant dans des projets de mise en valeur des ressources. Dans la région de la vallée du Mackenzie et du Grand Lac des Esclaves, une population non autochtone croissante est formée de résidents permanents chez qui l'on retrouve un fort sentiment d'appartenance aux Territoires du Nord-Ouest. Les Indiens forment environ un quart de la population du Yukon. La plupart parle un des dialectes de l'athapaskan. Quelques-uns, dans le sud-ouest, utilisent un dialecte du Tlingit-Haida. Il n'y a pas d'Inuit au Yukon et la plupart des Indiens non inscrits s'identifient aux Indiens inscrits et sont assimilés à la population autochtone dans les statistiques des territoires. On trouve quelques résidents temporaires ou travailleurs itinérants au Yukon, mais la plupart des habitants y sont établis en permanence et plusieurs parmi eux y sont depuis plusieurs générations. La présence d'une population non autochtone bien établie et la situation minoritaire des autochtones a donné lieu à des conflits. Cependant, les deux groupes souhaitent une solution acceptable d'accommodement de leurs intérêts respectifs et reconnaissent que l'évolution politique du territoire dépend d'un tel arrangement. L'économie du Nord. Pour comprendre l'économie du Nord, il est indispensable de considérer les Territoires du Nord-Ouest et du Yukon par rapport à l'économie canadienne et à l'économie mondiale, et en terme de relations économiques à l'intérieur des deux territoires. Les produits de base forment le support de l'économie du Nord et, parmi ceux-ci, les ressources non renouvelables sont les plus importantes. Ces produits de base sont exportés vers le Sud sous forme de matières premières ou de produits peu transformés. Les prix à l'exportation des ressources non renouvelables dépendent largement des prix sur les marchés mondiaux et échappent au contrôle de l'économie du Nord qui se trouve, par le fait même, dans une situation d'instabilité et de dépendance quasi totale, à la merci de l'alternance des périodes d'essor et des périodes d'effondrement. Bien que la richesse future du Nord dépende de la mise en valeur de ressources non renouvelables, il s'agit d'un secteur extrêmement fluctuant qui pourrait se révéler trop fragile et trop instable pour constituer une source d'emplois permanents. L'envergure de la plupart des projets de développement du Nord ainsi que les coûts d'exploitation élevés qu'ils entraînent exigent l'apport de capitaux de l'extérieur. Les gouvernements et les sociétés multinationales assurent donc presque entièrement le financement de ces projets. En outre, bien que le secteur primaire soit fort, sinon stable, et celui des services bien développé et comparativement constant (surtout en raison des activités gouvernementales), le secteur manufacturier est presque inexistant. Les coûts du transport, de l'exploitation et de la main-d'oeuvre inhibent la croissance d'un secteur manufacturier à fort coefficient de main-d'oeuvre et il est improbable que ce secteur fournisse beaucoup d'emplois à long terme. Les Territoires du Nord-Ouest et du Yukon possèdent trois économies distinctes. Seuls les autochtones participent à l'économie de subsistance traditionnelle. L'économie de subsistance pure, bien que basée sur la production de produits essentiels, ne dépend pas de l'exportation. Un très petit nombre d'autochtones dépendent exclusivement de l'économie de subsistance, la plupart ajoutant à leurs activités de chasse et de pêche des incursions fréquentes, bien que temporaires, dans l'économie de salaires. En général, l'économie traditionnelle est plus saine dans les collectivités éloignées que dans les agglomérations plus grandes et plus accessibles; de nombreux Inuit, parce qu'ils habitent dans des régions éloignées, continuent de compter surtout sur la «nourriture du pays». Le deuxième type d'économie du Nord est une extension de l'économie de salaires connue au Canada du Sud Plusieurs non autochtones, ainsi qu'un nombre croissant d'autochtones, participent à cette économie; ils sont à l'emploi des gouvernements dans des projets de mise.en valeur des ressources et dans diverses entreprises du secteur privé. Les autochtones ne participent pas en plus grand nombre à cette économie de salaires pour plusieurs raisons: niveau de formation insuffisant, lieu de domicile et hésitation à déménager, emploi de travailleurs non autochtones venant du Sud. Cependant, la raison la plus importante de cette non participation est que l'économie de salaires affaiblit l'économie traditionnelle autochtone. Un emploi dans l'économie de salaires ne laisse pas de temps pour la chasse et de nombreux autochtones refusent d'abandonner leur mode de vie pour gagner un revenu fixe. Le Nord connaît également une économie basée sur l'aide sociale ou une économie de «bien-être social». Les bénéficiaires sont surtout des autochtones bien que la plupart d'entre eux ne vivent pas exclusivement de cette forme de revenu. Les prestations sont utilisées pour l'achat de denrées de base, de fusils, de munitions, de motoneiges, de moteurs hors-bord, ou autres formes d'équipement et de fournitures, soutenant ainsi l'économie traditionnelle. L'interaction de ces trois économies a pour effet que la plupart des autochtones se retrouvent dans l'une ou l'autre par intermittence. Par exemple, le revenu provenant d'un emploi saisonnier de débroussaillement peut être augmenté par le piégeage, la chasse et la pêche et, à toutes ces sources de revenus, s'ajoute éventuellement l'aide sociale. Donc, même si le secteur des ressources non renouvelables offre les possibilités les plus grandes pour la création d'emplois dans les Territoires du Nord-Ouest et du Yukon, toute analyse de l'économie du Nord doit tenir compte de l'importance de la chasse et de la pêche de subsistance comme complément à l'économie de salaires. La culture politique. Dans les Territoires du Nord-Ouest et du Yukon, les institutions politiques, le discours et les comportements ne relèvent pas tous des valeurs démocratiques et libérales prédominantes dans le sud du Canada. De l'interaction des valeurs traditionnelles des communautés autochtones et des valeurs fondamentalement libérales des populations non autochtones, émerge une culture politique distincte. Ainsi, les autochtones accordent beaucoup plus d'importance à la collectivité que les non autochtones. La précarité de la vie dans les sociétés traditionnelles de chasse et de cueillette donne naissance à un «collectivisme» où le maintien de la tribu, du clan, de la famille élargie ou de la collectivité est plus important que le sort d'un seul individu. Les sociétés traditionnelles ne peuvent guère s'offrir le luxe de l'individualisme. A ce collectivisme de la société, s'ajoute l'absence ou la faiblesse du concept de la propriété privée dans les cultures indiennes et inuit. La notion de possession individuelle, pierre angulaire des sociétés libérales, est remplacée par le principe du partage communautaire. Ainsi, les individus utilisent les biens plutôt que de les posséder. Lorsqu'un objet n'est pas employé, il retrouve automatiquement une vocation communautaire et est alors à la disposition d'une autre personne ou d'un autre groupe. Le comportement des autochtones à l'égard du territoire révèle la nature de ce concept d'une façon très claire. Les Indiens et les Inuit éprouvent un grand respect pour la nature et ses ressources puisque la survie de la collectivité en dépend. Les autochtones s'identifient au territoire et croient que l'homme et la nature ne sont que des prolongements du même être. Les religions autochtones encouragent ce respect de la terre ainsi que des plantes et des animaux qui la partagent avec l'homme. Le milieu environnant est une patrie reçue en don à laquelle l'homme doit s'adapter pour survivre. Cette conception offre un contraste frappant avec la notion de conquête des frontières des gens du Sud pour qui l'environnement est essentiellement étranger et hostile. Dans cette optique, les hommes doivent dominer l'environnement du Nord pour leur propre usage: ils doivent le conquérir et le rendre utile. Cette conception de la nature, propre aux autochtones, a mené à des conflits au sujet de la mise en valeur des ressources non renouvelables dans le Nord. Il existe une crainte réelle que ces projets causent des dommages à l'environnement et détruisent éventuellement les ressources renouvelables dont dépendent l'économie des autochtones et leur mode de vie traditionnel. De plus, l'extraction des ressources non renouvelable est étrangère à la culture des autochtones qui utilisent les produits de la terre, ne récoltant que les ressources renouvelables sans en diminuer la richesse d'une façon permanente. Bien que les autochtones commencent à accepter la mise en valeur des ressources non renouvelables, ils continuent de s'inquiéter de ses effets sur leur économie traditionnelle et leur mode de vie. Le collectivisme se manifeste également dans le processus de prise de décisions qui se fait par consensus. Par conséquent, toute la collectivité a le droit et même l'obligation de participer à la prise de décisions. Cette conception collectiviste a permis aux peuples du Nord de se gouverner d'une façon ordonnée et systématique pendant des siècles avant l'arrivée des premiers explorateurs européens. La prise de décision par consensus n'élimine pas le besoin de chefs. A la différence des gens du Sud, les Denes et les Inuit n'ont pas une conception monolithique du pouvoir. La théorie politique libérale relie le concept du pouvoir politique à celui de la souveraineté. L'exercice du pouvoir dans l'État libéral moderne est en général utilitaire et hiérarchique. La société autochtone, au contraire, est caractérisée par un pouvoir politique plus diffus: les collectivités se fient à des chefs différents selon les domaines d'activité. Le processus de prise de décisions varie selon qu'il s'agit de la chasse, de questions spirituelles, de situations familiales, du règlement de conflits ou du châtiment des infractions. On détermine par consensus qui est apte à diriger situation donnée. Il y a donc spécialisation selon la tâche à accomplir: les chasseurs les plus habiles sont écoutés dans certaines circonstances, le chef spirituel dans d'autres, et les anciens dans d'autres encore. Les institutions transplantées du Sud n'ont pas tenu compte de ces principes fondamentaux et, dans plusieurs cas, elles ont échoué. L'économie politique et la culture politique. L'économie de salaires ne correspond pas non plus aux valeurs autochtones et ce manque d'harmonie nuit à l'intégration des travailleurs autochtones au marché du travail. Les Indiens et les Inuit qui s'engagent dans une économie de salaires doivent abandonner les valeurs collectivistes et mettre de côté leur sens de la collectivité, éléments essentiels de leur mode de vie. En effet, le travail dans l'économie de salaires vise le bénéfice individuel plutôt que le bien collectif. Un tel conflit de valeurs contribue à couper les autochtones de leur culture traditionnelle; ce qui entraîne la désintégration des structures traditionnelles de la société et du pouvoir. Par conséquent, les autochtones en viennent à associer le pouvoir et l'influence aux revenus et à la richesse monétaire plutôt qu'aux habiletés traditionnelles. Cela peut faire naître des conflits entre les anciens qui demeurent dans l'économie traditionnelle et les jeunes qui ont choisi des emplois non traditionnels. Une économie de salaires force les autochtones à quitter leur famille et leur foyer pour chercher du travail. Cette rupture, et le fait que la plupart des emplois se trouvent dans les centres relativement urbanisés, peut causer une désorientation sociale sérieuse et la perte du sens de la collectivité. Bien que par l'information des jeunes on puisse atténuer les effets indésirables de l'économie de salaires, le noeud du problème réside dans l'incompatibilité d'une économie de salaires avec les valeurs autochtones traditionnelles. L'économie de salaires, particulièrement lorsqu'elle est liée à l'extraction des ressources non renouvelables, coupe la population autochtone de la nature. Toutes les caractéristiques d'une société traditionnelle de chasse et de cueillette - valeurs sociales, culture politique, art, légendes, religion et structures sociales - servent le but ultime du groupe: la survivance grâce à l'utilisation des ressources renouvelables. La substitution de cet objectif par une économie de salaires ou de prestations d'aide sociale détruit l'essentiel de la culture autochtone et menace éventuellement sa survie. Les autochtones du Nord commencent à s'adapter à la mise en valeur des ressources non renouvelables. Ils essaient de maintenir un équilibre entre les priorités traditionnelles et les pressions causées par les grands projets, et par les empiétements du Sud dans leurs collectivités au moyen d'entreprises dirigées localement, comme les sociétés d'exploitation. Ces entreprises et les coopératives locales plus anciennes permettent aux autochtones de participer à l'économie de salaires à l'aide d'organismes qu'ils dirigent eux-mêmes et qui sont par le fait même respectueux de l'économie traditionnelle et du mode de vie. Tous les Canadiens espèrent que ces réalisations continueront de se développer. Tous les facteurs économiques et culturels décrits précédemment ont une action réciproque et façonnent le contexte politique et constitutionnel dans le Nord. Le développement économique influera sur le sort de la culture autochtone. C'est une culture fragile, en état de siège, non pas à la suite d'actions délibérées de la part des non autochtones mais à cause du développement rapide du Nord. Les changements économiques et culturels, de même que les pressions venant du Sud, déterminent donc la nature du discours politique. La position des problèmes et recommandations. L'exploitation des ressources non renouvelables est essentielle à la croissance économique à long terme du Canada du Nord. Les Territoires du Nord-Ouest et du Yukon forment le tiers du territoire canadien et les ressources minières et pétrolières qui s'y trouvent ont à peine été touchées. Pour ces raisons et du fait de l'importance continue, bien que diminuée, du développement des ressources pour l'économie nationale, l'avenir du Canada et celui du Nord sont intimement liés. Cependant, bien que l'exploitation des ressources non renouvelables soit essentielle au développement du Nord, ce n'est pas la seule question qui préoccupe les habitants de cette région. Certaines questions, de nature culturelle, économique et politique, distinguent le Nord du reste du pays. La population autochtone confère aux territoires du Nord son caractère propre. La situation des autochtones est préoccupante dans tout le Canada, mais, dans le Nord, les questions se rapportant aux autochtones dominent les débats politiques. En fin de compte, cette question et les autres controverses à propos des institutions détermineront la nature et le rythme du développement dans la région. Les dirigeants canadiens doivent régler toutes ces questions d'une façon rapide et prudente, non seulement pour que le développement ait lieu mais pour que les populations autochtone et non autochtone des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon puissent jouir des droits et des avantages dont les autres Canadiens bénéficient déjà. Les autochtones du Nord et le changement économique et politique. Les revendications des autochtones. La plupart des Canadiens reconnaissent maintenant la légitimité des revendications des autochtones du Nord en ce qui concerne les terres qui ont traditionnellement servi à la chasse et la pêche, ainsi que le droit des autochtones à une compensation financière pour l'aliénation passée de leurs terres et de leurs ressources. La majorité des Canadiens sont en faveur d'un règlement rapide et équitable des revendications des autochtones du Nord, et les gouvernements fédéral et territoriaux se sont engagés à négocier une formule de règlement avec les représentants des quatre principaux groupes autochtones. Malheureusement, après dix ans de négociations, un seul règlement a été conclu: celui des Inuvialuit, population établie dans la région du delta du Mackenzie et de la mer de Beaufort. L'échec, dans les trois autres cas, a retardé le développement économique et empêché le changement d'ordre constitutionnel ainsi que la création d'un territoire distinct dans l'est de l'Arctique. Le moment est venu de conclure les négociations, de ratifier une formule de règlement et de procéder au développement économique et politique dans le Nord, pour le bien de tous les habitants de cette région et des Canadiens en général. Les négociations au sujet des revendications des autochtones gravitent autour de deux questions fondamentales: l'extinction des revendications et les droits politiques. La question de l'extinction des revendications a conduit à une impasse dans les négociations. Les autochtones maintiennent que le règlement des revendications devrait garantir les droits des autochtones à perpétuité, alors que les gouvernements fédéral et territoriaux soutiennent que des mécanismes de protection enchâssés dans la Constitution et dans les statuts devraient remplacer les droits traditionnels des autochtones. Puisqu'une bonne partie du débat est affaire de sémantique, il serait utile d'abandonner le terme «extinction» pour contourner la difficulté. Le règlement devrait «affirmer» la reconnaissance des droits autochtones particuliers et la cession à perpétuité des sommes versées et des territoires en cause. La question de droits politiques particuliers pour la population autochtone a fait l'objet de beaucoup de discussions dans toutes les parties du Canada, depuis quelques années. On accepte de plus en plus la possibilité du «statut particulier» ou de «l'autonomie politique» pour les autochtones du Canada, c'est-à-dire un arrangement qui assurerait à la population autochtone un plus grand contrôle dans le domaine des affaires culturelles, de l'éducation et des services sociaux et qui pourrait même prévoir la représentation dans certaines institutions nationales, tel le Sénat. Bien que les valeurs libérales de l'individualisme et de l'universalité aient jusqu'à maintenant dominé la culture politique canadienne, nous devrions nous sentir libres de chercher d'autres moyens d'intégrer les intérêts particuliers de certaines collectivités dans nos institutions fédérales. Les négociations au sujet des revendications foncières ne sont cependant pas un cadre approprié pour élaborer de tels mécanismes. Puisque ces mécanismes concernent les droits des Canadiens autochtones et non autochtones, les conférences constitutionnelles se prêtent idéalement à ces discussions. La Commission estime aussi que les autochtones devraient faire partie des commissions et des conseils dont le mandat se rapporte directement à leurs territoires et à leurs ressources renouvelables, mais les autochtones ne devraient pas tenter d'utiliser le processus des revendications pour obtenir soit la compétence législative, soit la représentation dans des organismes législatifs, quel que soit le palier de gouvernement. Le gouvernement fédéral pourrait négocier une date limite pour le règlement des revendications foncières des autochtones, au delà de laquelle le financement des équipes de négociations des autochtones cesserait. Les commissaires sont d'avis que le gouvernement fédéral devrait affirmer sans équivoque que les pouvoirs législatifs, la souveraineté et le statut politique particulier ne feront pas partie du règlement des revendications, mais que de tels règlements ne diminueront en rien le pouvoir des populations autochtones de bénéficier de droits politiques particuliers déterminés lors de futurs débats. A notre avis, ces accords devraient être vus comme l'affirmation des droits des autochtones plutôt que comme l'extinction de ceux-ci. De plus, ces accords devraient être définitifs et exécutoires pour les groupes autochtones, les gouvernements territoriaux et le gouvernement fédéral. Chose certaine retarder ces accords ne profite à personne. Le secteur des ressources renouvelables. Bien que tous les habitants du Nord aient un intérêt dans l'avenir des ressources renouvelables dans les deux territoires, ce secteur constitue la base de l'économie des autochtones. L'économie du secteur des ressources renouvelables comprend les produits de base et les activités assurant la subsistance. L'économie traditionnelle de la population autochtone représente la partie la plus importante du secteur des ressources renouvelables. Les problèmes les plus sérieux du secteur des produits de base concernent l'industrie de la fourrure. Même à ses meilleurs moments, cette industrie est victime des fluctuations prononcées du marché et le récent boycottage européen ainsi que l'activité de plus en plus apparente du groupe de pression contre les pièges à mâchoires ont laissé cette industrie dans un effondrement presque complet. Ce déclin s'est traduit par des pertes de revenus importantes pour les autochtones du Nord et a imposé de nouvelles contraintes sur les services d'aide sociale du Nord. Quoique le commerce de la fourrure ne constitue plus une partie importante de l'économie canadienne, ce commerce augmentait, jusqu'à récemment, les autres sources de revenus et servait d'appoint aux activités de subsistance de la population autochtone, particulièrement dans le nord du Canada. Bien qu'il soit peu probable que le commerce de la fourrure redevienne jamais un secteur important de l'économie du Nord, les commissaires suggèrent que les gouvernements fédéral et territoriaux continuent d'étudier les moyens de contrebalancer l'influence des groupes anti-piégeage, trouvent de nouveaux marchés ainsi que des solutions de remplacement à l'industrie de la fourrure. La pêche commerciale pourrait remplacer l'industrie de la fourrure dans le Nord, si le potentiel de récolte commerciale de poissons et autres produits des mers du nord du Canada était exploité. Cette possibilité nécessite cependant d'autres études. Entre-temps, le gouvernement fédéral devrait s'assurer que les agences de réglementation et les offices de mise en marché qui oeuvrent dans le domaine des pêcheries ne retardent ou n'empêchent, involontairement, le développement d'une industrie des pêches dans le Nord, en se concentrant exclusivement sur les problèmes et les intérêts des pêcheries des côtes de l'Atlantique, du Pacifique ou des eaux intérieures. Le secteur de l'économie traditionnelle qui est constitué par les activités de subsistance est assez sain. La chasse et la pêche de subsistance, surtout dans les collectivités éloignées, ne sont pas en voie de disparition; elles constituent, au contraire, une part importante de l'économie du Nord. Certains analystes ont tendance à ne pas tenir compte de l'économie traditionnelle parce qu'elle est difficile à mesurer et parce que la chasse et la cueillette sont des activités dépassées. Dans le Nord, cependant, environ 30 pour cent du revenu réel des autochtones provient de la récolte de la nourriture du pays, et cette récolte constitue une source importante de protéines pour les habitants de ces régions. Par conséquent, l'économie de subsistance occupe, dans le Nord, une place semblable à celle qu'occupe l'agriculture dans le Sud. Les personnes chargées d'élaborer des politiques et des programmes destinés à intégrer les autochtones à l'économie de salaires, devraient reconnaître que, comme l'agriculture, la chasse et la pêche de subsistance sont des occupations réelles. Les gouvernements fédéral et territoriaux devraient donc étudier les moyens de renforcer et d'améliorer ce secteur de l'économie du Nord, par exemple, en accordant aux chasseurs des allégements fiscaux semblables à ceux dont bénéficient les agriculteurs dans le Sud. Les gouvernements devraient aussi s'assurer que les programmes d'apprentissage et de perfectionnement ne soient pas tous centrés sur des types de formation en demande uniquement dans le secteur des ressources non renouvelables. De tels programmes devraient tenir compte du fait que les autochtones du Nord partagent leur temps entre les activités reliées à l'économie de salaires et la production de nourriture pour eux-mêmes et leur famille. Certaines sommes destinées à la formation pourraient aussi bien servir au perfectionnement des habiletés traditionnelles qu'à l'amélioration des perspectives d'emploi dans l'économie de salaires. La question de la Constitution et des institutions dans les Territoires du Nord-Ouest et du Yukon. Trois questions fondamentales, d'ordre constitutionnel, dominent la scène politique dans les territoires. Deux d'entre elles, la question du gouvernement responsable et celle de la délégation de pouvoirs, du gouvernement fédéral au palier territorial, suscitent un intérêt égal dans les deux territoires. La troisième question, celle de la division des Territoires du Nord-Ouest ne concerne directement que les habitants de cette région. Les commissaires croient que l'instauration d'un gouvernement responsable et la délégation continue des responsabilités fédérales au gouvernement du territoire devraient s'effectuer avec ou sans la division des Territoires du Nord-Ouest. Néanmoins, il est douteux que de telles modifications constitutionnelles se fassent avant que la question de la division des territoires soit réglée. La création de deux nouveaux territoires peut nécessiter que le changement constitutionnel s'opère à des rythmes différents selon les territoires afin de tenir compte des exigences locales et des ressources diverses en matière d'administration et d'emploi. A ce point de vue, la Commission désire souligner plusieurs points. D'abord, les gouvernements ne devraient pas permettre que la question de la division des Territoires du Nord-Ouest retarde l'accession du Yukon à un gouvernement pleinement responsable. Ensuite, notre recommandation au sujet d'un gouvernement responsable s'applique aussi bien aux Territoires du Nord-Ouest, tels qu'on les connaît, qu'aux deux nouveaux territoires résultant de la division. De plus, nos recommandations au sujet de la délégation de pouvoirs aux gouvernements territoriaux s'appliquent également aux deux territoires qui pourraient être créés. Finalement, le gouvernement fédéral ne devrait pas imposer son propre échéancier pour la délégation de pouvoirs aux nouveaux territoires et les représentants élus de ces territoires devraient pouvoir participer à l'élaboration des questions prioritaires lors du transfert des compétences. On doit reconnaître, cependant, qu'il est urgent de résoudre la question de la division, afin de faire avancer le dossier constitutionnel dans les Territoires du Nord-Ouest. Le gouvernement responsable. Au Canada, le gouvernement responsable possède trois caractéristiques principales. Premièrement, le conseil des ministres, ou conseil exécutif, ne peut former le «gouvernement» que s'il reçoit l'appui de la majorité, c' està-dire s'il jouit de la «confiance» de la législature. Deuxièmement, le conseil des ministres exerce les pouvoirs de la Couronne. Enfin, l'exécutif répond devant la législature des finances publiques, c'est-à-dire de toutes les questions d'approvisionnement et de «voies et moyens». Au Yukon, on retrouve de facto les deux premières caractéristiques d'un gouvernement responsable. Le commissaire exerce des fonctions semblables à celles d'un lieutenant-gouverneur dans une province et l'assemblée législative peut retirer sa confiance au gouvernement. La Commission est d'avis que le gouvernement fédéral devrait modifier la Loi sur le Yukon afin qu'elle devienne conforme à la réalité. Le commissaire des Territoires du Nord-Ouest possède encore quelques pouvoirs dans l'élaboration des politiques relevant des activités courantes du gouvernement, mais il n'est pas sûr que l'assemblée législative ait le pouvoir de retirer sa confiance au conseil exécutif. Les Territoires du Nord-Ouest constituent la dernière entité territoriale au Canada sans gouvernement responsable; la Commission estime injustifié de continuer à refuser ce droit. Le gouvernement fédéral devrait, à notre avis, accorder à l'assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest les mêmes pouvoirs que possède le Yukon. Certains Canadiens diront qu'un gouvernement responsable ne peut exister sans un système bien établi de partis politiques et que, dans les Territoires du Nord-Ouest, contrairement à la situation au Yukon, on ne retrouve pas de partis politiques au niveau territorial. Nous pensons, cependant, que la perspective du pouvoir exécutif incitera les coalitions floues et changeantes des gouvernements sans affiliation politique à se transformer en formations politiques disciplinées. Le gouvernement fédéral devrait par conséquent modifier la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest afin d'accorder à cette région un gouvernement responsable. La troisième prérogative d'un gouvernement responsable est le contrôle complet des finances publiques. Dans le système actuel, le gouvernement fédéral doit encore donner son accord à un ensemble de dépenses dans chacun des territoires. Lorsqu'un territoire éprouve quelques difficultés financières, le gouvernement fédéral apporte généralement une aide additionnelle. Les gouvernements des territoires recherchent une formule de financement qui accorderait à chacun d'eux une plus grande autonomie en matière d'impôts ainsi que les responsabilités correspondantes. Un tel système permettrait de prévoir les transferts fédéraux sur de longues périodes et rendrait possible la planification budgétaire à long terme. Les gouvernements fédéral et territoriaux devraient donc négocier des arrangements financiers, afin d'accorder aux gouvernements des territoires le contrôle des finances de l'État ainsi que la responsabilité réelle et l'obligation de rendre compte. La délégation des pouvoirs. Au cours des deux dernières décennies, les territoires du Nord sont passés d'un statut quasi colonial à la prise en charge d'une grande variété de services de «compétence provinciale». Logiquement, ce processus devrait mener au statut de province, bien que quatre obstacles puissent retarder ce résultat pendant encore plus de dix ans. Ces obstacles proviennent d'une population peu nombreuse, d'une base de revenus incertaine, de querelles internes non réglées ainsi que des conséquences pratiques de la protection de l'intérêt national dans le Nord. La nouvelle formule d'amendement de notre Constitution stipule que la création d'une nouvelle province requiert le consentement d'au moins les deux tiers des provinces existantes, représentant 50 pour cent de la population du pays, ainsi que l'assentiment du Parlement fédéral. Obtenir un tel accord pourrait s'avérer une tâche immense. Les provinces existantes pourraient s'opposer à la création d'une nouvelle province pour la seule raison que cela modifierait l'équilibre de la formule d'amendement. (Ainsi, s'il y avait 13 provinces, les deux tiers (9) des provinces comptant plus de 50 pour cent de la population canadienne pourraient modifier la Constitution sans le consentement d'aucune des quatre provinces de l'Ouest.) Néanmoins, même si les chefs politiques des territoires qui désirent devenir des provinces ne l'exigent pas immédiatement, la population du Nord réclame légitimement un statut provincial de facto. Les commissaires estiment que le gouvernement fédéral devrait s'engager à instituer finalement une forme de gouvernement provincial pour les territoires et devrait accorder aux habitants du Nord tous les avantages que confère la citoyenneté canadienne. Le Nord réussira, sans doute, à franchir les trois premiers obstacles mentionnés plus haut à l'établissement d'un gouvernement provincial. La population, dont la croissance dépend maintenant de l'augmentation du nombre de résidents permanents, augmentera à la suite de migrations consécutives au développement économique. De la même façon, l'économie du Nord évoluera, les sources de revenus s'accroîtront assurant ainsi l'expansion des impôts. Enfin, les problèmes internes concernant les revendications foncières et la division des Territoires du Nord-Ouest se régleront probablement d'ici quelques années. Le quatrième obstacle à l'établissement d'un gouvernement provincial sera le plus difficile à surmonter. Est-il acceptable que 70 000 résidents des territoires du Nord contrôlent environ 40 pour cent du territoire canadien? Poser la question, c'est y répondre, et les commissaires croient que le développement du Nord du Canada devra continuer à faire l'objet de l'intérêt national. Peu nombreux sont ceux, même parmi les autonomistes du Nord les plus ardents, qui contesteront cette conclusion. Comme un habitant de cette région l'a fait remarquer lors des audiences, «le Nord est l'avenir du Canada». Puisque nous croyons en la justesse de cette conclusion, nous pensons que l'avenir du Nord doit préoccuper tous les habitants de cette région et tous les Canadiens. Les gouvernements fédéral et territoriaux doivent trouver le moyen de partager la responsabilité du développement. De la même façon que la population des territoires doit exercer une influence dans les décisions touchant la région, le gouvernement fédéral doit intervenir en tant que représentant de tous les Canadiens. Dans les domaines où l'intérêt national n'entre pas en jeu, les gouvernements territoriaux devraient posséder les mêmes pouvoirs que les provinces. Le gouvernement fédéral, de concert avec les gouvernements territoriaux, devrait donc établir un échéancier en vue du transfert des responsabilités de compétence provinciale dans les domaines tels que la santé, les procédures au criminel, les relations de travail, les eaux intérieures et les ressources renouvelables. Certaines mesures prévoyant la gestion en commun pourraient être utiles pendant la période de transition. Les échéanciers pourront varier selon les territoires et selon les paliers de compétence, mais la délégation de pouvoirs devrait être complétée d'ici cinq ans, dans la plupart des domaines. Ceux qui s'opposent à une telle proposition soulèveront peut-être la question des coûts, mais le gouvernement fédéral supporte déjà les coûts de services que les gouvernements territoriaux pourraient fournir tout aussi efficacement. Il pourrait y avoir des coûts secondaires additionnels du fait des économies d'échelle négatives dans des entités aussi petites. Les économies réalisées à la suite de l'élimination de certaines sections du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada pourraient compenser en partie ces coûts additionnels. La propriété et la mise en valeur des ressources non renouvelables ainsi que le contrôle du territoire en vue de l'exploitation sont des questions d'intérêt national. Certaines dispositions pourraient faciliter le partage de ces responsabilités entre les gouvernements fédéral et territoriaux, comme par exemple, la délégation de pouvoirs aux territoires, accompagnée d'un droit de veto fédéral en certaines matières reconnues d'intérêt national ou la reconnaissance d'une compétence conjointe avec primauté du fédéral. La gestion mixte des ressources offshore, semblable à celle qui est prévue dans les accords avec les gouvernements de la NouvelleÉcosse et de Terre-Neuve offre une autre possibilité. Il est important, cependant, que les gouvernements fédéral et territoriaux prévoient des mécanismes qui assurent la participation active des gouvernements des territoires aux décisions relatives à la mise en valeur des ressources non renouvelables. En outre, un tel arrangement devrait préciser les circonstances où le gouvernement fédéral pourrait invoquer les clauses dérogatoires. Le transfert, en une seule fois, de toutes les terres des territoires aux gouvernements territoriaux ne servirait probablement pas l'intérêt national. Cependant, une fois connu le potentiel en ressources minières et pétrolières et après le règlement des revendications foncières des autochtones ainsi que de la question des parcs nationaux et des aires naturelles, la Couronne pourrait commencer le transfert de larges portions de terres aux territoires. De tels transferts, s'ils sont effectués graduellement, ne compromettraient en rien l'intérêt national et augmenteraient les sources de revenus du gouvernement du territoire ainsi que l'efficacité du développement des ressources renouvelables, du tourisme, des affaires municipales et des parcs. Les gouvernements pourraient entamer des négociations pour le transfert aux territoires des droits de surface sur les terres de la Couronne qui n'affectent pas directement l'intérêt national et qui n'ont pas été cédées aux peuples autochtones lors du règlement de leurs revendications. A court terme, au moins, le gouvernement fédéral devrait conserver la propriété et le contrôle des ressources non renouvelables. Cependant, les habitants du Nord devraient recevoir une portion équitable des revenus et des royautés provenant des projets de mise en valeur des ressources et le gouvernement fédéral devrait étudier la question du partage de ces revenus avec les territoires. Ces arrangements pourraient être semblables à ceux qui ont été négociés avec la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve. Le gouvernement du Canada devrait intégrer une telle entente à la formule de transfert financier fédéral-territorial de sorte que des bénéfices exceptionnels provenant de ressources non renouvelables entraîneraient automatiquement une réduction proportionnelle des paiements de transfert. De plus, on devrait fixer un plafond sur les revenus provenant des ressources non renouvelables que les territoires pourraient retirer. Habituellement, seules les provinces participent à part entière aux conférences fédérales-provinciales. Cependant, même si les territoires ne sont pas constitués en provinces dans un avenir immédiat, les commissaires sont d'avis que le gouvernement fédéral devrait prévoir la participation directe des gouvernements des territoires à ces rencontres. Cela est particulièrement important quand les délibérations portent sur des sujets qui concernent les habitants du Nord. Une telle mesure ne nécessite pas de modification constitutionnelle et pourrait être adoptée immédiatement. Finalement, une étape symbolique importante pour les territoires pourrait être franchie par l'abolition de la disposition de l'alinéa 42(1)e) de la Loi constitutionnelle de 1982 qui permet l'expansion des provinces existantes dans les territoires sans le consentement de la population des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon. Le gouvernement fédéral devrait proposer une modification selon laquelle le consentement de l'assemblée législative du territoire concerné serait requis pour toute expansion vers le nord, des frontières provinciales existantes, au-delà du soixantième parallèle. La division des Territoires du Nord-Ouest. Depuis 1979, l'assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest, un plébiscite et les gouvernements fédéraux successifs, libéral et conservateur, ont tous approuvé en principe la division des Territoires du Nord-Ouest et la création d'un nouveau territoire, nommé Nunavut, dans l'est de l'Arctique. Malheureusement, cet objectif semble encore lointain. Parmi les problèmes difficiles encore à résoudre, on peut citer la question des frontières et du siège des gouvernements, la forme de gouvernement et le moment opportun pour la division. Parmi ces questions, celle qui a trait aux frontières est la plus épineuse. Les membres de l'Alliance constitutionnelle des Territoires du Nord-Ouest étudient présentement la question des frontières. L'Assemblée constitutionnelle du Nunavut (ACN) propose une frontière selon une ligne tracée en diagonale du sud-est au nord-ouest, en suivant approximativement la limite des arbres. L'Assemblée constitutionnelle de la région ouest (ACRO) préfère généralement une frontière nord-sud, du 60e parallèle jusqu'à l'océan Arctique, à l'ouest de la collectivité du lac Baker et à l'est des collectivités regroupées dans le Comité d'étude des droits des autochtones (CEDA). Ces deux groupes sont parvenus à une entente provisoire mais celle-ci n'a pas encore été ratifiée. Deux sous-questions retardent l'entente au sujet de la frontière des territoires. La première concerne les collectivités: les Inuvialuit de l'Arctique de l'ouest et de l'Arctique central se joindront-ils au Nunavut ou au territoire de l'Ouest? La topographie et les réseaux de communication et de transport portent à croire qu'ils choisiront de faire partie du territoire de l'Ouest, cependant les liens culturels et linguistiques qu'ils possèdent avec les Inuit de l'est de l'Arctique peuvent aussi laisser supposer qu'ils choisiront Nunavut. Le choix d'une frontière relève de facteurs humains, particulièrement des préférences des populations concernées. L'entente conclue en janvier 1985 entre l'ACN et PACRO prévoyait que les collectivités inuvialuits feraient partie du territoire de l'ouest et que les collectivités de l'Arctique central feraient leur choix par voie de référendum. Cependant, l'ACN a retiré son appui à l'entente à la fin de février 1985 et la question demeure en suspens. La deuxième difficulté provient des effets qu'aura la frontière sur l'accès aux ressources naturelles. Une base suffisante de ressources est indispensable aux deux territoires pour assurer leur viabilité économique. Le désaccord porte sur le contrôle de la région ouest du Keewatin - les terres non peuplées entre le Grand Lac des Esclaves et le lac Baker et le riche potentiel des ressources qui s'y trouvent - et la région du delta du Mackenzie et de la mer de Beaufort qui possèdent des ressources pétrolières. La frontière idéale permettrait que chaque territoire possède assez de ressources renouvelables pour maintenir l'économie de subsistance et assez de ressources non renouvelables pour assurer des revenus suffisants. Malheureusement, les deux parties hésitent à faire des compromis. Puisque tous les paliers de gouvernement ainsi que la plupart des habitants sont en faveur de la division, le gouvernement fédéral devrait inciter l'Alliance constitutionnelle à agir. L'incertitude au sujet de la division des territoires se répercute sur tous les aspects du développement du Nord. Elle cause un ralentissement de la croissance économique, nuit au règlement des revendications foncières et retarde la délégation des pouvoirs. Par conséquent, la Commission recommande au gouvernement du Canada d'imposer un court délai à l'Alliance constitutionnelle pour fixer elle-même la frontière. En l'absence d'une entente conclue et ratifiée entre les parties, nous croyons que le gouvernement fédéral devrait former une commission sur les frontières. Cette commission entendrait les arguments des deux groupes et présenterait des recommandations au sujet de la frontière. Même si, en fin de compte, il incombe aux gouvernements fédéral et territoriaux de ratifier le choix de la frontière, la division ne devrait pas être imposée à la population des Territoires du Nord-Ouest. Sans doute, la Couronne conserverait temporairement la propriété et le contrôle des ressources dans la région ouest du Keewatin et la région du delta du Mackenzie et de la mer de Beaufort. Une solution à long terme consisterait, probablement, en une entente entre le Nunavut et le territoire de l'Ouest. Celle-ci permettrait le partage des revenus provenant des ressources et/ou le remplacement des revenus provenant des ressources non renouvelables par des transferts fédéraux. Les deux territoires devraient s'entendre sur les politiques de récolte et la gestion mixte des ressources renouvelables, telles que la faune et le poisson. De telles ressources, surtout le caribou, migrent annuellement sur de vastes régions et ne respectent pas les frontières politiques au moment de leurs déplacements. A la suite d'un accord sur la division du territoire, l'ACRO et l'ACN devraient décider de la structure du gouvernement, en conformité, naturellement, avec la Charte des droits et libertés. Dans le meilleur des cas, les institutions devraient refléter les valeurs politiques de tous les habitants du Nord, protéger les droits des autochtones et représenter équitablement les intérêts des minorités. Le gouvernement fédéral devrait encourager la créativité et l'innovation dans l'élaboration d'institutions locales nouvelles et originales, la Charte des droits et libertés définissant nécessairement les lignes directrices générales dans l'éventail des choix légitimes. Le gouvernement fédéral devrait approuver le principe d'une période plus longue de résidence dans le Nord comme condition du droit de vote, afin de protéger la structure sociale fragile des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon des effets nuisibles de l'arrivée massive de résidents temporaires employés dans des projets de développement. Les commissaires suggèrent, cependant, que cette période soit de deux ou trois ans, non de dix ans. De la même façon, bien qu'un statut politique particulier protège les minorités culturelles et ethniques, un tel statut ne devrait pas compromettre le principe démocratique de base de la représentation par le nombre d'habitants. Le gouvernement fédéral doit s'assurer que les nouvelles institutions ne vont pas à l'encontre de l'esprit de la coutume constitutionnelle canadienne. La création de deux nouveaux territoires rendra le Nord du Canada plus facile à gouverner; elle répondra aux voeux des habitants de la région, spécialement des Inuit de l'est de l'Arctique et elle permettra l'évolution politique et institutionnelle à des rythmes différents selon les régions. Cependant, les nouvelles institutions rendues nécessaires par la division du territoire coûteront plus cher que le système actuel, du moins au début. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et les deux assemblées constitutionnelles doivent, par conséquent, accepter la présence fédérale dans la mise sur pied de nouvelles institutions, lorsque des crédits du fédéral y seront affectés. Le moment où la division des Territoires du Nord-Ouest se produira dépend de plusieurs facteurs: le règlement de la question de la frontière, le coût de la transition et la contribution du fédéral, la disponibilité des fonctionnaires et la présence de l'infrastructure nécessaire au nouveau gouvernement de Nunavut. Le recrutement du personnel de la fonction publique prendra beaucoup de temps et pourra retarder la création de Nunavut. Les Inuit, majoritaires dans l'est de l'Arctique, souhaitent un gouvernement qui soit à l'écoute des besoins culturels des autochtones et qui puisse fonctionner dans la langue inuktitut. Une fonction publique importée, même si elle ne demeurait que pendant les premières années de l'existence du nouveau territoire, irait à l'encontre d'un des objectifs principaux de la création de Nunavut. Cependant, peu d'Inuit possèdent la formation ou l'expérience nécessaire pour remplir des postes de cadres ou de techniciens dans la fonction publique. Les gouvernements fédéral et territoriaux devraient donc revoir les programmes actuels d'enseignement, de formation professionnelle et de perfectionnement afin de mettre sur pied un programme global en vue de préparer les autochtones à la fonction publique de Nunavut. Le même genre de programme pourrait également servir à augmenter le nombre d'autochtones dans les postes d'encadrement dans le territoire de l'Ouest. Les questions d'intérêt national et le Nord. Certaines questions d'intérêt national présentent des aspects distinctifs et une signification toute spéciale pour le Nord. Les commissaires font la revue de trois d'entre elles, afin de souligner l'importance de sensibiliser les Canadiens aux particularités de la politique nationale qui porte sur les affaires du Nord. L'écologie du Nord. Le Nord canadien constitue l'un des derniers écosystèmes qui soit encore intact. Il ne constitue pas uniquement un trésor canadien, mais fait partie du patrimoine naturel du monde entier. Nous avons mentionné dans certaines sections de ce Rapport que la mise en valeur des ressources non renouvelables devra s'effectuer avec une grande prudence. Nous avons fait des mises en garde contre la destruction de la base de l'économie traditionnelle autochtone et nous avons insisté sur la conservation des ressources renouvelables, en dépit de la volonté d'exploiter les ressources pétrolières, minières et de gaz naturel, ainsi que sur la protection des espèces en voie d'extinction, des habitats et des écosystèmes. Au-delà de toutes ces considérations, cependant, les Canadiens doivent reconnaître la valeur intrinsèque de l'écosystème du Nord. Nous devons tous apprendre à apprécier la nature - la valeur esthétique du Nord - comme les habitants de cette région le font. Plusieurs raisons d'ordre pratique justifient le respect que l'on doit accorder à l'environnement du Nord, mais ces raisons s'ajoutent à la prise de conscience, particulièrement vive chez les peuples autochtones, de la valeur intrinsèque de l'environnement, la base même de notre existence qui mérite respect et admiration. Les Canadiens ne doivent jamais permettre à des politiques économiques à court terme, aussi attrayantes soient-elles, de détruire le Nord dont ils ne sont que les fiduciaires pour les générations à venir. Le commerce international. Une grande partie de ce Rapport traite des perspectives canadiennes de commerce international. Plus particulièrement, nous avons traité des relations du Canada avec son plus grand partenaire, les États-Unis. Les habitants du Nord partagent avec les autres Canadiens un intérêt pour le commerce entre le Canada et le reste du monde. Cependant, deux questions concernent plus particulièrement les habitants des territoires: le commerce avec l'Alaska et le commerce avec toute la région du Cercle polaire. La plus grande partie du commerce entre le Canada et les États-Unis se fait entre le Canada et les États-Unis continentaux, mais le commerce entre l'Alaska et le Yukon est d'une grande importance pour les habitants du Nord. Le gouvernement du Yukon et un certain nombre de groupes de pression ont suggéré de libéraliser les relations économiques avec l'Alaska. Les commissaires recommandent qu'on étudie la possibilité d'un accord commercial bilatéral affectant l'extrême nord-ouest. Le Yukon n'a accès à la mer que par les ports de Haines et de Skagway en Alaska. Certains Canadiens ont suggéré que Skagway, qui n'est relié au reste de l'Alaska que par les grandes routes de la Colombie-Britannique et du Yukon, devienne un port franc. Certains habitants du Nord désirent favoriser les relations avec les autres parties de la région du Cercle polaire. Les Inuit du Canada ont des liens culturels et linguistiques avec le Groenland, l'Alaska et l'Union soviétique. Ils ont formé la «Conférence circumpolaire des peuples inuit» afin de maintenir ces liens culturels et d'étudier les problèmes communs dans l'Arctique. Les porte-parole des Inuit canadiens ont manifesté leur désir de voir ces liens reconnus officiellement. Ils veulent encourager les efforts internationaux en vue de la protection de l'environnement de l'Arctique et souhaitent faciliter les échanges culturels et économiques entre les populations des régions du Cercle polaire. L'innovation technologique et la souveraineté dans l'Arctique. Il est urgent que le Canada développe une technologie en accord avec les besoins dans l'Arctique. En raison des activités d'exploration pétrolière et gazière dans la mer de Beaufort et des recherches sur le permafrost et les pipelines, le Canada devrait être à l'avant-garde dans ces domaines. Il est encore plus important que le Canada affirme sa souveraineté, juridiquement et technologiquement, sur le passage du Nord-Ouest et autres eaux de l'Arctique. En effet, l'appui des gouvernements fédéral et territoriaux à la recherche et au développement de technologies adaptées à ces régions est indispensable au maintien de la souveraineté canadienne dans l'Arctique. Comme l'a fait remarquer un participant à un colloque organisé par la Commission, la souveraineté est vide de sens sans l'appui de la technologie: [...] si le Canada veut exercer l'indispensable contrôle de la souveraineté qu'il affirme avoir acquis sur les eaux du passage du Nord-Ouest, le pays doit assurer une gamme complète de services maritimes et terrestres pour que ce contrôle soit réel et efficace [...] les services suivants devraient être offerts: aides à la navigation maritime, brise-glace et navires d'escorte, recherche et sauvetage. services d'urgences maritimes/contrôle de la pollution, services mobiles de communications maritimes, ports et gares maritimes, services d'inspection des navires, gestion de la navigation, administration et soutien du réapprovisionnement maritime, pilotage, formation professionnelle. Conclusions. Les commissaires sont conscients que cette section n'aborde pas directement plusieurs questions qui préoccupent les habitants du Nord. Nous croyons que ces questions font partie des grandes préoccupations nationales et nous en traitons ailleurs dans ce Rapport. Nous désirons souligner, cependant, que les questions qui intéressent particulièrement les habitants du Nord, autochtones et non autochtones, doivent recevoir autant d'attention que les autres préoccupations des Canadiens des provinces du pays. Le Canada doit favoriser l'intégration des territoires à la fédération afin que leur population jouisse des droits et privilèges que les autres Canadiens possèdent. Des pouvoirs équivalents à ceux qui sont exercés par les provinces doivent être graduellement accordés aux territoires du Nord. De cette façon, nous pourrons valoriser le caractère particulier et la diversité du Nord, enrichissant ainsi l'édifice culturel canadien tout en donnant aux habitants du Nord l'occasion de participer à part entière aux avantages de la collectivité nationale ce qui ne pourrait qu'accroître l'unité et la vigueur de notre pays. L'autonomie politique des autochtones. Ainsi que les commissaires l'ont observé, des problèmes ayant trait au statut de groupes particuliers au sein de la communauté canadienne sont apparus de temps à autre. En de telles occasions, le Canada. a utilisé les mécanismes institutionnels et constitutionnels dont il disposait pour pouvoir résoudre ces difficultés. L'expérience des autochtones révèle combien il est difficile de satisfaire leurs aspirations quant à l'obtention d'un statut plus acceptable et à l'amélioration de leur situation économique et sociale à l'intérieur du cadre institutionnel et constitutionnel existant. Nombreux sont les participants à divers débats qui ont tenté d'améliorer les conditions des autochtones et d'augmenter leur participation aux décisions concernant leur propre vie. Il y a eu des discussions fédéralesprovinciales, des négociations portant sur des revendications territoriales, des instances judiciaires, des appels directs à la Couronne et des représentations à des organismes internationaux comme les Nations Unies. Les principaux sujets traités ont été: la reconnaissance des droits et traités ancestraux, le droit de vote, la prestation de services de santé et de logement, l'installation des autochtones dans les régions urbaines du Canada, la compatibilité du développement des ressources et de la protection de l'environnement et, plus récemment, l'autonomie politique des autochtones. L'autonomie politique des autochtones constitue aujourd'hui la question la plus importante. Plusieurs d'entre eux prétendent à un droit inhérent de souveraineté, dans lequel ils incluent l'autonomie gouvernementale. D'autres considèrent l'autonomie politique comme une condition préalable à la résolution des problèmes sociaux, culturels et économiques auxquels ils doivent faire face. Le premier débat officiel sur la question de l'autonomie politique des autochtones est constitué de toute la série de réunions constitutionnelles qui ont été instituées conformément à l'article 37 de la Loi constitutionnelle de 1982. La discussion sur l'autonomie gouvernementale n'a pas complètement tenu compte des conséquences des diverses propositions de réforme sur le système constitutionnel canadien. Les modèles d'autonomie politique proposés varient en fonction de leur compatibilité avec la structure globale du gouvernement canadien et avec les droits et obligations de la citoyenneté canadienne. L'issue du débat sur l'autonomie politique des autochtones aura, de ce fait, des répercussions sur les relations des autochtones, non seulement avec les gouvernements canadiens à leurs divers paliers, fédéral, provincial et municipal, mais aussi avec les autres Canadiens. Les commissaires pensent donc qu'il est important que l'approche finalement retenue s'insère, dans une large mesure dans les rouages du cadre institutionnel et constitutionnel canadien, et plus particulièrement ceux du Parlement, du fédéralisme et de la Charte des droits. La situation des autochtones au Canada a également des répercussions internationales. Les autochtones canadiens ont établi des contacts, qu'ils continueront sans nul doute de développer, avec des autochtones d'autres pays, afin d'échanger des informations et d'améliorer leur connaissance de questions d'intérêt commun. De plus, les organisations internationales ont manifesté un intérêt particulier à l'égard des affaires se rapportant aux autochtones et la condition des autochtones canadiens n'en est pas exclue. Compte tenu du fait que ces questions continueront à intéresser plusieurs membres de la communauté internationale, il est certain que le dossier de notre pays sera sujet à révision et à critique. Aucun transfert d'une autorité de prise de décision dans une forme d'autonomie gouvernementale, aussi large qu'il puisse être, ne dégagera notre communauté nationale de sa responsabilité fondamentale consistant à assurer le bien-être des autochtones comme celui de tous les citoyens canadiens. Les discussions en cours concernent donc profondément chacun d'entre nous. L'objectif principal des commissaires consiste dès lors, à rendre compatible l'autonomie politique des autochtones avec le système constitutionnel canadien. Nous retenons, toutefois, qu'il est important de considérer attentivement les aspirations des autochtones en ce qui a trait à leur autonomie politique, ainsi que les circonstances sociales, économiques et historiques à partir desquelles elles se sont développées. Les statistiques sociales et économiques fournies par Statistique Canada et par d'autres agences sont pour le moins troublantes. L'espérance de vie des autochtones - Indiens inscrits, non inscrits, Métis et Inuit - est de dix ans inférieure à celle des non autochtones. Le taux d'alcoolisme chez les autochtones était, en 1982, 13 fois plus élevé que chez les non autochtones. Les autochtones forment également près de dix pour cent de la population incarcérée, ce qui représente une proportion d'environ cinq fois celle des autochtones par rapport à la population canadienne totale. Le recensement du Canada de 1981 révèle que quatre autochtones sur dix n'ont jamais fréquenté l'école secondaire, comparativement à deux non autochtones sur dix. La proportion des revenus des autochtones provenant de transferts de paiement gouvernementaux était plus du double de celle des non autochtones. Le pourcentage de familles mono-parentales autochtones était quasiment le double de celle des non autochtones. Plus de 16 pour cent des maisons habitées par des autochtones avaient besoin d'importantes réparations et une maison sur six était surpeuplée; le pourcentage de maisons des non autochtones ne s'élevait qu'à 6,5 pour cent et la proportion de surpopulation ne dépassait guère une maison sur 43. Le Rapport de la Commission royale sur l'égalité en matière d'emploi de 1984 a constaté que les autochtones se trouvaient tous regroupés dans les emplois peu rémunérés et exigeant peu de qualifications, les hommes percevant seulement 60,2 pour cent du salaire moyen des hommes non autochtones et les femmes ne recevant que 71,7 pour cent du revenu moyen des femmes non autochtones. Au cours des audiences tenues par cette Commission à Victoria, les Nations autochtones unies, organisation provinciale de la Colombie-Britannique représentant les Indiens vivant hors réserve, les Indiens non inscrits et les Métis, nous ont déclaré que 60 pour cent des autochtones résidant à Victoria étaient sans emploi, que 82 pour cent vivaient en-dessous du seuil de la pauvreté et que 95 pour cent n'avaient pas terminé leur douzième année. De nombreux groupes autochtones soutiennent que le recensement et l'analyse de statistiques comme celles-ci mettent en lumière le fait que les autochtones vivent dans un cadre culturel qui n'est pas le leur, dans lequel d'importantes décisions concernant leur propre vie et le futur de leurs enfants échappent à leur contrôle. Tous les témoins qui ont comparu devant le Comité spécial de la Chambre des communes sur l'autonomie politique des Indiens (le Comité Penner) en 1983, ont utilisé des expressions telles que: «injustice héréditaire, exploitation, apathie bureaucratique et égoïsme des non Indiens». Bien que les relations entre les Indiens inscrits vivant à l'intérieur des réserves et le gouvernement canadien aient évolué, il n'en reste pas moins que celles-ci continuent d'être limitées par la Loi sur les Indiens, qui a été promulguée pour la première fois en 1876. La Loi sur les Indiens est fondée sur la juridiction du gouvernement fédéral, telle que prévue au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 sur «les Indiens et les terres réservées aux Indiens». Jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Division des Affaires indiennes a eu une approche conservatrice de ses responsabilités à l'égard des Indiens. Un manque d'attention sans grave conséquence et une certaine indifférence ont, en effet, caractérisé l'administration des affaires indiennes. Plusieurs facteurs ont, cependant, conduit à des changements progressifs dans l'attitude et la politique adoptées à l'égard des Indiens après la guerre, parmi lesquels il y a eu: l'acceptation croissante du rôle positif que l'État était appelé à jouer dans la promotion du bien-être économique et social de ses citoyens, le fait que les gouvernements aient acquis une plus grande capacité à administrer, une prise de conscience accrue par les citoyens de leurs droits, et la fin du colonialisme européen en Afrique et en Asie, qui a permis de porter l'attention sur les conditions des peuples indigènes d'autres pays. Le gouvernement fédéral a procédé à la révision de la Loi sur les Indiens en 1951. Puis, aux élections fédérales de 1960, il a accordé le droit de vote à tous les Indiens; avant cette date, les Indiens inscrits devaient effectivement renoncer à leur statut pour obtenir le droit de vote aux élections fédérales. Le rythme des changements politiques s'est accéléré au cours des années 1960. Le gouvernement fédéral a effectué un certain nombre de tentatives hésitantes se traduisant par des initiatives politiques, des revirements politiques et de nouveaux programmes pour essayer de rattraper le long passé de négligence à l'égard des Indiens sous la juridiction fédérale. Il a ainsi mis sur pied des programmes de développement communautaire et des conseils consultatifs indiens, augmenté le montant des subventions aux bandes indiennes et transféré certaines responsabilités aux gouvernements provinciaux. Ces progrès n'ont, malgré tout, obtenu qu'un succès fort mitigé. En 1966, un examen complet de la conduite des Affaires indiennes l'Étude sur les Indiens contemporains du Canada (le Rapport Hawthorne), a recommandé le rejet de toute assimilation ou intégration, en tant qu'option politique favorisant la conservation du statut particulier des Indiens. Ce Rapport suggérait que les Indiens devaient être considérés comme «plus que citoyens»; ils devaient posséder tous les droits et obligations rattachés à la citoyenneté ainsi que des droits additionnels en tant que peuple fondateur de la communauté canadienne. Le Rapport a donc recommandé que la Division des Affaires indiennes garantisse le respect de l'élément «plus» de la citoyenneté accordée aux Indiens. En 1969, dans son Livre blanc sur la politique indienne, le gouvernement fédéral a, cependant, choisi une approche différente préconisant l'abrogation de la Loi sur les Indiens ainsi que l'annulation de leur statut particulier. Le gouvernement fédéral dut, malgré tout, retirer ses propositions de 1969, suite aux protestations qu'elles avaient soulevées chez les Indiens. Une politique de délégation de pouvoirs ou de transfert à chaque bande indienne de responsabilités de gestion et de prestation de services a débuté vers la fin des années 1960 et s'est poursuivie durant les années 1970. Les fonds, provenant du budget du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, gérés par les bandes, n'ont fait qu'augmenter, passant de 34,9 millions de dollars en 1971 à 526,6 millions de dollars en 1982-1983, et représentant un taux de croissance de 15 fois le montant initial. Bien qu'ayant délégué aux Indiens la responsabilité des prestations de services, le gouvernement fédéral conservait toutefois le contrôle sur les programmes et budgets y afférent. Au cours des années 1970, le montant des subventions accordé aux bandes et aux associations ainsi qu'aux gouvernements provinciaux, a fait plus que doubler le pourcentage du budget, destiné aux affaires indiennes et inuit. Ceci atteste non seulement du transfert de responsabilités, mais également de l'accroissement du financement fédéral des associations autochtones. L'important support financier consenti par le gouvernement aux organisations politiques et fourni par l'intermédiaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada ainsi que du Secrétariat d'État, a permis, en définitive, aux Indiens inscrits, non inscrits et aux Métis de formuler leurs demandes de réforme. Cette politisation a davantage informé les autochtones et les non autochtones des besoins des autochtones du Canada. L'aide financière accordée aux organisations politiques a donc favorisé la mobilisation des autochtones. Le concept «d'autochtone». ayant évolué et s'étant développé de façon à englober une population beaucoup plus vaste que celle constituée uniquement par les Indiens, les Métis et les Indiens non inscrits sont apparus de plus en plus dans la vie politique au cours des années 1970. Cette plus grande souplesse à l'égard des caractères ethniques des autochtones a permis d'inclure les Indiens, les Inuit et les Métis dans la définition constitutionnelle «d'autochtones» contenue à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette définition élargie a permis de régler les divergences d'opinion des autochtones à propos de leurs nombreux problèmes et de leurs griefs. Il est difficile, par exemple, de définir et de fixer la dimension des groupes autochtones. Les catégories constitutionnellement reconnues des Indiens (inscrits et non inscrits), des Métis et des Inuit sont équivoques. Les Indiens possédant le statut d'Indiens ou d'inscrits sont des personnes auxquelles le statu a été accordé en vertu de la Loi sur les Indiens et dont les noms figurent sur un registre tenu par le gouvernement fédéral. Le recensement du Canada de 1981 a fait état d'environ 290000 Indiens inscrits. Toutefois, selon les évaluations démographiques effectuées par le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, le nombre des Indiens inscrits est de 366 000 en 1985. Les Inuit qui comprennent environ 25 000 personnes, vivent au-delà de la zone forestière. Ils constituent un groupe culturel distinct et la plus grande majorité d'entre eux parlent l'inuktitut. Les limites séparant les deux autres catégories d'autochtones se chevauchent et se confondent. Les Indiens non inscrits sont soit d'anciens Indiens inscrits qui ont renoncé à leur statut en demandant leur émancipation, soit des femmes indiennes qui ont perdu leur statut à la suite de leur mariage avec un non-Indien ou les descendants des personnes faisant partie de !'un ou l'autre de ces groupes. La majorité de la population métisse est composée de descendants de personnes d'origine mixte, autochtone et européenne, ayant habité l'ouest et le nord du Canada et possédant, au dix-neuvième siècle, leur propre identité socio-culturelle. Néanmoins, il n'existe aucune définition universellement reconnue du terme «Métis». Ce terme est parfois employé pour désigner simplement toute personne d'ascendance mixte, autochtone et non autochtone, n'ayant pas le statut légal d'Indien. C'est pourquoi les Indiens non inscrits s'identifient eux-mêmes quelquefois comme Métis et réciproquement. Le recensement de 1981, utilisant l'auto-identification, a dénombré environ 173 000 Métis et Indiens non inscrits alors que, selon d'autres estimations, leur nombre s'élevait à 300 000, voire 435 000 personnes. Les organisations de Métis et d'Indiens non inscrits ont contesté, notamment, les chiffres avancés lors du recensement de 1981. L'Organisation politique des Métis et des Indiens non inscrits, prétend, par exemple, seulement en Ontario, représenter non moins de 185 000 personnes. Enfin, viennent s'ajouter à la population des Métis et des Indiens non inscrits, entre 400 000 et 600 000 autres personnes qui s'identifient, pour diverses raisons, à ce groupe. Lorsque le Parlement adoptera le projet de loi C-31, projet de loi sur l'amendement de la Loi sur les Indiens, si tant est d'ailleurs qu'il le fasse, cela aura obligatoirement pour effet. de plonger les catégories d'Indiens, inscrits et non inscrits, dans une phase d'instabilité. Le gouvernement fédéral estime que cet amendement permettrait à 68 000 Indiens sans statut de solliciter leur inscription au sens de la Loi sur les Indiens et le recouvrement des droits et avantages rattachés à la possession de ce statut. Parmi ces personnes se trouveraient les 16 000 femmes qui ont perdu leur statut du fait de leur mariage avec un non-indien et les 6 000 personnes ayant volontairement renoncé à leur statut en vertu d'un article spécial de la Loi sur les Indiens, pour des raisons apparaissant aujourd'hui comme parfaitement injustes telles que pour s'engager dans les Forces armées canadiennes ou obtenir un diplôme universitaire. Les 46 000 autres individus qui demandaient à être réintégrés dans leurs droits seraient donc les descendants de la première génération de ces personnes. L'élargissement de la catégorie des autochtones et la mobilité de leurs groupes ont soulevé un certain nombre de questions politiques complexes et graves, notamment à propos de l'autonomie politique. La revendication par les peuples autochtones de l'autonomie gouvernementale est la conséquence logique des circonstances sociales, économiques et historiques et du réveil politique manifeste des populations autochtones partout à travers le monde. C'est pourquoi, les commissaires admettent qu'il est nécessaire d'accorder aux autochtones de plus larges pouvoirs et une plus grande liberté de prise de décision, et ce, compte tenu de la place particulière qu'ils occupent au sein de la société canadienne et de la reconnaissance constitutionnelle étendue dont ils bénéficient maintenant. Il ressort de l'étude effectuée pour notre Commission que les peuples autochtones du Canada, en revendiquant l'autonomie gouvernementale, recherchent principalement un droit plus large à l'autodétermination, une meilleure justice sociale, un développement économique et social et une protection de leurs cultures. Ils souhaitent donc exercer un plus grand contrôle sur leur propre destinée et voir prendre fin leur subordination à l'égard des autorités politiques et administratives en dehors de leurs propres groupes ethniques. Ils aspirent à un développement économique afin de mettre un terme à leur pauvreté et au chômage et espèrent que l'autonomie politique pourra contribuer à ce résultat. Ils considèrent également l'autonomie gouvernementale comme une importante condition préalable avant d'affronter les problèmes sociaux. Nombreux sont les Canadiens qui, déplorant les injustices historiques et continues dont les peuples autochtones du Canada ont été victimes, respectent et soutiennent leurs aspirations quant à l'obtention de l'autonomie gouvernementale. Cependant, bien que les buts poursuivis soient fort clairs, il n'en reste pas moins que les moyens de leur mise en oeuvre ne sont nullement évidents. Les commissaires ne croient pas que l'autonomie gouvernementale, qui reste un concept ambigu, soit le moyen le plus sûr d'arriver à la réalisation des objectifs des autochtones. En effet, nous craignons,que la poursuite unilatérale de l'autonomie politique ne vienne injustement résoudre les principaux problèmes sociaux et économiques des collectivités autochtones. Toutefois, le processus de définition de l'autonomie gouvernementale a déjà débuté dans le cadre de discussions constitutionnelles et les Canadiens doivent l'apprécier en tenant compte, d'une part, de sa capacité à satisfaire les aspirations des autochtones et, d'autre part, de sa compatibilité avec notre système de gouvernement. Les formes d'autonomie politique. Le concept d'autonomie gouvernementale des autochtones n'implique nullement un seul modèle ou une seule forme d'organisation institutionnelle. Il est donc extrêmement difficile d'établir si l'autonomie politique peut répondre aux attentes des autochtones, et de quelle façon ce qui n'est encore qu'un concept abstrait pourrait être compatible avec le système de gouvernement canadien et les principes de la citoyenneté canadienne. Nous devrions envisager un éventail graduel de modèles d'autonomie politique établi en fonction de l'origine ou du fondement des pouvoirs reconnus aux autochtones. A l'une des extrémités de cet éventail se situe le modèle retenu dans le «Livre blanc» du gouvernement fédéral sur la politique indienne selon lequel les bandes acquerraient un statut municipal sous la juridiction provinciale. Proche de celui-ci, dans l'éventail, se trouve la législation sur les gouvernements de bandes, instituée par le gouvernement canadien après l'abandon des propositions du «Livre blanc»; celle-ci prévoit qu'une bande devrait être une municipalité fédérale agissant en vertu d'une législation l'y autorisant et exerçant des pouvoirs délégués. Ces propositions et d'autres similaires préconisent donc pour l'autonomie politique des autochtones un fondement législatif plutôt que constitutionnel; les gouvernements autochtones obtiendraient, sur cette base, uniquement des pouvoirs délégués. A l'opposé se trouvent les propositions donnant aux gouvernements autochtones un fondement constitutionnel et leur accordant une juridiction garantie, semblable en son principe, si ce n'est en son étendue, à celle des gouvernements provinciaux. Le «Comité Penner» recommandant l'établisse ment des gouvernements des Premières nations indiennes, se situe dans cette ligne. Celui-ci a, en effet, reconnu l'importance symbolique du terme «Première nation» dans le cadre des aspirations indiennes à l'autonomie politique et l'a utilisé dans son Rapport afin de le rendre plus familier au public canadien. Au cours des dernières années, les peuples indigènes ont donné à leurs caractères distinctifs et à leurs origines une nouvelle façon de s'exprimer. Les noms ont pris une importance particulière [...]. Les peuples indiens du Canada ont tiré de l'histoire un terme anglais qui a été employé dans la Proclamation royale, dans les traités et dans les plus importantes décisions juridiques prises aux États-unis, soit le mot «nation». Ensemble ces Indiens se nomment les «Premières Nations», une expression qui a une signification historique et politique. Bien que le mandat du comité spécial ait été limité à l'étude des gouvernements des bandes sur les réserves indiennes, la forme de gouvernement autonome préconisée par lui devrait être étendue à toute la collectivité autochtone ayant un territoire. Le «Comité Penneer» a recommandé que le droit des peuples indiens à l'autonomie politique soit explicitement prescrit et confirmé par la Constitution canadienne. Il a également affirmé catégoriquement: L'amendement constitutionnel est le meilleur moyen d'apporter des changements permanents et fondamentaux aux relations entre les peuples indiens et le gouvernement fédéral. Leur juridiction dûment enchâssée, les gouvernements des Premières Nations indiennes formeraient un palier distinct de gouvernement au Canada. La position extrême à la fin «constitutionnelle», du continuum est de considérer l'autonomie politique comme un droit autochtone fondé sur la Proclamation royale de 1763, laquelle, en instituant des gouvernements pour le territoire nord-américain nouvellement acquis par la Grande-Bretagne, a reconnu les droits autochtones sur les territoires qui n'avaient pas été cédés officiellement. Elle s'appuie sur l'idée que les peuples autochtones n'ont jamais perdu leur souveraineté et que ceci suffit à fonder leur autonomie; le droit à l'autonomie politique est donc déjà implicitement contenu dans la Loi constitutionnelle de 1982, celui-ci faisant partie intégrante des droits des autochtones protégés par l'article 35. A la conférence constitutionnelle des Premiers ministres sur les affaires constitutionnelles des autochtones en mars 1984, par exemple, le chef de l'Assemblée des Premières Nations, David Ahenakew, a déclaré: Le gouvernement fédéral ne peut pas nous accorder l'autonomie politique. Il ne l'a jamais possédée pour pouvoir la concéder. Elle nous a toujours appartenu. Vous pouvez la reconnaître, l'améliorer, la faciliter mais, si vous deviez nous la donner, nous l'accorder ou nous autoriser à l'exercer, ce ne serait pas l'autonomie politique. Les associations et les conseils autochtones participant aux présentes discussions se sont entendus pour affirmer qu'une réelle autonomie politique des autochtones devait avoir un fondement constitutionnel plutôt que législatif. La promesse du Premier ministre Trudeau, à la conférence des Premiers ministres de 1984, d'enchâsser dans la Constitution le principe de l'autonomie politique des autochtones, a représenté l'acceptation officielle du gouvernement fédéral de donner au droit des autochtones de s'administrer eux-mêmes un fondement constitutionnel. Toutefois, à la conférence de 1984, sept provinces n'ont pas approuvé la proposition fédérale de constitutionnaliser le principe d'autonomie gouvernementale. A la Conférence des Premiers ministres sur les droits des autochtones d'avril 1985, le Premier ministre Mulroney a tenté d'obtenir l'accord du nombre de provinces requis dans la Constitution et des associations autochtones participantes en vue de l'adoption d'un amendement constitutionnel. Sept provinces ont semblé être prêtes à accepter un amendement constitutionnel de compromis, reconnaissant en son principe le droit à l'autonomie politique des autochtones dans le contexte du fédéralisme canadien, mais laissant tout engagement ultérieur pouvant intervenir lors des négociations sur les conditions de mise en oeuvre de l'autonomie gouvernementale à des ententes politiques futures. L'accord d'un certain nombre de ces provinces dépendait, cependant, de l'acceptation de cet amendement par les associations autochtones, alors que celles-ci n'étaient pas immédiatement prêtes à donner leur consentement. La conférence a donc été ajournée sans qu'un accord ait pu être trouvé et la question de savoir comment réaliser cette autonomie politique n'a, pour l'instant, toujours pas été résolue. Plusieurs provinces ont exprimé leur inquiétude quant à la manière selon laquelle cette autonomie gouvernementale des autochtones pourrait venir s'insérer dans la structure institutionnelle et constitutionnelle existante. Néanmoins, il y a maintenant de plus grandes chances que les gouvernements fédéral et provinciaux soient prêts à aller jusqu'au bout. La réalisation de l'autonomie politique. Toute personne engagée dans le débat sur l'autonomie politique des autochtones admet aisément que lorsqu'on parviendra à un accord sur l'autonomie politique des autochtones, des lois devront pourvoir à la reconnaissance et à la mise en oeuvre de ce nouveau statut. Une telle législation devra préciser les conditions d'appartenance aux collectivités autochtones autonomes, stipuler les moyens de reconnaissance de leurs membres et définir les pouvoirs qui pourront être exercés. Il y a eu des pourparlers entre le gouvernement fédéral et les représentants des autochtones au sujet des lois devant fixer le domaine et l'organisatiOn des gouvernements des Nations indiennes. Le projet de loi C-52 qui traite de l'autonomie politique des Nations indiennes est resté lettre morte à la session parlementaire qui se terminait en juin 1984; il s'agissait d'une première tentative de formulation d'un tel système. Bien que le projet de loi n'ait concerné que les Indiens et non pas la plus grande communauté des autochtones, il n'a pu déterminer la forme et le fond de l'autonomie politique même pour ce seul groupe. Qui plus est, les défenseurs de l'autonomie politique des autochtones reconnaissent que, compte tenu du fait que les aspirations variées et les situations diverses dans lesquelles se trouvent les Indiens et les autres nations autochtones peuvent nécessiter différents types de mesures, chaque gouvernement autochtone devrait peut-être exercer des pouvoirs qui lui seraient propres. Le Rapport Penner, le projet de loi C-52 et le Premier ministre Mulroney dans son invitation à procéder cas par cas, ont tous reconnu cette éventualité. Dans la plupart des discussions sur l'autonomie politique des autochtones, on admet l'existence d'un territoire ou d'une juridiction territorialement délimitée. Toutefois, si réellement le territoire devait être considéré comme une condition nécessaire à la reconnaissance de l'autonomie politique, la majorité des Indiens non inscrits, les Métis vivant en dehors des collectivités où ils sont en plus grand nombre, et environ un Indien inscrit sur quatre n'habitant pas dans les réserves ou sur les terres de la Couronne, seraient exclus. Les intérêts de ces personnes seraient donc négligés si un tel système gouvernemental autonome fondé sur l'existence d'un territoire venait à être retenu. L'importance et la richesse des collectivités existantes d'Indiens inscrits et de Métis, qui se distinguent considérablement par leur population, l'étendue de leur territoire, leurs ressources naturelles, leur niveau social et de richesses personnelles et leur éloignement géographique, imposent des contraintes supplémentaires à l'autonomie politique fondée sur le territoire. Soixante douze pour cent de la population des Indiens inscrits, soit environ 216 000 individus, vivent dans plus de 2 000 réserves. Il existe 579 bandes qui sont généralement considérées comme les principales unités de gouvernement autonome et qui comprennent en moyenne 516 membres, bien que 48 pour cent d'entre elles ne dépassent pas 300 personnes. Le nombre important de collectivités relativement petites pose divers problèmes en ce qui a trait à leur autonomie politique, car elles présentent notamment un manque d'économie d'échelle. Pourtant, la complexité de l'administration, la distance entre les collectivités, ainsi que les diversités culturelles et historiques réduisent considérablement les possibilités de fusion des bandes indiennes. Diverses collectivités existantes ne possèdent qu'une faible économie naissante. Même en obtenant le règlement de leurs revendications foncières, des revenus provenant de ressources naturelles et des cessions additionnelles de territoires de la part des gouvernements, diverses collectivités auront toujours besoin d'une aide financière permanente. La plupart des collectivités qui pourraient recevoir les pouvoirs de s'administrer elles-mêmes sont, en effet, de petits villages aux ressources limitées. Il est, en fait, difficile de concevoir une forme d'autonomie politique qui ne soit pas fondée sur l'existence d'un territoire. Toutefois, si notre but est d'accorder une plus grande autonomie à tous les autochtones du Canada, nous ne pouvons ignorer le fait que nombre d'entre eux (peut-être 75 ou 80 pour cent, selon une estimation) n'ont pas de territoire ou vivent en dehors des collectivités dans lesquelles les autochtones représentent une majorité. C'est pourquoi, des chefs autochtones ainsi que quelques Métis ont, à titre d'essai, commencé à étudier les formes possibles d'autonomie politique qui n'auraient pas pour fondement un territoire. Un gouvernement autonome, qui applique une juridiction sur des individus et des citoyens dispersés pourrait, par exemple, accorder des pouvoirs de taxation ou effectuer des transferts inconditionnels à une ou plusieurs autorités autochtones pan-canadiennes, lesquelles, à leur tour, pourraient prêter des services ou effectuer des transferts de paiements aux autochtones canadiens. Une fois que les négociations constitutionnelles auront défini plus clairement les droits ancestraux et issus des traités, tels que reconnus par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, les autorités autochtones pancanadiennes pourront assumer une certaine forme de responsabilité ayant pour base chacun de ces droits ou la totalité de ceux-ci. Les commissaires restent néanmoins sceptiques sur la possibilité pour les Canadiens d'établir des modèles réalisables qui, d'une part, apparaîtraient acceptables et raisonnablement efficaces à la collectivité autochtone canadienne et qui, d'autre part, respecteraient l'ordre constitutionnel canadien. En conséquence, puisque nous ne rejetons pas entièrement l'idée d'une autonomie politique limitée sans fondement territorial, nous pensons que d'autres solutions devraient être trouvées, afin de résoudre les problèmes et satisfaire les aspirations d'une grande majorité de la population autochtone qui ne peut s'attendre à obtenir une juridiction territoriale. Comment les collectivités autochtones possédant un territoire et se gouvernant elles-mêmes entretiendraientelles des relations avec les gouvernements fédéral et provinciaux? Les gouvernements autochtones pourraient exercer, soit des pouvoirs constitutionnellement garantis, soit des pouvoirs délégués. De tels gouvernements se distingueraient certainement toujours les uns des autres par l'étendue de leurs juridictions et pourraient également se différencier par leur combinaisons respectives de pouvoirs juridictionnels nationaux et provinciaux: en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement pourrait déléguer à ce genre de collectivités autonomes une juridiction auparavant provinciale. De plus, il pourrait le faire à des degrés divers, selon les différentes collectivités et en rapport avec la juridiction fédérale déléguée qui pourrait continuer à s'appliquer aux autres Canadiens. Dans son Rapport, le comité Penner a proposé que le «Parlement devrait faire en sorte d'exercer sa compétence législative pour tout ce qui concerne les Indiens et les terres réservées aux Indiens pour ensuite céder les domaines de compétence aux gouvernements indiens reconnus». Ce même Rapport a recommandé que cela soit fait «dans tous les domaines pour lesquels les Premières Nations indiennes souhaitent exercer leur juridiction». Bien que la situation légale et constitutionnelle soit complexe, les gouvernements fédéral et provinciaux devraient aussi être en mesure de déléguer des séries spéciales de pouvoirs aux collectivités autochtones qui ne sont pas visées au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Les difficultés pourraient être réglées ultérieurement si certaines collectivités autochtones autonomes comblaient le fossé existant entre leur autorité juridictionnelle et leurs capacités administratives et fiscales, en se concertant pour que chaque niveau de gouvernement leur fournisse des programmes. Il existe des problèmes pratiques complexes en ce qui concerne la manière selon laquelle de tels gouvernements, avec leurs combinaisons de pouvoirs virtuellement distinctes, pourraient s'insérer dans le fédéralisme canadien. Les collectivités autochtones autonomes, qui exercent les pouvoirs délégués par le gouvernement fédéral, posent moins de problèmes; le gouvernement fédéral pourrait vraisemblablement prendre des mesures en faveur de tels gouvernements autochtones sur la scène politique intergouvernementale. La question pourrait, cependant, ne pas être aussi simple dans le cas de gouvernements autochtones possédant une autorité constitutionnellement reconnue. Cela pourrait donner lieu à un très grand nombre de gouvernements autonomes souverains représentant un ordre distinct de gouvernement. La complexité des rapports intergouvernementaux dans le cadre du fédéralisme pourrait faire échouer l'admission même d'une partie restreinte de ces gouvernements à la table des négociations fédérale-provinciales ou même à des forums plus spécifiques où les gouvernements du système fédéral se rencontrent. On ne peut aisément venir à bout de ce problème en acceptant les associations autochtones à la place des chefs des collectivités autochtones, parce que les participants à des forums intergouvernementaux doivent posséder des pouvoirs exécutifs et être en mesure de respecter leurs engagements. Afin que les associations autochtones soient capables de négocier et d'accepter des ententes sans craindre que les gouvernements communautaires individuels ne les désavouent, elles devraient elles-mêmes posséder le statut et l'autorité de gouvernement. Cependant, si tel était le cas, l'opinion répandue selon laquelle la collectivité locale constituerait l'unité essentielle de l'autonomie politique n'aurait plus lieu d'être. C'est pourquoi, les commissaires recommandent que, dans les futures négociations sur l'autonomie gouvernementale des autochtones, on affronte et on étudie le problème de savoir de quelle manière de tels gouvernements pourraient s'insérer dans les rouages des rapports intergouvernementaux canadiens. Plusieurs difficultés apparaissent immédiatement. Étant donné que les gouvernements autonomes possèdent une autorité souveraine, la légitimité de leurs membres dans l'utilisation de leurs privilèges fédéraux et provinciaux pourrait être discutable si la juridiction des collectivités politiquement autonomes empiétait de façon significative sur celle de l'un ou l'autre des deux ordres de gouvernement. Il ne serait pas facile de résoudre ce dilemme en ayant des représentants d'électeurs autochtones votant seulement sur des sujets sur lesquels les gouvernements autochtones n'ont pas exercé leur compétence; presque dans tous les cas, les électeurs autochtones se retrouvent dans des circonscriptions particulières, aux côtés d'électeurs non autochtones. Bien que tous les systèmes politiques en fonction présentent des défauts, leur multiplication ne devrait pas être la conséquence irréfléchie d'une politique orientée vers d'autres buts. Les commissaires recommandent, dès lors, que les pourparlers sur l'autonomie politique des autochtones envisagent le problème de la compatibilité de celle-ci avec la possession de privilèges fédéraux et provinciaux. L'autonomie politique entraîne la reconnaissance des droits collectifs de communautés autochtones particulières. Ceci soulève un certain nombre de difficultés concernant les droits individuels des membres de ces collectivités. Certains observateurs ont affirmé que, si l'on donnait un fondement constitutionnel à l'autonomie politique, l'article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui traite des droits autochtones et de la Charte s'appliquerait, mais qu'il n'en serait pas de même pour la Charte canadienne des droits et libertés. Toutefois, le projet de loi du gouvernement fédéral permettant l'établissement de gouvernements des nations indiennes avec des pouvoirs délégués a explicitement prévu, dans les constitutions des nations indiennes, d'être en accord avec la Charte. De plus, il a précisé que le gouvernement d'une Nation indienne ne pourrait pas prendre des mesures législatives qui seraient en conflit avec la Charte et que le Gouverneur en conseil aurait le droit de les annuler. Les commissaires estiment que les autochtones canadiens devraient avoir le droit à la citoyenneté canadienne, même s'ils résident dans des collectivités politiquement autonomes. Cela entraînerait La pleine application de la Charte et sa protection. En conclusion, les commissaires reconnaissent la légitimité des aspirations des peuples autochtones à obtenir leur autonomie politique. Il est clair que leur situation actuelle est manifestement inacceptable et qu'ils doivent, à juste titre, pouvoir disposer d'un plus grand droit de parole dans la détermination de leurs propres priorités et dans l'administration de leurs propres affaires. Il n'en reste pas moins que les propositions concernant leur autonomie politique soulèvent des problèmes d'une grande complexité. Une solution comme celle qui consisterait à considérer une autonomie politique ayant pour fondement un territoire ne peut s'appliquer à la plupart des autochtones. Dans les endroits où ces gouvernements autonomes pourraient être institués, les ressources locales et les moyens fiscaux sont tellement restreints que des transferts de fonds intergouvernementaux plus importants seraient nécessaires. La complexité de l'intégration des collectivités politiquement autonomes dans le large système fédéral et parlementaire canadien est considérable. Nous comprenons le renouveau de l'identité ethnique qui tend à mettre l'accent sur les différences plutôt que sur les avantages du plein exercice des droits et obligations de la citoyenneté canadienne. Néanmoins, le Canada ne doit pas renverser une politique qui accorde aux autochtones des droits de pleine citoyenneté dont les Indiens inscrits, en particulier, ont été longtemps privés. Nous devons respecter la Charte et éviter des formes de gouvernements autonomes qui diminueraient la légitimité de la participation constante des autochtones à la vie politique canadienne. La reconnaissance d'une plus grande autonomie politique ne doit pas mettre en péril la jouissance des droits de la citoyenneté canadienne des autochtones. Les commissaires estiment qu'il n'est pas réaliste d'ignorer les droits des autochtones. La complexité d'une autonomie politique et les difficultés qu'elle rencontre méritent qu'on examine le problème avec plus de soin que par le passé. Les municipalités. Au Canada, les administrations locales sont, pour employer une expression rebattue, les «créatures des gouvernements provinciaux». Le paragraphe 92(8) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère aux provinces la compétence sur «les institutions municipales dans la province». Les législatures provinciales ont donc constitutionnellement le pouvoir exclusif de légiférer en matière municipale. Elles ne peuvent déléguer ce pouvoir ni au gouvernement local, ni au gouvernement central, mais elles peuvent faire des lois pour établir des institutions municipales et leur attribuer certaines fonctions. Elles peuvent aussi dissoudre les institutions municipales, les fusionner, les diviser et augmenter ou diminuer leurs attributions ou l'appui financier qui leur est accordé. A proprement parler, la Constitution ne prévoit donc pas un ordre de gouvernement municipal qui soit distinct. Il reste que les administrations locales canadiennes sont vraiment de robustes «créatures». Même si la Constitution ne leur donne aucun statut et que leur fondement juridique est plutôt fragile, elles ont démontré qu'elles constituaient un élément durable au sein du régime gouvernemental canadien. Plusieurs villes existaient, même si elles formaient des agglomérations beaucoup plus restreintes, avant que les provinces et le Canada lui-même aient été constitués en gouvernement, et les provinces se sont développées autour de ces agglomérations. L'exemple le plus évident est celui de Saint-Johns (Terre-Neuve), la ville la plus ancienne de l'Amérique du Nord et la capitale de la plus jeune province canadienne. Les administrations ou gouvernements locaux, comme on l'a souvent répété au cours des audiences de cette Commission, constituent des gouvernements tentaculaires. Les deux plus grandes villes du Canada, Toronto et Montréal, comprennent presque la moitié de la population des deux provinces les plus grandes, le Québec et l'Ontario. La population de Toronto est plus élevée que celle de huit des dix provinces alors que celle de Montréal dépasse celle de sept provinces. Le budget de la ville de Montréal est le quatrième en importance au Canada alors que celui de Toronto est le cinquième. Vingt-et-une villes canadiennes sont plus populeuses que la plus petite province du pays, soit l'Ile-du-Prince-Édouard. La moitié de la population du Canada est maintenant concentrée dans dix villes. En matière d'approvisionnements c'est-à-dire d'achats de biens et de services, les administrations locales dépensent ensemble plus que le gouvernement fédéral. Si l'on se situe dans le contexte des préoccupations quotidiennes des Canadiens, les administrations locales constituent un troisième ordre de gouvernement. Pour plusieurs, il s'agit de l'ordre de gouvernement le plus important puisqu'il traite de questions qui les touchent le plus directement et qu'il constitue l'intermédiaire le plus accessible et le plus efficace pour tirer parti des avantages de nombreux programmes fédéraux et provinciaux. De fait, on a assisté à l'apparition d'un quatrième ordre de gouvernement avec l'établissement d'administrations régionales et métropolitaines et d'organismes qui offrent des services communs aux citoyens qui habitent un certain nombre de municipalités voisines. Ce quatrième ordre de gouvernement est lui aussi une créature des gouvernements provinciaux. On trouve au Canada un large éventail des modes d'exercice de l'administration locale. Il n'existe aucune règle uniforme. Chaque province possède la compétence pour légiférer à l'égard des institutions municipales et sa législature est suprême, c'est-à-dire qu'elle est libre d'exercer ou non cette compétence. Chacune des provinces a opté pour sa propre conception de l'administration locale et il en est résulté une grande variété d'approches, tant parmi les provinces qu'à l'intérieur de chacune d'elles. Les provinces ont eu tendance toutefois à se préoccuper grandement des succès et des échecs des approches adoptées ailleurs. Même s'il existe des différences, la conception de l'administration locale fait l'objet d'un consensus assez large d'une province à l'autre. Les détails peuvent varier, mais les objectifs généraux sont semblables. Par exemple, les provinces ont assumé la responsabilité de la santé, de l'éducation et du bien-être social, domaines qui relevaient autrefois des administrations locales. Si cette formule manquait de rigueur, elle a par contre provoqué la créativité. De fait, les expériences effectuées dans une province profitent aux autres. La formule a suscité une plus grande sensibilisation aux situations locales et une plus grande souplesse dans la façon de les aborder. Les relations entre les villes et les provinces ont fait preuve de dynamisme. Il existe toutefois des problèmes inhérents à cette formule. La contrepartie de la souplesse est l'incertitude. Les lois provinciales concernant les municipalités sont susceptibles de modifications imprévisibles et, de fait, elles font souvent l'objet de telles modifications. Les objectifs des mécanismes, comme le zonage, dont peuvent se prévaloir les administrations locales, sont surtout utilisés à des fins négatives ou préventives plutôt qu'à des fins positives. Les mécanismes d'élaboration des politiques positives demeurent la responsabilité des provinces. De plus, l'administration locale est devenue de plus en plus difficile, tant en raison de l'expansion des municipalités que de la complexité des lois provinciales. Le gouvernement fédéral a une influence, à l'occasion décisive, sur l'aptitude des administrations municipales à s'acquitter de leurs tâches. Les politiques fédérales sur les taux d'intérêt constituent un élément important du financement des administrations locales. Dans plusieurs villes, le gouvernement fédéral possède ou loue plusieurs immeubles ou est souvent un promoteur important. De plus, les décisions prises localement peuvent avoir une influence favorable ou défavorable sur l'efficacité des politiques fédérales comme celles relatives à l'habitation. Les relations entre les administrations locales et le gouvernement fédéral sont donc importantes pour les deux parties en cause. Dans une grande mesure, les administrations municipales comptent sur la compréhension par le gouvernement fédéral de leur situation et de leurs besoins locaux. Parallèlement, l'économie nationale devient de plus en plus tributaire des villes. Il est toutefois difficile d'établir des relations entre les administrations locales et le gouvernement fédéral en raison de la compétence exclusive des provinces en matière d'administration locale. Des contraintes politiques et constitutionnelles imposent des restrictions sur la façon dont le gouvernement fédéral et les administrations locales peuvent résoudre leur interdépendance. Les villes canadiennes font face à des problèmes. Toutefois, la vigueur et le dynamisme des administrations locales ainsi que de leurs habitants ont créé des perspectives extrêmement favorables. Nous traiterons de ces problèmes et de ces perspectives à la lumière de ce que nous ont dit les représentants des municipalités locales et des autres parties intéressées ainsi que des conclusions de nos propres recherches. Le Canada compte des villes parmi celles du monde où la vie est la plus agréable. Il s'agit de villes propres, sûres et bien viabilisées. Depuis la Grande dépression, alors qu'un bon nombre de villes et de provinces ont connu des difficultés financières, nos municipalités, sous la surveillance et la direction des gouvernements provinciaux, ont été bien administrées et présentent une situation financière saine. Les municipalités ont dû toutefois, pour en arriver à un tel résultat surmonter de nombreux obstacles, notamment la migration massive de la population des zones rurales vers les zones urbaines, l'utilisation accrue de l'automobile et la croissance des banlieues qui en a résulté, un accroissement général de la population et le besoin de mettre en place les infrastructures nécessaires à ces grandes et complexes collectivités urbaines. De plus, après la Seconde Guerre mondiale, l'expansion du rôle social de l'État complique la situation en imposant aux gouvernements fédéral et provinciaux des fonctions qui étaient autrefois considérées comme locales, telles que l'aide aux chômeurs, le bien-être social, la santé et l'éducation. Les commissaires sont conscients du fait que les Canadiens ont été particulièrement efficaces au niveau de la collectivité locale, qu'il s'agisse d'un village, d'une ville ou d'une région métropolitaine. Nous faisons plus loin des suggestions et des recommandations en tenant particulièrement compte de ce facteur. Nous examinerons les questions qui s'appliquent à l'ensemble du Canada, soit le statut constitutionnel des administrations locales, les relations intergouvernementales, tant avec les gouvernements provinciaux qu'avec le gouvernement fédéral, les revenus et les tâches, les politiques d'urbanisme et le rôle des collectivités locales dans le développement économique. Il s'agit de questions qui sont intimement liées et, de fait, plusieurs des solutions envisagées sur les quatre derniers sujets traités dépendent de la définition donnée au statut constitutionnel. Nous commencerons donc par examiner cette question. Le statut constitutionnel des administrations locales. Le fait que les administrations locales soient des «créature», des gouvernements provinciaux a des conséquences d'une grande portée. La plus importante de ces conséquences est l'incertitude du statut des administrations locales et la complexité de leur cadre législatif et institutionnel. Les législatures provinciales peuvent modifier par une simple loi les administrations locales, ce qu'elles font fréquemment. Comme la jurisprudence ne reconnaît pas la délégation de pouvoirs aux administrations locales, les lois municipales doivent énoncer de façon précise ce que les administrations locales peuvent et ne peuvent pas faire dans la mise en oeuvre des politiques approuvées par les législatures provinciales. Les lois extrêmement détaillées qui en résultent compliquent grandement l'administration locale. «Voilà», nous disait Marion Dewar, le maire d'Ottawa, «qui ne ressemble pas beaucoup au net partage des compétences entre les gouvernements fédéral et provinciaux que prévoit la Constitution canadienne». Il s'ensuit que les conseils municipaux doivent approuver chaque mesure administrative qui vise la mise en oeuvre d'une politique et se trouvent souvent enlisés dans des détails administratifs qu'ils auraient avantage à déléguer. Bien que le processus décisionnel soit aussi plus accessible au public que ceux des gouvernements fédéral et provinciaux, il accapare aussi une bonne partie du temps et de l'attention qu'on pourrait consacrer à des questions de portée plus large et susceptibles d'avoir des incidences beaucoup plus importantes sur l'ensemble des citoyens. Les provinces ont exercé leur compétence pour établir non seulement des administrations locales, mais aussi tout un ensemble de commissions, de régies et d'organismes à vocation particulière. Par exemple, la ville de Toronto compte sur son territoire quelque 101 organismes administratifs établis par la province. Certaines des commissions mises sur pied par les gouvernements provinciaux permettent aux citoyens d'en appeler des décisions prises par les conseils locaux ou d'autres organismes administratifs, mais la procédure d'appel est complexe et onéreuse. La nature même des pouvoirs municipaux en matière d'urbanisme restreint grandement l'habilité des administrations locales de planifier de façon positive, c'est-à-dire d'établir des objectifs et des normes d'aménagement. De fait, les lois provinciales et l'interprétation qu'en ont donné les tribunaux n'ont permis aux administrations locales que de réagir de façon négative à l'aménagement urbain plutôt que de le promouvoir. Le zonage, l'approbation des lotissements et les plans de contrôle de l'utilisation du sol sont des activités typiques de cette approche. Il s'agit de mécanismes qui permettent à une ville d'empêcher les propriétaires privés d'utiliser le sol à certaines fins. Ils contribuent à prévenir certains des abus les plus dommageables en matière d'aménagement du territoire, mais ils sont très contrariants et peuvent même décourager, voire empêcher, les formes d'aménagement les plus profitables. Certaines méthodes discrétionnaires de contrôle telles que le zonage ponctuel, les zones d'aménagement différé, le réexamen des lotissements et les dérogations «mineures» approuvées par les comités établis à cette fin ont permis de contourner cette forme de restriction. Toutefois, comme les conclusions de nos recherches le démontrent, cette tendance a eu pour résultat de changer un régime de zonage fondé sur des règles bien établies en un régime fondé sur le marchandage politique. Les conseils municipaux se trouvent coincés entre les restrictions imposées par les provinces sur leurs pouvoirs d'orienter l'aménagement urbain en fonction d'objectifs établis, les plans des promoteurs privés pour la mise en valeur de leurs terrains, leurs besoins d'accroître la principale source de revenus municipaux, soit la taxe foncière, et l'opposition des propriétaires auxquels le lotissement cause des préjudices. On nous a proposé, au cours des audiences, de résoudre ces problèmes en reconnaissant constitutionnellement les administrations locales comme un ordre distinct de gouvernement dont les pouvoirs et les fonctions seraient clairement établis. Par exemple, le maire Elizabeth Kishkon de Windsor a fait à la Commission la recommandation suivante: En raison de l'importance des administrations locales pour la majorité des citoyens canadiens, tant en termes d'approvisionnement direct de services que de leur importance capitale dans le cadre économique, que les municipalités soient explicitement reconnues dans la Constitution canadienne comme un troisième ordre de gouvernement dont le droit à l'existence serait garanti. Le maire Dewar d'Ottawa est même allée plus loin en suggérant que les principales villes canadiennes deviennent des «provinces». Les commissaires n'ont pas perçu tellement d'enthousiasme de la part des provinces, ils ne s'y attendaient pas d'ailleurs, pour conférer aux villes des pouvoirs précis et enchâssés dans la Constitution. Nous n'avons non plus remarqué aucun empressement, de quelque nature que ce soit, à transformer l'une ou l'autre des grandes villes canadiennes en véritables provinces. Même si nous admettons que la reconnaissance d'un statut constitutionnel pourrait résoudre certains problèmes des administrations locales et simplifier l'administration provinciale en confiant l'élaboration des politiques en matière d'urbanisme aux autorités qui connaissent le mieux les besoins des villes c'est-à-dire les administrations locales, plusieurs nous ont incité à la prudence. A Halifax, le docteur John Graham nous a dit: «Nous ne voulons pas un autre ordre de compétence possédant luimême des pouvoirs souverains. Notre régime est déjà certainement assez complexe». Bien que l'octroi d'un statut constitutionnel aux municipalités puisse simplifier le régime gouvernemental canadien plutôt que le compliquer, d'autres ont mis en question le bien fondé de la proposition, non pas tant par prudence que pour des motifs d'ordre pratique. Paul Godfrey, qui représentait la Communauté urbaine de Toronto, a exprimé ce point de vue en ces termes: «Nous avons déjà fait une demande semblable [...]. Je ne veux pas [...] demander une reconnaissance constitutionnelle parce que je ne crois pas qu'on nous l'accordera». D'autres ont mis l'accent et fait porter leurs efforts sur des questions qu'ils considéraient plus importantes. Le maire de Vancouver, Michael Harcourt, a fait valoir que l'économie canadienne autrefois fondée sur l'Atlantique évolue maintenant vers une économie fondée sur le Pacifique et davantage axée sur les villes. Il s'agit là de tendances, disait-il, qui sont importantes «indépendamment du texte constitutionnel et dans ce contexte, la Constitution est à peu près sans influence». A partir de ces observations et de commentaires faits par des représentants d'autres villes et par des intervenants à nos audiences, les commissaires concluent que certains dirigeants locaux favorisent un statut constitutionnel. Toutefois, même ces dirigeants ne s'attendent pas à ce que l'on donne suite à leur demande et sont portés à viser d'autres objectifs plus faciles à atteindre. Puisque nous souscrivons à cette appréciation générale, nous ne recommandons pas de reconnaître dans la Constitution un statut particulier aux administrations municipales. Nous suggérons cependant que chaque gouvernement provincial examine systématiquement ses relations avec les autorités locales. Les gouvernements provinciaux devraient examiner avec les dirigeants municipaux la complexité croissante des administrations locales, l'insécurité de leur financement et le déséquilibre entre leurs revenus et les tâches qu'elles ont à accomplir. Ils doivent chercher ensemble des façons de mieux canaliser les aptitudes incontestables des administrations municipales. Des discussions entreprises dans un tel esprit peuvent fort bien amener à conclure que, dans certaines provinces, les autorités municipales et provinciales profiteraient toutes deux de l'octroi à certaines grandes villes d'un statut privilégié ou constitutionnel. En pareilles circonstances, les commissaires ne voient rien qui empêcherait une province donnée de demander une modification de la Loi constitutionnelle pour y faire préciser le statut constitutionnel d'une ou de plusieurs villes de son territoire. Une autre solution serait la conclusion, par une province, d'une entente exécutoire dans le cadre de la clause permettant les ententes intergouvernementales; clause que nous avons proposé d'inclure dans la Constitution. De toute façon, ces études et discussions semblent essentielles à l'amélioration des relations entre, d'une part, les administrations locales et, d'autre part, les gouvernements fédéral et provinciaux. Pour régler le problème de l'incertitude perçue par les administrations locales vis-à-vis des modifications possibles à leurs pouvoirs, les commissaires recommandent que les provinces examinent la possibilité d'adopter une procédure spéciale pour modifier les fonctions attribuées aux collectivités locales. Le mécanisme le plus simple consisterait en un règlement qui stipulerait que les modifications aux lois municipales ou aux chartes des villes requièrent l'approbation des deux tiers des membres d'une législature provinciale. Généralement, dans la plupart des provinces, il faudrait que le gouvernement et l'opposition s'entendent sur les modifications proposées. Une autre solution, qui accorderait une protection plus grande encore, serait la tenue d'un référendum, soit à la grandeur de la province, soit dans les municipalités touchées par une proposition de modification majeure. Les relations intergouvernementales. Durant le dernier quart de siècle, on a surtout mis l'accent, dans les relations intergouvernementales, sur les relations fédérales-provinciales. Toutefois, les relations intergouvernementales comportent aussi deux autres volets dont l'importance s'accroît. Le premier touche les relations entre les gouvernements provinciaux et les administrations locales et le second, les relations entre le gouvernement central et les administrations locales, notamment les administrations des villes les plus importantes du pays. Comme nous l'avons déjà souligné, l'urbanisation du Canada a été l'un des changements sociaux qui ont caractérisé les années de l'après-guerre. Les trois quarts des citoyens canadiens vivent maintenant dans des régions urbaines et la plus grande partie de cette population est concentrée dans quelques villes seulement. Il y a un déclin des secteurs économiques non reliés à la société urbaine, tels que l'agriculture et les ressources naturelles, par rapport aux secteurs dits urbains, comme le secteur manufacturier et celui des services. Il semble que cette tendance se poursuivra encore durant un certain temps. En raison de ces facteurs, les commissaires sont portés à croire que les questions qui concernent les administrations locales joueront un rôle de plus en plus important sur le plan de l'interdépendance des gouvernements. L'absence de reconnaissance constitutionnelle des administrations locales constitue toutefois un obstacle à l'amélioration des relations entre les trois ordres de gouvernement. Le gouvernement fédéral a préféré traiter directement avec les administrations locales pour faciliter la mise en oeuvre de ses programmes, dont plusieurs étaient reliés à la création d'emplois. Les avantages qui résulteraient d'une relation directe entre le gouvernement fédéral et les administrations locales sont importants. En effet, moins il existe d'intermédiaires entre les dirigeants nationaux et les dirigeants locaux, mieux ils peuvent se comprendre les uns les autres et plus grandes sont les chances de réussite de leurs programmes. Les provinces ont toutefois insisté pour que le gouvernement fédéral traite avec les administrations locales par l'intermédiaire des gouvernements provinciaux, conformément à la Constitution. Selon les provinces, lorsque les administrations locales mettent en oeuvre des programmes fédéraux ou dépensent de l'argent versé par le gouvernement fédéral, les relations directes qui se créent alors entre le gouvernement fédéral et ces administrations locales constituent un empiétement dans un domaine de compétence provinciale. Constitutionnellement, cette prétention est juste même si l'activité en cause tombe clairement dans le champ de la compétence fédérale. D'où le conflit entre ce qui est pratique et ce qui est constitutionnel. Puisqu'il ne faut pas s'attendre à ce que la Constitution soit modifiée pour changer la situation existante, tous les ordres de gouvernement doivent chercher une autre solution pour améliorer leurs relations mutuelles. De fait, ils ont déjà tenté certaines expériences, telles que les conférences tripartites auxquelles assistaient des représentants des gouvernements fédéral et provinciaux et des administrations locales; ces conférences ont eu lieu au cours des années 1970, mais aucune n'a été tenue récemment. Certains représentants des municipalités ont suggéré à la Commission qu'on pourrait tenir, à l'avenir, de semblables conférences. Les commissaires voient avec faveur la création d'un tel mécanisme où chaque ordre de gouvernement pourrait se rendre compte des problèmes auxquels les autres font face. Il pourrait être utile, à l'occasion, d'organiser ces rencontres tripartites en même temps que les rencontres fédérales-provinciales des Premiers ministres. La création par le gouvernement fédéral du ministère d;État aux Affaires urbaines constituait une autre tentative d'améliorer les relations intergouvernementales. Le ministère mis sur pied en 1971 n'existe plus depuis 1979. Plusieurs représentants des municipalités ont suggéré que le gouvernement fédéral ressuscite ce ministère pour établir une voie de communication directe entre les autorités municipales et le cabinet et les hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral. Même si les commissaires reconnaissent le mérite de cette proposition, ils y voient aussi des éléments qui les font hésiter à l'accepter. La prolifération de ministères à vocation consultative au sein de l'administration fédérale a contribué à l'expansion du gouvernement, a accru sa complexité et a réduit l'aptitude d'un ministère consultatif particulier à être bien informé des intérêts de ceux qu'il est censé représenter ou son aptitude à défendre ces intérêts. De plus, la plupart des questions qui touchent les administrations locales concernent aussi les intérêts des provinces. La création d'un ministère fédéral des Affaires urbaines pourrait donc améliorer les communications entre les gouvernements fédéral et municipaux, mais il rendrait en même temps plus difficile la communication entre les provinces et le gouvernement fédéral. Les commissaires en concluent que les municipalités seront mieux servies par l'établissement de rapports meilleurs avec les ministres dont les responsabilités touchent directement les intérêts locaux, par exemple, les ministres des Finances, des Transports, des Travaux publics, de l'Expansion industrielle régionale, ainsi qu'avec le ministre chargé des politiques en matière de logement. Comme solution de remplacement à la création d'un nouveau ministère, on pourrait avoir recours au processus parlementaire pour prévoir et contrôler les conséquences des mesures fédérales sur l'administration locale. On aurait ainsi une tribune où faire valoir les préoccupations et les besoins locaux. Le processus parlementaire a aussi l'avantage de permettre une plus grande participation et un meilleur contrôle de la part du public, y compris le contrôle des gouvernements provinciaux, et il peut servir à sensibiliser davantage les ministres aux problèmes locaux. Les commissaires recommandent que cette tâche soit confiée au comité parlementaire sur les relations intergouvernementales dont la création a été envisagée au chapitre 22. Les commissaires croient que l'administration locale d'un certain nombre d'activités qui relèvent de la compétence fédérale permettrait une meilleure adaptation aux circonstances et aux besoins locaux. La Constitution canadienne ne permet pas de confier directement la mise en oeuvre de ses activités aux administrations locales et il faut que cette délégation se fasse par l'intermédiaire des gouvernements provinciaux. Toutefois, comme ces derniers ne sont pas nécessairement plus proches des préoccupations locales que les autorités fédérales, les commissaires ne croient pas que la délégation de l'administration des mesures fédérales aux gouvernement provinciaux produira toujours les effets bénéfiques désirés. Il est préférable de décentraliser l'administration fédérale et de la confier à des organismes établis par le gouvernement fédéral pour oeuvrer dans les régions. Par exemple, on a retenu une formule semblable pour l'administration des ports. La Loi sur la société canadienne des ports prévoit des sociétés de port locales qui semblent beaucoup mieux adaptées aux besoins locaux que l'administration centralisée qui existait auparavant. Les commissaires croient qu'il vaudrait la peine d'envisager une approche semblable dans deux domaines qui intéressent grandement les municipalités. Le premier est celui de la gestion des biens fonciers. Le pouvoir fédéral en matière d'expropriation et d'aménagement des biens fonciers entraîne souvent des résultats qui vont à l'encontre des priorités locales. Au cours de nos audiences, certains intervenants ont soutenu que les organismes locaux devraient avoir leur mot à dire dans la gestion des biens fonciers dont le gouvernement fédéral est propriétaire dans les secteurs urbains. Nous sommes d'accord sur ce point: certains organismes locaux, nommés par le gouvernement fédéral, pourraient assurer la gestion des biens fonciers de façon à mieux tenir compte des préférences des citoyens et des possibilités du marché local. Un deuxième domaine est celui de la gestion des aéroports, où le rôle du gouvernement fédéral en matière de transport aérien a des conséquences directes sur l'aménagement du sol par les gouvernements locaux et est directement influencé par les politiques locales en ce domaine. Les commissaires croient qu'en certains cas, la création d'une administration aéroportuaire locale permettrait de mieux tenir compte des circonstances locales, fournirait un système de transport aérien intégré plus efficace et améliorerait les services aux voyageurs. Les commissaires recommandent au chapitre 22 une modification constitutionnelle qui permettrait la délégation de l'autorité administrative parmi les gouvernements. Une telle modification permettrait au gouvernement fédéral de s'entendre avec la province concernée afin de déléguer aux administrations locales la tâche de choisir le site de certains aéroports, de les exploiter et de les administrer. Cette formule diffère quelque peu du modèle d'un organisme local établi par le gouvernement fédéral pour la gestion des biens fonciers fédéraux situés dans les agglomérations urbaines, mais elle permet d'en arriver à un objectif semblable, soit la possibilité de mieux tenir compte des circonstances et des besoins locaux par le truchement d'une administration fédérale décentralisée. Les relations entre les gouvernements provinciaux et les administrations locales sont aussi un élément des affaires intergouvernementales. Comme tous les actes des administrations locales doivent s'appuyer sur les lois adoptées par les gouvernements provinciaux, les relations entre les provinces et les administrations locales sont particulièrement difficiles et exigent beaucoup de doigté. En l'absence de modifications constitutionnelles qui attribueraient des fonctions aux administrations locales, les provinces doivent accorder la priorité à l'examen et à la simplification des relations avec les administrations locales. Pareilles initiatives auraient pour effet d'alléger la tâche administrative tant des administrations locales que des provinces. Et, point très important aux yeux des commissaires, les contribuables qui déplorent le fait que les questions locales sont compliquées par une abondance de commissions, de régies et d'organismes publics provinciaux dont les fonctions sont mal définies, en tireraient un grand avantage. Les revenus et les tâches. En 1982, les dépenses des administrations municipales se sont élevées à 33 milliards de dollars, une somme qui représente, comme le démontre le tableau 24-2, plus de 9 pour cent de l'ensemble des dépenses du pays. Toutefois, les dirigeants municipaux du pays croient que les dépenses qu'ils seront appelés à faire dépassent grandement les ressources dont ils disposent. A maintes reprises, les municipalités ont cherché à gagner leur autonomie fiscale par le recours à d'autres sources de revenu que la taxe sur la propriété foncière, pour obtenir les fonds nécessaires à l'accomplissement des tâches attribuées aux administrations locales. Toutefois, les gouvernements provinciaux ont toujours fermement rejeté cette demande des municipalités, de sorte que celles-ci demeurent tributaires des transferts de fonds ou des subventions qui proviennent des deux autres ordres de gouvernement. Le mode de financement des administrations locales préoccupe les commissaires. Les municipalités dépensent plus que deux fois le montant qu'elles perçoivent en taxes. Il en résulte donc pour elles une dépendance de sources de revenu qui échappent à leur contrôle et, par conséquent, une incertitude au sujet du montant des fonds qu'elles recevront au cours de l'année. Il est donc extrêmement difficile de budgéter ou de planifier un financement à long terme. De plus, les habitants des municipalités ne sont pas certains qu'ils puissent tenir leur administration responsable des taxes qu'elle impose ou des dépenses qu'elle engage. Pour plusieurs raisons, le système de transfert tripartite que nous avons au Canada rend l'imputabilité très difficile, surtout lorsqu'une grande partie des dépenses engagées par un ordre de gouvernement sont payées par des taxes imposées par un autre ordre de gouvernement. Cette question d'imputabilité se complique encore au niveau local en raison de la façon dont les subventions provinciales sont versées. Depuis quelques années, dans toutes les provinces, les subventions aux municipalités ont été de plus en plus souvent assujetties à des conditions. Autrement dit, les subventions sont accordées à la condition expresse que le montant versé soit affecté à des fins particulières. En réalité, ces conditions restreignent la discrétion des administrations municipales en matière de dépenses et les autorités municipales ne peuvent donc pas être tenues responsables de l'attribution d'une partie considérable de l'argent qu'elles dépensent. Les administrations locales nous ont fait part des conséquences néfastes du système de subventions conditionnelles, tant sur leur imputabilité que sur le contrôle des finances publiques au pays. Ce qui les préoccupe toutefois davantage est la rigidité du système. A Charlottetown, l'échevin George MacDonald déclarait à la Commission: Très souvent les programmes fédéraux [de subvention] sont établis de telle sorte que nous devons commencer par nous dire: «Voilà l'argent. Lisons toutes les directives et tâchons d'élaborer un scénario pour l'obtenir »plutôt que de nous voir demander [par le gouvernement fédéral]: «Quels sont vos besoins? Pouvons-nous vous aider?». Alors que les commentaires de M. MacDonald font ressortir les problèmes des relations entre les trois ordres de gouvernement et le besoin d'améliorer les communications entre les trois, ils démontrent aussi le caractère de rigidité que les subventions conditionnelles imposent, quelle que soit leur source, aux administrations locales, surtout si l'on considère le degré de dépendance des municipalités. Il existe plusieurs façons d'équilibrer les revenus et les tâches des administrations locales et, par conséquent, de leur fournir plus de souplesse et de réduire tant leurs besoins d'avoir recours aux subventions conditionnelles que la trop grande rigidité de ces dernières. L'une des formules proposées consiste à transférer certaines tâches des administrations locales aux gouvernements provinciaux. Toutefois, un déplacement en ce sens a déjà été accompli en bonne partie. Par exemple, en 1913, les dépenses nettes des administrations locales s'élevaient à 14 dollars par habitant, alors que celles des provinces n'étaient que de sept dollars par habitant. Par opposition, en 1980, les dépenses locales s'élevaient à 696 dollars par habitant, alors que celles des provinces atteignaient 2 219 dollars par habitant. Ces données reflètent la responsabilité accrue des provinces dans les domaines de la santé, de l'éducation et du bien-être social, ainsi que l'augmentation des dépenses, après la Seconde Guerre mondiale, pour les infrastructures et les écoles locales. Les gouvernements provinciaux ont aussi commencé à assumer le coût des écoles locales. Quatre provinces acceptent maintenant, à toutes fins pratiques, tout le fardeau du financement scolaire. Comme plusieurs tâches attribuées aux municipalités ont déjà été assumées par les provinces, la possibilité d'autres transferts importants dans le même sens est restreinte. Les modifications des sources de revenu des administrations locales offrent de plus grandes possibilités de rétablir l'équilibre. Si l'on fait exception des subventions des autres ordres de gouvernement, on constate que la plus grande partie des revenus des administrations locales provient des taxes foncières. Malgré les avantages importants de ces taxes, leur caractère régressif et leur manque de souplesse occasionnent de graves difficultés aux administrations locales. C'est pourquoi, on mentionne la taxe de vente et l'impôt sur le revenu comme des moyens d'augmenter les revenus locaux. Mais ces taxes soulèvent d'autres problèmes comme leur administration, l'imposition des non-résidants, l'équité entre les villes et les écarts considérables qui existent dans les assiettes fiscales des différentes collectivités. La Commission croit qu'il serait préférable que les provinces consacrent une partie déterminée des recettes qui proviennent de l'impôt sur le revenu ou de la taxe de vente au financement des administrations locales. Nous recommandons que chaque province examine les meilleures façons de mettre en vigueur cette mesure. Il est vrai que cette formule laisserait les municipalités quelque peu à la merci des fluctuations des conditions économiques qui influencent les revenus des gouvernements fédéral et provinciaux. Toutefois, un pourcentage déterminé de ces revenus devrait, à notre avis, permettre aux municipalités de faire leur propre évaluation de leurs revenus éventuels et d'avoir ainsi une base de planification à long terme. Les gouvernements locaux dépendraient encore, dans une certaine mesure, des subventions provinciales. Les commissaires recommandent aussi que les gouvernements provinciaux modifient autant que possible leurs programmes de financement des municipalités afin d'accorder des subventions inconditionnelles plutôt que conditionnelles. Nous croyons que cet arrangement permettrait une plus grande souplesse et une plus grande efficacité des dépenses locales, puisque les administrations locales sont mieux placées et possèdent une expertise beaucoup plus grande pour juger du genre de dépense qui satisfait le mieux les besoins de la collectivité locale et qui peut le mieux tirer profit des occasions particulières que cette collectivité offre. Cette approche est différente de celle que nous avons adoptée à l'occasion des transferts entre le gouvernement fédéral et les provinces. Toutefois, contrairement aux relations entre les gouvernements fédéral et provinciaux dont les tâches leur sont attribuées par la Constitution, les relations entre les provinces et les administrations locales sont déterminées par la province. En d'autres mots, les provinces ont déjà établi les «conditions» que doivent respecter les municipalités lorsqu'elles dépensent des subventions provinciales, en déterminant les attributions des administrations locales. Ajouter d'autres modifications à ces modalités ne feraient, croyons-nous, qu'accroître la complexité déjà grande qui caractérise ces relations. Les politiques d'urbanisme. Bien que l'on considère souvent que les administrations municipales ont le pouvoir de planifier et d'élaborer leurs politiques en matière d'urbanisme, leur contrôle de la planification est, en réalité, limité par la Constitution tandis que leur rôle consiste plutôt à réagir. Les propriétaires et les promoteurs privés prennent l'initiative de l'aménagement, en travaillant souvent de concert avec les gouvernements supérieurs, alors que les gouvernements provinciaux contrôlent, examinent et dirigent le processus de planification. Les administrations municipales peuvent toutefois déterminer l'orientation de l'aménagement grâce aux décisions qu'elles doivent prendre sur la viabilisation des terrains et les infrastructures telles que les rues et les réseaux de transport en commun. Toutefois, leur dépendance des provinces pour l'obtention d'une aide financière restreint leur aptitude à mettre de l'avant et à promouvoir des projets d'aménagement. Les dépenses d'amortissement des municipalités sont examinées par les gouvernements provinciaux et la plupart des décisions en matière de planification et de politiques d'urbanisme sont assujetties à une révision par la province. Cette Commission croit qu'en matière de planification et de politiques d'urbanisation, il faut reconnaître que les administrations locales connaissent mieux les problèmes et qu'elles sont mieux en mesure de les régler. Nous croyons que, de façon générale, les administrations locales peuvent plus efficacement élaborer et mettre en oeuvre les politiques d'urbanisation. C'est pourquoi, bien que nous reconnaissions que les provinces ont des méthodes différentes de traiter des questions d'urbanisme, nous recommandons qu'elles accordent plus de pouvoirs et des pouvoirs plus généraux aux administrations locales. Nous estimons aussi qu'il est souhaitable de réduire considérablement le nombre d'organismes créés à des fins particulières, comme les commissions de planification établies par les provinces pour agir indépendamment des administrations locales. Ces organismes devraient, dans la mesure du possible, fusionner leurs activités de façon à ce que les politiciens élus soient responsables localement plutôt que provincialement. Une augmentation des pouvoirs locaux demeure assujettie, bien sûr, à l'établissement de sources inconditionnelles de financement qui soient plus importantes et plus stables. Il faut aussi en arriver à sensibiliser davantage les gouvernements fédéral et provinciaux aux besoins locaux et aux conséquences locales des politiques établies par les gouvernements supérieurs. Le rôle local dans le développement économique. La Commission croit que les administrations locales, particulièrement celles des grandes villes, vont jouer un rôle important dans l'évolution économique du Canada. Lorsqu'une entreprise décide de s'établir dans une ville ou un pays particulier, elle examine souvent d'autres facteurs que les éléments traditionnels de développement que sont la proximité des marchés, les modes de transport ferroviaire ou aérien accessibles, la disponibilité des terrains et la structure fiscale. Elle va aussi examiner la sécurité et la propreté d'une ville, la qualité de ses restaurants et de ses magasins, ainsi que la présence de commodités telles que des parcs, des galeries d'art, un orchestre symphonique ou un opéra, des théâtres et des installations sportives pour accueillir les équipes de championnat. Le Canada possède plusieurs avantages pour attirer les entreprises et les investisseurs et la réputation de nos villes s'améliore. Toutefois, le pouvoir d'attraction d'une ville, sa capacité d'attirer des personnes compétentes, particulièrement celles qui possèdent les connaissances rares qui forment le noyau autour duquel s'édifient les entreprises, les industries et la main-d'oeuvre locale, sont relatifs et changeants. Les collectivités urbaines du Canada doivent concurrencer les autres villes du monde pour demeurer relativement plus attrayantes qu'elles. Puisque nous nous attendons à ce que le développement économique devienne de plus en plus urbain, il est essentiel que les gouvernements fédéral et provinciaux reconnaissent que la qualité de la vie urbaine au Canada est un atout économique de première importance. Toutefois, les audiences et les recherches de la Commission révèlent une accumulation d'enchevêtrements, de mesures irritantes, de restrictions et de complications inutiles, qui sont susceptibles d'étouffer le remarquable dynamisme qui a marqué le développement urbain de notre pays dans les années d'après-guerre. La Commission recommande que chaque province étudie son propre régime de gouvernement municipal, afin d'accorder une plus grande discrétion aux administrations locales, que les ententes juridiques, institutionnelles et constitutionnelles soient simplifiées et que des communications claires et directes soient établies entre les pouvoirs décisionnels locaux et provinciaux. Nous pensons que ces modifications permettraient aux administrations municipales d'exploiter à fond leurs aptitudes en vue d'améliorer les conditions économiques et sociales de leurs citoyens, des provinces et du Canada dans son ensemble.