*{ Raymond Beaulieu, Rapport Beaulieu: De la Révolution tranquille à l'an 2000 : Rapport du Comité sur la privatisation des sociétés d'État. 1986 } Avant-propos. L'essentiel de nos réflexions... Le Comité aviseur sur la privatisation a reçu le mandat de conseiller le ministre délégué à la Privatisation sur l'à-propos de transférer au secteur privé, en partie ou en totalité, les sociétés d'État dont les activités sont de nature commerciale ou industrielle. Le Comité devait aussi établir les priorités parmi les sociétés dont la privatisation était souhaitable et se prononcer sur les modalités de cette transition. Ce rapport présente le point de vue du Comité sur ces questions et les quelques pages qui suivent résument l'essentiel de nos réflexions. Une remise en question universelle. Au départ, il est important de souligner que la remise en question des sociétés d'État n'est pas uniquement un phénomène québécois. En fait, le débat sur la privatisation a cours actuellement dans la plupart des pays industrialisés. L'universalité de ce débat souligne une caractéristique importante de la problématique: la société d'État comme institution de développement et de gestion est aux prises avec des carences structurelles inhérentes à sa nature. Quelle que soit la valeur des motifs qui ont présidé à sa création, il ne fait nul doute que la formule de la société d'État souffre de diverses faiblesses qui alimentent cette remise en question généralisée. Les entreprises stratégiques: une particularité québécoise. Hors des réseaux des affaires sociales et de l'éducation, on peut recenser au Québec une cinquantaine de sociétés d'État et d'organismes apparentés (excluant les filiales), pouvant se diviser en trois groupes. Une trentaine d'entreprises gèrent des activités subventionnées, de la Régie des installations olympiques à la Société du port ferroviaire de Baie-Comeau - Hauterive, en passant par le Centre de recherche industrielle du Québec et la Société de développement industriel. Ces sociétés d'État sont subventionnées pour la majorité ou la totalité de leur budget et elles gèrent des activités dont la responsabilité est assumée par le gouvernement. Un second groupe de sept sociétés est constitué de monopoles publics tels Hydro-Québec, la Caisse de dépôt et placement du Québec, la Société des alcools du Québec et la Régie de l'assurance automobile du Québec. Ces sept sociétés reflètent des choix de gestion largement imités dans de nombreuses autres juridictions nordaméricaines. Enfin, on retrouve au Québec dix sociétés d'État que l'on peut qualifier d'entreprises stratégiques. Elle visent des objectifs de développement économique et sont en concurrence avec des entreprises du secteur privé. Collectivement, ces entreprises (principalement la Société générale de financement, SOQUIA, REXFOR et la Société nationale de l'amiante) ont une cinquantaine de filiales. L'ensemble de l'actif des entreprises stratégiques totalise plus de 3 milliards $. Elles emploient environ 17 mille personnes. En excluant Sidbec et la Société nationale de l'amiante en raison de leur situation déficitaire, l'avoir du gouvernement dans ces sociétés au 31 mars 1986 était de 860 millions de dollars. L'existence de ces dix entreprises stratégiques distingue clairement le Québec des autres provinces canadiennes et des États américains. Issues de la philosophie économique dominante des vingt-cinq dernières années - la Révolution tranquille - ces entreprises visaient deux grands objectifs stratégiques, soit un développement accéléré de la structure industrielle du Québec et une présence accrue des francophones dans les rouages supérieurs de l'économie. Leur performance: des résultats mitigés. La performance des entreprises stratégiques peut être évaluée selon plusieurs critères. L'important n'est pas de faire le procès du passé, mais plutôt de s'interroger, dans la perspective des quinze prochaines années, sur la pertinence de tels instruments d'interventions gouvernementales. A cet égard, un examen de quelques motifs invoqués à l'appui du maintien de ces sociétés d'État a été fait. En voici les points saillants. Contrôle québécois d'entreprises majeures. Plusieurs de ces sociétés d'État se sont avérées des véhicules pratiques de contrôle d'importantes entreprises québécoises. Toutefois, il est évident que la présence d'un réseau de sociétés d'État n'est plus nécessaire à cette fin. Le secteur privé québécois peut prendre la relève, ce qu'il fait d'ailleurs actuellement. Promotion des francophones. Au début des années 60, un tel motif pouvait être invoqué. En 1986, les cadres francophones ont une présence importante à tous les niveaux de l'économie québécoise. Les sociétés d'État ne sont plus appelées à jouer un rôle significatif à cet égard. Impact structurel. Sur ce plan, les bienfaits des interventions gouvernementales, par le biais des entreprises stratégiques, ont été plus que mitigés. Même les interventions les plus ambitieuses, telles celles de la Société générale de financement, n'ont eu en dernière analyse, que des effets limités. Par contre, les échecs ont été nombreux, entre autres: Sidbec et la Société nationale de I 'amiante. Le bras séculier. L'entreprise stratégique s'est avérée un instrument d'appoint pour la réalisation de projets ou de volontés gouvernementales dans divers secteurs. A ce chapitre, les interventions gouvernementales ont également été plus ou moins heureuses. L'aluminerie de Bécancour risque de côtoyer les efforts investis dans Sidbec. Que peut-on conclure d'une évaluation sommaire de la performance des entreprises stratégiques? Deux constats d'ordre général se dégagent de l'analyse effectuée par le Comité. Premièrement, les entreprises stratégiques sont des solutions qui ont une pérennité que n'ont pas les problèmes ayant présidé à leur formation. La problématique politique ou économique évolue et change, mais la société d'État demeure. Deuxièmement, l'entreprise stratégique est un moyen parmi d'autres qui s'est toutefois généralement imposé comme une fin en soi. Par exemple, était-il nécessaire de constituer la Société nationale de l'amiante pour atteindre les objectifs gouvernementaux dans le secteur de l'amiante? Les recommandations du Comité visent un transfert éventuel et global de ces dix entreprises stratégiques, du secteur public au secteur privé. Celles qui ont atteint leurs objectifs peuvent dire mission accomplie. Les autres font face à des problèmes qui ne justifient plus leur présence. De plus, les carences structurelles de la formule de la société d'État, qui amènent d'ailleurs leur remise en cause dans de nombreux pays, rendent peu souhaitable l'usage de cette formule lorsqu'elles sont appelées à concurrencer directement des entreprises commerciales ou industrielles. Enfin, il faut éviter que des problèmes d'entreprise deviennent des problèmes de gouvernement. Même le rôle de bras séculier, un rôle qui pourrait parfois être valable en soi, peut être joué plus adéquatement de façons plus souples et moins coûteuses pour l'État. La transition: un processus délicat. Nous avons étudié la démarche proposée par le gouvernement dans le document préparé par le ministre délégué à la Privatisation. Selon nous, cette démarche assurera une transition ordonnée et harmonieuse de ces entreprises du secteur public au secteur privé. La priorité accordée aux objectifs structurels (l'impact sur l'économie du Québec) sur les objectifs financiers (les revenus du gouvernement) reçoit l'aval du Comité. Par ailleurs, dans la mesure où ces entreprises constituent l'apport de la Révolution tranquille au patrimoine industriel des Québécois, le gouvernement devrait favoriser, autant que possible, le transfert de ces entreprises à des intérêts sous contrôle québécois. Il n'est pas question de renier le passé: il s'agit plutôt de continuer ce qui a été amorcé, dans un cadre plus adapté aux structures de l'économie des quinze prochaines années. Les autres sociétés d'état. L'analyse de la situation des sept monopoles publics permet de dégager une constante: les remises en cause des structures institutionnelles de ces sociétés sont rares. Pourtant, leur double statut de monopole et de société d'État montre des carences et des contraintes qui mériteraient des examens beaucoup plus serrés de leur situation. Or, ces monopoles publics évitent généralement ces remises en cause en se dotant d'une image publique privilégiant leur statut actuel et en mobilisant en quelque sorte leur clientèle derrière ce même statu quo. En conséquence, ces institutions, que ce soit Hydro-Québec, la Caisse de dépôt et placement, la Régie de l'assurance automobile du Québec ou Loto-Québec, risquent de voir leur structure devenir périmée. Une revue des structures de ces institutions corrigerait cette lacune. Par ailleurs, l'utilisation de la structure de la société d'État pour fins de gestion d'activités subventionnées devrait susciter des interrogations sérieuses. Bien qu'elle soit plus souple que la régie ministérielle interne pour les fins de gestion de diverses activités, la formule de la société d'État souffre de difficultés importantes. Notre rapport en fait état de façon explicite. En effet, cette formule n'a que certains des attributs de l'entreprise privée. Par contre, elle retient de nombreuses contraintes de sa filiation gouvernementale. D'autres formules, notamment le faire-faire sur une base contractuelle et les organismes sans but lucratif, offrent souvent des avantages manifestes et leur utilisation devrait être envisagée. Conclusions. Le débat sur la privatisation se situe à deux niveaux. A un premier niveau, on peut s'interroger sur la place et le rôle du gouvernement dans l'économie. La société d'État est un instrument privilégié pour étendre le périmètre de l'activité gouvernementale et est donc souvent associée à cette question. Sur ce plan, le Comité constate que l'essor du secteur privé québécois, particulièrement sa composante francophone, impose une remise en question de la présence gouvernementale dans les secteurs commerciaux et industriels de l'économie. Les grands motifs qui ont présidé à la mise sur pied des sociétés d'État qui oeuvrent dans ces secteurs, sont maintenant dépassés. D'autre part, à un second niveau le débat porte sur l'efficacité de !a formule de la société d'État. Cette formule souffre évidemment des défauts de toute formule hybride. L'utilisation de certaines caractéristiques de l'entreprise privée ne peut masquer les conséquences de sa propriété publique. Qu'elle s'illusionne ou non, la société d'État demeure dans le giron du système politique, avec toutes les contraintes que cela comporte. En conséquence, elle ne peut que sacrifier une certaine souplesse et une certaine flexibilité dans ses démarches, attributs qui sont très précieux dans tout secteur où la concurrence et les règles du marché définissent les critères de performance. Le gouvernement a de nombreux moyens à sa disposition pour réaliser ses objectifs économiques. La société d'État en est un parmi d'autres. Son utilisation implique des limitations importantes qu'il faut reconnaître. Par ailleurs, lorsque les besoins qui ont justifié la création d'une société d'État s'estompent, le gouvernement ne doit pas hésiter à remettre en question la présence de celle-ci dans le secteur public. C'est l'essence du débat sur la privatisation qui est en cours, au Québec comme dans la plupart des pays industrialisés. I - Le mandat du comité. Le débat sur les sociétés d'État évoque une double réalité. D'une part, la présence du gouvernement dans des champs d'activités particuliers est fondamentalement à la base des interrogations sur les sociétés d'État. D'autre part, la société d'État est l'adaptation par le gouvernement d'une structure juridique empruntée au secteur privé, pour encadrer certaines de ses activités, d'où les questions de contrôle, de responsabilités et d'orientation des sociétés d'État. Il est important de distinguer ces deux facettes du débat. La popularité croissante du mouvement de privatisation des sociétés d'État dans la plupart des pays industrialisés reflète essentiellement une remise en question du rôle des gouvernements dans la production de biens et de services. Ainsi, le débat dépasse largement la société d'État comme mode d'intervention pour aborder une problématique beaucoup plus globale, soit le rôle et la place du gouvernement dans l'économie des pays industrialisés. Ce n'est pas que les deux facettes du débat soient indépendantes. Au contraire, la remise en question des sociétés d'État, au Canada comme ailleurs, reflète un certain désenchantement quant à leur gestion et leur performance. Mais il n'en reste pas moins que des interrogations plus fondamentales sous-tendent ce débat. Conscients de cette problématique à deux volets, nous avons entrepris le mandat que nous a confié le gouvernement du Québec. De façon globale, ce mandat consiste à conseiller le ministre délégué à la Privatisation sur les objets de son mandat soit, d'une part, la portée spécifique d'un exercice de privatisation des sociétés d'État relevant du gouvernement du Québec et ses modalités de réalisation et, d'autre part, l'identification de certaines fonctions pouvant être assumées par le secteur privé. On trouvera ci-dessous le mandat formel du Comité aviseur tel que défini dans le cadre du mandat donné au ministre délégué à la Privatisation conformément au décret 2653-85 du 13 décembre 1985. Nous l'avons interprété dans son sens large. Il nous a semblé important pour la qualité du débat public que pourraient susciter les volontés du gouvernement de revoir la pertinence de l'existence même d'un grand nombre de sociétés d'État. Le mandat du Comité consiste à assister le ministre délégué à la Privatisation dans l'exécution de son mandat soit de: établir les critères, devant justifier le maintien des entreprises d'État actuelles ou la création de nouvelles entreprises d'État; déterminer, selon ces critères, les sociétés d'État actuelles dont l'État devrait se départir pour les transférer au secteur privé en tout ou en partie; établir des priorités parmi les entreprises dont la privatisation est recommandée; définir la procédure, les modalités et le programme de mise en oeuvre de la privatisation des entreprises ainsi identifiées; superviser l'opération privatisation et s'assurer qu'elle s'effectue dans les meilleurs intérêts du gouvernement à titre de propriétaire. Nos interrogations furent donc de quatre ordres. Premièrement nous nous sommes interrogés sur la présence du gouvernement, par le biais de sociétés d'État, dans divers secteurs de la production de biens et de services qui relèvent usuellement du secteur privé. Plus spécifiquement, nous nous sommes penchés sur le cas de dix sociétés d'État oeuvrant dans des secteurs commerciaux ou industriels. Deuxièmement, nous avons examiné la méthodologie proposée par le ministre délégué à la Privatisation et étudié les principes retenus par le gouvernement pour le guider dans sa démarche. Troisièmement, nous avons examiné la situation de sept sociétés mandataires du gouvernement qui occupent de façon exclusive certains champs d'activités en quelque sorte nationalisés. Hydro-Québec est l'exemple-type de ces mandataires du gouvernement. Enfin, nous avons analysé les avantages et les inconvénients de la formule de la société d'État pour encadrer la conduite de certaines activités subventionnées. Notre analyse du phénomène de la privatisation se situe, comme nous le mentionnions plus haut, dans le contexte d'une révision du rôle et de la place des sociétés d'État dans la plupart des pays industrialisés. Cette révision est aussi en cours dans un grand nombre de pays en voie de développement ou de telles sociétés étaient l'instrument privilégié de développement industriel. Une abondante littérature s'est développée autour de cette question. Il y a quelques mois, la revue britannique «The Economist» recensait des mouvements de privatisation dans une trentaine de pays. L'apparition simultanée, dans un grand nombre de pays, de ce «révisionnisme» face à un instrument qui, jusqu'à récemment, était le véhicule privilégié pour assurer le développement économique, est un constat important dans le contexte du débat que la privatisation ne manquera pas de susciter au Québec. En somme, le désenchantement face aux sociétés d'État n'est pas un phénomène particulier au Québec. Ici comme ailleurs, le désenchantement vis-à-vis des sociétés d'État reflète une remise en question des modes traditionnels d'intervention des gouvernements. La présence, dans un grand nombre de pays, de sociétés d'État en situation directe de concurrence avec l'entreprise privée permet d'établir des comparaisons instructives quand à la performance relative du secteur privé et du secteur public dans divers domaines. Le processus de privatisation est déjà amorcé au Québec. Le ministre délégué à la Privatisation présentait, en février 1986, les principes directeurs devant guider l'action du gouvernement dans sa démarche. La Raffinerie de sucre du Québec fut vendue à des intérêts privés au mois de mars 1986 et devint la première société d'État privatisée. Durant le même mois, le gouvernement vendait les actions détenues par SOQUIA (Société québécoise d'initiatives agro-alimentaires) dans Provigo. Plus récemment, le gouvernement annonçait son intention de transférer certains actifs aurifères de SOQUEM (Société québécoise d'exploration minière) à CAMBIOR, une nouvelle société créée à cette fin. Le financement de la transaction sera assuré au moyen d'une émission publique de cette dernière société. Le Comité aviseur a été consulté sur les principales transactions qui ont déjà été conclues. Notre rapport comporte sept chapitres. Le premier sert d'introduction et présente la problématique générale de la privatisation au Québec. Le chapitre II situe la place et le rôle des sociétés d'État au Québec, ailleurs au Canada et dans quelques autres pays industrialisés. Nous nous penchons aussi sur les causes qui ont présidé à l'émergence des sociétés d'État et leur remise en question plus récente. Le chapitre III porte sur les dix sociétés d'État que nous avons désignées, de par l'analyse de leur mandat, comme des entreprises stratégiques. Ces dix sociétés sont la SGF (Société générale de financement), SOQUEM, SOQUIP (Société québécoise d'initiatives pétrolières), REXFOR (Société de récupération, d'exploitation et de développement forestier du Québec), SOQUIA, Sidbec, la SQT (Société québécoise des transports) et sa principale filiale, Québécair, la SNA (Société nationale de l'amiante), Madelipêche et la SÉPAQ (Société des établissements de plein air du Québec). Le chapitre IV se penche sur la situation de sept sociétés qui ont des mandats exclusifs du gouvernement. Il s'agit d'Hydro-Québec, Loto-Québec, la Caisse de dépôt et placement du Québec, la Société des alcools du Québec, la Société immobilière du Québec, la Régie de l'assurance automobile du Québec et l'ancienne Commission des accidents du travail, qui est maintenant la direction de l'assurance de la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Notre objectif dans ce chapitre n'est pas de nous prononcer sur l'à-propos d'une privatisation de ces sociétés. Nous voulons plutôt amorcer un débat de fond sur la pertinence et l'actuelle structure de chacun de ces monopoles d'État. Le chapitre V passe en revue la démarche de privatisation retenue par le ministre délégué à la Privatisation pour encadrer l'exécution de son mandat. Nous examinons aussi les principes mis de l'avant par le gouvernement pour baliser sa politique de privatisation. Le chapitre VI porte sur les avantages et les désavantages de la forme juridique de la société d'État pour encadrer diverses activités subventionnées par le gouvernement. Notre analyse retient comme matière à réflexion, quelque trente sociétés, entièrement ou majoritairement financées par le gouvernement du Québec par voie de subventions. Notre but est de faire le point sur l'utilité de cette formule juridique de plus en plus utilisée par les gouvernements. Enfin, nous présentons au chapitre VII, les conclusions de notre analyse. Nous présentons aussi nos recommandations quant aux sociétés qui devraient être privatisées, l'ordre de priorité et les modalités de la démarche à suivre. Nous apportons également des recommandations générales sur l'à-propos d'un débat plus large sur les monopoles gouvernementaux et sur l'utilisation généralisée de la société d'État dans le secteur subventionné. II - La place et le rôle des sociétés d'état. Nous voulons dans ce chapitre situer la place et le rôle des sociétés d'État dans l'économie du Québec. Afin de mieux apprécier cette situation, nous avons cru utile de présenter cette analyse dans un cadre comparatif, en nous référant, entre autres, à la situation en Ontario, ailleurs au Canada et au palier fédéral. Nous avons aussi examiné sommairement la situation des sociétés d'État de quelques autres pays. Le chapitre se divise en quatre sections. D'abord nous tenterons de situer la place qu'occupent les sociétés d'État dans l'économie québécoise. Dans la seconde section, nous traitons de leur rôle, en nous référant à leur mandat original en rappelant les circonstances politiques qui ont présidé à leur constitution. La troisième est consacrée à l'examen de sociétés d'État dans d'autres juridictions. La quatrième traite de la révision du rôle des sociétés d'État à travers le monde et des motifs qui la sous-tendent. 1. Les sociétés d'État au Québec. Le Québec est probablement la juridiction territoriale (État ou province) où la présence gouvernementale est la plus prononcée en Amérique du Nord. Toutefois, elle demeure bien en deça de ce qui prévaut dans certains pays d'Europe. Le tableau 2.1 compare l'évolution à partir de 1975 de certains indicateurs économiques du Québec, des pays de l'OCDE, des États-Unis et du Canada. On constate d'abord que les dépenses du secteur public sont beaucoup plus élevées au Québec qu'au Canada dans son ensemble, soit un écart de 4 points au pourcentage du PIB (produit intérieur brut) relativement constant depuis 1975. Les dépenses des administrations publiques au Québec représentent la moitié du PIB, soit approximativement la même proportion que dans les pays de l'OCDE Europe. Les sociétés d'État constituent l'un des facteurs qui expliquent la proportion élevée du secteur public dans les dépenses nationales. Il n'y a pas de classification universellement reconnue pour catégoriser les sociétés d'État. Les économistes et les politicologues qui ont étudié le phénomène en Amérique du Nord et en Europe ont développé de nombreuses typologies, selon les besoins de leurs analyses. Nous avons donc emprunté la même voie et avons retenu trois catégories de sociétés d'État définies comme suit: les entreprises stratégiques. Ces sociétés d'État, au nombre de dix, oeuvrent dans des secteurs commerciaux et industriels, en concurrence avec le secteur privé. Elles sont définies comme des instruments d'intervention stratégique du gouvernement dans des secteurs précis. les monopoles publics. Ces sociétés d'État, au nombre de sept, sont des monopoles gouvernementaux dans des secteurs qui pourraient être exploités par le secteur privé. le secteur subventionné. Les sociétés d'État dans ce secteur ont pour mandat d'assumer ou gérer une activité subventionnée par le gouvernement. Le Comité a retenu une trentaine de ces sociétés pour les fins de son analyse. Nous avons utilisé cette classification pour évaluer la présence des sociétés d'État dans l'économie du Québec. On retrouvera au tableau 2.2 quelques statistiques sur la taille des entreprises stratégiques et des monopoles publics au Québec. Ce sont dans ces deux catégories que l'on retrouve les plus importantes sociétés d'État et l'essentiel de l'actif qu'elles contrôlent. La plus importante des entreprises stratégiques, en termes d'actif sous contrôle, est la SGF. Avec un actif au 31 mars 1986 de 1,4 milliard $, elle représente plus du tiers de l'actif des entreprises stratégiques. Suivent ensuite par ordre d'importance, Sidbec et SOQUIP. En termes d'employés, l'ordre est sensiblement le même. Le tableau 2.3 donne le nombre d'employés de chaque entreprise stratégique au 31 mars 1985. Ce tableau montre l'importance du niveau d'emploi dans les filiales et les participations des entreprises stratégiques. Ce fait reflète le développement de ces sociétés d'État, sauf Sidbec, en de véritables holdings financiers. Que représentent ces entreprises stratégiques dans l'ensemble du secteur industriel québécois. Le nombre d'emplois industriels au Québec est de 600 000. Ceci donne environ 2 % de l'emploi industriel aux sociétés d'État qualifiées d'entreprises stratégiques. Par ailleurs, l'estimation de l'importance relative de ces sociétés en termes de l'actif, est sensiblement la même. Les monopoles publics représentent un poids beaucoup plus important dans l'économie. Ceci est dû principalement à quelques sociétés, nommément Hydro-Québec, la Caisse de dépôt et placement et les activités d'assurances de la Régie de l'assurance automobile du Québec et de la Commission de la santé et de la sécurité du travail. En termes d'emplois, Hydro-Québec avec 18 792 et secondairement, la SAQ avec 2 389, sont des employeurs d'importance. Néanmoins, l'emploi dans ces sociétés représente une faible proportion de l'emploi total au Québec qui s'élève à quelque 3 millions. Par rapport à l'emploi total des secteurs public et parapublic québécois, qui se chiffre à quelque 300 000, l'emploi dans les entreprises stratégiques et les monopoles publics représente environ un emploi sur six. Il est plus difficile de cerner avec précision l'importance économique du troisième groupe de sociétés d'État, constitué de trente sociétés du secteur subventionné. Cela découle du fait que ces sociétés recouvrent une gamme d'activités très diverses telles l'aide au financement industriel (la Société de développement industriel), l'exploitation de services de traversiers (la Société des traversiers du Québec) et la gestion de musées (le Musée d'Art contemporain de Montréal). La majorité de ces sociétés sont des sociétés de gestion dans le secteur culturel et dans le secteur d'équipements ou d'installations étatiques. A l'exception de quelques-unes, dont Radio-Québec, la plupart ont très peu d'employés. Globalement, elles emploient moins de 3 000 personnes. L'analyse de ces sociétés sera reprise au chapitre VI. 2. Le rôle des sociétés d'État dans l'économie québécoise. Une façon simple mais efficace de saisir le rôle des sociétés d'État dans l'économie est d'en retracer les origines. Cinq motifs sont identifiés dans la littérature économique sur les sociétés d'État: i - le nationalisme économique, aussi connu sous le terme de «nation-building». Les interventions structurelles de développement économique tombent dans cette catégorie. ii - la social-démocratie qui préconise la propriété par le gouvernement des moyens de production, particulièrement ceux d'importance stratégique. iii - les crises économiques ou sociales majeures commandent parfois des interventions ponctuelles des gouvernements. Ce fut le cas de la crise des années trente et en particulier de la Seconde Guerre mondiale qui ont donné naissance à de nombreuses sociétés d'État. iv - le sauvetage d'une entreprise sur le point de cesser ses opérations et dont le maintien est jugé primordial par le système politique. v - la gestion publique d'un champ d'activité au nom d'une certaine vision de faire les choses, généralement par un monopole d'État (par exemple, les loteries gouvernementales) . Nous avons classé les dix-sept entreprises stratégiques et monopoles publics du Québec selon cette typologie, en fonction de leur année de fondation ou de leur prise de contrôle par l'État. Bien qu'on pourrait différer d'opinion quant à la classification de certaines de ces sociétés, le tableau suivant vise à donner un aperçu général des motifs qui ont présidé à leur fondation. Les entreprises stratégiques ont été généralement créées au Québec pour des motifs de nationalisme économique. En fait, c'est le soutien généralisé de la majorité francophone du Québec qui a maintenu le consensus politique derrière ces initiatives. Par contre, les quelques cas de sauvetage d'entreprises qui se sont transformés en échecs économiques ou politiques ont quelque peu affaibli ce consensus. Par ailleurs, on notera que les monopoles publics sont motivés plus souvent par une vision de la gestion publique que par le nationalisme économique. On ne retrouve l'idéologie social-démocrate comme motif de fondation que dans un cas, soit l'établissement de la Régie de l'assurance automobile du Québec. En 1978, il ne faisait nul doute que la constitution de la RAAQ était vue comme un symbole de la social-démocratie alors à la mode. 3. Les sociétés d'État ailleurs. Parmi les provinces canadiennes, le Québec est au premier rang, et de loin, quant à l'actif détenu par les sociétés d'État. Il se distingue également par l'importance de ses entreprises stratégiques. La seule province comparable sur ce point est la Saskatchewan, en particulier dans le secteur des ressources naturelles. Nous avons analysé en détail la situation ontarienne, une province qui se compare bien au Québec en termes de taille et de structure industrielle. Alors que nous avions recensé dix entreprises stratégiques au Québec, nous n'en avons identifié que deux d'importance en Ontario, soit l'Ontario Energy Corporation et l'Ontario Northland Transportation Commission. La première se compare à SOQUIP à plusieurs égards et est de création récente. L'actif principal de cette société consiste en une participation de 25 % dans la pétrolière SUNCOR. La valeur marchande de cet investissement se situerait entre 138 et 275 millions $ pour un coût d'acquisition de 650 millions $. L'activité principale de l'Ontario Northland Transportation Commission est la gestion d'un ensemble de services de transport dans le nord de la province. Cette société fournit également des services de télécommunications à cette région. L'actif de cette société était de 206 millions $ au 31 décembre 1984. Le gouvernement fédéral a également été actif dans la création de sociétés d'État, particulièrement des entreprises stratégiques. Le CN, Air Canada, Pétro-Canada et la Corporation Canadienne de Développement sont le résultat du «nation-building» canadien. La Seconde Guerre mondiale a aussi amené la création de plusieurs sociétés d'État qui, pour la plupart, furent de durée limitée. Ailleurs dans le monde, la présence des sociétés d'État varie selon les secteurs d'activités visés. Toutefois, pour chaque secteur, il se trouve des juridictions où l'entreprise privée est prédominante. Il n'y a donc aucune raison structurelle inhérente à certains secteurs de l'économie qui justifierait la présence de sociétés d'État. Le meilleur exemple de ce constat nous est donné par les États-Unis où il n'existe que très peu de sociétés d'État et ce, tant au niveau fédéral qu'au niveau des États. Ainsi, bien que la Tennessee Valley Authority et la Bonneville Power soient deux importantes sociétés de production d'électricité détenues par le gouvernement fédéral, moins de 20% de la production électrique aux États-Unis relève de sociétés d'État. Les deux autres sociétés d'État d'importance, Conrail et Amtrack, sont le résultat de récupérations par le gouvernement fédéral. Notons finalement qu'environ vingt-cinq États ont des sociétés de loterie et quelques-uns des monopoles de distribution de vins et de spiritueux. 4. La retraite des sociétés d'État: un phénomène mondial. La privatisation des sociétés d'État est devenue, en l'espace de quelques années, un phénomène politique généralisé dans la plupart des pays industrialisés et dans un bon nombre de pays en voie de développement. Le leader incontesté de ce mouvement de privatisation est la Grande-Bretagne. Durant la période 1979-1985, douze sociétés d'État d'importance ont fait l'objet de privatisation totale ou partielle, résultant en des entrées de fonds de plus de 12 milliards de livres au trésor britannique. Le succès le plus spectaculaire de ce mouvement de privatisation fut la vente au public de 50,7 % des actions de British Telecom en 1983. Le produit de disposition de cette émission publique, la plus importante jamais réalisée, fut de 3,9 milliards de livres. A la suite de ces transferts au secteur privé, la contribution du secteur nationalisé au PIB est passée de 10 % à 6,5 %. Il est prévu que lorsque le programme de privatisation sera complété, plus de 600 000 emplois seront transférés au secteur privé. Au Canada, des programmes de privatisation ont été établis par le gouvernement fédéral et par plusieurs gouvernements provinciaux dont ceux de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan et de l'Ontario. Le programme de privatisation en Ontario est très récent. Les actions prises à ce jour sont les suivantes. Un accord de principe a été conclu avec le groupe Lavalin pour la vente de Urban Transportation Development Corporation Ltd, société oeuvrant dans le développement de réseaux de transport urbain. Le gouvernement ontarien a également décidé de vendre l'ensemble de l'actif de l'Ontario Energy Corporation, en particulier sa participation dans la pétrolière SUNCOR. Finalement le gouvernement ontarien annonçait au début d'avril 1986, que IDEA, société d'État de capital de risque, cesserait ses activités en juin 1986. La popularité grandissante des programmes de privatisation reflète autant les mécanismes du processus politique et de sa diffusion que les importants problèmes de nature structurelle des sociétés d'État. Le succès de la politique de privatisation en Grande-Bretagne a impressionné un grand nombre de gouvernements. Ils ont découvert dans la privatisation une politique réalisable et populaire. De plus, le succès commercial des entreprises dénationalisées est une preuve tangible de la valeur de ces politiques. Ceci dit, ce mouvement ne se serait pas répandu de façon aussi spectaculaire s'il ne s'avérait pas une réponse adéquate aux problèmes fondamentaux que posent les sociétés d'État. Comme organisations économiques et juridiques, les sociétés d'État doivent concilier de nombreux objectifs contradictoires, ce qu'elles ne font pas toujours bien. Leur performance économique en souffre et se reflète dans leur rentabilité médiocre et dans de constants appels de fonds auprès de leur actionnaire. Enfin les resserrements budgétaires qui frappent les gouvernements depuis quelques années amènent un examen beaucoup plus circonspect de l'à-propos de consacrer à ces sociétés des ressources financières qui pourraient être utilisées ailleurs à meilleur escient. Les causes du désenchantement des gouvernements vis-à-vis des sociétés d'État ont donc une certaine universalité. L'universalité du phénomène devrait mettre le lecteur en garde contre une analyse des sociétés d'État reposant essentiellement sur des facteurs locaux. La privatisation des sociétés d'État est une politique dont les fondements reposent sur les carences structurelles des sociétés d'État. C'est ce que nous démontre l'analyse de la situation québécoise. III - Les entreprises stratégiques. Le gouvernement du Québec a clairement indiqué sa volonté d'amorcer le processus de privatisation en priorité auprès des sociétés d'État à caractère commercial ou industriel. La majorité de ces sociétés sont des entreprises stratégiques oeuvrant dans des marchés compétitifs et poursuivant des objectifs de rentabilité. Ce chapitre porte sur ces dix entreprises stratégiques déjà identifiées. Le chapitre se divise en quatre sections. La première porte sur les motifs qui ont présidé à leur création. Dans la seconde, nous évaluons la performance générale des entreprises stratégiques, eu égard aux principaux objectifs visés. La troisième section est consacrée à une analyse sommaire de la situation particulière de chacune des dix entreprises stratégiques. Nous concluons à la dernière section. 1. La généralisation du «bras séculier». Les entreprises stratégiques québécoises sont issues de la Révolution tranquille et de la vision de développement qui a présidé à l'élaboration des politiques gouvernementales en matière de développement économique depuis 1960. Essentiellement, cette vision reposait sur la conviction que «l'État», c'est-à-dire le gouvernement du Québec, devait se suppléer aux insuffisances du libre jeu des mécanismes de marché et orienter des ressources financières et humaines, par le biais de sociétés d'État, dans la poursuite d'objectifs collectifs de développement. Les carences du marché telles que perçues par le gouvernement étaient de deux ordres. D'une part, les besoins de développement du Québec nécessitaient des interventions plus immédiates et plus vigoureuses que le marché n'aurait suscitées. Via ses sociétés d'État, le gouvernement pourrait donc orienter le développement en fonction de ses propres priorités et accélérer, s'il le jugeait à propos, le niveau d'investissements dans certains secteurs. Par ailleurs, le gouvernement entendait bien donner aux Québécois francophones une juste place dans les rouages de direction de l'économie québécoise. Les sociétés d'État furent donc conçues comme des véhicules privilégiés de promotion de cadres francophones. Cet objectif doit être vu dans son sens large: lieu d'apprentissage pour les jeunes cadres, la prise de contrôle de sociétés à tradition anglophone, le maintien du contrôle de certaines entreprises francophones, etc. Le secteur des sociétés d'État était ainsi une avenue privilégiée de développement et de promotion pour les francophones dans l'économie québécoise. Un exemple de ce double objectif visé nous est donné par la création de SOQUEM en 1965. Voici deux extraits des débats en deuxième lecture. «... l'exploration minière qui se fait dans le Québec est foncièrement irrationnelle, incohérente et dépendante des priorités qui sont soit de la promotion ou des intérêts des grandes sociétés qui ne sont pas, et c'est leur rôle, qui ne sont pas authentiquement, de façon absolument autonome, québécoise.» «Si on pense maintenant aux effets humains et aux effets au point de vue des cadres, du renforcement de notre société dans le domaine des cadres ... l'industrie [relativement] très marginale que le Québec a pu mettre sur pied dans le secteur minier privé, manque de cadres...» (René Lévesque, Débats de l'assemblée législative 1965, page 2622-2623). Le nationalisme économique est un motif d'intervention gouvernementale largement légitimé dans nos sociétés. Tous les pays industrialisés ne sont-ils pas envieux du Japon et de son MITI (Ministère de l'industrie et du Commerce extérieur) soi-disant miraculeux qui a poussé le «nation-building» à un niveau surprenant? Le «Buy America Act», la politique industrielle canadienne, le rêve de renouveau industriel français, autant de tentatives de reconstruction nationale auxquelles le volet économique de la Révolution tranquille peut se comparer. Au Québec comme ailleurs, les choses se sont détériorées lorsque les interventions idéalistes de la Révolution tranquille se butèrent à la réalité économique. Le rêve d'un complexe sidérurgique québécois a dû passer par l'achat des installations vétustes de la Dominion Steel Corp., un départ pour le moins hypothéqué. SOQUEM, qui devait restructurer le secteur minier québécois, a fait, à l'instigation du gouvernement, son plus gros investissement dans une mine de sel aux ?les-de-la-Madeleine. Plus près de nous, la Société québécoise des transports, l'instrument du gouvernement du Québec pour intervenir structurellement dans ce secteur, hérite à sa naissance de Québécair. En somme, le nationalisme économique doit parfois céder le pas au sauvetage d'entreprises en difficultés. On ne peut honnêtement imputer aux sociétés d'État les déboires financiers résultant de ces opérations de sauvetage téléguidées par le gouvernement. Ce serait sacrifier le messager. 2. Vingt-cinq ans d'interventions stratégiques. Le tableau 3.1 donne les résultats financiers cumulatifs de l'ensemble des dix entreprises stratégiques. Ces résultats ne sont guère reluisants. Parmi les dix entreprises stratégiques, six sont en position déficitaire, et deux d'entre elles, Sidbec et la SNA, ont même un avoir net négatif. En tenant compte des résultats de ces deux dernières entreprises, le déficit accumulé par l'ensemble des dix entreprises stratégiques totalise au 31 mars 1986 plus d'un milliard $. D'aucuns prétendent que le gouvernement doit tenir compte de d'autres facteurs que le simple rendement financier pour évaluer la performance des sociétés d'État. Sur cette base, un rendement inférieur serait justifié compte tenu d'objectifs non commerciaux poursuivis par celles-ci. Dans cette section, nous passerons en revue quelquesuns des objectifs cités pour justifier la présence des entreprises stratégiques. Cette révision permettra de vérifier par la même occasion la pertinence de ces objectifs dans le Québec de 1986. La création d'entreprises québécoises. En 1960, il y avait très peu de grandes entreprises dirigées par des Québécois francophones et la relève ne semblait pas apparente. Marine Industrie dans le secteur industriel, la Banque Canadienne Nationale, la Banque Provinciale et le Mouvement Desjardins dans le secteur financier constituaient les fleurons de l'entreprise «canadienne-française». La constitution d'une société d'État telle la SGF pouvait être perçue comme une addition significative au secteur privé canadien français. La réalité d'aujourd'hui est très différente. Il existe une vingtaine d'entreprises contrôlées par des francophones dont l'actif est d'au moins 100 millions $. De plus, il existe une relève dynamique et abondante. L'an dernier, plus de quarante nouvelles entreprises se sont inscrites à la Bourse de Montréal et l'année 1986 s'annonce encore plus spectaculaire encore. Ce n'est pas que l'entreprise «non québécoise» soit disparue de la scène économique du Québec, mais surtout qu'un nombre important de grandes entreprises québécoises ont émergé ou sont en voie de constitution. Plusieurs observateurs sont d'avis que l'addition ou le retrait d'une société d'État ne changera pas de façons significative la place et l'importance de l'entreprise québécoise dans l'économie du Québec. La présence des francophones dans les rouages de l'économie. La progression remarquable des francophones dans les rouages supérieurs du secteur privé de l'économie québécoise a été suffisante depuis vingt-cinq ans pour que ce problème s'estompe du débat politique québécois. Les efforts marqués, particulièrement ceux consentis en éducation pour la formation universitaire et le grand intérêt des Québécois pour l'administration comme champ d'étude, ont été parmi les principaux facteurs qui ont présidé à la montée des cadres francophones. Depuis quelques années, le Québec est la province qui a formé le plus grand nombre d'administrateurs au Canada. Les pressions politiques et sociales des vingt-cinq dernières années, ont contribué à ouvrir largement le monde des affaires aux francophones. Les sociétés d'État ont également joué un rôle important dans le développement et la promotion de cadres francophones. Nous référons entre autres à Hydro-Québec, qui a permis à des francophones d'exercer un pouvoir économique de premier plan dans un secteur qui, à l'époque, était hautement stratégique. Il en fut de même pour la SGF à ses premières années et pour la Caisse de dépôt plus récemment. SOQUEM et SOQUIP ont également offert à des francophones des filières intéressantes dans des domaines spécialisés. Ainsi, bien que d'autres facteurs plus fondamentaux et de portée plus grande aient joué, il ne faudrait pas négliger l'apport des sociétés d'État à ce chapitre. L'impact structurel sur l'économie. La plupart des sociétés d'État ont été établies pour renforcer les structures de l'économie québécoise. Toutefois, un examen des champs d'activités des dix sociétés d'État, résumés au tableau 3.2, est révélateur des préférences politiques qui se sont imposées au fil des années. Ainsi, les entreprises stratégiques oeuvrent dans des secteurs de moins en moins critiques pour le développement futur de la structure industrielle québécoise. Par exemple, la dernière intervention (SÉPAQ) est dans le secteur du loisir. En particulier, le gouvernement s'est abstenu de toute intervention dans l'électronique, dans les industries à base d'informatique et dans les services financiers, des secteurs qui seront plus structurants d'ici l'an deux mille. Les investissements publics, au Québec comme ailleurs, ont davantage été affectés dans des secteurs en maturité ou des secteurs en déclin que dans des secteurs en développement. De plus, l'analyse effectuée dans la section suivante montrera que l'objectif de la plupart des entreprises stratégiques d'avoir un impact structurel dominant dans l'industrie où elles opéraient, est demeuré, en grande partie, sans résultat significatif. Le contrôle d'entreprises importantes. Plusieurs sociétés d'État se sont avérées des véhicules de contrôle pour conserver au Québec la propriété d'entreprises importantes, La SGF (Marine Industrie, Domtar, Donohue), SOQUIP (Gaz métropolitain), SQT (Québécair) et SOQUEM (Sullivan) sont des véhicules de contrôle québécois. Il s'agit d'une méthode relativement efficace et simple à utiliser, dans la mesure où le contrôle québécois de certaines grandes entreprises est un objectif important. Il existe toutefois d'autres voies et la multiplication récente de grande entreprises sous contrôle québécois en est une preuve tangible. A ce titre, ni le management des entreprises ni les alliances qui peuvent se former au sein du milieu d'affaires québécois ne devraient être sous-estimés. Par ailleurs, il ne faudrait pas faire du contrôle québécois un objectif absolu. Un certain degré de contrôle extérieur est normal au Québec dans la mesure où un mouvement inverse se manifeste, c'est-à-dire le contrôle par des intérêts québécois d'entreprises de l'extérieur et d'importance comparable. La réalisation de grands projets. La société d'État est souvent le bras séculier que préfère le gouvernement pour réaliser des projets d'envergure. La société d'État offre une souplesse à laquelle aucun ministère ne peut prétendre. Mais d'autres voies d'interventions gouvernementales existent pour atteindre l'objectif visé. Ainsi, le faire-faire à forfait peut s'avérer tout aussi valable. La réalité politique étant ce qu'elle est, il ne fait nul doute que le gouvernement voudra, dans le futur, amorcer des grands projets. Il lui faudra alors se demander si l'intervention par le biais de sociétés d'État constitue le moyen le plus efficace pour réaliser l'objectif visé. La gestion publique. Le gouvernement a voulu confier des responsabilités de gestion à des sociétés d'État, pour des activités incompatibles avec le mode de gestion interne du gouvernement. C'est le cas par exemple du parc du Mont SainteAnne dont la gestion a été remise à la SÉPAQ. Néanmoins il faut reconnaître que, de par sa nature, la société d'État ne peut prétendre avoir les mêmes règles de gestion que l'entreprise privée, tout au plus cette formule lui permet-elle de s'affranchir des règles très strictes du Conseil du Trésor, De plus, la société d'État souffre de sa faire doubler, lors de problèmes majeurs, par des intervenants qui en appellent au ministre de tutelle, qui se voit ainsi souvent contraint d'intervenir, Un problème d'entreprise devient alors un problème de gouvernement. Une grève dans une société d'État est discutée à l'Assemblée Nationale par celui qui, de par la loi, a le pouvoir de la régler Cette situation de fait change les rapports de force entre la société d'État et ses interlocuteurs et se répercute sur l'efficacité de ses opérations. Une formule bien particulière. Dans cette section, nous avons analysé l'utilisation du mode d'intervention qu'est la société d'État pour réaliser des objectifs gouvernementaux ou pour encadrer des interventions perçues comme étant nécessaires. On peut être d'accord ou non avec le bien-fondé de ces interventions. C'est le premier niveau du débat sur les sociétés d'État. Mais on peut aussi soulever des interrogations sur l'efficacité de la formule même de la société d'État. Il s'agit d'une structure juridique empruntée au secteur privé, mais qui oeuvre dans un contexte très différent. Ainsi, elle a généralement un actionnaire unique, le gouvernement. Elle relève aussi d'un ministre de tutelle. Elle maintient enfin de nombreuses relations privilégiées avec des hauts fonctionnaires. Si l'expérience démontre que la gestion courante se fait généralement dans une autonomie relativement grande, les grandes décisions stratégiques relèvent de l'actionnaire, ou plutôt du gouvernement avec ses multiples facettes et centres d'influences. Dans un tel contexte, l'autonomie du conseil d'administration des sociétés d'État est quelque peu limitée. Lorsque les enjeux deviennent stratégiques, c'est le gouvernement qui, en définitive, prend les responsabilités. Sur le plan financier, la présence du gouvernement élimine ce que les économistes appellent le risque de faillite. Cette protection ultime contre le libre jeu des forces du marché distingue fondamentalement la société d'État de l'entreprise du secteur privé. La société d'État profite également de la présence gouvernementale pour lui faciliter l'accès à des emprunts. De façon générale, le rapport dette-équité des sociétés d'État est généralement plus élevé que pour les entreprises similaires du secteur privé. Des sociétés telles la SGF, SOQUEM, Sidbec et Québécair en particulier, ont maintenu un rapport dette-équité relativement élevé. Sur le plan fiscal, les sociétés d'État sont avantagées du fait qu'elles sont exonérées de l'impôt sur le revenu tant au niveau fédéral qu'au niveau provincial. Par ailleurs, les privilèges découlant du statut de mandataire de la Couronne ont subi un recul progressif suite à l'adoption de nombreuses mesures législatives. La tendance, pour les sociétés d'État mandataires, serait de ne pas invoquer leurs prérogatives de droit public qui leur sont encore reconnues. Les sociétés d'État à vocation commerciale ou industrielle sont donc soumises à des règles du jeu très différentes des entreprises du secteur privé. La formule juridique peut être similaire, mais les règles sont bien différentes, d'où la possibilité d'écarts importants dans leurs performances. 3. Les dix entreprises stratégiques. Nous présentons dans cette section les principales questions de fond sur la situation et la performance de chacune des dix entreprises stratégiques. Nous y esquissons aussi un bref tableau de chacune des sociétés. SOQUEM. SOQUEM a été créée en 1965 pour accroître l'exploration minière au Québec et offrir aux francophones une avenue privilégiée de promotion dans cette industrie. Son actif est de 201 millions $ et sa dette totale, de 101 millions $. Le gouvernement a déjà annoncé la privatisation d'une partie de l'actif, principalement de ses biens aurifères, par l'entremise d'une nouvelle société minière qui sera connue sous le nom de CAMBIOR et dont la majorité des actions seront détenues par le public. A la suite de l'émission publique des actions de CAMBIOR, le pourcentage du capital-actions détenu par SOQUEM sera de 30 % à 40 % . SOQUEM s'est engagée à réduire, graduellement et de façon ordonnée, sa détention d'actions dans CAMBIOR. Après le transfert de ces biens aurifères, il restera à SOQUEM, comme principal élément d'actif, outre les actions détenues dans CAMBIOR, la propriété de la Mine Seleine, une mine de sel aux ?les-de-la-Madeleine, dont la vente est pressentie sous peu par la direction de la société, et un certain nombre de propriétés d'exploration ainsi qu'une participation dans une tourbière à Sept-?les. Le gouvernement a investi plus de 110 millions $ dans SOQUEM. Sur la plan financier, ce ne fut pas un placement rentable. Mais cette non rentabilité s'explique par un seul placement désastreux. Les résultats de SOQUEM reflètent une perte de l'ordre de 100 millions $ dans les Mines Seleine. Sur le plan structurel, la contribution de SOQUEM à l'exploration est devenue marginale, avec moins de 2 % des dépenses d'exploration au Québec en 1958. Il est largement convenu au ministère de l'Énergie et des Ressources que d'autres mesures, telles les incitations fiscales dans ce domaine, ont maintenant un impact beaucoup plus marquant sur le niveau d'exploration minière au Québec. Le patrimoine minier constitué par SOQUEM et transféré à CAMBIOR, tire sa principale valeur de la Mine Doyon que SOQUEM possède à 50 %. Il s'agit d'une découverte faite en 1975 que SOQUEM a développée en association avec Minerais Lac Limitée, une entreprise minière de Toronto fort active en Abitibi. SOQUEM a-t-elle atteint l'objectif visé de renforcer la présence francophone dans le monde minier québécois? Que l'objectif soit atteint, il n'en fait nul doute. Ce qui est plus difficile à établir, c'est la contribution spécifique de SOQUEM dans ce changement. Il n'y aura jamais de réponse claire à cette interrogation. Les efforts entrepris au niveau de la formation universitaire et l'effervescence d'activités qui ont accompagné en Abitibi, la montée du prix de l'or depuis 1970, ont aussi été des causes significatives dans cette percée des francophones dans le monde minier. Y a-t-il un rôle pour SOQUEM dans le futur? La possibilité d'un mandat d'exploration dans les territoires peu explorés du Québec où le secteur privé est peu actif, a été évoquée. SOQUEM aurait le mandat d'explorer dans les territoires où les risques sont très élevés et où le secteur privé refuse d'aller. Les zones mentionnées le plus fréquemment sont la fosse du Labrador, la Baie James et la région allant de Matagami à Chibougamau. Face à cette possibilité, il est pertinent de se demander si le véhicule de la société d'État est le meilleur moyen pour s'attaquer à l'exploration de ces territoires. Convenons pour fins d'analyse que le gouvernement veuille consacrer un certain budget annuel à l'exploration de ces territoires. Est-il plus efficace de canaliser ce budget dans SOQUEM ou, par le biais de subventions ou d'incitations fiscales, à des entreprises privées d'exploration qui se sont multipliées au Québec. A budget égal, SOQUEM obtiendrait-elle de meilleurs résultats dans l'exploration que ces sociétés? C'est la question fondamentale que doit se poser le gouvernement avant de donner un rôle résiduel à SOQUEM. Pour sa part, le Comité est d'avis qu'étant donné l'existence d'alternatives plus efficaces pour atteindre cet objectif, il n'y a pas lieu de réserver à SOQUEM un tel rôle résiduel. C'est pourquoi le Comité est d'avis que l'ensemble des activités de SOQUEM devrait être graduellement transféré au secteur privé. SOQUIP. Cette société a été établie en 1969, dans le but de promouvoir au Québec la recherche et la mise en valeur des hydrocarbures, soit le pétrole et le gaz naturel. SOQUIP devait être dans le domaine des hydrocarbures ce que SOQUEM était déjà dans le secteur minier. L'exploration sur le territoire québécois est maintenant chose du passé. Les principales activités de SOQUIP sont présentement l'exploration gazière et pétrolière, surtout dans l'Ouest canadien, et le contrôle de la distribution de gaz naturel au Québec, par le contrôle, de concert avec la Caisse de dépôt, de Gaz Métropolitain Inc. L'actif au 31 mars 1985, s'élevait à 437 millions $ comparativement à 190 millions $ pour l'année précédente. La dette à long terme était de 178 millions $ comparée à 19 millions $ pour l'exercice précédent. Le bénéfice net de l'exercice s'élevait à 7,6 millions $. La hausse importante de l'actif et de la dette de SOQUIP en 1984-85, est due à l'acquisition de Sundance Oil Company, une entreprise possédant d'importantes réserves de gaz naturel dans l'Ouest canadien. Essentiellement, SOQUIP a payé 195 millions $ pour l'actif de Sundance Oil Company qu'elle a fusionné avec ses propres opérations d'exploration dans l'Ouest. L'acquisition de nouvelles réserves de gaz naturel doit être considérée en relation avec le deuxième principal secteur d'activités de SOQUIP, soit le contrôle de la distribution de gaz naturel au Québec. Suite à diverses transactions en 1981 et en 1985, SOQUIP a obtenu environ 20 % des actions de Gaz Métropolitain 10 L'acquisition de ce bloc d'actions et le maintien de la participation de SOQUIP à ce niveau ont résulté en une mise de fonds totalisant 58 millions $. La justification de maintenir SOQUIP comme société d'État doit être analysée à la lumière de la diversification de ses activités. L'investissement dans Sundance Oil Company ne peut se justifier que dans le cadre d'une intégration des activités de SOQUIP dans la distribution gazière. En soi, le gouvernement du Québec n'a rien à faire dans la propriété de réserves gazières dans l'Ouest, particulièrement dans la conjoncture actuelle. Par ailleurs, le prix payé pour Sundance Oil Company s'avère un investissement dispendieux, mais SOQUIP n'est pas la seule entreprise à avoir acheté à prix fort. On peut néanmoins se demander s'il est du rôle d'une société d'État d'acquérir des propriétés d'exploration et de spéculer, par le fait même, sur l'évolution du prix des hydrocarbures. Beaucoup de gouvernements se sentent préoccupés par les aspects stratégiques de l'approvisionnement en hydrocarbures et plusieurs ont d'ailleurs procédé à l'achat de sociétés d'exploration pétrolière. Toutefois, plusieurs autres avenues sont disponibles. La décision récente du gouvernement ontarien de vendre la participation de l'Ontario Energy Corporation dans SUNCOR est un exemple de la remise en question du caractère stratégique de tels investissements. Il convient de s'interroger également sur la nécessité stratégique pour le gouvernement du Québec de contrôler, par l'intermédiaire de SOQUIP, la distribution de gaz naturel dans la province. Même dans l'éventualité d'une importance grandissante du gaz naturel dans le bilan énergétique du Québec, en quoi le secteur privé québécois ne serait-il pas à la hauteur de la tâche comme c'est le cas, entre autres, en Ontario? Le Comité croit que l'économie québécoise est maintenant suffisamment développée pour que le secteur privé assume cette responsabilité. La Société générale de financement. La Société générale de financement est l'un des symboles les plus puissants de la Révolution tranquille. Créée en 1962 comme société mixte, elle fut reprise en main par le gouvernement en 1973 en raison de ses piètres résultats. La SGF avait, et a toujours, le mandat de constituer, par voie d'acquisitions et par voie d'investissements directs, un puissant groupe industriel dans les secteurs prioritaires de l'économie québécoise. Au 31 décembre 1985, la SGF contrôlait, sur une base consolidée, des biens de plus de 1,4 milliard $. Ses filiales avaient un chiffre d'affaires consolidé de 700 millions $. Ceci place la SGF effectivement aux premiers rangs des groupes industriels Québécois notamment francophones, devant les Bombardier, Canam Manac et Papier Cascades. L'avoir propre consolidé de la SGF se situe à plus de 400 millions $. Ses filiales et entreprises affiliées emploient environ 22 000 personnes. Les activités de la SGF se partagent entre cinq principaux secteurs décrits au tableau 3-3. De plus, la SGF a des placements dans Novacap Inc et dans Nouveler Inc, deux sociétés d'investissements et dans le secteur des produits forestiers où ses placements sont regroupés dans une société publique, Dofor Inc, dont elle possède 90,7 % des actions ordinaires. Finalement, la SGF possède Industries Tanguay Inc, une société qui fabrique des équipements forestiers. Rien n'illustre mieux les hauts et les bas de la Société générale de financement depuis ses origines que la revue de ses placements. Des son départ, la SGF a été confrontée à une dure réalité. Son mandat était interprété d'une façon suffisamment large par son actionnaire principal, de façon à justifier la prise de contrôle d'entreprises en difficulté ou en situation de crise. Les premières années d'activités de la SGF ont été marquées également par une trop grande dispersion d'efforts. En somme, la constitution du groupe industriel puissant, objectif de la SGF depuis ses débuts, a toujours été soumise aux aléas des volontés expéditives du gouvernement en matière de politique industrielle. On note depuis quelques années, une rationalisation progressive du portefeuille de la SGF. Dofor est devenue un véhicule de financement. Les entreprises de fabrication de taille moyenne, telles Volcano, Artopex et Forano, ont été vendues (elles s'en portent d'ailleurs beaucoup mieux). Le projet Albecour s'intègre dans une décision stratégique de percer dans le secteur de l'aluminium. Par contre, le projet Bio-Mega semble plus improvisé. De plus, aucune vision à long terme ne semble situer sur une base rationnelle la place de Marine Industrie dans la SGF après 20 ans. Dans le cas de Pétromont, la SGF, tant bien que mal, tente d'esquisser une stratégie québécoise dans le domaine de la pétrochimie. L'avoir du gouvernement dans la SGF est de plus de 400 millions $. Annuellement ce placement représente un coût d'opportunité de quelque 40 millions $ (à un taux d'opportunité de 10 %) pour les contribuables québécois. Sur la base de la valeur de réalisation ce coût d'opportunité serait évidemment de beaucoup supérieur. La contribution structurelle de la SGF vaut-elle ce coût, compte tenu qu'il existe d'autres façons d'atteindre ces mêmes objectifs? Prenons le cas de Pétromont. Les subventions directes pour cette société au 31 mars 1986 totalisaient 133,4 million $, dont 93,4 millions $ proviennent du gouvernement du Québec. Est-il nécessaire que le gouvernement du Québec en soit de plus le propriétaire? Évidemment, la perspective d'observation est critique. Un regard vers le passé montre que la propriété de Pétromont s'explique très bien et se justifie. Si l'on regarde vers le futur, la propriété de Pétromont ne se justifie pas nécessairement. L'existence d'une industrie pétrochimique au Québec n'est pas tributaire de façon obligatoire de la présence du gouvernement à titre de propriétaire. Dans la même perspective on peut arriver à des conclusions similaires pour Marine Industrie, Bio-Mega et les autres investissements de la SGF. Le cas de Dofor est aussi intéressant. Cette société assure le contrôle québécois de deux papetières importantes (Domtar et Donohue). Il n'est pas nécessaire que le contrôle de ces entreprises soit obligatoirement assuré par une société d'État pour qu'il soit québécois. D'autres entreprises aux racines bien québécoises pourraient l'assumer. La participation de la SGF dans l'aluminerie de Bécancour pose le problème du bras séculier. Il n'est pas du ressort du Comité de se prononcer sur l'à-propos d'une participation financière du gouvernement du Québec dans de tels projets. Compte tenu de la volonté gouvernementale de réaliser le projet, la participation de la SGF était-elle le moyen le plus efficace d'en assurer la réalisation? N'aurait-on pas pu intéresser un partenaire privé québécois, en particulier si le gouvernement du Québec avait supporté une partie du risque qu'il assume d'ailleurs actuellement par le biais de la SGF? En somme, la prise en charge partielle d'un risque passe-t-elle obligatoirement par la propriété de l'entreprise? Dans la perspective des années deux mille au Québec, les trois rôles fondamentaux de la SGF - direction d'un groupe industriel, contrôle québécois et bras séculier - peuvent être remis en cause. Ainsi, la pertinence d'une société d'État à la tête d'un groupe industriel majeur est difficile à justifier. C'est faire assumer au gouvernement un rôle que peut maintenant assumer le secteur privé. Dans la même perspective, compter sur le gouvernement et ses sociétés d'État pour être l'actionnaire québécois de contrôle de dernière instance de nos grandes sociétés industrielles consacrerait l'hypothèse qu'il n'existe pas un nombre suffisant de groupes industriels québécois pour jouer ce rôle. Si tel était le cas, l'objectif du gouvernement et de ses organismes devrait être d'accélérer l'émergence de groupes industriels québécois pour prendre la relève de la SGF. En conséquence, le Comité croit que la SGF comme holding industriel public n'a plus sa raison d'être et que cette fonction devrait être transmise au secteur privé. Par ailleurs, le rôle de la SGF comme bras séculier du gouvernement pour la réalisation de projets peut être également remis en cause. La SGF a joué ce rôle pour l'aluminerie de Bécancour. Elle l'a aussi joué lorsqu'elle a investi dans Pétromont. Est-il souhaitable que le gouvernement se dote ainsi de bras séculiers? La Société d'État est-elle le véhicule le plus approprié pour mener à terme ces activités, qui ne sont pas du ressort usuel du gouvernement? Pour sa part, le Comité croit que le gouvernement devrait éviter la formule de la société d'État comme bras séculier. De plus, nous ne voyons pas d'utilité à conserver, en réserve, une société d'État pour jouer ce rôle. L'expérience a en effet montré que les sociétés d'État acquièrent généralement au fil des années une autonomie grandissante et dépassent ainsi leur mandat original. SOQUIA. La Société québécoise d'initiatives agro-alimentaires, SOQUIA, a été créée en 1975. Son mandat est de stimuler le développement de l'industrie agro-alimentaire au Québec. Les moyens à sa disposition sont ceux d'une société d'investissements limitée seulement par ses disponibilités financières. Les interventions principales de cette société se font sous la forme de participations minoritaires et par l'octroi de prêts. Elle possède également cinq filiales à part entière. Les participations financières de SOQUIA se répartissent dans une quinzaine d'entreprises, tel que l'indique le tableau 3.5 de la page suivante. Culinar est son principal placement en termes de fonds investis, avec 35,9 % des actions de la société. L'importance stratégique de ce placement est toutefois mitigée par la présence de la Société d'investissement Desjardins comme actionnaire principal (55 %), avec qui SOQUIA est liée par une convention de préemption lors de la vente de sa participation. L'autre placement d'envergure de SOQUIA était une participation de 7 % dans Provigo qu'elle a récemment vendue. Plusieurs observateurs prétendent que SOQUIA a été un facteur important dans le développement de l'industrie agro-alimentaire québécoise. Cette assertion est toutefois chaudement disputée dans les milieux en cause. Le milieu agro-alimentaire québécois, autant dans le secteur de la distribution que dans celui de la fabrication, est caractérisé par sa très grande diversité et un nombre élevé d'entreprises de taille moyenne. Le secteur de la distribution est relativement structuré. SOQUIA n'y joue pas un rôle significatif, sauf dans les médicaments vétérinaires, où une filiale à part entière, le Centre de distribution de médicaments vétérinaires, y a un quasi-monopole. Dans la fabrication, le portefeuille de SOQUIA est très diversifié. Toutefois, il convient de remettre en question la pertinence d'une société d'État comme source de financement dans ce secteur. Les milliers d'entreprises de taille moyenne des autres secteurs de l'économie réussissent à se financer sans la présence d'un investisseur gouvernemental. Pourquoi l'agro-alimentaire serait-il différent des autres secteurs? Notre analyse de la situation de SOQUIA nous amène à deux commentaires additionnels. Premièrement, dans la perspective du développement économique du Québec, l'industrie agro-alimentaire n'a plus l'importance stratégique d'antan. La quantité de produits alimentaires consommés au Québec et au Canada est stable. Les prix internationaux des denrées agricoles sont en déclin structurel, sous la poussée des politiques d'autosuffisance des pays en voie de développement et des surplus des pays agricoles. De plus, la présence québécoise est relativement forte dans ce secteur et on y retrouve plusieurs entreprises très dynamiques. Ainsi, pourquoi y aurait-il lieu d'avoir une société d'investissements gouvernementale spécialisée dans ce secteur? Deuxièmement, SOQUIA n'a pas été un élément significatif dans le développement de la plupart des entreprises qui ont eu un effet structurant dans cette industrie. Dans le secteur de la distribution, SOQUIA en est absente comme facteur stratégique. Les principales entreprises qui ont fait récemment appel à d'importants montants de capital externe, Aligro et Métro-Richelieu, ne sont pas associées à SOQUIA. La même conclusion s'applique à la fabrication. Multi-marque, autour duquel le secteur du pain s'est restructuré, ne transige pas avec SOQUIA. Cette dernière est aussi absente du secteur laitier, qui est l'apanage des coopératives. Lassonde, une entreprise montante dans l'agro-alimentaire, n'est pas non plus associée à SOQUIA. En fait, parmi la liste des partenaires de SOQUIA, on trouve peu d'éléments dynamiques du monde agro-alimentaire québécois autour desquels pourrait se restructurer l'industrie. En conclusion, le Comité est d'avis que SOQUIA devrait graduellement être liquidée. Cette phase de désinvestissement, d'ailleurs déjà entreprise, pourrait s'avérer la période la plus constructive de son histoire alors que SOQUIA aurait la responsabilité de remettre entre les mains d'entrepreneurs dynamiques les divers blocs d'actions qu'elle contrôle. REXFOR. La Société de récupération, d'exploitation et de développement forestier fut créée en 1969 pour remplacer l'Office de récupération forestière qui avait été établi en 1961. REXFOR poursuit essentiellement deux mandats. Le premier a trait à l'exploitation forestière. REXFOR acquiert et fait développer des domaines forestiers et garantit des approvisionnements à des industries de transformation. Ce mandat se fait sur instructions spécifiques du gouvernement. Le second mandat de REXFOR est celui d'une société d'investissements spécialisée dans le secteur forestier. A maints égards, REXFOR agit comme investisseur de dernier ressort dans de nombreux projets d'entreprises à risque élevé dans le secteur de la transformation des produits forestiers. Le premier mandat de REXFOR en fait un agent du gouvernement. Il s'agit de gérer l'exploitation de forêts et l'approvisionnement d'usines dans des conditions essentiellement de non-rentabilité commerciale. Ce mandat donné à REXFOR en fait en quelque sorte un véhicule de subventions, soit à des exploitants forestiers, soit à des acheteurs de bois. Le deuxième rôle de REXFOR, celui d'une société d'investissements, est analogue à celui de SOQUIA. Toutefois, autant les circonstances entourant les interventions de REXFOR que la nature de ses activités sont différentes de celles de SOQUIA. REXFOR a été un participant important dans la formation de Tembec et dans la première diversification de Cascades, à Cabano, deux projets stratégiques pour l'industrie québécoise. De plus, la dizaine d'usines de transformation où REXFOR est le partenaire dominant sont situées, pour la plupart, dans des villes ou villages mono-industriels. Pour ces régions, REXFOR est le bras séculier du gouvernement qui lui a confié sa responsabilité politique de maintenir ou d'exploiter des usines qui sont souvent la seule base économique de ces communautés. L'analyse de la performance de REXFOR comme société d'investissements nous amène à trois commentaires. Premièrement, le secteur de la grande industrie de transformation nous semble maintenant adéquatement structuré et sous le contrôle québécois pour qu'il soit difficile de justifier la présence d'une société d'investissements visant ces entreprises. D'ailleurs, nous remettons même en question le rôle de la SGF dans ce secteur. Deuxièmement, il faut s'interroger s'il y a lieu de conserver un véhicule d'intervention tel REXFOR pour assurer le maintien d'entreprises marginales de transformation ou pour la promotion de projets de nouvelles usines. Les investissements requis par de tels projets ne sont généralement pas énormes et les fonds peuvent être levés de multiples façons. D'autres modes de financement, notamment la subvention, pourraient être envisagés. C'est une avenue qui nous apparaît supérieure et qui mériterait un examen plus approfondi. Troisièmement, il nous semble illusoire de compter sur une société d'État pour rationaliser un secteur industriel. Ceci s'applique à REXFOR. Toute rationalisation implique des consolidations, des fermetures d'usines et des déplacements d'activités. Non seulement le gouvernement et ses mandataires ne sont pas équipés pour faire les rationalisations que le marché fait par ailleurs de façon relativement efficace, mais encore le gouvernement est généralement très hésitant à assumer les coûts politiques de telles rationalisations. Dans cette optique il nous semble évident que REXFOR puisse difficilement être un instrument efficace de rationalisation dans le secteur forestier au Québec. C'est ainsi que nous sommes d'avis qu'elle n'a plus sa raison d'être comme société d'état. Les défis au sein de ce secteur demeurent, mais l'intervention gouvernementale, autrement que par la formule de la société d'État, devrait être envisagée. Sidbec. Sidbec est un cas bien spécial dans l'histoire économique de la Révolution tranquille. La place qu'occupait une sidérurgie québécoise intégrée dans l'imaginaire québécois au début de la Révolution tranquille peut faire sourire aujourd'hui. Mais en 1960, la sidérurgie était considérée comme une filière industrielle hautement stratégique. Dans l'euphorie de l'époque, il n'est pas surprenant que le gouvernement du Québec ait succombé à la tentation. Sidbec fut fondé en 1964. On voulait en faire une deuxième Hydro-Québec comme moteur de développement économique. Deux ans plus tard, Sidbec achetait les installations de Dosco, du groupe britannique Hawker Siddeley. Les années soixante-dix furent celles du grand rêve du complexe stratégique intégré. Cette vision amena un investissement désastreux de plus de 600 millions $ dans Sidbec-Normines, qui devait approvisionner Sidbec en boulettes de minerai de fer de la Côte Nord. Malheureusement, la conjoncture de l'industrie s'est profondément modifiée en vingt ans. Trois changements majeurs ont rendu caduques les hypothèses qui avaient présidé à la conception de cette entreprise. Premièrement, l'acier a perdu son importance stratégique comme moteur de développement économique. Deuxièmement, les marchés de l'acier se sont restructurés. D'une part, les usages locaux sont de plus en plus le lot des « mini-mills », ces usines de petite taille, alimentées de ferraille et utilisant de l'électricité. D'autre part, les importations comblent les usages de base et maintiennent les prix très compétitifs. Dans cette nouvelle configuration des marchés, les géants d'hier (les U.S. Steel, Bethleem Steel, Inland Steel, Stelco, Dofasco et Algoma) sont désavantagés. Sidbec l'est aussi. Troisièmement, les approvisionnements se sont déplacés graduellement des gisements à basse teneur, comme ceux de Sidbec-Normines, vers de nouveaux gisements à haute teneur, dans les pays en voie de développement. Les prix du minerai se sont ajustés en conséquence. D'où l'échec monumental de Sidbec-Normines. Depuis le début de l'exploitation de Sidbec-Normines, les deux tiers des pertes consolidées de Sidbec proviennent du secteur minier. Depuis quelques années Sidbec se réorganise en aciérie régionale et évolue peu à peu vers la configuration « mini-mill ». L'année 1986 sera peut-être rentable malgré le fardeau d'une dette totalisant plus de 500 millions $ au 31 mars 1986. Sidbec semble être un candidat qui fait l'unanimité des opinions quant à sa privatisation éventuelle. Il est généralement convenu que le gouvernement du Québec n'a plus sa place dans la production d'acier, particulièrement en 1986. De plus, il existe des acheteurs potentiels au Québec qui pourraient prendre la relève comme actionnaire. Dans cette optique, le défi est d'aménager une transition satisfaisante pour toutes les parties. Par ailleurs, notre analyse du dossier Sidbec nous amène à une conclusion fondamentale sur les actions structurantes des gouvernements. En 1964, la création de Sidbec reposait sur un large consensus au sein des milieux politiques. On ne pouvait se tromper avec l'acier, dans la mesure où l'on choisissait la bonne voie. Le débat portait beaucoup plus sur les moyens que sur le fond. A ses débuts, Sidbec ne fut donc qu'un bureau d'étude. Après quelques années, l'achat des installations québécoises et ontariennes de Dosco fut retenu comme point de départ. Personne n'envisageait la débâcle financière qui surviendrait moins de quinze ans plus tard. Aujourd'hui, l'aluminium nous fascine. L'électricité a remplacé le fer de l'Ungava comme avantage naturel. Toutefois, la société d'État donne-t-elle au gouvernement un instrument suffisamment souple et efficace avec lequel il peut s'engager sur le terrain dangereux des grands investissements avec toute la souplesse qu'exige un environnement économique international en changement rapide. A cet égard, l'expérience malheureuse du gouvernement dans Sidbec devrait servir d'enseignement. La Société nationale de l'amiante. Rien n'illustre mieux le manque de souplesse et la rigidité stratégique des sociétés d'État que le dossier de la SNA. En 1977, le nouveau gouvernement établissait les objectifs suivants dans le secteur de l'amiante: obtenir plus d'information sur les politiques de prix et d'investissements des sociétés minières, améliorer les conditions de travail dans l'industrie, favoriser l'accès des francophones aux postes de direction et finalement, augmenter la transformation locale des fibres d'amiante de 3 % à 12 % à l'intérieur d'une période de 10 ans. Afin d'atteindre ces objectifs, le gouvernement décida de constituer une société d'État qui s'impliquerait dans l'extraction et la transformation de l'amiante. La loi créant la SNA fut déposée au mois de novembre 1977 et fut adoptée au mois de mai 1978. L'élément-clé de la politique gouvernementale était l'achat, de gré à gré ou, si nécessaire, par expropriation, du contrôle de la Société Asbestos Limitée. Les négociations entreprises à l'automne 1977 avec General Dynamics Corporation, société américaine qui contrôlait la Société Asbestos Limitée, furent retardées suite à de nombreuses poursuites judiciaires contestant le constitutionnalité de la démarche du gouvernement. Ce ne fut qu'au mois de novembre 1981 qu'un accord intervenait avec General Dynamics et, le 12 février 1982, que la SNA obtint formellement le contrôle de la Société Asbestos Limitée. Entre temps, la SNA avait acheté en 1980, Atlas Turner Inc, Les Mines d'amiante Bell Limitée et 90 % des actions de Turner Building Products Ltd. Il était toutefois devenu évident vers 1978 et 1979 que la conjoncture commerciale devenait moins favorable à l'amiante, principalement à cause de son association à des problèmes de santé reliés à son utilisation. Précédemment, le gouvernement du Québec avait formé la Commission Beaudry, dont le rapport, en octobre 1976, ne laissait aucun doute quant aux dangers de l'amiante. Des études aux conclusions similaires se multipliaient dans d'autres pays. Aussi, les poursuites devenaient de plus en plus nombreuses aux États-Unis. Le fait que le gouvernement du Québec avait annoncé en 1977 son intention d'acheter la Société Asbestos Limitée a maintenu jusqu'en 1981 le cours de ses actions à un niveau artificiellement élevé. Le cours des actions de Johns-Manville, un indicateur tout aussi fiable de la santé de l'industrie, est plus révélateur. En 1977, les actions de Johns-Manville atteignaient leur cours moyen le plus élevé, soit 33,8 $ . Toutefois en 1981, lorsque se finalisaient les négociations avec General Dynamics, les actions de Johns-Manville avaient baissé de plus de 40 % par rapport au cours moyen de 1977. Or, le gouvernement s'engageait en 1981 à payer 42 $ pour les actions de la Société Asbestos Limitée, soit une prime de près de 70 % par rapport à son cours moyen de 1977. Les actions de cette société se transigent présentement à environ 4 $. En somme, malgré les indications claires du marché, le gouvernement du Québec demeura inflexible dans sa démarche. Il avait choisi la filière de l'amiante et, tel un butoir, il s'y constituait un patrimoine industriel. Le tableau 3.6 de la page suivante illustre le complexe minier et industriel qui en émergea. Le gouvernement du Québec a investi à ce jour 131,9 millions $ dans la SNA, soit 130,1 millions $ sous forme de capital-actions et 1,8 millions $ sous forme de prêt. En février 1987, il devra assumer une dette additionnelle de 175 millions $ pour compléter la transaction conclue en novembre 1981. «Il peut arriver aux gouvernements de se tromper, ils ne sont pas immunisés contre l'erreur. Cependant, alors que dans le secteur privé ces erreurs sont souvent corrigées rapidement, les gouvernements ont tendance à laisser durer les choses un certain temps pour protéger leur réputation et ne pas perdre la face», disait récemment un ancien ministre des Finances. La logique politique est implacable. Elle impose une rigidité d'action, même lorsque les circonstances changent. Mieux que toute argumentation, l'histoire de la SNA expose les limites du gouvernement comme actionnaire. Le processus de rationalisation des activités de la SNA est déjà bien engagé. La rationalisation du secteur minier est sur le point d'être complétée et se traduit dans les faits par le retrait de la SNA, sous le couvert de sa participation dans une société en commandite. La rationalisation du secteur manufacturier, moins avancée et plus difficile à cause de la diversité des entreprises et du peu d'intérêt qu'elle suscite, devrait se poursuivre. La Société québécoise du transport et Québécair. De 1978 à 1981, une bataille s'amorça pour prendre le contrôle des entreprises régionales d'aviation de l'Est du Canada. Il était évident en 1981, qu'une rationalisation s'imposait pour les trois entreprises présentes dans ce secteur Québécair, Nordair et Eastern Provincial Airways. Cette dernière société, intégrée à CP Air en 1985, n'a pas été retenue pour notre analyse. Le sort des deux autres sociétés qui furent l'objet de luttes intenses est, par ailleurs, pertinent à notre discussion. Dans ce dossier se retrouve un nombre limité d'intervenants: le Mouvement Desjardins, les Caisses d'Entraide Économique, quelques sociétés d'investissements, principalement de Montréal, Alfred Hamel, un industriel du Lac Saint-Jean et les cadres de Nordair. Les gouvernements du Québec et d'Ontario ne sont pas indifférents à la situation. Le gouvernement fédéral a toutefois prévenu Air Canada de se tenir à l'écart de la lutte. La rationalisation de Québécair et de Nordair devait normalement découler de l'achat d'une entreprise par l'autre ou de la fusion des deux sociétés. Dans un cas comme dans l'autre, une des deux équipes de management aurait pris le contrôle. Aux yeux de la presse politique et économique, il y aurait donc des gagnants et des perdants. Québécair était identifiée au Québec. Bien que Nordair était une entreprise de Montréal et que ses deux derniers PDG furent des Canadiens français, elle écopa du rôle de «l'étranger». Les intérêts financiers qui contrôlaient les deux entreprises s'entendirent à l'été 1981 sur un projet de fusion. Le gouvernement du Québec s'opposa toutefois au projet. Il accorda par la suite aux actionnaires de Québécair, une option ferme d'achat, que ces derniers exercèrent subséquemment. Le gouvernement du Québec procéda alors à des investissements successifs qui atteindront éventuellement près de 90 millions $. Pendant la période de 1981 à 1985, des pourparlers sporadiques furent entrepris entre Québécair et Nordair pour réaliser la fusion qui demeurait toujours aussi valable. Au début de 1985, Québécair lança une offre publique pour l'achat de Nordair, offre qui n'eut pas l'aval du management de Nordair, lequel appela CP Air à sa rescousse. A l'été 1985, CP Air gagna la bataille de la surenchère, avec un prix de 16,25 $ l'action (six mois plus tôt, les actions étaient disponibles à moins de 9 $). Le gouvernement du Québec est maintenant confronté à une réalité: Nordair s'intégrera à CP AIR et disparaîtra éventuellement comme transporteur régional de deuxième niveau. Québécair devra opter pour une association corporative, soit dans le réseau de CP AIR, soit dans le réseau de Air Canada. Selon certains, il est fort possible qu'il disparaisse comme transporteur de second niveau, son réseau étant maintenant partagé entre les transporteurs de troisième niveau, les spécialistes des charters et les transporteurs de premier niveau. Les forces du marché qui appelaient la fusion des deux entreprises en 1981, sont les mêmes qui les condamnent à disparaître aujourd'hui. Si elles s'étaient fusionnées en 1981, la présence d'un transporteur de deuxième niveau serait vraisemblablement chose assurée aujourd'hui. L'entreprise aurait probablement été assez forte pour tirer son épingle du jeu de l'environnement actuel, comme le fait Pacific Western dans l'Ouest canadien . Les observateurs s'entendent généralement sur le fait (lue l'intervention du gouvernement du Québec à l'été de 1981, a été le facteur déterminant qui a contribué à la disparition éventuelle des deux transporteurs régionaux du Québec. En raison de son intervention, la fusion de ces deux transporteurs qui aurait pu assurer leur survie, a été bloquée. Il peut être facile à posteriori de condamner de telles erreurs stratégiques. Le gouvernement du Québec, peut-on argumenter, ne pouvait prévoir en 1981 l'environnement de marché de 1986. Mais l'erreur fondamentale ne fut pas de s'être trompé; ce fut plutôt de ne pas avoir fait confiance au secteur privé, en particulier au Mouvement Desjardins, principal actionnaire de Québécair, qui avait négocié l'entente de l'été 81 avec les actionnaires de Nordair. L'allocation du capital par les mécanismes de marché tend à le canaliser vers les fins les plus productives (compte tenu de l'environnement fiscal et des risques). C'est parce qu'il a méconnu cette réalité que le gouvernement du Québec est intervenu dans le dossier Québécair. Les forces du marché ont néanmoins eu le dessus, au prix d'une mise de fonds de plus de 90 millions $ puisée chez les contribuables. La Société du transport du Québec fut constituée en 1983 pour encadrer les interventions du gouvernement du Québec dans l'industrie du transport qui génère annuellement plus de 4 milliards $ dans notre économie. Les intérêts détenus dans une entreprise de transport routier, aujourd'hui vendue, et une participation de 25 % dans une firme de transport maritime, Sonamar Inc, y furent regroupés. Le coût de ce placement est de 371,000 $. Sans Québécair, la SQT n'a plus sa raison d'être. En ce qui concerne l'investissement dans Sonamar, il existe des intérêts privés qui sont associés de près au transport maritime et qui pourraient racheter les actions de cette société. Madelipêche. Madelipêche fut établie en 1978. Le gouvernement en a acquis la totalité des actions en 1983.11 s'agit de la principale entreprise des ?les-de-la-Madeleine. Elle y embauche pas moins de 10% de la population. Madelipêche exploite une flotte de huit bateaux et deux usines de transformation. Elle possède également une filiale en propriété exclusive: Les Crustacés des ?les Inc qui compte deux usines acquises de National Sea Products en 1984. Les produits transformés par Madelipêche et sa filiale sont la sébaste, le crabe, le maquereau, le homard et la morue. Pour 1985, les ventes consolidées de Madelipêche se chiffraient à 20 millions $. Le nombre de pêcheurs et de travailleurs en usine est environ de 1 400 en pleine saison. Le gouvernement a investi quelque 44 millions $ dans Madelipêche en sept ans. Tout indique que des fonds supplémentaires pouvant s'élever jusqu'à 5 millions $ en moyenne par année, seront nécessaires. Il n'est pas question pour notre Comité de recommander que le gouvernement abandonne les ?les-de-la-Madeleine. Nous reconnaissons aussi que le niveau des fonds publics que le gouvernement canalise vers les ?les-de- laMadeleine ressort d'une décision gouvernementale et qu'il n'est pas de notre mandat de nous prononcer sur ce sujet. Deux commentaires peuvent toutefois être faits. Premièrement, est-il souhaitable que le gouvernement soit présent de façon si importante dans l'économie d'une région et particulièrement dans sa base économique. De plus, l'achat de Madelipêche n'a-t-il pas été une solution improvisée et facile qui a été appliquée au problème complexe de l'industrie des pêches aux ?les-de-la-Madeleine? Le fait que Madelipêche soit une société d'État a peu à faire dans la solution des problèmes économiques des ?les-de-la-Madeleine. D'autres facteurs joueront un rôle plus important, notamment la conjoncture des prix du poisson, les approvisionnements, la réglementation, la forme et le niveau de subventions accordées à cette industrie sur la côte atlantique. Cela dit, peut-on croire que la société d'État soit une structure supérieure à la propriété privée pour les usines de transformation et les bateaux de pêcheurs? Sans avoir fait l'analyse poussée du sujet, il nous semble que les entrepreneurs privés auraient plus de souplesse et d'habilité qu'une société d'État pour transiger à travers les méandres commerciaux et politiques qui caractérisent cette industrie. Le seul avantage à la société d'État serait un accès préférentiel au fonds consolidé de la province. Dans la mesure où cet avantage lui est refusé, des structures plus souples seraient préférables. Notre deuxième commentaire porte sur la période de transition. En achetant la quasi-totalité de l'industrie de la transformation des ?les, le gouvernement l'a profondément déstructurée. Rebâtir un secteur privé, avec sa hiérarchie d'entrepreneurs, ses PME, ses entreprises dynamiques, requiert du temps et ne peut être fait artificiellement. Reconstruire un secteur privé dans le domaine des pêches sera beaucoup plus complexe que l'intervention initiale du gouvernement dans le dossier Madelipêche. Mais c'est une solution qui à la longue sera beaucoup plus profitable. SÉPAQ. La Société des établissements de plein-air du Québec a été créée au mois de mars 1985. Son mandat est d'administrer et de développer, seule ou avec d'autres, les équipements, les immeubles et les territoires à vocation récréative ou touristique qui lui ont été transférés en vertu de sa loi constitutive. SÉPAQ peut également, selon son mandat, administrer, exploiter et développer, seule ou avec d'autres, tout autre équipement, immeuble et territoire à vocation récréative ou touristique qu'elle pourra acquérir. Le principal actif de SÉPAQ est le parc du Mont Sainte-Anne. SÉPAQ y est propriétaire des équipements et terrains de camping, de golf, de ski alpin et de randonnée. Elle est aussi propriétaire des équipements de la réserve faunique de l'?le d'Anticosti, du Domaine, de l'Auberge et du golf de Fort Prével en Gaspésie et du Manoir Montmorency. Elle est enfin propriétaire de neuf autres terrains de camping qui appartenaient au gouvernement. Les biens ont été transférés à SÉPAQ au prix de 25,1 millions $. A titre de paiement, la société a émis au ministre des Finances des actions pour un montant équivalent. Le budget de fonctionnement pour l'année 1985-86 était de 18,0 millions $ et des revenus de 15,6 millions $ étaient prévus. Le déficit sera épongé grâce à une subvention de 2,4 millions $. Il semble généralement admis que le gouvernement du Québec n'a pas comme mission d'être propriétaire de terrains de camping, d'auberges de vacances et d'auberges de conférence comme le Manoir Montmorency. Il Il est probable qu'un transfert graduel de ces responsabilités au secteur privé puisse se faire assez facilement. Le cas du parc du Mont Sainte-Anne est plus intéressant. Évidemment, le Comité croit que le gouvernement du Québec est appelé à des tâches plus fondamentales que de gérer un centre de villégiature, même par le biais d'une société d'État. Des difficultés de plusieurs ordres se posent toutefois dans la privatisation du parc Mont Sainte-Anne. L'expérience récente du Mont Tremblant est riche d'enseignements. Nous n'avons peut être pas encore développé au Québec un assez grand bassin d'entreprises disposant des capitaux nécessaires pour s'attaquer à de tels projets. Aussi, la privatisation du parc du Mont Sainte-Anne peut s'avérer un exercice plus complexe qu'il n'apparaît au départ. 4. Conclusions. Notre examen de la situation des dix entreprises stratégiques du gouvernement du Québec nous amène à deux conclusions d'ordre général: 1. Le gouvernement applique souvent, avec la formule de la société d'État, des solutions qui ont une pérennité à des problématiques temporaires. C'est le cas, évidemment, de la SQT et de Québécair Mais ce fut aussi le cas de la SNA. Il faut donc être conscient que la solution de la société d'État a une pérennité que beaucoup de problèmes économiques et politiques n'ont pas. La société d'État en développant ses propres projets, voudra par la suite établir son autonomie et assurer sa permanence, même si la problématique change. Cette tendance est souvent encouragée par des mandats initiaux trop largement définis pour les sociétés d'État. Que ce soit la situation de Québécair, la nécessité d'une présence francophone dans le secteur de l'amiante, le maintien des usines de Dosco, les faiblesses de l'exploration minière au Québec, etc., ce sont tous là des problèmes qui, cinq ans plus tard, pouvaient être réglés ou en voie de solution. Or la société d'État a une permanence qui dépasse de loin ces horizons politiques. 2. Le gouvernement s'est attardé aux Instruments et aux moyens plutôt qu'aux besoins et objectifs structuraux. La société d'État est un instrument d'intervention comportant, comme nous l'avons vu, de nombreux désavantages. Or, ce n'est pas SOQUEM qui a véritablement stimulé l'exploration par des entreprises minières québécoises, mais plutôt la montée du prix de l'or, les mesures fiscales dans ce domaine d'activités et le RÉA. La SNA était-elle le meilleur moyen de favoriser le développement d'une présence québécoise et un leadership industriel dans l'industrie de l'amiante. Cela est aussi loin d'être certain, particulièrement en tenant compte des coûts engagés. Est-ce SOQUIP le meilleur véhicule pour promouvoir les intérêts du Québec dans les hydrocarbures ou plutôt Gaz Métropolitain, une entreprise qui existe depuis longtemps? La réalisation d'un projet comme l'aluminerie de Bécancour exigeait-elle vraiment la participation d'une société d'État? Quelles sont donc les conditions qui feraient que les industries, grandes consommatrices d'énergie, viendraient naturellement s'implanter au Québec, sans nécessiter des interventions à la pièce de sociétés d'État? Autant de questions qui peuvent être abordées par l'utilisation de plusieurs modes d'intervention, et non pas nécessairement par la création d'une société d'État. La société d'État s'avère un instrument beaucoup moins flexible et efficace qu'on ne le croit généralement, pour répondre aux besoins d'interventions stratégiques des gouvernements dans l'économie. Ce n'est pas nécessairement la présence d'une entreprise, aussi bien intentionnée soit-elle, qui marquera la dynamique d'une industrie. De surcroît, si cette entreprise est soumise aux contraintes du système politique dans ses moindres démarches stratégiques, son impact risque d'être fort limité. La couverture des événements s'attarde surtout aux erreurs de parcours, aux déficits et aux problèmes d'entreprises des sociétés d'État. L'autre facette de leur performance, leur impact industriel, ne fait pas « événement" et soulève donc beaucoup moins d'intérêt. Si les milliards que le gouvernement du Québec a consacrés à ces dix entreprises stratégiques depuis vingt-cinq ans avaient été utilisés différemment pour atteindre les mêmes objectifs industriels, les résultats auraient-ils été meilleurs? Nul ne pourra répondre à cette question; on ne peut réécrire l'histoire. Ce qui nous semble évident par ailleurs, c'est que d'ici l'an deux mille, ce n'est pas la propriété gouvernementale de ces dix entreprises stratégiques qui influencera l'économie du Québec. Les recommandations du Comité sont regroupées au chapitre VII. Nous croyons utile néanmoins d'indiquer ici qu'une des recommandations prévoit le transfert graduel au secteur privé de l'ensemble des entreprises stratégiques. Cette recommandation reflète les conclusions tirées de l'analyse de chacune de ces sociétés d'État. Ce transfert n'offre, bien entendu, aucune garantie de succès et ne doit pas être non plus être considéré comme une solution miracle aux problèmes économiques du Québec. Mais libérées des contraintes découlant de la formule de la société d'État, les organisations qui sous-tendent ces entreprises seront en mesure d'être plus performantes et plus productives. L'économie du Québec y gagnera sûrement. IV- Les monopoles publics. Les gouvernements ont pris sur eux la gestion de divers secteurs d'activités dans la plupart des pays industrialisés et des monopoles publics ont été créés à cette fin. Les motifs qui ont présidé à leur formation sont variés. La structure de gestion est par ailleurs généralement celle de la société d'État. Il nous a donc semblé important d'examiner les monopoles publics qui furent ainsi constitués au Québec ainsi que le rôle et l'efficacité des sociétés d'État qui y oeuvrent. Le chapitre se divise en quatre sections. La première touche les secteurs visés. La seconde traite des motifs qui ont présidé à la formation de ces monopoles. Les limites de ce mode de gestion sont analysées dans la troisième section. Enfin, nous faisons part de notre conviction à l'effet que des remises en question s'imposent quant au maintien de ces divers monopoles publics dans leur forme actuelle. Il convient de rappeler ici que l'objectif dans le présent chapitre n'est pas de se prononcer sur l'à-propos d'une privatisation de ces sociétés, mais plutôt d'amorcer un débat de fond sur la pertinence et sur l'actuelle structure de ces monopoles publics. 1. Les secteurs étatisés. La présence ou non d'un monopole d'État dans un secteur d'activités données varie selon différentes juridictions. Dans certains secteurs toutefois, le monopole public est le mode de gestion prédominant. C'est le cas entre autres de la production et de la distribution de l'électricité, en notant à cet égard, l'exception à la règle que constitue l'expérience américaine dans ce secteur. Dans les services de santé et les services sociaux, la situation varie également quant à l'étendue du secteur nationalisé. Le Comité n'a pas cru bon d'aborder ces deux derniers secteurs, la nature de l'analyse requise étant toute autre que celle effectuée par les sociétés d'État visées par notre mandat. Nous avons identifié sept monopoles publics au Québec hors du secteur de la santé et des services sociaux. Cinq d'entre eux sont des monopoles que l'on retrouve habituellement dans d'autres juridictions. Le gouvernement du Québec s'est également donné deux autres monopoles pour gérer certaines de ses activités. 2. Les raisons d'être de ces monopoles. Comme dans le cas des entreprises stratégiques, les raisons qui expliquent la présence de ces monopoles sont celles qui ont présidé à leur formation. Nous les passons en revue dans cette section, selon un ordre chronologique. Société des alcools du Québec. Son origine remonte à la formation de la Commission des liqueurs en 1921, à l'époque du mouvement pour la prohibition. L'objectif visé était un contrôle social de la vente des vins et des spiritueux et le monopole public était vu comme le meilleur moyen pour y arriver. En 1971, suite à la publication des travaux de la Commission Thinel, le monopole de la SAQ fut reconfirmé. Un nouvel argument s'ajoutait au premier. Le monopole permettait des coûts de distribution moins élevés qu'en situation de ventes libres en raison du nombre beaucoup moindre de points de vente. Le rôle de la SAQ était ainsi justifié par des motifs financiers. Commission de la santé et de la sécurité du travail. La direction des assurances de la CSST est l'ancienne Commission des accidents du Travail dont la création remonte à 1931. Le monopole public était alors vu, au Québec comme ailleurs, comme le moyen le plus efficace d'offrir à tous les travailleurs une assurance-accident de base. C'est donc un souci de bonne gestion qui a présidé à la naissance de ce monopole d'assurance, confirmé sans grand débat, lors de la création de la CSST en 1978. Hydro-Québec. La formation d'Hydro-Québec remonte à 1944 avec l'expropriation de quelques compagnies d'électricité, dont la Montréal Light, Heat and Power Consolidated, suite à des pressions politiques pour faire baisser les tarifs d'électricité. Le mandat d'Hydro-Québec a été confirmé avec la nationalisation de l'ensemble des compagnies privées d'électricité en 1963. Deux arguments furent alors invoqués: la normalisation des tarifs à la grandeur du Québec et le contrôle par les francophones d'un secteur clé de leur économie. Caisse de dépôt et placement du Québec. Le nationalisme économique a présidé à la formation de la Caisse en 1965, par le gouvernement Lesage. En concentrant dans une institution la gestion des épargnes générées par les régimes publics de pension et d'assurance, le Québec se dotait d'un instrument de développement économique de grande envergure. La société des loteries et courses du Québec (Loto-Québec). Loto-Québec fut constituée en 1970. Le gouvernement du Québec s'appropriait ainsi la perception de la N taxe volontaire " de la Ville de Montréal. Plusieurs États américain et d'autres provinces canadiennes établirent des sociétés similaires vers la même époque. A cette période, et encore aujourd'hui, il semble difficile de concevoir que des entreprises privées, en concurrence entre elles, puissent gérer des loteries. En somme, la conception de ce qui est du ressort du gouvernement situe, aujourd'hui comme hier, les loteries dans le domaine de l'activité gouvernementale. Régie de l'assurance automobile du Québec (RAAQ). En 1978, le gouvernement du Québec imposa par voie législative, une assurance «no-fault» obligatoire pour les dommages corporels et pour les dommages matériels. La gestion de l'assurance de base pour les dommages corporels fut confiée à la RAAQ, un organisme constitué à cette fin. Par contre l'assurance obligatoire pour dommages matériels fut laissée au secteur privé. Pourquoi avoir partagé entre le secteur privé et le secteur public la responsabilité de cette assurance obligatoire de base? La dialectique du débat politique, qui mena à l'adoption de la loi, semble en avoir été la principale cause. La social-démocratie alors en vogue concevait facilement qu'une société d'État puisse gérer un régime d'assurance automobile dans le meilleur intérêt des assurés, mieux que le secteur privé. Société immobilière du Québec. Une société d'État serait plus efficace qu'une régie au sein d'un ministère, surtout pour gérer les besoins en immobilisations du gouvernement. C'est ce souci d'une meilleure gestion dans ce domaine qui a donné naissance, en 1984, à cette société d'État qui a l'avantage d'avoir, comme client captif, le gouvernement du Québec. 3. Les limites des monopoles étatiques. Lors de leur formation, les monopoles étatiques s'imposaient comme la solution la plus appropriée pour répondre à un besoin identifié. Ce qu'on ne fait généralement pas toutefois, c'est de remettre en question ultérieurement la pertinence de cette solution. Cette remise en question est d'autant plus nécessaire, vu les lacunes que comporte ce mode de gestion. Ces lacunes découlent, d'une part, de son caractère monopolistique et, d'autre part, du statut de société d'État. Les conséquences de ces deux caractéristiques sont multiples. Nous les passons en revue dans cette section. 1. Le caractère monopolistique d'une organisation se traduit par des rigidités et des coûts implicites aux usagers. Les risques associés à ce mode de gestion sont bien connus. Non forcé à s'adapter aux changements dictés par le jeu de la concurrence, le monopole devient rigide au niveau de ses produits. L'absence de concurrence rend également la qualité des services et produits offerts moins essentielle. Enfin, la tendance naturelle sera d'établir des prix monopolistiques qui seront plus élevés que les prix qui prévaudraient en situation de concurrence. Pour parer à ces lacunes du monopole, des organismes de réglementation sont généralement établis. Un processus d'examen public de requêtes de tarification et de modification de services permet aux usagers de faire pression, lorsqu'il y a lieu, sur le monopole. On remarquera toutefois qu'aucun des sept monopoles québécois n'est réglementé par un organisme indépendant. La Commission parlementaire, dans certains cas, et le conseil des ministres dans d'autres, ne sauraient se substituer à la discipline rigoureuse des audiences publiques. Mais il est aussi important de noter la perception généralisée, au sein du gouvernement, à l'effet que ces sociétés d'État ne se comportent pas comme des monopoles et qu'elles n'ont pas les lacunes inhérentes à ce type d'organisation. Rien ne nous laisse croire quant à nous, que les monopoles publics du Québec sont, à priori, des exceptions à la règle sur ce point. 2. La concentration du pouvoir est favorisée par le caractère monopolistique. Tout organisme qui bénéficie d'un monopole, faiblement ou inefficacement réglementé, a généralement les moyens pour établir et gérer son autonomie. Par son contrôle du service et par les ressources dont il dispose, le monopole peut bâtir les coalitions qui lui assureront son indépendance. Parce qu'il est à l'abri de l'évaluation de la concurrence, on peut difficilement remettre en question son efficacité. Elle est la seule organisation disposant de l'information et qui se pose comme experte dans le domaine, que ce soit l'électricité, la distribution du vin et des spiritueux, l'assurance automobile, etc. D'où le syndrome de «L'État dans l'État» qu'on associe souvent à ces monopoles publics et rarement aux autres sociétés d'État. 3. Le gouvernement doit concilier son double rôle d'actionnaire et de régulateur. Le double rôle d'actionnaire et de régulateur pose au gouvernement un dilemme difficile à résoudre. Il en résulte une ambivalence structurelle. Oui aux dividendes d'Hydro-Québec, mais non à la hausse des tarifs. Oui à la juste rétribution des accidentés, mais non à la hausse de primes. Le gouvernement est donc souvent placé dans une situation de conflits d'intérêts. Il s'en tire généralement en distribuant ces responsabilités conflictuelles entre plusieurs ministères. Mais l'ambivalence structurelle qui en découle a parfois des conséquences majeures. La CSST a pu se constituer un déficit actuariel de l'ordre de 1,8 milliard $ parce que le gouvernement n'a pas vraiment pris ses responsabilités à l'égard de cette institution. 4. Le gouvernement actionnaire est de par nature ambivalent quant à son rôle véritable. La structure de la société d'État est retenue pour établir une certaine distance entre le gouvernement et la gestion de l'activité encadrée. La raison d'être de la société n'est rarement que pour éviter les règles bureaucratiques de l'organisation gouvernementale. Il y a aussi une volonté d'accorder une autonomie véritable à l'organisme gouvernemental. Mais le gouvernement, l'actionnaire unique, demeure responsable devant l'opinion publique. D'où une ambivalence et une hésitation chez l'actionnaire, ne pouvant se refléter que par une même situation d'ambivalence au sein du conseil d'administration dont les responsabilités véritables sont mal définies. C'est ce qui permet à des situations comme celle de la CSST de se développer Les administrateurs représentent d'une part les cotisés (les représentants des entreprises) et les bénéficiaires (les représentants des syndicats). L'actionnaire qui sera ultimement responsable du déficit actuariel et des problèmes politiques qui résulteront des mesures prises pour son élimination joue un rôle effacé. Très souvent, le gouvernement actionnaire limite son rôle à la nomination des administrateurs et du principal cadre dirigeant. La légitimité de la direction et l'autonomie de l'organisme ne pouvant être clairement circonscrites, en particulier lors de changements de gouvernement, il en résulte inévitablement un flottement au niveau de la direction des monopoles publics. 5. Les règles administratives des bureaucraties gouvernementales se reflètent dans l'administration de ces sociétés d'État monopoles publics. Il est difficile pour ces sociétés d'échapper à l'influence des bureaucraties gouvernementales. Elles n'auront jamais la flexibilité d'opération de l'entreprise privée. Malgré la meilleure des volontés, elles peuvent difficilement échapper à certaines carences des organisations gouvernementales. Un des facteurs qui explique cet état de fait est l'origine bureaucratique de certains monopoles publics. C'est le cas, entre autres, de la SIQ, constituée de l'organisation d'un ancien ministère. 6. Les monopoles publics sont des entreprises limitées, autant territorialement que sectoriellement. Le propre d'une organisation rentable du secteur privé est de se développer, soit par une diversification au niveau de ses produits ou services, soit par une expansion territoriale. La croissance qui en résulte donne à la direction et aux cadres des avenues de réalisation et de performance supérieures. Les monopoles publics n'ont pas cette liberté. Leur mandat, leur secteur d'activités et leur territoire étant définis à priori. Les six facteurs que nous venons de mentionner sont de nature générique et découlent de la double nature de monopole et société d'État de ces organisations. Lors de leur constitution, d'autres facteurs, positifs ceux-là, sont invoqués pour justifier ce mode de gestion. Toutefois, si le bilan favorise à un moment donné la création de monopoles publics, il n'est pas dit que ce bilan ne puisse être réévalué suite à des changements dans l'environnement. D'où l'importance d'une révision de la pertinence même de ces sociétés d'États. 4. Les remises en question s'imposent. Toute organisation cherche à protéger son autonomie. Les monopoles publics le font généralement en cooptant avec les ministres de tutelle et en se développant une clientèle fidèle qui saura défendre ses intérêts. La cooptation avec les ministères de tutelle est difficile à éviter dans le temps. D'une part, la direction et les administrateurs de ces sociétés sont choisis par les ministres de tutelle. D'autre part, les monopoles publics disposent de ressources discrétionnaires et d'une grande marge de manoeuvre pour coopter bien légitimement avec leur ministère de tutelle et en particulier sa direction. Le fait que cette cooptation se fasse par voies légitimes n'y change rien. Les ministres de tutelle sont généralement les apologistes au sein du gouvernement des sociétés d'État qu'ils supervisent. Il y a évidemment des remises en question. Elles surviennent lorsqu'il y a crise ou lorsque la société a des problèmes avec ses clientèles. C'est le cas présentement de la CSST, en butte à l'hostilité du monde patronal. C'est aussi le cas de la SAQ aux prises avec une dizaine de PME qu'elle concurrence dans l'embouteillage des vins. Mais les remises en question sont rarement fondamentales et ne portent pas généralement sur l'existence même de la société. Des modalités sont remises en cause. Prenons deux débats récents, la CSST et la Caisse de dépôt. Les problèmes de la CSST sont imputés principalement à sa direction qui aurait favorisé une partie par opposition à l'autre. De plus les ambitions et les volontés expansionnistes de la direction ont amené un élargissement significatif et très rapide du cadre d'intervention de la CSST La solution n'est toutefois pas de changer la direction. Ce serait faire h des problèmes inhérents à la structure paritaire du conseil d'administration et à ceux d'un monopole dans l'assurance des accidents du travail. La Caisse de dépôt est une institution financière de très grande envergure grâce à ses clients captifs. Avec 24 milliards $ de fonds sous son contrôle, la Caisse de dépôt est probablement l'un des plus gros gestionnaires de fonds en Amérique du Nord. Peu de gestionnaires américains de fonds de pension ne semblent contrôler une telle somme avec autant de marge discrétionnaire que la Caisse de dépôt. Le libre jeu des forces de marché aurait jamais permis la constitution d'un tel organisme, ni d'ailleurs son maintien. Les fiduciaires du secteur privé préfèrent généralement partager leurs fonds entre plusieurs gestionnaires afin d'augmenter la performance générale de leur portefeuille. Une autre raison pour laquelle les monopoles publics sont rarement remis en cause est qu'ils échappent généralement à l'autorité des agences centrales que sont le Conseil du Trésor et le Ministère des Finances. Ils demeurent le fief des ministères de tutelles. Privés d'information, ces intervenants institutionnels que sont le Conseil du Trésor et le Ministère des Finances sont en position désavantageuse pour faire les remises en cause qui pourraient s'imposer de temps à autre. Pourtant, des remises en cause s'imposeraient et elles devraient être institutionnalisées. Elles devraient porter sur les questions de fond, l'existence même du monopole et les options qui s'offrent à la société, en place et lieu du monopole public. Il n'est pas du ressort de notre Comité de baliser ce processus de remise en cause. Il a déjà été amorcé, bien que de façon discutable, dans le cas de la SAQ. Il devrait l'être dans le cas de la CSST, de la RAAQ et de la Caisse de dépôt et placement. Il y aurait lieu de s'interroger, dans un cadre serein et apolitique, sur HydroQuébec, cette institution nationale qui est objet de grande fierté. Il est peut-être trop tôt pour repenser Loto-Québec, mais l'émergence de modèles alternatifs dans d'autres régions devrait précipiter éventuellement ce débat. Enfin, nous laissons au gouvernement, le temps de développer les frustrations inévitables de tout client captif pour qu'il puisse remettre en cause la SIQ. V - La démarche de privatisation. Le ministre délégué à la Privatisation a publié, au mois de février de cette année, un énoncé de politique: « Privatisation de sociétés d'État: orientations et perspectives ». Ce document présentait un processus de privatisation structuré en deux phases. Le ministre délégué à la Privatisation y présenta aussi six principes directeurs pour guider le gouvernement dans sa démarche. Le Comité a été saisi du document avant sa présentation et l'a endossé. Nous passerons en revue le processus et la démarche élaborés dans cet énoncé de politique. Par ailleurs, le processus de privatisation dans son ensemble appelle des commentaires de différents ordres que nous présenterons également dans ce chapitre. La privatisation implique un échange significatif de ressources entre le secteur public et le secteur privé. Il s'agit bien d'un échange et non d'un transfert et les deux parties doivent y trouver leur compte. Les transactions qui se feront dans le cadre de la privatisation de sociétés d'État seront parmi les plus importantes transactions financières impliquant la propriété d'entreprise au Québec. Nous avons déjà un exemple: l'émission publique de CAMBIOR, d'une valeur de 125 millions à 150 millions $, est de loin la plus importante première émission jamais effectuée au Québec. Les enjeux sont aussi importants sur le plan structurel. Le gouvernement du Québec remet en quelque sorte, au secteur privé, le patrimoine commercial et industriel qu'il a constitué durant la Révolution tranquille. Il n'est pas question de renier les acquis de cette période. La privatisation est la continuité de ces efforts des gouvernements successifs du Québec pour renforcer les structures de l'économie. Les principes directeurs. Les six principes directeurs retenus par le ministre délégué à la Privatisation sont reproduits ci-dessous. Le Comité veut faire état de deux commentaires additionnels, relativement à certains de ces principes et à leur mise en application. Les principes directeurs: I . La production commerciale de biens et services dans l'économie québécoise est du ressort du secteur privé, sauf en ces circonstances exceptionnelles justifiées par l'intérêt public. 2. La privatisation n'est pas une fin en soi. Lorsqu'elle s'impose, la privatisation d'une société d'État doit viser d'abord à renforcer la structure économique du Québec tout en assurant la présence québécoise dans les secteurs clés de I économie. La réalisation d'une juste valeur pour les actifs ainsi transférés devra aussi être considérée. 3. La privatisation doit se faire de façon pragmatique, cas par cas, et peut emprunter des voies multiples, selon les conditions spécifiques d 'une société et de son industrie. 4. La privatisation est un processus public qui doit répondre aux normes d 'équité et de divulgation qui s'appliquent aux compagnies publiques. 5. Le gouvernement s'assurera que dans le cadre des rationalisations qui pourraient s'imposer, les employés, les communautés et, le cas échéant, les fournisseurs seront traités équitablement. 6. Les sociétés d 'État appelées à maintenir leur statut devront accomplir leur mission dans le cadre de critères rigoureux de performance et de règles strictes qui viseront à en faire des concurrents loyaux sur le marché. Notre premier commentaire a trait à la vente possible de sociétés d'État à des entreprises non québécoises, c'est-à-dire des entreprises dont la direction et le siège social sont établis hors du Québec. Le nationalisme économique, défini dans son sens plus ou moins large selon les circonstances, est à l'origine de la plupart des 17 sociétés d'État que nous avons examinées aux chapitre 111 et IV. L'objectif usuel du gouvernement était d'établir au Québec une entreprise contrôlée localement dans un secteur d'activités données. Vendre de telles entreprises à des intérêts non québécois serait établir une cassure importante avec cette orientation. Objectivement, rien ne s'oppose à une telle solution. La vente à des intérêts autres que québécois pourrait, même à la limite, apporter à ces entreprises une expertise et des fonds supplémentaires qu'elles ne trouveraient pas auprès d'acheteurs québécois. De plus l'espace économique québécois est de plus en plus intégré à celui du Canada. Il devint difficile d'établir une démarcation claire entre entreprise québécoise et entreprise canadienne. Néanmoins, le processus de privatisation devrait respecter les acquis de la Révolution tranquille. Aussi, le gouvernement devrait favoriser, dans la mesure du possible, l'acquisition des sociétés privatisées par des intérêts québécois. Les sommes considérables que les contribuables québécois ont déjà investies dans le réseau des sociétés d'État doivent également être prises en considération à cet égard. Cette règle ne pourrait et ne devrait toutefois pas être considérée comme un absolu. La présence d'un partenaire minoritaire ou la nécessité de liens technologiques, commerciaux ou financiers étroits avec d'autres entreprises qu'on ne retrouve pas au Québec, sont des raisons qui pourraient appeler des dérogations à cette règle. Notre deuxième commentaire porte sur certaines sociétés d'État qui pourraient ne pas être privatisées. Dans leur cas, des critères rigoureux de performance devront être établis. Il y aurait lieu que ce principe ne demeure pas seulement un voeu pieux. A cet effet, le gouvernement devrait chercher à introduire des contraintes structurelles qui assureront un comportement performant de la part des sociétés d'État. Ainsi, le gouvernement ne devrait pas hésiter à explorer des avenues telles la participation du public ou d'investisseurs privés à la propriété de la société d'État, à titre d'actionnaire minoritaire. De même, le gouvernement pourrait remettre en question les droits de monopole détenus par certaines sociétés d'État, favorisant ainsi le libre jeu de la concurrence. Le ministre délégué à la Privatisation a retenu un processus en deux phases pour encadrer la privatisation d'une société d'État. La première phase vise à déterminer l'option stratégique que privilégiera le gouvernement. La réalisation de cette option se fait dans la seconde phase. La privatisation peut être conçue comme la gestion d'une enchère. Dans cette optique, la première phase sert à déterminer les conditions de cette enchère, compte tenu des enjeux. Il est important que ces conditions soient clairement définies dès le départ et respectées tout au long du processus de privatisation. Les problèmes rencontrés par le gouvernement fédéral dans le cas de certaines sociétés d'État sont reliés en partie à des carences dans la définition des conditions d'enchère, ce qui a soulevé, entre autres, des hésitations parmi les acheteurs potentiel. Par ailleurs, il est à souhaiter que la démarche ne soit pas biaisée en faveur des transactions privées. Un des grand succès de l'expérience britannique a été le nombre de privatisations par voie d'émission publique. Cette méthode permet souvent de maximiser la valeur du produit de la transaction, tout en assurant le maintien de l'intégrité de l'entreprise. L'expérience britannique de privatisation a aussi innové en réservant au gouvernement un droit de veto lors de la vente de la majorité des sociétés d'État. Ce droit de veto («Golden Share» ou «Special Rights Share») permet au gouvernement de se prémunir par exemple contre une prise de contrôle de la société privatisée par des intérêts étrangers. Le gouvernement britannique a effectivement utilisé les privilèges du «Golden Share» dans le cas d'une offre d'une multinationale britannique, Rio-Tinto-Zinc Corporation relativement à la société privatisée, Entreprise Oil. Il ne s'agit pas d'une approche que nous favorisons pour le Québec, à cause de son aspect arbitraire, sauf en des circonstances exceptionnelles. D'autres moyens peuvent être imaginés pour assurer le maintien du contrôle aux mains d'intérêts québécois. A cet égard, soulignons que CAMBIOR, la première privatisation québécoise par voie d'émission publique, ne comporte pas de tel droit de veto. D'ailleurs, le gouvernement britannique reconnaît qu'un tel droit de veto doit être de durée limitée. Les réorientations de sociétés d'État. L'un des aspects les moins publicisés de la politique de privatisation du gouvernement du Québec est l'examen de la situation des entreprises qui ne seront pas privatisées. Un examen rigoureux et impartial du rôle et des structures de ces sociétés d'État s'impose. Il est toujours facile pour un ministre de tutelle de justifier la nécessité d'un bras séculier, mais cette justification doit résister à un examen serré. Aussi, nous suggérons l'élaboration d'un processus formel d'examen des sociétés d'État qui ne seront pas privatisées. D'importantes sociétés d'État seraient soumises à ce processus d'examen quant à leur mandat, leur structure et leurs orientations. C'est le cas en particulier des monopoles publics dont nous avons discuté au chapitre IV. Les enjeux sont de taille et la maîtrise du processus exigera de la fermeté et de la ténacité. C'est un processus qui se doit être mis en oeuvre et ce, dans un cadre qui en assurera le succès. Nous voyons cet examen encadré dans un exercice relativement autonome, différent de celui de la privatisation en tant que tel. Une réflexion préalable devrait d'ailleurs le précéder, au même titre qu'une réflexion, dont on retrouve l'essence dans l'énoncé de politique, a précédé la démarche de privatisation. L'examen du rôle et des structures des sociétés d'État pourra s'amorcer lorsque le processus de privatisation sera bien engagé et que déjà, le statut de société d'État aura été confirmé pour certaines d'entre elles. Une démarche qui a un impact structurel. La démarche de privatisation vise en priorité des objectifs structurels. Il s'agit d'un aspect important de la privatisation tel que le soulignait l'énoncé de politique du ministre délégué à la Privatisation. L'expérience britannique est instructive à cet égard. La privatisation de certaines sociétés a eu un impact sur les attitudes des citoyens de Grande-Bretagne face à l'entreprise privée et à l'actionnariat individuel. Depuis 1979, le nombre de citoyens qui sont devenus actionnaires a presque doublé. Le processus de privatisation au Québec fournit l'occasion d'informer les citoyens québécois sur les rôles respectifs du gouvernement et du secteur privé. Il ne s'agit pas d'un exercice de promotion; non plus doit-on considérer la privatisation de sociétés d'État comme une solution à nos problèmes économiques. Mais il est inévitable que certaines décisions donnent naissance à un débat public sur les causes et les effets de la privatisation de certaines sociétés. Ce débat sera très bénéfique. Il fera porter l'attention du public sur l'examen des pourquoi de l'exercice et sur les mérites respectifs de la gestion publique et de la gestion privée. Un des aspects les plus importants de ce débat aura trait au niveau de l'emploi des sociétés privatisées. La privatisation de certaines sociétés exigera au préalable une rationalisation de leurs activités, mesure qui amène habituellement une diminution du nombre d'emplois. Un des principes directeurs retenus par le ministre délégué à la Privatisation prévoit un traitement équitable envers les employés visés par une telle mesure de rationalisation. A court terme ces pertes d'emploi ne pourront souvent être évitées. Toutefois, ce n'est qu'en devenant compétitives et rentables que les sociétés privatisées pourront se développer. Ultimement il en résultera une création d'emplois. L'exercice de privatisation sera aussi bénéfique à d'autres égards. Des émissions publiques de l'envergure de celle de CAMBIOR s'inscrivent dans la lancée du RÉA, sensibilisant les citoyens à la propriété publique des entreprises. Aussi la mise aux enchères de certaines autres sociétés attirera la convoitise de plusieurs groupes industriels québécois. Leur présence à ces enchères sera une preuve tangible du progrès des entrepreneurs et des entreprises québécoises dans la construction d'une économie forte et diversifiée. VI - Le secteur subventionné. Le modèle de la société d'État est largement diffusé dans l'appareil gouvernemental. Il s'agit en effet de la structure juridique préférée pour encadrer les activités du secteur parapublic. Nous avons examiné l'efficacité de la formule de la société d'État dans le cadre d'activités subventionnées. Trente sociétés d'État, hors des réseaux des Affaires sociales et de l'Éducation, ont été retenues pour fins d'analyse. Ces sociétés d'État n'ont pas fait l'objet d'un examen individuel. Elles ont été à la base d'une réflexion sur la société d'État comme structure d'encadrement d'activités financées par le gouvernement et qui ne sont pas de son ressort traditionnel. Nous présentons les résultats de cette réflexion dans ce chapitre. La première section présente les trente sociétés d'État et en identifie les caractéristiques communes. La deuxième traite des avantages de la formule et la troisième de ses limites. Des voies alternatives sont explorées en quatrième section. 1. Les sociétés d'État du secteur subventionné. Elles sont de tous genres. Elles vont de Radio-Québec à la Société du port ferroviaire de Baie-Comeau?Hauterive. Elles sont présentées au tableau 6.1 de la page suivante, regroupées selon une typologie originale. Aide au financement: 9 sociétés. Le gouvernement privilégie la formule de la société d'État pour gérer les problèmes d'aide au financement pour deux raisons principales. D'une part, cette formule permet à la société de développer ses propres règles décisionnelles, beaucoup plus appropriées à ses activités et plus souples que les règles régissant les transactions financières et l'octroi de subventions par des ministères. D'autre part, la présence de la société d'État permet de dépolitiser le processus d'évaluation et d'octroi d'aide financière. Recherches et services techniques: 2 sociétés. Le modèle de la société d'État permet de réunir les conditions nécessaires pour s'assurer de la présence et l'appui de scientifiques dans un environnement approprié, pour fournir aux entreprises une aide technique et pour promouvoir la diffusion d'informations et de renseignements d'ordre technologique et industriel. Sociétés de gestion: 19 sociétés. C'est dans cette catégorie que l'on retrouve la majorité des sociétés d'État du secteur subventionné. On retrouve trois secteurs d'activités: les entreprises culturelles, la gestion d'équipement publics et les sociétés responsables de l'aménagement et du développement de territoires. Les sociétés d'État du secteur subventionné sont de création récente. La création de la totalité de ces sociétés, à l'exception de deux seulement, date de moins de vingt ans. Elles correspondent à l'entrée progressive du gouvernement dans le financement d'une foule d'activités. On peut résumer les caractéristiques communes à l'ensemble de ces sociétés de la façon suivante: Leurs administrateurs sont nommés par le gouvernement du Québec. Un processus de consultation et des contraintes sectorielles viennent parfois baliser ce choix. Il n'en reste pas moins que les administrateurs y siègent généralement suite au bon vouloir du gouvernement. Le financement gouvernemental constitue la principale source de revenus de la société, ou du moins, le complément essentiel à une structure d'opérations déficitaires. Les subventions du gouvernement sont au coeur du financement de ces sociétés. Ces sociétés sont assujetties à des normes financières décrétées par le gouvernement. En contrepartie de la participation financière du gouvernement, ces sociétés sont soumises à un contrôle rigoureux de leurs dépenses et au respect de diverses pratiques financières. Ces sociétés ont un mandat défini qu'elles ne peuvent outrepasser sans la permission du gouvernement. Il s'agit de sociétés sans but lucratif. Ces sociétés ne peuvent généralement pas accumuler de surplus d'opérations. Cette règle implicite influence le comportement de ces entreprises. Leur intérêt premier n'est pas de maximiser leurs profits, elles n'en tirent aucun avantage. Leur intérêt est de maximiser leur budget disponible, ce qui est une toute autre chose. L'ensemble de ces règles font de ces sociétés d'État, des structures mitoyennes entre la régie gouvernementale et l'entreprise privée. Elles se distinguent aussi clairement des organisations sans but lucratif (OSBL), qui disposent généralement d'une plus grande marge discrétionnaire. 2. Les avantages de la société d'État. L'utilisation de cette formule est motivée par deux considérations de la part du gouvernement. Pour certaines activités d'aide à l'entreprise, la régie gouvernementale, c'est-à-dire la formule ministérielle, n'est pas des plus appropriées, pour les raisons mentionnées plus haut. La formule de la société d'État permet de mettre entre ces activités et le gouvernement, une distance administrative et politique suffisante pour améliorer significativement leur réalisation. Par ailleurs, en ce qui concerne les sociétés de gestion, la formule de la société d'État découle d'une prise de conscience que ses activités ne sont pas du ressort traditionnel du gouvernement. Essentiellement, ces activités ne peuvent être gérées efficacement par le gouvernement et sont plutôt de nature locale, communautaire ou sectorielle. D'où l'intérêt de la société d'État qui permet au gouvernement d'en confier la direction à des personnes issues des milieux concernés. La structure de la société d'État permet de réconcilier les volontés gouvernementales et les contraintes de gestion de ces activités qui demandent une liaison étroite avec leur milieu. Le gouvernement atteint ainsi deux objectifs. Premièrement, il s'assure de la réalisation de l'activité. C'est l'objet premier de la création de la société d'État. Deuxièmement, le gouvernement s'assure d'un certain contrôle, autant par les normes financières et administratives qu'il a dictées, que par le choix des administrateurs. Un dernier avantage à l'utilisation de la société d'État dans le secteur subventionné réside dans la facilité de la formule. Cette caractéristique explique en grande partie le grand nombre de sociétés d'État dans ce secteur. Il s'agit en quelque sorte d'une formule à la portée de la main et les alternatives à la création de la société d'État sont donc peu explorées. 3. Les limites des sociétés d'État dans le secteur subventionné. La formule a ses avantages; elle a aussi ses limites. Nous traiterons brièvement de ces limites dans cette section. Le gouvernement demeure responsable ne serait-ce que parce que la société est vue comme une partie intégrante du gouvernement. Que ce soit la RIO, la SAO, la SDI ou la Société de la Place des Arts, il est admis que sur des questions fondamentales, c'est le ministre de tutelle qui décide. Le conseil d'administration de la société d'État est un corps décisionnel et responsable, sauf qu'en dernier ressort, il n'est qu'un intermédiaire et l'opinion publique reconnaît cet état de fait. Le gouvernement est un actionnaire peu intéressé. L 'objectif premier du gouvernement est la réalisation de l'activité. Son intervention en est donc essentiellement une de financement. Par contre, il assume très peu ses responsabilités d'actionnaire. Le processus de nomination des administrateurs est habituellement peu structuré et le suivi de leur mandat, rarement organisé. Le secteur privé se dégage de ses responsabilités. Il ne peut y avoir qu'un centre de responsabilité. Si le gouvernement l'assume, le secteur privé lui laisse le champ libre et se retire. N'étant pas responsable, le secteur privé qui, en d'autres circonstances, aurait pu appuyer un organisme à but non lucratif, se défile. C'est ainsi que l'activité en question, que ce soit le Palais des Congrès ou le Musée d'Art contemporain de Montréal, devient en totalité du ressort du gouvernement. Les sociétés du secteur subventionné deviennent ainsi de plus en plus dépendantes du gouvernement pour leur financement. Elles peuvent évidemment compter sur leur clientèle, mais cette clientèle s'attend généralement à une tarification «gouvernementale», c'est-à-dire subventionnée. D'ailleurs, la seule présence gouvernementale à la direction serait suffisante pour justifier une tarification privilégiée. Aussi, comme nous le mentionnions, le secteur privé ne se sent pas lié ni moralement ni socialement à cette société, pour le financement de son déficit opérationnel. Enfin, les gouvernements municipal et fédéral se sentent aussi dégagés de toute responsabilité, puisqu'il s'agit d'un organisme de gouvernement provincial. Dans le cas des organismes culturels, d'importantes sources de financement demeurent ainsi inutilisées par cette volonté structurelle du gouvernement provincial de gérer l'activité par une société d'État. Les sociétés d'État sont vouées de par leur mandat à une existence relativement statique. La légitimité de la société d'État dans ce secteur lui vient au départ du législateur et subséquemment d'un ministère de tutelle qui nomme les administrateurs, approuve le budget annuel et en assure le financement. Celle-ci n'a pas la liberté de redéfinir, ni même de faire évoluer son mandat. Elle n'est pas autonome. Ses succès se traduisent par des subventions moins élevées, ses échecs, par une révision de ses opérations par les fonctionnaires qui déterminent s'il y a lieu de modifier les règles de financement. A court terme, ce statut de dépendance institutionnelle n'est pas limitatif. Dans une perspective à long terme, il balise toutefois l'évolution dans un mode bureaucratique qui n'assure nullement son épanouissement. La société d'État dans le secteur subventionné répond peut-être aux impératifs de l'heure lors de sa formation. Toutefois, cette formule souffre de nombreuses imperfections inhérentes à sa nature même. C'est pourquoi il ne faudrait pas adopter d'emblée ce modèle pour la gestion d'activités subventionnées. 4. Des alternatives. Deux options génériques s'offrent comme alternative à la société d'État dans ce secteur: l'organisation sans but lucratif (OSBL) et le contrat de gestion à une entreprise privée. L'OSBL diffère de la société d'État d'abord au chapitre de la nomination des administrateurs. Le gouvernement n'en est pas responsable. Par contre le gouvernement demeure le principal bailleur de fonds, ce qui n'est pas sans lui donner un pouvoir directionnel d'envergure. Le gouvernement échange en quelque sorte son pouvoir d'actionnaire contre celui du client. L'OSBL a l'avantage de tirer sa légitimité de son milieu. Le gouvernement n'est pas l'unique source de fonds et en cas de crise, l'ultime refuge. La communauté (ou le secteur) en assume la responsabilité. Un très grand nombre de sociétés de gestion pourrait être confié à des OSBL. Pourquoi il n'en est pas ainsi s'explique en grande partie par l'origine des sociétés de gestion et les circonstances politiques qui ont présidé à leur formation. Dans cette optique, la privatisation vers le modèle OSBL est une voie qui mériterait d'être explorée systématiquement. Le contrat de service, ou le faire-faire est une autre option qui nous apparaît valable en certaines circonstances. Lorsque l'activité se prête à un programme d'actions bien circonscrites, le gouvernement peut se réserver le rôle de client. Il en est ainsi de nombreux programmes d'aide, dont la gestion à contrat, qui pourraient être envisagés. De même, la gestion de certains équipements collectifs pourrait aussi être confiée par contrats à l'entreprise privée. Il s'agit d'ailleurs d'un modèle commun. De nombreux propriétaires immobiliers, par exemple, confient l'exploitation de certaines activités, tels les hôtels, les centres de congrès, la location des bureaux, etc., à des entreprises spécialisées. Le gouvernement du Québec pourrait envisager la même politique. Enfin, certaines sociétés d'État du secteur subventionné oeuvrent dans des activités essentiellement locales. Le gouvernement du Québec pourrait procéder à une dévolution des responsabilités vers les instances locales, en assurant en contrepartie le financement par un contrat de financement. Le gouvernement du Québec a peu à faire dans la gestion du parc industriel de Mirabel, du port et du chemin de fer de Haute-Rive ou dans l'aménagement et la promotion du développement économique de l'Outaouais. Une dévolution vers les instances locales semble préférable à la centralisation actuelle. La société d'État dans le secteur subventionné, en particulier la société de gestion, devrait être considérée comme une structure qui convient à court terme, mais qui dans une perspective de permanence, a de sévères limitations. Dans les secteurs autres que les Affaires sociales et l'Éducation, il y aurait lieu d'examiner l'opportunité de réviser le statut des trente sociétés d'État que nous avons recensées et d'explorer d'autres avenues administratives, plus efficaces et plus appropriées. VII - Conclusions et recommandations. Notre mandat nous a amenés à examiner la situation des sociétés d'État, en particulier celles que nous appelons les entreprises stratégiques qui oeuvrent dans des secteurs industriels et commerciaux, en concurrence avec l'entreprise privée. Nous avons aussi analysé sept monopoles publics et trente sociétés du secteur subventionné, quoique de façon moins spécifique. Voici les constats qui se dégagent de cet examen: 1) Les dix sociétés d'État qui ont un mandat d'entreprise stratégique sont, lors de leur formation, issues d'un système politique qui reflète des préoccupations gouvernementales à un moment donné. En somme, les entreprises stratégiques sont des instruments mis en place par le gouvernement pour répondre à un besoin politique particulier et temporaire. 2) Le nationalisme économique a été la principale justification lors de la création des entreprises stratégiques. Chaque société d'État visait à renforcer le tissu industriel québécois par l'addition d'un pilier stratégique, qui sera par ailleurs une voie privilégiée de promotion de cadres francophones dans cette industrie. Seule la SÉPAQ a échappé à cette justification. 3) Les contextes politique et économique changent mais le pouvoir politique ne réagit pas nécessairement en conséquence. Le pouvoir politique est peu habilité pour faire, au fur et à mesure, les corrections de trajectoire et les remises en question qui s'imposent dans le statut et le mandat des sociétés d'État à caractère stratégique. 4) Le Québec économique des quinze prochaines années sera très différent du Québec économique de la Révolution tranquille. Des entreprises gérées et contrôlées par des Québécois ont foisonné dans tous les secteurs industriels, modifiant ainsi radicalement la structure industrielle et l'importance relative des dix entreprises stratégiques. Parallèlement, les cadres francophones se sont imposés dans tous les rouages de l'économie québécoise, et en particulier à la direction des entreprises et des institutions financières. 5) Par ailleurs, les priorités économiques du gouvernement du Québec ont évolué, le gouvernement « catalyseur » se substituant au gouvernement « entrepreneur ". Les priorités gouvernementales viseront à créer des conditions propices à l'épanouissement des entreprises et des entrepreneurs plutôt que de se limiter à des interventions ponctuelles et directes dans l'économie, telle une entreprise stratégique. 6) La performance financière des entreprises stratégiques a été dans l'ensemble, médiocre. Mais ce phénomène est le propre des sociétés d'État dans des contextes analogues et reflète les mandats souvent difficiles que reçoivent ces sociétés. 7) Les dix entreprises stratégiques ont eu des résultats mixtes dans leurs objectifs économiques, tels le contrôle québécois, l'impact structurel et la promotion des francophones. 8) Par ailleurs, les monopoles publics que nous avons examinés sont caractérisés par des carences structurelles découlant de leur double statut de monopole commercial et de société d'État. Ces limitations, inhérentes à leur structure, peuvent affecter leur efficacité. 9) La formule de la société d'État utilisée par les trente sociétés du secteur subventionné hors des réseaux des Affaires sociales et de l'Éducation souffre aussi de carences structurelles. S'il s'agit d'un mode de gestion supérieur à la régie gouvernementale (ministère) dans les circonstances, il s'agit aussi d'une structure administrative qui doit concilier de nombreuses contradictions pour être efficace. Ces constats résument, de façon sommaire, nos observations et nos réflexions. Ils servent de toile de fond à la présentation de nos sept recommandations. Recommandation 1: l'ensemble des entreprises stratégiques devrait être privatisé. Un processus de privatisation devrait être mis en oeuvre pour les dix entreprises stratégiques. Ce processus devrait être amorcé dans les dix-huit prochains mois. Ces entreprises sont: la Société générale de financement (SGF), la Société québécoise d'initiatives agro-alimentaires (SOQUIA), la Société québécoise d'exploration minière (SOQUEM), la Société québécoise d'initiatives pétrolières (SOQUIP), la Société de récupération, d'exploitation et de développement forestier du Québec (REXFOR), Sidbec, la Société québécoise des transports et sa filiale, Québécair (SQT), la Société nationale de l'amiante (SNA), Madelipêche et la Société des établissements de plein air du Québec (SÉPAQ). Recommandation 2: les effets sur la structure de l'économie devraient avoir priorité sur les aspects financiers du processus de privatisation. Les critères qui présideront au choix des acheteurs devraient privilégier l'impact de la transaction sur la structure de l'économie, par opposition à sa rentabilité financière, quoique ce dernier élément ne puisse être négligé. Il s'agit d'ailleurs d'une préférence clairement énoncée par le ministre délégué à la Privatisation qu'endosse formellement le Comité. Recommandation 3: l'acquisition par des intérêts québécois des sociétés privatisées devrait être favorisée. Les effets sur l'économie seront généralement plus importants lorsque la société privatisée sera contrôlée par des résidents québécois ou lorsque la direction et le siège social de l'entreprise qui contrôlera la société privatisée seront établis au Québec. Pour cette raison, et compte tenu des sommes considérables déjà investies par les contribuables québécois dans le réseau des sociétés d'État, le gouvernement devrait favoriser, dans la mesure du possible, l'acquisition des sociétés privatisées par des intérêts québécois. Recommandation 4: l'opportunité de donner un mandat résiduel à certaines sociétés d 'État devrait être analysée à la lumière d'alternatives offertes par le secteur privé. Le comité ne voit pas l'utilité de conserver des bras séculiers c'est-à-dire des organisations résiduelles qui seraient des instruments pour les ministres de tutelle dans la réalisation de projets spéciaux. Dans les deux cas où ce bras séculier pourrait sembler le plus justifié, la SGF pour de grands projets industriels, et REXFOR, pour des projets à risques élevés dans des villages éloignés à vocation mono-industrielle, nous semblent des substituts inférieurs à des mandataires du secteur privé qui pourraient réaliser ces mêmes projets à moindre coûts et de façon plus efficace. Recommandation 5: les monopoles publics devraient faire l'objet d'un réexamen en profondeur de leur statut de monopole et de société d'État. Un processus formel de réexamen du statut des monopoles publics devrait être amorcé. Le processus de révision du statut des monopoles publics devrait analyser toutes les options qui se présentent pour réaliser les objectifs de ces derniers. Recommandation 6: l'opportunité d'utiliser le modèle de la société d'État dans le secteur d'activités subventionnées devraient être révisée à la lumière d'alternatives plus efficaces. Le statut des sociétés d'État dans le secteur subventionné devrait être examiné et des structures alternatives devraient être analysées, nommément, des organisations sans but lucratif, des mandataires privés et des organismes communautaires ou régionaux. Recommandation 7: La priorité devrait être donnée à la privatisation des entreprises stratégiques et à l'examen du statut de certains monopoles publics. La priorité devrait être donnée, dans le processus de privatisation, aux entreprises stratégiques, en particulier celles dont la privatisation combine des effets d'entraînement et une rapidité d'exécution. L'examen de certains monopoles publics, notamment la SAQ et la CSST devrait aussi être entrepris assez tôt dans le déroulement du processus. Ces sept recommandations résument le point de vue du Comité sur le processus de privatisation. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une démarche complexe qui doit être amorcée avec prudence mais aussi avec fermeté. Nous reconnaissons aussi qu'il s'agit d'un processus hautement politique. La privatisation trace essentiellement les limites de l'intervention directe du gouvernement dans la production des biens et des services. D'ici l'an deux mille, il nous apparaît évident que le dynamisme des entreprises et entrepreneurs québécois sera le principal élément structurant du développement économique du Québec. La Révolution tranquille a fait son oeuvre: elle nous a légué un secteur privé fort et dynamique. Il est temps maintenant de tourner la page.