*{ Conseil National du Bien-Être Social. 1982 } Les pauvres et les soins de santé au Canada. Introduction. En juin, quarante-huit ans se seront écoulés depuis que le Comité économique de l'Association médicale canadienne prônait la mise en place d'un régime national d'assurance-maladie visant à fournir à tous les Canadiens les avantages complets d'une médecine axée sur la prévention et la guérison, sans égard à la capacité contributive individuelle. Les provinces, bénéficiant d'un appui financier fédéral, se chargeraient de la prestation des services de santé garantis dont la portée serait vaste et qui seraient financés par l'ensemble de la population canadienne par l'entremise du régime d'impôt. Les malades n'auraient pas à débourser d'argent pour leurs soins de santé, l'objectif principal du régime consistant à abolir tout obstacle financier séparant les médecins et les malades. Le rapport remarquable du comité a fourni un des premiers plans du régime d'assurance-maladie (l'expression englobant et l'assurance-maladie et l'assurance-hospitalisation). Le régime national de soins dont dispose présentement la population canadienne ressemble étrangement au programme proposé lors de la réunion de 1934 de l'Association médicale canadienne. On a pu constater, au fil des ans, que le régime de soins de santé est un programme populaire et efficace, pour les médecins comme pour les malades. Il n'est toutefois pas certain que les Canadiens continueront à bénéficier des avantages du régime national de soins de santé. L'Association médicale canadienne, celle-là même qui a soutenu la cause de l'assurance-maladie dans les années 1930 et 1940, est maintenant, dans les années 1980, le critique le plus sévère du régime. A sa dernière réunion annuelle, l'Association médicale canadienne recommandait qu'on s'éloigne sensiblement des principes qui sous-tendent l'assurance-maladie universelle. Considérant que le régime de soins de santé au Canada ne reçoit pas du gouvernement des fonds suffisants, le corps médical a recommandé de régler le problème par la «démonopolisation» de l'assurance-maladie, ouvrant par le fait même la porte à de nouvelles sources de financement des soins dans le secteur privé. Cet argument veut tout simplement dire que les malades devraient débourser eux-mêmes, sous forme de frais directs, une partie du coût des services de santé assurés qu'ils reçoivent. Certains médecins suivent déjà les conseils de l'Association médicale canadienne. Pour accroître leurs revenus et inciter leurs gouvernements provinciaux à leur accorder des hausses d'honoraires plus généreuses, ils imposent des frais directs aux malades sous forme de suppléments d'honoraires. Les malades doivent payer de leurs poches la différence entre les honoraires prévus par le régime d'assurance provincial et le montant réel exigé par le médecin. La plupart des gouvernements provinciaux ont aussi recours à une forme ou une autre de frais modérateurs. Certains font payer aux malades leurs soins hospitaliers. D'autres ont menacé d'imposer des frais pour les visites chez le médecin aussi bien qu'à l'hôpital. Le Québec et la Colombie-Britannique sont les seules provinces qui interdisent le dépassement d'honoraires. Les frais directs sont le talon d'Achille de notre régime de soins de santé. Ils portent atteinte au caractère logique de l'assurance-maladie en faisant revivre la contradiction inacceptable de la médecine fondée sur la capacité contributive: les personnes qui font face aux plus grands risques en matière de santé - les pauvres, les malades chroniques et les personnes âgées - sont celles qui peuvent le plus difficilement s'offrir les soins de santé dont elles ont besoin. Les frais modérateurs enfreignent l'engagement qu'on avait pris au début, soit de garantir aux Canadiens de tous les niveaux de revenu gratuit à une gamme complète de soins de santé payés à l'avance. Au lieu d'améliorer l'efficacité et l'efficience du régime de soins, les frais directs nuisent au processus médical de prise de décision et accroissent les dépenses dans le domaine de la santé au lieu de les réduire. Au bout du compte, tous - médecins, malades et personnes politiques - payeront un prix élevé pour avoir eu recours à cette forme de financement privé des soins de santé; mais les plus mal en point seront encore ceux qui gagnent des revenus insuffisants et réussissent à peine à joindre les deux bouts. Les Canadiens à faible revenu sont ceux qui ont le plus bénéficié de l'avènement de l'assurance-maladie; ce sont eux qui souffriront le plus de l'effondrement du régime. Les résidents à faible et à modeste revenu en Ontario, en Alberta, en Colombie-Britannique et au Yukon sont doublement menacés par les frais modérateurs, parce qu'ils ont déjà à supporter le poids des primes d' assurancemaladie. Ces primes sont un impôt qui oblige un grand nombre de Canadiens vivant à des milliers de dollars en deçà du seuil de la pauvreté à payer le même montant que celui que déboursent les personnes à l'aise. On ne pourrait imaginer impôt plus injuste et plus mal conçu; pourtant, aucune des provinces qui exigent des primes ne semble songer à les remplacer par un impôt sur le revenu progressif. En effet, chacune a haussé ses taux ces derniers temps; en Colombie-Britannique, les résidents ont fait face au cours de la dernière année à des hausses de primes qui varient entre 51 et 76 pour cent, et en Ontario - soit la province qui impose les primes les plus élevées - on vient de hausser les primes de plus de 17 pour cent. Depuis quelques années, les soins de santé suscitent une grande controverse. Des questions telles que le dépassement d'honoraires, les hausses de primes, les frais modérateurs et les coûts de la santé ont fait l'objet d'enquêtes gouvernementales, de dossiers dans les média et de débats politiques. Le corps médical a réagi comme rarement auparavant en entreprenant une lutte pour obtenir des hausses d'honoraires et le recours au financement privé de l'assurance-maladie. Malheureusement, les citoyens ordinaires participent rarement à ce débat dont l'issue influera très nettement sur leur vie. Peu d'entre eux comprennent bien le fonctionnement du régime universel d'assurance-maladie, et encore moins les dangers qui guettent le régime en ce moment. Les jeunes et les personnes d'âge moyen n'ont pas idée des difficultés qu'on pouvait rencontrer avant l'avènement de l'assurance-maladie, et bon nombre de personnes plus âgées ont oublié ces temps difficiles. Le rapport commence par rappeler aux Canadiens les raisons pour lesquelles on a opté pour l'assurance-maladie universelle. Dans le deuxième chapitre, on explique pourquoi l'assurance-maladie est d'une importance capitale pour les familles et les particuliers à faible revenu, et dans les chapitres qui suivent, on critique les frais modérateurs et les primes d'assurance-maladie. Le rapport conclut en affirmant que le recours à des sources de financement privées est une démarche dangereuse, comportant de fausses économies; cette démarche affaiblira le régime d'assurance-maladie et nuira aux pauvres. La solution réside plutôt dans le renforcement et l'élargissement du cadre du régime de soins de santé. L'avènement d'un régime d'assurance-maladie. Le Canada a réalisé son régime national d'assurance-maladie en deux étapes. Aux termes de la Loi sur l'assurance-hospitalisation et les services diagnostiques de 1957, le gouvernement fédéral a offert de partager le coût des régimes d'assurance-hospitalisation administrés par les provinces. Neuf ans après, grâce à la Loi sur les soins médicaux, le gouvernement fédéral acceptait de partager le coût des régimes provinciaux garantissant le coût des services de médecins. Le premier avril 1972, date à laquelle le Yukon a adhéré au régime d'assurance-maladie, est une date mémorable: aux termes de la loi, à partir de ce jour, tous les hommes, femmes et enfants du Canada bénéficiaient d'un régime d'assurance-maladie. Pour bien comprendre l'importance d'un tel événement, il faut se reporter à la situation dans laquelle se trouvaient les malades et les médecins avant l'adoption du régime d'assurance. Avant l'assurance-maladie. Avant l'adoption d'un régime d'assurance-maladie, les malades devaient se débrouiller seuls pour payer leurs soins de santé. Le type et la qualité de soins disponibles dépendaient de l'argent dont disposaient les malades. Les familles à faible revenu devaient recourir à divers types de médecine de charité. Des salles gratuites dans les hôpitaux, des services publics, des sanatoria et des maisons de charité s'occupaient de fournir des soins de santé aux personnes nécessiteuses, comme le faisaient aussi des organismes privés comme les Infirmières de l'Ordre de Victoria, la Croix-Rouge et les églises. Certains gouvernements provinciaux et municipaux dédommageaient partiellement les médecins qui soignaient les pauvres, mais de façon générale on comptait sur la bonté et la générosité des médecins pour soigner les malades sans le sou, conformément à l'éthique ancienne de la profession médicale qui consiste à «s'occuper des pauvres, à faire passer le malade avant soi». Dans certains cas, la qualité des soins de santé dispensés aux malades à faible revenu peut fort bien avoir été très convenable. En effet, des médecins affirmaient que dans les hôpitaux enseignants, les pauvres bénéficiaient de services médicaux de qualité supérieure - surtout s'ils étaient atteints d'une maladie «intéressante» - même si on visait essentiellement des fins éducatives. Toutefois, un commentateur décrit les soins de santé offerts à la plupart des Canadiens pauvres comme étant généralement «un minimum vital». Si la qualité de la médecine de charité variait considérablement, les conditions dans lesquelles elle était dispensée étaient toujours peu attrayantes. Que ce soit dans les cabinets de médecin, les salles d'hôpital pour malades pauvres ou les services pour malades externes, les pauvres se voyaient offrir des soins comme une aumône, avec toute la honte que cela comporte dans notre société. Bon nombre de Canadiens ont dû se passer des soins médicaux nécessaires parce qu'ils ne pouvaient supporter l'idée d'invoquer un état de pauvreté pour rendre visite à un médecin ou entrer à l'hôpital. Les pauvres n'avaient pas non plus grand chose à dire dans le choix de leurs services de santé: faute de souliers on va nu-pieds. La plupart des Canadiens achetaient leurs soins de santé. Le plus souvent, les médecins établissaient leurs honoraires en fonction d'une échelle variable fondée sur leur évaluation de la capacité contributive des malades. Cette approche commerciale de la médecine présentait de sérieux inconvénients. Des malades à revenus semblables payaient des montants différents, selon l'endroit où ils s'adressaient pour obtenir des soins et l'intransigeance de leur médecin. Les frais généraux des médecins étaient plus importants puisqu'ils devaient s'occuper de fixer des prix et de percevoir des honoraires dans le cas de chacun des malades. Les médecins «percepteurs» devaient aussi faire face au problème de clients qui retardaient le paiement des honoraires ou ne s'en acquittaient pas. Sauf dans le cas des gens riches, une maladie grave ou chronique - surtout si elle nécessitait un long séjour à l'hôpital - pouvait précipiter la famille dans un état de grande pauvreté. Non seulement les frais médicaux grugeaient-ils l'épargne des familles, mais la perte d'emploi suivant une maladie ou une incapacité venait aggraver la situation en diminuant l'aptitude au travail. Les coûts ont empêché bon nombre de Canadiens à revenu moyen de consulter un médecin sur une base régulière ou en cas de problème particulier, de sorte qu'on cherchait souvent à se faire soigner seulement dans les stades plus avancés et plus graves d'une maladie. Les familles à revenu élevé, par contre, pouvaient se procurer des soins médicaux réguliers et le plus souvent de qualité supérieure . La Dépression a eu des effets catastrophiques sur la population canadienne, sur ses gouvernements et sur la profession médicale. Bon nombre de familles ont dû faire appel au secours municipal pour pouvoir entrer à l'hôpital, et au bon vouloir de médecins qui soignaient les pauvres à peu de frais. Les gouvernements municipaux et provinciaux n'étaient pas en mesure de dédommager adéquatement les médecins pour les soins fournis au nombre croissant de malades sans travail ne pouvant s'acquitter de leurs dépenses médicales. Bon nombre de Canadiens se sont tournés vers l'assurance-maladie pour alléger le fardeau des dépenses quotidiennes pour les soins de santé et pour se protéger contre la catastrophe financière en cas de maladie grave. Une étonnante variété de régimes d'assurance-maladie et d'assurance-hospitalisation ont été mis sur pied au cours des années qui ont suivi la Seconde guerre mondiale. Certains régimes privés étaient administrés par des hôpitaux, d'autres par des compagnies d'assurance. Les premiers régimes d'assurance-maladie publics ont vu le jour dans l'Ouest du Canada, sous forme de régimes municipaux d'assurance-maladie et d' assurancehospitalisation en Alberta, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. Mais au moment ou le gouvernement fédéral a adopté une loi sur l'assurance-hospitalisation, cinq provinces seulement offraient une forme quelconque d'assurance-hospitalisation publique. Le méli-mélo de régimes d'assurance-maladie laissait beaucoup à désirer. La protection inadéquate de la population canadienne constituait une des principales lacunes. A la fin des années 1950, moins de 40% des Canadiens bénéficiaient d'un type quelconque d'assurance-hospitalisation. Même en Ontario, où on offrait une assurance-hospitalisation financée au moyen de déductions à la source, un résident sur trois n'avait aucune protection. La Commission royale d'enquête sur les services de santé estime qu'en 1961, 59% seulement de la population canadienne jouissait d'une forme quelconque d'assurance-maladie, dispensée le plus souvent par des sociétés privées. Plus de sept millions et demi de Canadiens n'avaient aucune assurance pour aider à payer les honoraires de médecin. Et ceux qui avaient le plus besoin d'assurance-maladie - les pauvres, les personnes âgées et les malades chroniques - avaient le moins de chance de pouvoir s'en procurer. Les personnes âgées et les gens atteints d'une maladie grave ou qui revient sans cesse étaient considérés «de mauvais risques». On exigeait d'eux des primes exorbitantes - que peu d'entre eux pouvaient payer - ou on leur refusait le droit de participer à des régimes d'assurance privés. Les petits salariés et les chômeurs chroniques n'avaient pas accès aux régimes d'assurance de groupe offerts par les employeurs. L'assurance-maladie associée à l'emploi était répartie dans la population active de la même manière que le sont les pensions privées aujourd'hui. Les employés mieux rémunérés dans les grandes industries où l'assurance-maladie fait partie d'un ensemble négocié de salaires et d'avantages sociaux s'avéraient gagnants, les perdants étant ceux qui travaillaient dans de petites entreprises non syndiquées n'offrant pas ou offrant peu de protection en cas de maladie. Les travailleurs à faible revenu étaient en effet doublement défavorisés: leurs employeurs offraient rarement un régime d'assurance-maladie, et ils ne pouvaient payer les primes plus élevées des régimes d'assurance disponibles à l'extérieur de leur milieu de travail. Même les Canadiens qui bénéficiaient d'un type quelconque d'assurance-maladie n'étaient pas pleinement et adéquatement protégés contre les frais médicaux et hospitaliers. L'assurance-maladie privée fonctionnait à peu près comme fonctionne l'assurance-automobile: le malade présentant une réclamation devait payer une somme initiale fixe de sa poche (la franchise) avant que le régime d'assurance commence à payer ses frais. S'il présentait trop de réclamations suite à des maladies fréquentes, ses primes grimpaient. Les coûts et les bénéfices de l'assurance variaient d'un régime à l'autre, mais tous imposaient des limites aux montants d'assurance payés et aux types de soins de santé assurés. En 1961, seulement 7,7 millions de Canadiens - soit moins de la moitié de la population - bénéficiaient d'une assurance-maladie plus ou moins complète. Non seulement les régimes d'assurance-maladie offraient-ils une protection, des coûts et une qualité très variés, mais leurs nombres étaient aussi quasi incalculables. Lorsque l'Ontario a mis sur pied son régime d'assurance-maladie en 1967, on comptait dans la province plus de 200 assureurs distincts offrant chacun une variété de polices d'assurance comportant des primes, des conditions et des avantages très différents. Dans une optique nationale, l'assurance-maladie ressemblait davantage à une vieille couverture rongée en maints endroits qu'à une couverture épaisse et uniforme capable de protéger l'ensemble des Canadiens. Le poids inégal des coûts de la santé influait directement sur l'utilisation des services de santé. Avant l'avènement de l'assurance-maladie, les familles et les particuliers à faible revenu avaient le moins de chances d'entrer en communication avec le système de soins. L'enquête canadienne sur la maladie effectuée en 1950 a révélé l'existence d'un lien étroit entre l'utilisation des services de santé et le revenu. Les Canadiens à faible revenu étaient moins sujets que les autres à rendre visite à un médecin ou un dentiste, entrer à l'hôpital ou être opérés. Pendant les douze mois de l'enquête, le nombre de personnes pauvres ayant reçu un type quelconque de soins de santé était en moyenne de 474 sur 1 000. Comme l'indique le tableau 1, la proportion grimpait chaque fois qu'on montait une marche dans l'échelle des revenus, pour atteindre 588 personnes sur 1 000 dans la catégorie de gens aux revenus les plus élevés. L'écart entre les enfants pauvres et les autres était encore plus grand. Vers les années 1950 au Canada, seulement 368 enfants pauvres sur 1 000 recevaient une forme quelconque de soins de santé, comparativement à une proportion deux fois plus élevée chez les enfants de familles à l'aise. Ces résultats étaient très inquiétants parce qu'on sait que l'absence de soins médicaux adéquats peut nuire au développement physique et mental d'un enfant. L'enquête canadienne sur la maladie a aussi révélé que l'accès aux soins de santé variait considérablement d'une région du pays à l'autre. Deux Terre-Neuviens sur trois et plus de la moitié de l'ensemble des Québécois n'avaient eu aucun contact avec le système de soins pendant la durée de l'enquête, comparativement à 42% des Ontariens et 36% seulement des résidents de la Colombie-Britannique. Les disparités étaient encore plus marquées chez les enfants; 72% des jeunes Terre-Neuviens n'avaient reçu aucune forme de soins médicaux, hospitaliers ou dentaires, comparativement à seulement 38% des enfants en Ontario et 31% des enfants en Colombie-Britannique. Ces données révélaient des différences d'une province à l'autre quant à l'accès aux soins de santé et à l'aptitude des résidents à assumer le coût des soins. L'engagement pris par rapport à l'assurance-maladie. Les lacunes d'un système de services médicaux fournis en fonction de la capacité contributive ont été identifiées assez tôt, notamment par la profession médicale. Plus que les autres, les médecins voyaient la nécessité d'un type quelconque d'assurance-maladie publique qui protégerait la grande majorité de Canadiens ayant de la difficulté à s'acquitter de leurs frais médicaux quotidiens, sans parler des coûts prohibitifs d'une maladie grave ou prolongée. Les médecins ont aussi compris qu'ils avaient autant d'avantages à en tirer que les malades; l'assurance-maladie universelle éliminerait les comptes en souffrance, garantirait le paiement complet et régulier des soins fournis à tous leurs malades et verrait à ce que la pénurie d'argent n'empêche plus les malades de consulter leur médecin. En 1934, le Comité économique de l'Association médicale canadienne a proposé l'adoption d'un régime national d'assurance-maladie administré par les provinces et bénéficiant d'un appui financier fédéral, afin de garantir le coût d'une gamme étendue de services de santé, partant de services dentaires et pharmaceutiques et de services d'infirmières à domicile, jusqu'aux services de traitement fournis par les médecins et les hôpitaux. L'idée d'un régime universel d'assurance-maladie a rapidement recueilli des appuis. Le Conseil des hôpitaux du Canada, le Congres de l'industrie et du travail, le Congres du travail du Canada, la Fédération canadienne de l'agriculture et même l'industrie de l'assurance ont appuyé la recommandation. Un sondage effectué en 1944 révélait que 80% des Canadiens étaient favorables à la mise en place d'un régime national d'assurance-maladie. Le gouvernement fédéral a élaboré les grandes lignes d'un régime complet d'assurance-maladie administré par les provinces et bénéficiant d'un appui financier fédéral. Malheureusement, les propositions du gouvernement fédéral ont été mises au rancart, les provinces ayant refusé des modifications qui auraient augmenté les pouvoirs fédéraux en matière de fiscalité. Après la guerre, on a exercé sur les gouvernements provinciaux des pressions de plus en plus fortes afin qu'ils aident aux citoyens à supporter le coût élevé des soins de santé. La Saskatchewan a été la première province canadienne à mettre sur pied, en 1947, un régime public d' assurancehospitalisation. En 1955, quatre autres provinces - la Colombie-Britannique, l'Alberta, l'Ontario et Terre-Neuve - offraient un type quelconque d'assurance-hospitalisation publique. Il devenait toutefois de plus en plus évident que les provinces ne pouvaient supporter à elles seules le coût total de l'assurance-hospitalisation. Les demandes salariales du personnel hospitalier, la nouvelle technologie coûteuse et le «boom» des naissances ont donné lieu à une hausse de plus en plus marquée des coûts hospitaliers pendant les années 1950, ce qui mettait les gouvernements provinciaux dans l'embarras. Les provinces ont à leur tour incité le gouvernement fédéral à reprendre sa proposition de 1945 visant à partager le coût des régimes provinciaux d'assurance-hospitalisation. En 1957, le gouvernement fédéral adoptait une loi qui permettait à toutes les provinces d'offrir des régimes publics d'assurance-hospitalisation. Le succès remporté par l'assurance-hospitalisation universelle a incité la population à lutter pour la mise en place d'un régime d'assurance-maladie semblable pour tous les Canadiens. En 1961, on a mis sur pied la Commission royale d'enquête sur les services de santé, sous la direction du juge Emmett Hall, dans le but de proposer des mécanismes de réforme du méli-mélo de régimes d'assurance-maladie au Canada. Les commissaires - un juge, un cadre supérieur, un économiste, une infirmière et trois médecins - ont publié un rapport remarquable. L'Association médicale canadienne (qui avait retiré son appui à l'idée d'un régime universel d'assurance-maladie), plusieurs gouvernements provinciaux et l'industrie de l'assurance ont incité la Commission à adopter un régime d'assurance-maladie à deux paliers - une assurance privée pour la majorité des Canadiens, et des subventions gouvernementales pour ceux qui ne pouvaient payer des primes d'assurance. Les commissaires ont proposé plutôt un seul régime universel d'assurance-maladie calqué sur le régime fédéral d'assurance-hospitalisation adopté en 1957. Le juge Hall et ses collègues ont fondé leurs décisions sur des motifs tant pragmatiques que philosophiques. Les commissaires ne croyaient tout simplement pas qu'on puisse combler les lacunes des régimes privés d'assurance-maladie en multipliant le nombre de ces régimes. Ils mettaient en doute l'aptitude de l'industrie de l'assurance à améliorer la qualité de ses bénéfices ou à étendre ses services aux groupes importants qui n'étaient pas protégés - les agriculteurs, les travailleurs autonomes, les employés de petites entreprises, les personnes âgées et les malades chroniques. Les proportions estimatives de personnes devant compter sur des subventions gouvernementales pour payer leurs primes d'assurance-maladie variaient de 33 à plus de 60%. Un régime d'assurance à deux paliers apparaissait plus coûteux et plus lourd qu'un régime uniforme d' assurancemaladie publique. Non seulement le marché privé représentait-il un moyen inefficace de garantir des services de santé à l'ensemble des Canadiens, mais il était aussi tout à fait inapte à réaliser l'objectif visé par la Commission, soit une gamme complète de services de santé garantis. L'assurance-maladie privée visait à protéger les malades contre le fardeau des frais médicaux et hospitaliers. Mais les commissaires envisageaient un système de soins de santé plus complet - s'adressant à la prévention aussi bien qu'au traitement, au maintien de la santé aussi bien qu'au soulagement de la maladie - et voulaient que les soins soient également accessibles à tous les Canadiens, en fonction de leurs besoins plutôt que de leurs moyens financiers. Seul un régime national d'assurance-maladie financé grâce aux ressources combinées de l'ensemble de la population canadienne pouvait offrir une gamme complète de services de santé garantis. Les commissaires préféraient l'assurance-maladie publique aussi parce qu'ils considéraient le marché privé où acheteurs et vendeurs s'échangent des biens et services en fonction d'un mécanisme de prix - comme une méthode fondamentalement inappropriée à la prestation de services de santé. Les soins de santé ne sont pas un bien comme les autres: ils sont trop importants pour être vendus comme un pain de savon ou pour être assurés comme une automobile. La relation entre le malade et le médecin ne doit pas non plus être considérée comme une transaction financière entre un acheteur et un vendeur. C'est pour cette raison que la Commission royale a considéré l'assurance-maladie - payée d'avance par l'entremise du régime d'impôt et disponible sans frais directs aux malades comme la pierre angulaire du régime de soins de santé au Canada. Le juge Hall en fait un exposé éloquent dans son étude de 1980 sur l'assurance-maladie universelle: «dans notre société, le traumatisme causé par les maladies, la douleur engendrée par les opérations chirurgicales et le lent acheminement vers la mort constituent suffisamment de fardeaux sans avoir à y ajouter celui qui provient des frais médicaux et hospitaliers frappant le malade au moment où il est vulnérable. Les Canadiens ont décidé de s'unir pour payer leurs frais médicaux et hospitaliers lorsqu'ils sont en bonne santé et lorsqu'ils touchent un revenu. On ne pouvait plus comparer les services de santé à des articles que l'on achetait dans un rayon de magasin et que l'on payait à la sortie; il n'était pas question non plus de discuter du prix de ces services quand on en avait besoin. Ils constituaient un besoin fondamental, comme l'éducation, mis à la disposition de tous les Canadiens qui pouvaient les payer grâce au système d'impôts». Les normes nationales. Les recommandations de la Commission royale d'enquête sur les services de santé touchant l'assurance-maladie ont pour la plupart été mises en oeuvre lors de l'adoption de la Loi sur les soins médicaux de 1966. Comme dans le cas de l'assurance-hospitalisation, le gouvernement fédéral offrait de partager la moitié du coût des régimes provinciaux d'assurance-maladie pourvu que les provinces respectent certaines conditions visant à maintenir des normes nationales en matière de soins de santé. Ces conditions - universalité, accessibilité, caractère complet des services assurés, transférabilité et administration publique - sont appelées les «cinq principes» du régime d'assurance-maladie du Canada. Les services de santé assurés doivent être universels, c'est-à-dire être offerts à tous les résidents à des conditions uniformes. Le principe de l'accessibilité stipule que les services assurés doivent être offerts d'une manière «qui n'écarte ni n'exclut, directement ou indirectement, soit au moyen d'honoraires exigés des personnes assurées soit autrement, une possibilité raisonnable pour les personnes assurées de bénéficier des services assurés». Les provinces doivent offrir une gamme complète de services, comme il est spécifié dans les lois sur les soins hospitaliers et médicaux. Les soins de santé doivent être transférables; une province doit garantir les frais de services assurés dispensés à des résidents en visite dans une autre province de même qu'aux résidents qui sont déménagés et qui attendent d'être protégés par le régime d'assurance de leur nouvelle province. Enfin, le régime doit être administré sur une base non lucrative par un organisme public du gouvernement provincial. L'assurance-maladie et les pauvres. Les Canadiens ont tous bénéficié de l'avènement de l'assurance-maladie universelle, mais les pauvres encore plus que les autres. Le régime d'assurance-maladie a considérablement aidé à rétrécir l'écart entre les ménages à faible revenu et les autres dans le domaine de la santé. L'écart entre les riches et les pauvres en matière de santé. La pauvreté ne peut être mesurée seulement en termes d'argent, car elle a aussi des répercussions dans le domaine de la santé. Les Canadiens à faible revenu courent des risques de mort prématurée, de maladie et d'invalidité supérieurs à la moyenne. La Direction générale de la protection de la santé du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social a comparé l'espérance de vie des Canadiens de différents niveaux de revenu. Les résultats indiquent l'existence d'un lien étroit entre le revenu et l'espérance de vie. En 1971, l'espérance de vie à la naissance des garçons à faible revenu était de 66,3 années. Chez les garçons du groupe aux revenus les plus élevés, par contre, l'espérance de vie était de 72,5 années - soit plus de 6 ans de plus que chez leurs contre-parties à faible revenu. Les différences sont semblables chez les filles, quoique moins marquées; l'espérance de vie des filles nées dans des familles pauvres était de 74,6 années, comparativement à 77,5 années chez celles qui se trouvent dans le groupe aux revenus les plus élevés. Le rapport entre le revenu et l'espérance de vie est direct et constant. Le groupe aux revenus les plus faibles à l'espérance de vie la moins longue, le groupe immédiatement au-dessus à une espérance de vie un peu plus élevée, et ainsi de suite jusqu'au groupe aux revenus les plus élevés dont l'espérance de vie est la plus longue. Le tableau 2 qui précède présente 12 rapport entre le revenu et l'espérance de vie. Il existe aussi un lien entre les taux de mortalité infantile et le revenu. Les bébés de parents à faible revenu sont presque deux fois plus susceptibles de mourir avant l'âge d'un an que les bébés des familles aux revenus les plus élevés. Plus le niveau de revenu est faible, plus le taux de mortalité infantile est élevé. Le tableau suivant donne un résumé des résultats. Les bébés dans des familles à faible revenu risquent plus que la moyenne de mourir des suites de complications pendant la grossesse et l'accouchement, du syndrome d'enfants morts au berceau (crib death), et de problèmes congénitaux associés aux systèmes circulatoire et respiratoire. Les enfants pauvres d'un an à quatorze ans risquent plus que la moyenne de mourir du cancer, de maladies respiratoires et d'anomalies congénitales. Chez les 15 à 34 ans à faible revenu, on note un plus grand risque de mourir de maladies du coeur, de suicide et d'homicide. Les personnes pauvres de 35 à 64 ans sont plus susceptibles de mourir de tuberculose, de cancer, de diabète, de pneumonie et de maladies respiratoires. Le rapport du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social n'est pas la seule étude canadienne a démontrer que les pauvres ont tendance à vivre moins longtemps. Une étude montréalaise a révélé que les résidents des quartiers à faible revenu pouvaient s'attendre à vivre en moyenne pendant 68 ans - soit cinq ans de moins que la moyenne pour la ville de Montréal et neuf ans de moins que la durée de vie moyenne dans les quartiers aux revenus les plus élevés. Les conclusions des chercheurs sont renversantes: «Alors que les résidents des régions de Montréal les plus à l'aise ont une espérance de vie inégalée dans tout autre pays au monde, l'espérance de vie dans les quartiers les plus défavorisés ressemble davantage à celle du Tiers-Monde, ou à celle qui s'appliquait au Canadien moyen d'il y a trente ans». Les Canadiens à faible revenu font aussi face à un plus grand risque de maladie que les Canadiens à revenu moyen et élevé. Jusqu'à tout dernièrement, on ne disposait que de preuves restreintes pour appuyer cette affirmation. L'Enquête de 1980 sur la santé des Canadiens fournit maintenant des données sur l'état de santé de différents groupes de la population, à la grandeur du pays. L'Enquête sur la santé des Canadiens révèle l'existence d'un lien marqué entre le revenu et la maladie. Le groupe à faible revenu a écopé de 25% de tous les problèmes de santé, bien qu'il ne représente que 20% de la population. Le groupe majoritaire de personnes non pauvres, par contre, a rapporté seulement 75% de tous les problèmes de santé, bien qu'il représente 80% de l'échantillon. En d'autres mots, les Canadiens pauvres ont plus que leur part des problèmes de santé. Ceux du groupe aux revenus les plus faibles avaient plus que leur part de maladies telles que les maladies du coeur, les bronchites et l'emphysème, le diabète et l'anémie. Les personnes pauvres étaient aussi plus susceptibles que les répondants à revenu plus élevé de manifester des symptômes d'anxiété et de dépression. En tout et partout, les personnes à faible revenu couraient un risque supérieur à la moyenne de faire face à 18 des 21 maladies étudiées dans le cadre de l'Enquête. L'Annexe A donne un aperçu des résultats. L'assurance-maladie et l'écart entre riches et pauvres en matière de santé. Les risques que courent les Canadiens à faible revenu en matière de santé sont liés aux conditions de vie des gens qui vivent en deçà du seuil de la pauvreté. Une alimentation inadéquate, des logements insalubres et bondés, des conditions de travail et de vie dangereuses, des emplois irréguliers et des revenus instables influent sur la santé des adultes comme des enfants pauvres. La pauvreté crée un stress qui à son tour accroît le risque de maladies physiques et psychologiques et mine l'aptitude du corps à lutter contre l'infection et à surmonter la maladie. L'assurance-maladie et les services de santé garantis par le régime ne peuvent à eux seuls briser le lien entre la pauvreté et la maladie. Pour abolir l'écart, il faut des politiques sociales - notamment des programmes de sécurité de revenu, de services sociaux et d'emploi - qui luttent contre la pauvreté comme telle et en réduisent les effets. Néanmoins, un système de soins de santé accessible demeure la première ligne de défense contre les torts physiques et psychologiques que subissent les familles vivant en deçà du seuil de la pauvreté. Les Canadiens à faible revenu ont plus que tous les autres besoin de ce que la médecine moderne a de mieux à offrir. Alors que les services médicaux et hospitaliers s'adressent principalement aux personnes malades, des programmes de santé visant le dépistage précoce de la maladie et la prévention de problèmes médicaux grâce à une alimentation, des soins prénataux et un mode de vie plus adéquats peuvent aider à diminuer les risques que courent les adultes et les enfants pauvres en matière de santé. Comme l'avaient compris les architectes de l'assurance-maladie, les soins de santé doivent être accessibles à tous. Seul un régime universel d'assurance-maladie peut surmonter l'obstacle principal - la pénurie d' argentqui a toujours empêché les Canadiens à faible revenu d'avoir recours au système de soins de santé. Les données révèlent nettement que l'assurance-maladie a rapidement amélioré l'accès des malades à faible et à modeste revenu aux soins de santé. Avant l'adoption de l'assurance-maladie, les citoyens à faible revenu faisaient face aux plus grands risques pour la santé, mais faisaient moins souvent appel au système de soins que ceux des groupes aux revenus plus élevés. Lorsque l'assurance-maladie a donné accès aux soins de santé en fonction du besoin de services plutôt que de la capacité contributive, on a constaté chez les Canadiens pauvres une augmentation sensible du recours aux services médicaux. Des chercheurs à l'Université McGill ont constaté que les consultations médicales des familles pauvres de Montréal ont augmente de 18% pendant la première année d'application du régime d'assurance-maladie du Québec. La proportion a grimpé de 9% chez le groupe de revenu immédiatement au-dessus, aucun changement n'est apparu chez les familles à revenu moyen, et les gens des groupes aux revenus les plus élevés ont consulté un peu moins souvent. Des études effectuées en Alberta et en Saskatchewan ont aussi conclu que les Canadiens à faible revenu sont ceux qui ont le plus bénéficié de l'avènement de l'assurance-maladie. L'expérience au Québec prouve qu'on avait tort d'affirmer que le régime d'assurance-maladie a entraîné un abus du système de soins de santé. En réalité, l'assurance-maladie est venue en aide à ceux qui avaient réellement besoin de soins médicaux, notamment aux personnes à faible revenu aux prises avec de sérieux problèmes de santé. Dans le cadre de l'enquête montréalaise, on a demandé aux participants s'ils avaient éprouvé un ou plusieurs des 14 symptômes courants - variant entre une toux persistante et des douleurs dans la poitrine chez les adultes et les bronchites chez les enfants - qui nécessitent un diagnostic médical. Avant l'assurance-maladie, l'écart entre les riches et les pauvres se manifestait de deux façons. Les hommes, femmes et enfants à faible revenu rapportaient avec la plus grande fréquence tous les symptômes énumérés à l'exception d'un seul. Ils étaient aussi les moins susceptibles d'avoir consulté un médecin au sujet de leurs problèmes de santé. L'assurance-maladie a donné lieu à deux résultats bénéfiques. La fréquence moyenne des consultations médicales de la part de l'ensemble des Montréalais n'a pas beaucoup changé, mais le taux de consultation chez les gens faisant état de symptômes de maladie possiblement sérieux s'est considérablement accru après la première année d'application du régime d'assurance-maladie. Et bien que les pauvres aient continué d'éprouver plus que leur part de symptômes, l'assurance-maladie leur permettait, plus qu'a tous les autres groupes de revenu, de bénéficier d'un diagnostic médical. L'avènement de l'assurance-maladie au Québec a aussi sensiblement amélioré l'accès aux soins de santé préventifs. La proportion de femmes consultant un médecin avant le troisième mois d'une grossesse est passée de 41 à 55 pour cent après la première année seulement d'application de l'assurance-maladie. Le taux de consultations prénatales chez les femmes à faible revenu a plus que doublé, passant de 27 a 56 pour cent. On à constaté une hausse semblable quant au nombre de femmes demandant un examen médical pour leur bébé, et encore une fois, ce sont les mères pauvres qui ont le plus bénéficié de la situation. Trois ans seulement après que la dernière province ait adopté un régime d'assurance-maladie, on avait renversé l'image traditionnelle sens dessus dessous de la consommation des soins de santé, c'est-à-dire des personnes pauvres utilisant le moins le régime de soins de santé. Une étude effectuée par le Conseil économique du Canada à l'échelle nationale a révélé que le recours aux services médicaux en 1974 était fonction des risques en matière de santé: plus le revenu d'une personne était faible, plus elle avait recours aux soins de santé. Ce rapport inverse entre le revenu et l'utilisation des services médicaux se manifestait même chez des particuliers des mêmes âges, niveau de scolarité, région, durée d'emploi, emploi et taille familiale. Le tableau 4 démontre comment les Canadiens pauvres bénéficient plus que les autres de l'assurance-maladie, notamment en ce qui à trait aux soins hospitaliers. Malheureusement, on ne peut plus considérer comme des droits acquis les réalisations du régime d' assurancemaladie. La profession médicale et plusieurs gouvernements provinciaux exercent des pressions fortes et croissantes en vue de briser la promesse de l'assurance-maladie et faire payer directement aux malades leurs soins de santé. Frais modérateurs: refiler le fardeau aux malades. Grâce au régime d'assurance-maladie, les malades ne devraient pas avoir à payer directement leurs soins de santé. C'est la raison d'être de l'assurance-maladie: on soulage les malades individuels du fardeau financier, et l'ensemble de la population canadienne assume le coût des services garantis, par l'entremise du régime d'impôt. Malheureusement, on n'a pas encore réalise pleinement partout au Canada cet objectif fondamental de notre système de soins, c'est-à-dire l'abolition d'obstacles financiers aux soins de santé. Des malades doivent encore assumer eux-mêmes une partie des coûts de leurs services médicaux et hospitaliers garantis. Et s'il n'en tenait qu'à la profession médicale et à plusieurs gouvernements provinciaux, les Canadiens devraient tous débourser une certaine somme d'argent chaque fois qu'ils se rendent chez le médecin ou à l'hôpital. Frais modérateurs relatifs aux soins de santé. Les malades peuvent faire face à deux types de frais lorsqu'ils ont recours à des services de santé garantis, selon leur lieu de résidence et le médecin qu'ils consultent. Les «suppléments d'honoraires» sont un type de frais directs aux malades exigés par certains médecins, alors que les «frais autorisés» sont des frais imposés dans plusieurs provinces aux malades ayant recours à des services hospitaliers. Dans les paragraphes qui suivent, nous décrivons ces frais modérateurs; nous expliquerons ensuite pourquoi les pressions croissantes visant à multiplier le recours à ces frais menacent de façon sérieuse notre régime de santé en général et les Canadiens à faible revenu en particulier. a) Suppléments d'honoraires. Les médecins sont rémunérés par le régime d'assurance-maladie de leur province en fonction d'un barème d'honoraires s'appliquant à des services garantis. Mais depuis quelques années, parce qu'ils sont mécontents du montant des honoraires reçus aux termes du barème établi, un nombre important de médecins dans certaines provinces font payer directement aux malades un supplément d'honoraires. Cette pratique est communément appelée «supplément d'honoraires», bien qu'on parle aussi parfois de «dépassement d'honoraires» ou de «participation des malades au coût des services». Les modalités des suppléments d'honoraires sont assez compliquées, et varient d'une province à l'autre. L'essentiel à retenir, c'est que le malade doit payer de sa poche les honoraires additionnels. A Terre-Neuve, en Ontario et au Manitoba, les médecins qui désirent imposer des honoraires additionnels doivent se désengager du régime provincial d'assurance-maladie et faire payer à leurs malades le plein montant des honoraires. Les malades payent les honoraires du médecin et réclament ensuite au régime d'assurance le remboursement du montant prévu au barème d'honoraires; ils payent donc de leur poche toute différence entre les honoraires du médecin et la somme prévue au barème. En Colombie-Britannique, au Yukon et dans les territoires du Nord-Ouest, la même approche prévaut en théorie, mais les médecins ont accepté de ne pas se désengager ou exiger des suppléments d'honoraires. Dans cinq autres provinces - Alberta, Saskatchewan, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse et ?le-du-Prince-Édouard les médecins peuvent exiger un supplément d'honoraires sans devoir se retirer du régime d'assurance-maladie. En Alberta et en Nouvelle-Écosse, les médecins peuvent exiger des honoraires additionnels; ils réclament les honoraires autorisés au régime d'assurance-maladie et le supplément aux malades. En Saskatchewan, au NouveauBrunswick et à l'?le-du-Prince-Édouard, les médecins qui veulent obtenir des honoraires additionnels doivent faire payer le plein montant des honoraires aux malades, qui réclament ensuite le remboursement de la somme prévue au barème d'honoraires au régime d'assurance provincial; toutefois, les médecins peuvent réclamer leurs honoraires au régime provincial pour les soins fournis aux malades à l'égard desquels ils n'exigent pas de supplément. La province de Québec a adopte une approche tout à fait différente de la question du dépassement d'honoraires. Pour avoir le droit d'exiger des honoraires excédant ceux qui sont prévus au barème, les médecins du Québec doivent se retirer complètement du régime d'assurance-maladie. Leurs malades doivent payer le plein montant des honoraires et n'ont droit à aucun remboursement du régime d'assurance provincial. L'étendue de la pratique du dépassement d'honoraires varie considérablement d'un bout à l'autre du pays, comme l'indique l'Annexe B. On compte très peu de médecins réclamant un supplément d'honoraires à l'heure actuelle en Colombie-Britannique, au Yukon et dans les territoires du Nord-Ouest. La proportion de médecins désengagés est de 15,5% en Ontario, de 5,9% au Manitoba, et de 0,4% seulement à Terre-Neuve. Toutefois, ces médecins ne réclament pas nécessairement un supplément d'honoraires à tous leurs malades ou pour tous leurs services, de sorte que la proportion réelle est plus faible que ne le laissent croire les données. En Ontario, par exemple, seulement 7% environ des services fournis par les médecins entraînent un supplément d'honoraires. La pratique est très répandue en Alberta, en Saskatchewan et en Nouvelle-Écosse, où de 31% à 52% des médecins réclament des honoraires additionnels à certains malades. Environ 14% des médecins exigent un supplément d'honoraires au Nouveau-Brunswick, et à peu près 6% font de même à l'?le-du-Prince-Édouard. Au Québec, 49 seulement des 9 8A6 médecins ne participent pas au régime provincial d'assurance-maladie. Le dépassement d'honoraires est beaucoup plus répandu dans certaines collectivités et au sein de certaines spécialisations, de sorte que dans des régions données, les malades ont de la difficulté à trouver un médecin qui ne réclame pas d'honoraires additionnels. Les spécialistes sont plus portés à réclamer un supplément d'honoraires que ne le sont les omnipraticiens. Les suppléments d'honoraires sont plus répandus dans les villes que dans les villages et les régions rurales; à la fin de janvier 1982, environ 62% des médecins à Calgary et 55% des médecins à Edmonton exigeaient des suppléments d'honoraires, alors que le taux provincial était de 44%. La plupart des dermatologues, obstétriciens, ophtalmologistes et oto-rhino-laryngologistes en Alberta exigent des suppléments d'honoraires. Au Manitoba, 19 des 40 radiologistes de la province se sont retirés du régime d'assurance-maladie et exigent parfois jusqu'à 50% de plus que le montant prévu au barème d'honoraires. En Ontario, un spécialiste sur cinq s'est retiré du régime provincial d'assurance-maladie, la moitié des orthopédistes de la province réclament 30% de plus que le tarif prévu, et des obstétriciens à Toronto exigent un supplément d'honoraires de $150 à $350 pour des services fournis en cours de grossesse. Une étude effectuée dans le cadre de l'enquête Hall a révélé que 40% des médecins dans certains comtés ontariens s'étaient retirés du régime d'assurance, et que dans certains villages, la proportion atteignait 80%. b) Frais autorisés. Le dépassement d'honoraires n'est pas le seul moyen de faire payer des suppléments aux Canadiens pour leurs soins de santé. Plusieurs provinces font aussi payer des «frais autorisés» aux malades qui reçoivent des services assurés en milieu hospitalier. Comme l'indique l'Annexe C, les types de participation aux frais d'hospitalisation et les coûts varient considérablement. En Colombie-Britannique et à Terre-Neuve, les malades dans les hôpitaux généraux doivent débourser respectivement $7,50 et $3 par jour, alors qu'en Alberta, les malades doivent payer des frais d'entrée de $5 au moment de l'admission à l'hôpital. Quatre provinces - la Colombie-Britannique, l'Alberta, l'Ontario et le Québec - imposent des frais aux malades hospitalisés pour des maladies chroniques ou à long terme, et les malades hospitalisés au Nouveau-Brunswick et au Manitoba qui attendent de pouvoir entrer dans des maisons de repos ont aussi des frais quotidiens à payer. En Colombie-Britannique, les hôpitaux font payer aux malades externes chaque visite au service d'urgence et au service de chirurgie externe. Il n'existe aucune forme de participation aux frais d'hospitalisation au Yukon, dans les territoires du Nord-Ouest, en Saskatchewan, en Nouvelle-Écosse et à l'?le-du-Prince-Édouard. Toutes les provinces qui exigent une participation aux frais d'hospitalisation offrent une exemption à certains groupes. Les assistés sociaux, les personnes âgées et les enfants n'ont habituellement pas de frais à payer bien que, comme on peut le voir à l'Annexe C, la situation varie selon la province et le type de frais. Dans la plupart des provinces, les travailleurs à revenu faible et modeste ne bénéficient pas d'une exemption. Les inconvénients des frais modérateurs. Les frais modérateurs vont à l'encontre des prémisses du régime universel d'assurance-maladie. En vertu du programme d'assurance-maladie, les malades ont payé à l'avance leurs soins de santé par le biais du régime d'impôt et, dans quelques provinces, de primes. Si «raisonnables» soient-ils, les frais modérateurs font payer un impôt aux malades et sapent ainsi à la base du principe de soins de santé payés à l'avance. Pis encore, les frais modérateurs représentent un impôt régressif sur la maladie: les frais modérateurs hospitaliers de $7,50 par jour en Colombie-Britannique sont une piètre somme pour les malades à l'aise, mais représentent le double du taux horaire des travailleurs qui gagnent le salaire minimum. De plus, le malade à revenu élevé dispose probablement d'une assurance privée supplémentaire qui garantira la majeure partie des frais modérateurs. Le petit salarié, par contre, à peu de chances de participer à un régime d'assurance individuel ou offert par l'employeur qui garantit les services non assurés par le régime d'assurance-maladie. Les frais modérateurs sous forme d'honoraires additionnels et de frais hospitaliers autorisés imposent un fardeau aux familles au moment même où, aux prises avec la maladie, elles sont le moins en mesure de faire face au souci additionnel de frais médicaux à payer. Le fardeau financier peut être lourd à porter pour les malades à faible et à moyen revenu qui requièrent un séjour hospitalier prolongé ou des services onéreux de la part d'un spécialiste qui exige plus que le montant prévu au barème d'honoraires. Les malades à revenu modeste qui doivent payer un supplément d'honoraires peuvent se trouver dans l'embarras en attendant un remboursement du régime provincial d'assurance-maladie. Le fait que les personnes âgées, les assistes sociaux et d'autres groupes défavorisés soient la plupart du temps (mais pas toujours) exonérés des frais ne rend d'aucune façon la participation aux frais d'hospitalisation et les suppléments d'honoraires plus attrayants. Au contraire, l'habitude de faire payer la plupart des malades et d'exempter «les personnes nécessiteuses» (ou certaines d'entre elles) fait revivre la notion de médecine de charité qui devrait appartenir au passé. Les suppléments d'honoraires sont particulièrement rétrogrades parce que, comme à l'époque précédant le régime d'assurance-maladie, ils obligent les médecins à fixer eux-mêmes le coût de leurs services et à juger de la capacité contributive de leurs malades - un rôle commercial qui est étranger à la pratique de la médecine dans notre régime de santé actuel. Les frais modérateurs enfreignent la lettre aussi bien que l'esprit de la loi canadienne sur l' assurancemaladie. Des données provenant de la Saskatchewan, de l'Ontario et de l'Alberta démontrent que les frais modérateurs relatifs aux services de médecins nuisent à l'accès des Canadiens à faible revenu aux soins de santé. Les provinces qui autorisent les suppléments d'honoraires et envisagent des frais modérateurs additionnels enfreignent deux conditions de la loi fédérale sur l'assurance-maladie - que les services garantis soient mis à la portée de tous les citoyens, et qu'ils soient disponibles à des conditions identiques pour tous. Il y a plus d'une décennie, la Saskatchewan a mis à l'essai puis abandonne une formule de frais modérateurs dans le cadre des soins de santé. De 1968 à 1971, les malades déboursaient $1,50 pour chaque visite au cabinet du médecin, $2 pour une visite à domicile et des services hospitaliers pour malades externes, et $2,50 par jour pour un lit d'hôpital; en dollars d'aujourd'hui, ces montants seraient d'environ $2,35, $3,15 et $3,95. Seuls les assistés sociaux étaient exonérés des frais modérateurs. Les frais directs avaient occasionné les plus grandes difficultés aux familles à faible revenu. La baisse de services de tous genres avait été de 18% chez les familles pauvres la première année, soit une proportion plus de deux fois et demie supérieure à celle de l'ensemble des familles. Chez les familles âgées et les grosses familles vivant en deçà du seuil de la pauvreté, on notait une diminution de 24% dans le recours aux soins de santé, soit plus de trois fois plus que la moyenne. Une étude effectuée récemment en Ontario sur le dépassement d'honoraires a fourni des preuves très nettes des conséquences odieuses des honoraires additionnels. Les malades dont le médecin exigeait un supplément d'honoraires étaient plus enclins à diminuer ou à retarder leurs visites chez le médecin que les malades dont le médecin n'exigeait aucun supplément. L'effet dissuasif des honoraires additionnels était plus marqué chez les personnes à faible revenu, qui étaient beaucoup plus susceptibles de réduire ou de retarder leurs visites chez le médecin lorsqu'elles devaient faire face à des frais modérateurs. Les suppléments d'honoraires étaient élevés. Chez ceux qui ont rapporté le montant du supplément payé, les suppléments excédaient dans presque la moitié des cas les honoraires proposés dans le barème de l'Association médicale ontarienne, qui dépassait d'environ 43% le barème d'honoraires autorisés. Comme prévu, une proportion de malades pauvres plus grande que la proportion de malades non pauvres ont avoué que les suppléments d'honoraires leur causaient des difficultés financières. Dans les quatre régions ontariennes sur lesquelles portait l'enquête, le dépassement d'honoraires était suffisamment répandu pour restreindre de façon sérieuse l'accès aux services médicaux chez les familles à faible revenu. Plus d'un quart des malades pauvres avaient eu de la difficulté à trouver dans leur collectivité un médecin participant au régime d'assurance-maladie. On a pu constater souvent des preuves de la honte associée à la médecine de charité. La majorité des malades ayant dû payer des honoraires additionnels ont affirmé qu'ils n'oseraient pas demander à un médecin de réduire ses honoraires. Les Albertains à faible revenu éprouvent aussi des difficultés suite au dépassement d'honoraires fort répandu dans la province. Une étude effectuée par un économiste de l'Université de l'Alberta a révélé que plus de 4 pour cent des assistés sociaux qui ont consulté un médecin entre le mois d'août 1980 et le mois d'août 1981 ont dû payer des suppléments d'honoraires; il en était de même de plus d'un petit salarié sur dix et de 3,4 pour cent des malades âgés. Si la pratique des suppléments d'honoraires devait se poursuivre, elle nuirait de façon sérieuse à notre système de soins de santé. Ceux qui ne peuvent payer ces coûts supplémentaires ont un choix de médecins restreint. Les malades pauvres pourraient être forcés de se faire soigner dans des services hospitaliers pour malades externes au lieu de s'adresser au cabinet du médecin - un retour en arrière regrettable au système de soins médicaux à deux paliers que devait abolir le régime d'assurance-maladie. Il ne sert à rien aux médecins de clamer qu'ils n'imposeraient jamais d'honoraires additionnels aux malades dans le besoin, car la honte et l'humiliation qui vont de pair avec la médecine de charité peuvent empêcher des personnes pauvres d'avoir recours aux services médicaux dont elles ont besoin. Les suppléments d'honoraires et les autres types de frais modérateurs risquent de faire jouer aux malades un jeu risqué où ils établiront eux-mêmes leur diagnostic et leur traitement. Par exemple, une mère seule dont le bébé affiche une température élevée doit décider s'il s'agit d'une simple grippe ou s'il y a lieu de consulter un médecin. Le budget de la mère risque fort d'être limité, de sorte qu'elle y pensera deux fois avant de consulter le médecin si elle doit débourser une somme d'argent. Il se peut que la fièvre ne soit pas un symptôme grave, mais s'il s'agissait d'un symptôme de méningite, le bébé risque de subir un dommage permanent au cerveau ou même de mourir s'il n'est pas soigné assez rapidement. En réinstallant des obstacles financiers entre les malades et le régime de soins de santé, les frais modérateurs nuisent au processus médical de prise de décision et mettent en danger l'état de santé des Canadiens à faible et à modeste revenu. Les médecins sont les portiers du système complet de soins de santé. Il appartient aux omnipraticiens de décider si le malade requiert des soins médicaux supplémentaires et dans ce cas, si le malade peut être soigné par son médecin ou s'il y a lieu de le diriger vers un spécialiste pour des soins de diagnostic et de traitement, à l'hôpital s'il le faut. Les malades que les frais modérateurs empêchent de consulter un médecin sont ainsi prives d'une gamme étendue de soins de santé. Les frais modérateurs sont répréhensibles parce qu'ils empêchent d'atteindre l'idéal de soins de santé accessibles à tous; mais ils constituent aussi un échec majeur en leur nom propre. Contrairement à ce qu'affirment leurs défenseurs, les frais directs ne limitent pas les dépenses en décourageant le recours «inutile» aux soins de santé. Certaines données permettent même de croire qu'un régime de santé qui autorise des frais directs coûte plus cher qu'un régime du type de l'assurance-maladie finance entièrement à même les fonds publics. La mise à l'essai de frais modérateurs en Saskatchewan de 1968 à 1971 n'a pas dissuade les malades d'avoir recours aux soins hospitaliers. Le nombre de malades admis à l'hôpital et la durée moyenne de séjour n'ont pas baisse durant la période d'application de frais modérateurs quotidiens. Le recours aux soins hospitaliers n'a pas non plus augmenté après l'abolition des frais directs. Ces résultats s'appliquent aussi bien au cas des malades pauvres qu'à celui des autres malades. L'inaptitude des frais modérateurs à réduire sensiblement le recours aux soins hospitaliers n'a rien d'étonnant. Les malades ne sont admis à l'hôpital qu'à la demande d'un médecin. Il est insensé de croire que des frais modérateurs pourraient dissuader des gens d'entrer à l'hôpital ou d'y demeurer le temps nécessaire au traitement recommandé. Il n'est pas plus sensé de croire que des frais modérateurs devraient arriver à ce faire. Les frais modérateurs en Saskatchewan ont réduit le recours aux services de médecins, mais chez les résidents à faible revenu seulement. Par conséquent, l'effet dissuasif global des frais directs sur la population a été minime. L'expérience en Saskatchewan ne permet donc pas d'affirmer que les frais modérateurs peuvent diminuer les coûts en réduisant la demande de services de santé. Les frais modérateurs ont de plus entraîne un «effet de rebondissement» qui a effacé toute épargne provenant d'une moins grande utilisation des soins de santé de la part des malades pauvres. L'«examen complet» est le seul type de service médical qui a connu une hausse après l'entrée en vigueur des frais directs. Il se peut que les médecins aient réagi à la baisse éventuelle du nombre de malades - et donc de leurs revenus - suite à l'imposition de frais modérateurs, en remplaçant les examens sommaires moins coûteux par des examens plus longs et plus dispendieux. L'effet de rebondissement peut peut-être expliquer pourquoi des malades à revenu moyen ont fait un plus grand usage des services médicaux après l'entrée en vigueur de frais directs. Cet effet inverse des frais modérateurs peut être le résultat du nombre accru de visites de rappel exigées par les médecins; les frais directs risquant peu de dissuader les personnes à revenu moyen et élevé de se rendre chez le médecin, les malades à revenu plus élevé étaient plus susceptibles d'être rappelés plus souvent chez le médecin. On peut aussi supposer que les malades à revenu élevé ont eu recours aux services médicaux plus souvent parce que le nombre réduit de malades à faible revenu a raccourci la liste d'attente pour des rendez-vous et la période d'attente au cabinet des médecins. De toute manière, les frais modérateurs ont eu chez certains malades l'effet contraire à celui qu'on souhaitait. Même si les frais modérateurs pouvaient réduire sensiblement la demande globale de services de santé, les dépenses en matière de santé pourraient quand même grimper. Les médecins de la Saskatchewan ont obtenu deux hausses d'honoraires importantes pendant la période d'application des frais directs. Ces hausses ont augmenté les coûts de la santé et ont largement compensé les pertes de revenu que les médecins auraient pu subir suite à l'effet dissuasif des frais modérateurs. Si les honoraires n'avaient pas augmenté, il se pourrait fort bien que les médecins aient eu davantage recours aux activités «de rebondissement» déjà signalées pour compenser toute perte de revenu résultant d'une baisse de clientèle. En fin de compte, les seules «épargnes» occasionnées par des frais modérateurs prennent la forme de recettes supplémentaires «privées» dans les coffrets des gouvernements et les poches des médecins - et il faut soustraire de ce montant le coût de perception des frais modérateurs. C'est donc dire qu'on refile le fardeau des frais aux malades, qui doivent débourser une somme d'argent chaque fois qu'ils ont recours au système de soins de santé en plus d'avoir à payer des impôts (et des primes dans certaines provinces) pour subventionner le régime d'assurance-maladie. On revient alors à la formule insensée d'une médecine fondée sur la capacité contributive: ceux qui courent les plus grands risques en matière de santé - les pauvres, les personnes âgées et les familles de grande taille - sont ceux qui sont le moins en mesure de payer les frais modérateurs. La politique des frais modérateurs. Le fait que les frais modérateurs soient inefficaces, nuisibles et mal vus de la population n'a pas réussi disparaître, comme il le faudrait, toute trace de cette pratique désuète. Au contraire, deux sources puissantes le corps médical et plusieurs gouvernements provinciaux exercent des pressions de plus en plus fortes en vue d'accroître le recours aux frais modérateurs. L'Association médicale canadienne endosse pleinement les honoraires additionnels, s'objecte chaque fois qu'il est question d'interdire cette pratique, et a critiqué le refus du Québec de rembourser les malades dont le médecin exige un supplément d'honoraires. En menaçant d'adopter ou d'augmenter le supplément d'honoraires, plusieurs associations médicales provinciales (notamment celles de l'Ontario, de la Colombie-Britannique et de l'Alberta) ont utilisé cette pratique comme outil de marchandage dans leurs négociations avec les gouvernements provinciaux quant aux honoraires médicaux. Ce fut notamment le cas ces derniers temps en Alberta, alors que l'association médicale a incité ses membres à imposer un supplément d'honoraires aux malades parce que le gouvernement provincial a accordé une hausse d'honoraires de 21% pour l'année 1982, au lieu de l'augmentation de 30,5% que demandaient les médecins. L'association des hôpitaux de l'Alberta a emboîté le pas et annonce qu'elle demanderait au gouvernement provincial de rétablir la pratique de frais modérateurs dans les hôpitaux réguliers. On pourrait aussi faire payer des frais aux malades en intégrant au régime d'assurance-maladie une somme de base à débourser. Un ancien président de l'Association médicale canadienne a proposé un régime d'assurance-maladie «catastrophique» en vertu duquel les malades payeraient eux-mêmes leurs soins de santé jusqu'à concurrence d'un montant égal à 3% de leur revenu annuel (sans toutefois dépasser $500 par année pour un particulier et $1 000 pour une famille); le régime d'assurance-maladie garantirait tout montant supérieur à ces sommes. On suppose que les personnes en mesure de se procurer une assurance-maladie privée pourraient se mettre à l'abri d'une partie ou de la totalité de la franchise. Le mot «catastrophique» décrit bien un tel régime, puisque le régime d'assurance-maladie fonctionnerait comme un régime d'assurance-automobile et nuirait surtout aux Canadiens à faible et à moyen revenu. Les associations médicales ne sont pas les seuls groupes à préconiser le recours aux frais modérateurs. En plus de permettre aux médecins d'exiger des honoraires additionnels, plusieurs gouvernements provinciaux ont hausse les frais modérateurs ou songent à imposer de tels frais afin de renflouer leurs budgets pour la santé. En Colombie-Britannique, où on fait appel aux frais modérateurs plus que partout ailleurs, les frais hospitaliers ont augmenté deux fois au cours de la dernière année. Depuis le mois d'avril 1982, les malades hospitalisés doivent payer des frais quotidiens supérieurs de 36% à ceux de l'an dernier. Les frais aux malades externes ayant recours aux services d'urgence ou de chirurgie mineure ont doublé; les frais des soins de chirurgie de jour ont augmenté de 40%; et les soins pour maladies chroniques risquent d'augmenter de 35% par rapport au coût de l'an dernier. En mai dernier, le ministre des Finances du Québec a lancé l'idée de frais modérateurs «minimes» pour réduire la surconsommation des services de santé et des services sociaux et pour renflouer le trésor provincial en mal d'argent. Le ministre des Affaires sociales laissait entendre qu'au coût minime de $2 par consultation chez le médecin ou à l'hôpital, ces frais modérateurs ne coûteraient pas plus «qu'un Big Mac et un Coke» aux malades, tout en rapportant environ 50 millions de dollars supplémentaires au gouvernement. Suite aux nombreuses protestations de toutes les couches de la société québécoise - y compris de l'Association des omnipraticiensle gouvernement a abandonné l'idée des frais modérateurs. Et l'Ontario vient à son tour d'agiter le spectre des frais modérateurs associés aux services de santé. L'automne dernier, le ministre ontarien de la Santé a déclaré qu'il songeait à imposer des frais directs pour les soins hospitaliers, les médicaments offerts gratuitement aux personnes âgées et aux assistés sociaux et peut-être pour les visites chez le médecin. Comme au Québec, la question des frais modérateurs a soulevé des protestations politiques et publiques très fortes; on a donc laissé tomber la suggestion, pour la remplacer par une nouvelle politique incitant les hôpitaux à devenir davantage des «entreprises commerciales». Le ministre de la Santé a suggéré à l'association des hôpitaux de l'Ontario que les hôpitaux se procurent une partie de l'argent nécessaire en haussant le prix des chambres privées, des aliments de la cafétéria et du stationnement, en louant des espaces à des banques et des magasins, et en ayant recours à d'autres mesures commerciales de ce genre. Cette suggestion pourrait s'avérer aussi néfaste que l'option des frais modérateurs. Les critiques se sont empresses de faire remarquer que le rôle des hôpitaux consistait à fournir des soins de santé et non à recueillir des fonds. Les hôpitaux auront tendance à multiplier le nombre de chambres privées et semi-privées, aux dépens des salles régulières dont le coût est garanti par l'assurance-hospitalisation. Une telle mesure constituerait un retour en arrière au régime de soins de santé à deux paliers que le régime d'assurance-maladie devait abolir. Toute réduction du nombre de lits dans les salles régulières (déjà en grande demande) obligerait certains malades à payer des frais modérateurs parce qu'ils devront prendre des chambres privées et semiprivées, qui ne sont pas des services garantis. Les hôpitaux ont réagi très rapidement: les taux des chambres privées et semi-privées augmentent de 25% à 56% dans bon nombre d'hôpitaux ontariens. Les frais modérateurs ne représentent pas l'unique façon de trouver des sommes supplémentaires pour renflouer les budgets de la santé. Plusieurs provinces ont aussi augmente leurs primes pour payer les hausses des honoraires des médecins et d'autres coûts dans le domaine de la santé. Nous verrons dans le prochain chapitre que les primes d'assurance-maladie, comme les frais directs, sont particulièrement nocives pour les pauvres. Primes d'assurance-maladie. Notre régime de santé est fondé sur le principe de services médicaux et hospitaliers garantis, universellement accessibles et sans frais directs aux malades. Cela ne veut toutefois pas dire que les soins de santé soient gratuits. Toutes les provinces financent leur régime d'assurance-maladie au moyen de contributions fédérales et de recettes générales provinciales; ces sommes sont à leur tour payées par la population canadienne sous forme d'impôts sur le revenu, de taxes de vente et d'autres taxes. Trois provinces et un territoire, qui regroupent ensemble plus de la moitié de la population du Canada, imposent de plus des primes d'assurance-maladie. Les primes d'assurance-maladie sont une forme d'imposition régressive, inéquitable et inefficace, qui accable injustement les familles à faible et à moyen revenu et peut empêcher des personnes pauvres d'avoir recours aux soins de santé dont elles ont besoin. Les primes du Régime d'assurance-maladie de l'Ontario aident à financer les régimes d'assurance-maladie et d'assurance-hospitalisation de la province. Les primes perçues en Ontario, qui sont de $324 par année pour une personne seule et de $648 pour une famille, représentent les primes d'assurance-maladie les plus élevées au pays. Deux autres provinces et le Yukon affectent les recettes provenant des primes à leurs régimes d' assurancemaladie. En Colombie-Britannique, les personnes seules doivent payer $180 par année, les couples $336, et les familles, $384, alors qu'au Yukon, les coûts sont de $216 pour les personnes seules et de $300 pour les familles. Les résidents de l'Alberta payent les primes les moins élevées: $114 pour les personnes seules et $228 pour les familles. En théorie, les personnes à faible revenu sont à l'abri du fardeau financier que représentent les primes d'assurance-maladie. Les assistés sociaux sont exemptés des primes dans toutes les provinces, et sauf en Colombie-Britannique et en Ontario, on accorde une exemption temporaire aux personnes qui ne peuvent payer leurs primes mensuelles à cause de difficultés financières à court terme. Toutes les provinces qui imposent des primes, à l'exception de la Colombie-Britannique, exemptent aussi généralement les résidents à faible revenu. Au Yukon, les familles et les particuliers qui n'ont pas de revenu imposable sont exemptées des primes. L'Alberta et l'Ontario sont un peu plus généreuses; le seuil d'exemption dans les deux provinces est de $3 000 de revenu imposable pour les personnes seules, et de $3 500 en Ontario et $4 000 en Alberta pour les familles. Certaines unités familiales à faible revenu qui n'ont pas droit à l'exemption de primes peuvent néanmoins avoir accès à des subventions qui réduisent leurs paiements mensuels. Le montant des subventions et les niveaux de revenu qui servent à déterminer l'admissibilité aux subventions varient d'une province à l'autre. Le tableau 5 présente les modalités d'exemption et des subventions dans les trois provinces et le territoire qui exigent des primes d'assurance-maladie. Les exemptions de primes et les subventions constituent une mesure qui peut sembler sécuritaire, mais qui échappe dans la réalité à bon nombre de Canadiens à faible revenu, notamment aux petits salariés. Certaines personnes admissibles à une exemption ou à une subvention n'en font pas la demande, alors que d'autres n'ont pas droit à une réduction même si elles vivent en deçà du seuil de la pauvreté. Le comité spécial sur les coûts et le financement des soins de santé en Ontario estime qu'un seul résident admissible à une exemption de primes ou une subvention sur quatre en a fait la demande en 1978. Environ 325 000 personnes ont paye le plein montant des primes alors qu'elles avaient droit à une exemption, tandis que moins de 1 000 personnes admissibles sur 160 000 ont effectivement bénéficié d'une réduction de primes. Pour quelque motif que ce soit - manque de connaissances au sujet du programme d'aide, refus de se soumettre à l'évaluation humiliante du revenu et aux tracasseries administratives préalables à une demande de réduction il est certain qu'un grand nombre de personnes à faible revenu payent des primes plus élevées que ne l'exige la loi. Des personnes à faible revenu ne sachant pas qu'elles peuvent obtenir de l'aide ou n'étant pas désireuses ou capables de débourser le plein montant des primes peuvent éviter complètement de payer des primes. Une étude a révélé récemment que 14% des 44 000 personnes qui fréquentent des centres de santé communautaire à Ottawa et à Toronto ne payaient pas les primes d'assurance-maladie. Cette situation a poussé l'Ontario Health Coalition à déclarer que la province enfreignait peut-être une condition de la Loi sur les soins médicaux, selon laquelle au moins 95% de la population d'une province doit être protégée par l'assurance-maladie. Les malades reçoivent des soins même s'ils ne peuvent présenter une carte d'assurance-maladie ou s'ils n'ont pas payé leurs primes, mais ils risquent de devoir payer de leurs poches les soins médicaux reçus. Les représentants du Régime d'assurance-maladie de l'Ontario affirment qu'on pourrait bien refuser de payer les soins médicaux dispensés aux personnes qui n'ont pas réglé leurs primes. Il se peut donc que des gens à faible revenu décident de ne pas avoir recours aux services médicaux parce que leurs primes ne sont pas à jour ou parce qu'ils ne participent pas au régime d'assurance-maladie. Bien que ce type d'effet dissuasif caché soit difficile à déceler, dans la mesure où il existe, les primes d'assurance nuisent à l'accès aux soins de santé nécessaires et enfreignent donc un autre principe de la loi fédérale sur les soins médicaux. Un état de pauvreté ne garantit pas nécessairement l'accès à une aide financière. Parce que les seuils d'admissibilité à une exemption ou à une réduction de primes sont très faibles et parce qu'ils ne tiennent pas compte de la taille de la famille, aussi absurde que cela puisse paraître, un chef de famille pauvre peut devoir payer le même montant de primes mensuelles qu'un millionnaire. Une famille ontarienne, par exemple, a droit à une exemption de primes si son revenu imposable est de $3 500 ou moins, ce qui équivaut à un revenu de $11 690 pour une famille de quatre à salarié unique - $4 375 de moins que le seuil de pauvreté dans la ville de Toronto. On accorde une réduction de primes jusqu'à ce que le revenu imposable atteigne $5 500, soit un revenu de $13 827 - encore une fois, on est à $2 238 du seuil de la pauvreté. Une famille torontoise de taille moyenne cherchant par tous les moyens à boucler son budget alors qu'elle gagne au moins $2 200 de moins que le seuil de la pauvreté doit payer en 1982 le plein montant des primes du Régime d'assurance-maladie de l'Ontario, soit $648. Le tableau 6 compare les primes que doit payer une famille à faible revenu de quatre à différents niveaux de revenu, en Ontario, en Alberta, en Colombie-Britannique et au Yukon. Les différents taux et les diverses dispositions prévoyant une aide forment un système fou en vertu duquel des familles de même taille payent des sommes très différentes selon leur lieu de résidence et leurs revenus. Mais dans toutes les provinces et le territoire, une famille de quatre peut devoir injustement payer le plein montant des primes alors qu'elle vit dans la pauvreté. Toute disposition fiscale percevant chez une famille n'ayant que la moitié du revenu moyen, et se situant à $2 200 en deçà du seuil de pauvreté, un montant égal à celui qu'elle percevrait chez une famille gagnant un revenu deux fois plus élevé que le revenu moyen, et quatre fois plus élevé que le seuil de pauvreté, enfreindrait le principe de la capacité contributive qui sous-tend tout régime d'impôt progressif. Et pourtant c'est précisément ce que font les primes d'assurance-maladie: elles déplacent le fardeau relatif du financement des soins de santé des épaules de la minorité de gens à revenu élevé vers celles de la majorité de personnes à faible et à moyen revenu qui éprouvent déjà des difficultés financières. Le tableau 7 indique le montant net des primes d'assurance payées par une famille ontarienne de quatre à différents niveaux de revenu et en fonction de trois mécanismes de paiement - primes payées en totalité par l'employé, primes à moitié payées par l'employeur, et primes payées en totalité par l'employeur. L'exemption de primes libère les familles les plus pauvres de ce poids fiscal (dans notre exemple, une famille de quatre dont le revenu est inférieur à $11 690). Cependant, les familles qui gagnent un peu plus mais qui ne sont pas loin du seuil de la pauvreté sont les plus durement touchées par les primes. Le taux d'imposition le plus élevé dans le tableau (4,6 pour cent) se trouve chez les familles qui gagnent $14 000 - $2 065 en deçà du seuil de pauvreté pour une famille torontoise de quatre. Les primes du RAMO étant fixées à $648 pour la famille qui gagne $14 000 comme pour celle qui en gagne $50 000, un effet régressif est inévitable: la famille pauvre doit supporter un poids fiscal trois fois et demie plus lourd que celui que supporte la famille gagnant trois fois et demie de plus. Étant donné que le montant des primes versées par l'employeur est soumis à l'impôt sur le revenu des particuliers dont l'effet est progressif, l'écart entre les familles à revenu faible et élevé dont l'employeur assume la totalité ou une partie des primes n'est pas aussi important que dans le cas des familles qui déboursent le plein montant des primes. Mais peu importe dans quelle mesure l'employé partage le coût des primes, le même effet régressif demeure: sauf dans le cas des familles les plus pauvres, le taux d'imposition des résidents ontariens à faible et à moyen revenu est plus élevé que celui des familles à revenu élevé. L'impôt supplémentaire que l'employé doit payer sur les primes payées en son nom par l'employeur est beaucoup moins élevé que le montant des primes, de sorte qu'à tous les paliers de revenu, l'employé est en meilleure posture s'il n'a pas à débourser lui-même ses primes d'assurance-maladie. Mais les travailleurs à faible revenu sont regroupés au sein de petites entreprises qui offrent rarement des avantages sociaux tels que la contribution de l'employeur aux primes d'assurance de l'employé. On peut voir dans le tableau 7 qu'un employé chef d'une famille de quatre gagnant $14 000 par année risque plus de payer le plein montant des primes, soit $648, qu'un gérant qui gagne $50 000 mais ne paye que $288 d'impôts supplémentaires parce que sa compagnie lui paye ses primes. Et voici une situation encore plus absurde: la famille gagnant $13 000 par année et qui paye de primes annuelles réduites de $324 débourse quand même $36 de plus que la famille gagnant $50 000 et dont les primes sont payées en totalité par l'employeur. Le caractère régressif des primes d'assurance-maladie n'est pas leur seul aspect inéquitable. Une famille ontarienne de quatre gagnant le revenu industriel moyen (un montant estimatif de $20 000 en 1982) paye des primes de $648 au taux complet, des primes nettes de $419 si l'employeur paye la moitié des primes, et de $191 si l'employeur assume la totalité du coût des primes. Bien qu'il ait le même nombre de personnes à sa charge et gagne le même salaire, le chef de famille qui doit débourser le plein montant de ses primes d' assurancemaladie paye plus de trois fois plus que celui dont l'employeur a accepté de payer les primes des employés dans le cadre des avantages sociaux relatifs à l'emploi. Les primes comportent un autre inconvénient qu'on appelle leur «effet dentelé». Un couple ontarien ayant deux enfants et dont le revenu en 1981 était de $10 845 bénéficiait d'une exemption de primes; si la famille gagnait un dollar de plus, elle n'avait droit qu'à une réduction de primes, et payait $138 en 1981. La famille qui gagnait $10 845 ne payait pas de primes et recevait du gouvernement ontarien des crédits d'impôt remboursables d'une valeur de $59, alors qu'une famille qui gagnait $12 989 (légèrement plus que le seuil d'admissibilité) devait à la province des primes et impôts de $717, soit une différence de $776, dont 71 % tenaient aux primes d'assurance-maladie. Et pourtant, les deux familles vivaient en deçà du seuil de la pauvreté. Les primes d'assurance-maladie sont injustes non seulement parce qu'elles font porter un fardeau plus lourd aux personnes à faible et à moyen revenu, mais aussi parce qu'elles portent atteinte à la répartition des coûts de la santé entre les différents groupes de revenu à travers le pays. Certaines provinces exigent des primes, alors que d'autres n'en exigent pas. Au Québec, le régime d'assurance-maladie est financé grâce à un impôt de 3 pour cent prélevé à la source auprès des employeurs. Le Manitoba vient d'adopter une disposition semblable (un impôt de 1,5 pour cent prélevé à la source pour «la santé et l'enseignement post-secondaire») qui aidera à financer ses services de santé. Les autres provinces et territoire financent leurs services médicaux et hospitaliers à même les recettes générales, dont la majeure partie provient de l'impôt sur le revenu des particuliers. L'impôt sur le revenu étant progressif, les coûts des soins de santé dans ces provinces et territoire sont davantage répartis en fonction de la capacité contributive. Les familles à faible et à moyen revenu portent un poids fiscal moins lourd que celui des familles à revenu élevé. Le tableau 8 présente des exemples concrets de la différence marquée dans le poids fiscal qui incombe à une famille de quatre à différents niveaux de revenus dans diverses provinces. Le niveau de revenu de $14 000 correspond en gros au seuil de pauvreté pour une famille de quatre; le niveau de $20 000 est à peu près équivalent au salaire industriel moyen cette année; et le palier de $32 000 représente le revenu familial moyen estimatif pour 1982. On peut considérer que ces trois niveaux représentent un revenu faible, modeste et moyen pour un couple ayant deux enfants. En Saskatchewan, une famille à faible revenu de taille moyenne paye cette année des impôts provinciaux de $230; puisque le gouvernement provincial ne perçoit pas de primes d'assurance-maladie, cette somme inclut la contribution de la famille aux coûts des soins de santé. Si la famille habite l'Ontario, par contre, ses impôts provinciaux et ses primes d'assurance-maladie s'élèvent à $1 052 - quatre fois plus qu'en Saskatchewan. Les familles à faible revenu des autres provinces et territoire qui perçoivent des primes payent aussi plus que leurs contre-parties en Saskatchewan. Il en va de même des familles à revenu modeste. Une famille de quatre en Saskatchewan comptant un travailleur au salaire industriel moyen paye des impôts provinciaux de $972. Le total des primes et des impôts d'une famille de même taille et gagnant le même revenu est plus élevé en Ontario, en Colombie-Britannique, au Yukon et en Alberta. Le caractère progressif du régime de financement des soins de santé en Saskatchewan saute aux yeux lorsque la famille de notre exemple atteint le niveau du revenu familial moyen. La famille qui gagne $32 000 par année doit payer des impôts provinciaux de $2 415 - plus de dix fois plus que la famille à faible revenu et deux fois et demie de plus que la famille à revenu modeste. Bien que la famille ontarienne à revenu moyen doive un montant de primes et d'impôts plus élevé ($2 877), la différence entre le poids fiscal qu'elle supporte et celui des familles ontariennes à faible et à modeste revenu est beaucoup moins importante. En percevant des primes d'assurance-maladie, les gouvernements de l'Ontario, de l'Alberta, de la Colombie-Britannique et du Yukon déplacent le fardeau du coût des soins de santé des épaules de ceux qui sont en mesure de le supporter vers ceux qui n'en ont pas la capacité. Les primes font partie intégrante des régimes d'impôt de ces provinces et servent à financer une partie importante des coûts de la santé; il n'est donc pas étonnant que les trésoriers provinciaux soient peu disposes à considérer des mesures fiscales de rechange. Mais leur coût n'est pas la seule ou même nécessairement la plus importante considération. Une province à revenus élevés comme l'Alberta, qui jouit du taux d'impôt sur le revenu provincial le plus faible au Canada et n'a pas de taxe de vente, peut difficilement justifier une hausse de primes de 10% sous prétexte qu'elle avait besoin de $9 millions de revenus supplémentaires pour renflouer le trésor provincial. La hausse de primes en Alberta se voulait davantage un geste symbolique visant à réaffirmer la décision de la province d'imposer des primes d'assurance-maladie comme moyen de maintenir un «lien visible» entre les coûts de la santé et les services comme tels. L'idée selon laquelle les primes représentent un maillon visible qui rappelle aux malades le coût des soins de santé et les dissuade donc d'abuser des services de santé relève bien plus du domaine de la fantaisie que de celui de la réalité. Rien n'indique que les citoyens les plus pauvres qui sont exemptes des primes aient recours plus que les autres aux services médicaux. Dans la mesure où les primes rappellent que les gens contribuent aux coûts des soins de santé qu'ils y aient recours ou non, elles pourraient tout aussi bien encourager les cotisants «à en obtenir pour leur argent» et par le fait même accroître plutôt que réduire la demande de services. De toute manière, la plupart des travailleurs peuvent compter sur leur employeur pour payer une partie ou la totalité de leurs primes, de sorte que le lien est moins direct qu'on ne le suppose. Il est difficile de croire que les résidents de l'Ontario, de l'Alberta, de la Colombie-Britannique et du Yukon soient véritablement beaucoup plus conscients des coûts de la santé tout simplement parce que leur chèque de paie indique une déduction distincte pour les primes d'assurance-maladie. On peut apporter quantité d'arguments démontrant le caractère indésirable des primes. Pourtant, les trois provinces et le territoire qui perçoivent des primes d'assurance-maladie se montrent très récalcitrants à l'idée de les abandonner. Au contraire, ils ont tous augmente les primes récemment pour refléter la hausse croissante des coûts de la santé et menacent de les hausser encore davantage. En avril 1981, le Yukon a triplé ses primes. L'Ontario et l'Alberta viennent de hausser leurs primes de 17 et 10 pour cent respectivement. En Colombie-Britannique, les primes ont été haussées deux fois dans la même année. Les personnes seules ont dû faire face à une hausse de 76%, les couples à une augmentation de 65%, et les familles à un taux supérieur de 51% à celui de l'année précédente. Les hausses de primes récentes en Ontario et en Colombie-Britannique pénalisent doublement bon nombre de résidents à faible revenu. Ils doivent faire face comme tout le monde à l'importante hausse de primes, même s'ils gagnent si peu qu'ils ont droit à une subvention du gouvernement provincial. Pis encore, les niveaux de subvention n'ont pas été haussés dans les mêmes proportions que les hausses de primes; la Colombie-Britannique a augmenté ses niveaux de subvention de 4 pour cent seulement, et l'Ontario n'a pas modifie du tout son système de subventions. La moindre augmentation de revenu fera passer certaines personnes pauvres à un palier d'imposition supérieur, ce qui réduira le montant de leur subvention. En Colombie-Britannique, par exemple, certaines familles à faible revenu passeront d'un niveau de subvention de 90% au niveau moins généreux de 50 % ($13 de plus par mois pour une famille de quatre à Vancouver dont le revenu est inférieur de $5 296 au seuil de la pauvreté), et d'autres passeront d'un niveau de subvention de 50% au plein montant des primes ($16 par mois de plus pour une famille gagnant $4 000 de moins que le seuil de la pauvreté). On ne pourrait trouver de meilleure preuve de l'effet régressif des primes d'assurance-maladie. Une ordonnance pour l'assurance-maladie. L'assurance-maladie n'a pas respecté pleinement sa promesse originale, soit de mettre à la portée de tous les Canadiens des soins de santé complets, payés à l'avance. Les suppléments d'honoraires restreignent l'accès des malades à faible revenu au système de soins. Les honoraires additionnels et les frais hospitaliers autorisés vont à l'encontre du principe de services payés à l'avance. Les primes d'assurance-maladie enfreignent peut-être les principes d'universalité et d'accessibilité. La gamme de services de santé assurés mis à la portée de la population n'est ni complète ni uniforme à travers le pays. Les Canadiens n'ont même pas la certitude que le régime d'assurance-maladie comme on le connaît continuera d'exister. On note des pressions croissantes en vue d'un retour partiel mais permanent à la philosophie qui prévalait avant l'entrée en vigueur de l'assurance-maladie. Le corps médical et plusieurs gouvernements provinciaux prônent une solution de rechange à l'assurance-maladie universelle, en vertu de laquelle les malades participeraient au financement des soins de santé. Les frais modérateurs ne guériront pas le régime d'assurance-maladie au Canada - au contraire, ils lui porteront un coup fatal. Le régime doit non seulement demeurer universel et fort, mais aussi prendre de l'ampleur dans les années à venir, afin d'offrir la gamme de services de santé plus complète que souhaitaient les concepteurs de notre système de soins actuel. Recommandations. Dans son dernier budget, le ministre des Finances a fait part de l'intention du gouvernement fédéral de mettre au point des conditions de programme plus explicites et plus faciles d'application relativement à ses transferts aux provinces en matière de santé. Ce printemps, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social entreprend une série de réunions avec les ministres provinciaux de la Santé, afin de conclure une entente sur les conditions de programme en matière d'assurance-maladie. La date limite pour la nouvelle loi fédérale établissant des normes nationales a été fixée au 31 mars 1983. a) Définition des conditions de programme. Les conditions de programme expriment la philosophie et les objectifs de l'assurance-maladie universelle, qui sont, comme on l'a explique dans le premier chapitre du rapport, l'universalité, l'accessibilité, le caractère complet des services assurés, la transférabilité et l'administration publique. La menace qui pèse en ce moment sur l'assurance-maladie a trait principalement aux deux premières conditions, mais l'amélioration, dans les années à venir, du système de soins actuel, tient essentiellement au caractère complet des services assurés. Tous conviennent que ces conditions devraient constituer les normes nationales de l'assurance-maladie. La difficulté tient au fait que les conditions sont exprimées d'une façon si générale et si ambiguë qu'il est impossible de déterminer si elles sont respectées ou non. Voici l'avis du Conseil national du bien-être social sur la façon d'interpréter, de mettre en application et s'il y a lieu, de redéfinir les conditions de programme. 1- Accessibilité. La loi actuelle stipule que les services assurés doivent être offerts d'une manière qui n'empêche pas, directement ou indirectement, par des frais ou d'autres moyens, les personnes y ayant droit d'y avoir un accès raisonnable. Cette condition devrait être reformulée. Il devrait y avoir un accès raisonnable aux services assurés à des conditions uniformes. Conformément à la philosophie originale du régime, les services assurés devraient être complètement payés à l'avance. Les frais modérateurs (notamment le dépassement d'honoraires de la part des médecins) ont un effet nocif sur l'accès aux soins de santé, en dissuadant les Canadiens à faible revenu de recourir aux services. Il faudrait interdire toutes les formes de frais modérateurs - dépassement d'honoraires, frais autorisés, franchises. Nous endossons la solution québécoise au supplément d'honoraires, c'est-à-dire que les médecins qui désirent imposer des suppléments doivent se retirer complètement du régime d'assurance-maladie et leurs malades doivent débourser eux-mêmes le plein montant des honoraires (sans aucun remboursement). La nouvelle loi doit inclure la recommandation importante du juge Hall visant à accompagner l'interdiction du dépassement d'honoraires d'une compensation suffisante pour les médecins, les litiges concernant les honoraires devant être réglés obligatoirement par arbitrage. Le Conseil d'arbitrage devrait inclure des représentants de la profession médicale, des gouvernements provinciaux et du public. Cette proposition est logique autant du point de vue de ceux qui fournissent les soins de santé que de celui des gens qui les reçoivent. Le régime d'assurance-maladie universel n'a jamais nié que les médecins avaient le droit d'être rémunérés de façon raisonnable pour leurs services. Une enquête effectuée récemment en Alberta a révélé que la population endosse effectivement le principe de la rémunération adéquate des médecins. Elle s'objecte toutefois vigoureusement au dépassement d'honoraires. Les Canadiens appuient donc nettement le caractère logique de l'assurance-maladie: des médecins adéquatement rémunérés n'ont aucune raison valable d'imposer des suppléments d'honoraires. La recommandation relative à l'arbitrage obligatoire est d'une importance capitale, mais elle ne peut à elle seule régler le problème croissant des affrontements annuels au sujet des barèmes d'honoraires qui ont lieu entre les associations médicales et les gouvernements provinciaux. L'arbitrage obligatoire est une mesure de dernier ressort, à invoquer seulement lorsque le processus normal de négociation tombe en panne. La nouvelle loi fédérale sur la santé au Canada devrait exiger que chaque province mette au point (en collaboration avec la profession médicale) un mécanisme officiel de prise de décisions pour la négociation du barème d'honoraires. Les éléments de ce mécanisme de négociation (c'est-à-dire les délais, les agents de négociation, la procédure à suivre pour invoquer l'arbitrage obligatoire) devraient être clairement énoncés dans la loi de l'assurance-maladie de chaque province. Cette réforme éclaircirait les règles du jeu de la négociation; lorsqu'on a conclu un accord sur le barème d'honoraires, les médecins doivent le respecter plus question d'imposer des suppléments d'honoraires ou de débrayer. D'autres gouvernements provinciaux devraient étudier la formule innovatrice du Québec qui prévoit la négociation d'accords pluriannuels sur les barèmes d'honoraires. Cette méthode présente de nombreux avantages. Les médecins peuvent compter sur des revenus stables et prévisibles, tandis que le ministère provincial de la santé est en mesure de planifier et de gérer plus facilement son budget. Cette formule pourrait être modifiée de manière à inclure tous les aspects du coût des soins - les salaires des autres travailleurs de la santé, les budgets des hôpitaux, les programmes de santé publique, etc - pour que les gouvernements provinciaux puissent mieux planifier et contrôler les dépenses dans le domaine de la santé. Nous recommandons aussi qu'on fasse une étude sur les frais médicaux et les barèmes d'honoraires, afin de réduire la grande variété des honoraires relatifs à divers services médicaux d'une province à l'autre. Des représentants du corps médical et des gouvernements fédéral et provinciaux devraient effectuer une étude de ce genre de façon régulière. 2- Universalité. La loi actuelle stipule que les provinces doivent offrir des services assurés à tous les résidents à des conditions uniformes. Aux termes de la Loi sur les soins médicaux, ce critère est respecté lorsque 95 pour cent des résidents assurables sont protégés. Il faudrait modifier deux aspects de cette condition de programme. Tout d'abord, la clause «a des conditions uniformes» se rapporte plus à l'accessibilité qu'a l'universalité et devrait donc être placée dans la condition portant sur l'accessibilité. Deuxièmement, puisqu'on parle de «tous les résidents», il faudrait que 100% des résidents assurables soient protégés plutôt que 95 seulement. Les primes d'assurance-maladie enfreignent peut-être la condition portant sur l'universalité. Le gouvernement fédéral ne peut empêcher les provinces d'imposer de telles primes - les provinces ont le droit de financer leurs services comme bon leur semble - mais il devrait exiger dans la nouvelle loi que le versement des primes ne soit pas une condition préalable au recours aux services de santé assurés. Les provinces devraient fournir régulièrement des renseignements détaillés sur la protection de la population (notamment sur les résidents à faible revenu) et sur le taux de participation au programme d'aide au paiement des primes. La meilleure solution consiste à abolir complètement les primes. Nous incitons le Yukon, la ColombieBritannique, l'Alberta et l'Ontario à abandonner ces primes et à combler la perte de revenu au moyen d'une hausse de l'impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés. Le remplacement des primes par des impôts pourrait se faire sur une période de quelques années. Entre temps, les provinces qui exigent des primes devraient remplacer immédiatement les dispositions inefficaces relatives aux subventions par un crédit d'impôt en matière de santé afin de mieux protéger leurs citoyens à faible revenu. 3- Caractère complet des services assurés. La loi actuelle stipule que les provinces doivent toutes offrir des services médicaux et hospitaliers de base; certaines ont toutefois choisi d'offrir une gamme plus étendue de services assurés. La loi sur l'assurance-hospitalisation fournit une liste détaillée des services hospitaliers qui doivent être offerts. La loi sur l'assurance-maladie est plus vague; on définit les services assurés comme l'ensemble des services fournis par des médecins qui sont jugés nécessaires d'un point de vue médical. Rien n'indique qu'on enfreigne cette condition de programme, mais elle devrait néanmoins être mieux définie. Les services médicaux et hospitaliers assurés aux termes des lois actuelles devraient être regroupés dans la nouvelle loi sur la santé au Canada et les services médicaux devraient être énumérés. Nous appuyons la recommandation du Groupe de travail parlementaire sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, c'est-à-dire que les ministres fédéral et provinciaux de la Santé devraient réviser et mettre à jour les listes des services de base assurés. Cette mise à jour devrait être effectuée régulièrement, en visant à élargir éventuellement la gamme des services assurés. Les architectes de l'assurance-maladie avaient une conception plus large de l'assurance-maladie que ce que nous avons réalisé jusqu'ici. En 1964, la Commission royale d'enquête recommandait qu'en plus de fournir les services hospitaliers et médicaux de base qui sont assurés aujourd'hui, l'assurance-maladie soit progressivement étendue au cours des ans afin d'inclure les soins dentaires dispenses aux enfants, aux femmes enceintes et aux assistés sociaux; les médicaments d'ordonnance; les soins à domicile; les prothèses; et les services de santé mentale. La portée des services assurés est aujourd'hui plus large qu'à l'origine de l'assurance-maladie, mais nous sommes encore loin des visées qu'avaient ses concepteurs à l'époque. D'ailleurs la gamme des services assurés varie énormément d'une province à l'autre. Quelques provinces, comme le Québec, le Manitoba et la Saskatchewan ont amélioré de façon sensible leur régime d'assurance-maladie. En général, les provinces de l'Atlantique offrent un éventail plus restreint de services assurés. Des contraintes budgétaires poussent certaines provinces à envisager des réductions dans des services non traditionnels de ce genre; le Québec, par exemple, qui dispose d'un des régimes d'assurance-maladie les plus développés au Canada, a décidé de réduire les services fournis dans le cadre de son programme de soins dentaires pour enfants afin d'épargner 25 millions de dollars. L'assurance-maladie doit englober progressivement une partie grandissante du système des soins de santé, ce qui inclut aussi bien la prévention et la réadaptation que les services curatifs traditionnels dispensés dans les cabinets de médecin et les hôpitaux. Il peut sembler exalté de vouloir élargir le cadre des services assurés dans le climat actuel des restrictions budgétaires, mais en réalité, la suggestion est logique du point de vue social comme du point de vue fiscal. Un système de soins plus complet incitera les Canadiens à recourir davantage aux services de prévention qui visent à promouvoir la santé plutôt qu'a soigner des maladies. On réduira ainsi l'écart entre riches et pauvres et on améliorera l'état de santé de la population en entier. Le rapport Lalonde bien connu (Nouvelle perspective de la santé des Canadiens) prônait l'adoption de cette approche en 1974, et même dans les années 1930, les pionniers de l'assurance-maladie avaient signale le besoin d'élargir le cadre du régime de soins de santé de manière qu'il englobe les soins de prévention au niveau communautaire. Une gamme de services élargie apportera des avantages financiers en diminuant la dépendance excessive actuelle par rapport aux soins de santé primaires coûteux (médecins et hôpitaux). De cette manière, on répondra à la demande d'efforts en vue de favoriser des solutions de rechange moins coûteuses aux soins de santé traditionnels. On se rappellera que l'Association médicale canadienne affirmait que le régime de soins de santé ne dispose pas de fonds suffisants et proposait que les dépenses en matière de santé devraient augmenter de leur niveau actuel de 7 pour cent du Produit national brut à 8,2 pour cent d'ici 1985. La façon dont les ressources sont affectées importe cependant plus que la somme dépensée pour les soins de santé: les Américains consacrent plus de 9 pour cent du PNB à un régime de soins qui est moins efficace que le nôtre et qui réussit probablement moins que le nôtre à promouvoir la santé. Depuis plusieurs années, la Saskatchewan tente de promouvoir la santé et de prévenir la maladie au moyen de services communautaires de santé mentale, d'un programme universel de médicaments, de soins à domicile et d'autres services qui font la promotion de la santé et qui épargnent en même temps des coûts. Son programme de soins dentaires en milieu scolaire prouve hors de tout doute que l'approche faisant appel à d'autres types de soins est fort avantageuse: des hygiénistes dentaires se chargent de la presque totalité du travail, l'étendue de la protection et la qualité des soins sont bons, et les coûts par personne du programme ont diminué chaque année. Les bienfaits du régime dentaire se feront sentir à long terme aussi: à l'âge adulte, ces enfants auront moins de problèmes dentaires et de problèmes de santé connexes (d'ordre digestif, par exemple), ce qui montre qu'un dollar de soins préventifs vaut bien dix dollars de soins curatifs. Le gouvernement fédéral haussera ses transferts aux provinces pour la santé en vertu des accords sur le Financement des programmes établis de plus de 12 pour cent par année pendant les cinq prochaines années financières. Outre ces sommes, le gouvernement fédéral devrait partager le coût des services que les provinces ajoutent à leur régime d'assurance-maladie. Le gouvernement fédéral devrait aussi hausser et varier le montant des subventions par personne accordées en vertu des Soins de santé prolongés pour que les provinces moins riches disposent de plus de ressources pour mettre sur pied des maisons de repos, des services de soins aux adultes en établissement, des services de soins à domicile et d'autres établissements et services de santé non traditionnels qui épargnent des coûts à la longue. 4- Transférabilité. Les Canadiens devraient avoir accès à des services assurés s'ils déménagent dans une autre province ou s'ils requièrent des soins de santé alors qu'ils sont en visite dans une autre province. Il arrive parfois que les visiteurs doivent débourser le coût des soins et réclamer ensuite un remboursement du régime d'assurance de leur province. Les délais sont fréquents, et les malades y perdent lorsque le montant prévu par leur province pour un service donné est inférieur à celui qu'exige la province où ils ont été soignés. L'abolition des suppléments d'honoraires et des frais autorises atténuera quelque peu le problème de la transférabilité. Les gouvernements fédéral et provinciaux devraient mettre en oeuvre la recommandation du Groupe de travail parlementaire sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, qui se lit comme suit: «qu'un mécanisme central de compensation de l'assurance-maladie soit mis sur pied de sorte que les résidents d'une province puissent avoir facilement accès aux services dans toute autre province sans obstacles administratifs ni embarras pour l'assuré». Ce mécanisme de compensation devrait s'appliquer aussi au coût de services assurés pour des malades qui requièrent des services qu'ils ne peuvent obtenir dans leur propre province. b) Application des conditions de programme. Il ne sert à rien de définir à perfection les conditions de programme s'il n'existe aucun moyen de les faire respecter. Par contre, il est ridicule de penser que le gouvernement fédéral pourrait simplement couper tous ses transferts à une province qui ne respecte pas une condition de programme en particulier. Il devrait y avoir un mécanisme de retenue graduée des transferts fédéraux si les provinces ne respectent pas les conditions de programme. Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social devrait faire rapport chaque année au Parlement de la mesure dans laquelle les conditions de programme ont été respectées et de la somme à retenir, le cas échéant, sur le transfert fédéral aux gouvernements provinciaux. Le gouvernement fédéral doit élaborer des pénalités précises pour chacune des conditions de programme. Par exemple, de la somme à transférer à la province, le gouvernement fédéral pourrait déduire un certain pourcentage en fonction de la proportion de la population qui n'est pas assurée, et un certain pourcentage en fonction de la proportion de médecins qui imposent des honoraires additionnels. Les provinces qui ont des frais hospitaliers modérateurs subiraient aussi des coupures. Une peine devrait s'appliquer si les provinces négligent de fournir les renseignements détaillés permettant de vérifier si leurs régimes d'assurance-maladie respectent les normes nationales. c) Surveillance du système de soins de santé. En 1964, la Commission royale d'enquête sur les services de santé se plaignait du peu de données disponibles sur le système de soins et recommandait qu'un organisme soit crée afin de rassembler toutes les recherches touchant le domaine de la santé. Dix-huit ans plus tard, avouer que la situation n'a pas beaucoup change. Il nous manque encore certaines des données qui nous permettraient d'établir la mesure dans laquelle les normes nationales sont respectées et d'évaluer le rendement et les caractéristiques du système de soins de santé d'une province à l'autre. Il faudrait créer un Institut canadien de la santé charge de diriger, de commander et de coordonner le recueil de données et les recherches relatifs à tous les aspects de la santé et du système de soins de santé. Il se chargerait de la mise en oeuvre des normes nationales et de la compilation et de l'analyse des données permettant de s'assurer que toutes les provinces respectent ces normes. L'Institut devrait étudier les liens compliques et mal compris qui existent entre les milieux socio-économique et physique des Canadiens, leur état de santé et leurs recours aux services de santé. L'Institut canadien de la santé devrait aussi se charger de mener régulièrement une enquête plus adéquate et plus détaillée sur la santé des Canadiens. Conclusion. En 1943, l'Association médicale canadienne présentait au Parlement son projet de régime d'assurance-maladie, un régime qui devait être plus complet, plus efficace et plus juste que tout autre régime de soins de santé jamais conçu et mis en place. On affirmait qu'il devrait mettre l'accent sur la prévention de la maladie et la promotion d'un niveau élevé d'efficience physique, et englober aussi des services diagnostiques et curatifs modernes des plus complets. La plupart des Canadiens croient encore en ce type de régime de soins de santé. Dans les mois qui viennent, les gouvernements fédéral et provinciaux et le corps médical doivent prendre les mesures qui s'imposent pour faire revivre la vision originale de l'assurance-maladie - vision qui, au dire de l'homme qui a tout fait pour la transformer en une réalité, «n'a jamais été considérée comme un rêve, mais bien plutôt comme une solution pratique».