*{ Conseil National du Bien-Être Social. 1983 } Les allocations familiales: un régime à repenser? Introduction. Les allocations familiales devraient-elles être versées à toutes les familles avec enfants, quels que soient leurs revenus, ou le gouvernement fédéral devrait-il modifier le régime de manière qu'il s'adresse aux seules familles ayant vraiment besoin de cette somme d'argent? La question a été posée l'automne dernier, alors que le Cabinet étudiait, semble-t-il, la possibilité de mettre un terme aux allocations familiales universelles afin de libérer des fonds pour des programmes de création d'emplois. Jusqu'à présent, il n'a pas été décidé d'abandonner le principe d'allocations pour toutes les familles avec enfants, mais les défenseurs des allocations familiales universelles craignent que le programme ne demeure une cible facile en cette période de restriction des dépenses gouvernementales. Ce n'est pas la première fois qu'on songe à priver les familles à l'aise de leurs allocations familiales. Il en a même été question en 1929, lorsqu'un comité parlementaire étudiait pour la première fois la mise en place d'un régime d'allocations familiales. La question a été débattue de nouveau au cours de la Seconde guerre mondiale, lorsque le gouvernement fédéral a institué un régime universel d'allocations familiales en dépit des objections de ceux qui considéraient cette mesure comme un gaspillage d'argent qu'on aurait dû plutôt accorder aux pauvres. Depuis le premier envoi de chèques d'allocations à toutes les familles avec enfants, en juillet 1945, des critiques à l'endroit des paiements universels ont refait surface à intervalles réguliers. Le présent rapport veut répondre au besoin exprimé par le ministre des Finances, soit d'un «débat rationnel et d'un examen minutieux des questions» soulevées dans la discussion sur les allocations familiales. La première partie présente les données dont les Canadiens ont besoin pour comprendre les allocations familiales et les autres programmes fédéraux pour les familles avec enfants. Le deuxième chapitre expose les arguments en faveur et à l'encontre des allocations familiales universelles. A la fin du rapport, on présente une proposition visant à réformer le programme d'aide aux familles avec enfants. Les données. Le régime d'allocations familiales est le mieux connu des programmes fédéraux d'aide aux familles avec enfants. Il existe toutefois deux autres programmes - le crédit d'impôt pour enfants et l'exemption fiscale pour enfants à charge - qui accordent aussi des suppléments de revenu à un grand nombre de parents canadiens. Dans les pages suivantes, nous expliquerons le fonctionnement des trois programmes, examinerons les coûts de chacun et verrons qui bénéficie de ces programmes. Nous évaluerons aussi l'effet global des trois dispositions qui viennent en aide aux familles avec enfants. Les allocations familiales. Le gouvernement fédéral a institué le régime d'allocations familiales en 1945. Le programme accorde en 1983 $28,52 par mois pour tous les enfants de moins de 18 ans. Habituellement, les chèques d'allocations sont émis au nom de la mère. Les provinces peuvent modifier les allocations familiales selon l'âge des enfants et (ou) leur nombre, pourvu que les allocations mensuelles ne soient pas inférieures à 60 pour cent du taux national et que le versement mensuel moyen pour l'ensemble des enfants soit égal au taux national mensuel. Deux provinces seulement ont choisi de le faire. En Alberta, les allocations familiales varient selon l'âge des enfants; les taux mensuels en 1983 sont de $22,10 pour les enfants de 6 ans et moins, de $27,10 pour les enfants de 7 à 11 ans, de $36,40 pour les 12 à 15 ans et de $40,80 pour les 16 et 17 ans. Au Québec, les allocations familiales fédérales varient selon le nombre d'enfants dans la famille; en 1983, on accorde $17,12 par mois pour le premier enfant, $27,19 pour le second, et $66,18 pour le troisième enfant et pour chacun des suivants. De plus, tous les enfants de 12 à 17 ans reçoivent une somme supplémentaire de $7,13 par mois. Le régime d'allocations familiales est de tous les programmes sociaux, celui qui bénéficie au plus grand nombre de Canadiens. A tous les mois, cette année, 3,6 millions de familles à travers le Canada reçoivent des allocations familiales au nom de 6,7 millions d'enfants. Le Tableau 1 révèle que près de six familles canadiennes sur dix bénéficient du régime d'allocations familiales. Dans les provinces atlantiques, en Alberta, au Yukon et dans les territoires du Nord-Ouest, le pourcentage de familles bénéficiaires dépasse la moyenne nationale; le pourcentage est inférieur à la moyenne en Ontario et en Colombie-Britannique, et près de la moyenne au Québec, au Manitoba et en Saskatchewan. Toutefois, même en Colombie-Britannique où le pourcentage est le moins élevé, plus de la moitié de l'ensemble des familles reçoivent des allocations familiales. Depuis 1974, les allocations familiales sont indexées en fonction de la hausse du coût de la vie. En janvier de chaque année, le taux est haussé de manière à refléter l'augmentation de l'Indice des prix à la consommation au cours des douze mois se terminant en octobre de l'année précédente. Toutefois, dans le cadre des mesures de restrictions du budget de juin 1982, la hausse des allocations familiales sera limitée à 6 pour cent en 1983 et à 5 pour cent en 1984. Le coût des allocations familiales s'élèvera à 2,2 milliards de dollars pour l'année financière 1982-1983. Les frais administratifs de cet important programme social sont relativement modestes - 17,7 millions de dollars, ce qui équivaut à moins d'un pour cent du coût total des prestations. Les allocations familiales étant imposables, les gouvernements fédéral et provinciaux recouvrent un quart des frais du programme par le biais du régime d'impôt. Pour la présente année financière, le coût réel du programme d'allocations familiales s'élèvera à environ 1,6 milliard de dollars (c'est-à-dire $2,2 milliards moins $560 millions recouvrés par l'entremise du régime d'impôt). Le programme d'allocations familiales est un programme universel de sécurité de revenu. Toutes les familles ayant des enfants de moins de 18 ans en bénéficient. De plus, les enfants reçoivent tous les mêmes montants, que leur famille soit riche ou pauvre. A première vue, il peut sembler injuste d'accorder à une famille à l'aise avec deux enfants le même montant mensuel de $57,04 qu'on accorde à une mère seule qui se démène pour élever ses deux enfants avec un revenu inférieur au seuil de la pauvreté. Mais contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, les allocations familiales n'apportent pas les mêmes bénéfices aux riches et aux pauvres. Revenu Canada considère les allocations familiales comme un revenu imposable. Une famille qui gagne $50 000 par année et qui compte deux enfants reçoit en 1983 des allocations familiales de $684, mais en remboursera $304 en impôts sur le revenu, ce qui équivaut à des bénéfices nets de $380. Par contre, une famille qui gagne $10 000 ou moins n'a pas à payer d'impôts fédéraux et provinciaux sur le revenu et conserve donc le plein montant des allocations familiales, soit $684. Le Tableau 2 indique les allocations familiales nettes accordées aux familles de différents niveaux de revenu en 1983 (nous supposons que chaque famille est composée d'un couple et de deux enfants et ne compte qu'un salarié). Étant donné que le régime d'impôt sur le revenu des particuliers est progressif - le pourcentage de revenu payé en impôts augmente à mesure que le revenu d'un particulier augmente - la répartition des allocations familiales nettes est aussi progressive: plus le revenu d'une famille est élevé, moins ses bénéfices réels sont élevés. Le Graphique 1 illustre les caractéristiques des allocations familiales nettes. L'axe vertical indique le montant des allocations annuelles après l'impôt, alors que l'axe horizontal représente les revenus. La courbe relie les allocations familiales nettes et le niveau de revenu; par exemple, une famille ayant deux enfants qui gagne $10 000 ou moins garde le plein montant des allocations ($646 en 1982), tandis qu'une famille gagnant $30 000 ne dispose que d'un peu plus de $400 après avoir payé des impôts sur ses bénéfices. Le fléchissement de la courbe révèle la progressivité du régime d'allocations familiales: les bénéfices diminuent à mesure que le revenu augmente. Le crédit d'impôt pour enfants. Le plus récent programme fédéral à l'intention des familles, le crédit d'impôt remboursable pour enfants, a été institué en 1978 et a accordé ses premiers bénéfices en 1979. Le crédit maximum est de $343 par enfant pour l'année d'imposition 1982; il est payé dans les premiers mois de 1983. Le programme accordera des crédits d'une valeur de 1,45 milliard de dollars environ aux 5 millions d'enfants à peu près dans deux millions et demi de familles. Le crédit d'impôt pour enfants est distribué par le biais du régime d'impôt sur le revenu. Le parent qui reçoit les allocations familiales (habituellement la mère) demande le crédit en remplissant un formulaire simple accompagnant la déclaration d'impôt. Si la mère travaille à l'extérieur et gagne un revenu tel que son impôt fédéral à payer (avant la demande du crédit) dépasse la valeur du crédit auquel elle a droit, elle soustrait le montant du crédit de l'impôt à payer. Si par contre ses revenus sont faibles, de sorte que le montant du crédit dépasse l'impôt fédéral à payer, le gouvernement lui remboursera la différence. Et si elle n'a aucun impôt fédéral à payer, soit parce qu'elle n'a pas de revenu imposable, soit parce que les retenues effectuées par son employeur dépassent l'impôt qu'elle doit, on lui remboursera le plein montant du crédit auquel elle a droit. Comme c'est le cas des allocations familiales, le crédit d'impôt est versé au nom d'enfants de moins de 18 ans. Mais le crédit n'est accordé qu'aux familles à faible et à moyen revenu. Il s'agit donc d'un programme sélectif, par opposition au programme universel d'allocations familiales. Lorsque la mère présente une demande de crédit d'impôt, elle doit indiquer son «revenu familial net». On définit le «revenu net» comme le revenu total de toutes provenances qui doit être déclaré aux fins de l'impôt sur le revenu (salaire, allocations familiales, prestations d'assurance-chômage, gains en capital imposables, intérêts, dividendes, etc) moins certaines déductions (comme la déduction de 3 pour cent du revenu ou de $500 pour des dépenses relatives à un emploi, les cotisations du Régime de pensions du Canada, les primes d'assurance-chômage, les contributions à des régimes enregistrés de pension, d'épargne-retraite et d'épargne-logement, les cotisations syndicales et professionnelles, les frais de garde d'enfants et les frais de déménagement) . Le «revenu familial» englobe le revenu net de la mère et celui de son conjoint légal; si elle est seule, séparée, divorcée ou veuve à la fin de l'année, la mère ne déclare que son propre revenu net. Le crédit d'impôt maximum ($343 par enfant) est accordé aux mères dont le revenu familial net était de $26 330 ou moins en 1982. Le crédit est réduit de 5 cents pour chaque dollar de revenu familial excédant $26 330. Une famille ayant deux enfants reçoit donc le crédit maximum de $686 si le revenu net en 1982 était inférieur à $26 330, un crédit décroissant si le revenu variait entre $26 300 et $40 050, et rien du tout si le revenu dépassait $40 050. Le Tableau 3 indique les montants auxquels ont droit des familles de différente taille et de divers niveaux de revenu pour l'année d'imposition 1982. Le crédit d'impôt pour enfants est d'une importance particulière pour les familles monoparentales qui, en moyenne, ont des revenus plus faibles et courent un plus grand risque de pauvreté que les couples avec enfants (en 1980, année la plus récente pour laquelle on dispose de données complètes, 48,5 pour cent des familles monoparentales dirigées par une femme et 19 pour cent de celles qui étaient dirigées par un homme étaient en deçà du seuil de la pauvreté, comparativement à 8,8 pour cent seulement des couples avec enfants). Environ 80 pour cent des familles monoparentales reçoivent le crédit d'impôt pour enfants, comparativement à 56 pour cent des couples. La très grande majorité des parents seuls qui reçoivent le crédit d'impôt pour enfants ont des revenus faibles ou modestes; en 1980, 85 pour cent d'entre eux avaient un revenu inférieur à $15 000, comparativement à 31 pour cent des couples. Deux familles bénéficiaires sur dix sont dirigées par un parent seul. Le Graphique 2 illustre la répartition des crédits d'impôt pour enfants accordés en 1982 pour l'année d'imposition 1981. La progressivité du programme apparaît de façon très nette: les bénéfices maximums ($522 pour 2 enfants) ont été accordés aux familles dont le revenu ne dépassait pas $26 000; le crédit d'impôt baissait alors rapidement pour disparaître lorsque le revenu atteignait un peu plus de $38 000. Comme le démontre le Tableau 5, à l'échelle du pays, près de deux millions et demi de familles - 69 pour cent de l'ensemble des familles ayant des enfants de moins de 18 ans - reçoivent le crédit d'impôt. Mais le pourcentage de familles bénéficiaires est sensiblement plus élevé dans les provinces atlantiques (82 pour cent), au Manitoba (80 pour cent) et en Saskatchewan (76 pour cent). Ces résultats ne sont pas étonnants, puisque les provinces qui comptent des proportions de familles bénéficiaires supérieures à la moyenne ont aussi des taux de pauvreté chez les familles supérieurs à la moyenne et des revenus familiaux inférieurs à la moyenne. Le crédit d'impôt pour enfants accorde donc les plus grands bénéfices aux provinces qui ont le plus grand besoin de ce programme. L'exemption fiscale pour enfants à charge. L'exemption fiscale pour enfants à charge représente la plus ancienne mais probablement la moins connue des mesures adoptées par le gouvernement fédéral pour venir en aide aux familles avec enfants. Depuis 1918, les contribuables peuvent soustraire de leur revenu imposable un montant donné pour chaque enfant à leur charge. Pour la présente année d'imposition (1983), une exemption de $710 est accordée pour chaque enfant de moins de 18 ans. Dans un couple, celui des deux parents dont le revenu est le plus élevé réclame l'exemption. On néglige souvent de tenir compte de l'exemption fiscale pour enfants à charge lorsqu'il est question des bénéfices accordés aux familles avec enfants parce que bon nombre de gens ne considèrent pas les dépenses fiscales comme des programmes gouvernementaux. Pourtant, les sommes d'argent allouées par l'exemption fiscale pour enfants à charge, sous forme d'une réduction d'impôts sur le revenu, ont la même valeur que les montants accordés par l'entremise de programmes de dépenses directes comme le régime d'allocations familiales. Et le montant des recettes fiscales perdues par les trésors fédéral et provinciaux à cause de cette exemption (un montant estimatif de 1,1 milliard de dollars pour l'année d'imposition 1982) est aussi réel que celui qui est dépensé pour les allocations familiales. Toutefois, l'exemption fiscale pour enfants à charge diffère sensiblement des allocations familiales et du crédit d'impôt pour enfants dans la manière de répartir les bénéfices. Alors que la progressivité du régime d'impôt sur le revenu des particuliers rend les allocations familiales nettes progressives - les bénéfices diminuent à mesure que le revenu augmente - elle a l'effet contraire dans le cas de l'exemption fiscale pour enfants à charge, une mesure régressive qui accorde les plus importants bénéfices aux familles à revenu élevé. Pour bien comprendre comment l'exemption fiscale a pour effet de bénéficier davantage aux familles à l'aise, il faut examiner brièvement le fonctionnement du régime d'impôt sur le revenu. Le régime d'impôt fédéral répartit les revenus en 13 tranches de revenu. Le taux d'imposition applicable au revenu imposable de la tranche inférieure (moins de $1 179 pour l'année d'imposition 1983) est de 6 pour cent; le taux applicable au revenu de la tranche suivante ($1 179 à $2 358) est de 16 pour cent; et ainsi de suite jusqu'à la tranche supérieure, où un taux d'imposition de 34 pour cent s'applique aux revenus excédant $141 480. Sauf dans la province de Québec, qui a son propre régime d'impôt progressif, l'impôt sur le revenu provincial est déterminé comme un pourcentage de l'impôt fédéral. Par conséquent, le taux d'imposition fédéral et provincial combiné qui s'applique à chaque tranche de revenu est plus élevé que le taux fédéral; par exemple, un contribuable ontarien à la tranche inférieure paye 8,9 pour cent de son revenu en impôts - il en verse 6 pour cent au trésor fédéral et 2,9 pour cent à la province. Plus la tranche de revenu est élevée, plus le taux d'imposition sur le revenu de cette tranche est élevé. Une telle échelle de taux d'imposition est essentielle à un régime d'impôt sur le revenu progressif, fondé sur le principe de la capacité contributive. Chaque fois qu'un particulier gagne un dollar de plus, ce dollar est ajouté à sa tranche de revenu supérieure et est imposé au taux applicable le plus élevé (le taux d'imposition le plus élevé d'un contribuable). De la même façon, chaque fois qu'un dollar de revenu est exonéré d'impôt, ce dollar provient de la tranche supérieure. Une dépense fiscale telle que l'exemption pour enfants à charge est très profitable au contribuable à revenu élevé parce qu'elle réduit la partie des revenus soumise au taux d'imposition le plus élevé, et dans certains cas, fait baisser le revenu à la tranche d'en-dessous qui comporte un taux d'imposition moins élevé. Le contribuable à revenu moyen peut aussi soustraire de son revenu imposable $710 pour chacun de ses enfants, mais l'économie fiscale qu'il réalise est moins importante parce que son taux d'imposition à la tranche supérieure est inférieur à celui du contribuable plus à l'aise. L'exemption fiscale pour enfants à charge n'a aucune valeur pour le parent dont le revenu est si faible qu'il n'a pas à payer d'impôts. Prenons de nouveau le cas d'un couple avec deux enfants ne comptant qu'un salarié. L'exemption fiscale pour enfants à charge a réduit de $42 807 à $41 467 le revenu imposable de 1982 d'une famille à l'aise gagnant $50 000; elle paye donc $595 de moins en impôts. Un chef de famille à revenu moyen qui gagne $25 000 a soustrait lui aussi $1 340 pour ses deux enfants, mais n'a épargné que $456 en impôts, soit $139 de moins que le contribuable à revenu élevé. Le couple à faible revenu avec deux enfants qui ne gagne que $10 000 a obtenu $223 seulement. Et les familles les plus pauvres, soit celles qui gagnent $8 500 ou moins, n'ont pas tiré un sou de l'exemption fiscale. Le Graphique 3 indique la répartition des bénéfices qu'apporte l'exemption fiscale pour enfants à charge à un couple comptant un seul salarié et deux enfants. Deux caractéristiques de l'exemption sautent aux yeux. La ligne qui relie les bénéfices et les revenus va vers le haut, démontrant la régressivité du programme - plus le revenu augmente, plus les bénéfices sont importants. Les familles au bas de l'échelle des revenus (dans notre exemple, celles qui gagnent $8 500 ou moins) ne tirent aucun profit de l'exemption fiscale pour enfants à charge, ce qui révèle le caractère sélectif du programme. Mais contrairement au crédit d'impôt pour enfants, qui exclut les familles à l'aise, l'exemption fiscale pour enfants à charge exclut les familles avec enfants les plus pauvres. Les données statistiques indiquent que les familles à l'aise reçoivent la part du lion des avantages offerts par l'exemption fiscale pour enfants à charge, alors que les familles à faible et à moyen revenu en bénéficient le moins. Les contribuables qui se trouvent dans la moitié inférieure de l'échelle des revenus bénéficient de 10 pour cent seulement de l'ensemble des avantages fiscaux provenant de l'exemption, tandis que ceux de la moitié supérieure reçoivent 90 pour cent des bénéfices. On constate même que les 20 pour cent de contribuables aux revenus les plus élevés bénéficient de plus de la moitié de l'ensemble des épargnes fiscales provenant de l'exemption fiscale pour enfants à charge. L'effet de fluctuation. Le Tableau 6 résume les principales caractéristiques des trois programmes fédéraux à l'intention des familles avec enfants. Les allocations familiales représentent le programme le plus coûteux; elles sont versées à toutes les familles avec enfants (c'est-à-dire que le régime est universel), et elles aident le plus les familles à faible revenu et le moins les familles à l'aise (c'est-à-dire que le régime est progressif). Le crédit d'impôt pour enfants est sélectif, c'est-à-dire qu'il s'adresse aux familles à faible et à moyen revenu et exclut les familles à l'aise; ses effets sont progressifs. L'exemption fiscale pour enfants à charge n'a aucune raison de faire partie des programmes sociaux: elle exclut les familles avec enfants les plus pauvres et accorde les plus grands bénéfices à celles dont les revenus sont les plus élevés. L'effet global des trois programmes qui s'adressent aux familles avec enfants n'est pas logique dans le contexte d'une politique sociale. L'effet de l'exemption fiscale pour enfants à charge, qui aide le plus les familles à l'aise, annule l'impact progressif des allocations familiales et du crédit d'impôt remboursable pour enfants. Le Graphique qui suit illustre la répartition illogique des bénéfices résultant de l'ensemble des trois programmes. Comme dans les autres graphiques, le Graphique 4 illustre les caractéristiques des bénéfices accordés à un couple avec deux enfants ne comptant qu'un salarié. La ligne qui relie les bénéfices et le revenu monte et descend continuellement. En 1982, les familles les plus pauvres (celles qui gagnaient moins de $8 500) ont obtenu $1 168 - $646 sous forme d'allocations familiales, $522 sous forme de crédit d'impôt pour enfants, et rien du tout de l'exemption fiscale pour enfants à charge. Lorsque la famille gagne $9 000, les bénéfices passent à $1 293, parce qu'elle profite un peu de l'exemption fiscale et reçoit encore les allocations familiales et le crédit d'impôt maximums. La ligne continue à grimper jusqu'à ce que le revenu atteigne $11 000; les bénéfices provenant des trois programmes s'élèvent à $1 404. La ligne baisse ensuite à $1 353 lorsque la famille gagne $12 000; elle remonte alors lentement jusqu'à $1 428 lorsque le revenu de la famille est de $24 000; elle redescend peu à peu jusqu'à $930, dans le cas des familles qui gagnent $38 000; elle grimpe encore une fois, à $977, lorsque le revenu de la famille est de $40 000; et elle baisse à $954 lorsque la famille gagne de $41 000 à $50 000. Si la répartition irrégulière des bénéfices pour les familles avec enfants est difficile à justifier, elle n'est toutefois pas difficile à comprendre. Les familles les plus pauvres bénéficient de deux programmes les allocations familiales et le crédit d'impôt pour enfants au taux maximum; elles ne tirent aucun profit de l'exemption fiscale pour enfants à charge parce que leurs revenus sont si faibles qu'ils ne sont pas imposables. La majorité des familles (dans notre exemple se reportant à des couples avec deux enfants, ce sont les familles qui gagnent de $8 600 à $38 000 en 1982) sont admissibles aux trois bénéfices pour les familles avec enfants. Le montant qu'elles reçoivent de chaque programme dépend du niveau de leurs revenus - les allocations familiales nettes et le crédit d'impôt pour enfants diminuent à mesure que le revenu augmente, tandis que l'exemption fiscale pour enfants à charge fait le contraire - mais les trois bénéfices ne varient pas au même taux ou dans le même sens que le revenu, ce qui signifie que le rapport entre les bénéfices globaux et le revenu ne produit pas une courbe graduelle et régulière. Par exemple, la famille qui gagne $15 000 (et qui se trouve à plus de $2 000 en deçà du seuil de la pauvreté) recevait en 1982 $474 en allocations familiales nettes, $522 sous forme de crédit d'impôt pour enfants et $376 de l'exemption fiscale pour enfants à charge, soit un total de $1 372. La famille qui gagne $24 000 - $9 000 de plus que la première - bénéficiait de bénéfices globaux plus élevés; elle recevait une somme d'allocations familiales nettes moins importante ($454) et le même crédit d'impôt ($522) que la première famille, mais elle bénéficiait beaucoup plus de l'exemption fiscale pour enfants à charge ($452 par opposition à $376), ce qui lui donne un total de $1 428 - $56 de plus que le montant accordé à la famille pauvre. Dans notre exemple, les familles qui gagnent $39 000 et plus ne sont pas admissibles au crédit d'impôt pour enfants. Leurs principaux bénéfices proviennent de l'exemption fiscale pour enfants à charge, qui est considérablement plus élevée que leurs allocations familiales nettes; chez les familles dont le revenu varie entre $41 000 et $50 000, l'exemption fiscale représente 62 pour cent de l'ensemble de leurs bénéfices. Mais chose étrange, les familles gagnant plus de $40 000 ont obtenu de plus gros bénéfices que les familles dont le revenu variait entre $38 000 et $39 000; chez le groupe plus à l'aise, l'épargne fiscale plus élevée provenant de l'exemption pour enfants à charge compensait largement la somme moins élevée d'allocations familiales nettes. La répartition des bénéfices fédéraux pour les familles avec enfants n'est pas seulement étrange: elle est aussi très inéquitable. Les bénéfices ne s'accordent pas au besoin financier, au grand détriment des familles à faible revenu avec enfants. Un couple ontarien avec deux enfants dont un seul parent travaille, au salaire minimum, a reçu en 1982 un montant total de $1 168 des programmes d'aide aux familles avec enfants - $646 en allocations familiales et $522 sous forme de crédit d'impôt, bien que la famille ait été trop pauvre pour tirer profit de l'exemption fiscale pour enfants à charge - ce qui a haussé son revenu total à $8 448. La famille se trouvait à $9 680 en deçà du seuil de la pauvreté, mais les bénéfices provenant des allocations familiales et du crédit d'impôt pour enfants lui apportaient un supplément dont elle avait grand besoin et qui réduisait de presque $1 200 la distance qui la séparait du seuil de la pauvreté. Pourtant, la famille dont le revenu se situait aux environs du salaire industriel moyen (à peu près $20 500 en 1982) recevait pour sa part des bénéfices d'une valeur de $1 378 - $210 de plus que la famille pauvre. Peu de gens mettraient en doute le besoin d'aide financière de la deuxième famille pour élever ses enfants, car son revenu total, soit $21 378, était de beaucoup inférieur au revenu familial moyen (revenu estimatif de $31 000 en 1982). Mais pourquoi les bénéfices qu'elle reçoit des programmes pour les familles avec enfants seraientils plus élevés que ceux qu'on accorde à la famille pauvre? Et surtout, dans le cadre d'une politique sociale sensée, pourquoi accorderait-on à une famille qui gagne $50 000 - 7 fois plus que la famille au salaire minimum - des bénéfices de $954, inférieurs de seulement 20 pour cent aux bénéfices de $1 168 qui sont accordés à la famille pauvre? Les bénéfices fédéraux pour les familles avec enfants sont essentiels à la survie des familles à faible revenu; le cadeau de presque $1 000 qu'on offre aux familles à l'aise ne l'est manifestement pas. Les arguments. Comme on a pu le voir au chapitre précédent, bien qu'il existe trois programmes fédéraux pour les familles avec enfants, le plus visible d'entre eux, soit le régime d'allocations familiales, est celui qui retient le plus l'attention de la population. Malheureusement, à se demander sans cesse s'il faut continuer à verser les allocations à toutes les familles sans égard au revenu, on restreint inutilement l'étendue du débat public. Une discussion logique des allocations familiales doit aussi tenir compte du coût et des effets du crédit d'impôt pour enfants et de l'exemption fiscale pour enfants à charge, et évaluer l'ensemble des trois programmes à titre de politique sociale à l'intention des familles avec enfants. Il importe néanmoins de comprendre les arguments qui ont été présentés en faveur et à l'encontre de l'universalité des allocations familiales. Commençons par les arguments des gens qui voudraient transformer en programme sélectif le régime universel d'allocations familiales. Abolir l'universalité. Ceux qui s'objectent au versement universel des allocations familiales considèrent que les parents à revenu élevé n'ont pas besoin d'une aide financière gouvernementale pour élever leurs enfants. Ces personnes considèrent comme un gaspillage coûteux de fonds publics, l'envoi mensuel d'allocations à toutes les familles sans égard au revenu, particulièrement en cette période économique difficile. Selon cette école de pensée, le programme d'allocations familiales devrait être un programme sélectif. Les familles à l'aise ne devraient pas y avoir accès, les bénéfices étant réservés aux familles qui en ont vraiment besoin. Les gens qui critiquent L'universalité des allocations familiales ne s'entendent pas sur la façon d'utiliser les épargnes réalisées en excluant du programme les familles à l'aise. L'automne dernier, selon certains, le Cabinet fédéral considérait l'adoption d'un tel changement, afin de libérer des fonds pour la création d'emplois. Bon nombre de gens sont d'avis que le Canada n'a plus les moyens de faire des dépenses sociales de cette ampleur; ils envisagent des coupures dans les programmes universels tels que les allocations familiales et la sécurité de la vieillesse comme une façon de financer des initiatives de redressement économique sans hausser le déficit fédéral de 26 milliards de dollars. D'autres conserveraient les sommes épargnées dans le secteur des dépenses sociales, mais les accorderaient aux familles à faible revenu par l'entremise du crédit d'impôt pour enfants. Maintenir l'universalité. Les divers arguments en faveur du maintien de l'universalité des allocations familiales se répartissent en quatre catégories: sociale, économique, politique et administrative. Les concepteurs des allocations familiales voulaient que le programme soit pour la société une façon concrète de reconnaître la contribution qu'apportent à cette société les parents qui élèvent les citoyens de demain et les membres éventuels de la population active. De la même façon que l'exemption fiscale pour enfants à charge tenait compte depuis plusieurs décennies du coût et de la valeur de l'éducation des enfants en allégeant le fardeau fiscal des contribuables qui élèvent des enfants, les allocations familiales reconnaîtraient elles aussi le rôle important que jouent les parents et compenseraient dans une certaine mesure l'absence de mécanismes sur le marché du travail reconnaissant les responsabilités financières additionnelles des travailleurs avec enfants à charge. Les défenseurs de l'universalité des allocations familiales croient que cet objectif social fondamental est aussi valable aujourd'hui qu'il l'était au moment de la création du programme il y a près de quarante ans. Même ceux qui rejettent l'argument selon lequel la société devrait reconnaître la contribution de tous les parents, quels que soient leurs revenus, endossent parfois l'universalité des allocations familiales pour une autre raison. Ils considèrent les programmes universels tels que les allocations familiales, la sécurité de la vieillesse, le Régime de pensions du Canada et l'assurance-chômage comme la base fondamentale et précieuse sur laquelle reposent les programmes sociaux sélectifs s'adressant aux familles et aux particuliers dans le besoin. Peu importe leur lieu de résidence ou leurs revenus, tous les Canadiens bénéficient de certains programmes universels à un moment donné au cours de leur vie. Laisser tomber le principe de l'universalité au sein d'un régime aussi prestigieux que celui des allocations familiales affaiblirait la base même du système canadien de sécurité sociale. Avec les années, les contribuables appuieraient de moins en moins les dépenses sociales, et les gens qui doivent s'adresser à des programmes sélectifs pour obtenir une aide financière en souffriraient. Cet argument n'est pas si théorique qu'on pourrait le croire. A tort ou à raison, bon nombre de Canadiens à revenu moyen trouvent qu'ils supportent plus que leur part du poids fiscal comparativement à ce qu'ils obtiennent en retour du gouvernement. Les programmes universels comme les allocations familiales et la sécurité de la vieillesse font partie des bénéfices peu nombreux que tirent la plupart des contribuables du système de sécurité sociale. Si on abolissait l'universalité des programmes comme les allocations familiales, la classe moyenne majoritaire pourrait bien se montrer moins prête à financer des améliorations aux programmes sociaux sélectifs s'adressant aux personnes à faible revenu, ou même à maintenir ces dépenses à leur niveau actuel. L'abolition de l'universalité pourrait nuire d'une autre façon aux familles à faible revenu. Les programmes sociaux sélectifs qui s'adressent aux pauvres ont tendance à couvrir les bénéficiaires de honte, à les mettre à l'écart des autres membres de la société. L'aide sociale provinciale (le «bien-être social») est l'exemple classique d'un programme sélectif qui, selon ses critiques, traite ses bénéficiaires comme des citoyens de deuxième classe et aide à perpétuer leurs problèmes au lieu de les alléger. Les programmes universels, par contre, viennent en aide à tous les Canadiens qui partagent une caractéristique commune n'ayant rien à voir avec le besoin financier. Les allocations familiales sont accordées à toutes les familles avec enfants de moins de 18 ans, les prestations de sécurité de la vieillesse à tous les hommes et les femmes de 65 ans et plus, et les prestations d'assurance-chômage à tous les sans-emploi. Ces bénéfices universels sont répartis également entre les Canadiens de différents niveaux de revenu. Les programmes sociaux universels unissent donc les Canadiens et favorisent un esprit communautaire, alors que les programmes sélectifs ont plutôt tendance à diviser la société et à renforcer les inégalités économiques. On peut aussi craindre que l'abolition de l'universalité d'un régime aussi prestigieux que celui des allocations familiales ne se répande ensuite à d'autres programmes sociaux universels. On perdrait un mécanisme important mais souvent négligé favorisant l'unité communautaire et nationale, et les personnes pauvres seraient encore plus isolées des autres membres de la société. On a aussi défendu l'universalité des allocations familiales sous prétexte qu'elles «appartiennent aux femmes». Les allocations familiales, selon cet argument populaire, sont la seule source de revenu à laquelle toutes les mères canadiennes ont pleinement droit. Il arrive, même au sein de familles à l'aise, que le mari refuse de répondre adéquatement aux besoins de l'épouse et des enfants. Tant et aussi longtemps que les lois sur les biens matrimoniaux n'accorderont pas aux épouses la part des ressources financières familiales qui leur revient, il n'est pas raisonnable de les priver du droit acquis aux allocations familiales sous prétexte que le revenu du mari est aussi celui de l'épouse. On a de plus réalisé très peu de progrès au cours des dernières années dans les efforts pour rétrécir l'écart entre les hommes et les femmes sur le plan économique, de sorte qu'il serait peu logique d'affaiblir davantage la situation financière des femmes considérées comme groupe. On est aussi d'avis que les allocations familiales universelles sont une façon de reconnaître la valeur du travail des femmes qui demeurent au foyer pour y élever des enfants. Quoique les allocations familiales aient un objectif principalement social, elles ont aussi un impact positif sur l'économie qui pourrait souffrir de la transformation du régime universel en programme sélectif. Les allocations familiales ont été créées au tout début en partie pour stimuler la consommation et donc pour empêcher une baisse de l'économie après la guerre, au moment de reprendre la production du temps de paix. Peu importe la façon dont les familles dépensent les allocations familiales - il semblerait que les familles à faible et à moyen revenu consacrent leurs allocations à des articles essentiels, alors que les mères à l'aise considèrent souvent les leurs comme faisant partie de leur «petite monnaie» personnelle - le programme alimente l'économie, qui achète des biens et services et, par conséquent, aide à créer et à soutenir des emplois. La transformation du régime universel en programme sélectif pourrait affaiblir le stimulus économique des allocations familiales, un résultat particulièrement indésirable en cette époque où bon nombre de commerces canadiens ont désespérément besoin de clients. Il se pourrait bien que l'affectation à la création d'emploi des sommes récupérées du programme d'allocations familiales ne soit qu'une façon de décoiffer saint Pierre pour coiffer saint Paul; en effet, on pourrait perdre un plus grand nombre d'emplois en abolissant l'universalité des allocations qu'on en créerait en affectant à la création d'emploi les sommes récupérées du programme d'allocations familiales. Lorsqu'on examine le montant qui serait effectivement épargné, l'argument selon lequel la restriction des allocations familiales n'apporterait qu'une fausse épargne prend plus de poids. Si, par exemple, on privait d'allocations familiales les familles dont le revenu est suffisamment élevé pour les priver du droit au crédit d'impôt pour enfants - les 28 pour cent de familles avec enfants dont les revenus sont les plus élevés -, on aurait épargné en 1981-1982 un montant brut d'environ $560 millions, les bénéfices baissant de 2 milliards de dollars à 1,44 milliard. Mais l'épargne réelle serait moins élevée, puisqu'on perdrait les impôts sur le revenu que ces familles à l'aise payent sur leurs allocations familiales - environ 185 millions de dollars. L'épargne nette n'aurait donc été que de $375 millions. Compte tenu des sommes importantes que nécessite la création d'emploi - le programme de relance de l'aide à l'emploi ne fournira que 120 000 emplois qui dureront 30 mois en moyenne, et coûtera environ 1 milliard de dollars aux gouvernements fédéral et provinciaux - et de la perte d'emplois résultant des dépenses réduites des consommateurs, la transformation des allocations familiales universelles en allocations sélectives pourrait s'avérer une politique économique fort peu avantageuse. Les raisons politiques à l'appui du maintien d'un régime universel d'allocations familiales sont assez simples. Le programme est populaire et bénéficie à des millions de familles et d'enfants à travers le pays. Modifier le caractère universel des allocations familiales consisterait à briser ce qu'on a décrit comme un «contrat social» entre les Canadiens et le gouvernement fédéral. Un gouvernement qui abolirait le principe d'allocations universelles risquerait de s'aliéner une grande partie de l'électorat; un parti d'opposition qui proposerait d'abolir l'universalité des allocations familiales risquerait de perdre plus de votes que ne lui en rapporterait une telle promesse électorale. Même si on privait d'allocations familiales seulement une minorité de familles à l'aise, l'anxiété et l'incertitude engendrées chez bon nombre de familles avec enfants - même celles qui ne seraient pas touchées par le changement - pourraient représenter un engagement politique susceptible de hanter un parti politique aux prochaines élections. Enfin, le régime d'allocations familiales présente certains avantages conceptuels qui disparaîtraient si le programme devenait sélectif. La meilleure façon d'apprécier les vertus administratives du régime consiste à souligner quelques-unes des difficultés qu'on rencontrerait si le programme devenait sélectif. La façon la plus simple de déterminer l'admissibilité à un programme sélectif d'allocations familiales serait d'utiliser le revenu rapporté dans la déclaration d'impôt sur le revenu; c'est la technique qu'utilise le crédit d'impôt pour enfants. Cette méthode fonctionne bien pourvu que le revenu demeure relativement stable d'année en année. Malheureusement, la déclaration d'impôt rapporte le revenu de l'année précédente. Le revenu d'un grand nombre de familles subit des hausses ou des baisses marquées d'une année à l'autre. Par conséquent, certaines familles à l'aise qui en réalité ne devraient pas être admissibles à des allocations familiales sélectives recevraient quand même des prestations si leurs revenus de l'année précédente étaient plus faibles. Pis encore, une famille pourrait subir une perte de revenu (à cause du chômage, d'une invalidité ou du décès d'un salarie) sans obtenir les allocations familiales dont elle a besoin parce que son revenu de l'année précédente était trop élevé. On pourrait comme solution de rechange évaluer le revenu de l'année en cours afin que les allocations familiales répondent aux besoins présents. Il est malheureusement extrêmement difficile de mettre au point un mécanisme pratique d'évaluation du revenu actuel. Le revenu de la famille peut varier d'un mois à l'autre au cours de la même année, de sorte qu'il faudrait quand même ajuster à la fin de l'année les plus-payés et les moins-payés. On pourrait évaluer plus fréquemment le revenu pour assurer une plus grande harmonie entre les bénéfices et le besoin, mais il faudrait alors un système de comptabilité lourd et coûteux qui causerait des difficultés aux administrateurs comme aux bénéficiaires. Dans leur forme actuelle, les allocations familiales ne sont pas à la merci de ces pièges administratifs. Les frais généraux sont peu élevés - moins de 1 pour cent seulement du coût total. Le programme étant universel, il n'est pas nécessaire d'évaluer le revenu. Les bénéfices réels (c'est-à-dire les allocations familiales moins les impôts sur le revenu qui sont rembourses) répondent raisonnablement bien aux besoins des familles parce que la plupart des gens payent des impôts sur une base mensuelle au moyen de prélèvements à la source. Les allocations familiales parviennent à presque toutes les familles qui y sont admissibles, alors que le taux de participation au programme serait plus faible si les familles devaient déclarer leurs revenus pour avoir droit aux allocations. Quelle que soit la situation financière de la famille, elle peut compter sur ce supplément de revenu fréquent et sûr qui est distribué sans grandes tracasseries. Proposition. Toute proposition de changement sérieuse doit tenir compte des trois programmes fédéraux pour les familles avec enfants, et non des seules allocations familiales. Nous croyons que la réforme des programmes devrait répondre aux trois grands objectifs suivants: repartir les ressources en faveur des familles les plus nécessiteuses; maintenir une base de paiements universels pour toutes les familles avec enfants; et n'entraîner aucune hausse des dépenses gouvernementales. Le Conseil national du bien-être social propose une restructuration majeure des programmes fédéraux à l'intention des familles avec enfants. Il faudrait abolir l'exemption fiscale pour enfants à charge et utiliser les épargnes ainsi réalisées pour accroître le crédit d'impôt remboursable pour enfants. Les allocations familiales devraient demeurer des bénéfices universels et imposables. Si les sommes consacrées par le gouvernement fédéral à l'exemption fiscale pour enfants à charge étaient dirigées plutôt vers le crédit d'impôt pour enfants et si on baissait le seuil de revenu familial donnant droit au crédit maximum de son niveau actuel de $26 330 au niveau de $21 000, on pourrait hausser le crédit d'impôt pour enfants payable en 1983 de $343 à $575 par enfant. Les parents à faible et à modeste revenu, qui sont admissibles au montant maximum, bénéficieraient d'un crédit d'impôt pour enfants accru de 68 pour cent. Nous proposons aussi l'adoption de trois changements dans la conception du crédit d'impôt pour enfants. Le crédit d'impôt plus élevé devrait être payé plus souvent qu'une fois par année. Le seuil de revenu donnant droit au crédit d'impôt maximum devrait être baisse afin que les bénéfices s'adressent davantage aux familles dans le besoin. La définition du revenu qui sert à déterminer l'admissibilité au crédit d'impôt pour enfants devrait être modifiée de manière à ne plus permettre de soustraire les contributions à des régimes enregistrés de pension, d'épargne-retraite et d'épargne-logement. Exemption fiscale pour enfants à charge. Les arguments en faveur de l'abolition de l'exemption fiscale pour enfants à charge sont irréfutables. L'exemption coûte plus d'un milliard de dollars et accorde les plus grands bénéfices aux familles à l'aise qui n'ont pas besoin d'une aide financière gouvernementale alors qu'elle exclut les familles canadiennes avec enfants qui sont les plus pauvres. Le crédit d'impôt pour enfants, Far contre, aide surtout les familles dont le revenu est inférieur à la moyenne, aide un peu moins les familles à revenu moyen, et n'apporte rien du tout aux familles riches. En allouant les sommes dépensées pour l'exemption fiscale régressive pour enfants à charge au crédit d'impôt progressif pour enfants, on repartirait les bénéfices des familles à revenu élevé qui ont le moins besoin d'aide entre les familles pauvres qui ont besoin, pour élever leurs enfants, de l'aide financière la plus complète qu'elles peuvent obtenir. Crédit d'impôt pour enfants. Le crédit d'impôt pour enfants est présentement paye une fois l'an en un montant global. Bon nombre de familles, notamment celles dont le revenu est limite, apprécient le paiement annuel, parce qu'elles peuvent ainsi se permettre les gros achats que leurs budgets habituels peuvent difficilement supporter. D'autres voudraient que le crédit d'impôt soit réparti en plusieurs versements au cours de l'année, pour que la somme puisse aider à payer les dépenses courantes comme la nourriture, les services publics et les vêtements. Notre proposition aurait pour effet de hausser sensiblement le crédit d'impôt pour enfants. Une famille de deux enfants dont le revenu était inférieur à $21 000 en 1982 recevrait cette année $1 150 au lieu des $686 qu'elle recevra en vertu du programme actuel; si la famille comptait trois enfants, le crédit grimperait à $1 725. Nous croyons que les familles bénéficieraient davantage d'un crédit d'impôt enrichi reparti en plusieurs versements, surtout lorsqu'on tient compte du fait que ceux-ci seraient quand même assez importants. Les parents qui ont besoin de prestations plus souvent qu'une fois par année les auraient, tandis que ceux qui voudraient accumuler leurs versements en vue de gros achats ou d'épargnes seraient libres de le faire. Nous recommandons donc que le crédit d'impôt enrichi soit verse plus souvent qu'une fois par année. On pourrait par exemple repartir le montant global en trois versements - le premier au printemps, le deuxième à la fin de l'été avant la rentrée des classes, et le troisième avant Noël. Le crédit d'impôt pour enfants s'adresse aux familles à faible et à moyen revenu. Cette année, les familles dont le revenu était de $26 330 ou moins en 1982 reçoivent le crédit maximum; le crédit est réduit de 5 cents pour chaque dollar de revenu au-dessus de $26 330. Toutefois, à cause du plafond élevé de $26 330, certaines familles relativement à l'aise sont quand même admissibles à un crédit partiel. Par exemple, un contribuable ayant un conjoint et deux enfants à charge et dont le revenu était de $35 000 en 1982 - $15 000 de plus que le salaire industriel moyen - recevra cette année, en vertu du programme actuel, un crédit d'impôt pour enfants de $253. En baissant le seuil de revenu ouvrant droit au crédit maximum, le crédit d'impôt pour enfants bénéficierait davantage aux familles qui en ont le plus besoin. Nous recommandons que le plafond soit réduit de $26 330 (ce qui représente environ 85 pour cent du revenu familial moyen) à $21 000, ce qui équivaut à environ deux tiers du revenu familial moyen et 1,16 fois le seuil de pauvreté pour une famille de quatre. Si le plafond était de $21 000, le crédit d'impôt pour enfants accorderait les plus gros bénéfices aux familles pauvres et quasipauvres avec enfants, et des bénéfices décroissants aux familles à revenu moyen. Le crédit d'impôt accru devrait continuer d'être pleinement indexe au coût de la vie selon l'Indice des prix à la consommation. Il faudrait aussi améliorer la définition du revenu qui sert à déterminer l'admissibilité au crédit d'impôt pour enfants. A l'heure actuelle, les parents peuvent soustraire leurs contributions aux régimes enregistrés de pension, d'épargne-retraite et d'épargne-logement en établissant le revenu familial net. Par conséquent, la famille dont le revenu réel est trop élevé pour qu'elle ait droit au crédit d'impôt pour enfants peut quand même recevoir un crédit partiel si (comme il est probable) elle réussit à réduire suffisamment son revenu en soustrayant ses contributions à des régimes enregistrés de pension, d' épargneretraite et d'épargne-logement. De la même façon, une famille peut bénéficier du crédit d'impôt maximum alors qu'elle n'aurait droit qu'a un crédit partiel si ces déductions n'étaient pas autorisées. Prenons pour illustrer ce problème le cas d'une famille ayant deux enfants et dont l'unique salarié gagnait $41 000 en 1982. Supposons que le salarié a versé des cotisations de $2 500 à un régime enregistré de pension, de $1 000 à un régime d'épargne-retraite et de $1 000 à un régime d'épargne-logement (ces suppositions sont réalistes puisque les Canadiens à revenu élevé sont plus en mesure de profiter de ces mécanismes d'épargne et de placement qui réduisent les impôts). S'il n'était pas permis de soustraire ces contributions à des régimes enregistrés de pension, d'épargne-retraite et d'épargne-logement, la famille en question ne serait pas admissible au crédit d'impôt pour enfants. Mais la définition actuelle du «revenu familial net» permet de soustraire ces contributions, et la famille peut donc réduire son revenu de $4 500 au moment de déterminer l'admissibilité au crédit d'impôt pour enfants, ce qui lui donne droit à un crédit de $199. Pour mettre un terme au gaspillage d'argent que représentent les crédits d'impôt accordés aux familles à l'aise, il suffirait de modifier la formule de déclaration d'impôt sur le revenu de manière que la définition du revenu ne permette plus de soustraire les contributions aux régimes enregistres de pension, d'épargne-retraite et d'épargne-logement. Les épargnes ainsi réalisées devraient servir à hausser le crédit d'impôt pour enfants accorde aux familles à faible et à modeste revenu. Allocations familiales. Nous ne voyons pas pour l'instant de raison incitant à modifier le régime d'allocations familiales. Parce qu'elles sont imposables, les allocations bénéficient le plus aux Canadiens pauvres et le moins aux familles riches. Il est beaucoup plus juste d'abolir l'exemption fiscale régressive pour enfants à charge que de s'en prendre aux allocations familiales progressives. De plus, la restructuration des programmes d'aide aux familles avec enfants que nous proposons réduirait considérablement les bénéfices accordés aux familles à revenu élevé; par exemple, les bénéfices des familles dont le revenu est de $50 000 seraient réduits de 60 pour cent. Il existe aussi des arguments de poids en faveur du principe de l'universalité des allocations familiales. Ces arguments sont exposes brièvement ici; pour de plus amples renseignements, les lecteurs sont priés de consulter le chapitre précédent. Les allocations universelles reconnaissent la valeur que notre société accorde à l'éducation des enfants. Elles sont une source modeste mais importante de revenu personnel pour les mères, notamment celles qui travaillent au foyer à plein temps; abolir l'universalité des allocations ne ferait qu'élargir l'écart économique qui persiste entre les hommes et les femmes. En favorisant la consommation, les allocations familiales aident à créer et à maintenir des emplois; on pourrait perdre plus d'emplois qu'on ne créerait si on détournait une partie des allocations familiales vers des programmes de création d'emploi directe ne fournissant que des emplois temporaires. De toute manière, les épargnes réalisées en privant d'allocations familiales les familles à revenu élevé ne seraient pas assez importantes pour réduire le taux de chômage d'une manière perceptible. La place qu'occupent les allocations familiales au sein du système global de sécurité sociale au Canada demeure l'argument le plus valable en faveur du maintien de l'universalité des allocations. Quelle que soit leur situation économique, tous les Canadiens profitent à un moment donne des programmes universels d'allocations familiales, de sécurité de la vieillesse ou de soins de santé, alors qu'une minorité seulement de Canadiens doivent faire appel aux programmes et aux services sélectifs à l'intention des personnes dans le besoin. Les programmes universels aident à justifier le système de sécurité sociale aux yeux de la population canadienne et permettent d'obtenir l'appui des contribuables pour les dépenses sociales s'adressant aux citoyens à faible revenu. L'abandon des allocations familiales universelles menacerait d'autres programmes universels et, avec le temps, minerait l'appui de la population à l'endroit des améliorations qu'il faudrait apporter aux programmes sélectifs à l'intention des personnes nécessiteuses. En fin de compte, les pauvres pourraient être les grands perdants de l'abandon de l'universalité. Les avantages de la réforme. La proposition du Conseil maintiendrait l'universalité des programmes fédéraux pour les familles avec enfants, mais le système serait beaucoup plus progressif que celui qu'il supplanterait. Le tableau suivant compare les montants que recevaient en 1982 des familles avec deux enfants, en vertu des programmes actuels, avec les sommes qu'elles obtiendraient en 1983 aux termes d'un système restructuré. Comme l'indique le Tableau 7, les familles les plus pauvres recevraient une hausse de bénéfices de $666 grâce au crédit d'impôt pour enfants enrichi et aux allocations familiales, hausse dont elles ont grand besoin. Les familles à faible et à modeste revenu bénéficieraient aussi sensiblement de la réforme des programmes. Les familles gagnant $28 000 ou plus subiraient une réduction de plus en plus importante à mesure que le revenu augmente. Les familles dans la catégorie du tableau aux revenus supérieurs - $48 000 à $50 000 - recevraient $573 de moins suite aux changements. Le Graphique 5 illustre le changement qu'apporterait notre proposition à la répartition des bénéfices pour les familles avec enfants. La ligne pointillée établit le rapport entre les bénéfices et le revenu aux termes des programmes actuels - les allocations familiales, le crédit d'impôt pour enfants et l'exemption fiscale pour enfants à charge - pour l'année 1982. La ligne pleine indique les bénéfices qui seraient accordes en 1983 en vertu d'un système restructure comprenant un crédit d'impôt accru et les allocations familiales. La ligne inégale produite par les programmes actuels, révélant que les bénéfices n'ont aucun rapport logique avec le revenu, serait remplacée par une courbe décroissante et graduelle, révélant un système progressif qui ajuste les bénéfices en fonction du besoin. Toutes les familles avec enfants continueraient de recevoir des bénéfices, mais les familles pauvres et quasi-pauvres en obtiendraient beaucoup plus et les familles riches beaucoup moins. Non seulement notre proposition réaliserait-elle un système équitable de bénéfices pour les familles avec enfants, mais elle renforcerait aussi la lutte du gouvernement fédéral contre la pauvreté et le chômage. Au cours des années 1960 et 1970, le Canada a réalisé des progrès considérables dans ses efforts pour réduire le risque de pauvreté des familles. En 1969, une famille sur cinq (20,8 pour cent) vivait en deçà du seuil de la pauvreté; en 1981, une famille sur huit (12,5 pour cent) était pauvre. Cette amélioration est en partie le résultat de l'augmentation du nombre de familles à deux salaries. Deux épouses sur trois font maintenant partie de la population active. Bien entendu, les familles qui comptent deux salaries sont plus favorisées que si elles n'en avaient qu'un; même si un conjoint perd son emploi, la famille peut encore compter sur ses prestations d'assurance-chômage pour suppléer au revenu du conjoint salarie. Si les épouses ne faisaient pas partie de la population active, le pourcentage de couples vivant dans la pauvreté grimperait de 55 pour cent. Les améliorations dans la politique gouvernementale de sécurité du revenu ont aussi aidé à réduire le risque de pauvreté et à hausser le revenu des familles avec enfants. Les bénéfices fédéraux pour les familles avec enfants ont joue un grand rôle à cet égard. Les allocations familiales ont triplé en 1974, et elles ont été indexées au coût de la vie. Le crédit d'impôt remboursable pour enfants institue en 1978 ajoutait un nouveau programme prometteur pour les familles à faible revenu avec enfants. En cette période où la récession menace de ralentir sinon de renverser la tendance à long terme vers une baisse de la pauvreté chez les familles, il est temps de faire faire à la réforme des programmes d'aide aux familles avec enfants un autre grand pas en avant. L'abolition de l'exemption fiscale pour enfants à charge et l'augmentation du crédit d'impôt réduiront le nombre d'enfants qui vivent dans la pauvreté et amélioreront le revenu des familles pauvres et quasi-pauvres à travers le Canada. Les mères seules, dont le nombre augmente rapidement et dont presque la moitié sont en deçà du seuil de la pauvreté, bénéficieront tout particulièrement des changements que nous proposons. Un système restructuré de bénéfices pour enfants aiderait aussi à alléger les effets du chômage. En décembre 1982, il y avait plus d'un million de familles (1 124 000) qui comptaient au moins un travailleur en chômage; la grande majorité de ces familles - 836 000, ou trois familles sur quatre - avaient des enfants à charge. Nos réformes suppléeraient aux revenus de milliers de parents faisant face à des difficultés financières à cause de périodes de chômage prolongées. Les pauvres et les chômeurs bénéficieraient de la réforme des programmes d'aide aux familles avec enfants; la situation économique aussi. Grâce à la recommandation du Conseil, le revenu dont disposent les familles à faible et à moyen revenu avec enfants augmenterait. Non seulement cette somme d'argent supplémentaire augmenterait-elle leurs budgets limites, mais elle stimulerait aussi la consommation, ce qui, en cette période où les commerces canadiens ont grand besoin de clients, aiderait à la relance économique. La réforme des programmes fédéraux d'aide aux familles avec enfants que nous proposons offre un avantage supplémentaire. Le système restructure n'augmenterait pas d'un sou les dépenses gouvernementales parce qu'il serait finance grâce à une nouvelle répartition des ressources actuelles. Sans dépenser plus, mais en dépensant mieux, le gouvernement fédéral mettrait en place un système de bénéfices équitables qui lutterait contre la pauvreté allégerait le fardeau du chômage et créerait des emplois. Notre proposition est aussi responsable d'un point de vue fiscal qu'elle est juste d'un point de vue social.