*{ Conseil National du Bien-Être Social. 1991 } L'inopportunité des réductions proposées au régime d'assistance publique du Canada. Le filet de sécurité de dernier ressort. Le Régime d'assistance publique du Canada est le filet de sécurité de dernier ressort. En subventionnant les programmes provinciaux et territoriaux de bien-être social, il aide à fournir un revenu aux chômeurs qui ne réussissent pas à trouver un emploi acceptable, aux familles monoparentales, aux personnes handicapées ou en mauvaise santé, ainsi qu'aux personnes nécessiteuses qui ne peuvent compter sur aucun autre filet de sécurité. Le RAPC aide aussi à supporter le coût d'une gamme étendue de services sociaux destinés aux assistés sociaux et à d'autres Canadiens qui disposent de revenus faibles ou modestes. Les données les plus récentes révèlent que le Régime d'assistance publique du Canada venait en aide à presque 1,9 million d'assistés sociaux au 31 mars 1989, soit à peu près un Canadien sur quatorze. Environ 500 000 personnes étaient bénéficiaires de services sociaux subventionnés, et 150 000 autres à peu près étaient des adultes et des enfants en établissements ou en foyers d'accueil. Le RAPC a été mis en place à titre de régime global remplaçant nombre de programmes d'assistance sociale s'adressant à des groupes précis, comme les personnes âgées ou les personnes handicapées. Pour être admissibles à l'assistance, les personnes nécessiteuses n'étaient donc pas obligées de s'intégrer parfaitement à des catégories rigoureusement définies. Et parce que l'administration fédérale jouait un rôle important, on pouvait s'attendre à recevoir de l'aide dans toutes les régions du pays. En vertu de la Loi de 1966 sur le Régime d'assistance publique du Canada, les provinces et les territoires sont chargés de la mise en place et du fonctionnement des programmes de bien-être social et de services sociaux. Ils décident quelles personnes seront admissibles à de l'aide, quels montants seront versés aux familles et aux particuliers, quelle gamme de services sociaux seront offerts, et de quelle façon les services seront fournis. L'administration fédérale a pour responsabilité de payer la moitié des dépenses qui sont admissibles en vertu de la Loi. Aucun maximum n'a été prévu par la loi de 1966 pour la contribution fédérale. Les prévisions de dépenses du gouvernement pour l'exercice 1990-1991 indiquent que le RAPC coûtera aux Canadiens environ 12 milliards de dollars. Cette somme comprend les dépenses de tous les paliers gouvernementaux. La part qui revient à l'administration fédérale est d'environ 5,9 milliards de dollars. Il s'agit bien sûr d'une importante somme d'argent, mais elle n'en demeure pas moins inférieure à 4 % des dépenses fédérales totales de 153 milliards de dollars. Des prestations sociales pour les personnes «nécessiteuses». Les prestations de bien-être social sont une forme d'aide gouvernementale directe pour les personnes ayant peu ou n'ayant pas d'autres sources de revenu. En vertu d'accords conclus avec l'administration fédérale, les provinces et les territoires sont tenus de fournir une aide financière à tous les résidents «nécessiteux». La loi fédérale définit comme personnes nécessiteuses les gens qui ne peuvent subvenir adéquatement à leurs besoins et à ceux des personnes à leur charge à cause de leur inaptitude à trouver du travail, de la perte du conjoint qui est le soutien principal, de la maladie, de l'invalidité, de l'âge ou d'autres motifs. C'est un «examen des besoins» qui détermine le besoin, c'est-à-dire un examen détaillé des sources de revenu dont dispose une famille ou un particulier en comparaison du coût des choses essentielles à la vie. Si les dépenses indispensables d'un ménage dépassent ses revenus, on dira qu'il est «dans le besoin» et ce ménage sera admissible aux prestations de bien-être social. L'examen des besoins est loin d'être chose simple. Les représentants du bien-être social examinent les différentes sources de revenu auxquelles la famille ou le particulier a droit. Certains types de revenus sont totalement exclus aux fins de l'examen, alors que d'autres sont partiellement ou totalement retenus. L'avoir fixe et liquide du ménage est aussi examiné de près. Les gens ne sont habituellement pas tenus de vendre leur maison ou leurs biens mobiliers, mais il arrive qu'ils doivent convertir d'autres biens en argent comptant pour être admissibles au bien-être social. Les provinces et les territoires ont leurs propres façons de calculer le montant de base jugé essentiel au maintien de différents types de ménages. L'administration fédérale stipule que ce montant de base doit inclure le coût de la nourriture, des vêtements, du combustible, des services publics, des appareils ménagers, des soins personnels, des obligations religieuses et des loisirs, mais elle n'indique pas la façon de calculer ces coûts. Les sommes prévues dans les programmes provinciaux de bien-être social pour les besoins fondamentaux sont toutefois habituellement bien en deçà du seuil de pauvreté. Le Tableau 1 indique l'échelle des revenus d'assistance sociale de base de quatre types de ménages, en tenant compte d'autres prestations sociales fédérales et provinciales. Le Conseil national du bien-être social a déjà présenté ces renseignements dans son récent rapport intitulé Revenus de bien-être social, 1989. Le tableau compare aussi ces revenus avec le seuil de pauvreté des ménages de même type habitant une grande ville. Un assisté social seul apte au travail sans autre revenu que les prestations gouvernementales avait en 1989 un revenu variant, selon la province, entre 2 882 $ et 7 012 $, alors qu'une personne seule handicapée avait un revenu variant entre 5 790 $ et 9 189 $. Un parent seul avec enfant de deux ans disposait d'un revenu se situant entre 8 816 $ et 12 539 $, et un couple avec deux enfants d'age scolaire obtenait entre 10 366 $ et 16 478 $. Les services sociaux à l'intention des personnes à faible revenu. Le Régime d'assistance publique du Canada fournit aussi des services sociaux aux personnes dans le besoin et à celles qui risqueraient de le devenir si elles ne bénéficiaient pas de tels services. La loi fédérale les décrit comme des «services de bien-être social», mais ils ne s'adressent pas exclusivement aux personnes assistées sociales. Les services de bien-être social visent à réduire, abolir ou prévenir la pauvreté, le manque de soins à l'égard des enfants ou la dépendance de l'assistance publique. Ils comprennent des soins de garde d'enfants, des services d'auxiliaires familiales et de soutien en cas d'urgence ou pour permettre à des personnes âgées ou handicapées de vivre de façon autonome, des services de counseling et d'orientation pour les enfants ayant besoin de protection, des services d'adoption, des services de réadaptation, et des services de développement communautaire pour les membres de collectivités défavorisées. Les assistés sociaux peuvent obtenir les services qui sont disponibles dans leur milieu et qui répondent à leurs besoins. Les services sont fournis par des agences publiques, des organismes sans but lucratif ou des agences à but lucratif. Des services sont également mis à la disposition des personnes qui ne sont pas des assistés sociaux, mais les conditions d'admissibilité diffèrent. Les gens doivent se soumettre à une «évaluation de l'état des revenus» plutôt qu'à un examen des besoins, et les services doivent être fournis par des organismes publics ou sans but lucratif. L'évaluation des revenus est plus simple que l'examen des besoins. Les provinces et les territoires fixent un revenu maximum au delà duquel une famille ou un particulier ne peut obtenir de services de bien-être social subventionnés. L'administration fédérale partage le coût des services subventionnés à la condition que les maximums ne dépassent pas les seuils maximums établis par Ottawa. Aucun territoire ou province n'a de maximums aussi élevés que les seuils maximums fédéraux. Le Tableau 2 présente les maximums fédéraux qui s'appliquaient à différents types de ménages au cours du premier trimestre de 1991. La première colonne indique le type de ménage, alors que la seconde indique le revenu maximum dont peut disposer le ménage sans perdre le droit à des services sociaux entièrement subventionnés. Les ménages à revenus plus élevés peuvent être admissibles à des subventions partielles. Personnes qui dépendent du bien-être social. Il est difficile, compte tenu des différences entre les provinces et les territoires dans la façon d'administrer leurs programmes de bien-être social et dans leur manière d'en faire état à l'administration fédérale, de voir clairement quelles sont, à l'échelle nationale, les personnes qui dépendent du bien-être social. On sait toutefois que les enfants, les mères seules, les chômeurs aptes au travail et les personnes handicapées représentent une proportion très importante des assistés sociaux. Le Graphique A indique les nombres estimatifs d'assistés sociaux selon la situation familiale le 31 mars 1989; les nombres se rapportent à des personnes plutôt qu'à des cas. Les enfants, au nombre de 687 500 ou 37 % de l'ensemble des 1 856 100 personnes, représentaient le groupe le plus important de bénéficiaires. La majorité d'entre eux vivaient au sein de familles monoparentales, puisque les familles monoparentales bénéficiaires d'aide sociale étaient plus de trois fois plus nombreuses que les familles avec deux parents. Le graphique révèle aussi que 289 300 personnes ou 16 % de l'ensemble des bénéficiaires d'aide sociale étaient des parents seuls. Dix pour cent ou 179 600 personnes étaient des maris et des épouses avec enfants à charge, et 6 % ou 113 400 personnes, des maris et des épouses sans enfants à charge. Les 586 300 personnes ou 32 % qui restent étaient des personnes seules. Les femmes constituent la très grande majorité des parents seuls bénéficiaires d'assistance sociale. On trouve dans cette catégorie des femmes célibataires avec enfants et des femmes divorcées ou séparées. Certaines des femmes qui ont déjà été mariées doivent recourir au bien-être social parce que l'ex-mari refuse de payer une pension alimentaire ou ne peut verser suffisamment pour répondre aux besoins de la famille. Certaines des mères ne peuvent occuper un emploi à plein temps parce que leurs enfants sont tout jeunes ou parce qu'elles n'ont pas accès à des services de garde d'enfants acceptables. Bien entendu, la situation familiale à elle seule n'explique pas nécessairement pourquoi des Canadiens bénéficient de bien-être social. Une mère seule pourrait être une personne handicapée, ou encore chercher un emploi rémunéré et être classée chômeuse apte au travail. Outre ces nombres estimatifs d'assistés sociaux selon la situation familiale, l'administration fédérale dispose de données estimatives sur les nombres de chômeurs aptes au travail et de personnes handicapées bénéficiaires d'assistance. Ces données sont fondées sur des définitions provinciales qui varient sensiblement d'une province à l'autre. Des assistés sociaux jugés aptes au travail dans une province pourraient par exemple être classés inaptes au travail dans une autre. Le 31 mars 1989, on comptait 455 500 chefs de familles d'assistés sociaux jugés aptes au travail, mais ne travaillant pas. Ils représentaient 45 % de l'ensemble de 1 022 100 clients assistés sociaux à l'échelle du pays. Il est fort probable que plusieurs d'entre eux aient dû recourir au bien-être social parce qu'ils avaient épuisé leurs prestations d'assurance-chômage ou qu'ils n'avaient pas travaillé assez longtemps pour être admissibles aux prestations d'assurance-chômage. Ils étaient sans doute souvent de jeunes personnes seules. Les personnes handicapées représentaient environ 241 200 chefs de familles d'assistés sociaux ou 24 % de la clientèle totale. Il arrive souvent que des personnes handicapées doivent se tourner vers l'assistance sociale lorsqu'elles ne peuvent travailler et ne sont pas admissibles aux prestations pour accidents du travail, aux prestations d'invalidité des Régimes de pensions du Canada ou de rentes du Québec, ou aux prestations offertes par des régimes d'invalidité parrainés par l'employeur. Bref, la majorité des gens ne sont pas assistés sociaux par choix. Les enfants qui représentaient 37 % de l'ensemble des bénéficiaires individuels dépendent de la situation de leurs parents. Quant aux adultes, ils sont souvent victimes d'une rupture de mariage, d'une invalidité ou d'un mauvais état de santé, et de pénuries d'emplois dans leur collectivité ou région. Il arrive aussi que des gens n'aient pas accès à la protection d'autres filets de sécurité comme l'assurance-chômage ou les prestations pour accidents du travail. Le coût du bien-être social et des services sociaux. Selon des renseignements fournis pas des représentants fédéraux, la part des dépenses du RAPC revenant à l'administration fédérale pour l'exercice 1988-1989 atteignait presque 5,2 milliards de dollars. La majeure partie de la somme a été versée en argent comptant, mais 525 millions de dollars ont été versés sous forme de transfert d'impôt. Le Québec a été la seule province à accepter l'offre fédérale de transfert d'impôt au titre du RAPC. En vertu de cet accord, l'administration fédérale a réduit son taux d'impôt sur le revenu des particuliers au Québec, et la province a haussé le sien dans la même proportion. On considère toujours que la valeur de ce transfert d'impôt fait partie de la contribution fédérale au Québec dans le cadre du RAPC. L'administration fédérale verse le restant de sa contribution en argent comptant. Le Tableau 3 indique de quelle façon cette somme d'argent versée par l'administration fédérale a aidé à payer les dépenses engagées au cours de l'exercice 1988-1989. Les dépenses relatives à l'assistance générale englobent le soutien de revenu et les services sociaux à l'intention des assistés sociaux, y compris les services de garde pour les enfants de familles bénéficiant d'assistance sociale et les services à l'intention des personnes âgées et handicapées qui reçoivent des prestations de bien-être social. Les dépenses se rapportant aux foyers de soins spéciaux s'adressent aux personnes habitant dans des foyers pour personnes âgées, des maisons de repos, des auberges pour gens de passage, des établissements de soins pour enfants, des foyers pour mères célibataires, des résidences pour handicapés, des maisons pour victimes de violence conjugale ou de mauvais traitements sexuels, et des centres de réadaptation pour alcooliques et toxicomanes. Mais la majorité des services reliés à la santé ne relèvent plus du RAPC; ils sont financés en vertu d'autres arrangements fédéraux-provinciaux appelés le Financement des programmes établis. Les soins de santé ont trait au coût des médicaments de prescription et des soins dentaires pour les assistés sociaux, lorsqu'ils ne sont pas assurés par le régime d'assurance-maladie ou un programme provincial d'assurance supplémentaire. L'aide à l'enfance représente essentiellement le coût de l'entretien des enfants placés en familles d'accueil. La catégorie des services de bien-être social se rapporte essentiellement aux services sociaux subventionnés comme les services de garde fournis aux personnes défavorisées qui ne sont bénéficiaires d'assistance sociale. Elle inclut, à cause de la façon dont certains programmes sont organisés ou administrés, certains services à l'intention des assistés sociaux. Les projets d'adaptation au travail visent à aider les assistés sociaux qui éprouvent des difficultés particulières à trouver du travail ou à le garder, ou à se recycler, à cause de problèmes personnels, familiaux ou sociaux. On appellerait projet d'adaptation au travail, par exemple, un projet qui aide d'anciens malades psychiatriques à s'adapter aux exigences du marché du travail. L'impact des changements économiques et sociaux. Si les grandes lignes du Régime d'assistance publique du Canada n'ont pas changé au cours de la dernière génération, le rôle du bien-être social et le profil des assistés sociaux ont évolué en fonction des changements qui ont marqué l'économie et la société. Les taux élevés de rupture de mariage et de chômage constituent deux changements qui méritent une attention particulière. Les taux de divorce ont grimpé de façon marquée ces dernières années; un jeune couple n'a plus qu'environ 40 % de chance de demeurer ensemble pour la vie. Lorsque la relation s'effrite et que l'épouse se retrouve seule avec de jeunes enfants, elle risque fort, sans une aide financière raisonnable de l'ex-mari, d'avoir à recourir au bien-être social. Les grands nombres de mères seules assistées sociales reflètent en partie les taux élevés de rupture de mariage chez les jeunes couples et l'incapacité des gouvernements à fournir un soutien financier adéquat aux enfants de foyers désunis. Au cours des années quatre-vingts, les taux de chômage annuels ont varié entre 7,5 et 11,8 %; ce dernier taux dépasse sensiblement le taux qui serait considéré «normal» dans une économie saine. A la fin des années soixante, les taux de chômage se situaient entre 3,4 et 4,5 %. Le Graphique B qui suit révèle qu'il existe, depuis les premières années d'application du RAPC, un lien entre le nombre d'assistés sociaux et le nombre de chômeurs. Les gouvernements de tous les paliers ont au cours de la dernière décennie commencé à craindre le nombre croissant de chômeurs aptes au travail joignant les rangs des assistés sociaux. Le phénomène s'explique en partie par les taux de chômage plus élevés, et en partie par les nombres croissants de chômeurs qui n'avaient pas droit aux prestations d'assurance-chômage ou qui avaient épuisé leurs prestations. Les provinces et les territoires ont réagi à cette situation en examinant de plus près les requérants, en maintenant les taux d'assistance pour les personnes seules aptes au travail bien en deçà du seuil de pauvreté, et en étudiant de nouveaux types de projets d'adaptation au travail visant à aider les gens à se procurer des emplois rémunérateurs. L'Entente fédérale-provinciale sur l'amélioration des possibilités d'emploi des assistés sociaux conclue à l'automne 1985 par les ministres chargés de la sécurité de revenu et du marché du travail représente la principale initiative. Elle voulait aider les assistés sociaux à participer à la Planification de l'emploi et aux programmes d'emploi provinciaux et voir à ce qu'ils aient accès à une quantité raisonnable de places en formation. Toutes les provinces et tous les territoires à l'exception du Yukon ont par la suite signé des ententes individuelles avec Ottawa qui complétaient l'accord général de 1985. Ces ententes individuelles sont appelées des «accords à quatre» parce qu'y participent souvent deux ministères fédéraux et deux ministères provinciaux. L'accord de la Nouvelle-Écosse, par exemple, intéresse Santé et Bien-être social Canada, Emploi et Immigration Canada, et les ministères provinciaux des services sociaux et de la formation professionnelle et technique. Au début, un quart des places dans deux programmes de la Planification de l'emploi étaient réservées à des assistés sociaux. Chaque palier de gouvernement convenait aussi de consacrer 2,5 millions de dollars par année de la somme qui aurait été affectée au bien-être social, à des programmes d'amélioration de l'aptitude à l'emploi fédéraux, provinciaux ou locaux à l'intention des assistés sociaux. Les accords devaient être évalués au bout de trois ans. Aucune évaluation n'a été publiée jusqu'à ce jour, et on ne sait pas dans quelle mesure les programmes ont facilité l'accès des chômeurs à des emplois rémunérateurs. Les tenants des accords affirment que bon nombre de participants ont trouvé des emplois permanents, mais les critiques prétendent que les participants les plus aptes et les plus entreprenants auraient trouvé du travail sans l'aide des accords. Des groupes de lutte contre la pauvreté craignent que les accords n'obligent des bénéficiaires à participer. La participation devait être laissée au bon vouloir des gens, mais des rumeurs voudraient qu'on ait menacé des assistés sociaux en Saskatchewan et ailleurs de leur faire perdre leurs prestations s'ils refusaient de participer. Compte tenu des taux élevés de rupture de mariage et de chômage, il n'est guère étonnant que les dépenses du Régime d'assistance publique du Canada soient en ce moment plus élevées qu'il y a une dizaine d'années. Les dépenses fédérales à cet égard, y compris les transferts d'impôt au Québec, sont passées de 1,6 milliard de dollars en 1976-1977 à environ 5,9 milliards de dollars au cours de l'exercice 1990-1991. Le ministère des Finances et le Conseil du trésor reviennent très souvent sur cette augmentation des dépenses. Mais lorsqu'on tient compte de l'inflation et qu'on exprime les coûts du RAPC en dollars constants de 1990, la hausse s'avère plus modeste, c'est-à-dire que les dépenses passent de 4 milliards en 1976-1977 à 5,9 milliards de dollars en 1990-1991. On peut aussi envisager les dépenses pour le bien-être social d'une manière encore plus réaliste, c'est-à-dire en les exprimant en dollars constants de 1990 par personne. On voit mieux de cette façon les hausses de coûts du bien-être social qui dépendent d'augmentations de la population. Le Graphique C révèle que les dépenses fédérales sont passées de 175 $ pour chaque homme, femme et enfant en 1976-1977 à 224 $ par personne en 1990-1991. La baisse des coûts vers la fin des années soixante-dix dépend essentiellement d'un réaménagement des programmes fédéraux-provinciaux dans le domaine des soins de santé prolongés. La hausse importante des coûts au début des années quatre-vingts est imputable à une augmentation sensible du nombre d'assistés sociaux pendant la récession et les années subséquentes. Les coûts demeurent relativement uniformes à la fin des années quatre-vingts. Les difficultés économiques actuelles ne peuvent que multiplier les pressions exercées sur le bien-être social et les services sociaux. D'un bout à l'autre du pays, des grands centres font déjà état d'augmentations sensibles du besoin d'aide. Si la situation ressemble à celle de la dernière récession, les nombres d'assistés sociaux augmenteront considérablement pendant cette période. Points forts et faiblesses du RAPC. Les évaluations du Régime d'assistance publique du Canada concluent généralement qu'il fonctionne raisonnablement bien comme programme de dernier ressort. Il aide à supporter le coût du soutien de revenu pour un grand nombre de Canadiens qui éprouveraient autrement de sérieuses difficultés. Il offre aux autorités fédérales, provinciales et territoriales un cadre raisonnable pour le partage des coûts du bien-être social et des services sociaux. Son coût n'est pas non plus excessif si l'on tient compte des besoins auxquels il répond. Le Groupe de travail chargé de l'examen des programmes mis en place par l'administration fédérale peu de temps après les élections de 1984 a effectué une des plus importantes évaluations du RAPC. Le groupe cherchait nettement à identifier des dépenses fédérales inefficaces ou inutiles qui pourraient être réduites ou abolies. Un groupe d'étude chargé d'examiner le Régime d'assistance publique du Canada a rencontré longuement des représentants des paliers gouvernementaux fédéral et provincial ainsi que certains groupes à l'extérieur du gouvernement qui s'intéressent à la politique sociale. Son rapport a fait état de craintes quant aux coûts éventuels du RAPC, mais son évaluation du programme dans son ensemble est assez favorable. Le rapport se termine ainsi: «L'examen du Régime d'assistance publique du Canada montre que cette entreprise de collaboration entre les provinces et le fédéral contribue de façon efficace à atténuer les effets de la pauvreté au Canada. Bien qu'il comporte certaines lacunes sur le plan administratif, on considère que le RAPC est indispensable à la prestation de services sociaux aux Canadiens les plus démunis». Plusieurs des critiques adressées au RAPC au fil des ans par des groupes pour la défense des droits des assistés sociaux et des experts travaillant à l'extérieur du gouvernement lui reprochent de ne pas en faire encore plus pour les Canadiens à faible revenu. Les groupes qui luttent contre la pauvreté, dont le Conseil national du bien-être social, déplorent depuis longtemps les niveaux peu élevés des prestations de bien-être social dans toutes les provinces et les territoires. Le RAPC a pour but de fournir les choses essentielles à la vie aux personnes ayant peu d'autres sources de revenu, mais la plupart des revenus de bien-être social sont de beaucoup inférieurs aux seuils de pauvreté. Les critiques du système de bien-être social ont à maintes reprises souligné les nombreux éléments du système qui sont des facteurs de dissuasion. Le système de bien-être social est sans doute le seul programme gouvernemental à priver d'un dollar de prestations pour chaque dollar de revenu toute personne gagnant plus que le strict minimum. On reproche depuis longtemps au RAPC de ne pas venir en aide aux «petits salariés» du Canada et on souhaite qu'il fournisse un type quelconque de supplément de revenu aux faibles salariés. Les travailleurs pauvres ne sont généralement pas admissibles au bien-être social, bien qu'ils aient parfois accès à des services sociaux subventionnés par le RAPC. Les provinces moins nanties trouvent que la formule actuelle de partage des coûts ne les favorise pas. Il a été proposé de la remplacer par un système de partage des coûts différentiel fondé sur l'aptitude d'une province à se procurer des recettes fiscales. Une province pauvre pourrait, grâce à un tel régime, faire assumer à l'administration fédérale 80 % du coût du bien-être social et des services sociaux aux termes du RAPC, plutôt que 50 % comme c'est le cas présentement. Il importe de faire remarquer qu'aucune de ces critiques exprimées par des groupes de politique sociale et des analystes ne propose que les personnes défavorisées devraient tirer moins de profits du Régime d'assistance publique du Canada, ou que les autorités fédérales devraient revenir sur les engagements qu'elles ont pris en 1966. Les recommandations suggèrent généralement que les administrations fédérale et provinciales aident encore davantage les personnes à faible revenu. Le budget fédéral de 1990. Le discours du budget du 20 février 1990 a proposé de limiter pendant deux ans la hausse des dépenses fédérales en vertu du Régime d'assistance publique du Canada dans les trois provinces les plus riches, soit l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique. Presque la moitié des assistés sociaux du Canada se trouvent dans ces trois provinces. Ottawa a annoncé que l'augmentation des transferts du RAPC dans les trois provinces serait limitée à 5 % par année pour les exercices 1990-1991 et 1991-1992. Les hausses de dépenses du RAPC supérieures à 5 % par année ne bénéficieraient pas du partage des coûts, de sorte que les trois provinces devraient assumer seules toute augmentation supérieure à 5 %. L'administration fédérale prévoyait initialement épargner ainsi 75 millions de dollars au cours de l'année 1990l991 et 80 millions de dollars au cours de l'année 1991-1992, mais ces prévisions se sont rapidement avérées dépassées par les coûts croissants du bien-être social. Les prévisions provinciales les plus récentes révèlent des pertes d'au moins 865 millions de dollars pendant cette période de deux ans. L'Ontario prévoit des pertes de 310 millions de dollars en 1990-1991 et de 510 millions de dollars en 1991-1992. L'Alberta ne s'attend pas à une perte en 1990-1991, mais perdra considérablement en 1991-1992. En ColombieBritannique, des pertes de 45 millions de dollars sont prévues la première année; aucune prévision n'a été présentée pour l'année suivante. La proposition relative au Régime d'assistance publique du Canada s'inscrit dans le cadre d'un programme général de compression des dépenses annoncé par le ministre des Finances. Le projet de loi C-69 (la Loi sur la compression des dépenses publiques) visant à modifier la loi sur le RAPC et les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces en matière d'enseignement postsecondaire et de santé, a été déposé en Chambre le 15 mars 1990 et adopté le 12 juin 1990. Il a reçu l'assentiment final du Sénat le 29 janvier 1991, et est devenu loi le premier février. La Colombie-Britannique, appuyée par l'Ontario, l'Alberta, le Manitoba, le Conseil national des autochtones et les United Native Nations de la Colombie-Britannique, a depuis intenté une poursuite contre l'administration fédérale. La poursuite devant la Cour d'appel de la Colombie-Britannique soutient que l'administration fédérale n'a pas le droit d'apporter des changements unilatéraux au Régime d'assistance publique du Canada sans le consentement des provinces. La Loi de 1966 sur le Régime d'assistance publique du Canada prévoit des accords entre Ottawa et les gouvernements provinciaux et territoriaux pour le financement de programmes. L'Article 8 de la Loi déclare que ces accords peuvent être modifiés si les parties y consentent, ou abolis unilatéralement par l'une des parties sur avis d'un an. Aucun autre changement unilatéral à un accord n'a été prévu. La Colombie-Britannique a soutenu être, en vertu de son accord de 1967, «légitimement en droit» de s'attendre à ce que l'administration fédérale ne modifie pas ses obligations financières sans le consentement de la province. L'administration fédérale a soutenu qu'à titre d'instance suprême, le Parlement pouvait modifier selon son bon vouloir toute loi fédérale. Dans une décision rendue le 15 juin 1990, le tribunal a jugé à l'unanimité que l'administration fédérale n'avait pas le droit de limiter son engagement à verser 50 % du coût du RAPC. Quatre des cinq juges ont aussi convenu avec la Colombie-Britannique que les provinces sont «légitimement en droit» de s'attendre à ce que l'administration fédérale ne modifie pas les dispositions financières au titre du RAPC sans leur consentement. En statuant sur l'affaire, le juge J D Lambert dit avoir supposé que l'administration fédérale n'avait pas intentionnellement cherché à enfreindre son accord avec la Colombie-Britannique. Une violation intentionnelle nuirait à l'esprit de collaboration entre les deux paliers de gouvernement et saperait la confiance que les Canadiens accordent à leur gouvernement national. «Si le Canada est prêt à enfreindre ses accords en adoptant des lois autorisant ou même exigeant de telles infractions, il ne peut s'attendre à signer des ententes avec des entrepreneurs pour la construction d'aéroports ou à régler au moyen d'accords des disputes avec les autochtones au sujet de leurs terres. La perception d'impôts au Canada repose sur une évaluation honnête de leur avoir par des contribuables honnêtes. Les fondements mêmes d'un tel type d'imposition disparaîtraient si les Canadiens ne pouvaient se fier aux promesses de leur gouvernement. A mon avis, la grande majorité des Canadiens sont d'avis qu'il faut pouvoir croire son gouvernement sur parole». Le 18 juin, l'administration fédérale a annoncé qu'elle porterait la cause devant la Cour suprême du Canada. La Cour a entendu les arguments en décembre 1990. Sa décision est attendue au cours de l'année 1991. Même avant que la Cour suprême se soit prononcée sur la légalité des restrictions imposées au Régime d'assistance publique du Canada, l'administration fédérale a décidé de les prolonger. Dans son discours du budget du 26 février 1991, le ministre des Finances a annoncé que le plafonnement des subventions fédérales accordées dans le cadre du RAPC à l'Ontario, à l'Alberta et à la Colombie-Britannique serait prolongé pour une nouvelle période de trois ans, c'est-à-dire jusqu'à la fin de l'exercice 1994-1995. Les trois provinces seraient responsables de toute hausse des dépenses du RAPC excédant 5 % par année. Selon le discours du budget, les restrictions imposées au RAPC sur une période de cinq ans feraient épargner à l'administration fédérale un peu plus de 2,l milliards de dollars. L'épargne réalisée en 1992-1993 serait d'environ 365 millions de dollars. Aucun montant estimatif n'est fourni pour les autres années. Inopportunité des réductions. Le Conseil national du bien-être social croit que la décision du gouvernement fédéral visant à limiter son partage des coûts du Régime d'assistance publique du Canada minera l'appui de la population pour les personnes défavorisées, à un moment où le besoin se fait pressant. Six points en particulier retiennent notre attention - quatre se rapportent à l'impact de la décision et deux à la façon dont on en est arrivé à cette décision. 1- Le Régime d'assistance publique du Canada est un des seuls programmes sociaux nationaux qui s'adressent de façon particulière aux personnes à faible revenu. Bien que des personnes à revenu modeste bénéficient de certains services sociaux, la majeure partie de la contribution au RAPC est consacrée aux prestations d'aide sociale aux familles et aux particuliers qui vivent bien en deçà du seuil de pauvreté. Le gouvernement fédéral actuel affirme depuis son accession au pouvoir qu'un des principaux objectifs de sa politique sociale consiste à réorienter l'aide vers les personnes qui en ont le plus besoin. Le ministre des Finances a abandonné cette approche dans son budget de 1990 en demandant que les plus démunis parmi les pauvres partagent le poids de sa lutte pour comprimer les dépenses publiques. De nombreuses suggestions ont été mises de l'avant au fil des années pour améliorer le Régime d'assistance publique du Canada, mais aucun gouvernement fédéral n'avait jamais proposé de revenir sur son engagement envers les personnes défavorisées. 2- Le budget a imposé un plafond à des programmes qui avaient été conçus de manière à être non limitatifs. Compte tenu du fait que le bien-être social représente le filet de sécurité de dernier ressort, le régime doit être suffisamment souple pour protéger les personnes sans autre source de revenu. Les Canadiens doivent souvent se tourner vers le bien-être social lorsqu'ils perdent leur emploi, lorsque leur mariage s'effondre ou lorsqu'ils sont malades ou handicapés, situations essentiellement imprévisibles et sur lesquelles ils n'exercent aucun contrôle. Nous mettons en doute l'argument suivant lequel les provinces pourraient compenser toute somme d'argent que le gouvernement fédéral cesserait de verser. Ottawa a convenu d'un financement non limitatif en 1966, et nous l'incitons fortement à respecter son engagement. 3- Le plafonnement du financement du RAPC en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique pourrait mettre en jeu des améliorations qui sont attendues depuis très longtemps en matière de bien-être social ailleurs au Canada. L'Ontario préparait un ambitieux projet de réforme du bien-être social bien avant le discours du budget fédéral du 10 février 1990. Le discours du budget ontarien du 24 avril a toutefois mis ce projet de réforme en attente. Le gouvernement s'en est tenu à l'annonce d'une augmentation de 5 % des taux de bien-être social le premier janvier 1991. Coïncidence ou pas, la hausse est exactement égale à l'augmentation des coûts du RAPC approuvés par le gouvernement fédéral. Après les élections provinciales de 1990, le nouveau gouvernement ontarien a relevé l'augmentation de l'allocation de base du premier janvier à 7 %, doublé la hausse de l'allocation pour le logement à 10 %, et promis d'accélérer la réforme du bien-être social en général. Reste à voir jusqu'où la province canadienne la plus à l'aise ira. Quant aux provinces plus pauvres, il est peu probable qu'elles envisagent d'importantes hausses des prestations au moment où il risque d'y avoir des réductions dans les subventions fédérales. 4- Le plafonnement du financement fédéral du RAPC nuira au développement des services sociaux qui sont essentiels au soulagement et à la prévention de la pauvreté. Les gens qui travaillent au sein des services d'aide en cas de rupture de mariage et de violence familiale affirment qu'il faut de toute urgence multiplier, et non réduire, le soutien gouvernemental pour les services sociaux. Le Conseil national du bien-être social se soucie notamment de l'impact sur les services pour enfants du plafonnement du RAPC. Comme nous l'avions souligné dans notre rapport de 1988 intitulé De meilleurs services de garde d'enfants, le besoin de places subventionnées dans les garderies et les foyers pour les enfants de familles à faible revenu est énorme, et dans bien des cas, les dispositions actuelles de subvention n'apportent pas une aide financière adéquate aux parents. La pénurie de services de garde acceptables rend la vie difficile aux parents au foyer qui souhaiteraient intégrer le marché du travail rémunéré. Dans bien des cas, il est plus avantageux pour une mère seule de demeurer assistée sociale au foyer que de prendre un emploi et d'avoir à débourser d'importantes sommes pour les services de garde. De meilleurs services de garde d'enfants cesseraient de les dissuader. 5- Le budget fait faire un pas en arrière aux relations fédérales-provinciales. Les réductions proposées au RAPC ainsi qu'aux subventions fédérales pour l'assurance-maladie et l'enseignement postsecondaire minent encore plus l'esprit de collaboration qui doit régner dans les rapports entourant des programmes essentiels à la santé et au bien-être des Canadiens. L'annonce dans le budget ne semble malheureusement pas avoir été précédée d'un avertissement aux gouvernements provinciaux ou d'efforts pour négocier des modifications aux accords. 6- D'importants changements dans la politique sociale ne devraient pas être annoncés dans un discours du budget. Les traditions parlementaires entourant les budgets sont incompatibles avec les consultations franches qui doivent accompagner l'élaboration d'une politique administrative sensée. Toute mesure susceptible d'être annoncée dans un budget est discutée à l'avance, en toute confidence, dans des cercles gouvernementaux très restreints, n'offrant aucune chance aux citoyens ordinaires de se faire entendre. Une décision, une fois annoncée, est liée à la réputation du gouvernement. Craignant de perdre la face, les gouvernements hésitent beaucoup à modifier une telle décision budgétaire. Le budget de 1990 ajoute aussi du poids aux craintes du Conseil quant à la possibilité que la politique sociale soit laissée au ministère des Finances. Santé et Bien-être social Canada et d'autres Ministères plus renseignés et plus sensibles aux besoins des Canadiens devraient à notre avis jouer le rôle de chef de file en matière de politique sociale. C'est pourquoi le Conseil national du bien-être social incite fortement l'administration fédérale à revenir sur son intention de réduire les versements à l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique au titre du RAPC. Le besoin d'aide sociale et de services sociaux s'accroîtra au cours de la présente récession, ce qui veut dire que le moment est bien mal choisi pour sabrer dans le filet de sécurité de dernier ressort.