*{ Conseil consultatif canadien pour la situation de la femme. 1989 } La reproduction féminine, la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi canadienne sur la santé. Introduction. Étant donné leur rôle dans la reproduction humaine, les femmes ont des besoins distincts en matière de soins de santé. Selon Statistique Canada, 70 % des hospitalisations de femmes âgées entre 20 et 44 ans sont attribuables à leur capacité de porter des enfants et aux maladies touchant leurs organes reproducteurs. Dans les groupes d'âge de 15 à 64 ans, les femmes vont aussi chez le médecin plus souvent et en plus grand nombre que les hommes pour des raisons reliées à la reproduction. Chez les femmes, la capacité de porter des enfants signifie que les services médicaux relatifs à la contraception, à la stérilisation, à la grossesse, à l'avortement, à l'accouchement, à la chirurgie, à l'infécondité, à l'examen des seins, au syndrome prémenstruel et à la ménopause sont maintenant reconnus comme des aspects des soins de santé en reproduction féminine. Des restrictions injustes sur des services nécessaires de soins de santé touchant la reproduction constituent une menace pour l'objectif, reconnu dans tout le pays, d'assurer l'accessibilité des soins de santé à toutes les personnes, et compromettent le bien-être physique et psychologique des femmes au Canada. Les restrictions indues peuvent être levées grâce à des poursuites judiciaires, au lobbying et à l'éducation. Chacune de ces stratégies nécessite la compréhension des obligations juridiques imposées aux législateurs en matière de soins de santé et des droits des femmes, tels que prévus par la Loi canadienne sur la santé et la Charte canadienne des droits et libertés. La Loi canadienne sur la santé précise les conditions en vertu desquelles les services de soins de santé sont disponibles et administrés, tandis que la Charte établit les droits et libertés dont jouit la population du Canada. Dans le présent document, nous analyserons dans quelle mesure ces lois précisent ou appuient un droit aux soins de santé correspondant à la capacité des femmes de porter des enfants. Des obstacles à des soins de santé égaux et adéquats en matière de reproduction peuvent survenir à l'un ou l'autre des nombreux échelons où sont réglementés les soins en ce domaine. Par exemple, le gouvernement fédéral les gouvernements provinciaux et ceux des territoires, les associations professionnelles médicales, les conseils des hôpitaux et les professionnels de la santé exercent tous un contrôle sur la disponibilité des services médicaux essentiels à l'hygiène de la reproduction des femmes. Il peut s'agir de lois, de réglementations, de décrets, de l'affectation des fonds publics, de décisions politiques, d'exigences bureaucratiques, d'énoncés administratifs et de décisions relatives aux traitements médicaux. Par conséquent, il faut envisager l'existence et l'étendue des droits des femmes aux soins de santé en vertu de la Loi canadienne sur la santé et en vertu de la Charte dans le contexte plus vaste de ces contrôles juridiques envahissants. En outre, il faut tenir compte de la place des femmes dans la société canadienne et de la façon dont, traditionnellement, le système juridique a réagi eu égard à leurs capacités biologiques. Lorsqu'un tribunal se demande si une réglementation contestée contrevient à un intérêt protégé par la Loi canadienne sur la santé ou par la Charte, il prend en considération le contexte social dans lequel la réglementation contestée est appliquée et mesure ses effets sur les intérêts protégés. La Cour suprême du Canada a reconnu que les décisions rendues en vertu de la Charte peuvent impliquer: «une conclusion qui ne peut pas être tirée seulement dans le contexte de la loi qui est contestée mais plutôt en fonction de la place occupée par le groupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société». De la même façon, la grande inégalité sociale et matérielle des femmes, la marginalisation politique des «questions féminines» et les lois particulières régissant la conduite des femmes sont des facteurs à prendre en considération lorsqu'on évalue si une forme précise de réglementation compromet les droits des femmes en matière de soins de santé reliés à la reproduction en vertu de la Loi canadienne sur la santé et en vertu de la Charte. De plus, il faut reconnaître que, traditionnellement, les tribunaux ont eu de la difficulté à intégrer en une théorie juridique des droits les capacités propres aux femmes de porter des enfants. Comme l'expliquait la juge Wilson dans l'arrêt Morgentaler: «l'histoire du combat pour les droits de la personne, du dix-huitième siècle à aujourd'hui, est l'histoire des hommes qui ont lutté pour affirmer leur dignité et leur commune humanité contre un appareil d'État autoritaire. Plus récemment, la lutte pour la reconnaissance des droits des femmes a été un combat contre la discrimination, pour que les femmes trouvent une place dans un monde d'hommes, pour élaborer un ensemble de réformes législatives afin de placer les femmes sur le même pied que les hommes. Il ne s'agit pas d'une lutte pour définir les droits des femmes par rapport à leur position particulière dans la structure sociale et par rapport à la différence biologique entre les deux sexes. Ainsi les besoins et les aspirations des femmes se traduisent seulement aujourd'hui en des droits garantis». Le fait de demander la concrétisation des besoins des femmes en droits protégés par la loi pose un défi aux tribunaux: interpréter les protections juridiques en tenant compte du sexe, ainsi que reconnaître et incorporer les capacités reproductrices spécifiques des femmes, leur expérience de vie et leurs luttes pour éliminer les inégalités. Les sources et les formes de réglementations relatives à l'hygiène de la reproduction des femmes. Un tissu complexe de réglementations régit tout ce qui entoure l'hygiène de la reproduction des femmes au Canada. Divers pouvoirs décisionnels entrent en jeu et chacun emploie des méthodes de réglementation différentes. Dans les paragraphes qui suivent, nous étudierons la compétence des gouvernements fédéral provinciaux et territoriaux ainsi que le rôle des professionnels de la santé, en vue d'illustrer la nature et la portée des contrôles juridiques sur l'hygiène de la reproduction. La source et la forme des décisions concernant les soins de santé en reproduction féminine sont également importantes parce que, comme nous le verrons dans une section ultérieure, seules les décisions qu'on peut qualifier d'«actions de l'État» doivent être conformes à la Charte. Le gouvernement fédéral. La juridiction du gouvernement fédéral sur certains aspects de l'hygiène de la reproduction des femmes est fondée sur son intérêt pour la santé et le bien-être à l'échelle nationale, sur ses pouvoirs de légiférer en matière de droit criminel et sur son pouvoir de dépenser. Les limites constitutionnelles des pouvoirs fédéraux et provinciaux se retrouvent dans la Loi constitutionnelle de 1867. Les deux ordres de gouvernement peuvent légiférer dans le domaine des soins de santé en hygiène de la reproduction des femmes parce que la «santé» n'est «pas un domaine précis réservé par la Constitution à un seul ordre de gouvernement». La santé a été qualifiée de sujet «amorphe», dont peut traiter toute assemblée législative fédérale, provinciale ou territoriale, selon les circonstances et la nature ou la portée du problème de santé à l'étude. Dans l'affaire Schneider C la Reine, le juge Estey expliquait: «La santé n'est pas un sujet spécifiquement traité dans la Loi constitutionnelle de 1867 ni dans ses modifications subséquentes. Aux termes de la Constitution, le sujet ne relève ni de la compétence législative fédérale ni de celle des provinces. On a jugé que les lois relatives à la santé relevaient de la compétence provinciale lorsque la loi vise un aspect de la santé qui est de nature locale. D'autre part, les lois fédérales relatives à la «santé» peuvent être valides lorsque le problème est d'envergure nationale plutôt que de nature locale ou lorsque la question de santé constitue une atteinte aux droits de la collectivité qui appelle une interdiction pénale». La juridiction du Parlement sur les questions de santé d'intérêt national est justifiée par son pouvoir de légiférer pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement au Canada. Bien que l'on ait accordé à l'aspect de la dimension nationale de ce pouvoir une portée plutôt limitée, certains problèmes de santé d'intérêt national, comme certains aspects de l'avortement reliés à la réglementation de la santé, peuvent être de compétence fédérale. Le Parlement se fonde sur ces pouvoirs et sur son pouvoir de légiférer en droit criminel pour justifier la Loi sur les aliments et drogues, qui a des répercussions directes sur la santé liée à la reproduction chez les femmes. En vertu de cette loi, le gouvernement fédéral évalue ou approuve toute drogue ou dispositif avant qu'ils soient distribués au Canada, y compris ceux qui concernent la contraception, l'interruption de grossesse et la stérilité. Le gouvernement fédéral a aussi le pouvoir de définir les délits criminels et de déterminer les peines. On invoque le pouvoir de légiférer en droit criminel pour punir un type de conduite assez nuisible à la structure sociale et morale de la société pour qu'il soit justifié d'imposer des interdictions et des peines criminelles. Les éléments qui déclenchent ce niveau de désapprobation sociale peuvent varier. Par exemple, jusqu'en 1969, la vente de dispositifs de contraception et la diffusion d'information sur ces contraceptifs étaient interdites en vertu du Code criminel. Plus récemment, on a eu recours au pouvoir de légiférer en droit criminel pour établir des délits reliés à l'avortement. Les avortements non thérapeutiques étaient interdits en vertu de l'article 251 du Code criminel. En janvier 1988, cette disposition a été invalidée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Morgentaler parce qu'elle est contraire aux droits des femmes inscrits dans la Charte. La Cour a confirmé qu'une loi criminelle sur l'avortement pourrait être un exercice valide du pouvoir fédéral, laissant au Parlement le choix, mais non pas l'obligation, de recriminaliser l'acte d'avortement d'une façon conforme aux droits des femmes tels que prévus par la Charte. D'autres dispositions criminelles reliées à l'avortement et à la naissance ont toujours cours aujourd'hui. Le pouvoir du Parlement de légiférer en droit criminel justifie actuellement l'article 252 du Code criminel. Cet article interdit de fournir une drogue ou autre substance nocive en sachant qu'elle sera utilisée pour produire un avortement. Curieusement, ce délit peut être commis peu importe que la femme soit enceinte ou non. Cette interdiction peut prendre une importance nouvelle étant donné les recherches en cours sur les abortifs oraux et la disponibilité imminente de ces produits. On peut également s'attendre à une controverse à savoir si le gouvernement fédéral devrait ou non faire adopter une loi criminelle destinée à punir explicitement les femmes enceintes dont la conduite négligente ou imprudente nuit ou pourrait nuire à leur foetus. On fait souvent allusion à cette conduite comme à un «abus prénatal». En 1989, la Commission de réforme du droit du Canada a proposé une nouvelle interdiction, sous la rubrique «Crimes contre le foetus», dont la portée semble assez vaste pour permettre de criminaliser certains comportements maternels prénatals. Si, aux États-Unis, aucun État ne criminalise explicitement l'abus prénatal contre le foetus, on a cependant eu recours aux interdictions générales du droit criminel pour essayer d'obtenir un résultat semblable. Par exemple, des accusations ont été portées contre une femme enceinte en vertu d'une disposition du code pénal californien, semblable en principe et en formulation à l'article 197 de notre Code criminel. Ces deux dispositions exigent qu'un parent assure ce qui est nécessaire à la vie d'un «enfant». La cour des municipalités de la Californie a rejeté l'accusation parce qu'un foetus dans le sein de sa mère ne correspond pas, selon la loi, à la définition d'un «enfant». Par un raisonnement analogue, les tribunaux canadiens ont soutenu qu'un foetus dans le sein de sa mère n'est pas une «personne» au sens où l'entend le Code criminel et n'est pas un «enfant» aux fins de la législation provinciale sur le bien-être des enfants. Ces causes canadiennes portent à croire que nos tribunaux ne permettront aucune tentative indirecte d'utiliser les dispositions générales du droit criminel pour criminaliser la conduite maternelle prénatale. Cependant, on peut s'attendre à un débat virulent au Canada sur la question de déterminer si la conduite d'une femme enceinte pendant la grossesse devrait être définie, si elle devrait faire l'objet d'une loi et, partant, de poursuites criminelles. Le gouvernement fédéral peut aussi se fonder sur ses pouvoirs de dépenser pour élaborer indirectement une politique nationale de soins de santé. Le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral n'est pas expressément énoncé dans la Loi constitutionnelle de 1867, mais sa source réside dans la capacité de percevoir des impôts, de réglementer la propriété publique et de s'approprier des fonds fédéraux. Le gouvernement fédéral peut dépenser de l'argent dans des domaines ne relevant pas de sa compétence législative, comme certains aspects des soins de santé. Le système de partage des coûts entre les gouvernements fédéral et provinciaux, qui constitue la base de notre système actuel de services de soins de santé financés par l'État, en est un exemple. Par conséquent, les contributions financières du gouvernement fédéral aux programmes de santé provinciaux et la Loi canadienne sur la santé constituent des initiatives fédérales importantes pour l'hygiène de la reproduction des femmes; nous les expliquerons plus en détail dans une section ultérieure. Les gouvernements provinciaux et territoriaux. La Loi constitutionnelle de 1867 accorde à chaque province la compétence pour réglementer les questions de santé publique de nature locale à l'intérieur de ses frontières. Les provinces et les territoires régissent les droits à la propriété et les droits civils à l'intérieur de leurs frontières et exercent une autorité expresse sur «rétablissement, l'entretien et l'administration des hôpitaux». Étant donné l'envergure de ces pouvoirs, les provinces et les territoires peuvent, de maintes façons, agir sur l'accès des femmes à des services médicalement nécessaires en santé de la reproduction. La réglementation de l'avortement en tant que question de santé, depuis que la Cour suprême a invalidé la disposition du Code criminel, illustre bien les préférences locales et les répercussions des pouvoirs des provinces et des territoires. On doit se rappeler que le pouvoir de réglementation des provinces et des territoires sur les aspects médicaux de l'avortement n'est pas nouveau. Même lorsque l'article 251 régissait le droit criminel en matière d'avortement, les provinces et les territoires avaient la haute main sur l'accès à l'avortement en vertu du processus des comités d'avortement thérapeutique, soit directement par réglementation, soit indirectement en déléguant leurs pouvoirs aux comités des hôpitaux. On a assisté à une tentative de réglementation directe quand le gouvernement de la Saskatchewan a proposé une loi destinée à créer un nouveau délit criminel, soit celui de pratiquer, de causer ou d'approuver un avortement sans le consentement écrit du conjoint de la femme, ou de ses parents ou tuteur si elle était célibataire et mineure. Dans un renvoi sur la constitutionnalité du projet de loi, la Cour d'appel de la Saskatchewan a décidé que la province ne pouvait pas imposer de telles exigences parce que, ce faisant, elle empiéterait sur la juridiction du Parlement en matière de droit criminel. A l'heure actuelle, il peut être plus difficile d'attaquer une exigence provinciale de consentement en s'appuyant sur le partage des pouvoirs législatifs entre le gouvernement fédéral et ceux des provinces et des territoires parce qu'il n'existe pas de loi fédérale sur l'avortement. En outre, une province ou un territoire peut tenter de se prémunir en exigeant le consentement d'une tierce partie comme condition préalable à l'avortement plutôt que de faire un délit de l'absence de consentement. En dépit de la forme de la disposition et de l'existence ou de la non-existence d'une loi fédérale sur l'avortement, toute condition tenant au consentement d'un parent ou du conjoint serait contestable en vertu de la Charte. Aux États-Unis, les tribunaux ont systématiquement invalidé les exigences de consentement du conjoint imposées par l'État, sous prétexte qu'elles restreignent la liberté des femmes en donnant à une tierce partie un droit de veto réel sur leur décision et parce qu'elles menacent la sécurité physique des femmes, dans la mesure où elles ont pour effet de retarder l'accès à un service médicalement nécessaire. Bien que l'absence d'une loi criminelle sur l'avortement ne crée pas par le fait même de juridiction provinciale et territoriale sur les avortements, elle a pour effet de fournir un plus vaste éventail d'options législatives, de rendre plus manifeste la sphère de compétence des provinces et des territoires, et de favoriser l'examen public rigoureux des choix effectués. Un tour d'horizon des réactions des provinces et des territoires à l'arrêt Morgentaler montre comment ces gouvernements ont exercé leur pouvoir de différentes façons à des fins différentes. Certaines provinces, comme l'Ontario, ont utilisé l'éventail des options de réglementations créé par l'absence d'une loi criminelle pour promouvoir les soins de santé liés à la reproduction chez les femmes. Dans cette province, l'avortement est perçu comme l'un des nombreux services médicaux qui doivent être intégrés au système public de soins de santé pour répondre aux besoins médicaux des femmes. Des cliniques de soins en hygiène de la reproduction ont été fondées et sont financées par l'État. En revanche, certaines provinces ont eu recours à divers mécanismes en vue de prévoir un traitement spécial pour l'avortement. Certaines provinces et territoires ont utilisé leur pouvoir général de réglementation des établissements médicaux et des qualifications médicales pour exiger que les avortements soient pratiqués dans des hôpitaux ou par des spécialistes en gynécologie ou en obstétrique. D'autres provinces exigent l'opinion d'un deuxième médecin avant que l'avortement puisse être pratiqué, tandis que d'autres encore exigent que le médecin qui pratique l'avortement mette au dossier une déclaration écrite attestant que l'acte est médicalement nécessaire. Dans certaines provinces, les femmes enceintes qui souhaitent obtenir un avortement doivent se soumettre à un «counselling» avant que l'acte ne soit autorisé ou effectué. Des règlements spéciaux ont été surajoutés, soit par statut, réglementation, décisions de financement, soit sous la rubrique générale de politique provinciale ou territoriale, pour composer avec ce qu'on perçoit comme le statut distinct de l'avortement. Souvent, ces règlements n'ont aucun objectif médical solide. Il est généralement reconnu que les comités d'avortement thérapeutique ont simplement servi à répondre à des obligations juridiques et non pas à accroître la qualité des soins de santé pour les femmes. Quand de nouvelles réglementations provinciales et territoriales servent de substituts à ces comités désormais disparus, le risque est grand d'en redoubler les aspects inadéquats. Des réglementations spéciales sur les avortements peuvent donc stigmatiser cette procédure médicale, en entraver l'accès et créer des délais administratifs. Cet écheveau de dispositions et de mesures porte à croire que l'arrêt Morgentaler n'a pas eu pour effet immédiat d'accroître considérablement l'accès des femmes aux services d'avortement nécessaires. Il semble toujours y avoir un accès inégal et inéquitable à l'avortement, comme le soulignent le Rapport Badgley et le Rapport Powell. La Cour suprême a invoqué cet état de choses comme principale raison pour décider que les comités d'avortement thérapeutique allaient à l'encontre des droits des femmes. Les provinces peuvent aussi agir sur les soins liés à la reproduction parce qu'elles déterminent quels services sont jugés médicalement nécessaires en vertu du programme fédéral-provincial de partage des coûts dans le système canadien de santé, et établissent à quel tarif ces services sont compensés. Par exemple, en 1985, le gouvernement albertain a retiré les fonds publics destinés à la consultation en matière de contraception, aux opérations de stérilisation des hommes et des femmes et à la pose de stérilets chez toutes les femmes qui n'étaient pas, en vertu d'une raison médicale précise, jugées incapables de prendre des contraceptifs oraux. Bien que le gouvernement ait rétabli le financement de ces services à la suite de pressions politiques, sa décision initiale de retirer son financement est un bon exemple des répercussions potentielles des pouvoirs des provinces sur la reproduction des femmes, et nous y reviendrons dans ce document. Dans un contexte différent, le gouvernement de la Colombie-Britannique a tenté de retirer le financement public des services d'avortement après l'arrêt Morgentaler. La décision de retenir les fonds a été renversée par un tribunal de la ColombieBritannique en vertu de principes de droits administratifs, parce que la loi ne permettait pas au gouvernement d'agir comme il l'avait fait. Cependant, cette cause a également soulevé plusieurs questions reliées à la Charte, car l'accès à l'avortement serait sérieusement compromis si chaque femme était obligée de payer des services médicaux nécessaires ou si on s'attendait à ce que les médecins pratiquent les avortements gratuitement. La limitation des fonds, plutôt que leur retrait pur et simple, peut aussi comporter des répercussions négatives sur la disponibilité des soins liés à la reproduction. Les règlements concernant les honoraires médicaux peuvent décourager les médecins de pratiquer certains actes ou de dispenser certains types de services. Par exemple, en Alberta, de nombreux médecins ont déclaré que les honoraires fixés par la province pour les avortements sont trop faibles pour compenser pour les services médicaux dispensés. Les médecins d'un hôpital de Calgary ont cessé de pratiquer des avortements au deuxième trimestre de la grossesse, invoquant qu'à cause du régime d' assurancemaladie de l'Alberta, «le jeu n'en vaut pas la chandelle». Dans d'autres provinces, les mesures de contrôle du financement se présentent sous la forme d'un règlement voulant que les fonds publics ne servent que pour les avortements pratiqués dans un hôpital approuvé, et non pas pour ceux qui sont pratiqués dans des établissements parallèles comme des cliniques de soins liés à la reproduction. Les législations, réglementations et mesures provinciales et territoriales portent sur de nombreux aspects de l'hygiène de la reproduction autres que l'accès à l'avortement. La réglementation hors du droit pénal des traitements «prénatals» offre un exemple intéressant des effets directs et indirects des pouvoirs provinciaux et territoriaux sur une femme. La Children's Act du Territoire du Yukon contient une disposition expresse qui autorise directement le Directeur des services à l'enfance à régir la conduite d'une femme enceinte: 134-(1) Lorsque le Directeur a des motifs raisonnables et probables de croire qu'un foetus est sujet à un risque sérieux de souffrir du syndrome d'alcoolisme foetal ou d'autres problèmes congénitaux attribuables au fait que la femme enceinte consomme pendant sa grossesse des substances causant l'accoutumance ou l'intoxication, le Directeur peut demander à un juge une ordonnance exigeant que la femme soit soumise à une surveillance ou à un counselling adéquat, tel que précisé par l'ordonnance, concernant sa consommation de substances causant l'accoutumance ou l'intoxication. Cette disposition est unique au Canada et personne n'a encore contesté sa conformité aux garanties de la Charte. La reproduction des femmes peut aussi être touchée par des lois provinciales dont l'objet principal n'est pas celui-là. Les dispositions générales des lois sur la protection de l'enfance ont été invoquées dans une tentative indirecte de gérer la conduite des femmes enceintes. Par exemple, on a déjà avancé qu'une femme pourrait être obligée de se soumettre à un traitement médical lorsque les autorités provinciales ou territoriales croient que, sans ce traitement, son foetus pourrait être menacé ou subir des dommages. Certains tribunaux ont interprété la législation sur la protection de l'enfance comme leur permettant de prendre en considération la conduite de la femme enceinte au moment d'évaluer si l'«enfant», après sa naissance, avait besoin de la protection de l'État. En vertu de cette interprétation, ce qui était arrivé au foetus in utero était perçu comme la preuve qu'un «enfant» avait besoin de la protection de l'État après sa naissance. Dans un cas précis, on a jugé qu'un enfant né avec le syndrome d'alcoolisme foetal avait subi des abus avant sa naissance; l'enfant a été confié à l'État dès sa naissance et n'a jamais été confié à la garde de ses parents. On ne peut toutefois étendre ce type de raisonnement au-delà de certaines limites. Dans l'affaire Re Baby R, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a déclaré que la loi sur la protection de l'enfance ne justifiait pas qu'un tribunal exige d'une femme enceinte qu'elle donne naissance à son enfant par césarienne. Les autorités provinciales ne pouvaient pas, en demandant la garde de son foetus, arrêter cette femme dans les faits et dicter les modalités de son traitement médical. Le juge Macdonnell a déclaré: «Je conclus donc, après avoir étudié la Family and Child Service Act et les autres lois pertinentes, que les pouvoirs du Directeur en matière de garde par l'État se limitent à des enfants vivants ayant été mis au monde. Si tel n'était pas le cas, l'État serait en mesure d'arrêter une mère qui attend son enfant. Pour confier de façon efficace un enfant à la garde de l'État, il doit y avoir une mesure de contrôle sur le corps de la mère. S'il était légal dans ce cas de confier à l'État, quelques heures avant sa naissance, un enfant non encore né, il s'ensuivrait logiquement que l'enfant pourrait être confié à l'État un mois ou plus avant qu'il n'arrive à terme. De tels pouvoirs d'interférer avec les droits des femmes, s'ils sont garantis et légaux, doivent être mis en oeuvre en vertu d'une loi précise, rien de moins». Dans une autre affaire, les autorités de l'Ontario ont combiné une demande de garde du foetus avec une requête en vertu de la loi sur la santé mentale demandant l'internement d'une femme enceinte. Les autorités provinciales ont allégué que les preuves médicales de la douleur de la femme (qu'elle a niée), son comportement incohérent (la preuve a révélé qu'elle avait dormi dans un garage une nuit - peut-être pour des motifs pécuniaires) et son refus de chercher ou d'accepter une aide médicale, constituaient à leurs yeux une cause raisonnable de croire que le foetus était en danger et que cette femme souffrait de troubles mentaux. La femme a été internée jusqu'à la naissance de son enfant. Le pouvoir de décision de la province ou du territoire sur qui peut pratiquer la médecine à l'intérieur de ses frontières comporte également une incidence sur les soins destinés aux femmes en matière de reproduction. Par exemple, on peut considérer les sages-femmes comme du personnel médical parallèle dont l'expérience dans les accouchements normaux et naturels pourrait profiter non seulement à toutes les femmes enceintes, mais aussi à des groupes précis de femmes, comme les femmes autochtones du Grand Nord, les femmes vivant dans les régions rurales et les femmes immigrantes, dont les besoins sont moins bien satisfaits par les soins périnatals existants. Plusieurs provinces sont en train de réviser le statut juridique des sages-femmes, mais rien n'a encore été officiellement légalisé dans aucune province à ce sujet. La compétence résiduelle de la province et du territoire de légiférer sur des questions de santé locale signifie que les nouvelles questions concernant les soins de santé pour les femmes, comme les paramètres juridiques de la technologie de la reproduction, recevront peut-être l'attention des législateurs provinciaux. Bien que quelques provinces aient étudié les questions d'insémination artificielle, de fertilisation in vitro, de mères porteuses ou d'ententes contractuelles avant la conception, on doit explorer plus en profondeur et intégrer à tout processus de prise de décision les ramifications de ces techniques de reproduction. Les professionnels de la santé. Il est clair que les administrateurs d'hôpitaux, les associations professionnelles médicales et le personnel soignant exercent une influence considérable, voire parfois un contrôle, sur les soins liés à la reproduction. Les administrateurs d'hôpitaux contrôlent réellement tous les aspects des services médicaux dispensés dans leurs établissements. Ils décident quels services seront disponibles, sous quelle forme, en vertu de quelles modalités, dans quelle proportion et par qui ils seront pratiqués. Les règlements, procédures et lignes directrices que ces intervenants établissent ont des répercussions, directement et sur le plan organisationnel, sur l'hygiène de la reproduction des femmes. Chaque fois qu'une hospitalisation s'impose, légalement ou médicalement, les décisions des administrateurs d'hôpitaux ont des répercussions sur les femmes. Dans tous les cas, quel que soit le type de service médical recherché, les femmes subiront les conséquences du niveau de services dispensés par l'hôpital de leur district. Par exemple, lorsqu'une loi ou une mesure politique provinciale ou territoriale exige que les avortements soient pratiqués dans des hôpitaux, toutes les femmes qui désirent un avortement sont obligées de se soumettre au pouvoir de décision des administrateurs et du conseil des médecins de l'hôpital. Par le passé, l'influence des décisions des hôpitaux sur l'accès des femmes à l'avortement était évidente, comme en témoigne le système des comités d'avortement thérapeutique. A l'heure actuelle, les administrateurs d'hôpitaux continuent de décider si des avortements seront pratiqués dans leurs établissements, quel en sera le nombre, quelle catégorie de praticiens pourra procéder à l'opération, et s'il y aura des procédures d'approbation spéciales ou des exigences additionnelles quant au consentement et au counselling. A l'Ile-du-Prince-Édouard, c'est précisément à l'échelon des hôpitaux que l'accès à l'avortement subit une restriction: les administrateurs menacent de mettre fin aux privilèges hospitaliers de tout médecin qui pratique des avortements. Il en résulte qu'aucun avortement n'est pratiqué ni dans l'un ni dans l'autre des deux grands hôpitaux de cette province, même si celle-ci n'a imposé aucune restriction sur la réglementation ou sur le financement des avortements pratiqués à l'intérieur de ses frontières (le gouvernement a accepté de financer les avortements pratiqués à l'extérieur de ses frontières, à certaines conditions). Les attitudes, les méthodes professionnelles et la ligne de conduite du personnel soignant ont également des répercussions importantes sur la proportion et la qualité des services de soins accessibles aux femmes en matière de reproduction. Une étude du fonctionnement des comités d'avortement thérapeutique a révélé que c'était souvent le médecin personnel de la femme qui entravait l'accès à l'avortement. Les femmes hospitalisées pour des avortements thérapeutiques étaient parfois traitées avec moins de sollicitude par le personnel soignant, soit parce qu'elles n'étaient pas perçues comme «malades» ou parce que le personnel désapprouvait la décision de la femme enceinte de mettre un terme à sa grossesse. Si l'appréciation médicale d'un médecin va bien au-delà de facteurs strictement physiologiques, la pratique de la médecine peut potentiellement se manifester comme une forme de contrôle social. Qu'un médecin décide de ne pas pratiquer l'avortement à moins que la femme «consente» à la stérilisation, ou qu'il ne veuille pas stériliser une femme sauf si elle a atteint un certain âge ou si elle a déjà un nombre déterminé d'enfants, ou qu'il refuse de faire profiter des avantages de la technologie de la reproduction les femmes infécondes qui ne font pas partie d'un mariage stable hétérosexuel, voilà autant d'exemples qui montrent comment des facteurs sociaux peuvent intervenir dans une décision médicale. On a fait remarquer que la dualité hiérarchique dans la relation traditionnelle entre l'homme médecin et la femme patiente entraîne un comportement soumis et passif qui soulève la question plus vaste de l'intégrité et de la validité du consentement de certaines femmes à des actes médicaux. Si un professionnel de la santé a été négligent en effectuant un acte médical ou a, par négligence, omis de révéler les risques matériels associés à cet acte, tout patient peut invoquer les principes généraux de la responsabilité civile pour exiger une compensation. Par exemple, une plaignante a poursuivi avec succès un médecin pour négligence médicale parce qu'il avait omis de soumettre sa demande à un comité d'avortement thérapeutique. De plus en plus, les médecins qui commettent des négligences en pratiquant des avortements ou des stérilisations sont considérés comme responsables de certains des inconvénients causés par une naissance non prévue. On parle alors de causes de «naissances erronées». Les poursuites concernant le stérilet Dalkon Shield et la vente de DÉS à des femmes enceintes sont propres à faire réfléchir les fabricants prêts à utiliser les femmes comme laboratoires vivants pour leurs produits non testés. La Cour d'appel de l'Ontario a récemment trouvé Ortho Pharmaceuticals coupable de ne pas avoir révélé les risques médicaux connus des pilules contraceptives qu'elle offre sur le marché. Le fait de forcer les médecins, les fabricants ou les hôpitaux qui font preuve de négligence à dédommager les femmes pour les torts causés en relation avec les soins liés à la reproduction est un instrument puissant auquel toute femme peut recourir et qui, par son effet dissuasif sur la négligence médicale, incite à donner des soins de santé de qualité. Le fait de reconnaître que ces principes généraux de responsabilité civile s'étendent aux actes de négligence dans le cadre de la reproduction chez les femmes a deux effets: il remet en question les stéréotypes dépassés et renforce la thèse voulant que l'intégrité physique des hommes et des femmes ait valeur égale. Bien que les actions judiciaires coercitives contre des administrateurs d'hôpitaux et des professionnels de la santé soient possibles, il ne faut pas oublier les avantages de l'éducation et du lobbying. Les femmes ont réussi à obtenir des changements dans le processus d'accouchement. L'accouchement naturel, qui est plus encouragé, le choix des positions d'accouchement, la présence des sages-femmes, la création de chambres des naissances, la présence de monitrices dans la salle d'accouchement, montrent que les critiques émises par les femmes sur la médicalisation de l'accouchement ont eu des répercussions positives sur la qualité des soins périnatals. Résumé. Comme l'indique ce document, les nombreuses sources et formes de contrôle du système reproducteur des femmes dont disposent les gouvernements provinciaux ou territoriaux et les professionnels de la santé leur donnent des pouvoirs importants, qui leur permettent de favoriser ou d'entraver les soins médicaux destinés aux femmes. Leurs décisions influent sur la façon dont les soins en hygiène de la reproduction sont conceptualisés et administrés et déterminent également de façon directe quels services sont mis à la disposition des femmes. Si cette vue d'ensemble permet d'identifier les lieux de décision pour le lobbying ou la contestation devant les tribunaux, elle montre également la tendance des nouvelles réglementations spéciales concernant les femmes et leur rôle dans la reproduction humaine. En reconnaissant le nombre, la forme et la portée de ces moyens de contrôle, on élève l'hygiène de la reproduction au rang d'un sujet distinct de recours constitutionnel et on devient plus critique à l'égard des arguments invoqués pour étayer les restrictions imposées aux services médicalement nécessaires. Il ne fait aucun doute qu'en général, chacun des trois pouvoirs décisionnels dont on a fait état peut adopter des réglementations dont les effets seront négatifs pour certains groupes: le gouvernement fédéral peut empêcher la vente de médicaments expérimentaux, un gouvernement provincial ou territorial peut réglementer les conditions dans lesquelles une transplantation cardiaque est pratiquée ou décider de retirer les fonds pour la vaccination, et les administrateurs d'hôpitaux peuvent choisir de ne pas pratiquer certains types de chirurgie. Cependant, dans le cas précis de l'hygiène de la reproduction des femmes, il vaut la peine de noter que ces trois instances décisionnelles sont intervenues, et de façons qui tendent à limiter l'accès qu'ont les femmes aux services médicaux dont elles ont besoin. Une décision provinciale ou territoriale de retirer le financement public consacré à la consultation en matière de contraception aurait des répercussions considérablement différentes sur la vie des femmes s'il s'agissait de la seule forme de réglementation imposée en matière d'hygiène de la reproduction. De même, la décision d'un hôpital de ne pas pratiquer d'avortements aurait des implications différentes si d'autres hôpitaux du même district répondaient à la demande pour ce service. Cependant, à l'heure actuelle, aucune de ces décisions ne peut être considérée isolément; par conséquent, il ne serait pas approprié de juger les répercussions de ce genre de réglementation de façon indépendante et dans l'abstrait. Les nombreuses sources et formes de réglementations qui touchent la reproduction chez les femmes se combinent et se multiplient en un labyrinthe de contrôles sociaux. C'est dans ce contexte global que l'on doit considérer si les décisions des gouvernements fédéral provinciaux ou territoriaux ou celles des professionnels de la santé transgressent les droits des femmes prévus par la Loi canadienne sur la santé et la Charte canadienne des droits et libertés. La prestation des services de santé et la Loi canadienne sur la santé. Cette section du document porte sur la façon dont la Loi canadienne sur la santé peut être utilisée pour faciliter l'accès aux services médicalement nécessaires en hygiène de la reproduction. La Loi canadienne sur la santé s'interprète comme la Charte de la santé pour le peuple canadien. Les critères de la Loi canadienne sur la santé sont formulés dans les grandes lignes et servent à établir des normes générales de justice sociale. Par exemple, l'article 3 est ainsi rédigé: 3- La politique canadienne de la santé a pour premier objectif de protéger, de favoriser et d'améliorer le bienêtre physique et mental des habitants du Canada et de faciliter un accès satisfaisant aux services de santé, sans obstacles d'ordre financier ou autre. Le préambule de la Loi canadienne sur la santé établit aussi explicitement «que l'accès continu à des soins de santé de qualité, sans obstacle d'ordre financier ou autre, sera déterminant pour la conservation et l'amélioration de la santé et du bien-être des Canadiens». La philosophie qui sous-tend la Loi canadienne sur la santé est donc que tous les citoyens et citoyennes ont le droit d'obtenir des soins de santé personnels universellement accessibles. Les services médicalement nécessaires sont dispensés en fonction des besoins médicaux des personnes et non suivant leur capacité de payer. Bien que ces objectifs de la Loi soient clairs et se reflètent dans les cinq conditions du système d'assurance prévues par la Loi canadienne sur la santé, ces conditions ne sont pas définies et peuvent être difficiles à appliquer. Les conditions de la Loi canadienne sur la santé. La Loi canadienne sur la santé définit les modalités en vertu desquelles les provinces doivent dispenser des services médicaux pour être admissibles à la totalité des paiements fédéraux prévus par le programme fédéralprovincial de partage des coûts établi pour les soins de santé au Canada. Ces modalités sont connues comme les cinq conditions d'intégralité, d'accessibilité, d'universalité, de transférabilité et de gestion publique. Un régime provincial qui ne satisfait pas ne serait-ce qu'à une seule de ces conditions se trouve à violer la Loi canadienne sur la santé. En théorie, ces conditions sont indépendantes et cumulatives; en pratique, toutefois, la combinaison de buts législatifs clairement définis et de conditions énoncées en termes généraux se traduit par un certain chevauchement. Comme chaque condition est nécessaire pour parvenir à une vue nationale des services de santé financés par l'État, une interprétation en fonction des objectifs et du contexte suppose que certains types de conduite de la part des provinces contreviennent à plus d'une condition et, par conséquent, violent plus d'un article. Étant donné qu'aucune des cinq conditions n'est expressément définie dans la Loi, chacune doit être interprétée en fonction de la signification naturelle et ordinaire des mots utilisés, de l'intention présumée des législateurs et d'une analyse intentionnaliste qui reste cohérente avec les autres articles de la Loi et avec l'esprit de la Loi dans son ensemble. Donc, la question de déterminer si un régime provincial contrevient à la Loi canadienne sur la santé dépend principalement de la bonne interprétation et de la portée des conditions considérées. L'intégralité. L'article 9 de la Loi précise que, pour être intégral le régime d'assurance-santé d'une province doit couvrir tous les «services de santé assurés» dispensés par les hôpitaux et les médecins. La définition de cette expression-clé couvre les services dispensés par les hôpitaux et par les médecins aux personnes assurées, ellesmêmes définies comme habitant la province. La condition statutaire d'intégralité semble exiger que la province assure les services médicaux dispensés aux personnes y habitant. Il existe essentiellement deux façons d'interpréter cette condition. La première interprétation de l'«intégralité» permettrait aux provinces une grande latitude pour exclure de nombreux services. Eu égard à la compétence provinciale en matière de questions de santé locale, des «services de santé assurés» pourraient ne signifier que les services officiellement désignés comme tels par la province. En vertu de cet argument, il n'existe pas de contenu normatif à l'expression «services de santé assurés», et la province ne doit garantir que les services médicaux qu'elle décide réellement d'assurer pour ses habitantes et habitants. Le concept de «services de santé assurés» devient le moule fédéral dans lequel chaque province met sa propre signification. Il est improbable que cette interprétation prévale, parce que si elle est acceptée, aucun système provincial ne pourra être «intégral». Si la province n'est obligée d'assurer que les services qu'elle a décidé d'assurer, alors son système ne pourrait jamais être considéré comme incomplet. Il faut chercher une autre interprétation parce que celle-ci rend l'article 9 de la Loi dénué de sens. Selon une deuxième interprétation, on pourrait concevoir qu'une couverture intégrale nécessite un niveau minimal de services - peut-être quelque chose comme la couverture complète des services médicalement nécessaires réellement dispensés dans la province. On peut avancer que c'est seulement quand l'intégralité a un tel contenu normatif que les besoins en soins de santé sont satisfaits et que l'objectif de services médicaux universellement accessibles est atteint. Cette façon d'aborder l'intégralité est conforme à la Charte de la santé et au rapport de la Commission royale d'enquête sur les services de santé. Ces deux documents ont contribué à établir les fondements de notre système national actuel de soins et les critères énoncés dans la Loi canadienne sur la santé. Dans la Charte de la santé, le mot «complet» a été défini pour signifier «tous les services de santé, de prévention, de diagnostic, de traitement et de réhabilitation que les sciences médicales et autres de notre époque peuvent fournir». De la même façon, la Commission royale d'enquête pensait que les types de programmes suivants seraient nécessaires dans un système intégral: les services médicaux, les services dentaires pour les enfants, les femmes enceintes et les bénéficiaires de l'aide sociale, les services de médicaments sur ordonnance, les services optiques pour les enfants et les bénéficiaires de l'aide sociale, les services de prothèses, les services de soins à domicile et les services de santé mentale. Ces définitions montrent que la couverture la plus vaste possible semble avoir été prévue en fonction du concept d'intégralité. En 1980, une étude nationale sur le système de soins de santé a révélé que la surfacturation par les médecins violait cette condition parce qu'«un programme dont les prestations ne correspondent pas au coût des services fournis ne peut, en aucune façon, être considéré comme complet et il ne peut pas non plus être disponible dans des conditions identiques pour tous». Ce résultat vient également appuyer l'idée que l'intégralité exige que les provinces assurent davantage que ce qu'elles ont décidé de payer. Le contenu normatif de ce qui doit être couvert par un régime provincial intégral peut être établi de façon précise en examinant plusieurs variables: - quels services médicaux sont réellement dispensés dans la province; - si le service est médicalement nécessaire pour la santé et le bien-être des habitantes et habitants de la province; - si le service est dispensé et assuré dans d'autres provinces; - l'importance du service pour les personnes qui en ont besoin; - les conséquences du retrait du service du régime d'assurance sur la disponibilité de ce service et sur le fardeau impose aux personnes qui seront forcées de payer pour l'obtenir. En vertu de cette interprétation, les décisions de financement prises par certaines provinces concernant l'hygiène de la reproduction des femmes peut contrevenir au critère de l'intégralité. Un retrait complet des fonds, comme la décision du gouvernement de l'Alberta de soustraire les stérilisations au régime d'assurance, constituerait l'exemple le plus flagrant de régime incomplet et non conforme aux conditions. Dans ce cas, les opérations de stérilisation ont continué d'être dispensées au sens médical mais les gens de l'Alberta étaient obligés de payer personnellement pour les obtenir. Le régime d'assurance provincial n'était pas intégral puisque sa couverture ne s'étendait pas à un acte médicalement nécessaire objectivement et qui, en fait, était offert à sa population. Cette même analyse signifierait que la décision du gouvernement de la Colombie-Britannique de retirer tout financement public pour les avortements aurait également contrevenu à cet article. Les restrictions ou les exclusions partielles du financement peuvent aussi menacer le critère d'intégralité. Par exemple, les provinces qui financent à même les fonds publics des actes médicaux comme les avortements seulement lorsqu'ils sont pratiqués dans les hôpitaux peuvent ne pas payer tous les avortements médicalement nécessaires pratiqués dans la province. Il s'agit d'un cas patent de non-inclusion lorsqu'un même acte est assuré dès qu'il est pratiqué dans un établissement et non dans un autre. En ce qui concerne la préoccupation véritable du gouvernement au sujet de l'endroit où le service est pratiqué, par opposition à sa préoccupation à l'égard de la nature inhérente de l'acte, il ne faut pas oublier que la province dispose de nombreux moyens pour surveiller la qualité des services de soins de santé sans retirer le financement public. Les établissements parallèles comme les cliniques d'hygiène de la reproduction doivent répondre aux exigences générales de santé et de sécurité, être approuvés par le Collège des médecins et chirurgiens et n'employer que du personnel qualifié. Certains cas de sous-financement peuvent aussi contrevenir au critère d'intégralité. On peut affirmer que, quand le gouvernement de l'Alberta ne défraie qu'un seul acte médical (un avortement pendant le deuxième trimestre), au détriment d'un acte séparé ultérieur souvent rendu nécessaire par le premier, les besoins des femmes en matière de soins de santé ne sont pas couverts de façon intégrale. En un sens, le terme «sous-financement» n'est pas approprié dans ce contexte, puisqu'il n'y a pas financement des services médicalement nécessaires qui seraient assurés s'ils étaient fournis dans d'autres circonstances. Il est improbable que la condition d'intégralité ait été destinée à couvrir le sous-financement d'actes précis, à moins que le niveau de financement soit si faible en comparaison des coûts qu'on puisse raisonnablement conclure qu'il n'existe pas d'intention réelle d'inclure certains actes donnés. Comme les tribunaux peuvent hésiter à remettre en question l'évaluation économique que fait le gouvernement de la valeur des services médicaux, il peut être difficile de contester la proportion de financement consacrée à un acte en particulier. Les tribunaux ne peuvent être appelés à intervenir dans ce genre de situation que dans des cas très précis. L'intervention limitée des tribunaux en matière de sous-financement impose aux médecins et aux groupes de consommateurs et consommatrices de veiller à ce que le tarif établi reflète la valeur et le coût réels des services médicaux. La disparité entre l'inclusion officielle et la couverture réelle survient également si une province assure un service médicalement nécessaire sans le dispenser. Si une couverture intégrale implique la disponibilité des services à un certain niveau minimal, il peut être difficile d'avancer qu'un régime provincial d' assurancemaladie est intégral si la province paie des services nécessaires sans toutefois les dispenser. C'est le paradoxe de l'Ile-du-Prince-Édouard, où le gouvernement provincial reconnaît l'avortement comme un service médicalement nécessaire en l'incluant expressément dans le régime provincial d'assurance-maladie, mais où on ne pratique aucun avortement. Une femme doit donc se rendre dans une autre province pour obtenir un service que son propre gouvernement provincial reconnaît comme médicalement nécessaire. A tout le moins, le fait de ne pas compenser une patiente pour ses frais de déplacement dans ces circonstances constitue pour l'utilisatrice une pénalité financière et lui occasionne des frais supplémentaires. Ces frais supplémentaires ou l'absence de services médicalement nécessaires, ou encore la combinaison de ces deux facteurs, soulèvent une importante question: est-ce l'apparence de couverture ou la réalité de l'absence de services qui doit régir de telles décisions? L'accessibilité. Si la couverture ou l'exclusion d'un service relève plutôt des principes et de l'objectif d'intégralité, il ne s'agit pas là de la seule condition pertinente en vertu de la Loi canadienne sur la santé. La condition d'accessibilité, qui porte sur la façon dont les services assurés doivent être dispensés, est également importante. Il peut toutefois exister un certain chevauchement entre la condition d'intégralité et la condition d'accessibilité parce que, en un sens, un service médical non assuré est inaccessible à certaines personnes. Le paragraphe 12(1) de la Loi souligne la condition d'accessibilité: 12-(1) La condition d'accessibilité suppose que le régime provincial d'assurance-santé: a) offre les services de santé assurés selon des modalités uniformes et ne fasse pas obstacle, directement ou indirectement, et notamment par facturation aux assurés, à un accès satisfaisant par eux à ces services; b) prévoie la prise en charge des services de santé assurés selon un tarif ou autre mode de paiement autorisé par la loi de la province; c) prévoie une rémunération raisonnable de tous les services de santé assurés fournis par les médecins ou les dentistes; d) prévoie le versement de montants aux hôpitaux, y compris les hôpitaux que possède ou gère le Canada, à l'égard du coût des services de santé assurés. L'accès implique une absence de barrières financières et géographiques, ainsi que de barrières imposées par les réglementations. Dans la mesure où la Loi canadienne sur la santé constitue, au Canada, la «charte des droits à la santé», cette disposition peut être perçue comme sa norme d'égalité et sa garantie de non-discrimination. Par conséquent, on peut s'attendre à ce qu'elle soulève des questions de perception et d'interprétation semblables à celles qu'a fait surgir l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. L'alinéa 12(1)(a) de la Loi comporte deux aspects: premièrement, le régime provincial doit dispenser les services de santé assurés selon des modalités uniformes; deuxièmement, la province ne peut utiliser ses pouvoirs en matière de soins de santé pour gêner ou empêcher l'accès satisfaisant aux services médicalement nécessaires. En ce qui concerne le premier aspect, la définition du terme «uniforme» et le choix des services de santé assurés qui seront disponibles de façon uniforme déterminent le contenu et la portée de cette protection. Selon le dictionnaire Robert, le mot «uniforme» se dit de ce qui présente des éléments tous semblables, dont les caractères et l'aspect restent les mêmes d'un bout à l'autre, ou qui est fait suivant un modèle prescrit et invariable pour un groupe de personnes. Si l'on aborde l'«uniformité» en se fondant sur l'idée d'un modèle prescrit et invariable, on devrait alors exiger rien de moins qu'un traitement formellement identique. Ainsi dans la mesure où chaque service assuré est offert selon les mêmes modalités, il ne saurait exister aucune violation. Par exemple, une loi provinciale exigeant que tous les avortements soient approuvés par un deuxième médecin, ou encore que tous les avortements soient pratiqués dans un hôpital, satisferait à l'exigence d'accessibilité dans la mesure où la conformité existerait au sein de la catégorie désignée, c'est-à-dire que tous les avortements seraient disponibles selon des modalités identiques. Dans pareil cas, il n'y aurait aucune comparaison avec une catégorie autre que celle de l'acte en question ni aucune remise en cause des répercussions des exigences imposées. Si telle est la seule signification de l'exigence de modalités uniformes, alors la condition d'accessibilité ne servirait qu'à empêcher les exemples les plus flagrants de traitements différents, comme un traitement pour les Autochtones et un autre pour les non-Autochtones, ou des modalités différentes pour les personnes vivant en milieu urbain et celles qui vivent en milieu rural. Il est beaucoup plus probable que l'«uniformité» exige le traitement identique d'actes médicaux semblables ou une norme orientée davantage vers les résultats d'une disponibilité égale des services médicalement nécessaires. De nombreux observateurs et tribunaux ont fait valoir qu'en restreignant l'égalité à un traitement formellement identique, on renforce souvent les inégalités existantes. La Cour suprême reconnaît que la véritable égalité peut exiger davantage que des traitements identiques, ce qui soutient une interprétation plus vaste et plus libérale du concept d'uniformité. En réalité, une interprétation non fondée sur le sexe peut nuire à l'objectif d'offrir des soins de qualité à toute la population si elle ne tient pas compte du fait que des patients différents ont des besoins différents en matière de santé. L'étendue de la protection accordée par l'exigence d'uniformité dépendra aussi de la façon dont les catégories sont choisies et élaborées à des fins de comparaison. Par exemple, lorsqu'on évalue l'uniformité des services d'avortement dans les provinces, il devient important de se demander si l'avortement devrait être comparé à des actes médicaux d'une complexité semblable, à des actes médicaux pratiqués exclusivement sur des femmes, à des actes ne concernant que la reproduction des femmes ou à des actes ne concernant que des femmes cherchant à mettre fin à leur grossesse. Cependant, lorsque l'acte considéré est l'avortement, la nature et les conséquences de l'acte peuvent être utilisées pour alléguer qu'il est si exceptionnel qu'il doit avoir sa catégorie propre. A mesure que la catégorie s'élargit, il devient moins probable que les réglementations spéciales satisferont aux critères d'uniformité. On ne sait pas exactement comment ces problèmes de définition seront résolus, mais si «uniforme» s'entend d'un traitement formellement identique au sein de catégories définies, la deuxième condition contenue à l'alinéa 12(1)(a) peut être plus prometteuse pour les personnes qui cherchent à contester les modalités spéciales imposées par certaines provinces sur la disponibilité des services d'avortement. En termes concrets, la deuxième partie de l'alinéa 12(1)(a) garantit le droit à un accès satisfaisant aux services assurés. Selon l'ampleur des termes utilisés, la facturation ou d'autres moyens ne doivent pas faire obstacle, directement ou indirectement, à un accès satisfaisant. Des obstacles déraisonnables, disproportionnés ou limitatifs, qu'ils soient financiers, géographiques ou juridiques, transgressent donc cette condition. Pour déterminer si l'accès est entravé, il faut mesurer la disponibilité des services médicaux, de même que les conséquences de la restriction ou de la réglementation provinciale. La détermination d'un traitement spécial pour un acte médical et l'imposition d'exigences bureaucratiques supplémentaires ou particulières constitueraient des obstacles à première vue. Les services peuvent également être perçus comme inaccessibles quand les personnes doivent se rendre dans une autre province pour obtenir des services nécessaires, ou quand elles doivent aller dans un établissement parallèle de soins de santé dont les frais ne sont pas couverts par le régime provincial ou doivent être assumés par les patients. L'exclusion ou la limitation du financement de services médicalement nécessaires peut aussi soulever la question de l'accessibilité tout autant que de l'intégralité. Le juge Hall qualifie d'obstacles financiers indus les suppléments ou les frais modérateurs exigés d'une personne, mais le principe d'accessibilité offre une protection qui s'étend au-delà des obstacles de nature économique. Les importants paiements de transfert fédéraux créent, dans les provinces, une lourde responsabilité concomitante de dispenser et de financer des services adéquats. Tel que le précise l'alinéa 12(1)(a), ce ne sont pas tous les obstacles à l'accès qui contreviennent à la condition d'accessibilité. La norme statutaire n'est pas un standard d'accès libre ou facile, mais un standard relatif et circonstanciel concernant un accès satisfaisant. Encore une fois, c'est l'interprétation de ce terme non défini qui détermine le genre et l'étendue des restrictions provinciales permissibles. Il faut peser et évaluer les divers intérêts dans toutes les décisions relatives au caractère «satisfaisant». Si l'on s'inspire, pour déterminer ce caractère «satisfaisant», d'autres aspects de la loi (comme la responsabilité civile et les limitations des droits et libertés permises en vertu de l'article 1 de la Charte), voici les considérations pertinentes qui viennent à l'esprit: - la nature du service médical; - la demande pour ce service médical; - la raison de l'imposition de cette restriction; - les conséquences de la restriction; - l'ampleur de l'obstacle créé; - les répercussions sur les personnes touchées par cet obstacle; - l'importance des services assurés; - la nature de l'intérêt provincial allégué; - la proportionnalité de la restriction relativement au but visé; - les liens rationnels entre la restriction et le but visé; - le fait que la restriction soit conçue pour nuire le moins possible à l'accès; - les implications coûts-avantages de la décision. L'ampleur des termes utilisés à l'alinéa 12(1)(a) et l'objectif général de la Loi canadienne sur la santé laissent supposer que les obstacles qui menacent la santé d'un patient ou d'une patiente sont susceptibles d'être considérés comme déraisonnables. Il peut s'agir d'exigences supplémentaires qui ne découlent pas de la nature de l'acte médical qui retardent l'accès à des services médicalement nécessaires et qui menacent le bienêtre physique et psychologique de la personne. Dans l'arrêt Morgentaler, la Cour suprême du Canada a critiqué la disposition du Code criminel exigeant que les avortements ne puissent être pratiqués en toute légalité que dans des hôpitaux approuvés ou accrédités et avec l'approbation d'un comité d'avortement thérapeutique. La Cour a soutenu que cette exigence était injuste et arbitraire, et que le retard superflu qu'elle entraînait injustement violait la sécurité de la personne, dans le cas des femmes, et était contraire à l'article 7 de la Charte. Les obstacles qui lèsent un intérêt précisé dans la Charte peuvent, pour cette seule raison, être inadmissibles en vertu de la Loi canadienne sur la santé. A cet égard, les exigences provinciales qui limitent ou restreignent l'accès à l'avortement peuvent violer l'un ou l'autre aspect de l'alinéa 12(1)(a). Les provinces où l'on trouve une règle imposant le consentement de deux médecins, une réglementation hospitalière, le consentement du conjoint et des exigences de counselling font de l'avortement un acte singulier qui nécessite un traitement spécial et font obstacle à un accès satisfaisant en réduisant l'accessibilité générale aux avortements ou en rendant la tâche difficile aux femmes qui souhaitent en obtenir un. La situation de l'Ile-du-Prince-Édouard, où l'inaccessibilité des services d'avortement est directement attribuable aux conseils des hôpitaux, soulève un problème différent et ardu. Dans la mesure où les décisions des conseils des hôpitaux constituent une forme d'action gouvernementale, elles seront sujettes à un examen distinct à la lueur du respect de la Charte, mais il peut être plus difficile d'engager la responsabilité du gouvernement provincial en vertu de la Loi canadienne sur la santé. Pour déterminer qu'il y a manquement de la part de la province, il faudrait se fonder sur le fait qu'elle n'intervient pas dans chaque décision du conseil et n'invalide pas chaque décision en vertu de son pouvoir de réglementer les hôpitaux et la pratique de la médecine. L'inaction de la province peut être interprétée comme un endossement implicite de la position de l'hôpital. Il est possible d'invoquer qu'une province devrait être responsable quand l'objectif de la Loi canadienne sur la santé d'assurer les services de soins de santé est compromis, peu importe que cela résulte d'une conduite intentionnelle ou d'une approbation tacite. Étant donné que la gravité et l'ampleur de l'inaccessibilité devraient être prises en considération pour déterminer la responsabilité, il peut être plus facile d'établir la responsabilité provinciale lorsque l'accès satisfaisant est totalement exclu plutôt que partiellement entravé. Cette situation est peut-être plus grave dans une province comme l'Ile-du-Prince-Édouard, où l'assemblée législative a adopté une résolution s'opposant à la pratique de l'avortement. L'alinéa 12(1)(c) peut également s'appliquer au sous-financement des services médicaux. Il exige qu'une province prévoie une compensation raisonnable de tous les services assurés fournis par des professionnels de la santé. Par conséquent, le sous-financement peut contrevenir à la condition d'accessibilité, même s'il n'est pas prohibé en vertu de l'intégralité. L'universalité, la transférabilité et la gestion publique. Les trois autres conditions, soit l'universalité, la transférabilité et la gestion publique, contenues dans d'autres articles de la Loi canadienne sur la santé, peuvent aussi venir à l'appui du droit des femmes à des services de santé en matière de reproduction. La couverture «universelle» protégée par l'article 10 de la Loi a été définie en 1964 par la Commission royale d'enquête pour signifier «que des services de santé convenables seront accessibles à tous les Canadiens, où qu'ils habitent et quelle que soit leur situation financière, dans le cadre des limites imposées par les facteurs géographiques». Un accès différent dans chaque province peut par conséquent transgresser ce principe. Les tarifs variables d'une province à l'autre et le taux que chacune paiera pour un avortement pratiqué dans une autre province peuvent aussi soulever des questions relatives à la condition de transférabilité. Enfin, on doit souligner la condition de gestion publique. L'article y afférant exige seulement que les régimes provinciaux d'assurance-maladie soient gérés par une autorité publique, ce qui est le cas dans toutes les provinces, et non pas que tout acte médical soit pratiqué dans des hôpitaux publics pour être financé par l'État. Résumé. Une interprétation large et intentionnaliste des cinq conditions de la Loi canadienne sur la santé dégage la possibilité de contester certaines formes de réglementations provinciales. Pour d'aucuns, il peut sembler qu'en agissant ainsi on permettrait au gouvernement fédéral d'empiéter sur les pouvoirs des provinces en matière de soins de santé en établissant les niveaux obligatoires de services de santé au sein de la province. Cependant, cette critique ne tient pas compte du fait qu'un subside conditionnel, par définition et à dessein, impose des conditions, et que la conséquence logique, et peut-être voulue, de tout programme fédéral de partage des coûts est une influence du gouvernement fédéral dans des domaines de compétence provinciale. Le fait que le gouvernement fédéral puisse dépenser des fonds dans des domaines où il ne peut légiférer et que les provinces soient théoriquement libres d'accepter ou de rejeter les fonds fédéraux semble être une anomalie du droit constitutionnel. Si les provinces acceptent les fonds fédéraux, elles acceptent que ces fonds soient sujets aux stipulations fédérales qui y sont reliées. Par conséquent, les conditions fédérales établies dans la Loi canadienne sur la santé peuvent indirectement toucher les programmes provinciaux de soins de santé. Les recours dans les cas de violation de la Loi canadienne sur la santé. L'objectif de la Loi canadienne sur la santé est de donner une forme statutaire à l'entente fédérale-provinciale de partage des coûts en matière de soins de santé. La Loi établit les conditions auxquelles les régimes provinciaux de soins de santé doivent satisfaire pour que le gouvernement fédéral verse la totalité des paiements à la province. Le versement des fonds fédéraux est donc conditionnel au respect des conditions par les provinces. A cet égard, cet accord ressemble à un contrat unilatéral entre les gouvernements fédéral et provinciaux, en vertu duquel le gouvernement fédéral paie si les gouvernements provinciaux lui obéissent. Il peut y avoir transgression aux cinq conditions énoncées dans la Loi lorsque: - des services médicalement nécessaires ne sont pas dispensés; - ces services ne sont dispensés que selon certaines modalités; - les fonds publics sont retenus, strictement contrôlés ou établis à des taux minimes ne correspondant pas à la réalité. Cependant, quand la nature de la plainte consiste en ce qu'une province a usé de sa compétence en matière de santé de façon non conforme aux principes de la Loi canadienne sur la santé, l'objectif et la structure de la Loi peuvent empêcher des personnes de chercher un recours efficace devant les tribunaux, surtout si leurs réclamations se fondent seulement sur les dispositions de la Loi. Bien qu'il soit prévu que les personnes au Canada puissent profiter directement des conditions et des dispositions de la Loi canadienne sur la santé, leur position ressemble à celle de toute tierce partie bénéficiaire en vertu d'un contrat - elles ont un intérêt qui ne peut s'imposer qu'avec grande difficulté. L'article de la Loi canadienne sur la santé qui prévoit des recours juridiques confirme que la Loi est prévue pour établir les obligations entre les gouvernements. L'article 15 ne donne pas de droits juridiques distincts aux habitantes et habitants des provinces: il permet simplement au gouvernement fédéral de «mettre à l'amende» les provinces qui violent cette condition particulière de la Loi en retenant partiellement ou totalement la contribution fédérale. La Loi canadienne sur la santé ne prévoit donc aucun mécanisme par lequel les plaintes peuvent être exprimées lorsque les dispositions de la Loi ne sont pas respectées ou lorsque des individus forcés de payer personnellement des services non assurés ou non disponibles désirent un remboursement ou une compensation. Le nombre minime de causes rapportées relativement à la Loi canadienne sur la santé témoigne de ses limites en tant qu'outil pour résoudre les griefs des personnes plaignantes. Une personne plaignante qui se tourne vers les tribunaux pour faire retirer des barrières provinciales indues doit donc regarder ailleurs que dans la Loi, comme le montre l'analyse qui va suivre. Une personne plaignante aura de la difficulté à établir un droit juridique reconnu et à demander un recours juridique efficace contre le gouvernement provincial ou le gouvernement fédéral. Pour protéger pleinement les intérêts en matière de santé que la Loi devait préserver, il y aurait lieu de créer une forme de mécanisme de mise en application, préférablement dans la Loi même, qui permettrait aux personnes d'insister sur la conformité ou la compensation. A l'heure actuelle, les personnes plaignantes ont le choix du défendeur et plusieurs façons d'intenter des poursuites judiciaires s'offrent à elles. La nature fédérale-provinciale du régime de soins de santé permet de poursuivre l'un ou l'autre ou les deux ordres de gouvernement. Leurs activités peuvent être contestées principalement en ce qui concerne le respect des principes du droit administratif et des droits et libertés garantis dans la Charte canadienne des droits et libertés. Le gouvernement provincial. Les provinces exercent une influence importante sur la prestation de services adéquats de soins d'hygiène de la reproduction. Elles décident de ce qui constitue un service médicalement nécessaire, des circonstances dans lesquelles il y aura des «services de santé assurés» en vertu de la Loi canadienne sur la santé et du taux ou du tarif auquel les professionnels de la santé seront rémunérés. L'exercice de ces pouvoirs provinciaux se manifeste généralement par une réglementation adoptée en vertu de la loi provinciale sur l'assurance-maladie. Quand les services sont inexistants, insuffisants ou inaccessibles, la loi, la mesure ou la décision provinciale en cause peut être contestée directement. La légalité de la réglementation provinciale n'est assurée que si ce gouvernement a l'autorité d'adopter la réglementation, si la réglementation provinciale respecte les conditions de la Loi canadienne sur la santé et si les actes du gouvernement respectent les droits des femmes établis par la Charte et protégés par la Constitution. Quand le gouvernement de la Colombie-Britannique a retenu les fonds publics destinés aux avortements après l'arrêt Morgentaler, une poursuite fondée sur le droit administratif a été intentée pour contester la légalité de la réglementation. L'argument juridique consistait à établir si la façon dont le Cabinet provincial avait soustrait l'avortement au régime d'assurance-maladie relevait de ses pouvoirs statutaires. Le tribunal a soigneusement examiné la source et la portée des pouvoirs du Cabinet, s'est demandé si les procédures adéquates avaient été suivies et a conclu que le Cabinet avait outrepassé son mandat statutaire. Dans ce genre de contestation juridique, la décision du tribunal semble souvent plutôt technique, puisque l'enquête judiciaire est limitée à la question de la compétence du décideur. Dans la majorité de ces causes, le contenu de la réglementation provinciale ou territoriale n'est pas évalué, non plus que ses répercussions possibles. Outre le fait que l'analyse juridique est nécessairement circonscrite, la portée des recours du droit administratif est quelque peu limitée et peut nuire aux intérêts à long terme de la personne plaignante. Habituellement, le recours consiste à faire abolir la réglementation illégale ou jugée ultra vires. Ce recours apporte un avantage immédiat puisque la limitation incriminée devient inopérante. Cependant, le gouvernement de la ColombieBritannique aurait pu réintroduire le même genre de limitation financière en agissant dans les limites de ses pouvoirs statutaires. Dans certains cas, le résultat souhaité consiste simplement à faire annuler la réglementation dans la forme sous laquelle elle avait été adoptée; dans d'autres cas, le gouvernement pourrait décider de s'en tenir là. Mais parce que toutes les limitations provinciales ou territoriales ne se prêtent pas à ce genre d'analyse ou à ce genre de recours, il faut examiner d'autres arguments et recours légaux. Lorsqu'une décision provinciale contrevient aux conditions de la Loi canadienne sur la santé, il se peut que la province agisse illégalement. Il importe de se rappeler que, étant donné que les provinces ont juridiction sur les questions de santé, elles peuvent soit accepter, soit rejeter les fonds fédéraux et les conditions fédérales énoncées dans la Loi canadienne sur la santé. Donc, il n'y a pas motif d'action si la province a choisi de ne pas assurer certains services médicalement nécessaires et a reçu en conséquence moins de fonds fédéraux. Cependant, il peut y avoir motif de plainte lorsqu'une province demande et reçoit la contribution fédérale totale en même temps qu'elle contrevient aux conditions de la Loi. On peut arguer que la violation des conditions de la Loi peut rendre illégal le paiement des contributions par le gouvernement fédéral et l'acceptation de ces contributions par le gouvernement provincial, mais la disponibilité et l'efficacité de tout recours contre le gouvernement provincial peut se révéler problématique. Il peut être possible d'obtenir un jugement déclaratoire en vertu duquel le tribunal déclare que l'acceptation du paiement total est illégale. Un tel jugement peut encourager la province à modifier sa politique, mais il ne permet pas en droit d'invalider la réglementation incriminée. Cette déclaration pourrait s'accompagner d'une demande d'injonction contre l'acceptation des fonds par la province. A l'avantage des personnes plaignantes, on peut invoquer d'autres formes de recours, bien que celles-ci puissent nécessiter une extension libérale de certains motifs de poursuite et de certains principes juridiques. Il pourrait s'agir, par exemple, de la réclamation en responsabilité délictuelle fondée sur l'argument suivant: les agissements du gouvernement provincial ont constitué une forme de négligence de ses devoirs publics qui a causé un tort pour lequel les personnes forcées de payer elles-mêmes un service non assuré ou de se rendre ailleurs doivent être compensées; ou encore une demande équitable de remboursement parce que la province s'enrichit injustement en recevant la totalité des paiements fédéraux tout en fournissant un service partiel. Au cours d'une poursuite devant les tribunaux, en 1989, le Dr Henry Morgentaler a contesté la mesure du gouvernement du Nouveau-Brunswick consistant à ne pas rembourser les médecins qui pratiquent des avortements à l'extérieur de la province à moins que l'avortement n'ait été effectué selon certaines modalités précisées. Dans une poursuite en vue de récupérer ses honoraires médicaux pour des avortements pratiqués dans sa clinique de Montréal sur des femmes résidant au Nouveau-Brunswick, il cherchait à obtenir un jugement déclaratoire à l'effet que la politique provinciale était invalide dans la mesure où elle prétendait s'appliquer à des avortements pratiqués à l'extérieur du Nouveau-Brunswick. Le gouvernement a refusé le paiement en raison de sa «politique» voulant qu'aucun avortement ne soit reconnu comme un service remboursable, à moins que deux médecins le déclarent médicalement nécessaire et que l'acte soit pratiqué par un ou une spécialiste en gynécologie ou en obstétrique dans un hôpital approuvé. La «politique» n'était pas autorisée par une loi ou une réglementation, et le gouvernement ne l'a pas expressément ou officiellement adoptée. La Cour a refusé de donner un effet extraprovincial à la mesure du Nouveau-Brunswick. Le juge Stevenson a fait le commentaire suivant: «Il est irréaliste d'appliquer les réglementations ou mesures politiques du Nouveau-Brunswick relativement aux services fournis à une de ses habitantes pendant qu'elle est temporairement absente de la province. Le médecin qui offre ces services, et la patiente qui les reçoit, ne devraient pas se voir refuser les avantages du régime d'assurance-maladie sous prétexte qu'un acte effectué légalement dans l'autre province est d'une certaine façon non conforme à une règle suivie au Nouveau-Brunswick». Bien que le Docteur Morgentaler ait gagné sa cause, l'utilité de cette décision pour d'autres poursuites devant les tribunaux dans des circonstances différentes peut être limitée, puisque cette cause concernait les problèmes particuliers d'une mesure provinciale et d'avortements pratiqués à l'extérieur de la province. Cette cause ne touche pas la question de savoir si ces mêmes conditions seraient valides dans le cas où elles seraient appliquées aux avortements pratiqués au Nouveau-Brunswick, et si des restrictions semblables seraient valides dans le cas où elles seraient imposées par une modification de la définition de «services remboursables» prévus par la loi et une conversion de la mesure en loi. Cependant, la décision montre que les tribunaux sont disposés à contester les décisions de financement des législateurs provinciaux dans le domaine de la santé. Le gouvernement fédéral. Une personne plaignante peut également essayer de forcer le gouvernement fédéral à utiliser ses pouvoirs en vertu de la Loi canadienne sur la santé pour superviser les provinces qui violent les principes de cette loi et pour leur retirer une partie ou la totalité des fonds fédéraux qui leur sont destinés. Cependant, toute poursuite intentée contre le gouvernement fédéral, même si elle réussissait, n'aurait aucun effet direct sur la réglementation provinciale contestée. Cela signifie qu'au mieux, une personne plaignante peut s'attendre à la cessation des paiements illégaux versés en trop aux provinces contrevenantes. Ainsi même si le gouvernement fédéral peut se voir ordonner d'imposer une amende à la province contrevenante, d'autres moyens juridiques seraient nécessaires pour invalider la réglementation provinciale incriminée ou mettre en application le niveau prévu de services. Si ces moyens juridiques réussissaient, les provinces contrevenantes auraient donc à décider si elles sont prêtes à payer les coûts de leur manquement à la loi. Même si la Cour suprême du Canada a indiqué qu'une personne contribuable pouvait être autorisée à contester ce genre de décision gouvernementale, elle pourrait trouver peu de motifs sur lesquels s'appuyer car la Loi canadienne sur la santé est énoncée en termes permissifs. L'article 15 de la Loi n'exige pas que le gouvernement fédéral impose une amende à une province qui ne respecte pas les dispositions de la Loi. Plutôt, le Cabinet a le choix d'imposer ou non une amende. Le paragraphe 15(1) est ainsi rédigé: 15.(1) Si l'affaire lui est renvoyée en vertu de l'article 14 et qu'il estime que le régime d'assurance-santé de la province ne satisfait pas ou plus aux conditions visées aux articles 8 à 12 ou que la province ne s'est pas conformée aux conditions visées à l'article 13, le gouverneur en conseil peut, par décret: a) soit ordonner, pour chaque manquement, que les contributions pécuniaires ou versement d'un exercice à la province soient réduits du montant qu'il estime indiqué, compte tenu de la gravité du manquement; b) soit, s'il l'estime indiqué, ordonner la retenue de la totalité des contributions pécuniaires ou versements d'un exercice à la province. En vertu des principes du droit administratif, ce pouvoir discrétionnaire signifie que la principale obligation du gouvernement fédéral consiste simplement à considérer de bonne foi si une amende doit être imposée. La présence de cette discrétion peut par conséquent limiter l'examen judiciaire et écarter des recours efficaces. La nature permissive de l'article 15 est également une des principales raisons qui empêche une récente décision semblable de s'appliquer aux paiements fédéraux en vertu de la Loi canadienne sur la santé. Une contestation de la légalité des contributions fédérales en vertu du Programme d'aide sociale du Manitoba a donné gain de cause dans l'affaire Finlay. Monsieur Finlay prétendait que la pratique provinciale consistant à exiger des déductions pour des paiements en trop déjà effectués était illégale en vertu de l'entente fédérale-provinciale sur les services sociaux. La Cour a rendu un jugement déclaratoire à l'effet que le paiement fédéral total était illégal et a assorti sa décision d'une injonction ordonnant de cesser les paiements illégaux. La Cour a statué que les paiements de transfert effectués par le gouvernement fédéral à la province l'avaient été sans autorité statutaire, parce que la province n'avait pas respecté les conditions auxquelles les paiements de transfert étaient assujettis. On a ordonné au ministre fédéral intéressé de s'abstenir d'effectuer les paiements ultérieurs à la province jusqu'à ce que celle-ci mette fin au manquement. En dépit de parallèles évidents entre l'affaire Finlay et certaines réglementations provinciales sur des questions comme l'avortement et la consultation en matière de contraception, l'existence et les modalités de toute mesure de redressement déclaratoire et impérative, dans le cadre de l'entente fédérale-provinciale de financement des soins de santé, seront touchées par le pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 15 de la Loi. Par conséquent, le gouvernement fédéral peut s'être conformé à la Loi canadienne sur la santé s'il a considéré d'invoquer son pouvoir discrétionnaire pour imposer ou non une amende à la province en vertu de l'article 15. Si le gouvernement fédéral a une raison juridiquement valide de ne pas imposer d'amende, sa décision discrétionnaire peut être légale. Les options politiques. La poursuite devant les tribunaux n'est pas la seule façon de porter les actions des provinces à l'attention du gouvernement fédéral. Un examen de la part du gouvernement fédéral pourrait être encouragé par des moyens politiques, tout aussi bien qu'exigé par des moyens juridiques, et toute amende fédérale en résultant constituerait un ferme rappel à l'ordre pour la province contrevenante. Le lobbying politique peut également porter fruit car il peut viser une autre fin que d'obtenir l'imposition d'une amende à la province, comme le prévoit l'article 15 de la Loi canadienne sur la santé. Par exemple, on pourrait demander au gouvernement fédéral de déclarer que les soins liés à la reproduction pour les femmes sont considérés comme des services médicalement nécessaires, d'utiliser les amendes imposées aux provinces pour rembourser les personnes ayant subi un préjudice à cause des mesures provinciales ou d'établir un cadre de tarification pour certains services médicaux. On pourrait demander au gouvernement fédéral de modifier la Loi canadienne sur la santé pour assurer aux femmes un accès égal aux soins liés à la reproduction. Bien que l'analogie ne soit pas parfaite, le cas de la surfacturation constitue un précédent à une telle modification. On peut établir des parallèles intéressants entre les deux cas, et le gouvernement fédéral a réellement trouvé la volonté politique de légiférer contre la surfacturation. Emmett Hall, dans son étude de 1980, avait conclu que la surfacturation constituait une menace importante à l'existence d'un système public de soins de santé vraiment national. Il recommandait l'abolition de la surfacturation, alléguant que si cette pratique persistait, on assisterait à la création d'un double système de services médicaux: un pour les pauvres et un autre pour les personnes qui veulent et peuvent payer les services médicaux. La surfacturation est considérée comme une entrave à un accès satisfaisant aux services et, partant, contraire aux intentions et aux objectifs de la Loi canadienne sur la santé. Le gouvernement fédéral a agi en conséquence, même si la surfacturation n'existait pas dans toutes les provinces, ni au même degré, et même si certains groupes se sont opposés vertement à toute intervention législative destinée à interdire la surfacturation. En 1977, le Comité Badgley a soumis son rapport sur le fonctionnement des comités d'avortement thérapeutique. Bien que le Comité ait fait enquête sur l'application de l'ancien article 251 du Code criminel, ses conclusions sur les disparités provinciales et régionales concernant l'accès à l'avortement peuvent s'avérer tout à fait pertinentes sous le système actuel. Étant donné que les besoins des femmes en matière de soins liés à la reproduction représentent une forte proportion de leurs besoins médicaux, des réglementations spéciales pour certains actes peuvent également engendrer un système à deux niveaux de services médicaux, divisé selon le sexe. Le traitement spécial accordé dans certaines provinces aux soins destinés aux femmes en matière de reproduction gêne aussi l'accès satisfaisant aux services dont les femmes ont besoin et est, par conséquent, contraire aux intentions et aux objectifs de la Loi canadienne sur la santé. Il n'existe pas de problèmes d'accès dans certaines provinces, mais dans d'autres ils sont devenus pressants. De la même façon, certaines personnes s'opposent au financement public de la consultation en matière de contraception, de la stérilisation et de l'avortement. La volonté du gouvernement fédéral d'invoquer sa compétence pour légiférer sur les difficultés d'accès dépendra probablement de l'importance qu'il accorde au financement de l'accès aux soins liés à la reproduction, de la priorité qu'il accorde aux droits des femmes, de sa compréhension des relations fédéralesprovinciales et de sa réaction aux plaintes des provinces concernant les pressions financières du gouvernement fédéral. Chose certaine, il lui sera plus difficile de faire accepter ces arguments dans le contexte de l'hygiène de la reproduction que dans celui de la surfacturation, car la question peut être perçue comme un «problème de femmes» (contrairement à la surfacturation, qui touche tous les citoyens) et parce que l'avortement en soi peut être perçu comme une question controversée. Néanmoins, il ne faut ni sous-estimer ni oublier les options politiques. La prestation des services de santé et la Charte canadienne des droits et libertés. La Charte canadienne des droits et libertés est un outil puissant pour amener des changements sociaux et conscientiser le public. Elle donne à toute personne plaignante un moyen direct de contester les actes du gouvernement et force souvent le gouvernement à expliquer ses positions et à en rendre compte publiquement. La Charte offre aux personnes plaignantes de nombreuses possibilités de recours et de solutions efficaces. Une réglementation contestée, dans son contenu et sa substance, est ouverte à l'examen des tribunaux et, s'il s'avère qu'elle contrevient aux protections prévues par la Charte, elle peut être invalidée. Par exemple, la décision du gouvernement de l'Alberta de soustraire les actes de stérilisation au régime d'assurance-maladie aurait pu être contestée, selon le fait qu'elle viole les droits des femmes tels que prévus par la Charte. De la même façon, une personne plaignante peut alléguer que le paiement total par le gouvernement fédéral peut violer les garanties prévues par la Charte si une province ne respecte pas les conditions de la Loi canadienne sur la santé. Trois questions principales sont à la base de toute analyse fondée sur la Charte. D'abord, la Charte s'applique-t-elle à la décision contestée? La réponse dépend de ce que la décision constitue ou non une «action de l'État». Ensuite, y a-t-il eu violation d'une liberté ou d'un droit garantis? La substance du droit en question et la nature de la limitation détermineront si l'article de la Charte a été transgressé. La Cour suprême a déclaré à maintes occasions qu'une interprétation intentionnaliste des droits protégés par la Charte est appropriée. La Cour est guidée par l'objectif de réparation qui sous-tend un article de la Charte et, en interprétant les termes de l'article, sera influencée par la nature de l'intérêt qu'il était censé protéger. Finalement, s'il y a négation d'un droit prévu par la Charte, la décision incriminée peut-elle être préservée en vertu de l'article 1 en tant que limitation raisonnable prescrite par la loi et pouvant être démontrée justifiable dans une société libre et démocratique? A cette troisième étape de l'étude constitutionnelle, le fardeau de la preuve revient au gouvernement, qui doit démontrer que l'intérêt de l'État qu'il fait valoir est suffisant, et établir que les moyens utilisés sont proportionnels aux fins recherchées. Pour y parvenir, il doit prouver que les moyens choisis sont rationnels, équitables et non arbitraires, que la mesure législative brime le moins possible les droits et libertés à l'étude, et que les effets de la limitation sur le droit ou la liberté touchés ne sont pas disproportionnés par rapport à l'objectif visé. Bref, il revient à la personne plaignante de montrer que ses droits ont été lésés, après quoi le gouvernement devra démontrer pourquoi il devrait être autorisé à passer outre aux intérêts protégés par la Constitution. Toute violation injustifiée d'un droit prévu par la Charte déclenche la panoplie des recours judiciaires. L'application de la Charte. La portée des protections de la Charte à tous les niveaux des décisions relatives à l'hygiène de la reproduction des femmes peut être problématique parce qu'elle soulève la question plus vaste et non encore résolue de la portée des protections de la Charte et de sa sphère d'application pertinente. Chose certaine, toutes les activités restreignant les droits ou limitant les libertés ne peuvent pas être contestées pour non-respect de la Charte. Le rôle admis d'un instrument constitutionnel comme la Charte consiste à réglementer les relations entre les personnes et l'État. Voilà qui porte à croire qu'il devrait exister un certain élément de fonction gouvernementale pour que les décideurs soient obligés de respecter les garanties de la Charte. En vertu de ce raisonnement, des activités purement «privées», comme celles qui impliquent des individus seulement et non pas le gouvernement, ne sont pas couvertes par la Charte. Mais la portée des protections de la Charte est encore fortement contestée et fait l'objet d'arguments solides et bien étayés de toutes parts. Même les articles de la Charte concernant sa propre application sont ouverts à des interprétations contradictoires. Le paragraphe 32(1) est ainsi rédigé: 32-(1) La présente charte s'applique: a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest; b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature. Le paragraphe 52(1), qui est également pertinent au présent exposé, précise ce qui suit: 52-(1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. Une décision rendue en 1986 par la Cour suprême du Canada exige l'existence d'une action de l'État (ou du gouvernement) pour que le respect de la Charte soit nécessaire. En vertu de ce critère, il ne devrait pas être difficile de qualifier la plupart des actions des gouvernements fédéral et provinciaux ou territoriaux d'actions de l'État. La Charte s'appliquera aux contrôles fédéraux et provinciaux ou territoriaux sur l'hygiène de la reproduction des femmes décrits plus haut et contenus dans les lois, les réglementations ou les décrets. L'article 32 de la Charte dit clairement que le Parlement et les assemblées législatives provinciales et territoriales sont liés par les normes constitutionnelles qu'il établit. Avec l'article 52, il apparaît donc que toute loi, réglementation ou décret des gouvernements fédéraux et provinciaux ou territoriaux doit être conforme aux droits des femmes en vertu de l'article 7 et aux droits à l'égalité en vertu des articles 15 et 28. Il sera beaucoup plus difficile d'établir que les décisions prises par les professionnels de la santé sont des actions du gouvernement, parce qu'il est difficile de prédire précisément où et comment les tribunaux trancheront entre l'action du gouvernement couverte par la Charte et l'action privée qui n'en relève pas. Dans l'affaire Dolphin Delivery, la Cour a simplement établi l'action d'État comme une exigence, sans en définir le contexte ou en délimiter la portée. Des constitutionnalistes ont critiqué la Cour pour n'avoir établi que cette exigence d'action du gouvernement parce que l'absence de principes permettant de différencier la sphère publique d'activités gouvernementales de la sphère privée d'activités individuelles empêche d'utiliser efficacement le critère d'action de l'État. Des spécialistes ont soutenu que la démarcation entre l'État et le privé est injuste parce qu'elle enracine l'inégalité et a pour effet de justifier les injustices structurelles actuelles en les remettant artificiellement à la sphère privée, où elles deviennent hors de portée. Ce qu'on appelle «pouvoir privé» est, en fait, un pouvoir public délégué à certaines personnes et pouvant être exercé le plus souvent sans vérification et sans compte rendu démocratique. Des auteures féministes ont aussi expliqué en quoi les distinctions entre les sphères publique et privée ont été particulièrement dures pour les femmes. La discrimination historique et systémique envers les femmes a été principalement soutenue par une idéologie dans laquelle une sphère privée prévoyait un rôle distinct pour les femmes. En décidant que les dispositions de la Charte ne s'appliqueront pas à ce que les tribunaux définiront comme la sphère privée, l'utilité de la Charte en tant qu'outil de changement social peut être amoindrie. Cela signifie que les garanties des droits individuels et des droits à l'égalité prévues dans la Charte ne pourraient sauvegarder les intérêts des femmes que dans la mesure où le gouvernement a déjà agi de façon à altérer ces intérêts. Des approches différentes pour définir une fonction gouvernementale ont été élaborées et il est difficile de prédire laquelle est susceptible de prévaloir. Cependant, on peut s'attendre à ce que les tribunaux cherchent une relation suffisamment directe et étroite entre la décision prise par les professionnels de la santé et le statut de cette décision en tant qu'action du gouvernement. Pour évaluer le degré de relation, il faut étudier en détail la façon dont les soins de santé sont administrés dans chaque province ou territoire et considérer la nature et l'origine de la décision ainsi que ses effets possibles. Puisque les activités des conseils des hôpitaux semblent orientées davantage vers le public que vers le privé, il sera plus facile de prétendre que certaines sont des actions de l'État que d'imposer les obligations de la Charte aux professionnels de la santé individuellement. Dans ce contexte, il est important que les conseils des hôpitaux reçoivent leur autorité de lois provinciales ou territoriales. Il a été avancé que toute décision prise conformément à un pouvoir statutaire dérivé devrait automatiquement devenir une action de l'État. Comme la province ou le territoire ne peut déléguer que des pouvoirs qu'elle ou il détient, les subsides aux conseils des hôpitaux sont sujets aux mêmes limites que ceux de la province ou du territoire: ils doivent agir d'une façon conforme aux garanties de la Charte. Même si toute délégation statutaire expresse de pouvoirs ne fait pas automatiquement intervenir la Charte, la présence d'un pouvoir statutaire sera probablement perçue comme un indice important de l'existence d'une fonction gouvernementale. On peut également regarder au-delà de la source de l'autorité décisionnelle du conseil de l'hôpital. Une approche axée sur les «points de contact» permet de chercher les ressemblances entre l'autorité décisionnelle d'un conseil d'hôpital et l'action de l'État, en fonction d'un vaste éventail de questions. On recherche, on quantifie et on évalue les liens avec une fonction gouvernementale habituelle, afin de déterminer s'ils sont suffisants dans l'ensemble pour que l'acte soit qualifié de gouvernemental. Selon cette approche, la nature des activités du conseil et la mesure dans laquelle il est contrôlé ou supervisé par le gouvernement sont des considérations importantes. Selon une approche «intentionnaliste», la question est de savoir si la garantie constitutionnelle particulière qui aurait été violée doit être pertinente à l'activité considérée. Par exemple, le rôle premier des hôpitaux étant de fournir des services de soins de santé de qualité aux personnes qui en ont besoin, les décisions d'un conseil d'hôpital qui touchent la vie, la liberté et la sécurité d'une patiente et son droit de jouir de l'égalité devant la loi seraient des sujets pouvant faire l'objet d'un recours fondé sur la Charte. D'autres décisions du conseil qui ne sont pas liées de façon aussi vitale à l'objectif des hôpitaux peuvent ne pas justifier l'application des protections de la Charte. Par conséquent, la Charte pourrait s'appliquer aux activités hospitalières qui ont un effet considérable sur les droits et libertés qu'elle protège et seulement dans la mesure où elles ont cet effet. Le fait d'insister sur les intérêts protégés par la Charte signifie aussi que les activités du conseil de l'hôpital seront de nature gouvernementale selon les circonstances. Cette flexibilité est souhaitable parce que tout critère qui nécessite une déclaration catégorique à l'effet qu'un conseil d'hôpital agit toujours, ou n'agit jamais, comme un organisme gouvernemental, peut entraîner une réticence à imposer les obligations de la Charte. Le fait de se concentrer sur l'objectif de l'article invoqué de la Charte donne également la perspective de principe nécessaire pour découvrir et peser tout lien qui existe avec le gouvernement. Cette vision incite aussi à considérer les conséquences engendrées par la découverte qu'un acte n'est pas une action d'État et soumet la classification abstraite d'un pouvoir à une éventuelle privation d'un intérêt protégé. Dans une affaire récente, un règlement hospitalier imposant la retraite obligatoire a été perçu comme une action du gouvernement et a été contesté avec succès en vertu de la Charte. Sur la question préalable de savoir si la Charte s'appliquait, la Cour a demandé si le règlement contesté était «gouvernemental par nature». La Cour a exigé et trouvé une relation gouvernementale directe et définie de façon précise. Cependant, la capacité de l'hôpital d'établir ce règlement découlant de son autorité statutaire n'était pas, en soi, considérée comme suffisante pour permettre d'invoquer les protections de la Charte. La Cour a étudié en détail la portée du contrôle gouvernemental sur le conseil en général et la façon dont il a été utilisé pour imposer la règle de retraite obligatoire. Bien que cette affaire porte sur l'autorité décisionnelle de l'hôpital sur son personnel médical, il n'y a pas de raison pour que ce raisonnement ne puisse être appliqué à certaines décisions prises par les conseils au sujet des services médicaux et des soins aux patients. La proposition voulant que les décisions des conseils des hôpitaux qui touchent directement la vie des patients soient considérées comme des actions gouvernementales est appuyée par des causes reconnaissant que les décisions d'organismes comme le Collège des médecins et chirurgiens, qui touchent le gagne-pain des professionnels, ouvrent également la porte à une application de la Charte. Si ces causes semblent prometteuses aux personnes qui désirent qu'on oblige les administrateurs d'hôpitaux à respecter les droits de la Charte, elles constituent également un avertissement à l'effet que l'application de la Charte ne peut pas simplement aller de soi. Si on utilise ces mêmes critères, il est très improbable que la Charte puisse régir la conduite des professionnels de la santé, même si ces professionnels représentent le système de soins de santé auprès des patients. La pratique de la médecine est d'abord et avant tout une profession privée, et les liens entre le rôle de l'infirmière ou du médecin et l'action gouvernementale sont tout simplement trop ténus. Les médecins semblent être des acteurs privés indépendants plutôt que des employés du gouvernement, même s'ils sont payés à même les fonds publics, s'ils peuvent avoir des privilèges d'admission aux établissements publics de santé et s'ils peuvent être considérés comme fournissant des services publics essentiels. On peut en dire autant des autres professionnels de la santé. Cependant, le fait que les protections de la Charte soient inapplicables ne laisse pas les femmes complètement dépourvues de recours juridiques. Étant donné que les lois provinciales ou fédérales sur les droits de la personne interdisent la discrimination entre particuliers, une plaignante peut considérer les dispositions de la loi pertinente dans un cas où ses droits lui sont déniés. La formulation de la loi et le type de transgression invoquée détermineront si sa cause relève des dispositions statutaires. Les principes de la Charte. La Charte des droits et libertés est un instrument prévu par ses concepteurs pour éliminer ou corriger les désavantages. Selon une approche intentionnaliste des articles 7, 15 et 28, les femmes ont droit à la pleine jouissance des droits à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne et à l'égalité. Par conséquent, ces articles devraient être utilisés pour se plier aux capacités biologiques des femmes et les y intégrer, pour vaincre la discrimination historique et systémique envers les femmes et pour redresser leur inégalité matérielle. Les articles 7, 15 et 28 sont donc fort pertinents en matière d'hygiène de la reproduction. Nous allons proposer une théorie des droits des femmes en matière de reproduction qui mettra l'accent sur le contrôle de la reproduction et l'égalité des sexes, et présenter une brève vue d'ensemble des limites qui peuvent restreindre l'exercice complet de ces droits de façon justifiable. L'article 7 et les droits individuels. L'article 7 de la Charte prévoit que «chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale». En vertu de l'article 7, les tribunaux essaient de donner une signification à chacun des intérêts distincts, mais étroitement reliés, qui sont protégés par cet article. Lorsqu'ils ont défini le contenu des droits décrits à l'article 7, de nombreux tribunaux, dont la Cour suprême du Canada, ont examiné les droits que les personnes ont, tant en vertu du droit commun que de la législation. A partir de cet examen, la Cour se demande si l'intérêt réclamé est si profondément enraciné dans les traditions et la conscience de notre peuple qu'il doive être considéré comme fondamental et protégé en conséquence. Bien que cette approche de l'article 7 puisse être utilisée de façon à entraver l'apparition de nouveaux droits, elle peut contribuer, dans les cas appropriés, à assurer que les droits existants soient mis en application. Si on utilise cette approche de l'article 7 dans le contexte de l'hygiène de la reproduction des femmes, les dispositions et les conditions de la Loi canadienne sur la santé peuvent être invoquées pour déterminer la portée des droits juridiques existants en matière de soins de santé et pour établir notre engagement envers des soins de santé financés par l'État pour toutes les personnes du Canada. De cette façon, les conditions d'universalité, d'accessibilité et d'intégralité prévues dans la Loi pourraient être utilisées pour définir le contenu du «droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne» dont toute personne peut se prévaloir dans le contexte des soins de santé. Les obligations et responsabilités en soins de santé que le gouvernement s'est lui-même imposées formeraient le fondement de ces droits, dissipant toute préoccupation à l'égard de la création de toutes pièces de nouveaux droits constitutionnels relatifs aux soins de santé. Dans l'affaire Morgentaler, la majorité des juges de la Cour suprême s'est appuyée sur l'article 7 pour invalider l'article 251 du Code criminel, l'interdiction fédérale de droit pénal de subir ou de pratiquer un avortement non thérapeutique. Chacun des trois jugements de la majorité (ceux du juge en chef Dickson, du juge Beetz et de la juge Wilson) présente des raisons différentes pour lesquelles l'article 251 transgressait les droits des femmes prévus à l'article 7. A cause des différences entre ces jugements, il est difficile d'établir exactement la signification de l'arrêt Morgentaler, même si une autre disposition du droit criminel fédéral sur l'avortement était en cause. La signification de l'arrêt Morgentaler devient encore moins claire si la contestation en vertu de la Charte concerne les réglementations provinciales sur la santé - surtout parce que les commentaires de deux des jugements majoritaires sur les droits des femmes selon l'article 7 se limitaient au contexte de la justice criminelle. Le juge en chef Dickson a conclu que l'article 251, dans son objectif et son fonctionnement, était en conflit avec l'intégrité physique et le bien-être psychologique des femmes protégés en vertu de la «sécurité de la personne», parce qu'il: «oblige des femmes à mener un foetus à terme à l'encontre de leurs propres priorités et aspirations et impose des délais considérables qui accroissent le traumatisme physique et psychologique des femmes qui satisfont à ces critères». De l'avis du juge Beetz, l'article 251 contrevenait indûment à la «sécurité de la personne» d'une femme enceinte parce que le droit criminel restreignait l'accès à un service médicalement nécessaire. Le juge Beetz croyait qu'une femme enceinte qui a besoin d'un avortement pour des raisons médicales (pour des raisons de santé physique ou émotionnelle) ne peut de par la loi se voir offrir le choix d'obtenir un avortement illégal avec les risques de poursuite et de sanction criminelles qu'il comporte, ou d'être obligée de subir les conséquences physiques et psychologiques des délais considérables et superflus causés par les exigences de procédures du système des comités d'avortement thérapeutique. Les deux juges soutenaient que le système d'avortement thérapeutique n'était pas conforme aux principes de justice fondamentale parce qu'il créait des délais superflus et restreignait l'accès à l'avortement de façon injuste et arbitraire. L'exigence statutaire d'un hôpital «approuvé» ou «accrédité» et l'obligation voulant qu'au moins quatre médecins autorisent et pratiquent un avortement signifiait qu'un important pourcentage d'hôpitaux canadiens n'étaient pas légalement en mesure d'avoir un comité d'avortement thérapeutique. Dans de nombreux cas, ceux qui l'étaient ne formaient pas de comité, ou en établissaient un qui ne fonctionnait pas, ou encore imposaient des quotas. Le juge en chef Dickson était d'avis qu'une autre lacune de l'article 251 résidait dans la norme inadéquate, non définie et ambiguë de prise de décision qui exigeait, pour l'autorisation d'un avortement légal, que la poursuite de la grossesse menace «la vie et la santé» de la femme. Les comités d'avortement thérapeutique avaient adopté leurs propres définitions largement divergentes de ce terme et les femmes ne savaient pas d'avance quelle norme de santé serait appliquée. Le juge Beetz n'envisageait pas de la même façon l'imposition d'une telle norme sur les prises de décision. Il croyait que l'intérêt de l'État dans la protection du foetus justifierait l'exigence voulant que la nécessité de l'acte d'avortement soit confirmée par une opinion médicale indépendante. Lorsque la loi limite les raisons pour lesquelles une femme peut obtenir un avortement, une structure administrative conçue pour assurer le respect de la norme imposée de prise de décision est normalement considérée comme une conséquence logique. Selon le juge Beetz, le délai inévitable causé par un processus d'étude adéquat serait constitutionnellement acceptable. En revanche, la juge Wilson a demandé «si une femme enceinte peut, sur le plan constitutionnel être forcée par la loi à mener le foetus à terme». Elle croyait que l'article 251, à tout le moins, violait la sécurité de la personne physique et psychologique d'une femme enceinte. En se fondant principalement sur les autorités constitutionnelles américaines, elle a décidé que l'article 7 donne aux femmes enceintes le droit de choisir de mettre fin à leur grossesse, en tant qu'aspect protégé de leur «liberté». Cette liberté «garantit à chaque individu une marge d'autonomie personnelle sur ses décisions importantes touchant intimement à sa vie privée». Elle a expliqué en quoi le droit de prendre des décisions personnelles fondamentales sans l'intervention de l'État est un aspect nécessaire de la dignité humaine, une condition préalable à l'exercice de ses propres croyances et opinions ainsi qu'à la réalisation d'une vie pleine et satisfaisante et, enfin, le fondement de nombreux autres articles de la Charte. La juge Wilson a expliqué pourquoi la décision d'une femme de mettre fin à sa grossesse relève de cette catégorie protégée: «Cette décision aura des conséquences psychologiques, économiques et sociales profondes pour la femme enceinte. Les circonstances qui y mènent peuvent être compliquées et multiples et il peut y avoir, comme c'est généralement le cas, des considérations puissantes en faveur de décisions opposées. C'est une décision qui reflète profondément l'opinion qu'une femme a d'elle-même, ses rapports avec les autres et avec la société en général. Ce n'est pas seulement une décision d'ordre médical; elle est aussi profondément d'ordre social et éthique. La réponse qu'elle y donne sera la réponse de tout son être». La loi criminelle sur l'avortement violait l'intérêt de liberté d'une femme parce qu'elle lui retirait le droit de prendre une décision personnelle pour confier cette décision au comité d'avortement thérapeutique. Elle passait outre également à la «sécurité de la personne» parce que la femme «subit une décision prise par d'autres sur l'éventuelle utilisation de son corps pour alimenter une nouvelle vie». La juge Wilson voyait également la décision d'avortement comme une question de moralité personnelle et de conscience individuelle protégée par le paragraphe 2(a) de la Charte. L'article 251 du Code criminel violait le paragraphe 2(a) parce que l'État, en promulguant l'interdiction de nature criminelle contre l'avortement, endossait et mettait en vigueur «une opinion dictée par la conscience aux dépens d'une autre». Ce faisant, il traitait indûment une femme comme un moyen en vue d'une fin - la reproduction des générations successives - et non pas comme un individu ayant le droit de prendre des décisions essentielles privées dans une société libre et démocratique. Ces commentaires de la juge Wilson n'étaient pas expressément restreints au contexte de la justice criminelle et peuvent par conséquent avoir une application plus vaste. En utilisant les caractéristiques communes de la décision majoritaire dans l'affaire Morgentaler, on peut se demander si les restrictions provinciales ou territoriales qui portent atteinte à la santé d'une femme peuvent violer la sécurité de sa personne. Si on étend les commentaires et le raisonnement du juge Beetz au-delà du contexte de la justice criminelle, il semblerait que l'accès aux services médicalement nécessaires ne peut être injustement retardé sans courir le risque de violer l'article 7. Les facteurs examinés pour déterminer si le système provincial est intégral accessible et universel en vertu de la Loi canadienne sur la santé devraient aussi être pris en considération en vertu de l'article 7 de la Charte. Les règlements exigeant que les avortements soient pratiqués dans des hôpitaux ou avec le consentement de deux médecins peuvent créer un délai superflu qui, à son tour, entraîne des sévices physiques et psychologiques (l'acte d'avortement devient moins sûr et plus difficile au fur et à mesure du déroulement de la grossesse). Des exigences provinciales ou territoriales supplémentaires qui retarderaient l'accès à des soins de santé médicalement nécessaires en matière de reproduction, ou y feraient obstacle, peuvent par conséquent menacer la «sécurité de la personne» chez la femme. D'autres restrictions peuvent aussi brimer l'intérêt de «liberté» des femmes en vertu de l'article 7. Le retrait des fonds pour les stérilets, fondé sur la présomption que les femmes devraient utiliser des contraceptifs oraux, constitue une entrave imposée par l'État sur le choix du moyen de contraception, choix qui peut également menacer la sécurité de la personne si on considère les implications sur la santé et les effets secondaires médicaux des contraceptifs oraux. L'exigence du consentement d'une tierce partie, comme l'époux ou un parent, avant que les services de santé reliés à la reproduction ne soient dispensés, porte aussi atteinte au droit qu'a la femme de disposer de son corps. Les exigences de consentement du conjoint à la stérilisation ou à l'avortement permettent dans les faits à l'époux ou au père biologique d'utiliser son droit de veto sur la décision d'une femme. La notion voulant qu'une personne puisse dicter la conduite d'une autre ou substituer son jugement à celui d'une autre est étrangère à notre conception des droits et libertés. Les lois exigeant le consentement de l'époux avant qu'un avortement ne soit pratiqué ont systématiquement été invalidées aux États-Unis parce qu'elles limitent à tort le droit de la femme enceinte de disposer de son corps et restreignent sa capacité de décider librement d'une question personnelle. On peut s'attendre à une analyse semblable du droit de la femme à la liberté et à la sécurité de la personne en vertu de l'article 7. La province ou l'hôpital où il existe un processus de «counselling» obligatoire préalable à l'approbation ou à la pratique d'un avortement présente une situation connexe. L'acceptabilité d'un programme de ce genre dépend de son objectif et de son contenu. Le «counselling» n'est souvent rien de plus qu'une tentative de dissuader la femme enceinte, de la forcer à changer d'avis ou de retarder l'avortement. Souvent, ce processus ne tient pas compte de ses intérêts ou de ses besoins médicaux et peut être utilisé comme moyen d'imposer les valeurs d'autrui. Par exemple, sous l'apparence d'un «counselling» obligatoire, le projet de loi de la Saskatchewan, qui a été invalidé, aurait exigé que la femme enceinte reçoive de l'information sur les risques médicaux associés à l'avortement, mais non sur les risques médicaux de l'accouchement. Cette forme de manipulation a été invalidée aux États-Unis dans certaines causes, considérant qu'elle violait les droits de la femme en vertu de la Constitution. Même si les affaires judiciaires américaines définissant l'intérêt de liberté en relation avec l'avortement, le consentement d'une tierce partie et les exigences de counselling sont également applicables au contexte canadien, nos tribunaux ne devraient pas adopter la jurisprudence américaine en matière de financement public des avortements. Après que la cour suprême des États-Unis, par son arrêt dans l'affaire Roe V Wade, ait établi un droit à l'avortement reconnu constitutionnellement, la même cour a par la suite maintenu le refus d'allouer des fonds publics à l'avortement, considérant qu'il s'agissait d'une allocation légitime des fonds publics qui ne violait pas les éléments de procédure en bonne et due forme et de protection égale contenus dans la cinquième et la quatorzième modifications à la Constitution américaine. La Cour a considéré que l'absence de fonds publics n'imposait pas de restrictions intentionnelles de l'État à l'accès à l'avortement. Les différences matérielles entre le système médical américain et le nôtre, ainsi qu'entre la Constitution des États-Unis et la Charte rendent indus de pareils rapprochements. Les États-Unis n'ont aucune loi équivalant à la Loi canadienne sur la santé, avec le résultat que le seuil des prestations de soins de santé établi en vertu du système américain est de beaucoup inférieur à celui qui existe au Canada. En outre, la Constitution américaine ne garantit pas le même niveau de protection que notre Charte aux droits à l'égalité. On a dit que la clause américaine de protection de l'égalité est le «dernier recours des arguments constitutionnels». En revanche, les articles 15 et 28 de la Charte font de l'égalité un thème organisateur, et peut-être même le thème principal, de la démocratie canadienne. Il apparaît même qu'en dépit de ce niveau inférieur de prestations de soins de santé et du degré moindre d'examen juridique des intérêts d'égalité, les tribunaux américains réviseraient cette position. Dans une cause entendue en 1981 aux États-Unis, le retrait des fonds de l'État pour les avortements a été renversé selon une argumentation fondée sur le fait que les États ne peuvent pas utiliser leurs pouvoirs législatifs pour entraver d'une façon discriminatoire l'exercice de droits fondamentaux à la vie privée. La liberté de choisir entre des services indisponibles n'améliore pas la situation des personnes désavantagées ni les conditions de vie des femmes. Tout argument sur l'hygiène de la reproduction fondé sur l'article 7, surtout lorsque la disponibilité des services est en cause, devrait porter sur le contrôle de la reproduction plutôt que sur le choix de la reproduction. Le choix peut être perçu comme la norme minimale, mais il est clair qu'il est devenu inadéquat pour parler de contrôle; en effet, un choix abstrait peut exister dans un éventail extrêmement limité d'options possibles. Par conséquent, il est peut-être plus justifié de parler en termes de contrôle plutôt qu'en termes de choix, ce qui pourrait avoir des implications juridiques et politiques. Les articles 15 et 28 et les droits à l'égalité. Un argument fondé sur les articles 15 et 28 pourrait également être invoqué contre une action du gouvernement qui prévoit des réglementations spéciales pour les actes médicaux strictement destinés aux femmes. L'article 28 prévoit que les droits et libertés dont il est question dans la Charte sont garantis également aux hommes et aux femmes. On peut avancer que l'article 28 est violé lorsque les mesures provinciales en matière de santé imposent des entraves spéciales à «la vie, la liberté et la sécurité de la personne» des femmes telles que garanties par l'article 7. On peut prétendre qu'il n'existe pas de protection partagée ou égale des droits juridiques lorsqu'il existe des exigences distinctes et un accès différent aux services de santé dont les femmes ont besoin pour exercer un contrôle sur leur reproduction. Cependant, tout argument en fonction de l'article 28 devrait être considéré avec précaution. Puisque les hommes ne peuvent pas se reproduire eux-mêmes, tout intérêt conçu en fonction d'un «droit à la reproduction» peut impliquer qu'ils ont des droits sur les femmes. Par conséquent, un argument fondé sur l'article 28 devrait porter sur le droit égal au contrôle de la reproduction pour prévenir toute implication du genre. L'article 28 n'exige pas que les parties soient dans des situations similaires pour qu'on puisse les comparer, ce qui fait de l'article 28 une voie prometteuse d'argumentation relativement aux capacités biologiques différentes. On pourrait apporter un argument plus étoffé sur l'égalité en vertu de l'article 15 de la Charte, qui prévoit que: 15-(1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. (2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques. Tout comme l'analyse de l'article 7, les conditions de la Loi canadienne sur la santé peuvent être invoquées pour donner un contenu aux garanties d'égalité de l'article 15. Bien que toutes les conditions de la Loi soient applicables, la condition d'accessibilité est peut-être plus pertinente. La mise en application judiciaire des conditions contenues dans la Loi canadienne sur la santé qui s'imposent d'elles-mêmes ne créerait pas une nouvelle responsabilité gouvernementale démesurée. Le tribunal n'imposerait pas de nouvelles obligations formelles aux gouvernements provinciaux; il appliquerait simplement un engagement qu'ils ont volontairement accepté et en vertu duquel ils reçoivent l'avantage des contributions financières fédérales entières. Il en résulterait que les conditions de la Loi pourraient être incorporées dans une analyse de la Charte à titre de reconnaissance, par le gouvernement, d'une limite minimale que les prestations de soins de santé ne peuvent transgresser. Par conséquent, l'article 15 peut servir à renforcer l'exigence de la province de dispenser des services de soins de santé en vertu de modalités semblables. Des questions d'inégalité aux yeux et en vertu de la loi ainsi que du bénéfice égal et de la protection égale de la loi surgissent relativement aux raisons spécifiées et non spécifiées d'interdiction de discrimination. La récente décision de la Cour suprême dans l'affaire Andrews C Law Society of British Colombia a confirmé que certains types de catégories non énoncées méritaient une protection constitutionnelle. Les raisons non énoncées pertinentes à la réglementation provinciale ou territoriale sur l'hygiène de la reproduction des femmes peuvent comprendre la résidence et le statut socio-économique. Les raisons énoncées comprennent le sexe et l'âge. Si l'accès aux services médicalement nécessaires en matière de reproduction varie entre les provinces et les territoires, la résidence peut ne pas constituer une raison de discrimination reconnue en vertu de l'article 15 puisqu'on s'attend généralement à une diversité dans les affaires qui relèvent de la compétence provinciale ou territoriale. Mais lorsqu'il existe une norme nationale reconnue et que les provinces ont accepté de se donner des obligations uniformes en vertu d'un régime comme les programmes fédéraux-provinciaux de partage des coûts, les comparaisons interprovinciales peuvent être plus justifiées que dans la situation plus générale. Néanmoins, il peut être difficile d'établir une analogie entre la résidence provinciale ou territoriale et les raisons énoncées à l'article 15, tâche qui, comme le laisse entendre la Cour suprême, fait partie du critère de reconnaissance d'une raison précise non spécifiée. Il peut aussi être difficile de parler de tous les habitants des provinces ou des territoires comme de minorités impuissantes, distinctes et isolées auxquelles, selon la Cour suprême, les protections d'égalité seront étendues. Cependant, il peut être plus facile d'établir des protections en fonction de la résidence dans une province ou un territoire en particulier, comme les divisions fondées sur la résidence en région urbaine ou rurale, parce qu'elles ne soulèvent pas la question de la division du pouvoir ou de la compétence. Les principes de l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 peuvent être invoqués pour appuyer la reconnaissance de la résidence dans une province ou un territoire comme raison non énoncée méritant une protection constitutionnelle. L'article 36 est ainsi rédigé: 36-(1) Sous réserve des compétences législatives du Parlement et des législatures et de leur droit de les exercer, le Parlement et les législatures, ainsi que les gouvernements fédéral et provinciaux, s'engagent à: a) promouvoir l'égalité des chances de tous les Canadiens dans la recherche de leur bien-être; b) favoriser le développement économique pour réduire l'inégalité des chances; c) fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels. Cette disposition établit un engagement entre le gouvernement fédéral et ceux des provinces ou des territoires envers des services standardisés. Favoriser des possibilités égales de «bien-être» pour les Canadiens comporte une composante physique évidente et se rapporte directement aux services de santé. L'alinéa 36(1)(c) sert à réaffirmer de façon générale le principe de l'égalité régionale, exprimé par les conditions d'intégralité, d'accessibilité, d'universalité et de transférabilité de la Loi canadienne sur la santé. Par conséquent, cet article peut soutenir un certain regroupement d'arguments constitutionnels autour de la résidence. Le financement provincial et territorial et les restrictions réglementaires peuvent aussi poser des difficultés relativement au statut socio-économique, car ils ont des répercussions différentes et néfastes pour les personnes économiquement faibles. Quantité de femmes ne peuvent se permettre de payer les services médicaux non financés et ajouter à cela les frais de voyage vers un endroit où ces services sont disponibles. Les décisions provinciales et territoriales de financement ont donc pour elles des conséquences particulières et préjudiciables. Avec la féminisation de la pauvreté, dont l'ampleur est démontrée, certaines restrictions désavantagent doublement les femmes: d'abord parce qu'elles sont des femmes et ensuite parce qu'elles sont pauvres. Le Rapport Badgley a révélé que les inégalités dans la distribution et l'accessibilité des services d'avortement thérapeutique frappaient les femmes peu instruites, les femmes à faible revenu et celles qui habitent des petites agglomérations ou des régions rurales. Compte tenu de l'impuissance relative des économiquement faibles, une approche intentionnaliste destinée à étendre les protections de la Charte à des groupes non spécifiés vient appuyer leur inclusion. Par ailleurs, puisque le but principal de la Loi canadienne sur la santé est de fournir des services de santé indépendamment de la capacité de payer des individus, le fardeau imposé aux moins bien nantis d'assumer les frais de leurs propres soins médicaux fait ressortir l'importance d'un regroupement d'arguments autour de la question de l'incapacité financière. La limitation des soins en matière de reproduction peut également avoir diverses répercussions négatives sur les jeunes femmes. Encore une fois la double discrimination risque de se manifester, bien qu'elle soit ici fondée sur les deux raisons spécifiées que sont l'âge et le sexe. Une grossesse non désirée à l'adolescence peut survenir lorsque les barrières sociales renforcent les barrières juridiques. En outre, les restrictions officielles s'exercent au détriment des femmes immigrantes, susceptibles de ne pas bien connaître les institutions et les langues du Canada. Dans ce contexte, l'argument prééminent d'égalité est un argument d'égalité des sexes. Selon la formulation de l'article 15, le sexe constitue une catégorie spécifiée de discrimination interdite et doit donc susciter une attention particulière. Il est aussi extrêmement important d'analyser les contrôles sur la reproduction des femmes en fonction des garanties d'égalité, car on a eu tendance à en discuter seulement en fonction des droits et libertés individuels. Aux États-Unis, par exemple, le droit à l'avortement est fondé sur le droit à la vie privée de chaque femme, non pas en fonction de l'égalité de toutes les femmes. Au Canada, la Cour suprême, dans l'affaire Morgentaler, s'est contentée d'invalider l'article 251 du Code criminel parce qu'il passait outre à la sécurité de la personne ou à l'intérêt de liberté de la femme au regard de l'article 7. La Cour n'avait pas besoin de commenter les arguments d'égalité apportés contre l'article 251 et ne l'a d'ailleurs pas fait. Un besoin subsiste d'éduquer tous les décideurs, dont les juges, sur les implications de l'égalité dans le contexte des contrôles sur la reproduction des femmes, parce que lorsque la grossesse entre en ligne de compte, certaines personnes sont incapables de voir que l'égalité des sexes est toujours possible, ou même pertinente. Le fait de procéder à une analyse en fonction de l'égalité des sexes présente de nombreux avantages. L'égalité est essentiellement un concept contextuel et comparatif, tandis que les violations des droits individuels peuvent souvent être discutées et résolues à des niveaux d'abstraction assez élevés. L'égalité implique et nécessite une comparaison avec des situations de la vie réelle. On insiste sur les effets, les conséquences et les applications d'une disposition dans son contexte moderne. Voilà qui est particulièrement important en ce qui concerne l'hygiène de la reproduction des femmes, où l'égalité ne nécessite pas seulement des droits semblables sur le plan contextuel, mais aussi la prestation réelle de services. Une analyse fondée sur l'égalité est conforme aux études internationales qui indiquent que le prix à payer par les femmes qui subissent un avortement illégal au risque de leur vie et de leur santé, ne diminue pas de façon appréciable tant que les services d'avortement légalisés en théorie ne sont pas disponibles en pratique. Par conséquent, une analyse effectuée en fonction de l'égalité nécessite qu'on porte attention à la situation réelle des femmes, ainsi qu'aux intérêts collectifs et à l'autonomie personnelle. C'est ce qui fait la différence entre avancer qu'une femme a le droit de disposer de son propre corps et dire que les femmes, en tant que groupe, ont besoin de l'accès à l'avortement pour avoir la possibilité égale de planifier et de diriger leur vie. Il existe un certain chevauchement des droits individuels et des droits collectifs dans ces cas parce que les personnes subissent une discrimination systémique et que la discrimination contre la personne, lorsqu'elle se répète, devient systémique. Les droits du groupe aux soins en matière de reproduction seront également mesurés en fonction de la disponibilité générale de ces soins et de l'accès ou du non-accès des membres du groupe à ces soins. Donc, le fait d'insister sur un argument d'égalité fondé sur la collectivité apporte plus de nuances que de contrastes, mais il renforce le fait que la situation d'une femme est souvent un échantillon représentatif et non pas un cas isolé. Une analyse en fonction de l'égalité peut également contribuer à éliminer la distinction entre le public et le privé en matière de droits constitutionnels. Elle nous force à étudier les répercussions des contraintes sociales sur le choix des femmes et amoindrit l'idée que la grossesse est un état universellement et librement choisi à la fois pour les femmes en tant que groupe et pour la plupart d'entre elles en tant qu'individus. Cette analyse peut ensuite encourager les décideurs à se demander de quelle façon leurs mesures s'exercent sur les groupes désavantagés socialement. La neutralité apparente d'une disposition deviendra moins importante que le fait de constater que ses avantages ou ses désavantages ne sont pas équivalents pour tous. On peut également voir une analyse des droits à la reproduction fondée sur l'égalité comme la première étape d'une révision proposée par la juge Wilson dans l'affaire Morgentaler. Une transition vers les droits collectifs peut aussi aider les législateurs à orienter leurs préoccupations. Le fondement comparatif du concept d'égalité a amené certains tribunaux et observateurs à rejeter une analyse des questions de reproduction appuyée sur l'égalité parce qu'on dit que les différences biologiques réelles entre les hommes et les femmes empêchent toute comparaison significative. Jusqu'à récemment, la Cour suprême du Canada utilisait les concepts d'égalité d'une façon qui tendait à pénaliser les femmes enceintes en raison de ce qui les différencie des hommes. Cependant, trois causes récentes portées devant la Cour suprême montrent que les différences biologiques et la capacité des femmes de devenir enceintes ne pourront plus désormais être utilisées pour empêcher un argument fondé sur l'égalité des sexes. Les trois affaires Andrews, Brooks et Janzen renversent effectivement, et parfois expressément, la décision tant critiquée dans Bliss C le Procureur général du Canada. L'affaire Bliss portait sur la Déclaration canadienne des droits et sur la capacité d'une femme enceinte d'obtenir les prestations normales d'assurance-chômage en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage. La Cour suprême a soutenu que les protections de la Déclaration canadienne des droits ne s'appliquent pas aux avantages prévus par la loi (par opposition aux pénalités prévues par la loi), que la discrimination fondée sur la grossesse n'était pas une discrimination fondée sur le sexe et que l'égalité nécessitait un examen d'individus dans des situations semblables. Chacune de ces concluions a été renversée ou modifiée. L'article 15 de la Charte étend clairement les protections d'égalité aux avantages ainsi qu'aux pénalités. Sa formulation a été intentionnellement choisie pour renverser cet aspect de l'affaire Bliss. E;n vertu de l'article 1 ou de l'article 15 (lorsqu'on détermine s'il y a eu ou non discrimination), il est possible que subsiste une réticence des tribunaux à examiner des avantages dont les implications sont considérables du point de vue économique ou à leur accorder une importance plus grande qu'aux fardeaux créés par la loi. Dans la mesure où les avantages continuent de ne pas être traités avec plus de rigueur, il est important d'établir que le traitement spécial de certains soins liés à la reproduction est un fardeau imposé aux femmes seulement. Une chose peut constituer un avantage ou un fardeau; cela dépend largement de la perspective, du fait qu'on insiste ou non sur la personne censée profiter de l'avantage ou subir le fardeau. Si l'analyse prend les femmes comme point de référence, les exigences de qualification exclusives et plus lourdes s'appliquant aux services médicaux pour les femmes, étant donné leurs besoins généraux en soins de santé, sont des fardeaux imposés aux femmes seulement. Tout comme une salle d'accouchement dans un hôpital n'est pas un avantage spécial pour les femmes, le retrait du financement des stérilisations ne peut s'exercer que comme un fardeau financier et physique pour les femmes. En vertu des critères de la Loi canadienne sur la santé, aucun groupe n'est censé subir un fardeau. La deuxième position prise dans l'affaire Bliss, à savoir que la discrimination fondée sur la grossesse n'est pas une discrimination fondée sur le sexe, a été expressément renversée dans Brooks Canada Safeway Limitée. Dans l'affaire Brooks, la Cour suprême a rejeté l'argument apporté dans l'affaire Bliss à l'effet que toute discrimination envers les femmes enceintes n'était pas fondée sur le sexe, mais résultait des différences biologiques inhérentes entre les hommes et les femmes. Dans Brooks, la plaignante a contesté le régime d'assurance groupe de son employeur en vertu de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba. Le régime d'assurance-accident et d'assurance-maladie de l'employeur excluait la couverture des femmes enceintes pendant une période de 17 semaines précédant la date prévue de l'accouchement. Comme les employées enceintes recevaient un traitement considérablement moins favorable en vertu du régime que les autres employés, la Cour suprême n'a pas eu de difficulté à conclure que l'impossibilité pour les femmes de recevoir des prestations pour accident ou maladie pendant cette période constituait une discrimination fondée sur la grossesse. Il y avait discrimination parce que le régime prévoyait un traitement désavantageux dans un cas de grossesse, par comparaison à toute autre raison de santé qui peut empêcher un employé ou une employée de se présenter au travail. Le raisonnement de la Cour était que la grossesse était une raison de santé valide pour être absente du travail et qu'en l'excluant, on imposait des désavantages injustes aux femmes enceintes. La Cour a expliqué en quoi tous les membres de la société profitent de la procréation, mais qu'en vertu de ce régime d'assurance, les femmes enceintes étaient injustement obligées d'en faire les frais. Comme le retrait des désavantages injustes imposés à des groupes de la société forme un des objectifsclés de la législation anti-discriminatoire, la conclusion qui qualifiait le régime du défendeur de discriminatoire était conforme à la Loi sur les droits de la personne du Manitoba et dépassait même les objectifs de cette Loi. La Cour suprême a ensuite renversé l'arrêt Bliss pour conclure que la discrimination fondée sur la grossesse était une discrimination fondée sur le sexe. Le juge en chef Dickson a commenté les profonds changements dans la participation des femmes à la population active, où «allier travail salarié et maternité et tenir compte des besoins des femmes enceintes au travail sont des impératifs de plus en plus pressants». La Cour a convenu que: «La possibilité d'être enceinte est une caractéristique immuable ou un trait propre au sexe, qui distingue les hommes des femmes. Une distinction fondée sur la grossesse n'établit pas seulement une distinction entre les personnes enceintes et celles qui ne le sont pas, elle établit aussi une distinction entre le sexe des personnes susceptibles de devenir enceintes et le sexe de celles qui ne le peuvent pas». La Cour a statué que les distinctions fondées sur la grossesse ne peuvent être autre chose que des distinctions fondées sur le sexe ou, à tout le moins, fortement «reliées au sexe». La Cour suprême a aussi expressément émis une mise en garde à l'effet qu'il est faux de croire que la discrimination reliée à la grossesse pourrait ne pas être de la discrimination fondée sur le sexe sous prétexte que toutes les femmes ne deviennent pas enceintes. Si la discrimination fondée sur la grossesse ne touche qu'une partie d'un groupe identifiable, elle ne touche pas quiconque n'appartient pas à ce groupe. En fait, la grossesse ne peut pas être séparée du sexe. Par conséquent, le fait que le régime n'ait pas été discriminatoire envers toutes les femmes, mais seulement envers les femmes enceintes, ne rendait pas la distinction contestée moins discriminatoire. Une discrimination envers certains membres seulement d'une catégorie demeure néanmoins une discrimination et ce fait a été renforcé par l'arrêt Janzen, où la Cour suprême a soutenu que le harcèlement sexuel de certaines employées seulement n'en constituait pas moins une discrimination fondée sur le sexe. En conséquence, la Cour suprême a reconnu que le caractère unique de la fonction reproductrice des femmes ne justifiait pas un traitement désavantageux, donc inégal, par la loi. La Cour a réaffirmé que si les lois ne peuvent pas modifier les capacités reproductrices inhérentes des hommes et des femmes, elles peuvent prescrire et prescrivent effectivement les conséquences sociales et juridiques qui s'y rapportent. La biologie peut dicter que seules les femmes peuvent devenir enceintes, mais la façon dont les corps législatifs traitent les femmes enceintes sera ouverte à un examen juridique en vertu de la Charte. Voilà qui est important, car ce sont les pouvoirs législatifs, et non l'ordre naturel qui réglementent l'accès des femmes aux services de soins liés à la reproduction. La Loi sur les droits de la personne du Manitoba ayant reconnu la discrimination fondée sur la grossesse comme une discrimination fondée sur le sexe, il est fort probable que les femmes enceintes seront dorénavant intégrées dans les protections constitutionnelles de l'égalité des sexes. Dans l'affaire Andrews, le juge McIntyre disait que l'approche de la discrimination dans la législation en matière de droit de la personne est pertinente pour l'interprétation des garanties de la Charte. Ce résultat est conforme à l'approche intentionnaliste des droits à l'égalité prévus dans la Charte, parce que plus les hommes et les femmes sont traités de manière différente, plus ils sont inégaux. Selon le critère de situation similaire utilisé dans l'affaire Bliss, les différences biologiques réelles entre les hommes et les femmes signifiaient qu'il n'existait pas d'inégalité; pour les hommes, l'absence d'un état physique analogue ou d'une expérience de vie équivalente signifiait qu'il n'existait pas deux groupes placés dans une situation similaire que l'on pourrait comparer afin de déterminer s'ils reçoivent un traitement égal ou non. La masculinité était la norme de comparaison avec les femmes enceintes et, puisque la Cour a constaté une différence biologique réelle entre les hommes et les femmes, ceux-ci pouvaient être traités différemment sans qu'il y ait d'inégalité. Dans l'affaire Andrews, la Cour a expressément rejeté le critère de situation similaire qui, selon elle, comportait des «lacunes sérieuses» en matière de comparaison d'égalité au regard de la Charte. Le juge McIntyre a déclaré que le critère de situation similaire pourrait mener à des résultats présentant une ressemblance avec l'affaire Bliss. L'effet cumulatif de ces facteurs est de confirmer la viabilité d'une analyse fondée sur l'égalité des sexes lorsque des questions de santé liées à la reproduction sont en jeu et ce, malgré la réalité des différences biologiques entre les hommes et les femmes. En vertu du critère d'égalité exposé par la Cour suprême dans l'affaire Andrews, certaines réglementations provinciales ou territoriales sur l'hygiène de la reproduction des femmes sont douteuses. Dans Andrews, la Cour a exigé: «il faut tenir compte du contenu de la loi, de son objet et de son effet sur ceux qu'elle vise, de même que sur ceux qu'elle exclut de son champ d'application». Le but de l'article 15 est d'assurer l'égalité en matière de formulation et d'application de la loi. Cela signifie que même une disposition en matière de reproduction qui ne serait pas fondée sur le sexe, comme le retrait du financement de toutes les stérilisations, soulèvera des problèmes d'égalité des sexes car, par définition et dans l'application, les contrôles juridiques sur la reproduction humaine touchent directement ou indirectement le groupe qui assure la reproduction de l'espèce. Bien que la Cour suprême ait reconnu que des entraves législatives pouvaient être imposées et que des distinctions législatives pouvaient être effectuées, elle a déclaré que, néanmoins, ces fardeaux devaient être imposés et ces distinctions faites de façon égale, conformément à l'article 15. Par conséquent, la distribution discriminatoire des services en raison de diminutions budgétaires et la réglementation sélective des soins de santé destinés aux femmes peuvent contrevenir à la norme d'égalité spécifiée dans l'affaire Andrews, parce que la distinction serait préjudiciable et désavantageuse pour les femmes. Il y a violation de l'article 15 lorsqu'une différenciation menace nos valeurs fondamentales. Ce genre de transgression survient lorsque des femmes, et non des hommes, se voient refuser l'accès à des services médicalement nécessaires. La Cour a déclaré: «Favoriser l'égalité emporte favoriser l'existence d'une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération». Les réglementations provinciales ou territoriales qui restreignent l'accès aux services médicaux rendus essentiels aux femmes en raison de leurs capacités reproductives ne traitent pas les femmes également en matière de préoccupations réglementaires ou médicales, ne respectent pas ce qui les rend biologiquement différentes des hommes et n'accordent pas à leurs capacités reproductives une considération égale. Une plaignante peut également alléguer que, dans de telles circonstances, le paiement complet par le gouvernement fédéral en vertu de la Loi canadienne sur la santé n'est pas conforme à la Charte. La Loi canadienne sur la santé, comme toute loi fédérale, est sujette à la Charte et doit être interprétée et appliquée en conformité avec les garanties prévues par la Charte. Les décisions relatives aux paiements de transfert prises par le Cabinet fédéral en vertu de ses pouvoirs statutaires soulèvent des questions qui pourraient être amenées devant les tribunaux. Une plaignante pourrait soutenir qu'en versant le paiement entier aux provinces qui contreviennent aux conditions d'intégralité, d'accessibilité et d'universalité, le gouvernement fédéral exerce une discrimination envers les femmes en fonction de leur sexe, de leur lieu de résidence ou de leur statut socio-économique. Les femmes qui paient l'impôt fédéral et les primes d'assurance provinciales ne reçoivent pas le niveau promis de services de santé dont elles ont besoin, parce que certaines réglementations provinciales ou territoriales prévoient un traitement moins avantageux pour des actes médicaux particuliers aux femmes. Lorsqu'il s'agit d'appliquer les garanties d'égalité des sexes aux soins en hygiène de la reproduction des femmes, la prestation des services médicaux et le droit à ces services doivent être évalués en fonction du fait que la Cour a reconnu que l'article 15 est fortement orienté vers les mesures de redressement. Si on considère à la fois l'histoire législative et le texte des articles 15 et 28 de la Charte, on décèle une intention de promouvoir l'égalité des femmes. L'article 15, et particulièrement le paragraphe 2, reconnaît explicitement que la correction d'un désavantage fait partie intégrante de la garantie d'égalité. Bon nombre des désavantages qui affligent les femmes à l'heure actuelle surgissent lorsqu'ils sont associés à la capacité des femmes de mettre des enfants au monde et à leur rôle à cet égard, ainsi qu'aux restrictions imposées aux femmes en raison d'une vision étroite de leur «destinée biologique». Ces affaires judiciaires ouvrent la porte au type d'arguments fondés sur l'égalité proposés par le professeur MacKinnon et le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes (FAEJ). Ni l'une ni l'autre de ces approches n'exige que les groupes soient dans une situation similaire. Le professeur MacKinnon tente de résoudre la question essentielle fondamentale de l'inégalité en demandant si la mesure ou la pratique qui est remise en question contribue à opprimer les femmes. Le traitement désavantageux et préjudiciable imposé aux femmes en raison de leur appartenance au sexe féminin serait inégal même si on ne pouvait les comparer à aucun autre groupe. Le FAEJ a présenté à la Cour suprême du Canada un plaidoyer détaillé sur l'égalité des sexes, sur des sujets liés aux capacités reproductives des femmes et au droit juridique à l'avortement. Le FAEJ a soutenu que même si la grossesse peut être une situation volontaire dans le cas de certaines femmes, elle n'est pas volontaire pour les femmes en tant que groupe. Pour les femmes, porter des enfants constitue un impératif social évident. Les deux approches montrent que le contexte social de l'inégalité des sexes a nié aux femmes le droit de regard sur l'utilisation de leur corps à des fins de reproduction, contrairement aux hommes. Premièrement, elles indiquent combien les femmes ont été socialement désavantagées quant à l'accès sexuel à leur corps, cela à cause de l'éducation sociale, du manque d'information, des méthodes de contraception peu sûres ou inadéquates, des pressions sociales, des coutumes, de la pauvreté et de la dépendance économique forcée, du déséquilibre des forces entre les sexes et de l'application inefficace des lois relatives aux agressions sexuelles. Résultat, il arrive souvent que les femmes ne maîtrisent pas les circonstances dans lesquelles elles deviennent enceintes. En second lieu, les deux approches montrent que, dans des conditions d'inégalité sociale fondée sur le sexe, les femmes se sont vu attribuer la responsabilité principale des soins personnels à donner à l'enfant. Les coutumes et les pressions sociales, la situation économique et le manque de garderies adéquates (publiques ou privées) signifient que, souvent, les femmes ne maîtrisent pas les circonstances dans lesquelles elles élèvent les enfants. Les hommes, en tant que groupe, ne sont pas ainsi démunis à cause de leurs capacités reproductives, et la société ne leur demande généralement pas dans une mesure comparable de consacrer leur vie à élever des enfants au détriment d'autres aspirations. La capacité reproductive des femmes, ainsi qu'une certaine gamme d'activités, sont considérées comme une partie intégrante du «problème d'égalité» des femmes. Qu'elles aient ou non des enfants, toutes les femmes sont désavantagées par les normes sociales qui limitent leurs possibilités dans le domaine public parce qu'elles portent et élèvent des enfants. Les femmes qui deviennent enceintes et qui ont des enfants affrontent des difficultés supplémentaires à cause de leur rôle en dehors de la famille, en raison des coutumes et parce que les ressources de la société ne sont habituellement pas attribuées de façon à aider les femmes à porter et à élever des enfants. Ces limitations touchent même les femmes qui portent et élèvent des enfants par choix. Cette inégalité a d'importantes implications pour l'interprétation des garanties d'égalité prévues par la Charte. Le FAEJ recommande avec insistance que, dans le cas des femmes en âge de procréer, l'égalité des sexes soit interprétée de façon à réduire ou minimiser l'interférence, sanctionnée par l'État, sur l'épanouissement complet de la personnalité juridique des femmes sur les plans social, économique et politique. Dans le cas des femmes enceintes et qui portent leur foetus à terme, la considération de l'égalité des sexes devrait interdire toute interférence sanctionnée par l'État sur leur être physique et sur leur autorité de décider des soins de la vie prénatale. Le FAEJ soutient également que les droits des femmes à l'égalité devraient empêcher toute forme de coercition de l'État qui survient, à l'égard de la maternité, lorsque l'État fait obstacle à l'accès des femmes à l'avortement. L'accès à des soins liés à la reproduction, y compris l'avortement, est considéré comme un moyen nécessaire pour permettre aux femmes de survivre dans leurs conditions de vie inégales. L'accès des femmes à l'avortement légal est perçu comme une tentative de veiller à ce que les femmes et les hommes aient un contrôle plus égal sur leurs capacités reproductives, des chances plus égales de planifier leur vie et une capacité plus égale de participer pleinement à la société que si l'avortement légal n'existait pas. Les garanties prévues aux articles 15 et 28 exigent que la Charte fournisse aux femmes qui vivent une grossesse non désirée un droit assuré leur permettant de décider du nombre d'enfants qu'elles auront, du moment de la maternité et de l'intervalle entre la naissance de chaque enfant. Entraver davantage l'accès à des services médicaux particuliers aux femmes pourrait priver celles-ci de l'égalité des sexes si, en les privant de leur pouvoir sur leur reproduction on les confinait encore dans la subordination sociale et dans une existence de citoyennes de seconde zone, où toutes les victimes de cette privation sont des femmes, et où l'autodétermination et l'autonomie des femmes sont écrasées législativement d'une façon qui ne touche pas les hommes. L'article 1 et les limites justifiables de la Charte des droits. Dans le cas où il y aurait manquement à un article de la Charte (par exemple les articles 7, 15 ou 28), le fardeau de la preuve reviendrait alors, en vertu de l'article 1, au gouvernement, qui essaierait de prouver que la violation du droit protégé est néanmoins raisonnablement justifiable dans une société libre et démocratique. Selon le critère de l'arrêt Oakes, le premier examen est de savoir si l'objectif du gouvernement se rapporte à des préoccupations pressantes et importantes dans une société libre et démocratique. Le deuxième examen suppose un critère de proportionnalité. Dans l'affaire Andrews, le juge McIntyre laissait entendre que le premier aspect du critère Oakes est trop rigoureux lorsqu'il est appliqué aux manquements aux garanties d'égalité. Le juge aurait modifié l'exigence standard voulant que l'intérêt de l'État doive être pressant et important et la remplacerait par un critère moins lourd déterminant si le gouvernement peut établir un objectif social souhaitable. La majorité des juges de la Cour suprême n'a toutefois pas endossé ce degré moindre d'examen judiciaire dans le cas d'un manquement à l'article 15. La Cour était par conséquent divisée à la fois sur l'interprétation et sur l'application de l'article 1. En vertu du jugement majoritaire rendu par la juge Wilson, le gouvernement sera toujours tenu de démontrer l'intérêt pressant et important de l'État, peu importe que le manquement au droit garanti soit survenu en vertu de l'article 7 ou de l'article 15. Ce dernier point est important, car un degré moindre d'examen judiciaire des manquements à l'égalité peut entraver l'évolution des théories d'égalité et décourager le recours à des arguments fondés sur l'égalité. On peut s'attendre à ce qu'un gouvernement qui tente d'établir son intérêt pressant et véritable dans les soins en matière de reproduction soutienne qu'il doit protéger la sécurité des patientes dans les cas d'interventions particulières aux femmes, et assurer l'allocation efficace des ressources médicales; il pourrait aussi prétendre avoir un intérêt dans la protection de la vie du foetus lorsqu'il y a possibilité de conflit entre les droits de la femme et ceux du foetus. En vertu de l'article 1, un tribunal pourrait évaluer la justesse de l'objectif législatif proposé et ensuite évaluer la proportionnalité des moyens utilisés pour atteindre ces fins. Par exemple, en vertu de l'article 1, on pourrait s'attendre à ce que les tribunaux examinent soigneusement une réglementation provinciale ou territoriale exigeant que les avortements soient pratiqués dans un hôpital. Ils demanderaient si les avortements pratiqués dans les hôpitaux sont sûrs ou plus sûrs - de la même façon que la Cour suprême a contesté la proportionnalité de l'obligation de pratiquer les avortements thérapeutiques seulement dans des hôpitaux approuvés ou accrédités. Les données disponibles et les preuves sont très révélatrices quant à ce genre de question juridique. A cet égard, l'expérience qu'ont connue certaines provinces dans le domaine des établissements parallèles, comme les cliniques d'hygiène de la reproduction, peut être utile pour comparer la sécurité et l'efficacité de divers établissements. On a soutenu que les cliniques spécialisées en hygiène de la reproduction résolvent une bonne partie des problèmes associés aux services dispensés dans les hôpitaux en ce domaine. Lorsque l'on exige que les avortements soient pratiqués dans un hôpital, il faut disposer de salles d'opération et les professionnels de la santé peuvent se montrer antipathiques envers la femme enceinte. Les cliniques permettent d'épargner du temps et de l'argent et offrent souvent des traitements plus sûrs que ceux qu'on trouve dans les hôpitaux. Elles peuvent offrir des services spécialisés pour tout traitement touchant la reproduction et un meilleur suivi. Le personnel attiré par un tel milieu clinique a tendance à se montrer plus sympathique à l'égard des femmes enceintes; de la même façon, les gestionnaires ne devraient pas s'attendre à des dilemmes soulevés par du personnel objecteur de conscience. Par conséquent, on y retrouve habituellement moins de délais causés par l'allocation et la planification du temps opératoire et les services des anesthésistes à retenir, comme c'est le cas en milieu hospitalier. Il faut examiner soigneusement la réglementation différente en matière d'avortement par comparaison à d'autres actes similaires pour déterminer si cette réglementation constitue un obstacle à l'accès qui ne peut être justifié en fonction d'un jugement médical valable. Le fait qu'un avortement pratiqué pendant le premier trimestre par un membre compétent du corps médical soit un acte médical relativement sûr et simple porte à croire que l'avortement devrait être traité comme tout autre acte médical similaire. Par conséquent, les tribunaux se demanderont si les réglementations spéciales qui sont apparues pour remplacer les comités thérapeutiques déclarés inconstitutionnels desservent un intérêt provincial ou territorial reconnu. Par exemple, la règle d'un hôpital ou l'exigence provinciale ou territoriale voulant que tous les avortements soient pratiqués par un spécialiste en gynécologie ou en obstétrique peuvent ne pas tenir compte du fait que les avortements pratiqués en début de grossesse sont médicalement moins dangereux que l'accouchement. Si des réglementations différentes peuvent être justifiées pour des avortements tardifs (qui nécessitent des compétences, des techniques et des installations plus spécialisées), à cause des besoins des femmes en matière de santé, il n'existe aucune raison médicale pour justifier une telle politique ou une telle réglementation dans le cas des avortements pratiqués en début de grossesse. Les professeurs Cook et Dickens laissent entendre qu'il peut être indiqué dans certaines circonstances de permettre aux personnes qualifiées qui ne sont pas des médecins de pratiquer un avortement, un ou une médecin assumant l'ultime responsabilité de l'acte. La réglementation différente en matière d'avortement, par rapport à des actes similaires, doit être examinée attentivement afin de déterminer si elle constitue pour l'accès un obstacle qui ne peut être justifié en fonction d'un jugement médical valable. Les tribunaux peuvent également se demander s'il est approprié de réduire les services à cause de contraintes budgétaires plutôt que d'adopter des solutions de rechange qui ne transgressent pas les principes de la Charte ou ne contreviennent pas aux dispositions de la Loi canadienne sur la santé. La cohérence peut également être un facteur-clé. La justification d'exigences financières peut devenir contestable si l'on peut démontrer que les restrictions budgétaires ne sont pas réparties proportionnellement ou visent des services distincts lorsqu'il semble exister une politique provinciale ou territoriale systématique à l'encontre d'un service d'hygiène de la reproduction en particulier, ou lorsque les services peuvent être dispensés de façon plus rentable dans des établissements parallèles. Même si la loi en question est considérée comme incompatible avec les exigences de la Charte, le gouvernement provincial ou territorial peut encore invoquer une revendication sur la compétence en matière de protection de la vie du foetus lorsqu'il y a possibilité de conflit entre les droits de la mère et ceux du foetus. Lorsque l'on évalue l'intérêt de la province dans la protection de la vie du foetus, une question importante mais non résolue consiste à savoir si le foetus a des droits indépendants en vertu de la Charte, qui doivent être pris en considération lorsque se pose la question des soins de santé après la conception. En vertu de la loi actuelle, la personnalité juridique est conférée à la naissance. Jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada décide si un foetus a des droits constitutionnels, cela demeure un facteur inconnu. Cependant, si la Cour suprême accorde au foetus les droits garantis par la Charte, cela constituera un précédent par rapport aux causes antérieurement entendues au Canada. De plus, cette approche serait différente du droit en vigueur dans la plupart des pays, y compris l'Angleterre et les États-Unis, auxquels le Canada se réfère souvent pour les besoins du droit comparé. Si les tribunaux conféraient des droits constitutionnels au foetus, cette décision semblerait constituer une création de toutes pièces de nouveaux droits, entreprise dans laquelle la Cour suprême a souvent dit ne pas vouloir s'engager, et qui l'exposerait à des critiques sous prétexte qu'elle outrepasse son autorité légitime en agissant comme un corps législatif. Le fait de conférer des droits constitutionnels à l'enfant qui n'est pas encore né constituerait un précédent et aurait des implications considérables sur des questions diverses et complexes du point de vue moral comme le recours aux stérilets, l'avortement, les abus prénatals, les techniques de reproduction et les contraintes imposées aux traitements médicaux destinés aux femmes enceintes. En outre, la Cour suprême a déjà indiqué une façon de protéger les intérêts du foetus en vertu de la Charte sans créer de nouveaux droits. Dans l'arrêt Morgentaler, la Cour a statué que l'État avait, à l'égard de la protection du foetus, un intérêt légitime qui pouvait être revendiqué lorsque le gouvernement est appelé à prouver que l'une de ses actions qui contrevient à un droit prévu par la Charte peut être justifiable dans une société libre et démocratique. Cette approche peut démontrer qu'on préfère traiter la personnalité juridique du foetus comme une question d'«intérêt» public plutôt que d'accorder au foetus des «droits» distincts et indépendants en vertu de la Charte. Dans l'arrêt Morgentaler, la Cour suprême a reconnu que le Parlement a un intérêt légitime dans la protection des intérêts du foetus. Cela soulève la question de savoir si les corps législatifs provinciaux et territoriaux ont un intérêt dans la protection du foetus. Étant donné que tout intérêt revendiqué en vertu de l'article 1 doit être circonscrit par le partage constitutionnel des pouvoirs, la reconnaissance de la compétence du Parlement pour protéger les intérêts du foetus ne confère pas aux provinces ou aux territoires une compétence équivalente et peut même l'empêcher. Par conséquent, une province ou un territoire ne peut se fonder sur l'analyse ou sur les remarques incidentes de l'arrêt Morgentaler pour établir son intérêt d'État à l'égard du foetus - la province ou le territoire doit justifier les restrictions imposées aux droits des femmes en vertu de la Charte et fonder sa revendication de représenter le foetus sur sa compétence en matière de droits civils. La portée de tout prétendu intérêt d'État peut également se révéler- problématique. Par exemple, l'intérêt estil limité au foetus à tout stade de son développement ou s'étend-il à un intérêt d'État pour les populations futures, de sorte que cet amoindrissement des droits des femmes inscrits dans la Charte puisse être justifié non seulement pendant la grossesse, mais durant toute la période de sa vie où une femme peut porter un enfant? Lorsque l'on examine ce qui se produit dans d'autres sociétés libres et démocratiques, on devrait noter les changements survenus à l'échelle mondiale quant aux réglementations juridiques sur l'avortement. Ces lois mettent de moins en moins l'accent sur la criminalité et insistent de plus en plus sur le fait que l'avortement doit faire partie intégrante des programmes sociaux et de soins de santé d'un pays. Les gouvernements ont commencé à reconnaître que le désir d'une position cohérente favorisant l'intérêt de l'État envers la santé et la vie de famille nécessite plus que la création de délits liés à l'avortement. Une telle position suppose également: - un accès généralisé à la consultation en matière de planification familiale et le financement public de ce service; - l'interdiction de toute discrimination fondée sur la grossesse; - des avantages sociaux généreux en matière de congé de maternité; - des frais de garderie raisonnables; - une amélioration des conditions de vie des enfants, des femmes et des familles. Certains pays reconnaissent que, dans la mesure où l'État interdit l'avortement et force les femmes à sacrifier leurs priorités et leurs aspirations, celui-ci doit également assumer l'obligation concomitante d'établir et de défrayer des services sociaux. Dans le cas contraire, les femmes sont d'autant plus injustement accablées par l'interférence de l'État dans le contrôle de leur système reproducteur. La prestation de services de soutien adéquats est également perçue comme le préalable nécessaire pour créer l'environnement social et économique dans lequel une femme enceinte a un choix réel entre des options réalistes. Conclusion. L'absence de services médicalement essentiels est probablement l'une des pires formes de contrôle sur la reproduction des femmes. Depuis que l'avortement a été décriminalisé par l'arrêt Morgentaler, on a vu apparaître l'importance de la compétence provinciale ou territoriale dans la réglementation de la pratique de la médecine et la disponibilité de services de soins de santé. Les pouvoirs provinciaux ou territoriaux ont été utilisés de diverses façons pour mettre en vigueur différentes mesures sur l'hygiène de la reproduction en général, et sur l'avortement en particulier. Les provinces ou les territoires qui ont élargi l'éventail des options médicales offertes à une femme qui cherche à avoir toute autorité sur ses capacités reproductives courent peu de risque de contrevenir à la Loi canadienne sur la santé ou de violer les droits des femmes tels que prévus par la Charte. Les provinces qui restreignent l'accès à des services médicalement nécessaires courent beaucoup plus de risques de contrevenir à la Loi et à la Charte. Les décisions prises par les provinces ou les territoires en vue de restreindre l'accès ou le financement et de mettre en vigueur des réglementations spéciales et limitatives peuvent, par conséquent, être contestées devant les tribunaux. La portée de l'examen judiciaire, les recours possibles et les parties contre lesquelles on peut diriger ces recours soulèvent de nombreuses questions juridiques complexes. Il est clair que la promesse de services médicaux intégraux, accessibles et universels et le droit universel à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, ainsi que le bénéfice égal et la protection égale de la loi, signifient que les femmes disposent d'un fondement juridique sur lequel appuyer leurs revendications pour l'obtention de services de santé adéquats couvrant leurs capacités de porter des enfants. Quant à la légalité des contrôles sur les droits des femmes en matière de reproduction, la Loi canadienne sur la santé et la Charte devraient constituer le point de départ de toute contestation judiciaire, de tout projet de loi ou de toute mesure visant à favoriser un changement social.