*{ Conseil Économique du Canada. 1986 } L'État entrepreneur. 1- Introduction. La ligne de démarcation entre les activités des secteurs public et privé n'a jamais été clairement tracée dans ce pays. Le gouvernement fédéral et les provinces interviennent non seulement pour fournir le cadre réglementaire et l'infrastructure physique indispensables au fonctionnement du marché, mais ils sont aussi des participants importants dans le système de marché. Par l'entremise d'entités quasi autonomes que nous appelons les entreprises publiques ou les sociétés d'État, les pouvoirs publics interviennent aujourd'hui pour une part importante de l'activité économique du pays. Le modèle de l'entreprise publique fait partie intégrante de la réalité canadienne. Des sociétés gouvernementales existaient avant même la Confédération pour voir a la construction de canaux et à l'administration portuaire. Lors de la fondation de la nation canadienne, le nouveau gouvernement du Dominion s'est engagé à prendre en charge l'actif et le passif du Nouveau- Brunswick et de la Nouvelle-Écosse dans diverses entreprises ferroviaires, et à construire le chemin de fer Intercolonial pour relier ces provinces au Canada central. La suite de l'histoire de notre pays offre de nombreux exemples d'intervention de l'État dans la création ou l'acquisition de grandes entreprises commerciales. A l'heure actuelle, le gouvernement fédéral est le plus important investisseur dans l'industrie canadienne, et toutes les provinces ainsi qu'un grand nombre de municipalités possèdent d'importants intérêts commerciaux. Les sociétés d'État telles que le CN, Air Canada, Pétro-Canada, Hydro-Québec, la Potash Corporation of Saskatchewan, l'Alberta Government Telephones, et la BC Railway jouent un rôle de premier plan, largement reconnu, dans les affaires commerciales du pays. Au fil des années, le contexte canadien a favorisé le développement des entreprises publiques. Il en a produit un riche assortiment, résultats des besoins diversifiés et des défis particuliers du Canada: un vaste territoire, une population relativement dispersée, la présence d'un voisin économiquement et politiquement puissant, des intérêts régionaux marqués et distincts, ainsi que l'existence de deux grands groupes culturels et linguistiques. Les secteurs public et privé ont conjugué leur action pour relever les défis que posaient l'édification d'une nation et la mise en place d'un système socio-économique capable non seulement de répondre aux aspirations matérielles des Canadiens, mais également de traduire convenablement leur conscience sociale et leur diversité régionale et culturelle. Les circonstances variées qui ont mené à la création et à l'utilisation des entreprises publiques au Canada se reflètent dans la grande diversité de ces dernières. Certaines sociétés fédérales importantes doivent leur existence à la volonté de construire la nation, mais un grand nombre d'entreprises publiques plus récentes ont été mises sur pied en réponse à des problèmes causés par le processus de changement dans une économie industrielle moderne. Dans certains cas, elles ont été l'instrument choisi par les provinces pour poursuivre des objectifs particuliers comme, par exemple, la volonté de diversifier l'économie en Saskatchewan ou le désir d'accroître les postes de cadre pour les francophones au Québec. Parmi les entreprises publiques, on retrouve la plus importante société non financière canadienne en termes d'actif - l'Hydro-Ontario - tout comme des entités d'envergure beaucoup plus modeste, comme la Société canadienne des brevets et d'exploitation Limitée (dont l'actif est inférieur à 1,5 million de dollars) Certaines sociétés d'État, telles la Société canadienne des Postes et VIA Rail, dépendent largement des subventions publiques, tandis que d'autres, telles l'Alberta Government Telephones et la Saskatchewan Minerals, sont des entreprises rentables dont le comportement n'est pas sensiblement différent de celui de leurs concurrentes du secteur privé. Certaines entreprises gouvernementales, comme les services publics d'électricité des provinces, constituent des monopoles réglementés, mais un grand nombre de sociétés d'État opèrent sur des marchés hautement compétitifs. En comparaison avec d'autres pays industrialisés caractérisés par un régime d'économie mixte, le Canada se situe à peu près au centre pour ce qui est du recours aux entreprises publiques. Le secteur public est plus important au Canada qu'en Suisse, en Australie, au Japon et aux États-Unis. Dans ce dernier pays, le gouvernement intervient dans l'économie de plusieurs façons, mais des facteurs d'ordre idéologique jouent contre la propriété publique des entreprises. Par ailleurs, la propriété gouvernementale au Canada est fort modeste en comparaison de la situation qui prévaut en Autriche, où le secteur des entreprises publiques est le plus important et le plus étendu de tous les pays développés occidentaux. En France, en Italie et au Royaume-Uni, les sociétés d'État ont également joué un rôle plus important qu'au Canada; elles sont largement présentes dans l'économie en raison de l'importance que ces pays ont accordé à la propriété publique comme instrument de planification et de développement économiques. Bien que les données comparatives à ce sujet aient toujours été fort difficiles à compiler, une étude récente montre qu'à la fin des années 70, un quart de l'économie autrichienne était contrôlé par le secteur des entreprises publiques comparativement à 22 % en France, 20 % en Italie et 18 % au Royaume-Uni Développements récents. Ces dernières années, les citoyens de nombreux pays ont commencé à remettre en question le rôle du gouvernement en général, et la participation de l'État à des activités commerciales en particulier. Au Royaume-Uni, le gouvernement Thatcher a entrepris un vaste programme de privatisation qui, s'il est complété tel que prévu en 1988, aura eu pour effet de réduire la taille du secteur nationalisé dans une proportion allant du quart à la moitié. Le gouvernement français a récemment fait adopter un projet de loi visant à privatiser 65 sociétés d'État, dont plusieurs grandes entreprises nationalisées par le précédent gouvernement socialiste en 1982. En Allemagne de l'Ouest, où un programme de privatisation est actuellement en cours, le gouvernement a manifesté son intention de vendre sa part de 20 % dans Volkswagen AG et de 25 % dans Veba AG, le conglomérat énergétique. Au Canada, un débat de fond sur la politique de l'État à l'égard des entreprises publiques a donné lieu à une série d'enquêtes, au cours des années 70, sur les activités de certaines grandes sociétés fédérales - Air Canada, Énergie atomique du Canada Limitée (EACL) et Polysar. Pour sa part, le Vérificateur général a formulé des observations très critiques dans son rapport de 1976 concernant la gestion et le contrôle exercés par le gouvernement fédéral sur les sociétés de la Couronne. L'efficacité des mécanismes de contrôle au palier fédéral a aussi été examinée dans toute une série d'études, notamment dans le rapport de la Commission royale sur la gestion financière et l'imputabilité, publié en 1979. La possibilité de réduire l'étendue de la propriété publique, au lieu d'en réformer les mécanismes de contrôle, a fait l'objet de délibérations politiques durant la courte existence du gouvernement conservateur, en 1979-1980. L'intérêt manifesté pour cette question s'est par la suite quelque peu estompé, mais il a repris au cours des dernières années; le gouvernement fédéral et plusieurs provinces sont, à l'heure actuelle, activement engagés dans des programmes de restructuration de leur portefeuille de placements dans des sociétés commerciales. La période plus récente a permis d'assister à un certain nombre de développements importants. Les modifications à la Partie 8 de la Loi sur l'administration financière - la législation qui sert à encadrer les sociétés fédérales de la Couronne et qui précise les exigences applicables en matière de rapports ainsi que les dispositions touchant la gestion et le contrôle financiers - ont finalement été adoptées en 1984. En vertu de la nouvelle Loi, les entreprises fédérales doivent soumettre un plan général à l'approbation du gouvernement et fournir au Parlement des renseignements plus détaillés sur leurs objectifs et leur rendement. Le gouvernement fédéral a procédé à la vente de la Société des transports du Nord Limitée, des Arsenaux du Canada, de la société de Havilland et de Canadair, et il a réduit sa participation dans la Corporation de développement du Canada. Pour sa part, la Corporation de développement des investissements du Canada - société publique de portefeuille créée en 1982 - continue à négocier la vente d'autres entreprises fédérales, dont Eldorado Nucléaire Limitée et Téléglobe Canada. De même, un groupe de travail ministériel, présentement sous la présidence de l'honorable Barbara McDougall, procède à un examen d'ensemble des intérêts que possède le gouvernement fédéral afin de trouver des candidats prometteurs pour une éventuelle privatisation. Au niveau provincial, il y a eu également un certain nombre d'initiatives importantes. Citons, entre autres, les divers projets mis en oeuvre pour améliorer les systèmes de contrôle et d'imputabilité, la création d'organismes législatifs ou autres chargés d'examiner les activités de certaines sociétés (spécialement les entreprises publiques d'électricité), ainsi que la vente de quelques grandes entreprises de propriété provinciale. Un certain nombre de sociétés d'État ont été privatisées récemment en Colombie-Britannique (BC Resources Investment Corporation) et en Alberta (Pacific Western Airlines et Alberta Energy Company Limited), alors que l'Ontario et le Québec sont présentement engagés dans un examen détaillé de leur participation. Le gouvernement du Québec a déclaré qu'il avait l'intention de réduire sensiblement ses interventions dans l'économie en procédant à une privatisation complète ou partielle de plusieurs des sociétés d'État créées à une époque antérieure de son histoire. En Saskatchewanune autre province qui a misé considérablement sur la propriété publique -, le gouvernement conservateur s'est donné une stratégie visant à ouvrir progressivement la voie à la participation directe des citoyens de la province dans la propriété des entreprises publiques. L'intérêt que suscite actuellement la question des entreprises publiques tient à différentes raisons. D'abord, l'attention du public s'est portée tout particulièrement sur les pertes substantielles qu'ont subies récemment quelques sociétés d'État fédérales. La situation financière inquiétante de certaines entreprises a soulevé des questions en regard du contrôle exercé par les autorités fédérales, rappelant celles qui s'étaient posées lors des enquêtes du milieu des années 70. Ainsi, on s'est demandé si le secteur des entreprises gouvernementales n'avait pas atteint une taille qui débordait la portée du contrôle de l'État. Le gouvernement fédéral, par exemple, possède en propre ou détient le contrôle de près de 150 entreprises, en comptant les sociétés mères et les entreprises qui leur sont directement affiliées. Bien que ces préoccupations méritent qu'on s'y attarde, elles doivent être placées dans une perspective qui tienne compte de la nature et du rôle des entreprises publiques. Ces organismes de l'État jouent habituellement un double rôle: ils sont d'abord des entités commerciales ayant des objectifs semblables à ceux de toute entreprise privée, mais ils servent en outre d'instruments de la politique publique dans la poursuite de certains objectifs. Le caractère unique - mais à la fois complexe et souvent mal compris - des entreprises d'État s'explique justement par cette juxtaposition de fonctions économiques et politiques. Bien que les lourdes pertes de certaines sociétés d'État manifestement mal gérées ne peuvent être uniquement imputables à leurs responsabilités non commerciales, il faut néanmoins tenir compte des objectifs qui leur sont assignés en matière de politiques dans toute évaluation de leur performance. Il importe également de prendre une perspective assez large dans l'examen des autres critiques et préoccupations qui sont apparues récemment dans l'opinion publique. Ainsi, du point de vue de l'entreprise privée, on s'inquiète souvent de la position en apparence privilégiée où se trouvent les entreprises gouvernementales pour livrer concurrence. Les entreprises publiques - qui peuvent jouir de certaines exemptions fiscales tout en ayant la possibilité d'emprunter à des taux préférentiels - semblent être soumises à des règles différentes de celles qui s'appliquent aux entreprises du secteur privé. Si les sociétés d'État doivent être considérées comme de simples participants a un marché commercial concurrentiel, on peut s'étonner qu'elles bénéficient de ces avantages. Ceux-ci peuvent être discutables même dans le contexte de leurs obligations au chapitre des politiques, bien qu'elles puissent aider à comprendre que les entreprises publiques puissent avoir besoin d'un soutien dont ne disposent pas les entreprises commerciales du secteur privé. Dans la perspective où le gouvernement fédéral et les provinces tentent de limiter leurs besoins de liquidités, les emprunts effectués par les entreprises publiques, ainsi que leurs besoins au titre des subventions et apports de capital, constituent une autre source de préoccupation. En dépit du fait que les entreprises fédérales se soient tournées davantage vers le marché financier privé ces dernières années pour répondre à leurs besoins de financement, il reste que la plupart de leurs emprunts viennent alourdir le passif du secteur public. Au niveau fédéral, la dette des entreprises publiques s'élevait à près de 15 milliards de dollars a la fin de la dernière année financière. L'effet des cessions d'éléments d'actif sur la position financière du gouvernement, toutefois, est loin d'être clair. Lorsqu'une entreprise publique est vendue, il y a habituellement une diminution immédiate des besoins de liquidités de l'État. Mais si, comme cela arrive fréquemment, la valeur aux livres d'une entreprise publique est supérieure à son prix sur le marché, la vente de l'entreprise entraînera une perte comptable; il en résultera alors une hausse plutôt qu'une baisse du déficit gouvernemental. Ainsi, la privatisation peut ne pas constituer une solution aux problèmes financiers de l'État. La performance des entreprises publiques ainsi que la taille et l'étendue de ce secteur d'activité soulèvent de toute évidence certaines questions importantes. Toutefois, si nous admettons le fait que les entreprises publiques ne sont pas uniquement orientées vers la recherche du profit mais qu'elles font également partie de l'appareil administratif et politique de l'État, la situation devient beaucoup moins claire. Quand une entreprise d'État disparaît, la fonction qu'elle devait assumer en regard de certaines politiques doit souvent être maintenue en ayant recours à un autre instrument de la politique publique. Celui-ci, cependant, posera presque à coup sûr des problèmes d'un autre ordre. Le recours à d'autres solutions comporte des coûts et peut avoir des conséquences plus sérieuses, à long terme, sur la croissance du secteur gouvernemental et sur le déficit public. Objet et structure du rapport. Les observations qui précèdent font ressortir la nécessité d'étudier la question de l'entreprise gouvernementale dans une large perspective, en tenant compte des pressions qui s'exercent sur le gouvernement tout autant que des instruments d'intervention dont il dispose. Les préoccupations au sujet de la performance commerciale des sociétés d'État devraient nous inciter à examiner le bien-fondé et la pertinence des objectifs non commerciaux de ces entreprises. Il faudrait voir jusqu'à quel point ces objectifs sont effectivement atteints, et à quel coût pour la société dans son ensemble. Nous devrions également nous demander si les coûts de l'intervention gouvernementale peuvent être réduits, soit en recourant à un autre instrument de politique, soit en adoptant de meilleures dispositions administratives. Telles sont les questions abordées dans ce rapport. Nous envisageons l'entreprise publique comme une forme de réponse aux pressions qui s'exercent en faveur de l'intervention de l'État. Notre but est de déterminer, premièrement, dans quelles circonstances l'entreprise gouvernementale peut constituer un recours approprié et deuxièmement, quel genre de dispositions administratives permettent d'obtenir tous les avantages de cet instrument de politique publique. Étant donné le grand nombre d'entreprises publiques et l'étendue de leurs activités, notre rapport repose nécessairement sur un échantillon de cas. Nous avons intentionnellement exclu certains secteurs, notamment les institutions financières gouvernementales qui avaient fait l'objet d'un rapport antérieur du Conseil (Intervention et efficacité, publié en 1982), ainsi que les entreprises culturelles, qui soulèvent des problèmes complexes d'un caractère différent. Et même dans les secteurs qui entrent dans le champ de notre analyse, nous avons dû concentrer notre attention sur un nombre restreint de sociétés. Certaines des entreprises publiques étudiées sont d'une telle taille et d'une telle importance que les conclusions auxquelles nous sommes parvenus concernant l'opportunité de l'intervention publique et l'efficacité des mécanismes de contrôle en place sont valables en soi. Mais au-delà de ces cas particuliers, nous avons tenté de dégager les tendances et les traits communs les plus importants. Bien que chaque entreprise publique présente des caractéristiques uniques, il y a certains traits importants qui permettent de distinguer les entreprises gouvernementales, dans l'un ou l'autre secteur, de tout autre instrument pouvant être utilisé en vue d'atteindre les mêmes objectifs. Il y a également certains problèmes particuliers au niveau du contrôle qui sont propres aux organismes poursuivant une gamme d'objectifs politiques et commerciaux, peu importe qu'ils évoluent dans le secteur privé ou le secteur public. Bien que notre étude ait nécessairement des répercussions en regard des délibérations présentes sur la privatisation, notre intention n'est pas de présenter une liste de sociétés dont l'État devrait se départir. Nous cherchons plutôt à mettre l'accent sur les leçons que nous pouvons tirer de l'expérience passée afin de dégager les avantages et les inconvénients de l'entreprise publique. Une meilleure compréhension des caractéristiques de ces instruments d'intervention devrait éclairer les efforts de restructuration du portefeuille de sociétés que possèdent les gouvernements. A notre avis, en effet, les considérations pertinentes ont reçu beaucoup trop peu d'attention dans le débat public actuel. Nous tenons, au départ, à préciser quelques termes: traitant de l'entreprise gouvernementale nous utilisons les termes «entreprise publique», entreprise «gouvernementale» et «société d'État», voire à l'occasion «société de la Couronne». Les sociétés du secteur privé, y compris celles dont les actions sont négociées en Bourse, sont appelées ici «entreprises privées» ou «sociétés privées». Notre étude des entreprises publiques canadiennes commence, au chapitre qui suit, par un examen de l'étendue de la propriété publique au Canada ainsi que des facteurs qui peuvent expliquer l'émergence du secteur des sociétés d'État. Au chapitre 3, nous présentons notre cadre d'analyse et d'évaluation des mérites relatifs de cet instrument de la politique de l'État. Du chapitre 4 au chapitre 7, nous analysons les données recueillies sur les activités des entreprises publiques dans certains secteurs. Les choix qui ont été faits visent avant tout à jeter un certain éclairage sur le rôle que devraient jouer les entreprises gouvernementales et sur les problèmes de contrôle qu'elles soulèvent. Dans les chapitres 8 et 9, nous nous penchons de façon plus attentive sur les problèmes de contrôle décelés dans les chapitres antérieurs, dans le but de préciser les éléments qui devraient former un système d'imputabilité et de contrôle adéquat. Enfin, au chapitre 10, nous présentons nos conclusions ainsi que des observations sur certaines questions qui ont une incidence sur la privatisation. 2- L'héritage du passé. Les entreprises gouvernementales occupent manifestement une place importante dans notre économie. Elles ont une influence marquée dans toutes les régions et dans la plupart des secteurs, et certaines d'entre elles ont une taille impressionnante comparativement aux sociétés du secteur privé ou aux ministères de l'État. Dans ce chapitre, nous examinerons les forces qui sont à l'origine de l'émergence et de la croissance de ce segment important du secteur public. Nous ferons d'abord un certain nombre de distinctions entre les entreprises publiques et les organismes publics et privés connexes, suivi d'un court exposé sur les dimensions de l'entreprise publique; puis nous brosserons un tableau historique en tentant de faire ressortir les facteurs qui ont contribué a façonner le profil de développement observé. Ce dernier exercice est forcément conjectural. Il n'existe pas de «science» du gouvernement nous permettant de prédire quand les décideurs privilégieront un instrument de politique par rapport à un autre. A vrai dire, comme l'ont fait remarquer certains, on pourrait avoir raison de s'inquiéter - à un niveau plus global si une telle «science» existait. Néanmoins, pour mieux comprendre l'entreprise d'État, il importe d'essayer de voir pourquoi cet instrument a eu la faveur des pouvoirs publics dans des circonstances particulières. Cet exercice nous fournira une toile de fond utile pour l'analyse plus normative à laquelle nous nous livrerons dans les chapitres subséquents. Une forme d'organisation distincte. Malgré l'absence de définition unique et généralement acceptée du terme «entreprise publique», les entités regroupées sous cette étiquette - par exemple, Air Canada, Pétro-Canada, Hydro-Québec - présentent un certain nombre de caractéristiques communes. Elles sont toutes la propriété, ou du moins sont sous le contrôle, d'un gouvernement; elles disposent d'une grande autonomie au niveau de l'exploitation; et elles sont engagées de façon importante dans des activités que l'on pourrait qualifier de commerciales. Chacune de ces caractéristiques se prête à des interprétations différentes, et la ligne de démarcation précise du secteur de l'entreprise publique varie en conséquence. Mais il est clair que nous avons affaire à des entités ayant une double personnalité - qui est le reflet à la fois de leurs objectifs commerciaux et des éléments de politique publique que comportent leurs activités. Les entreprises gouvernementales font partie du secteur public, mais elles diffèrent fondamentalement des ministères et des autres organismes de l'État. Ce sont généralement des sociétés engagées dans des activités commerciales, mais tout en étant fort différentes des entreprises privées. Ces distinctions demandent à être examinées de plus près. Ministères et organismes de l'État. Les entreprises publiques entrent dans la catégorie générale des entités publiques appelés «organismes non ministériels». Dans le cas d'un ministère, c'est le ministre qui détient le mandat et qui doit répondre de la gestion et de la direction du ministère devant la législature. Les organismes non ministériels, par contre, se voient attribuer directement un mandat et des pouvoirs. Ils doivent rendre compte à la législature, généralement par l'entremise d'un ministre. Cette délégation de pouvoirs est loin d'être complète; les ministres conservent certains pouvoirs et responsabilités à l'égard de la conduite et des activités des organismes non ministériels. Cependant, un certain nombre de responsabilités résiduelles en matière d'exploitation sont confiées aux organismes non ministériels ou à leur commission ou conseil de direction. Ces organismes jouissent donc d'une autonomie beaucoup plus grande que les ministères de l'État. L'autonomie sert des buts différents selon l'organisme en cause. Dans le cas des organismes consultatifs ou quasi-judiciaires, elle garantit l'indépendance par rapport au pouvoir politique et facilite l'application de règles de procédure clairement définies. L'autonomie peut aussi être un moyen d'assurer une large représentation. En effet, le principe de la représentativité régionale ou sectorielle - souvent difficile à mettre en application dans le cas des ministères - est tout à fait réalisable lorsqu'un organisme est géré par un conseil ou une commission. L'autonomie accordée aux entreprises publiques est souvent fondée sur des critères d'efficience économique plutôt que d'être motivée par un souci d'impartialité politique. Les méthodes bureaucratiques et les règles applicables aux ministères sont parfois trop rigides pour les entreprises publiques. En outre, plusieurs d'entre elles sont régies par une législation ouvrière différente. Les sociétés d'État de six provinces (Alberta, Colombie-Britannique, Manitoba, Nouvelle-Écosse, Québec et Saskatchewan) ainsi que quelques grandes entreprises publiques ontariennes (par exemple, Hydro- Ontario) et la plupart des entreprises publiques fédérales sont assujetties à la législation ouvrière du secteur privé; elles sont donc en mesure de négocier sur ces questions à peu près de la même façon que leurs homologues du secteur privé. De même, les ministères n'échappent pas facilement aux problèmes qui touchent les grandes organisations en matière de décision et de contrôle; la dévolution des pouvoirs que permet la formation d'une entreprise publique aide à réduire ces déséconomies d'échelle. Sociétés d'État et sociétés privées. Étant constituées en société, les entreprises publiques - à l'instar de celles du secteur privé - ont la capacité d'acheter et de vendre des biens, tout comme elles peuvent poursuivre et être poursuivies en justice. Mais il y a d'autres distinctions importantes entre les entreprises publiques et les entreprises privées. Ces différences tiennent souvent au fait que les entreprises publiques, contrairement aux sociétés privées, servent habituellement d'instrument de la politique de l'État. Tout d'abord, en raison notamment de leurs responsabilités en matière de politiques, de nombreuses entreprises gouvernementales se voient accorder le statut de mandataires de la Couronne. Cela leur confère l'immunité juridique dans diverses circonstances, qui peuvent varier d'un territoire à l'autre. L'un des points les plus importants à cet égard est l'exonération de certains impôts sur le revenu et impôts fonciers prélevés par d'autres paliers de gouvernement. Les sociétés fédérales ne paient généralement pas de taxes municipales - même si elles peuvent les remplacer par des subventions - et les sociétés provinciales ne paient habituellement pas les impôts fédéraux sur les sociétés (la Loi fédérale de l'impôt sur le revenu accorde une exonération aux sociétés contrôlées à 90 % ou plus par des gouvernements provinciaux). Une deuxième caractéristique qui différencie le secteur public et le secteur privé a trait aux capitaux propres et à la responsabilité limitée. La dette d'une société privée n'est garantie que par l'actif de la société, et rarement par les autres avoirs des actionnaires. La faveur dont jouit cette formule juridique vient justement de la nécessité de limiter la responsabilité des participants pour pouvoir réunir les capitaux nécessaires. Par contre, dans le cas des entreprises publiques, on considère généralement que le gouvernement est responsable des dettes contractées. Cela découle souvent du statut de mandataire ou des dispositions de la loi constituante de la société d'État; mais, même si la responsabilité juridique n'est pas clairement précisée, le gouvernement est souvent perçu comme le garant ultime de la dette des entreprises publiques. Il n'est pas étonnant de constater que les buts et attributions spécifiques des entreprises publiques et privées influent sur la façon dont elles sont contrôlées. Dans le cas des sociétés gouvernementales, les mécanismes de contrôle dépassent les pouvoirs traditionnels dont disposent les actionnaires des sociétés privées - réception de rapports, nomination du conseil d'administration et approbation de certaines décisions du conseil. L'une des principales différences à cet égard est que les ministres peuvent dicter l'orientation et exercer un contrôle avant même que ne se prennent les décisions. Dans le secteur public, le contrôle est aussi plus fragmenté, car plusieurs organismes se partagent le rôle de l'actionnaire privé; le gouvernement ou le Cabinet en ont les principales attributions, mais la législature est également impliquée. Chacun d'eux peut par ailleurs représenter plusieurs points de contrôle: différents ministres et ministères, les comités parlementaires et le Vérificateur général. Par ses caractéristiques distinctives, l'entreprise publique s'est révélée un moyen intéressant de poursuivre des objectifs particuliers. Les décideurs se sont laissés séduire par la possibilité de combiner des objectifs sociaux et des activités commerciales dans diverses circonstances. Dans certains cas, les gouvernements ont été attirés par la perspective de poursuivre certaines activités par le truchement d'une organisation ayant une indépendance relative par rapport au processus politique. Les particularités juridiques des sociétés publiquesnotamment les privilèges dont jouissent celles qui sont mandataires de la Couronne - se sont avérées utiles dans plus d'une situation. Ces considérations prendront plus de relief lorsque nous ferons une rétrospective des facteurs qui ont motivé la création d'entreprises publiques dans l'histoire du Canada. L'importance des entreprises publiques. Pour mesurer la taille du secteur des entreprises publiques, il faut définir des critères fonctionnels pour les trois grands traits caractéristiques des entreprises publiques: la propriété publique, l'autonomie d'exploitation et la participation à une activité commerciale. Nous avons donné à ces termes l'interprétation suivante: Propriété: Une entreprise publique (EP) doit être la propriété exclusive du gouvernement Elle se distingue de l'entreprise contrôlée par l'État (ECE), qui est effectivement contrôlée par le gouvernement sans toutefois en être la propriété exclusive. Autonomie: Une entreprise publique fonctionne sans liens de dépendance et peut se distinguer, sous ce rapport, des ministères de l'État. Au nombre des indicateurs de cette autonomie, on peut citer la constitution en société, des états financiers préparés et vérifiés séparément, et une commission de régie ou un conseil d'administration. Activité commerciale: Une entreprise publique fournit des biens ou des services qui sont normalement produits par le secteur privé, ou elle couvre au moins la moitié de ses dépenses par des recettes autonomes. L'appendice B donne la liste des sociétés qui répondent à notre définition. En 1985, il y avait 236 entreprises publiques et 23 entreprises contrôlées par l'État. Celles-ci possédaient ou contrôlaient directement 268 filiales. Ce tableau ne tient pas compte des entreprises publiques au niveau local (qui s'occupent de la distribution de l'électricité et du gaz, du service téléphonique et des transports en commun); on en dénombre plus de 500, mais elles sont en général de petite taille et ne représentent qu'une faible part de l'actif total du secteur des entreprises publiques. Les entreprises appartenant aux gouvernements ou contrôlées par ceux-ci représentaient 26 % des immobilisations nettes (y compris les stocks) de l'ensemble des sociétés canadiennes en 1983. L'importance de ce secteur, mesurée par la taille de l'actif, traduit l'influence considérable des services publics d'électricité des provinces, qui ont un coefficient élevé de capital. Les entreprises que possèdent ou contrôlent les pouvoirs publics représentent moins de 5 % de l'emploi total dans l'économie. Au sein du secteur public même, les sociétés d'État ont toutefois un poids important - les employés des entreprises détenues ou contrôlées par le gouvernement fédéral ou les provinces fournissaient environ 35 % de l'emploi total dans le secteur public. Certaines des plus grandes entreprises au pays appartiennent au secteur public. Une liste récente tirée de la publication «The Financial Post 500» comptait 35 sociétés publiques, dont 10 parmi les 100 premières. Les entreprises publiques dominent l'industrie de l'électricité et occupent une place importante dans les transports, les communications et le secteur minier. Le secteur des entreprises publiques provinciales est plus grand que celui du gouvernement fédéral par la taille de l'actif, en raison encore une fois des immobilisations considérables des services publics d'électricité des provinces. Les entreprises publiques fédérales comptent un plus grand nombre d'employés et, comparativement aux entreprises publiques provinciales, elles représentent une proportion beaucoup plus élevée de l'emploi dans le secteur public. Parmi les provinces, c'est au Québec et en Ontario que le secteur de l'entreprise publique est le plus important. Le Québec compte le plus grand nombre de sociétés, et quelques entreprises québécoises (comme la Caisse de dépôt et la SCF) détiennent elles-mêmes des avoirs importants. Par rapport à la taille de l'économie provinciale, cependant, c'est en Saskatchewan que les sociétés sous propriété ou contrôle gouvernemental occupent la place la plus importante. La création d'entreprises publiques s'est accélérée dans les années 60 et 70. En effet, les deux tiers des sociétés d'État qui existent à l'heure actuelle ont été constituées au cours des années 70. Néanmoins, du point de vue de l'emploi et de l'actif réel, la croissance des sociétés que possèdent ou contrôlent les gouvernements a généralement suivi le rythme de croissance de l'ensemble du secteur des sociétés au Canada entre 1959 et 1983. Les entreprises publiques ont perdu de leur importance relative dans quelques secteurs - notamment les transports et le commerce - alors qu'elles ont intensifié leur rôle dans d'autres secteurs, en particulier les mines et l'électricité. Comment un ensemble aussi vaste et diversifié d'entités publiques a-t-il pris forme? Pourquoi les entreprises publiques sont-elles plus importantes dans certaines provinces et dans certains secteurs que dans d'autres? L'examen des facteurs historiques qui sont à l'origine de la création de certaines des entreprises publiques les plus importantes au pays peut contribuer à faire davantage de lumière sur ces questions. Les étapes historiques importantes. Avant 1929: le développement du pays et des provinces. La période antérieure à 1929 a été dominée par trois facteurs: le défi posé par la mise en valeur de l'immense territoire canadien, le renforcement de la cohésion nationale et la résistance au mouvement d'intégration avec les États-Unis. L'entreprise publique a été l'un des moyens employés pour répondre à ces défis. Par leur intervention directe dans les secteurs des transports, des communications et de l'énergie, les gouvernements ont mis en place l'infrastructure nécessaire au développement du pays et créé des liens entre des régions disparates. Plusieurs des services liés à l'aménagement de cette infrastructure économique ne pouvaient être assurés avec le maximum d'efficience que par un producteur unique, et l'entreprise publique offrait, du même coup, une solution aux problèmes soulevés par l'existence d'un monopole. Bien sûr, les circonstances qui prévalaient à cette époque ne contribuent qu'a expliquer la portée de l'intervention gouvernementale dans l'économie. Elles n'expliquent pas pourquoi l'entreprise publique a été le moyen d'intervention employé dans un certain nombre de situations. Dans la plupart des cas, d'autres mécanismes d'intervention s'offraient, et ces solutions de rechange ont souvent été retenues par d'autres gouvernements pour faire face à des problèmes semblables. Au niveau fédéral, l'intervention directe du gouvernement durant cette période a porté essentiellement sur la création de voies de transport. Même avant la Confédération, les gouvernements canadien et britannique étaient engagés dans la construction et l'exploitation de canaux pour desservir l'empire commercial du Saint-Laurent En 1841, les Provinces Unies du Canada achetèrent le canal de Welland - entre les lacs Ontario et Érié - et elles légiférèrent pour autoriser le nouveau Conseil des travaux publics à étendre le réseau de canaux. C'est là le premier recours officiel à l'entreprise publique au Canada. Avant 1867, on a aussi confié à des sociétés d'État l'administration des installations portuaires. Dans ce cas, la formule de la création d'une société présentait certains avantages au plan administratif; en particulier, elle permettait au gouvernement de se doter d'un organisme pouvant, de son propre chef, posséder des biens ainsi que poursuivre et être poursuivi en justice, tout en permettant (par le biais de sa commission ou de son conseil d'administration) une représentation adéquate des divers intérêts locaux. L'intervention directe de l'État dans les transports s'est intensifiée après la Confédération, en raison notamment de l'engagement pris par le gouvernement fédéral en matière de construction ferroviaire. Le nouveau gouvernement national a ainsi assumé la propriété de la société Prince Edward Island Railway et prolongé le chemin de fer Intercolonial - comme il l'avait promis - jusque dans les Maritimes. Des gouvernements provinciaux sont aussi devenus propriétaires de chemins de fer; les lignes du Temiskaming and Northern Ontario et du Pacific Great Eastern répondaient au désir des gouvernements de l'Ontario et de la Colombie-Britannique de développer leur arrière-pays. En même temps, les deux niveaux de gouvernement accordaient diverses formes d'aide - des prêts, des cautions, des subventions et des concessions foncières - pour encourager le secteur privé à s'engager dans la construction ferroviaire. L'étendue de l'aide publique accordée au Canadien Pacifique pour achever rapidement la réalisation d'un chemin de fer transcontinental entièrement canadien a, incidemment, donné lieu à un débat public fort houleux à l'époque. Pour de nombreux observateurs, la création de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (qui devint plus tard le Canadien National, ou CN) était le prolongement logique de l'intervention massive de l'État dans ce secteur. Les trois chemins de fer nationaux - le Canadien-Nord, le Grand Tronc et sa filiale le Grand Tronc Pacifique - qui furent absorbés par le CN étaient déjà lourdement tributaires des deniers publics et constituaient, dans une large mesure, des instruments de la politique nationale. La nationalisation survenue à la fin de la Première Guerre mondiale a été décrite dans les termes suivants: «La nationalisation n'était pas tant une question de principe qu'une nécessité pratique: il s'agissait de prévenir la faillite d'entreprises dans lesquelles de nombreuses personnes avaient investi leurs épargnes, d'empêcher le démantèlement de réseaux de transport ayant une grande importance nationale et d'écarter la possibilité de faire un tort considérable au crédit du Canada sur les marches financiers à l'étranger». Cette interprétation, par ailleurs fort répandue, met toutefois un accent indu sur les facteurs qui ont précipité la nationalisation. Même si le gouvernement avait de bonnes raisons de prendre en charge ces sociétés pour leur éviter la faillite, la question peut-être plus pertinente est de savoir comment les chemins de fer en cause en étaient venus là. Pourquoi la réglementation n'a-t-elle pas donné de résultats satisfaisants au Canada, alors qu'elle a continué de s'appliquer dans le cas de l'industrie ferroviaire américaine? L'auteur d'une récente étude effectuée pour le compte du Conseil fait valoir que la réglementation s'est révélée un échec au cours de cette période parce qu'elle ne s'appuyait pas sur des lois ou des traditions ayant pour effet de lier l'État dans une relation contractuelle équitable. Aux États-Unis, le pouvoir judiciaire accordait un degré élevé de protection aux entreprises privées assujetties à la réglementation; plus précisément, les tribunaux y ont interprété les dispositions constitutionnelles régissant le caractère sacré du contrat comme signifiant que le capital réglementé avait droit à un certain niveau de revenu non confiscable. L'absence de garanties semblables au Canada donna lieu à des problèmes particuliers lorsque le système de réglementation fut soumis aux tensions et pressions politiques de la Première Guerre mondiale. A l'époque, l'organisme charge de réglementer le transport ferroviaire (la Commission des chemins de fer du Canada) trouva de plus en plus difficile d'accorder des augmentations de tarif pour l'ensemble de l'industrie, en raison de l'imposant surplus d'exploitation affiché par le Canadien Pacifique. Cette situation s'avéra désastreuse pour le Canadien-Nord, le Grand Tronc et le Grand Tronc Pacifique, qui étaient tous beaucoup plus endettés et avaient des frais d'exploitation plus élevés que le Canadien Pacifique. Dans cette perspective, la création du CN était moins le produit du pragmatisme ou de la préférence des Canadiens pour l'entreprise publique que le reflet du sousdéveloppement du cadre législatif et réglementaire au Canada: «Le gouvernement canadien fit une intervention que l'on pourrait qualifier, au mieux, de discriminatoire. Peu importe que ces résultats aient échappe à la volonté des responsables Une chose est claire: en définitive, le capital n'était protégé de la confiscation que par la bonne volonté de l'État. Sans la protection accordée par une constitution écrite garantissant le droit à la propriété privée, cette garantie s'est avérée insuffisante». Au niveau provincial, un des événements les plus marquants de cette période a été la création d'Hydro-Ontario. Au début du siècle, les Ontariens se sont mis à réclamer avec de plus en plus d'insistance que les pouvoirs publics prennent en charge la distribution de l'électricité. Les entreprises manufacturières établies dans les petites villes ontariennes craignaient de se voir refuser l'accès à l'énergie hydro-électrique, alors que les Torontois s'inquiétaient des profits réalisés par le monopole privé qui détenait la franchise pour leur ville. La réaction initiale du gouvernement provincial fut de permettre aux municipalités de se lancer dans le transport, la distribution et la production d'électricité. Au cours des années qui suivirent, cependant, les pressions en vue d'obtenir de l'«énergie bon marché» par le biais de la propriété publique se sont intensifiées. Le nouveau gouvernement conservateur créa la Commission hydroélectrique de l'Ontario qui devint, en 1906, HydroOntario. Le nouvel organisme était au départ une société qui achetait de l'électricité auprès de producteurs privés pour l'acheminer vers les réseaux municipaux. Toutefois, sous la gouverne de son premier président, Adam Beck, la société a élargi le champ de ses activités, acquérant ainsi une plus grande autonomie par rapport au gouvernement. Hydro-Ontario s'est lancée activement dans la production d'électricité en 1914 et, au début des années 20, avec le parachèvement d'une centrale à Niagara Falls - la centrale Sir Adam Beck numéro 1 - elle devenait la plus grande entreprise de services publics de la province. On a tenté d'expliquer de diverses façons le recours à la propriété publique en Ontario, au contraire de ce qu'ont fait la plupart des autres gouvernements en Amérique du Nord. Au- delà des personnalités en cause notamment Beck, l'incarnation même du pouvoir public - la production ontarienne d'hydro-électricité était tellement dominée à l'époque par le Niagara que ce secteur présentait plus que nulle part ailleurs - au Québec, par exemple - les caractéristiques d'un monopole naturel. En outre, les éléments d'ordre juridique cités plus haut dans le cas du CN ont ici aussi joué un rôle. Par rapport aux États-Unis, l'expansion des pouvoirs publics a été facilitée par l'absence de protection législative pour les monopoles franchisés qui avaient auparavant fourni et distribué la plus grande partie de l'électricité en Ontario. Les garanties juridiques qui auraient été nécessaires pour empêcher qu'une telle situation ne se produise et pour établir la base d'un système équitable et pratique de réglementation n'existaient tout simplement pas. Les arguments en faveur de l'entreprise publique dans le domaine de l'électricité devaient l'emporter ailleurs au Canada également. Bien avant le milieu du siècle, le Québec, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Manitoba et la Saskatchewan s'étaient donne des commissions ayant le pouvoir de produire et de distribuer l'électricité. Le domaine des télécommunications a aussi été le théâtre de pressions semblables a celles qui ont contribué à la propriété publique des services d'électricité. Au début du siècle, les regroupements d'agriculteurs, les petites entreprises et les municipalités réclamaient à l'unanimité la propriété publique des installations téléphoniques. Le gouvernement fédéral a fini par rejeter l'idée de la propriété gouvernementale, mais il a quand même confié à la Commission des chemins de fer le pouvoir de réglementer les compagnies de téléphone relevant de la compétence fédérale. Dans les provinces des Prairies, cependant, les autorités locales se sont montrées beaucoup plus réceptives aux arguments de ceux qui prônaient la propriété publique. Immédiatement après la création de la province de l'Alberta, en 1905, le nouveau gouvernement a commencé à acheter de petites installations téléphoniques municipales et à installer des lignes interurbaines. Le Manitoba et la Saskatchewan emboîtèrent le pas, si bien qu'en 1910 les trois gouvernements avaient déjà acquis l'actif du réseau Bell sur leur territoire respectif. La création de ces sociétés publiques de téléphone traduisait les besoins de développement des collectivités et des régions éloignées des Prairies. On a décrit dans les termes suivants le problème auquel faisaient face les gouvernements de ces nouvelles provinces: «Une population très éparpillée et fort intelligente exigeait l'installation immédiate de téléphones sur une grande échelle. L'entreprise privée dans l'industrie du téléphone, habituée à une demande provenant essentiellement des régions industrialisées, ne pouvait répondre à la demande des régions rurales, qui exigeaient une expansion immédiate». On aurait pu faciliter l'expansion souhaitée du service téléphonique rural en offrant une subvention suffisamment alléchante à Bell, qui constituait la principale solution de rechange dans le secteur privé. Cependant, les gouvernements provinciaux n'avaient pas le pouvoir de légiférer en regard de la compagnie Bell, qui relevait de la compétence fédérale; et l'on croyait partout que cette entreprise, qui appartenait à des intérêts de l'Est et qui était installée dans l'Est, pourrait réaliser des profits excédentaires. Ces préoccupations jouèrent un rôle important en faveur de la propriété publique dans les trois provinces de l'Ouest. La propriété publique au niveau provincial a joui d'une faveur plus généralisée dans le cas de l'industrie des spiritueux. Les mouvements de tempérance qui ont oeuvré durant les premières années d'existence du Canada réclamaient avec vigueur que le commerce des spiritueux soit placé sous contrôle gouvernemental. Ces efforts ont abouti à l'adoption de la Loi de tempérance du Canada de 1878, qui permettait aux localités de tenir un référendum et d'interdire le commerce de l'alcool sur leur territoire. La prohibition devint une force politique importante avec l'éclatement de la Première Guerre mondiale, si bien qu'en 1919 des restrictions étaient en vigueur partout au pays. Cependant, l'administration et l'application de ces restrictions n'allèrent pas sans poser de sérieux problèmes. En 1921, la Colombie-Britannique et le Québec furent les premières provinces à lever la prohibition et à établir des organismes gouvernementaux détenant le monopole de la distribution et de la vente des spiritueux. Les partisans de l'Ontario Temperance Act (1910) réussirent à remporter un certain nombre de référendums avant 1926 et à faire élire un gouvernement provincial favorable à l'abrogation de la prohibition. En 1930, toutes les provinces, sauf l'?le-du- Prince-Édouard, avaient suivi l'exemple de la Colombie-Britannique et du Québec. Le premier ministre Ferguson de l'Ontario a résumé en ces termes les arguments justifiant le remplacement de la prohibition par un régime de propriété publique: «Malgré la vigilance et les efforts incessants des agents de la paix, le commerce clandestin est florissant et ceux qui se chargent de répondre à la demande de spiritueux s'enrichissent par le trafic». «Ne serait-il pas préférable de répondre à cette demande par des canaux dûment réglementés et d'utiliser les bénéfices réalises, non plus pour enrichir le petit nombre, mais pour améliorer les hôpitaux, les écoles, les routes et les autres services publics?». Plutôt que de retenir la formule de la propriété publique, les provinces auraient pu laisser le secteur privé s'occuper de la distribution et de la vente des spiritueux, tout en appliquant une combinaison quelconque de réglementation et de fiscalité. Mais une réglementation limitant sérieusement la disponibilité des spiritueux aurait laissé les provinces aux prises avec de graves problèmes d'application de la loi. Par ailleurs, la fiscalité constituait un moyen efficace de recueillir les recettes dont les provinces avaient besoin, mais, en soi, elle ne permettait pas de satisfaire les revendications de ceux qui étaient fermement convaincus de la nécessité de régir la distribution et la vente de cette substance nocive. Par la propriété publique, les gouvernements pouvaient éviter les problèmes extrêmement épineux que comporterait toute mesure visant a limiter la disponibilité des spiritueux, tout en donnant l'assurance que ces produits étaient sous le contrôle des autorités. 1930-1960: une période de crise. Cette seconde période a été caractérisée par une série de crises: la Grande Crise, la Seconde Guerre mondiale et la reconstruction d'après-guerre. L'entreprise publique a souvent été mise à contribution comme moyen de résoudre les problèmes et de répondre aux besoins de cette époque. Mais l'année 1930 n'a pas marqué la fin des efforts du gouvernement pour renforcer l'unité nationale et protéger la souveraineté politique du Canada. En effet, cette période a été témoin de la création de deux des plus importantes entreprises de «développement de la nation», à savoir Radio- Canada et Air Canada. La Commission canadienne de radio-diffusion (CCRD), créée en 1932, avait pour mission d'assurer des services de radiodiffusion et de réglementer les activités des entreprises privées dans ce secteur La création d'une entreprise publique faisait suite aux recommandations d'une Commission royale d'enquête (la Commission Aird) et d'un comité de la Chambre des communes, qui avaient l'une et l'autre fait valoir les possibilités de la radiodiffusion comme instrument d'intégration nationale. Cette mesure se voulait aussi une réponse à la menace que la radiodiffusion canadienne ne soit éventuellement dominée par les émissions en provenance des États-Unis. Le secteur privé était peu disposé à investir dans l'établissement d'un réseau national. En même temps, la British Broadcasting Corporation, mise sur pied en 1927, constituait un exemple fort encourageant de ce que pouvait faire la propriété publique. En 1936, la CCRD faisait place à la Société Radio-Canada, une institution plus indépendante dont la surveillance était confiée à un bureau de neuf gouverneurs. La création de la société des Lignes aériennes Trans-Canada (devenue plus tard Air Canada) en 1937 a été motivée par des considérations très proches de celles qui ont présidé à la création de Radio-Canada. Dans ce cas également, on craignait que les entreprises américaines ne viennent combler le vide laissé par l'absence de service national et n'accaparent une place dominante sur le marché canadien. En présentant la Loi sur les Lignes aériennes Trans-Canada, le ministre CD Howe a, à l'époque, exposé le problème en ces termes: «Le Canada est peut-être l'un des rares pays du monde qui ne soit pas doté d'un service aérien régulier national. Beaucoup de Canadiens, allant d'un endroit à l'autre de leur pays, se voient forces d'emprunter les routes aériennes des États-Unis. Nous vendons des timbres de la poste aérienne, mais une bonne partie de nos courriers sont expédiés de l'autre côte de la frontière, pour être transportés par des avions américains, puis ramenés au pays à l'endroit le plus rapproche de leur lieu de destination». Les Lignes aériennes Trans-Canada étaient au départ une filiale à 100 % du CN. Comme dans le cas de RadioCanada, la décision de créer une entreprise publique n'a été prise qu'après que le gouvernement ait constaté que cette entreprise n'intéressait pas les investisseurs privés. Un partenaire privé éventuel, le Canadien Pacifique, rejeta une proposition qui aurait fait de la nouvelle compagnie aérienne une entreprise mixte; en tant que partenaire minoritaire, le Canadien Pacifique aurait eu raison de craindre que certaines initiatives prises dans l'intérêt public n'aient éloigné la compagnie aérienne de ses objectifs strictement commerciaux. L'entreprise gouvernementale offrait en outre une solution relativement commode à un problème assez urgent. Les efforts antérieurs en vue d'établir un service aérien transcontinental avaient selon toute apparence mis à l'épreuve la patience du gouvernement: «Le nombre de sociétés qui se sont lancées dans ce service (transcontinental) et qui ont disparu ne se compte plus. Notre tâche, au Canada, consiste à établir ce service sans perdre toutes les énergies qui y ont été consacrées depuis dix ans». L'utilisation de l'entreprise publique comme moyen de rétablir la stabilité du marché est fort bien illustrée par une troisième grande société fédérale créée dans les années 30, la Commission canadienne du blé. Le gouvernement de RB Bennett avait, au départ, favorisé un régime de marché libre pour le blé, centré sur les opérations du Winnipeg Grain Exchange. La baisse des cours du blé tout au long des années 20 avait amené les producteurs de l'Ouest à se regrouper en coopératives (ou «pools»), établies sur une base provinciale et coordonnées par un organisme central de ventes. Cette formule eut du succès jusqu'à la fin des années 20, alors qu'éclata la Grande Crise et que les prix du blé s'effondrèrent. Entre autres mesures d'aide aux agriculteurs, le gouvernement fédéral prit le contrôle de l'organisme central de ventes pour empêcher l'éclatement des groupes de producteurs. C'était là le début d'une série d'initiatives par lesquelles «le gouvernement canadien en viendrait à intervenir massivement - un rôle auquel il n'allait plus pouvoir échapper malgré toutes ses bonnes intentions». Devant la chute des prix du blé et se trouvant aux prises avec des surplus sans cesse croissants, le gouvernement créa la Commission canadienne du blé en 1935. Le nouvel organisme n'était pas destiné à être un monopole, mais devait plutôt coexister avec le Winnipeg Grain Exchange. Effectivement, même en 1938, le ministre de l'Agriculture réitérait l'intention du gouvernement de «ne pas intervenir dans le commerce des céréales et de laisser la commercialisation de notre blé au système des marchés à terme». Ce n'est pas ainsi que les choses allaient pourtant se passer. Les fortes pressions à la hausse qui se sont exercées sur les prix au cours de la Seconde Guerre mondiale allaient amener le gouvernement à suspendre les marchés à terme sur le blé. Depuis 1943, la Commission canadienne du blé détient le monopole de la vente du blé canadien. Les sociétés d'État de la Seconde Guerre mondiale. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le secteur des entreprises publiques fédérales a connu une expansion considérable. Cette période a vu naître 33 sociétés d'État, la plupart en vertu des pouvoirs spéciaux impartis au ministre des Munitions et Approvisionnements. Un certain nombre de ces sociétés n'avaient qu'un rôle administratif, étant chargées, par exemple, de la coordination de la production privée, de l'entreposage et de la distribution des matériaux et des fournitures, du contrôle des prix des denrées, ou de la construction des maisons du temps de guerre. D'autres sociétés étaient engagées dans la production d'une vaste gamme de biens et fournitures requis pour l'effort de guerre. Il importait, en temps de guerre, de se doter d'organismes capables de contribuer à l'efficacité de la production. Les sociétés d'État jouissaient d'une liberté et d'une souplesse d'exploitation favorables à l'efficacité et, dans bien des cas, elles constituaient une formule préférable à celle du ministère. Le modèle de la société d'État était en outre plus séduisant pour les ressources humaines «à un dollar par an» que le gouvernement cherchait à emprunter au secteur privé pour l'aider à gérer les programmes de guerre. L'entreprise publique a su se révéler utile également lorsqu'il a fallu mettre rapidement de nouvelles usines en service pour répondre au besoin urgent de matériaux de guerre. La construction de l'usine de caoutchouc synthétique de la Polymer, à Sarnia, est souvent donnée en exemple de ce qui peut être fait lorsqu'on sait mettre efficacement en oeuvre les ressources du secteur public. Même si l'on peut concevoir que ce projet aurait pu être réalisé aussi efficacement par une entreprise privée sous contrat, l'élaboration et la négociation d'une entente satisfaisante à cette fin avec une entreprise privée (arrangement qui aurait été compliqué, en temps de guerre, par la nécessité de s'assurer de la disponibilité des matériaux de construction requis) auraient à elles seules pris un temps considérable. En recourant à une entreprise publique, le gouvernement a pu réagir très vite à la situation de crise créée par le fait que le Japon avait pris le contrôle de quelque 90 % des réserves mondiales connues de caoutchouc naturel. Alors que la plupart des entreprises publiques du temps de guerre ont été dissoutes à la fin des hostilités, un nombre important de ces sociétés ont continué a opérer. On compte parmi celles-ci l'Eldorado Mining and Refining Limited, qui avait un rôle jugé essentiel à jouer dans la production d'uranium. La Polymer Corporation Limitée (plus tard rebaptisée Polysar) est restée sous un régime de propriété publique, ce qui traduisait en partie la volonté du gouvernement de soutenir l'industrie du caoutchouc synthétique. La société «Les arsenaux canadiens», née du regroupement de six usines de munitions, a permis au gouvernement de se donner une capacité permanente en matière de mise au point et de production d'armes. Les installations de recherche nucléaire établies durant la guerre ont été maintenues; elles sont à l'origine de la société Énergie atomique du Canada Limitée (EACL). L'entreprise publique en Saskatchewan. Un fait marquant de cette période fut l'élection en Saskatchewan du premier gouvernement CCF (Cooperative Commonwealth Federation), sous la direction de TC Douglas. En 1933, lors de son premier congrès national, le parti CCF avait appuyé une déclaration de principe (devenue plus tard le manifeste de Régina) dans laquelle on faisait l'éloge de la propriété publique et de la planification centrale: Nulle part ailleurs que dans un régime de propriété et d'exploitation publiques les consommateurs ne pourront jouir de tous les avantages découlant du contrôle et de la production de masse centralisés. Le gouvernement CCF qui a pris le pouvoir en Saskatchewan en 1944 voyait dans l'entreprise publique un instrument de développement et de diversification de l'économie. Le Trésorier provincial, l'honorable CM Fines, a exprimé plus tard la position du gouvernement dans les termes suivants: Certains domaines de l'activité humaine sont nettement l'affaire du gouvernement. En premier lieu, tout gouvernement a la responsabilité de voir a ce que ses citoyens puissent se procurer des biens et services en quantité convenable, sans avoir à payer un prix qui constitue de l'exploitation. On pourrait inscrire dans cette catégorie les entreprises comme celles qui s'occupent d'électricité, de téléphone et d'assurances. En second lieu, dans une province qui se consacre dans une aussi grande mesure à certaines cultures spécialisées, le gouvernement a le devoir de promouvoir la plus grande diversification possible de l'économie - afin d'atténuer les dangers que comporte une trop grande dépendance à l'égard d'une source unique de revenu. Les premières entreprises publiques de la Saskatchewan ont donc été créées dans le dessein de concrétiser le potentiel que recelaient les ressources de la province - notamment la laine, le cuir, le poisson, le bois d'oeuvre, les fourrures et les minéraux. Le gouvernement s'est engagé activement dans le secteur des transports par la formation d'une société de transport par autocar (la Saskatchewan Transportation Company, créée en 1946) et d'une compagnie aérienne provinciale (la Saskatchewan Government Airways, créée en 1947). Des monopoles publics furent établis pour le service téléphonique (la société Saskatchewan Government Telephones, formée en 1947), l'électricité (la Saskatchewan Power Corporation, créée en 1949), et l'assurance-automobile (la Saskatchewan Government Insurance, constituée en 1944). L'entreprise publique fut également mise à contribution pour répondre aux besoins immédiats de reconstruction au cours de la période d'après-guerre. Le rôle important confié à l'entreprise publique en Saskatchewan a éventuellement fait naître le besoin de mettre en place des mécanismes spéciaux de gestion et de contrôle. La Crown Corporations Act de 1947 définissait dans les grandes lignes les pouvoirs des sociétés d'État et donnait un fondement législatif à plusieurs des organismes constitués au cours de cette période. La loi prévoyait également la création du Government Finance Office, un organisme central de planification et de coordination ayant notamment la responsabilité d'approuver les budgets d'immobilisations des sociétés de la Couronne. Les ministres se virent confier un rôle de premier plan en matière de planification et de contrôle, occupant la présidence du conseil des diverses entreprises de l'État et formant le conseil d'administration du Government Finance Office. Certes, l'attrait de l'entreprise publique découlait en partie de considérations idéologiques, mais il peut aussi s'expliquer par le fait que cet instrument permettait au gouvernement d'avoir un meilleur contrôle sur les décisions touchant l'économie de la province. Les décisions en matière d'investissement, qui autrement auraient été prises dans des sièges sociaux situés à l'extérieur de la province et peut-être même à l'étranger, se trouvaient désormais subordonnées aux priorités de la planification gouvernementale. Par l'entremise des entreprises d'État, le gouvernement de la Saskatchewan pouvait poursuivre les orientations qu'il jugeait appropriées dans le domaine des transports et des télécommunications ou la réglementation provinciale n'avait qu'une portée limitée en raison de l'étendue des pouvoirs fédéraux tout comme il pouvait faire face à la menace de pratiques anticoncurrentielles et de profits abusifs de la part des grandes sociétés nationales. En ce sens, la propriété gouvernementale contribuait à donner à la province le moyen de remédier à des situations qui lui paraissaient découler de la faiblesse de la politique de concurrence ou de l'insuffisance de la réglementation au palier fédéral. Les sociétés financières du gouvernement. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral a commencé à se retirer des activités de production pour se contenter plutôt d'intervenir à l'occasion pour corriger une situation particulière ou offrir des stimulants. Les sociétés financières gouvernementales, qui pouvaient servir à la fois à pallier les imperfections du marché et à favoriser certaines activités économiques, ont proliféré au cours de la période d'après-guerre. Les efforts du gouvernement fédéral ont surtout porté sur les secteurs de l'habitation, des affaires, de l'exportation et du financement agricole. La Banque d'expansion industrielle (fondée en 1944 et qui allait devenir la Banque fédérale de développement) avait pour mission d'offrir du crédit à moyen et à long termes aux petites et moyennes entreprises qui n'arrivaient pas à trouver du financement à des conditions raisonnables sur le marché. La Société d'assurance des crédits à l'exportation (créée aussi en 1944 et qui est devenue plus tard la Société pour l'expansion des exportations) offrait aux exportateurs canadiens des programmes d'assurance et de financement semblables à ceux que plusieurs des partenaires commerciaux du Canada avaient déjà mis en place. La Société centrale d'hypothèques et de logement fut fondée en 1945 dans le but d'administrer la Loi nationale sur l'habitation, qui venait d'être modifiée. Cette société a élargi plus tard son champ d'action au crédit hypothécaire, à l'assurance-prêt hypothécaire, à la consolidation de parcelles de terrain destinées à la construction domiciliaire ainsi qu'à la promotion de la rénovation urbaine. Les origines de la Commission du prêt agricole remontent à l'époque de la chute des prix des denrées à la fin des années 20, alors que les agriculteurs eurent besoin d'une aide financière autant à long terme qu'à court terme. L'organisme a été restructuré en 1959 et, sous le nouveau nom de Société du crédit agricole, il est devenu une source importante de crédit à long terme pour les agriculteurs. Le gouvernement aurait pu employer d'autres moyens pour aider certains groupes d'emprunteurs, mais les entreprises financières fédérales se sont généralement vu confier un éventail plus large de responsabilités en rapport avec l'administration de diverses lois fédérales. Ces responsabilités supposaient par ailleurs des fonctions commerciales que les ministères étaient mal préparés à assumer. En créant une entreprise publique, le gouvernement marquait aussi son engagement à venir en aide à certains groupes bien organisés et influents. De plus, comme les sociétés d'État se lançaient dans des activités qui n'intéressaient pas le secteur privé, elles ne suscitaient pas d'inquiétude ou d'opposition chez les entreprises privées oeuvrant dans l'industrie. A cet égard, il est utile de signaler que le secteur du crédit et des assurances est l'un des rares aux États-Unis où les sociétés publiques fédérales ont une présence importante. Après 1960: la transformation de l'économie. La période qui a suivi 1960 a été marquée par une augmentation particulièrement rapide du nombre d'entreprises publiques. Les sociétés d'État créées au cours de cette période se sont vu confier une diversité d'objectifs: certaines ont servi à corriger des problèmes structurels et à promouvoir la croissance, mais aussi à mettre divers groupes à l'abri des vicissitudes de l'évolution économique; d'autres ont servi à promouvoir les aspirations nationales et à répondre aux besoins particuliers de certaines régions du pays; d'autres enfin ont été mises à contribution dans des conflits de compétence entre les provinces et le gouvernement fédéral. Alors que plusieurs des premières entreprises publiques étaient des monopoles, les sociétés d'État créées plus récemment ont eu pour la plupart à relever le défi de poursuivre simultanément des objectifs sociaux et commerciaux dans un contexte de marché concurrentiel. Depuis 1960, les sociétés gouvernementales ont encore accru leur présence dans le domaine de l'électricité et ont acquis une place importante dans le secteur des mines et celui du pétrole et du gaz. Cette période a par ailleurs été témoin de l'émergence de nouvelles formes d'organisation, dont les entreprises mixtes et les entreprises en coparticipation regroupant des sociétés privées et publiques. Les entreprises fédérales. Plusieurs des entreprises fédérales de création récente sont le fruit des efforts déployés par le gouvernement pour soutenir certaines activités jugées importantes du point de vue de l'emploi ou du développement, ou encore parce qu'elles permettent de contribuer à la poursuite d'objectifs plus abstraits comme le renforcement de l'unité nationale. La question de l'emploi a été primordiale dans plusieurs cas où le gouvernement s'est porté au secours d'entreprises en difficulté. La Société de développement du Cap Breton (DEVCO) est le produit de l'un des plus importants de ces «sauvetages». Même si l'économie du Cap Breton était largement tributaire des mines de charbon, il était reconnu depuis longtemps que l'industrie n'était pas viable. Malgré une aide fédérale directe et indirecte considérable, la Dominion Steel and Coal Corporation (DOSCO), importante entreprise privée, avait épongé des pertes ou à peine fait ses frais sur ses opérations houillères pendant le plus clair des deux décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Lorsque DOSCO a annoncé son intention de discontinuer l'extraction du charbon au Cap Breton - en dépit de la promesse d'un accroissement de l'aide fédérale le gouvernement a été forcé de reconnaître qu'il ne pouvait permettre la fermeture des mines, ce qui aurait mis en chômage quelque 6 500 mineurs. Il s'est également rendu à l'évidence que les subventions nécessairess'élevant à environ 8 $ la tonne en 1965, soit 3 000 $ par mineur - porteraient à un niveau prohibitif les garanties requises pour intéresser un producteur privé. Retenant pour l'essentiel la solution recommandée par un groupe de travail, le gouvernement fédéral a créé la société DEVCO en 1967 dans le cadre d'une stratégie visant à accroître l'efficacité des mines de charbon tout en réduisant la dépendance de la région à l'égard de cette industrie. Il espérait ainsi pouvoir éliminer graduellement l'exploitation houillère, à mesure que la division du développement industriel de DEVCO réussirait à promouvoir de nouvelles activités économiques et à diversifier l'assise économique de la région. Alors que ni l'un ni l'autre des deux principaux partis politiques fédéraux n'avaient préconisé l'entreprise publique avant que DOSCO ne décide de fermer ses mines, la formule finit par être perçue comme une solution réaliste à un problème particulièrement épineux. Dans d'autres cas, il faut chercher ailleurs que dans la protection des emplois le fondement des efforts consentis par le gouvernement fédéral en vue de soutenir certaines activités. Prenons l'exemple de l'achat de la société de Havilland Aircraft of Canada Limitée, en 1974, des mains de son propriétaire, la société britannique Hawker Siddeley. Avant d'acheter l'entreprise, le gouvernement fédéral se trouvait dans la même situation qu'avec DOSCO; il en était rendu à subventionner massivement une activité que les propriétaires euxmêmes étaient peu disposés à soutenir. Le gouvernement a préféré se porter acquéreur de la société de Havilland pour éviter la disparition du Dash 7, dans lequel il avait investi des sommes considérables et qui, espérait-il, allait permettre au Canada de devenir un chef de file dans la production d'un avion à décollage et atterrissage courts (ADAC). Le désir d'avoir une présence canadienne importante dans certaines industries - qui a incité le gouvernement à intervenir dans la fabrication des avions - a aussi été l'un des éléments à l'origine de la création de plusieurs autres sociétés, notamment d'une importante société mixte, la Corporation de développement du Canada (CDC). Suivant la proposition initiale de l'honorable Walter Gordon, présentée dans son budget de 1963, la CDC devait être un «acquéreur de dernier recours» dont le rôle serait d'empêcher la prise de contrôle de sociétés canadiennes par des intérêts étrangers. La législation qui fut finalement adoptée en 1971 faisait référence au besoin d'aider «à développer et à maintenir des corporations fortes contrôlées et dirigées par des Canadiens dans le secteur privé», mais elle s'appuyait sur une interprétation du problème qui reliait les préoccupations en matière de propriété aux imperfections du marché et notamment aux lacunes du marché des capitaux au Canada. Les placements de la CDC devaient rapporter des bénéfices aux actionnaires de la société et il était prévu que la participation de l'État diminuerait petit à petit Pour éventuellement ne pas dépasser un maximum de 10 %. Alors qu'on aurait pu recourir à des stimulants fiscaux pour accroître l'offre et la demande de capital de risque au Canada, la CDC permettait de marquer - comme n'auraient pu le faire les encouragements fiscaux - la volonté de l'État de poursuivre un objectif d'accroissement de la propriété canadienne. Une autre grande entreprise mixte fédérale créée durant cette période fut Télésat Canada. Cette entreprise, qui appartient conjointement au gouvernement fédéral et aux sociétés engagées dans les télécommunications (compagnies de téléphones et autres), commercialise un service de communications par satellite. L'intérêt du gouvernement fédéral pour cette entreprise découlait des possibilités qu'offrait cette nouvelle technologie en vue d'améliorer la radiodiffusion et la transmission des données - notamment la télédiffusion d'émissions en langue française vers les régions hors Québec - et d'assurer de meilleurs services de télévision et de télécommunications dans le Nord. Des considérations internationales touchant à la répartition de l'espace aérien disponible entrèrent également en jeu. Les rapports qui ont mené à l'adoption de la loi en 1969 créant Télésat Canada faisaient ressortir l'urgence d'établir un réseau de communications par satellite et la nécessite d'affirmer les priorités fédérales dans ce nouveau domaine. Mais en cherchant à tirer parti des possibilités offertes par les techniques de communications par satellite, l'État devait se montrer sensible aux préoccupations de l'industrie, qui craignait de voir la nouvelle technologie remplacer les installations de télécommunications existantes. Il fallait en outre tenir compte des inquiétudes des provinces, qui redoutaient que la propriété gouvernementale n'amène le gouvernement fédéral a faire sentir sa présence dans des domaines de compétence provinciale. La formule de la propriété mixte a servi à apaiser ces craintes, tout en donnant au gouvernement fédéral la possibilité d'exercer une influence significative sur le développement des communications par satellite. La décision d'établir une société pétrolière d'État en 1975 était motivée par plusieurs facteurs. Les préoccupations suscitées par la propriété étrangère, qui furent à l'origine de la création d'autres sociétés publiques fédérales durant cette période, ont donné lieu à plusieurs propositions visant a établir une société pétrolière nationale au début des années 70. A cela s'ajoutaient les incertitudes et les craintes soulevées par le premier choc pétrolier déclenché par l'OPEP à la fin de 1973. La flambée des cours du pétrole de même que les rapports indiquant que le Canada serait de plus en plus tributaire des sources étrangères d'énergie contribuèrent a centrer l'attention du public canadien sur la question de la sécurité des approvisionnements énergétiques. Pétro-Canada apparaissait donc comme l'instrument tout indiqué pour répondre à ces préoccupations: Les raisons impérieuses qui nous poussent à créer une compagnie pétrolière nationale dérivent donc tout d'abord du principe de la sécurité d'approvisionnement - qu'il s'agisse de nos propres ressources ou peut-être même de celles de l'étranger. On prévoyait que Pétro-Canada contribuerait aux approvisionnements pétroliers du Canada par ses activités d'exploration notamment dans les régions éloignées par sa participation à la mise en valeur des gisements de sables bitumineux et au développement de la technologie connexe ainsi que par sa fonction de société commerciale d'État. Elle devait aussi servir de source de renseignements et de connaissances spécialisées susceptibles d'être utiles dans la formulation de la politique énergétique canadienne. Alors que le gouvernement aurait pu appuyer l'exploration pétrolière et la mise en valeur des sources d'énergie par divers programmes d'encouragements les pressions qui s'exerçaient à l'époque commandaient une intervention gouvernementale plus poussée. Le gouvernement libéral minoritaire qui avait pris le pouvoir en 1972 devait compter sur l'appui d'un parti (le NPD) qui était fermement convaincu de la nécessité de mettre en place une société pétrolière d'État à peu près selon la formule retenue dans de nombreux pays d'Europe de l'Ouest. Ce point de vue rejoignait celui de ministres et de fonctionnaires pour qui une société d'État fournirait l'occasion d'accroître l'influence du gouvernement fédéral dans le secteur de l'énergie. A une époque où le marché de l'énergie montrait des signes de grande incertitude un instrument qui offrait la perspective d'exercer un plus grand contrôle se révélait extrêmement séduisant. L'entreprise publique au Québec. L'entreprise publique a pris une importance particulière au Québec durant les années 60. Pendant la «Révolution tranquille» le gouvernement provincial a joué un rôle prépondérant en vue de moderniser la société québécoise et d'accroître la maîtrise des francophones sur l'économie de la province. L'entreprise publique a été l'un des principaux instruments employés dans la poursuite de ces objectifs. La nationalisation de l'électricité a été au nombre des initiatives les plus marquantes de cette période. Bien que la société Hydro-Québec ait été constituée en 1944 plus de la moitié de l'électricité de la province était toujours produite par des entreprises privées au début des année s 60. La nationalisation survenue en 1963 se justifiait en partie par la nécessité d'intégrer le réseau et de coordonner les investissements. On dénonçait également les tarifs élevés payés par les consommateurs québécois et l'impôt fédéral sur le revenu auquel étaient assujetties les compagnies privées d'électricité québécoises au contraire d'Hydro-Ontario. Mais la signification de ces prises de contrôle prenait peut-être davantage d'importance dans le cadre des objectifs plus globaux de la Révolution tranquille: La nationalisation complète de l'électricité ne l'oublions pas fera du Québec, grâce à l'abondance de ses ressources hydro-électriques la province la plus puissante du Canada et permettra par la même occasion aux Québécois de devenir maîtres de leur développement économique plutôt que d'être comme ils l'ont trop souvent été spectateurs des activités des autres. Les objectifs du gouvernement libéral du Premier ministre Lesage ont aussi clairement été exprimés lors de la création de la Société générale de financement (SGF) en 1962, et de la Caisse de dépôt et placement du Québec en 196S. Le mandat confié à la SGF obligeait celle-ci à promouvoir le développement industriel à oeuvrer à l'expansion de la base économique de la province et à encourager la participation financière des Québécois à l'économie locale. La SGI s'est employée à soutenir le développement en offrant à des entreprises québécoises du crédit à moyen et à long termes ainsi que du capital de risque. Société mixte au départ, la SGF est désormais la propriété exclusive du gouvernement et ses activités sont étroitement assujetties aux politiques et priorités de ce dernier. La Caisse de dépôt et placement a été fondée après que la province eut décidé de se retirer du Régime de pensions du Canada et de créer le Régime des rentes du Québec. Il s'agissait de créer un organisme susceptible de gérer les fonds du RRQ au mieux des intérêts de la province. On estimait alors que dans le cadre de ses responsabilités de fiduciaire envers les déposants la Caisse pourrait soutenir le marché des titres du gouvernement québécois favoriser le développement des courtiers en valeurs mobilières de la province et de façon plus générale soutenir la croissance de l'industrie québécoise. Depuis 1960 les gouvernements qui se sont succédé au Québec ont créé un certain nombre d'entreprises publiques chargées d'exploiter et de mettre en valeur les ressources provinciales. Certaines de ces sociétés datent d'avant la forte hausse des prix des ressources dans les années 70 - phénomène que l'on a souvent invoqué pour expliquer l'intervention accrue des divers gouvernements dans ce secteur. La Société québécoise d'exploration minière (SOQUEM) a été créée en 1965 avec mission de promouvoir l'exploration minière dans la province et de collaborer avec l'entreprise privée à la mise en valeur des ressources minérales. La Société québécoise d'initiatives pétrolières (SOQUIP) - première société pétrolière gouvernementale en propriété exclusive en Amérique du Nord - a été formée en 1969 devant la crainte de voir la province devenir totalement tributaire du pétrole importé. Ces entreprises étaient destinées à la fois à favoriser le développement et à donner aux Québécois une plus grande maîtrise de leur économie Les mêmes desseins ont présidé à la création de la Sidérurgie du Québec (Sidbec) le complexe sidérurgique intégré établi en 1964. Au début des années 70 le gouvernement provincial a créé la Société de récupération d'exploitation et de développement forestiers du Québec (REXFOR) pour regrouper sous un même organisme la plupart des activités gouvernementales en matière de foresterie. Plus récemment encore il a fondé la Société nationale de l'amiante (SNA) qui est non seulement chargée de la transformation locale de l'amiante mais qui doit voir aussi à la pleine réalisation du potentiel de développement de cette ressource. L'entreprise publique dans les autres provinces. Depuis 1960 et surtout pendant les années 70 les gouvernements provinciaux ont fait appel à la formule de l'entreprise publique beaucoup plus souvent qu'au cours des périodes antérieures. Les entreprises publiques ont servi à soutenir le développement à aider les gouvernements provinciaux à tirer un rendement approprié de leurs richesses naturelles et à accroître les possibilités d'intervention gouvernementale en rapport avec certains aspects de la formulation des politiques. Alors que quelques sociétés provinciales de développement ont vu le jour dans les années 50 ce sont dans les années 60 et 70 qu'elles ont connu une expansion considérable tant par leur nombre que par l'étendue de leurs activités Des organismes comme la Société de développement de l'Ontario (créée en 1966) l'Alberta Opportunity Company (créée en 1972) et la British Columbia Development Corporation (créée en 1973) se sont vus confier comme rôle premier de fournir des crédits dans le but de stimuler le développement et la diversification de l'activité industrielle. Dans certains cas cependant ces sociétés ont été autorisées à offrir une plus vaste gamme de services y compris des conseils en gestion et des services d'aide pour l'obtention d'installations convenables. L'Industrial Estates Limited de Nouvelle-Écosse et la Manitoba Development Corporation avaient acquis des participations dans plusieurs sociétés dans le cadre de leurs activités de développement. La Manitoba Development Corporation était propriétaire seule ou avec d'autres de quelque 15 sociétés au moment de sa liquidation en 1977. La nationalisation de la BC Electric Corporation Limitée en 1961 constitue un exemple d'effort plus direct visant à employer l'entreprise publique comme moyen de promouvoir des objectifs de développement au niveau provincial. Les déclarations faites à l'époque par le Premier ministre Bennett laissent entendre que la prise de contrôle se justifiait par la disparité de traitement fiscal des services publics et privés d'utilité publique; en régime de propriété publique l'entreprise échappait à l'impôt fédéral sur le revenu auquel était assujettie l'entreprise privée. La nationalisation permettait également - et c'est peut être là un point encore plus important - de mettre en valeur le potentiel énergétique de la rivière La Paix. Ce projet qui était important pour le gouvernement risquait de demeurer en plan tant que sa réalisation serait tributaire des ventes d'énergie à un service privé d'utilité publique. L'achat de la société Pacific Western Airlines (PWA) par le gouvernement de l'Alberta en 1974 ajoute une autre perspective au rôle de l'entreprise publique comme moyen de protection et de promotion des intérêts provinciaux. La prise de contrôle fut déclenchée par la crainte que la PWA passe aux mains de la compagnie White Pass and Yukon Railroad qui avait des intérêts importants dans le transport le long du littoral de la ColombieBritannique et au Yukon. Une telle éventualité risquait de favoriser l'établissement de nouvelles liaisons aériennes depuis la Colombie-Britannique vers le Yukon les Territoires du Nord-Ouest et l'Alaska ce qui aurait pu menacer la position de l'Alberta comme «porte d'entrée du Nord». Puisque les transports aériens relèvent de la compétence fédérale le gouvernement de l'Alberta n'avait pas la possibilité de recourir à la législation ou a la réglementation; la propriété publique constituait alors une précieuse voie d'intervention permettant à ce dernier d'exercer une influence sur l'évolution de l'industrie du transport aérien. L'un des développements les plus marquants de la période récente a été l'avènement d'un grand nombre de sociétés provinciales dans le secteur de l'exploitation des ressources. La montée rapide des prix des ressources au début des années 70 a fait prendre conscience aux gouvernements de la valeur de leurs ressources et de la nécessité de veiller à ce qu'elles soient exploitées de manière à servir les intérêts à long terme de leur population. L'exonération fiscale dont jouissent effectivement les entreprises publiques a donné encore plus d'attrait à cette formule aux yeux des gouvernements provinciaux qui n'appréciaient pas que le gouvernement fédéral mette la main sur une part des recettes tirées des ressources. Des sociétés comme la Saskatchewan Oil and Gas (établie en 1973) la Saskatchewan Mining Development Corporation (créée en 1974) et la Manitoba Mineral Resources Limitée (formée en 1971) ont donne à ces deux provinces le moyen d'exercer un plus grand contrôle sur la mise en valeur de leurs ressources et de s'affranchir des multinationales étrangères. Ces entreprises représentaient aussi une source éventuellement importante de recettes au titre des ressources. La Société de l'énergie de l'Ontario (créée en 1975) a permis au gouvernement ontarien de participer à un certain nombre de projets énergétiques d'envergure et d'appuyer la mise en valeur de nouvelles sources d'énergie et le développement de technologies nouvelles. L'Alberta Energy Company a été établie en 1974 selon la formule de l'entreprise mixte dans le but de donner aux Albertains la possibilité de participer directement à la propriété des ressources de la province. Enfin on a aussi fait appel à l'entreprise publique à l'occasion de certains conflits difficiles en matière de ressources. La création de la Potash Corporation of Saskatchewan (en 1975) a constitué la solution au différend qui opposait les autorités provinciales et les entreprises privées et dans le cadre duquel la constitutionnalité des politiques du gouvernement en matière de fiscalité et de réglementation avait été contestée devant les tribunaux. La British Columbia Petroleum Corporation fut créée en 1973 en réponse au conflit qui opposait la province d'une part et le gouvernement fédéral et l'Office national de l'énergie de l'autre sur le prix de vente des exportations de gaz de la Colombie-Britannique. Comme dans plusieurs autres cas l'entreprise publique n'a pas été le premier choix retenu par les décideurs mais elle est apparue comme une formule de rechange intéressante devant les limitations inhérentes aux autres instruments d'intervention. Conclusion. On dit souvent que le recours à l'entreprise publique au Canada est un reflet du pragmatisme politique traditionnel de notre pays. L'entreprise publique n'a jamais été considérée au Canada comme le véhicule de changement social et économique qu'il a été par exemple à certaines époques de l'histoire de l'Angleterre et de la France. L'entreprise publique a rarement été utilisée pour embrasser tout un secteur comme cela s'est vu en Grande-Bretagne entre 1945 et 1951 avec la nationalisation des secteurs de l'énergie des transports et de l'acier. Et les Canadiens n'ont jamais mis le même accent que les Britanniques ou les Français sur les politiques horizontales visant l'ensemble du secteur nationalisé et destinées à assurer que les sociétés d'État contribuent à des objectifs gouvernementaux plus vastes en matière de croissance et d'affectation des ressources. En même temps on aurait tort de minimiser l'influence des idéologies politiques et de la conception générale que l'on se fait du rôle qui revient à l'État dans l'économie canadienne. La propriété gouvernementale serait beaucoup moins facilement acceptée au Canada sans l'influence d'une certaine notion de l'«interventionnisme positif de l'État». Au-delà de ces considérations l'élection de gouvernements voués à une expansion du rôle de l'État a, à certaines époques fourni de nouvelles occasions de recourir à l'entreprise publique. L'évolution des idées à cet égard au fil du temps a aussi eu une influence significative. Alors que la propriété publique a souvent été un instrument de dernier recours durant la période qui a précédé la Deuxième Guerre, elle est devenue dans les années 60 et 70 une forme d'intervention de plus en plus populaire Au cours des dernières années les perceptions ont continué à évoluer. Le rythme auquel on a créé de nouvelles entreprises publiques a sensiblement ralenti dans les années 80. Certaines de celles dont nous avons fait mention dans notre historique ont été vendues alors que plusieurs autres sont candidates à la privatisation. Les changements d'objectifs et de priorités au sein des gouvernements ne sont pas étrangers à ces développements. Mais ceux-ci nous incitent également à penser que les raisons qui servent à justifier la création d'entreprises publiques doivent être examinées de plus près. Les sociétés d'État n'ont peut-être pas réussi aussi bien qu'on l'avait souhaité à atteindre certains objectifs liés à des politiques particulières ou elles ont pu coûter beaucoup plus cher que prévu. C'est à un examen de ces questions que nous consacrerons les chapitres qui suivent en nous demandant notamment si les fonctions attribuées aux entreprises publiques sont réalistes et appropriées. 3- Les paramètres de l'analyse. Notre analyse historique a montré que les entreprises publiques ont été créées dans des circonstances très diverses et en vue d'atteindre un large éventail d'objectifs. Dans le présent chapitre nous nous proposons d'élaborer un plan qui servira à orienter notre démarche dans l'examen de ce sujet à la fois vaste et complexe. Nous commençons par poser trois questions fondamentales auxquelles doit viser à répondre toute analyse systématique de l'intervention de l'État dans l'économie. Dans la seconde partie du chapitre nous examinons certaines caractéristiques générales de l'entreprise publique qui aideront à déterminer dans quels cas celle-ci peut constituer un instrument approprie de la politique gouvernementale. Nous tentons ainsi de combler une lacune qui découle de l'absence de paramètres acceptables pour évaluer le rôle de l'entreprise publique. Le présent chapitre sert d'entrée en matière aux chapitres 4 à 7 où nous utilisons des études de cas pour examiner les possibilités et les déficiences de cet instrument dans des contextes particuliers. L'analyse contenue dans le présent chapitre ne porte que sur les entreprises dont l'État a la propriété exclusive. Les considérations propres aux entreprises mixtes seront abordées dans un chapitre subséquent. Trois questions fondamentales. L'évaluation de toute forme d'intervention gouvernementale soulève certaines questions fondamentales. - Quelle est la raison de l'intervention gouvernementale et celle-ci est-elle toujours justifiée dans les circonstances actuelles? - L'instrument choisi pour appliquer la politique est-il approprié? - Les mécanismes de gestion et de contrôle au sein du gouvernement sont- ils conçus de façon à tirer tous les avantages possibles de l'intervention? Comme ces questions sont au centre de notre analyse des entreprises publiques il est important de les approfondir quelque peu. Quelle est la raison de l'intervention gouvernementale et celle-ci est- elle toujours justifiée? L'intervention gouvernementale en général et le recours à l'entreprise publique en particulier sont motivés par de nombreux facteurs. Les entreprises publiques comme es autres instruments de la politique économique servent à protéger la société contre les disparités de traitement que le marché engendre parfois ainsi qu'à indemniser ceux qui en sont victimes. Dans ce contexte l'entreprise publique joue un rôle comparable à celui de divers programmes d'aide et de subventions et de certaines formes de réglementation protectrice. Il s'agit simplement d'un moyen par lequel le gouvernement peut remédier au problème qui se pose lorsque les mécanismes du marché tout en étant efficaces produisent des résultats inacceptables sur le plan social. Les considérations économiques sont rarement les seules raisons qui motivent l'intervention gouvernementale bien qu'elles soient souvent parmi les plus importantes. Il est généralement admis que l'intervention gouvernementale peut être justifiée quand le jeu des forces du marché, laissé à lui-même ne permet pas de réaliser une affectation efficiente des ressources de la société. Par exemple des problèmes peuvent surgir du fait que la technologie de production est de nature à favoriser la domination du marché par une seule entreprise ou un petit nombre de grandes entreprises. Le fonctionnement d'un marché peut également être jugé insatisfaisant si des personnes qui n'y participent pas directement en recueillent des avantages ou en supportent certains coûts phénomène qui donne lieu à ce que l'on appelle des «externalités». Le marché s'avère aussi un mécanisme imparfait lorsqu'il s'agit de fournir des services que l'on ne peut s'approprier - tels que la défense nationale - ou dont les avantages reviennent à tous les membres de la société qu'ils soient ou non disposés à en assumer les coûts. Par ailleurs, une bonne partie des mesures économiques prises par le gouvernement visent à compenser les fluctuations de l'activité économique qui entraînent des niveaux de prix et de chômage inacceptables. La définition des objectifs des sociétés d'État est souvent compliquée par l'existence de plusieurs éléments de justification et par le fait que ceux-ci ont tendance à évoluer avec le temps. Bien entendu toute évaluation de l'intervention gouvernementale doit s'appuyer sur une bonne compréhension des principaux buts poursuivis. Dans notre analyse nous examinons les raisons économiques de l'intervention de l'État mais nous ne remettons pas en question le bien-fondé des objectifs sociaux des entreprises publiques. Nous tentons seulement de voir si ces objectifs sont effectivement poursuivis et si l'État lui-même juge qu'il est encore pertinent et important de les poursuivre. L'instrument choisi pour appliquer la politique est-il approprié? En supposant que l'objectif d'une politique soit approprié il reste à savoir si une entreprise d'État constitue le meilleur moyen d'atteindre cet objectif. Une autre forme d'intervention permettrait-elle d'accroître les avantages nets de cette politique pour la société? Par exemple si l'objectif visé est de fournir des services de transport peu coûteux à certaines collectivités rurales la création d'une entreprise gouvernementale est-elle la solution qui convient le mieux dans les circonstances? Le versement d'une subvention aux entreprises du secteur privé ne permettrait-il pas d'obtenir les mêmes résultats à un coût moins élevé en tenant convenablement compte de tous les effets directs et indirects? La plupart des objectifs que se fixent les pouvoirs publics peuvent être poursuivis par différents moyens. Les objectifs à caractère social par exemple une politique de redistribution peuvent être atteints par la création d'entreprises publiques par la réglementation ou par des programmes de subventions; ces deux derniers moyens permettent également d'atteindre des objectifs établis en fonction de diverses déficiences du marché. Ainsi dans un secteur d'activité où il ne serait pas rentable d'avoir plus d'un fournisseur (c'est-à-dire là où il y a monopole naturel) le pouvoir associé au monopole peut être contrôlé en recourant à la réglementation ou à la propriété publique. Lorsque les avantages que présente une activité pour la société sont supérieurs à ceux qu'en tire le secteur privé (c'est-à-dire lorsqu'il y a des externalités positives) le gouvernement peut choisir de poursuivre lui-même l'activité en question ou d'accorder des subventions pour inciter le secteur privé à y jouer un plus grand rôle. Lorsque des biens ou des services font l'objet d'une consommation collective leur production doit être financée - mais non nécessairement assumée - par le secteur public; l'État peut produire ces biens «collectifs» ou en confier la production par contrat au secteur privé. Puisque différentes solutions peuvent être appliquées l'efficience et l'efficacité des entreprises publiques ne peuvent être évaluées de manière isolée; au contraire elles doivent être comparées à celles des autres instruments d'application des politiques. Dans de nombreux cas cette opération est compliquée par l'insuffisance de données empiriques sur l'efficacité des divers instruments. Il est donc particulièrement important de bien connaître les facteurs qui peuvent influer sur les coûts et l'efficacité d'une entreprise publique avant d'entreprendre une évaluation axée sur cette deuxième question fondamentale. Dans la seconde partie du chapitre nous tenterons de définir les paramètres pertinents à une telle analyse. Les mécanismes de gestion et de contrôle sont-ils bien conçus? Une critique souvent formulée à l'endroit des entreprises publiques est qu'elles ne sont pas soumises à un contrôle adéquat. Des réformes ont récemment été apportées par divers gouvernements mais elles n'ont pas diminué l'intérêt suscité par le sujet ni supprimé le besoin de l'étudier et d'en discuter davantage. Une même question fondamentale se pose pour toutes les organisations où il y a délégation de certains pouvoirs décisionnels: comment peut-on faire en sorte que la partie à qui le pouvoir est délégué (l'agent) agisse loyalement au nom de la partie qu'elle est censée représenter (le mandant)? Quand l'agent n'a pas les mêmes préférences que le mandant et qu'il dispose de renseignements que n'a pas le mandant ce dernier doit recourir à un quelconque système de contrôle. Dans le cas d'une entreprise publique il faut prévoir des mécanismes qui garantissent que le gestionnaire de la société - l'agent - connaît bien les objectifs du gouvernement et est motivé à les poursuivre. Cette considération mène à l'examen des directives des modalités de surveillance ainsi que des programmes d'incitation à l'intention des gestionnaires dans le cadre desquels les traitements sont fonction du rendement de l'entreprise. Le problème du contrôle des entreprises publiques est d'autant plus complexe qu'on leur assigne des objectifs multiples. Les fonctions non commerciales des entreprises d'État peuvent être contradictoires et difficiles à quantifier tout comme elles peuvent aller à l'encontre de l'objectif de maximisation des profits. En outre les objectifs évolueront en fonction des préférences politiques et des renseignements acquis sur les coûts et les avantages relatifs de diverses activités. Une autre différence entre les entreprises publiques et privées - qui vient compliquer davantage les chosesdécoule du fait que le ministre que nous avons appelé le mandant doit lui-même rendre compte de l'exercice des pouvoirs qui lui sont confiés. La question de la responsabilité ministérielle déborde le champ d'analyse des entreprises publiques mais nous devons considérer certains aspects qui ont trait aux rapports entre les ministres et les sociétés qui relèvent de leur responsabilité. L'entreprise publique et les autres instruments de politique. Un des objectifs de la présente étude est de contribuer à préciser dans quelles conditions l'entreprise publique est la forme d'intervention gouvernementale qui convient le mieux. Pour quels types d'objectifs et dans quelles circonstances l'entreprise publique sera-t-elle généralement plus efficace et moins coûteuse que la réglementation les subventions ou les stimulants divers? La réponse à cette question dépend des différences d'ordre juridique politique et structurel entre l'entreprise publique et les autres instruments de politique. Dans certains cas les moyens à prendre sont détermines par les contraintes qui se posent de sorte que le gouvernement n'a guère de choix au niveau du mode d'intervention. Par exemple l'entreprise publique peut être le seul moyen à la portée d'un gouvernement provincial pour exercer une certaine influence dans un domaine d'activité donné. Dans d'autres cas la propriété publique peut avoir une fonction symbolique que n'ont pas les autres outils d'intervention. Les gouvernements disposent habituellement d'un certain nombre de possibilités; chaque outil d'intervention génère toutefois des retombées et des coûts qui lui sont propres. Nous pouvons maintenant passer à l'examen des caractéristiques d'une entreprise publique qui permette de déterminer dans quelles circonstances ce mode d'intervention est susceptible de convenir. Tel que mentionné les avantages que présente l'entreprise publique par rapport aux autres instruments d'intervention dépendront en règle générale des différences d'ordre juridique politique et structurel qui existent entre eux. Le recours à l'entreprise publique suppose que deux choix organisationnels ont été faits: d'abord celui de confier une activité au secteur public plutôt qu'au secteur privé et deuxièmement celui d'adopter le modèle de la société d'État plutôt que celui du ministère pour encadrer cette activité. L'analyse qui suit aborde chacune de ces deux possibilités. Choisir entre la production publique ou privée de biens et services. Lorsque la réalisation de certains objectifs sociaux ou économiques rend nécessaire la production de biens ou de services les gouvernements doivent choisir entre la création d'une entreprise publique et le recours au secteur privé. Les deux possibilités s'offrent dans le cas des «biens publics» comme nous l'avons signalé. En outre dans les situations de monopole naturel les pouvoirs publics peuvent décider de remédier aux imperfections du marché en assurant eux-mêmes la production du bien ou du service en cause ou en élaborant une réglementation à laquelle sera assujetti un producteur privé. Même lorsque le secteur public prend lui-même en charge la production il peut recourir à la sous-traitance pour de nombreux biens et services intermédiaires. Toutefois le choix entre «faire et faire faire» doit être considéré dans un contexte plus large où la décision de «faire faire» peut signifier non seulement l'acquisition de biens et services mais aussi la modification du comportement des agents sur le marché. Elle engloberait donc les programmes destinés par exemple à stimuler la création d'emplois ou la recherche et le développement. Quand est-il préférable de «faire» plutôt que de «faire faire»? Diverses considérations mettent ici en évidence les rôles multiples que l'entreprise publique est appelée à jouer en tant qu'instrument de la politique de l'État participant sur le marché et élément du processus politique. Chacun de ces aspects est aborde dans les sections qui suivent. Obstacles aux transactions entre les secteurs public et privé. D'abord en ce qui a trait au rôle que doit jouer l'entreprise publique dans la réalisation des objectifs (non commerciaux) de l'État l'expérience acquise dans le secteur prive semble montrer que la prise en charge par le gouvernement de la production des biens et services dont il a besoin n'est justifiée sur le plan économique que lorsqu'il y a de sérieux problèmes d'approvisionnement sur le marché. S'il existe des marchés concurrentiels qui fonctionnent bien l'approvisionnement à l'extérieur sera en règle générale la solution préférable. Les transactions commerciales permettront aux entreprises de tirer pleinement parti des économies d'échelle possibles et d'éviter les problèmes de contrôle interne que feraient autrement surgir les efforts déployés en vue d'accroître et de diversifier la production. L'approvisionnement sur le marché peut toutefois poser un certain nombre de problèmes inhérents à la nature des contrats et qui font que cette option peut parfois s'avérer coûteuse. Dans certaines circonstances l'approvisionnement auprès de fournisseurs de l'extérieur entraîne de sérieux problèmes de mesure et d'évaluation. Il arrive parfois que le gouvernement ne puisse conclure un marché parce qu'il lui est impossible de préciser suffisamment la nature des biens ou services dont il a besoin; la conclusion d'un accord incomplet ou imprécis pourrait avoir des conséquences socialement inacceptables au niveau de la production. De telles difficultés empêchent par exemple de céder à contrat la prestation des services d'enseignement. Un arrangement contractuel en vertu duquel les montants à verser seraient fonction du nombre de diplômés risquerait de fausser les décisions d'une entreprise privée en ce qui a trait tant aux critères d'admission qu'à la nature de la formation donnée. Par ailleurs il peut être difficile de préciser les dispositions d'un contrat en raison d'un degré d'incertitude élevé. Ainsi un accord dans lequel les parties auraient tenté de prévoir toutes les éventualités pourrait s'avérer si complexe qu'il serait extrêmement difficile à exécuter. Une autre série de problèmes découle de l'absence d'un marché concurrentiel pour la prestation de biens et services devant faire l'objet d'un contrat. Cette situation peut se produire quand l'objectif poursuivi par l'État est très circonscrit. Si par exemple le gouvernement veut assurer la survie d'un producteur ou encourager la mise au point d'une technique propre à une entreprise il n'y a évidemment aucune place pour la concurrence. C'est également le cas lorsque le contrat exige que l'entreprise privée s'engage à long terme en faisant un investissement considérable dans un élément d'actif très spécialisé. Il peut ainsi y avoir concurrence au stade de l'adjudication du marché mais une fois que l'investissement spécialisé est fait le gouvernement et l'entreprise privée se trouvent dans un état de dépendance réciproque. Prenons par exemple une municipalité qui décide de céder à contrat les services d'épuration des eaux. Plusieurs entreprises peuvent être invitées à soumissionner mais une fois l'usine construite la municipalité et l'entreprise choisie se trouvent associées pour une assez longue durée. Lorsqu'il n'y a qu'une seule voie de solution les parties au contrat sont exposées à des risques importants et elles consacreront des ressources considérables en vue de réduire leur vulnérabilité. Le gouvernement pourrait se trouver dans une situation semblable lorsque l'entreprise avec laquelle il s'est associé réalise d'importants avantages au niveau des coûts. De tels avantages peuvent découler du fait que l'entreprise s'est installée dans un endroit unique ou que ses gestionnaires et ses employés ont pu acquérir des connaissances et des aptitudes en rapport avec l'activité en cause. Lorsque ces avantages sont importants et que des imperfections du marché empêchent le transfert des facteurs pertinents les parties peuvent se trouver dans une situation comparable à celle qui prévaut dans le cas de l'investissement spécialisé. Encore une fois le gouvernement pourrait être dans l'impossibilité de mettre fin au contrat dans l'éventualité d'un rendement insatisfaisant. Faire appel au marché risque donc d'être un choix coûteux dans les conditions suivantes: lorsque le produit demandé pose de sérieux problèmes de mesure et d'évaluation lorsque l'objectif de la politique est d'assurer la survie d'une entreprise particulière et lorsque l'accord lie les parties du fait qu'il donne lieu à des investissements irrécupérables ou à des avantages substantiels sur le plan des coûts. Le recours à une entreprise du secteur public peut constituer une solution appropriée dans de telles circonstances. Cette voie permet d'éviter les problèmes de spécification et de mesure de la production. Elle permet une adaptation méthodique et graduelle aux circonstances nouvelles ce qui constitue un avantage lorsqu'il est nécessaire de s'engager à long terme dans des conditions très incertaines. Elle permet enfin au gouvernement d'avoir accèsen qualité de propriétaire - à des renseignements très variés sur le rendement de l'entreprise ce qui est aussi un avantage si l'on considère que l'octroi d'un contrat serait caractérisé par un manque de concurrence et les risques inhérents à l'absence d'autres fournisseurs. La nature et la complexité des problèmes associés à l'adjudication d'un contrat détermineront dans quelle mesure la production par une entreprise du secteur public contribuera à réduire les coûts. Lorsqu'un marché exige un investissement spécialisé à long terme il est nécessaire d'évaluer l'importance de cet investissement par rapport au coût total du projet. L'opportunité de recourir au secteur public dépendra également de la fréquence des achats. Si l'on prévoit n'acquérir qu'occasionnellement le bien ou le service en cause il ne sera sans doute pas économiquement avantageux de construire des installations de production spécialisées même si le recours à la sous-traitance est coûteux. La durée du contrat est un autre facteur à prendre en considération. Bien que l'on puisse éprouver de la difficulté à faire respecter un contrat les pertes qui en résultent peuvent être relativement peu importantes si le contrat peut être résilié à brève échéance et si l'on peut procéder à un nouvel appel d'offres. L'efficience de l'entreprise publique et de l'entreprise privée sur le plan commercial. La plupart des entreprises publiques se livrent à des activités de nature commerciale tout en poursuivant des objectifs non commerciaux liés à la politique de l'État. Dans la présente section l'analyse porte sur les activités qui ont un caractère commercial. Il existe de nombreuses études sur les différents facteurs qui influent sur l'efficience des entreprises publiques et privées. Le thème qui revient le plus souvent dans ces travaux est celui du rapport entre le mandant et l'agent que nous avons mentionné précédemment. Tant les entreprises publiques que les sociétés privées comptant un grand nombre d'actionnaires sont exposées au risque qu'il y ait divergence entre les objectifs des propriétaires et ceux des gestionnaires d'où la nécessité de prévoir des mécanismes qui garantiront que les décisions des gestionnaires (agents) seront conformes aux intérêts des propriétaires (mandants). Dans le secteur privé il existe un certain nombre de modalités de contrôle inhérentes aux mécanismes du marché. Ainsi le marché boursier fournit une évaluation des conséquences des décisions prises par les gestionnaires; la rémunération et les possibilités de carrière des gestionnaires sont liées au rendement de l'entreprise; la présence d'un conseil d'administration permet une évaluation indépendante des décisions des gestionnaires; et la possibilité d'effectuer une prise de contrôle constitue pour les actionnaires mécontents et les investisseurs de l'extérieur, un moyen de changer l'orientation et de remplacer la direction d'une entreprise. Les gestionnaires du secteur public ne sont pas astreints à la discipline qui résulte de la possibilité d'un transfert de propriété et de l'existence de marchés de capitaux concurrentiels. D'autres mécanismes disciplinaires existent toutefois. Ceux-ci découlent des institutions et des forces qui constituent le processus de contrôle dans un État démocratique. Les ministres et leurs représentants ont la responsabilité de surveiller le rendement des gestionnaires. Pour s'acquitter de cette tâche ils ont l'aide de conseils d'administration de vérificateurs indépendants de comités parlementaires et d'institutions telles que les médias et les groupes d'intérêt public. Nous examinerons plus à fond ces mécanismes de contrôle dans les chapitres 8 et 9. Dans l'évaluation de l'efficience commerciale des entreprises publiques et privées il faut tenir compte des coûts inhérents à l'administration des systèmes de contrôle et de leur efficacité. Pour ce qui est du premier aspect il est certain que le grand nombre de personnes qui participent aux décisions dans le secteur public entraîne des coûts considérables. Cette situation n'est ni étonnante ni inacceptable a priori; elle n'est qu'une conséquence du processus d'élaboration des politiques dans un système démocratique. La création d'une entreprise publique a pour but de réduire le nombre de personnes qui prennent individuellement des décisions mais comme la délégation des pouvoirs n'est généralement que partielle L'entreprise publique demeure jusqu'à un certain point vulnérable aux faiblesses qui sont associées à la grande taille d'une organisation dans le secteur public. L'efficacité des mécanismes de contrôle dans le secteur public dépendra dans une large mesure de la nature de la surveillance exercée par les personnes à qui cette tâche est confiée. Les fonctionnaires et les politiciens sont effectivement incités à bien s'acquitter de leur fonction de surveillance mais le poids des pressions qui s'exercent sur eux dépend de la nature du marche dans lequel chacun évolue: le marché des postes de gestionnaire dans la Fonction publique le marché des postes de ministre dans le parti au pouvoir et celui de la députation. Dans la plupart des cas la nature des récompenses et des punitions est telle que les personnes en cause auront plus à perdre qu'à gagner si elles ne s'acquittent pas convenablement de leur fonction de surveillance. Il n'est donc pas évident que les gestionnaires d'entreprises publiques ont plus de latitude que leurs homologues du secteur privé. Il est par ailleurs difficile de trancher cette question de façon empirique et les données disponibles doivent être interprétées avec prudence. D'après les résultats d'études effectuées dans divers pays la propriété n'est pas toujours un facteur déterminant dans l'évaluation du rendement commercial. Même si le rendement des entreprises publiques n'est pas toujours inférieur à celui des entreprises privées il y a des circonstances dans lesquelles ce phénomène a davantage tendance à se produire. Nous reviendrons sur cet aspect afin de l'approfondir davantage au moment d'examiner la performance de certaines entreprises publiques dans des secteurs particuliers. La différence entre les «actionnaires» publics et privés. En comparant les activités commerciales de l'État à celles d'une société privée, il faut considérer les conséquences des unes ou des autres pour les investisseurs impliqués Lorsque les particuliers investissent leurs propres économies sur le marche des titres, ils dé terminent la taille du portefeuille qu'ils souhaitent détenir et structurent celui-ci en fonction des risques qu'ils acceptent de courir Les actionnaires des entreprises publiques n'ont pas la possibilité d'investir selon leurs besoins et leurs préférences. Les Canadiens de toutes les provinces sont forcés de «détenir des actions» dans des entreprises publiques. Cette contrainte entraîne un coût supplémentaire qui doit être assumé lorsque l'État entreprend des activités qui pourraient être confiées à l'entreprise privée. L'incidence différente de l'entreprise publique et de l'entreprise privée au niveau des politiques. Dans les chapitres qui suivent, nous verrons que, pour bien évaluer les activités et le rendement de certaines entreprises publiques, nous devons regarder au-delà de ce qui les caractérisent comme instruments de la politique gouvernementale. Les entreprises publiques sont plus que des instruments passifs de la politique de l'État; elles jouent un rôle important et déterminant dans le processus politique. Le point en cause ici est la capacité de l'entreprise publique d'influer sur l'équation politique qui se pose aux décideurs et, par conséquent, d'agir sur la nature et la portée de l'intervention gouvernementale. Cette dynamique comporte deux aspects importants. Le premier aspect qu'il convient d'examiner est la possibilité que l'entreprise publique devienne une entité politique importante. L'appui dont bénéficie une entreprise lui vient notamment de ses gestionnaires et de ses employés, qui ont tout intérêt à déployer beaucoup d'efforts dans des activités susceptibles d'accroître la production. Mais cet appui peut également venir de ministres et de groupes au sein de la Fonction publique qui ont joué un rôle dans l'élaboration des politiques ayant mené a la création de l'entreprise ou ayant favorisé son expansion par la suite. Lorsque les personnes qui sont chargées d'élaborer une politique se font personnellement les promoteurs d'une entité particulière, indépendamment des objectifs globaux qui ont présidé à sa création, le processus décisionnel risque d'être marqué de partialité. Cette partialité peut non seulement faire sentir ses effets sur la production de l'entreprise publique mais aussi au niveau de la réglementation, de la politique d'achat de l'État ainsi que de l'attitude générale du gouvernement envers certains secteurs de l'économie. Elle peut également avoir des répercussions importantes sur l'efficience des entreprises privées évoluant dans une industrie ou un secteur donné. Cette éventualité ne se pose pas seulement lorsqu'on a recours à l'entreprise publique. L'utilisation d'autres instruments aura tendance à favoriser des intérêts particuliers autant dans le secteur privé que dans l'administration publique. A cet égard, il est utile de rappeler la distinction que nous avons faite entre les objectifs d'une politique pour lesquels il est nécessaire de contracter un engagement à long terme avec un producteur particulier et les besoins auxquels il est possible de répondre par un appel d'offres. Dans ce dernier cas, des pressions politiques se feront sans doute sentir, mais elles seront probablement beaucoup plus diffuses en raison de la diversité des intérêts en présence. En outre, les intérêts des fonctionnaires et des politiciens sont moins susceptibles d'être liés au sort d'une société en particulier. Il en ressort que les considérations politiques joueront souvent dans le même sens que les considérations structurelles lorsque ces dernières font pencher la balance en faveur de la solution du marché. Mais quand on ne peut faire intervenir la concurrence et qu'il faut s'en remettre à une entreprise publique ou conclure un accord à long terme avec une société privée, il importe de tenir compte de la possibilité que le processus d'élaboration des politiques soit biaisé. Le deuxième aspect de nature politique de la décision de «faire» ou de «faire faire» a trait à l'incidence du recours à l'entreprise publique au niveau des coûts «politiques» de l'intervention gouvernementale et, par conséquent, à la portée de cette intervention. En influant sur la production et les prix, les pouvoirs publics peuvent obtenir, indirectement, des résultats qu'il serait très difficile d'atteindre - pour des raisons politiques - par les moyens d'intervention plus directs qu'il faut employer lorsqu'il s'agit de capitaux privés. L'entreprise publique devient un outil d'intervention discret lorsqu'elle permet de modifier des objectifs sans attirer l'attention du public ou susciter un débat, et que les coûts de l'opération peuvent être absorbés à même le budget de l'entreprise. Dans ce cas, les ressources nécessaires sont obtenues par voie d'interfinancement - les activités rentables de l'entreprise contribuant à financer celles qui ne le sont pas. Ainsi, les coûts des activités consacrées à la poursuite d'objectifs particuliers ainsi que l'étendue des effets redistributifs concomitants sont moins visibles. Un instrument souple et facilement adaptable aux besoins du gouvernement présente des avantages certains. Toutefois, beaucoup estimeront inacceptable de masquer en quelque sorte une politique gouvernementale de façon à la soustraire à l'évaluation ou au débat. Le désir de donner le plus de latitude possible aux responsables de l'élaboration des politiques peut également donner lieu à des arrangements administratifs fort différents de ceux qui s'imposent pour que la production d'un bien ou d'un service par l'État lui-même soit organisée de manière efficace. L'importance accordée aux canaux de communications non officiels et la réticence à définir des objectifs clairs permettent peut-être aux ministres de conserver une certaine marge de manoeuvre mais elles compliquent beaucoup la fonction de surveillance. Dans une évaluation de ces pratiques, il faut aussi considérer la possibilité qu'un recours à l'entreprise publique, si coûteuse soit-elle, puisse être préférable à toute autre solution. Par exemple, même si une formule fondée sur des subventions directes est généralement préférable à l'interfinancement, elle peut s'avérer politiquement impraticable. De même, la seule solution de rechange à l'entreprise publique peut être l'adoption d'une réglementation détaillée, qui provoquerait des distorsions encore plus marquées et entraînerait des coûts plus élevés. Certes, on s'en remet souvent à l'entreprise publique de façon plutôt informelle, mais il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi. Le recours à une société d'État plutôt qu'à un ministère peut contribuer à une plus grande ouverture et à une plus grande imputabilité, ce qui nous amène à considérer la deuxième dimension importante du choix d'un instrument de politique. Le choix entre une entreprise publique et un ministère. Lorsqu'il est préférable de «faire» plutôt que de «faire faire», L'entreprise publique constitue-t-elle la forme d'organisation de la production la plus efficace? Comme nous l'avons noté dans le chapitre précédent, un facteur essentiel qui distingue le ministère de l'entreprise publique est que cette dernière est assujettie à une surveillance politique moins étroite. La délégation des responsabilités qui se produit dans le cadre d'une entreprise publique peut incontestablement présenter des avantages importants. Dans toute grande organisation, il importe de réduire le nombre de décisions que doit prendre la haute direction. En déléguant à divers niveaux de la hiérarchie le pouvoir décisionnel sur les questions d'ordre technique ou opérationnel, la haute direction peut s'occuper de questions plus vastes ayant une portée à plus long terme. En outre, il est probablement plus avantageux de régler les problèmes près de la source; la probabilité que des instructions soient perdues ou déformées est moins grande lorsque celles-ci remontent moins loin dans la filière hiérarchique. Pour qu'une entreprise publique représente une solution efficiente, il faut toutefois que ces avantages soient supérieurs aux coûts inhérents a la délégation des pouvoirs décisionnels. Ces coûts correspondent aux ressources qui doivent être affectées à la surveillance de la gestion des entreprises publiques, y compris les pertes résultant du fait que cette surveillance est nécessairement incomplète. Encore une fois, il est utile de mettre à contribution l'expérience acquise dans le secteur privé. Le modèle de l'organisation fragmentée en unités multiples, que l'on trouve dans de nombreuses grandes sociétés diversifiées du secteur privé, repose sur une délégation des pouvoirs décisionnels semblable à celle qui a cours dans l'entreprise publique. Les entreprises ainsi organisées comportent de nombreuses divisions jouissant d'une grande autonomie, chacune correspondant à un produit, à une marque ou à une région géographique. Elles se distinguent des entreprises centralisées, plus classiques, dont l'organisation est structurée suivant les secteurs d'activité - par exemple, les ventes, la fabrication, la recherche ou les finances. Le nombre élevé de grandes sociétés qui sont structurées selon le modèle des divisions multiples constitue une preuve de l'efficacité de cette forme d'organisation. Celle-ci a permis de résoudre efficacement les problèmes posés par la taille et la complexité croissantes des activités des grandes sociétés. Les entreprises organisées en divisions multiples ont pu réaliser des économies suffisantes dans leurs opérations pour compenser plusieurs des déséconomies d'échelle inhérentes aux grandes entités. Le modèle d'organisation en divisions multiples présente un avantage important dans la mesure où il permet d'assouplir quelque peu les règles fort détaillées qui servent à contrôler les activités au sein d'une grande entreprise centralisée. Ces règles font obstacle a une gestion souple et hautement réceptive. C'est notamment le cas dans le secteur public ou presque toute activité est gouvernée par des règles - dont bon nombre ne conviennent absolument pas aux opérations commerciales. La délégation des pouvoirs dans le secteur public permet un certain allégement des contraintes imposées par les règles touchant les déboursés, les contrats, les acquisitions et la dotation en personnel. Les gestionnaires des entreprises publiques bénéficient donc davantage de la latitude nécessaire à la prise de décisions efficaces dans un contexte commercial. Grâce à cette plus grande liberté d'action, les entreprises publiques devraient pouvoir puiser à un plus vaste bassin de gestionnaires, dont des personnes possédant une haute compétence technique ou de grandes aptitudes au chapitre des relations humaines et qui, pour une raison ou une autre, ne seraient pas disposées ou aptes à travailler dans le cadre plus rigide d'un ministère. La séparation des fonctions résultant de la création d'une entreprise publique peut ainsi contribuer à l'amélioration de la gestion. Pour que la délégation soit efficace dans le secteur public, elle doit permettre aux gestionnaires de mettre à profit leurs connaissances et leur expérience pour prendre des décisions touchant la gestion et l'exploitation. Lorsque les décisions à prendre se rapportent à des questions de politiques et font appel au jugement politique, il n'est ni souhaitable ni approprié de déléguer les pouvoirs. La création d'unités quasi autonomes suppose donc que l'on peut faire une nette distinction entre les responsabilités en matière d'exploitation et celles qui se rapportent aux politiques. Dans un champ d'activité donné, le besoin d'orientation politique doit être suffisamment faible et les rapports entre celui-ci et d'autres domaines d'activité du secteur public assez flous pour qu'il soit possible de créer un sous-système distinct. Un autre impératif est que l'on puisse établir un système de renseignements et de contrôle qui contribuera à limiter les coûts de la délégation. S'il est très difficile et coûteux de s'assurer que les gestionnaires s'acquittent convenablement de leurs responsabilités, la délégation des pouvoirs n'est pas souhaitable. Le rendement de certaines activités du secteur public peut seulement être mesuré au niveau des intrants. En outre, la nature de certaines de ces activités est telle que toute défaillance dans leur déroulement serait très préjudiciable à l'intérêt public. La décentralisation rendrait alors nécessaire la mise en place d'un mécanisme de surveillance élaboré et coûteux qui, dans une large mesure, reproduirait le système de surveillance interne de l'entreprise. Ces considérations incitent à penser que, dans certains cas, il est nécessaire de créer des organisations distinctes pour les activités commerciales et non commerciales des entreprises publiques. Par exemple, il se peut que les activités d'une entreprise publique qui sont liées à l'application d'une politique se prêtent mal à la délégation des pouvoirs mais qu'il soit néanmoins très avantageux de disposer d'une entreprise pour les activités connexes à caractère commercial. Bien qu'il soit souhaitable de créer une entreprise publique dans ces circonstances, la nécessité de diriger et de contrôler étroitement les activités de l'entreprise qui ont trait aux politiques imposera nécessairement des limites à l'autonomie des gestionnaires. En règle générale, pour de nombreux types de services publics, les avantages de la délégation des pouvoirs sont susceptibles de l'emporter sur les coûts. Bien que le secteur public offre beaucoup de possibilités pour l'établissement d'unités d'exploitation quasi autonomes, les systèmes de contrôle mis en place sont souvent loin de permettre de réaliser tous les avantages qu'offre la délégation des pouvoirs. La création d'une entreprise publique quasi autonome peut non seulement contribuer à une plus grande efficience mais elle peut aussi comporter des avantages au plan politique. Le Cabinet se trouve ainsi soulagé des décisions d'ordre technique et opérationnel qu'il n'est pas en mesure de contrôler ou de prendre. Le fonctionnement d'un ministère et celui d'une entreprise publique supposent, pour les ministres, des responsabilités différentes, et cette distinction est établie depuis longtemps. En 1920, Arthur Meighen a fait état de cette différence en citant l'exemple de l'Intercolonial Railway, qui relevait d'un ministère, et des Chemins de fer nationaux du Canada, une entreprise publique. Dans le cas de l'Intercolonial Railway, tous les aspects de son fonctionnement étaient soumis à l'examen quotidien du Parlement qui pouvait obtenir une réponse à toute question ayant trait à l'exploitation de l'entreprise. Mais Monsieur Meighen jugeait tout à fait inconcevable d'appliquer un tel mode de gestion à l'immense réseau ferroviaire constitué par les Chemins de fer nationaux du Canada. Selon lui, on pouvait difficilement prétendre diriger une telle société de façon efficace si, chaque jour, ses activités étaient scrutées par le Parlement et exposées à ses concurrents. Conclusion. Dans les quatre chapitres qui suivent, nous examinerons les activités de certaines entreprises publiques et nous analyserons, dans chaque cas, les objectifs qu'elles poursuivent. Il importe de déterminer notamment si les objectifs établis pour une entreprise publique dans le cadre d'une politique demeurent pertinents ou s'il est nécessaire de les revoir en fonction de l'évolution de la conjoncture. En assumant qu'un objectif corresponde aux désirs du gouvernement, il reste à déterminer si l'entreprise publique est la solution qui convient le mieux. En faisant la comparaison entre l'entreprise publique et d'autres instruments d'application des politiques, il est nécessaire de mieux reconnaître les nombreuses caractéristiques de l'entreprise publique. Celle-ci chevauche à la fois le secteur public et le secteur privé, et elle présente par conséquent des caractéristiques propres à chacune de ces sphères d'activité fort différentes. Pour les fins de l'analyse, il est utile d'examiner les divers éléments constituants des entreprises publiques (comme nous l'avons fait dans la deuxième partie de ce chapitre). Toutefois, il faut garder à l'esprit que le tout représente davantage que la somme des parties; en cherchant à atteindre simultanément de nombreux objectifs et en tentant de résoudre les conflits et les tensions qui en découlent, les entreprises publiques acquièrent des traits de caractère et des comportements qui leur sont propres. Avant de se demander si l'entreprise publique est l'instrument le plus approprié, il f;lut d'abord établir s'il est souhaitable que la production des biens et services en cause soit assurée par le secteur public. Dans certains cas, il se pose des problèmes susceptibles de rendre difficile et coûteux un lien contractuel avec une entreprise privée en vue d'atteindre les objectifs d'une politique donnée. Toutefois, les avantages que présente l'entreprise publique peuvent être annulés, du moins en partie, par d'autres facteurs. Il est ainsi possible que des objectifs commerciaux soient poursuivis parallèlement à certaines politiques, et que l'entreprise publique soit beaucoup moins efficace dans son rôle commercial qu'une entreprise privée. Le choix d'une entreprise publique peut aussi influer sur le processus politique et avoir, par conséquent, des répercussions plus vastes. Lorsqu'il est souhaitable de réserver la production de certains biens ou services à une entreprise publique, il faut ensuite se demander si les décisions en matière d'exploitation peuvent être confiées à une entité quasi indépendante du secteur public. En règle générale, une société d'État sera préférable à un ministère s'il s'agit d'une activité commerciale. Il importe également de déterminer si l'entreprise publique est un modèle d'organisation compatible avec la nécessité d'assurer une orientation et un contrôle effectifs au niveau des politiques. Le bien-fondé de recourir à une entreprise publique doit être évalué en fonction de tous ces facteurs, en prenant en considération non seulement le rendement passé des entreprises de l'État mais aussi le rendement qu'elles pourraient avoir si des modifications étaient apportées à leur cadre de gestion et de contrôle. 6- L'entreprise publique comme instrument de la politique industrielle. A diverses occasions par le passé, le gouvernement fédéral et les provinces ont procédé à l'acquisition ou à la création d'entreprises commerciales en vue de promouvoir le développement industriel. Dans son sens le plus large, la politique industrielle signifie l'ensemble des mesures visant diverses industries ou secteurs que prend le gouvernement et qui influent sur l'évolution de la structure industrielle d'un pays. Bien que la fréquence et l'ampleur des interventions gouvernementales au niveau micro-économique se soient accrues sensiblement au cours des 25 dernières années, les pouvoirs publics au Canada ont depuis toujours poursuivi des politiques industrielles. Dans l'application de ces politiques, on a fait appel à la gamme complète des moyens dont peuvent disposer les autorités: impôts, réglementation, tarifs, subventions, prêts, cautions d'emprunt, propriété publique, et ainsi de suite. Le champ d'intervention de l'État s'est révélé extrêmement vaste. Les politiques industrielles sont issues de la perception qu'ont eue les gouvernements des imperfections du marché, ainsi que de la nécessité d'exercer une influence sur l'affectation des ressources dans le but de relever le niveau de vie et d'améliorer les perspectives d'emploi. Elles ont également été le reflet de préoccupations nationales ou locales particulières, telles que le désir de renforcer la propriété canadienne dans un secteur, d'élargir la base économique d'une région ou encore, de favoriser le développement de collectivités éloignées. Alors que certaines des politiques examinées dans d'autres chapitres peuvent être considérées comme des politiques industrielles, l'objet du présent chapitre est de faire une analyse de l'entreprise publique dans le contexte des modes d'intervention plus généralement associés à ce terme. Bien qu'elles ne s'y soient pas limitées, les politiques industrielles ont toujours été axées principalement sur le secteur de la fabrication. Les entreprises visées se trouvent habituellement en situation de concurrence et ne sont pas assujetties à une réglementation des prix ou de l'entrée - qui jouait un rôle si important dans le cas des entreprises étudiées aux chapitres 4 et 5. Les politiques industrielles se distinguent également par les deux grands principes sur lesquels elles reposent: d'une part, favoriser la prise de risques et l'amélioration de la productivité et de la compétitivité dans l'industrie canadienne et, d'autre part, faciliter l'adaptation et atténuer les difficultés qui découlent du changement économique. Ces deux principes ne s'opposent pas nécessairement. Ils peuvent tous deux constituer une réponse aux lacunes et aux imperfections du marché. De même, les mesures visant à aider les personnes touchées par les changements économiques peuvent rendre les objectifs de croissance économique plus acceptables et plus facilement réalisables d'un point de vue politique. Ces deux grands axes de la politique industrielle sont néanmoins suffisamment distincts pour fournir un cadre d'analyse utile. Dans ce chapitre, nous examinons le rôle de l'entreprise publique dans la promotion de la croissance et le soutien de ceux qui subissent les contrecoups du progrès économique. La première de ces fonctions (qui intéresse des entreprises comme la Société de développement du transport urbain, l'Énergie atomique du Canada Limitée, la Corporation de développement du Canada et les sociétés de Havilland et Canadair) est étudiée sous l'angle du rôle de l'État en tant qu'entrepreneur. La seconde fonction est abordée par l'examen d'un certain nombre de sauvetages d'entreprises opérés par le gouvernement (la Société de développement du Cap Breton, Sydney Steel Corporation et Fishery Products International). Dans le cadre de leurs politiques industrielles, les gouvernements ont eu recours non seulement à des sociétés en propriété exclusive, mais aussi à des entreprises mixtes (par exemple, la Corporation de développement du Canada, ainsi que certaines filiales de la Société générale de financement et de la Caisse de dépôt et placement du Québec). Cette dernière constitue, d'un certain point de vue, un instrument de politique distinct auquel nous consacrons une section du chapitre L'État entrepreneur. Dans cette section, nous portons notre attention sur les entreprises publiques dont la création est en partie attribuable à la perception d'une carence du marché des capitaux ou de l'esprit d'entreprise au Canada. Ces sociétés gouvernementales visent principalement à corriger ou à compenser les lacunes du marché que l'on considère comme un facteur de ralentissement de la croissance économique. Mais c'est rarement la le seul objectif poursuivi; le désir d'avoir une entreprise appartenant à des Canadiens dans un secteur important et de mettre en valeur les capacités du Canada sur le plan technologique ont joué un rôle important dans la formation d'un certain nombre de ces sociétés. Notre examen s'articulera autour d'objectifs particuliers, qui sont liés pour la plupart à des lacunes et carences perçues du marché. Dans chacun des cas, nous essaierons de déterminer, à l'aide du cadre élaboré au chapitre 3, si l'objectif en question est valable et, dans l'affirmative, si l'entreprise publique représente la meilleure solution. Nous citerons en exemple des entreprises particulières pour illustrer notre propos aux diverses étapes de l'examen, bien qu'en réalité, certaines d'entre elles aient plusieurs objectifs et puissent apparaître sous plus d'une rubrique. La performance des sociétés d'État que l'on pourrait considérer comme ayant véritablement une fonction d'entreprise (au sens que nous avons donné précédemment à ce terme) à été plutôt décevante. La plupart des entreprises que nous avons examinées sont engagées dans la mise au point et la commercialisation de nouvelles technologies. Elles opèrent généralement dans des industries dynamiques et en pleine évolution, par opposition aux secteurs d'activité plus mûrs, et cette situation pose des difficultés particulières au plan de la surveillance et du contrôle. De plus, elles ont été tout particulièrement vulnérables aux problèmes qui surgissent lorsque ceux qui sont chargés d'exercer un contrôle sur l'entreprise en deviennent les défenseurs et les promoteurs. Cependant, il n'existe pas toujours de solution de rechange nettement préférable à l'entreprise publique. Dans de tels cas, il importe d'examiner soigneusement la valeur et l'importance des objectifs eux-mêmes. Corriger les lacunes du marché des capitaux: la CDC. Bien que le marché des capitaux au Canada soit raisonnablement efficace, on a longtemps considéré qu'ils comportait certaines faiblesses en ce qui a trait à la disponibilité du capital de risque pour les entreprises nouvelles ou de petite taille et, à l'autre extrémité de l'éventail, pour les mégaprojets à forte capitalisation. Une étude antérieure du Conseil avait permis de constater que les petites entreprises ont, en effet, à supporter des coûts trop élevés lorsqu'elles émettent des actions, et qu'elles sont désavantagées par les politiques d'investissement des grandes institutions financières. Bien que les sociétés qui prêtent du capital de risque aient contribué à répondre aux besoins des petits entrepreneurs, elles occupent une place relativement peu importante dans le secteur du financement des entreprises. Des prises de participation (au capital-actions) limitées de la part du gouvernement pourraient aider à résoudre les problèmes qui se posent, mais ces interventions devraient être axées spécifiquement sur les segments du marché où il s'avère difficile d'obtenir des fonds propres. Cependant, comme ces problèmes sont causés en partie par des restrictions institutionnelles imposées ou tolérées par les gouvernements, l'élimination partielle ou totale de ces contraintes pourrait constituer une solution plus raisonnable. Parmi les possibilités qui s'offrent à cet égard, notons l'assouplissement des restrictions imposées aux compagnies d'assurance-vie, aux sociétés de fiducie et aux caisses de retraite en ce qui concerne les placements sous forme de capital-actions, ainsi que la réduction des exigences relatives à l'admission à la cote officielle des principales places boursières. La création de la Corporation de développement du Canada est imputable en partie à une vision pessimiste du marché des capitaux canadien. Elle fut d'abord proposée en 1963 par le ministre des Finances de l'époque, l'honorable Walter Gordon, qui y voyait un moyen de racheter des entreprises contrôlées par des intérêts étrangers qui opéraient au Canada. L'entreprise qui a finalement vu le jour en 1971 avait pour objectif de mobiliser l'épargne des Canadiens non pas à des fins de rachat mais à des fins de développement. Dans l'exécution de son mandat, la CDC devait se comporter comme toute autre société de portefeuille à but lucratif, sauf que ses fonds proviendraient de petits investisseurs canadiens, dont beaucoup n'avaient jamais acheté d'actions auparavant. On espérait ainsi qu'avec le temps, les activités de cette société aideraient les Canadiens à acquérir un plus grand contrôle sur leur économie et que cela favoriserait le développement de compétences canadiennes dans les domaines de l'entreprise et de la gestion. La CDC est aujourd'hui devenue l'un des principaux conglomérats canadiens avec un actif dépassant les 7 milliards de dollars. Il s'agit d'une entreprise mixte dans laquelle, jusqu'à récemment, le gouvernement détenait une participation d'un peu moins de 50 %. Le contrôle public n'a pas détourné les dirigeants de l'entreprise de la poursuite d'activités rentables, bien que l'engagement pris au départ par le gouvernement de ne pas intervenir ait été mis à l'épreuve au moins en une occasion. Mais pour ce qui a été de découvrir et de faire la promotion de grandes entreprises commerciales canadiennes rentables, le dossier de la CDC apparaît médiocre dans l'ensemble. Le taux moyen de rendement de la société n'a été, pendant plus de 10 ans, qu'environ la moitié de celui de l'entreprise moyenne dans le secteur industriel au Canada. Dans trois domaines où elle a concentré ses investissements, un seulement - celui des mines - a engendré des bénéfices qui peuvent se comparer à la moyenne du secteur des entreprises industrielles. Ses gains dans les autres secteurs, notamment dans les deux autres industries où elle a concentré ses investissements (la pétrochimie et l'industrie du pétrole et du soufre) ont été décevants. La CDC a contribué à accroître la propriété canadienne, mais à un coût appréciable. Elle n'a pas réussi à attirer l'épargne des Canadiens qui n'avaient pas l'habitude d'investir leur argent dans des actions. Un sondage effectué en 1976 a permis de constater que le profil des actionnaires de la CDC était semblable à celui de l'investisseur type sur le marché des actions, et que 80 % d'entre eux détenaient des actions ordinaires d'autres sociétés. Le piètre rendement de la CDC sur une période relativement longue soulève de sérieux doutes quant au bien-fondé et à la faisabilité de la mission principale de cette société - à savoir, «choisir des gagnants» - sur le marché canadien. C'est un objectif très difficile à atteindre dans un pays dont le marché des capitaux est aussi complexe qu'au Canada. De plus, la CDC a choisi de réaliser son mandat en investissant en grande partie dans des entreprises dont les actions étaient cotées sur les marchés boursiers canadiens; une très faible proportion de ses fonds est allée vers les entreprises à capital de risque. Bien qu'il y ait une place pour les grands conglomérats qui sont en mesure de faire des gains d'efficience grâce à leur capacité d'exercer un contrôle étroit sur leurs avoirs, il faut reconnaître que les sociétés de ce type ne manquent pas sur le marché canadien. En d'autres termes, il existe un marché actif et vigoureux pour les acquisitions et les prises de contrôle. En outre, la CDC a peut-être évolué avec un certain désavantage sur ce marché dans la mesure où les décisions de ses dirigeants subissaient indirectement l'influence contraignante du mandat confié à la société de contribuer à l'accroissement de la propriété canadienne. Sa performance est également liée de façon plus générale au rôle des entreprises mixtes - une question sur laquelle nous reviendrons plus loin dans ce chapitre. Promouvoir la recherche et le développement: la SDTU. Une lacune du marché qui peut avoir une certaine importance tient à l'incapacité des investisseurs privés de s'approprier toutes les retombées des investissements dans le domaine de la recherche et du développement (R et D). Il est ainsi très difficile d'empêcher les autres d'avoir accès aux connaissances nouvelles engendrées par les activités de recherche. Comme les fruits de la R et D leur échappent en partie, les entreprises auront tendance à sous-investir dans ces activités. Les gouvernements ont essaye de résoudre ce problème en créant des droits de propriété intellectuelle sous la forme de brevets destinés a protéger en partie l'innovation, ainsi qu'en fournissant des encouragements financiers à la recherche et au développement. Mais si la protection assurée par les brevets stimule la R et D, elle le fait en instituant des monopoles restreints, et cela ne concourt pas à l'efficience économique. Il sera parfois plus efficace pour le gouvernement de compenser le sousinvestissement dans les activités liées à l'innovation en s'engageant lui-même dans le secteur de la R et D et en diffusant gratuitement les résultats de ses recherches parmi les producteurs privés. L'État peut également vouloir investir dans le secteur de la R et D parce qu'il a besoin d'un matériel présentant des caractéristiques uniques qui l'aidera à s'acquitter efficacement de ses responsabilités. Même si l'on pense tout de suite aux besoins en matière de défense nationale, les conquêtes de la technologie peuvent être mises au service de toute une gamme d'activités du secteur public. Lorsqu'ils décident de s'engager dans des activités de R et D, les gouvernements peuvent le faire par voie de contrat avec l'entreprise privée ou se doter eux-mêmes d'une capacité de recherche. Le recours à la soustraitance sera souhaitable lorsque l'entreprise privée peut faire la recherche à un coût moins élevé et que les économies ainsi réalisées ne sont pas annulées par les frais de négociation et d'administration des ententes contractuelles .Comme nous l'avons fait remarquer dans un contexte plus général au chapitre 3, la formule de la sous-traitance ne se prête pas à certains types d'activités. Il sera plus efficace de faire la recherche au sein du secteur public lorsque, en raison de la nature des recherches à effectuer ou des incertitudes en présence, il est impossible de préciser des modalités contractuelles qui puissent être raisonnablement appliquées ou encore, lorsque le besoin de disposer de biens d'équipement spécialisés ayant une longue vie utile est susceptible de créer des liens de dépendance réciproque entre le gouvernement et l'entrepreneur. Un des acheteurs les plus expérimentés de systèmes de haute technologie est le Département de la défense des États-Unis. L'expérience de cet organisme illustre bien les problèmes de sous-traitance dans ce secteur. Au fil des années, il a mis à l'essai un certain nombre d'arrangements contractuels dans le but d'en venir à exercer un meilleur contrôle sur les coûts de développement des grands systèmes d'armement. Il a ainsi eu recours à diverses formules d'incitation destinées a récompenser les entrepreneurs des efforts déployés en vue de minimiser les coûts. Des études indiquent toutefois que ces mesures ont eu peu d'influence sur les résultats finals. Malgré le recours à des éléments d'incitation, les contrats n'ont eu en général aucune incidence sur le cours des événements; la causalité jouait plutôt en sens inverse, les contrats étant périodiquement modifiés en fonction des événements. On retrouve ici un problème familier où l'une des parties à un contrat est «prisonnière» de l'entente contractuelle. Ayant beaucoup investi dans un projet, le Département de la défense se trouve devant l'alternative de perdre son investissement ou d'accepter d'encourir des déboursés additionnels pour mener le projet à son terme. Comme l'investissement marginal requis est susceptible d'avoir un rendement très élevé, le Département de la défense est particulièrement vulnérable devant les demandes des entrepreneurs qui désirent modifier les dispositions de leur contrat pour tenir compte des dépassements de coûts, des retards et des problèmes d'exécution. Bien que la production au sein même du secteur public offre la possibilité d'exercer un meilleur contrôle et d'imposer une discipline que ne permet pas le genre de liens contractuels souples que semble exiger la mise au point de produits technologiquement avancés, cette formule présente des risques d'une autre nature. Ces risques tiennent en partie à la dynamique interne du gouvernement, qui peut favoriser une expansion des installations de recherche bien au-delà de ce qui est justifié en fonction des avantages sociaux attendus. A cet égard, l'expérience de la Société de développement du transport urbain peut nous éclairer. Cette société a été créée par le gouvernement de l'Ontario au début des années 70, suite à la décision d'annuler le projet du Spadina Expressway à Toronto, et à l'annonce par le gouvernement provincial d'une nouvelle politique prévoyant une augmentation appréciable de l'aide destinée aux services de transport rapide. La SDTU devait fournir une capacité de recherche et de développement en matière de systèmes de transport urbain et faciliter la réalisation de l'objectif immédiat du gouvernement, à savoir développer un nouveau type de systèmes de transport de capacité intermédiaire. La loi prévoyait la possibilité que la nouvelle société se lance elle-même dans la fabrication, mais ce n'était pas là un objectif de départ pour ses dirigeants. En 1973, les plans du gouvernement montraient que la SDTU devait compter 40 employés - nombre susceptible de s'élever jusqu'à 70 durant les périodes de pointe - et qu'une grande partie de la recherche et tout le travail de développement et de fabrication seraient confiés au secteur privé. Dix ans plus tard, la Société de développement du transport urbain était devenue un des principaux fournisseurs de systèmes, de matériel et de services de transport urbain. En 1983- 1984, elle employait 1 000 personnes, la plupart affectées à la production de matériel de transport, ainsi qu'à la conception, au développement, à la fabrication, à l'exploitation et à l'entretien de systèmes de transport en commun. Pendant la plus grande partie de ces 10 années, L'entreprise a opéré à perte. Les résultats financiers de la SDTU doivent cependant être interprétés avec prudence car ils reflètent en partie les effets de diverses mesures prises par le gouvernement. En effet, le gouvernement de l'Ontario a apporté son aide à cette société aussi bien directement que par un soutien au niveau des ventes, mais il a également imposé des contraintes à ses dirigeants en exigeant que certains achats se fassent dans la province. La création d'une entreprise publique pour effectuer des travaux de R et D dans le domaine du transport urbain s'explique en partie par les problèmes de sous-traitance. Il se peut qu'il ait été très difficile pour le gouvernement d'élaborer et d'administrer des dispositions contractuelles en vue du développement d'un nouveau système complexe de transport adapté aux besoins des municipalités ontariennes. La mise sur pied d'une entreprise publique pour réaliser la recherche nécessaire pouvait constituer une solution raisonnable à ce genre de problème. Mais, même s'il est possible que cette approche puisse avoir été la meilleure façon de soutenir les activités de R et D, il n'est pas du tout clair qu'une telle mesure était justifiée du point de vue du contribuable ontarien. La population de l'Ontario était appelée à en supporter les frais, mais une bonne partie des bénéficiaires de la nouvelle technologie de transport en commun pouvaient être des résidants d'autres provinces ou même d'autres pays. Il est également difficile de justifier, dans le contexte des problèmes de sous-traitance, l'entrée de la SDTU dans le secteur de la fabrication. et dans les activités de production connexes. La croissance de cette société illustre bien l'essor que peut prendre une entreprise publique qui a la faveur des autorités. L'engagement du gouvernement ontarien envers la Société de développement du transport urbain a été attribué à divers facteurs: la nécessité où se trouvait le gouvernement d'éviter un autre échec suite à l'abandon du projet expérimental de réseau à capacité intermédiaire faisant appel à la technologie ouestallemande du «maglev»; les liens personnels étroits entre le Premier ministre de l'Ontario et le président de la SDTU; la communauté d'intérêts entre les dirigeants de l'entreprise et les fonctionnaires provinciaux qui considéraient celle-ci comme un des éléments de la politique de la province dans le domaine du transport urbain. Sur un plan plus général, étant donné les coûts que peuvent comporter les investissements directs du gouvernement dans les activités de R et D - que celles-ci soient confiées à une entreprise publique ou à l'entreprise privée par voie de contrat - il importe de s'assurer qu'il n'existe pas de solutions de rechange plus avantageuses. Lorsque l'État acquiert des produits de haute technologie pour ses propres besoins, on doit nécessairement choisir entre la formule de la production au sein du secteur public et celle de la sous-traitance avec le secteur privé Dans ce cas, la première solution pourra être préférable si les problèmes liés au recours a la sous-traitance sont assez importants et que les besoins du gouvernement sont suffisamment grands ou ont un caractère répétitif. La mise en place d'un système d'évaluation périodique des engagements des pouvoirs publics envers un programme de R et D contribuera à la réalisation de ces avantages. Lorsque l'intervention de l'État vise à encourager les activités de R et D de façon générale, la meilleure solution consistera à combiner des subventions avec une protection limitée en matière de brevets. En finançant la recherche et le développement par des subventions, l'État soutient la production de connaissances; il n'a pas à se préoccuper des résultats des activités de recherche ni de l'usage qui sera fait de ces connaissances, comme il le ferait s'il passait un contrat en vue d'une innovation bien précise. Cette forme plus restreinte de participation du gouvernement est, dans la plupart des cas, tout ce qui est nécessaire ou approprié pour compenser l'inégalité entre les avantages de nature publique et privée de la production de nouvelles connaissances. L'incitation à prendre des risques: EACL. Une autre raison qui peut justifier la prise en charge par l'État de la fonction d'entrepreneur découle de l'argument voulant que le secteur public peut réaliser des économies sur le plan des coûts inhérents au risque. Le fait que le risque peut être réduit par la diversification nous indique que les grandes entités présentent certains avantages. En entreprenant un grand nombre de projets dont les résultats ne sont pas liés les uns aux autres, l'État est en mesure d'atténuer les fluctuations du taux de rendement (ou du niveau de risque), voire même de les éliminer entièrement. On a fait valoir qu'outre les avantages découlant de la mise en commun des risques, l'investissement public offre la possibilité d'étaler ces mêmes risques. Lorsque le gouvernement réalise un projet, chaque contribuable assume une partie si infime du risque global que le fardeau correspondant est négligeable. On a beaucoup discuté des avantages possibles du regroupement et de l'étalement des risques associés à l'intervention de l'État. On a noté par ailleurs que les résultats des projets réalisés par l'État peuvent être en corrélation avec le cycle économique et, par conséquent, en corrélation les uns avec les autres, de sorte que le regroupement pourrait ne pas diminuer sensiblement le risque global. En outre, pour une foule de projets publics, les avantages et les coûts ne sont pas étalés sur l'ensemble de la population, mais plutôt sur une catégorie particulière de contribuables; la part du fardeau qui incombe à chaque membre de cette catégorie n'est pas négligeable et c'est pourquoi la possibilité d'avoir à défrayer une prime de risque ne peut être éliminée. Bien sûr, il existe des marchés relativement efficaces où l'on peut se procurer une certaine protection en réduisant au minimum les risques encourus. Le marché boursier permet ainsi d'étaler les risques de telle manière que les pertes considérables que pourrait subir une société ne se traduiraient que par une perte limitée pour les personnes concernées. Les grandes entreprises privées procèdent aussi à une mise en commun des risques en répartissant leurs investissements entre des projets dont les résultats seront relativement indépendants les uns des autres. Il faut en outre considérer que l'étalement du risque qui intervient sur le marché s'opère en fonction de choix individuels - une situation préférable à celle où le gouvernement finance directement un projet et force ainsi tous les contribuables à partager les risques en présence sans qu'ils aient eu l'occasion d'exprimer leur avis à ce sujet. Le partage obligatoire des risques que suppose l'implication des pouvoirs publics serait justifié s'il était susceptible de comporter des avantages appréciables en en favorisant une diminution de ces mêmes risques. Il en serait ainsi si le gouvernement pouvait intervenir efficacement dans les situations où il s'avère très difficile et coûteux pour le secteur privé d'étaler les risques qui se posent Nous avons évoqué plus haut les imperfections du marché des capitaux pour ce qui est de fournir des fonds aux petites entreprises et d'assurer le financement des mégaprojets exigeant de gros investissements. Il peut ne pas être possible ni souhaitable de résoudre entièrement ces problèmes par l'élimination des diverses restrictions de nature institutionnelle. L'État peut donc avoir un rôle à jouer directement pour réduire la difficulté et le coût de trouver du capital de risque dans certaines circonstances. Même là, toutefois, on ne récoltera les avantages escomptés que dans la mesure où les gouvernements parviendront à résoudre les problèmes de surveillance et de contrôle qui se poseront. Il est possible que le prix à payer pour combler les lacunes du marché par un investissement ou une participation du secteur public dépasse les avantages que l'on peut espérer en tirer. La mise au point du réacteur nucléaire CANDU est un exemple de projet où l'ampleur des risques et des investissements milite en faveur d'une participation importante de l'État. Les origines de l'Énergie atomique du Canada Limitée remontent à la décision prise par le gouvernement canadien, durant la Seconde Guerre mondiale, de se doter d'installations de recherche nucléaire. En 1952, l'organisme gouvernemental devenait une société de la Couronne, en partie à cause du caractère de plus en plus commercial de ses activités. Au cours des premières années, les opérations de l'EACL sont demeurées modestes, ce qui a valu à la société d'État une réputation enviable, notamment en raison des recherches qu'elle Poursuivait dans le domaine des applications pacifiques de l'énergie nucléaire. Ce n'est qu'au début des années 60, alors que l'EACL s'est engagée à réaliser un prototype de centrale nucléaire pour l'Hydro-Ontario à Douglas Point, que le système CANDU est devenu une source de préoccupation importante. Les dépenses cumulatives de R et D pour le système de production d'énergie nucléaire CANDU n'ont cessé d'augmenter avec les années et, selon une estimation, elles avaient atteint, en 1981, une valeur de 14 milliards de dollars (en dollars de 1981) à un taux d'actualisation réel de 7,5 %. Il y a eu diverses tentatives pour comparer les coûts de développement des prototypes de réacteurs et d'usines d'eau lourde aux avantages procurés par le système CANDU, qui consistent principalement en une diminution du coût de production de l'électricité. Certaines études ont conclu que la comparaison était nettement désavantageuse, mais les données présentées ne sont pas tout à fait probantes, les résultats dépendant en grande partie du taux d'actualisation employé. Ce qui est intéressant dans le présent cas toutefois, c'est l'éclairage que l'expérience de l'EACL permet de jeter sur les problèmes de contrôle liés au développement et à la commercialisation d'une technologie complexe. La difficulté d'exercer un contrôle sur le rendement, que l'on a observée dans le cas de la Société de développement du transport urbain, prend encore plus d'ampleur dans le cas d'une entreprise comme l'EACL. Le critère de réussite pour le programme CANDU est la capacité de la société d'État de vendre des réacteurs en dépit de la concurrence que lui livrent les technologies rivales. Mais sur le marché de ce type de produits, il y a un décalage considérable entre le début des travaux de recherche et le moment où on peut raisonnablement faire une évaluation des résultats. Dans de telles circonstances - lorsque la réussite ou l'échec ne deviendra évident qu'au bout d'une longue période - il suffit d'un peu d'ingéniosité pour fournir une bonne justification à pratiquement tout revers temporaire. La tentation peut également être plus grande pour les dirigeants politiques de se saisir des avantages dans l'immédiat et de reporter les coûts politiques à plus tard. On a fait valoir que l'EACL avait commis une erreur stratégique en demeurant axée sur le marché intérieur pendant la période critique d'expansion de l'industrie nucléaire américaine entre 1966 et 1974. Une vente à un service public d'électricité aux États-Unis aurait été un stimulant important à un moment décisif. Les perspectives plutôt sombres sur le plan des exportations au cours de cette période ont été attribuées aux difficultés rencontrées dans la production d'eau lourde et aux retards survenus dans la mise en service des installations de Douglas Point. A leur tour, ces problèmes ont été imputés à la conversion laborieuse de l'EACL d'organisme de recherche en société à vocation commerciale. Une entreprise dont les ambitions commerciales auraient été plus fortes aurait cherché davantage à dissiper l'inquiétude de la clientèle au sujet du coût et de la disponibilité de l'eau lourde et aurait déployé plus d'efforts pour mettre les installations de Douglas Point en exploitation à la date prévue. L'autre solution organisationnelle aurait été que le gouvernement fasse développer le système CANDU par l'entreprise privée. Étant donné les problèmes liés à la production de systèmes de haute technologie, toutefois, rien ne permet de croire que cette solution aurait été meilleure. La Commission de l'énergie atomique des ÉtatsUnis a passé des contrats en vue de la construction d'un certain nombre de réacteurs à l'eau légère dans les années 60 et elle a connu une expérience semblable à celle dont nous avons fait état précédemment dans le cas du Département de la défense. Les modalités d'incitation apparaissant aux contrats n'ont pas permis de restreindre les coûts, ni d'exercer une influence sur les délais d'exécution: Comme il s'agissait d'un produit unique, les premiers contrats ne pouvaient se fonder que sur de pures suppositions; lorsque ces conjectures se sont révélées erronées, la réaction des autorités a été de modifier les contrats plutôt que d'abandonner le projet. L'expérience de l'EACL dans des projets menés en collaboration avec l'entreprise privée paraît confirmer cette observation. Un des premiers grands projets du programme nucléaire canadien a été la mise au point d'un réacteur nucléaire de démonstration, pour lequel la Compagnie Générale Électrique du Canada fut chargée d'une grande partie des travaux de conception et de construction. Lors de l'achèvement du réacteur témoin en 1962, les coûts étaient passés d'une prévision initiale de 13,5 millions de dollars à 32,8 millions. Cette hausse des coûts est attribuable en partie à une modification des devis techniques, mais on peut y voir aussi le résultat d'un mauvais contrôle des coûts de la part du sous-traitant. Une autre possibilité qui s'offrait au gouvernement était d'encourager une entreprise privée à développer le réacteur CANDU dans un contexte commercial. Mais comme le marché canadien est relativement restreint et incertain, le soutien requis pour attirer un producteur privé aurait sûrement été fort important, de telle sorte que le gouvernement n'aurait pas eu d'autre choix que d'assumer une part importante des coûts et des risques. Les problèmes de sous-traitance qui se seraient posés auraient été semblables à ceux dont nous avons fait mention en rapport avec la production de systèmes de haute technologie. Dans les deux cas, le gouvernement aurait eu à subir en très grande partie les conséquences de décisions sur lesquelles il aurait eu relativement peu de contrôle par contre, la formule de la production au sein même du secteur public permet au moins à ceux qui ont la responsabilité de veiller à la bonne utilisation des fonds publics d'exercer un contrôle plus étroit sur le projet. Une formule organisationnelle qui présente à notre avis beaucoup d'attrait pour la réalisation de grands projets de cette nature est celle du consortium regroupant des participants des secteurs privé et public. Mais les entreprises en coparticipation ont elles aussi leurs faiblesses, comme nous l'exposerons dans une section ultérieure. Il est nécessaire de fixer des limites explicites à la participation et à la contribution financière du gouvernement à de tels projets. Il y a cependant des avantages à recourir à une formule qui permet au gouvernement de partager les risques, ainsi que la responsabilité de la surveillance et du contrôle, avec l'entreprise privée. Si elle est suffisamment importante, la participation du secteur privé peut être une source de pression utile en vue d'abandonner les projets peu prometteurs. Un tel arrangement offre donc de meilleures chances d'éviter les pertes désastreuses. Mais, abstraction faite des questions d'ordre organisationnel, c'est en partie à cause de leur nature même que des projets comme celui du réacteur CANDU se soldent par un succès ou un échec retentissant: L'histoire des efforts du gouvernement dans le domaine de l'avancement de la technologie est marquée par de grands succès et de coûteux échecs. On a mis au point la bombe atomique et l'ordinateur, et un homme a été envoyé sur la lune. Mais le réacteur surgénérateur a englouti des milliards de dollars avant d'être abandonné et le projet de combustibles synthétiques n'a pas fait mieux. La navette spatiale n'est pas un désastre, mais elle s'est révélée beaucoup plus coûteuse et moins fiable qu'on ne l'avait envisagé. Promouvoir la technologie canadienne de pointe: de Havilland et Canadair. Dans bien des cas (y compris ceux dont nous avons traité jusqu'ici), L'entreprise publique ne constitue pas seulement, ou principalement, une solution destinée à combler les lacunes du marché. Ainsi, l'acquisition par le gouvernement fédéral des sociétés de Havilland et Canadair s'explique par un certain nombre de facteurs, dont le désir de donner aux Canadiens le contrôle de leur industrie aérospatiale. Dans ce cas comme dans d'autres, le développement d'une industrie canadienne peut viser simplement à affirmer la capacité technologique du Canada. Lorsque les objectifs de politique publique sont définis de manière très précise, par exemple créer une industrie aérospatiale canadienne, les options qui s'offrent aux décideurs sont très limitées. Notre examen des deux entreprises publiques canadiennes engagées dans la fabrication d'aéronefs - qui ont toutes deux été privatisées - fait ressortir encore une fois le coût élevé du recours à l'entreprise publique pour la réalisation de tels objectifs. Toutefois, même si la volonté du gouvernement de favoriser l'excellence technologique prend la forme d'une entente contractuelle avec une entreprise privée ou une entreprise mixte, de sérieuses difficultés sont également susceptibles de surgir. On verra mieux ce en quoi consistent ces difficultés en étudiant le dossier de la Consolidated Computer Incorporated. L'expérience de la société de Havitland du Canada Limitée fait voir d'un autre point de vue les problèmes associes à la création et à la commercialisation de nouvelles technologies. La société de Havilland a été acquise des mains de la société mère britannique, Hawker Siddeley, en 1974, soit six ans après que le gouvernement fédéral eut entrepris de soutenir le développement de l'avion Dash 7, un appareil à décollage et à atterrissage courts (ADAC). Cette entreprise publique avait une gamme de produits étroits et était particulièrement vulnérable aux périodes de contraction du cycle économique. Des ventes plus lentes que pour le Dash 7 et des frais de développement dépassant les prévisions pour le Dash 8 ont contribué à placer la société dans une situation financière de plus en plus difficile au début des années 80. La boucle a été bouclée récemment avec la revente de l'entreprise à la société Boeing. L'examen du dossier du Dash 7 et du Dash 8 donne l'impression que, dans les décisions qui ont été prises, les considérations commerciales ont été subordonnées aux questions techniques. Cette observation vaut autant pour les décisions prises au sein du gouvernement ou de l'entreprise; les décideurs publics se souvenaient des répercussions de la cessation des activités du programme Avro Arrow en 1959, et ils étaient attirés par la possibilité que le Canada joue un rôle de chef de file dans une nouvelle technologie prometteuse du domaine de l'aéronautique. C'est ainsi qu'on peut expliquer en partie le soutien apporté par le gouvernement fédéral à deux projets qui, en regard de la plupart des critères commerciaux habituels, auraient été considérés comme extrêmement risqués. Avant de prendre le contrôle de la société de Havilland, le gouvernement avait subventionné la mise au point du Dash 7 en se fondant sur des prévisions de ventes (250 unités en 1982) auxquelles la société mère, Hawker Siddeley, n'accordait que peu de poids. Pendant un certain nombre d'années après l'acquisition, ces prévisions ont été officiellement maintenues bien qu'elles aient été de moins en moins réalistes. Dans le cas du Dash 8, il y avait un risque considérable à tenter de rivaliser avec divers producteurs étrangers fortement subventionnés pour desservir un marché très limité. Le cas de Havilland fait également ressortir la difficulté d'appliquer un système de planification cohérent dans une entreprise publique. Même si cela vaut pour toutes les entreprises, le problème est particulièrement épineux dans le cas des entreprises qui opèrent dans des secteurs commerciaux dynamiques et en pleine évolution. On a fait remarquer qu'au cours du développement du Dash 8, les décisions relatives au produit lui-même ont été prises par la société d'État, tandis que les décisions de nature financière étaient prises par le gouvernement. Mais, à aucun moment, on ne semble avoir procédé à une intégration et à une rationalisation de ces diverses décisions. C'est ainsi que les contraintes financières ne sont pas entrées en ligne de compte aux premières étapes de la planification - lorsqu'on s'est attaché à faire l'éventail des possibilités. On a en outre prétendu que les divergences de vues concernant les modalités de financement qui furent finalement approuvées ont diminué l'engagement et le sentiment de responsabilité des dirigeants envers le projet. Bien qu'il soit possible d'opérer une meilleure intégration des décisions au niveau de l'entreprise publique et du gouvernement, le problème fondamental qui se pose ici n'est pas simplement d'ordre administratif. Les gouvernements poursuivent inévitablement des objectifs multiples et ceux-ci ne cessent d'évoluer. Il est sûrement raisonnable de s'attendre que les décideurs, en cherchant à réaliser un compromis entre des intérêts divergents, attendront le plus longtemps possible avant de s'engager dans une voie. On ne peut appliquer aux organismes publics le modèle de planification unifié et cohérent qui existe dans l'entreprise privée Comme l'a fait remarquer un observateur: «le gouvernement n'est pas un organisme monolithique où se retrouvent des gens qui oeuvrent vers un même objectif bien défini. Il ressemble davantage à une pieuvre dont les tentacules bougent d'une manière non coordonnée, entraînant ainsi souvent des conflits internes au niveau des buts poursuivis. Et malgré tout cela, le monstre réussit à avancer dans une direction ou dans une autre». Les difficultés auxquelles s'est heurtée une autre avionnerie du secteur public, la société Canadair Limitée, sont maintenant bien connues. Cette entreprise a été achetée par le gouvernement fédéral à la fin de 1975, lorsqu'il est apparu que la société mère américaine était sur le point de fermer l'usine située dans la banlieue de Montréal. La décision fut prise, peu de temps après, de mettre au point un réacté d'affaires qui avait été conçu par Bill Lear, en dépit du fait que l'équipe de direction n'avait que peu d'expérience ou de compétence dans ce domaine. Un examen des problèmes qu'a dû affronter la société d'État par la suite révèle certains des facteurs qui en sont à l'origine, dont les promesses peu réalistes des dirigeants pour mousser les ventes, en ce qui concerne le financement, les spécifications techniques ou les dates de livraison; la surestimation des possibilités de vente; et la sous-estimation des difficultés techniques et des problèmes de production liés à la conception et à la réalisation d'une nouvelle cellule et d'un nouveau moteur. Les conséquences de ces erreurs ne sont pas apparues clairement avant plusieurs années, en raison du système de comptabilité par programme qui permet à Canadair - comme à tout autre fabricant d'aéronefs - d'étaler les dépenses de développement sur l'ensemble de la durée d'un programme. Dans le cas de Canadair, le calcul des coûts n'était pas fondé sur le nombre d'appareils que la société pouvait raisonnablement s'attendre à vendre, mais sur le nombre requis pour atteindre le seuil de rentabilité. La surveillance des activités de cette société était assurée par le conseil d'administration et par un comité interministériel d'examen formé de représentants de quatre ministères. Les séances du Comité des comptes publics (en 1983) ont fait ressortir de sérieuses lacunes dans le fonctionnement de ces organes de contrôle. Examinant rétrospectivement la situation, un responsable du gouvernement en venait à la conclusion suivante: Je crois que le gouvernement doit accepter une certaine responsabilité. Cette mesure de responsabilité est fondée sur un dispositif institutionnel du gouvernement qui n'a pas été conçu pour réagir à une situation commerciale négative en très rapide évolution. Face à ces sociétés ainsi qu'aux autres, depuis plusieurs années, le gouvernement s'est montré solidaire mais actionnaire passif. Le cas de Canadair diffère des autres que nous avons examinés en raison de l'importance plus grande attachée aux questions d'emploi. Des facteurs particuliers sont également venus compliquer l'exercice d'un contrôle sur les activités de cette entreprise, facteurs qui étaient liés à la nature du système de comptabilité, à l'utilisation de lettres d'accord - un arrangement permettant au gouvernement de garantir le remboursement des emprunts de Canadair sans en aviser le Parlement -, ainsi qu'au fait de ne pas avoir assujetti cette société à la Loi sur l'administration financière, ce qui aurait imposé à ses dirigeants des exigences supplémentaires en matière de rapports financiers et de vérification. Toutefois, on a pu aussi voir les effets de certains facteurs importants que l'on rencontre plus communément: la nécessité de prévoir une période de planification suffisamment longue et la difficulté d'évaluer le rendement des gestionnaires durant cette période; l'attrait d'une technologie nouvelle qui donnait l'occasion à ceux qui étaient impliqués dans le projet de se tailler une réputation dans l'industrie; et l'existence d'un système de contrôle qui accordait un rôle important à des représentants du gouvernement qui avaient été associés à plusieurs décisions importantes prises aux premières étapes et qui étaient devenus des défenseurs du projet. Bien entendu, il n'y a pas que les entreprises publiques qui peuvent faire des erreurs de calcul ou de jugement. La mise au point d'une nouvelle technologie comporte toujours des risques importants. Tous les propriétaires d'entreprises, aussi bien publiques que privées, doivent affronter la difficulté d'évaluer le rendement des cadres au cours des étapes - souvent longues - consacrées à la recherche, à la planification et au développement. Les intérêts clairement définis des propriétaires d'entreprises privées et l'existence de mécanismes de marché qui servent à protéger ces intérêts contribueront toutefois à restreindre, dans la plupart des cas, l'étendue de ces erreurs. Dans le secteur public, ou les buts ne sont pas aussi clairement énonces et où il y a toujours danger que les problèmes décelés puissent avoir des conséquences politiques fâcheuses, les mesures de redressement viendront probablement moins vite. Bien que ces facteurs jouent, en règle générale, pour toute entreprise publique, ils ne posent pas un problème aussi sérieux lorsque le rendement d'une société d'État peut être évalué assez facilement. Mais ils constituent forcément un aspect important dans le cas des entreprises publiques de haute technologie que nous avons examinées, où il est d'autant plus probable que le jour de vérité mettra du temps à arriver qu'il est difficile de faire une évaluation de la performance de l'entreprise. Comme alternative à la propriété publique, le gouvernement peut accorder sa confiance et son soutien a une entreprise privée. Bien sûr, nombreuses sont les entreprises qui reçoivent une aide financière. Cependant, les cas qui nous occupent ici se distinguent par l'ampleur du soutien fourni et par la reconnaissance du rôle de l'entreprise en cause comme instrument majeur de la politique de l'État. L'absence d'autres producteurs capables de réaliser le même ensemble d'objectifs de politique publique rendra plus difficile l'évaluation de l'aide réclamée et se traduira par une plus grande réticence à mettre fin à ce soutien selon l'évolution des circonstances ou des perspectives qui s'offrent à l'entreprise. L'aide gouvernementale prend souvent la forme de garanties d'emprunt, qui ont pour effet de faire assumer à l'État une part disproportionnée des risques d'échec d'un projet. Les dirigeants d'entreprises privées seront ainsi enclins à prendre des initiatives plus risquées qui permettront d'exploiter au maximum ces garanties comme ressource de l'entreprise. Un contrôle serré sera nécessaire si l'on veut éviter que des risques excessifs ne soient pris, et le fardeau de la surveillance reviendra en grande partie au gouvernement si la nature des garanties accordées est telle que les prêteurs prives ne courent que peu de risques. A mesure que s'accroîtra la valeur cumulative de l'aide financière accordée à un producteur, le gouvernement sera fortement incité à fournir une éventuelle assistance supplémentaire pour permettre à l'entreprise de poursuivre ses activités. Par ailleurs, les cautions gouvernementales auront un effet très différent sur les investisseurs privés. Ceux-ci hésiteront davantage à investir les fonds additionnels requis pour rétablir la rentabilité d'une entreprise, car les gains qui en résulteront reviendront en tout ou en partie à l'État. Il est même possible que l'augmentation globale de la valeur de l'entreprise par suite de tels investissements soit inférieure à la diminution de la valeur de la garantie d'emprunt pour les actionnaires. L'histoire de la Consolidated Computer montre bien les problèmes qui peuvent se poser lorsqu'une entreprise devient l'«instrument choisi» de la politique de l'État. Cette entreprise fut constituée en société en 1967 par un entrepreneur privé qui voulait mettre au point et commercialiser une de ses innovations dans le domaine de l'informatique. Le soutien apporté par le gouvernement a d'abord pris la forme d'une caution de prêt pouvant aller jusqu'à 12 millions de dollars (à certaines conditions), dans le cadre du Programme d'aide générale de transition du gouvernement. Au succès et à la croissance rapide de l'entreprise durant les premières années d'activité succédèrent bientôt les difficultés financières. Après mise sous séquestre provisoire, la société fut réorganisée en 1972, la Commission d'aide générale de transition recevant 37,1 % des actions ordinaires de la nouvelle société qui portait le nom de Consolidated Computer Incorporated (CCI). Les choses continuèrent cependant à se détériorer et de nouvelles pertes furent enregistrées en dépit de l'aide financière supplémentaire accordée par les autorités. La Commission d'aide générale de transition suggéra au gouvernement de cesser toute aide en 1975, mais le Cabinet opta plutôt pour une restructuration financière de l'entreprise qui permettait d'éviter une perte de 35 millions de dollars pour le trésor fédéral et de maintenir en opération la seule entreprise de fabrication de matériel informatique au pays appartenant à des Canadiens. La CCI a connu des ennuis de plus en plus sérieux au cours de la seconde moitié des années 70 en raison de divers facteurs, tels qu'un système de contrôle de la gestion inadéquat et une position concurrentielle allant sans cesse en s'affaiblissant. La dépendance de cette société à l'égard des garanties du gouvernement s'accrût, mais la surveillance exercée par le conseil d'administration, la Commission d'aide générale de transition - devenue plus tard l'Office d'expansion des entreprises - et les deux ministères responsables afficha de sérieuses lacunes. Comme la responsabilité de la surveillance de cette entreprise était partagée, aucun organisme n'assumait véritablement l'imputabilité à son endroit. De plus, un examen des renseignements disponibles a mené un observateur à conclure que, pour une bonne partie de cette période, les personnes les plus étroitement impliquées dans le contrôle des investissements de la CCI étaient en même temps celles qui défendaient le projet. C'est ainsi que les dures remises en question qui auraient pu hâter la fin de ce projet n'eurent pas lieu. La CCI a finalement été vendue en 1981. Le gouvernement a dû effectuer à cette occasion un déboursé de 91 millions de dollars pour couvrir ses garanties, portant ainsi l'ensemble de ses pertes à près de 120 millions. Deux ans et demi après en avoir fait l'acquisition, soit en 1984, l'acheteur de l'entreprise plaçait celle-ci sous séquestre. Lorsque le gouvernement s'engage à soutenir un projet ou une entreprise, il y a de toute évidence des risques importants dont il faut tenir compte, que l'«instrument choisi» soit une entreprise privée, une société mixte ou encore une entreprise publique en propriété exclusive. Il n'y a pas lieu de penser, par exemple, que la société de Havilland aurait pu faire mieux s'il s'était agi d'une entreprise privée bénéficiant d'une aide appréciable et constante de la part du gouvernement. Les questions de propriété sont, dans ce cas, moins importantes que la nature et l'ampleur du soutien accordé à même les fonds publics. Ce dernier point est tout particulièrement pertinent dans le contexte du débat actuel sur la politique à l'égard des sociétés d'État. Bien qu'un certain nombre d'entreprises publiques qui ont joué un rôle de «pionnier» aient été privatisées ou soient sur le point de l'être, il n'est pas évident que les objectifs de la politique gouvernementale ont changé. Si l'État devait simplement réorienter son appui vers certaines entreprises ou certaines technologies du secteur privé, les mêmes problèmes pourraient se poser. La possibilité subsiste que le gouvernement choisisse des «perdants» plutôt que des «gagnants», et qu'il s'engage sur la voie de protéger ces entreprises contre l'influence des forces du marché. Le résultat peut se révéler tout aussi problématique. Résumé. Il y a un certain nombre de leçons à tirer de l'expérience du gouvernement comme entrepreneur. D'abord, elle fait mieux ressortir la nécessité de procéder à une évaluation prudente des objectifs poursuivis par l'État. La performance des entreprises publiques soulève des questions fondamentales au sujet de la nature réelle des lacunes du marché et de l'importance relative des avantages et des coûts associés aux initiatives visant à combler ces lacunes. Notre examen a également mis en évidence les coûts souvent élevés qui se rattachent à la poursuite d'objectifs non économiques. Il corrobore par ailleurs les préoccupations exprimées par plusieurs au sujet de la difficulté qu'éprouvent les gouvernements à choisir des gagnants et à laisser tomber les perdants. Cela vaut non seulement pour les entreprises publiques, mais aussi pour les «sociétés d'État déguisées» - les entreprises privées qui dépendent à un tel point de l'aide gouvernementale qu'on les considère comme étant situées tout juste à la périphérie du secteur public. En deuxième lieu, il importe de voir si les objectifs ont été convenablement définis. Lorsque les objectifs sont formulés si étroitement qu'ils ne s'appliquent qu'à une entreprise ou à une technologie en particulier, il y a de fortes chances que des problèmes d'ordre contractuel se posent, et qu'ils aient à leur tour pour effet d'augmenter le coût et de compromettre l'efficacité de l'intervention de l'État. Les buts poursuivis dans le cadre de la politique gouvernementale peuvent raisonnablement s'accommoder d'une nouvelle définition des objectifs qui permettrait d'élargir l'éventail des options qui s'offrent aux autorités. Dans le cas où un recours à l'entreprise privée ferait surgir d'importants problèmes d'ordre contractuel, il sera souvent préférable de faire appel à l'entreprise publique. De tels problèmes peuvent se poser lorsque, par exemple, le gouvernement veut faire l'acquisition de technologies de pointe pour ses propres besoins. En dernier lieu, lorsque l'entreprise publique est la solution retenue, il importe de chercher les moyens par lesquels il serait possible de réduire les problèmes liés à l'utilisation de cet instrument, problèmes qui peuvent se poser avec une acuité particulière dans des industries en évolution rapide. Nous reviendrons sur cette question dans les chapitres 8 et 9. Les sauvetages d'entreprises. Un nombre important d'entreprises publiques trouvent leurs origines dans des initiatives prises par le gouvernement en vue d'empêcher la disparition d'une entreprise privée. Bien que ce genre de sauvetage vise principalement à conserver des emplois, d'autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte. Ainsi, dans le cas de Canadair, la promotion du potentiel technologique canadien venait s'ajouter à l'objectif du maintien des emplois, comme nous l'avons signalé plus haut. La faillite fait, bien sûr, partie intégrante du processus d'adaptation et de changement dans une économie dynamique. On peut avoir avantage à ralentir le rythme d'adaptation lorsque des éléments de rigidité rendent le coût des rajustements particulièrement élevé. Mais quand les interventions de l'État entravent le déplacement normal de ressources vers des utilisations de plus grande valeur, le prix à payer peut être important. Le coût des opérations de sauvetage peut aller bien au-delà de la mauvaise affectation des ressources découlant du maintien de certains concurrents faibles sur le marché. L'espoir d'une intervention gouvernementale peut influencer le comportement d'autres entreprises dans la même industrie ou l'a même région, de sorte que le mouvement général de la main-d'oeuvre et du capital se fera plus lentement que s'il était dicté par les seules forces du marché. De plus, comme les ressources peuvent habituellement être réaffectées à d'autres usages, une opération de sauvetage pourra permettre de conserver des emplois mais en empêchant que d'autres emplois - peut-être de nature plus durable - soient créés ailleurs dans l'économie. L'incidence principale de ces opérations pourrait fort bien se faire sentir au niveau des autres entreprises du même secteur, qui auraient la possibilité d'accroître leur production et leurs effectifs si le concurrent en difficulté n'était pas maintenu en activité grâce à l'aide de l'État. Le gouvernement devrait mettre l'accent sur les mesures qui sont susceptibles de faciliter le processus d'adaptation et de réduire le besoin de recourir à des sauvetages. On peut songer aux programmes destinés à aider les travailleurs à changer de profession et à s'installer dans d'autres localités. On pourrait également envisager des réformes aux lois en matière de faillite, de valeurs mobilières et de fiscalité, en vue de faciliter les réorganisations, les fusions et les acquisitions d'entreprises. Dans les initiatives visant à stimuler la création d'emplois dans les régions à croissance lente, l'accent pourrait être mis davantage sur des projets de taille modeste, moins spectaculaires, ce qui diminuerait les risques que le gouvernement soit obligé de continuer à fournir des subventions en cas d'échec. Mais abstraction faite de ces politiques, il se présentera toujours des cas où le prix d'une fermeture sera jugé socialement inacceptable. Il se peut en effet que, en raison de la faiblesse du marché du travail, le maintien des emplois s'avère la solution la moins coûteuse sur le plan social; toutefois, il n'en sera pas toujours ainsi, tout comme il ne sera pas toujours possible de restreindre les mesures d'aide aux seules périodes où le bilan des avantages et des coûts sociaux est favorable. C'est dans ce contexte que la solution de la propriété publique doit être mise en balance avec les autres moyens d'intervention disponibles pour sauver une entreprise de la faillite. En règle générale, les sauvetages et rachats d'entreprises par les gouvernements au Canada sont survenus en réaction à des situations particulières plutôt que dans le cadre d'une stratégie d'ensemble. Cela est très bien ainsi, étant donné qu'une politique officielle assortie de critères précis accroîtrait le risque que la perspective d'un sauvetage en vienne elle-même à influencer sensiblement les décisions des intervenants sur le marché. Il est également heureux que la propriété publique ait été, dans une large mesure, un moyen de sauvetage employé en dernier ressort. Comme nous l'avons signalé précédemment, la substitution du contrôle du secteur public au mécanisme régulateur du marché comporte certains risques importants. Il y a également danger que les décideurs publics aient des liens plus étroits avec une entreprise appartenant à l'État et que, par conséquent, il s'avère plus difficile de retirer ultérieurement l'appui du gouvernement et de laisser jouer librement la dynamique d'adaptation. Ces facteurs, joints au fardeau que représenterait toute nouvelle augmentation de la taille et peut-être du champ d'influence du secteur public, tendent à faire de la propriété publique un instrument d'intervention peu indiqué, sauf lorsque le recours à d'autres instruments entraînerait des coûts très élevés. Les autres moyens d'intervention ont aussi leurs faiblesses, quoique la nature des problèmes qui peuvent se poser soit largement fonction de l'importance de l'aide publique requise. Ainsi, les subventions en espèces donnent l'occasion à l'entreprise de faire un gain immédiat, et celle-ci pourra être peu incitée à persévérer et à respecter ses engagements en matière d'emploi. Bien que l'on pourrait remédier à ce problème en échelonnant le versement de la subvention, les possibilités à cet égard sont limitées lorsqu'une entreprise est acculée à la faillite. Les garanties d'emprunt ont été une des mesures les plus fréquemment employées pour aider financièrement les entreprises en difficulté. Les garanties d'emprunt, tout comme les prêts consentis à des conditions préférentielles, peuvent inciter les entreprises à recourir davantage à l'endettement, ce qui les rendra plus vulnérables aux hausses des taux d'intérêt et aux contractions du marché. Comme nous l'avons déjà signalé, l'octroi d'une caution financière peut inciter l'entreprise à prendre de plus grands risques et décourager les nouveaux apports de capitaux propres pour des investissements susceptibles d'accroître la valeur de l'entreprise mais qui auraient pour effet de diminuer la valeur de la garantie. Ces problèmes ont moins d'importance lorsque la garantie ne couvre qu'une partie des dettes de l'entreprise et que les prêteurs privés assument eux aussi une part significative des risques. La tentation de prendre de plus grands risques est également moins forte lorsque le gouvernement acquiert des bons de souscription sur le capital-actions d'une société et qu'il est ainsi en mesure de partager aussi bien les gains que les pertes. Dans son dernier budget, le gouvernement fédéral a incidemment présenté des lignes directrices visant a resserrer les contrôles sur l'utilisation des garanties d'emprunt. L'entreprise publique représentera une solution plus attrayante dans la mesure où les coûts liés au contrôle et à l'administration de l'aide fournie à l'entreprise privée sont plus élevés, et que sont moins sérieuses les difficultés associées à la surveillance des activités des organismes publics. Ces problèmes peuvent être importants, comme nous l'avons vu dans le cas des «industries pionnières». Le coût du contrôle et de l'administration des ententes conclues avec des entreprises privées dépendra des facteurs suivants: le degré de divergence entre les intérêts du gouvernement et ceux des propriétaires de l'entreprise, la volonté que peuvent avoir les autres intervenants - dont les propriétaires et les prêteurs privés de surveiller la performance de l'entreprise et l'intensité des pressions qui s'exercent sur le gouvernement pour qu'il fournisse une aide continue à l'entreprise. La mesure dans laquelle le gouvernement pourra s'en remettre aux propriétaires d'une entreprise privée pour ce qui est d'exercer un contrôle sur les activités et de maintenir un rendement satisfaisant diminuera en fonction de l'importance de l'aide publique accordée. Lorsque le gouvernement fait l'objet de fortes pressions en vue de maintenir en activité une entreprise privée, les problèmes de surveillance et de contrôle auront tendance à prendre plus d'importance. Dans de telles circonstances, le gouvernement ne sera pas en bonne position pour négocier des changements dans la structure ou les activités de l'entreprise, et des ressources considérables devront être affectées au contrôle de l'efficience de l'entreprise. Souvent, toutefois, ce n'est qu'après coup qu'on se rend compte que le gouvernement est engagé irrémédiablement dans une opération visant à assurer la survie d'une entité particulière. Il y a danger que, en raison de la propriété publique, l'on en vienne à s'engager à maintenir une entreprise; plutôt que de contribuer a réduire le coût du contrôle et de la surveillance, la création d'une entreprise publique pourra alors avoir pour principal effet de retarder ou d'empêcher une nécessaire restructuration de l'industrie. S'il est une situation où il était clair que les autorités auraient à subir des pressions incessantes en vue de soutenir l'emploi, c'est précisément celle qui prévalait en 1967 lorsque le gouvernement fédéral a pris en charge les mines de charbon de la Dominion Steel and Coal Corporation (DOSCO). Un indice de l'implication du gouvernement dans le dossier des houillères du Cap Breton nous est donné par l'ampleur des subventions accordées - qui atteignaient, en 1965, 3 000 $ par employé. A l'encontre des recommandations de la Commission royale d'enquête sur les perspectives économiques du Canada (1957) et de la Commission royale d'enquête sur la houille (1960), le gouvernement fédéral avait refusé de diminuer le soutien qu'il apportait à cette industrie et de faciliter le déplacement des travailleurs vers d'autres régions. La Société de développement du Cap Breton (DEVCO) a vu le jour à une époque où la région du Cap Breton était en proie à de sérieuses difficultés économiques. Les principales assises économiques de la région étaient menacées. Par conséquent, des mesures devaient être prises d'urgence si on ne voulait pas que le Cap Breton devienne une zone économiquement sinistrée. Lorsque la société DOSCO annonça son intention de fermer ses mines de charbon, le gouvernement fédéral n'a eu d'autre choix que de maintenir les houillères en exploitation, mesure que l'on considérait depuis longtemps justifiée d'un point de vue social. Il aurait sans doute été possible d'attirer d'autres investisseurs privés, mais il aurait fallu verser des subventions encore plus importantes. En outre, les arrangements négociés avec DOSCO avaient mis en relief la difficulté de s'assurer que les entreprises subventionnées accordent une attention suffisante aux initiatives à plus long terme susceptibles d'accroître la valeur de l'entreprise. La loi qui a servi à créer la DEVCO précise que celle-ci a pour mission de réduire la production de charbon tout en favorisant activement l'implantation d'autres industries dans l'île. Les deux activités devaient être menées simultanément, de manière qu'il n'y ait pas diminution globale de l'emploi. Les premières années, la production et l'emploi dans le secteur de la houille furent réduits sensiblement. Toutefois, en 1973, à la faveur de l'escalade des cours pétroliers, le prix de la houille a entame un important mouvement à la hausse. C'est ainsi qu'en 1975, on a commencé à accroître la production des houillères. Celle-ci a par la suite continué d'augmenter bien que le prix du charbon ait accusé un certain fléchissement. Mais en dépit de la hausse des prix et d'une progression importante de la productivité de la main-d'oeuvre, la société n'a jamais été capable d'éliminer complètement ses pertes d'exploitation au titre des activités minières. Par ailleurs, ses réalisations en ce qui a trait à l'expansion de la base économique du Cap Breton ont été une source de déception. On a estimé que, entre 1973 et 1978, un peu moins de 1 000 emplois a temps plein ont été créés par la Division du développement industriel - la plupart dans des entreprises qui ne pouvaient pas survivre sans l'aide de l'État. Les pertes subies par la Société de développement du Cap Breton s'expliquent en majeure partie par le coût élevé de la création d'emplois dans cette région. Outre son mandat principal, la société d'État s'est vu confier certaines autres obligations sociales. Ainsi, elle a vendu du charbon à d'autres entreprises publiques de la Nouvelle-Écosse - Sydney Steel Corporation (SYSCO) et Nova Scotia Power Corporation - à des prix inférieurs aux cours du marché. Lorsqu'elle a ouvert de nouvelles mines, elle a été influencée par le désir de maintenir les travailleurs dans les collectivités existantes; et elle a hésité à réduire le nombre d'emplois en période de contraction de l'activité économique. On peut aisément concevoir que de telles contraintes ne seraient pas imposées à une entreprise privée, qui exigerait un mandat explicite et une rémunération appropriée. Mais, sur un plan plus général, il n'y a pas lieu de croire que la politique poursuivie dans le cas du Cap Breton pourrait être plus efficacement mise en oeuvre par une entreprise privée bénéficiant de l'appui constant du gouvernement. Les subventions considérables qui sont requises pour attirer une grande entreprise privée et la volonté du gouvernement de soutenir le niveau d'activité dans la région entraîneraient inévitablement des problèmes d'ordre contractuel importants Le niveau d'aide approprié pour les houillères est fonction de l'état du marché et de la viabilité des autres activités commerciales que l'on encourage, deux aspects marqués par une incertitude considérable. Cela compliquerait encore davantage la négociation et la mise en application d'une entente contractuelle avec un producteur privé de charbon. Dans les circonstances, L'entreprise publique représentait un instrument de politique relativement attrayant. Un certain nombre de ces facteurs étaient présents lors de la prise en charge des activités sidérurgiques de la société DOSCO par le gouvernement de la Nouvelle-Écosse en 1967 et de la création de la Sydney Steel Corporation. Bien que l'aciérie ait employé la moitié moins de travailleurs que les houillères, sa fermeture aurait néanmoins été désastreuse pour l'économie locale. Le gouvernement fédéral était bien conscient de cette situation, mais il reconnaissait aussi que, s'il prenait l'initiative de sauver l'aciérie, il entrerait directement en conflit avec d'autres producteurs d'acier de l'Est du Canada. Ce genre de dilemme ne s'était pas présenté dans le cas des mines de charbon de la DOSCO. La position concurrentielle de la Sydney Steel s'était affaiblie sensiblement avec les années. Les subventions nécessaires pour attirer un producteur privé représentaient, dans ce cas également, une somme considérable. Qui plus est, l'expérience démontra encore une fois la difficulté d'en venir à une entente convenable avec une entreprise privée. Les installations de la DOSCO laissaient fort à désirer - malgré l'aide publique appréciable qui avait été accordée - et au moment de leur prise en charge par le gouvernement une importante remise en état s'imposait. En présence d'une volonté publique bien arrêtée de continuer l'exploitation sidérurgique de la SYSCO, il aurait été difficile et coûteux de poursuivre cet objectif par le biais d'une entente contractuelle avec une entreprise privée. Le degré d'engagement des pouvoirs publics était toutefois moins manifeste que dans le cas de la Société de développement du Cap Breton. Alors que le gouvernement fédéral se montrait peu intéressé à prendre en charge les activités de la sidérurgie (bien qu'il ait été disposé à fournir un financement direct et indirect), le gouvernement de la Nouvelle-Écosse ne voulait au départ faire l'acquisition de l'entreprise que pour une période limitée qui lui permettrait d'évaluer les perspectives à long terme de la Sydney Steel et de prendre des mesures en conséquence. Une reprise de la demande, qui coïncida avec la prise de contrôle, contribua à faire naître l'optimisme au sujet des possibilités futures d'une aciérie dont les opérations auraient été rationalisées. Vraisemblablement, le fait que la société SYSCO ait déjà été créée a influé sur la décision de maintenir la propriété publique de l'entreprise; après les mesures provisoires qu'il venait de prendre, il aurait été plus difficile au gouvernement de la Nouvelle-Écosse de retirer son appui et de provoquer ainsi une contraction ou une cessation des activités de l'entreprise. L'expérience de la SYSCO montre encore une fois la difficulté de prévoir l'évolution du marché. Avant l'acquisition de l'entreprise, des experts-conseils avaient attiré l'attention du gouvernement sur les coûts beaucoup plus élevés de la production sidérurgique à Sydney qu'ailleurs au Canada. La reprise subséquente de la demande contribua à dissiper ces préoccupations et à donner au gouvernement provincial l'assurance nécessaire pour s'engager financièrement dans un vaste programme de modernisation et d'expansion. Toutefois, vers le milieu des années 70, au moment où le programme de remise en état touchait à son terme, le marché de l'acier avait de nouveau commencé à fléchir. Les pertes de la société augmentèrent au cours des années suivantes et, en 1981, le gouvernement fédéral et celui de la Nouvelle-Écosse acceptèrent de financer conjointement un autre grand projet de revitalisation des installations de la SYSCO Au 31 mars 1985, l'endettement de cette société atteignait 395 millions de dollars. Une approche très différente fut adoptée lorsqu'on est venu en aide, récemment, aux entreprises de pêche de Terre-Neuve. L'intention dans ce cas n'était pas seulement de conserver les emplois, mais aussi de restructurer une industrie fort mal en point. L'instrument de cette restructuration a été la Fishery Products International, une entreprise publique formée vers la fin de 1983 à partir des éléments récupérables d'un certain nombre d'entreprises de pêche terre-neuviennes en faillite. Le gouvernement fédéral détient 63 % des actions de la nouvelle société, le reste appartenant au gouvernement de Terre-Neuve (26 %) et à la Banque de la NouvelleÉcosse (11 %). L'accord de restructuration de 1983 largement inspiré des recommandations du Groupe d'étude des pêches de l'Atlantique (1982) - prévoyait que cette société serait gérée d'une façon économiquement viable, efficiente et moderne jusqu'à ce qu'elle soit suffisamment rentable pour être revendue au secteur privé. A cette fin, l'accord stipule que, si le gouvernement fédéral ou le gouvernement de Terre-Neuve s'oppose à la fermeture ou à la fusion proposée d'un établissement, il doit indemniser la société pour toute augmentation consécutive des coûts, selon l'évaluation qu'en fera un comptable indépendant. Toutefois, un certain nombre de conditions furent imposées à la société au départ (concernant, par exemple, les établissements qui ne pouvaient être fermés, et la nécessité d'utiliser les chantiers de Marystown). La création d'une entreprise mixte favorisa une action coordonnée en vue de résoudre une situation difficile qui touchait autant le gouvernement fédéral que le gouvernement de Terre-Neuve (l'intérêt du fédéral tient au contrôle qu'il exerce sur la capture du poisson et le commerce international et interprovincial des produits de la pêche; l'intérêt de Terre-Neuve découle de sa compétence sur le secteur des pêches dans les limites de la province). Le recours à des garanties d'emprunt n'aurait pas permis de résoudre les problèmes qu'éprouvaient les principales entreprises en cause, qui avaient accumule des dettes considérables. Du point de vue des autorités fédérales, l'entente conclue présentait l'avantage additionnel d'un partage des risques avec d'autres intervenants fortement désireux d'assurer la survie de l'industrie de la pêche. Bien que la Fishery Products International ait au besoin d'un apport en capital plus important que ce que l'on avait prévu au départ, elle a fait des progrès importants sur la voie de la viabilité commerciale. La société s'est défaite d'un certain nombre d'établissements et a considérablement amélioré ses relations avec l'Union des pêcheurs. Elle profite présentement de la forte demande pour les produits du poisson. Mais il est trop tôt pour faire une évaluation globale de l'opération. Étant donné l'hésitation initiale du gouvernement de TerreNeuve à accepter que cette société ait pour objectif de maximiser ses profits, ainsi que la tentation - du point de vue de la province - d'utiliser celle-ci pour faciliter l'admissibilité des travailleurs à l' assurancechômage, les perspectives qui s'offrent à la Fishery Products International comme entreprise commerciale demeurent très incertaines. Bien qu'elle soit l'instrument d'intervention le plus approprié dans certaines circonstances, l'entreprise publique est susceptible d'occasionner des coûts économiques appréciables. Il importe que les gouvernements se donnent d'autres politiques afin d'élargir l'éventail des options et de réduire leur dépendance à plus long terme à l'égard de ce qui pourrait constituer de plus en plus une solution coûteuse pour maintenir des emplois. Nous avons ait mention des programmes d'adaptation de la main-d'oeuvre comme moyen d'éviter le recours aux opérations de sauvetage. De tels programmes permettraient aux gouvernements de réduire plus facilement les activités des entreprises publiques et de restreindre l'importance des subventions qui doivent être accordées. Les programmes destinés à favoriser l'implantation de nouvelles activités commerciales plus prometteuses dans la région peuvent aussi contribuer à cet objectif. La création d'une entreprise publique devrait s'accompagner de la mise en oeuvre de programmes de ce genre et d'autres qui visent à faciliter le processus d'adaptation. Les entreprises mixtes. De plus en plus au cours des dernières années, les gouvernements ont tenté de réaliser les objectifs de leur politique industrielle en faisant appel à des entreprises mixtes. Le tableau 6-3 donne une liste de certaines des plus importantes entreprises dans lesquelles les gouvernements détiennent une participation soit directement soit par l'entremise de filiales. Bien que toute société dans laquelle des intérêts privés et publics détiennent simultanément une participation soit une entreprise mixte, l'accent a été mis sur les entreprises où la propriété publique est suffisante pour permettre au gouvernement d'exercer un contrôle effectif. En supposant que l'intervention de l'État soit nécessaire, on peut se demander quand le recours à une entreprise mixte est susceptible de constituer la meilleure solution. Dans quelles circonstances, s'il en est, l'entreprise mixte est-elle préférable à une entreprise publique en propriété exclusive ou à d'autres instruments d'application des politiques de l'État? Les défenseurs de la formule des sociétés mixtes font souvent valoir que ce type d'entreprises est plus en mesure de répondre aux impératifs de la politique publique tout en respectant les critères de rendements dictés par le marché. En d'autres termes, avec un certain degré de contrôle, le gouvernement dispose d'un instrument permettant de poursuivre certains objectifs sociaux - par exemple, le développement - tandis que la présence d'investisseurs privés garantit que l'entreprise sera exploitée au mieux de leurs propres intérêts, c'est-à-dire d'une manière efficiente et rentable. Lorsque le gouvernement détient une participation majoritaire ou même une participation minoritaire importante, le rendement de l'entreprise mixte continuera à dépendre largement de l'aptitude des instances politiques et bureaucratiques du gouvernement à jouer le rôle de propriétaire. Par exemple, un facteur d'efficience important dans le secteur prive est le marché des prises de contrôle; les entreprises qui sont mal gérées peuvent passer aux mains de nouveaux propriétaires et se retrouver avec une nouvelle direction à l'occasion de prises de contrôle amicales ou hostiles. Cette possibilité ne s'offre pas dans le cas des entreprises publiques ou mixtes, du moins là où la participation de l'État est importante. On dispose de peu de données empiriques sur l'efficience relative des entreprises mixtes et des sociétés privées. Au Canada, ces dernières ont eu tendance à être plus rentables, bien que l'écart puisse s'expliquer, du moins en partie, par les responsabilités sociales confiées aux entreprises publiques en sus de leur mandat commercial, et non par le seul retard des entreprises mixtes au plan de l'efficience. De même, l'expérience des autres pays indique que l'entreprise mixte n'a pas réalisé un taux de rendement qui soit à la mesure des risques plus élevés qui la caractérisent. Par rapport aux entreprises publiques, les sociétés mixtes présentent aussi bien des avantages que des inconvénients. Les obligations du gouvernement envers les actionnaires minoritaires restreignent l'éventail des mécanismes de contrôle en vigueur dans le secteur public qui peuvent être imposés à l'entreprise mixte. Par ailleurs, si la venue de capitaux privés a pour effet de créer un marché pour !es titres de l'entreprise, comme la chose s'est produite dans le cas de la Corporation de développement du Canada, la performance des dirigeants de la société sera plus facile à surveiller, et les mécanismes connexes pourront se révéler moins coûteux et plus efficaces. Un autre avantage possible de ce type d'entreprises réside dans la discipline qu'impose le besoin de tenir compte des actionnaires privés. Certains des problèmes décrits dans ce chapitre sont imputables aux mandats imprécis des entreprises publiques qui ont favorisé l'opportunisme aussi bien parmi les dirigeants politiques que les cadres des entreprises. Ainsi, si la Corporation de développement du Canada avait appartenu exclusivement à l'État, on peut conjecturer qu'en dépit de son mandat initial, elle aurait éventuellement participe à des opérations de sauvetage à la demande du gouvernement. La présence d'actionnaires minoritaires a empêché qu'un tel scénario ne devienne réalité. On peut, par conséquent, concevoir des situations ou le rendement des sociétés mixtes aura tendance à dépasser celui des entreprises publiques en propriété exclusive. Par ailleurs, les lacunes structurelles que l'on peut attribuer aux liens particuliers qui existent entre les responsables des politiques et les entreprises publiques peuvent aussi se présenter dans le cas des entreprises mixtes. Là aussi, on peut être fortement tenté de recourir a des mesures spéciales de soutien afin de protéger des producteurs peu performants et de garder en exploitation des entreprises bien après que l'on aura fait la preuve de leur non-viabilité. On peut s'attendre à ce que ces risques soient plus élevés lorsque l'État détient une participation majoritaire et que l'entreprise et, par conséquent, plus susceptible d'être perçue comme une entité du secteur public. La probabilité de rencontrer des problèmes sera aussi plus grande lorsque les actions d'une entreprise ne sont pas cotées et que fait défaut ce baromètre bien visible de la performance d'une entreprise. Que pouvons-nous dire des aptitudes de l'entreprise mixte à réaliser des objectifs sociaux? Son efficacité sur ce plan pourrait le céder facilement à celle de l'entreprise publique dans bien des cas. Lors de la création d'une société mixte, le mandat de celle-ci représente implicitement un contrat entre les intérêts prives, et publics en présence, mais une entente qui s'inscrit dans le cadre d'un organisme, unique et qui ne lie donc pas des entités distinctes. Dans la mesure où ce genre de contrat ne peut être précisé en termes clairs, il risque d'être difficile d'amener des intérêts privés à se lier dans une telle entreprise et, lorsque des objectifs sociaux ont été fixés, des désaccords peuvent naître entre actionnaires publics et privés au sujet des décisions concernant l'entreprise. De telles frictions peuvent nuire tant aux intérêts des dirigeants politiques qu'à ceux de l'entreprise elle-même. La Corporation de développement du Canada et la Société générale de Financement du Québec (SGF) ont affronté des difficultés semblables, qui ont cependant abouti à des résultats très différents. La Société générale de financement est maintenant une entreprise publique en propriété exclusive, bien qu'elle investisse elle-même dans des entreprises mixtes. Elle a cependant été créée en tant que société mixte, regroupant des intérêts publics et privés. Par suite des pertes essuyées par la SGF, le gouvernement du Québec a jugé nécessaire de racheter les actions de ses partenaires du secteur privé pour que cette société demeure un instrument de développement pour la province. Dans le cas de la Corporation de développement du Canada, il y a eu désaccord entre le gouvernement fédéral et l'entreprise - appuyée par les actionnaires privés au sujet de la mission sociale qu'elle pouvait avoir. Cette divergence de vues amena éventuellement le gouvernement à choisir de se défaire de sa participation dans cette société. L'entreprise mixte convient donc uniquement dans les cas où il n'y a pas de mandat social, ou que ce mandat est tel qu'il ne laisse aucune place à l'ambiguïté et permet à l'entreprise de fonctionner d'une manière relativement autonome en accordant la priorité voulue à la maximisation des bénéfices. L'avantage d'une participation publique a cependant tendance à être plus grand précisément là où la situation est compliquée par la difficulté qu'il y a de formuler au départ ou de renégocier une entente contractuelle. En d'autres termes, la clarté et la stabilité nécessaires au chapitre des politiques dans le cas de l'entreprise mixte n'existeront pas dans la plupart des situations où le gouvernement sera appelé à prendre des participations. Ainsi, il y aura relativement peu d'occasions où il sera avantageux de recourir à l'entreprise mixte. Dans les cas de sauvetage, les gouvernements auront de la difficulté à attirer des investisseurs privés (autres que ceux qui ont déjà des intérêts dans l'entreprise) à moins de s'engager à fournir une aide suffisante pour transformer l'entreprise en une affaire commerciale viable. Si une entreprise mixte devait être créée, la nature et l'importance du soutien gouvernemental deviendraient un élément capital du contrat liant implicitement l'État et les actionnaires privés. Dans la plupart des cas, il sera difficile de définir les dispositions contractuelles avec suffisamment de précision pour prévenir d'éventuels conflits coûteux. Des événements imprévus surviendront presque inévitablement et, le plus souvent, ils mettront en cause les engagements du gouvernement envers les actionnaires minoritaires. Une situation dans laquelle l'entreprise mixte pourrait avoir un rôle à jouer est lorsqu'il est nécessaire de combler une insuffisance de capitaux propres. Celle-ci peut être attribuable à une imperfection du marché des capitaux ou à un problème d'étalement ou de mise en commun des risques. Comme nous l'avons noté plus haut dans ce chapitre, l'aide de l'État ne sera vraisemblablement justifiée que dans les cas extrêmes où le marché fonctionne mal. Celle-ci peut prendre la forme d'une participation à des consortiums pour la réalisation de certains projets de grande envergure ou d'un apport de capital à de petites entreprises (lorsqu'il est impossible de procéder à des réformes en vue de réduire les coûts qu'elles doivent encourir sur le marché pour émettre des actions). Ce qui compte dans ces situations, c'est que l'intervention de l'État ne porte que sur l'apport de capitaux propres; les entreprises en cause peuvent fonctionner comme des sociétés commerciales et les problèmes liés à la poursuite d'objectifs sociaux ne se posent pas. Pour que les avantages d'une intervention de l'État l'emportent sur les coûts, il importe toutefois de réduire le risque que les mesures prises faussent sérieusement l'affectation des ressources. On se doit en particulier de restreindre la possibilité que les gouvernements en viennent à appuyer des entreprises ou des projets qui sont peu viables d'un point de vue commercial. On peut atténuer ces risques en limitant la participation du gouvernement. Lorsque celui-ci intervient pour encourager une entreprise à prendre davantage de risques, il devrait, à notre avis, se contenter d'une participation minoritaire et ne pas chercher à devenir un actionnaire dominant. De plus, le gouvernement devrait fixer des limites à l'aide qu'il est disposé à apporter dans le cadre d'un projet, et énoncer clairement ces limites dans les arrangements qu'il prend avec les actionnaires privés. Lorsque les risques inhérents à une entreprise diminuent, limitant ainsi la nécessité d'une intervention de l'État, celui-ci devrait se défaire du bloc d'actions qu'il détient. Les achats d'actions par le gouvernement. Les entreprises mixtes peuvent être constituées de diverses façons. La notion de contrat entre intérêts publics et privés trouve toute sa signification lorsque des entreprises mixtes sont créées comme telles, c'est-à-dire qu'une société est formée au départ par une participation conjointe d'intérêts publics et privés, ou que des intérêts privés sont invités à prendre une participation dans une entreprise publique, ou encore que les propriétaires d'une entreprise privée sollicitent une participation du gouvernement. Cependant, une entreprise mixte peut aussi être le résultat de l'acquisition par le gouvernement d'actions de sociétés privées sur le marché boursier. Ces achats d'actions par l'État se font le plus souvent par l'intermédiaire de fonds de placement, dont les deux plus importants sont l'Alberta Heritage Savings Trust Fund (AHSTF) et la Caisse de dépôt et placement du Québec. En 1984, ces deux institutions géraient respectivement des fonds d'environ 15 milliards et 25 milliards de dollars. Lorsque des actions sont acquises de cette façon et qu'un gouvernement s'en sert ensuite pour exercer un certain contrôle en vue de réaliser des objectifs sociaux, la formule de l'entreprise mixte suscite encore plus de préoccupations. L'Alberta Heritage Savings Trust Fund ne pose pas une telle question de fond. Presque tout son actif se présente sous la forme de titres publics et de placements immobiliers. Son portefeuille de valeurs mobilières privées est limité à quelque 200 millions de dollars et n'est détenu qu'à des fins de placement, c'est-à-dire qu'il est très diversifié. Les investissements sont faits en vue d'obtenir un rendement satisfaisant sur les valeurs détenues en portefeuille. Le fonds albertain ne peut détenir plus de 5 % du capital émit d'une entreprise et aucun investissement dans une société donnée ne peut dépasser 10 % du portefeuille de la division des placements commerciaux. En règle générale, le fonds n'exerce pas les droits de vote que lui confèrent les titres qu'il détient. Les pratiques de la Caisse en matière de placements sont très différentes de celles de l'Alberta Heritage Savings Trust Fund. Tout comme cette dernière, elle a un rôle de gestion fiduciaire, c'est-à-dire maximiser le rendement des fonds qu'elle administre en fonction des risques encourus. Cependant, elle est appelée aussi à promouvoir le développement économique du Québec. Cela explique en partie le fait que le portefeuille d'actions de la Caisse diffère de celui de l'AHSTF tant par sa taille que par sa composition. Celui-ci est relativement concentré, quelque 65 % des actions détenues n'impliquant que 25 sociétés. Les statuts de la Caisse stipulent qu'elle ne peut détenir plus de 30 % du capital-actions d'une entreprise. Un tel niveau de participation peut cependant suffire à donner le contrôle de l'entreprise à la Caisse. Dans d'autres cas, celle-ci exerce le contrôle conjointement avec des partenaires des secteurs public ou privé. Un exemple d'un tel «régime de copropriété» est le contrôle exercé conjointement sur Domtar - une grande société de produits forestiers - par la Caisse et la Société générale de financement. La Caisse prend une part active à la gestion du capital des entreprises et est représentée sur les conseils d'administration et les comités des diverses sociétés dans lesquelles elle détient une participation importante. Ce style de gestion interventionniste a été à l'origine d'un certain nombre de controverses, aussi bien au Québec qu'ailleurs. Entre autres, on s'est interrogé sur la compatibilité des objectifs de développement et de maximisation du rendement, ainsi que sur l'incidence que pourrait avoir sur les marchés de capitaux et la politique économique au Canada une gestion axée sur le développement économique du Québec plutôt que sur le rendement financier au sens étroit du terme. Nous n'avons pas l'intention de faire ici une évaluation globale de la Caisse, ni de son rôle dans la promotion du développement économique. Nous nous limiterons plutôt à quelques observations sur les rapports entre ce rôle et la propriété mixte en soi. Si la Caisse est capable d'influencer la gestion des sociétés qu'elle contrôle - mais qui ne lui appartiennent pas exclusivement - en vue de leur faire entreprendre des activités de développement qui ne visent pas à maximiser le rendement, les bénéfices qui reviennent aux actionnaires privés sont nécessairement réduits. En réalité, le recours à l'entreprise mixte peut être relativement attrayant pour les gouvernements si les autres actionnaires sont incapables de résister à une telle influence. Le coût de la poursuite d'objectifs sociaux est alors assumé en grande partie par les actionnaires privés. Cette pratique est cependant susceptible d'avoir des effets négatifs sur les marchés financiers en général. Dans la mesure où les actionnaires privés sont exposés au risque d'une perte de revenus s'il y a prise de contrôle de la part de l'État, les rendements exigés sur le capital auront tendance à augmenter et les investissements à diminuer, en conséquence. Tout défaut de la part de la Caisse d'observer les règles concernant l'extension d'une offre aux actionnaires minoritaires viendrait renforcer cet effet. Certains indices laissent penser que le secteur privé perçoit de cette façon les activités de la Caisse. Étant donné les conséquences que nous venons d'évoquer, nous suggérons que le gouvernement du Québec envisage sérieusement la possibilité de limiter les participations de la Caisse à 10 % du capital-actions de toute société cotée en bourse, et de confier à des organismes autres que les entreprises mixtes la responsabilité de promouvoir le développement économique. Une telle politique permettrait également d'apaiser les autres controverses dont nous avons fait mention précédemment, ainsi que les critiques auxquelles s'expose la Caisse en poursuivant des objectifs de politique publique qui ne sont pas assujettis à l'examen du pouvoir législatif. Sur la foi des recherches menées par le Conseil, il n'est pas évident que les contraintes envisagées auraient pour effet de réduire les gains de la Caisse ou de gêner sensiblement l'exercice de ses fonctions fiduciaires. Conclusion. La performance des entreprises publiques qui ont servi d'instruments de la politique industrielle a été, dans l'ensemble, décevante. Il importe, en particulier, de s'interroger sur le rôle de l'État comme «entrepreneur». Ce n'est pas pure coïncidence si plusieurs des sociétés d'État dont nous avons traité dans cette section ont été parmi les premières à être candidates à la privatisation. Bien que l'on puisse comprendre qu'une entreprise publique qui poursuit d'importants objectifs sociaux subisse des pertes commerciales, il est beaucoup plus difficile de justifier de telles pertes dans le cas d'entreprises qui sont destinées à contribuer à la productivité et a la compétitivité de l'industrie canadienne. Dans certains cas (par exemple, la promotion de la haute technologie canadienne), la nature de la politique poursuivie devrait faire l'objet d'un examen critique. Dans d'autres cas (par exemple, la promotion de la R et D), il existe d'autres instruments convenant mieux à la réalisation des objectifs visés. Il ne s'agit pas, toutefois, d'exclure tout recours à l'entreprise publique. Là où les gouvernements se fixent des objectifs dont la réalisation poserait de sérieux problèmes d'ordre contractuel si on faisait appel à l'entreprise privée, il peut être préférable de confier les activités en question à une entreprise publique. Les sauvetages opérés par le gouvernement peuvent avoir des effets négatifs importants au plan de l'efficience, et ce, indépendamment de l'instrument employé. C'est pourquoi l'on devrait s'attacher aux mesures susceptibles de réduire la nécessité de telles interventions Cependant, s'il y a lieu de procéder à un sauvetage, l'entreprise publique devrait être la solution de dernier ressort. Celle-ci sera probablement indiquée là où l'importance de l'aide publique et de l'engagement pris par le gouvernement à cet égard est telle qu'il serait très difficile de négocier et de faire respecter une entente contractuelle avec une entreprise privée. Une société mixte peut réaliser un meilleur rendement qu'une entreprise publique en propriété exclusive parce que le fait qu'une partie de ses actions se transigent en bourse facilite le contrôle des activités de l'entreprise. Mais en créant des entreprises mixtes, les gouvernements prennent implicitement certains engagements envers les actionnaires privés, ce qui a pour effet de restreindre sérieusement la souplesse et l'utilité de cet instrument d'application des politiques. Les interventions du gouvernement visant à aplanir les difficultés qu'éprouvent certaines entreprises à réunir du capital de risque constituent l'un des quelques cas où il pourrait être avantageux de recourir à l'entreprise mixte. Mais l'utilisation de sociétés mixtes dans la poursuite de certaines politiques peut soulever des préoccupations lorsque les entreprises en cause ne sont pas créées précisément à ces fins et qu'elles sont plutôt le résultat d'une prise de participation importante du gouvernement dans une société privée existante. Cette pratique peut avoir de lourdes conséquences sur les marchés de capitaux, qu'il importe de prendre en considération. 10- Conclusions. Par leur histoire, leurs institutions politiques, leurs valeurs et leurs croyances, les Canadiens sont les héritiers d'un vaste secteur public diversifié. Les entreprises gouvernementales jouent un rôle important dans la production de biens et services commerciaux et, globalement, elles forment l'une des principales composantes du secteur public. Et il en sera ainsi, même si le gouvernement fédéral et les provinces mettent à exécution leurs projets actuels visant à se départir de certaines de leurs sociétés d'État. Les pressions en vue de créer de nouvelles entreprises publiques ont quelque peu diminué au cours des dernières années mais, si l'on se fie au passé, elles pourraient bien s'accentuer à nouveau dans un proche avenir. Les entreprises gouvernementales représentent une solution politique attrayante dans bon nombre de situations, et elles demeureront un important instrument de la politique publique au Canada Étant donné ces réalités, les gouvernements font face à d'importants défis à long terme: - Pour pouvoir répondre comme il convient aux pressions visant la création de nouvelles entreprises publiques, les gouvernements doivent comprendre les rôles que cet instrument peut et ne peut pas remplir. - Pour réaliser les gains éventuels d'une meilleure concordance entre les objectifs des politiques et leurs instruments d'application, les gouvernements doivent effectuer des privatisations et procéder à d'autres réformes structurelles. Il leur faut s'assurer, toutefois, que le processus de privatisation lui-même ne fait pas disparaître les avantages attendus. - Pour bénéficier plus pleinement du recours à une entreprise publique lorsque c'est le moyen d'intervention qui convient, les gouvernements doivent modifier le cadre actuel de contrôle des sociétés d'État. Le rôle de l'entreprise publique. Les premiers partisans de l'entreprise publique considéraient celle-ci comme une sorte d'union combinant les avantages du secteur public et du secteur privé. Mais les résultats obtenus ont été loin de combler les attentes. L'État et l'entreprise privée n'ont pas souvent fait bon ménage plutôt que d'allier l'efficacité du secteur privé à des mécanismes de contrôle démocratiques, les sociétés d'État ont parfois affiché les faiblesses d'un organisme qui n'est ni assujetti à la discipline du marché des capitaux ni soumis à la surveillance du pouvoir législatif. La société d'État est un important instrument de la politique publique. Mais pour se faire une idée juste de son rôle, il importe de garder à l'esprit qu'il s'agit d'un instrument - d'un moyen et non d'une fin. L'entreprise publique a une certaine valeur dans la mesure où elle peut contribuer à certains objectifs, comme le renforcement de l'unité nationale, la réalisation d'un plus haut niveau de vie pour les Canadiens ou une répartition plus équitable des revenus. Il importe aussi de comprendre les limites de cette forme particulière d'intervention. L'entrée de l'État dans le monde des affaires n'est pas sans susciter certaines inquiétudes. Premièrement, elle est susceptible d'entraîner des coûts additionnels, même s'il n'y avait aucune différence entre les entreprises publiques et privées sur le plan de la performance. Ces coûts ont diverses origines. L'une est simplement liée au fait que tous les Canadiens sont forces de détenir des actions dans les sociétés d'État, ce qui constitue une limitation au libre choix. Les gens pourraient investir leurs épargnes de façon fort différente s'ils avaient la possibilité de le faire en fonction de leurs goûts et de leurs préférences. Une autre source de coûts est que la propriété publique ajoute un fardeau additionnel au processus décisionnel de l'État. Il faut en effet que les ministres et les hauts fonctionnaires consacrent alors une partie de leur temps, déjà limité, à surveiller la production de biens et services commerciaux. Lorsque, comme au palier fédéral, le gouvernement est fortement impliqué dans des activités commerciales, la mise en place et l'administration des mécanismes de contrôle requis constituent alors une entreprise de taille. Deuxièmement, la nature et l'efficacité des mécanismes de contrôle dans le secteur public suscitent d'autres préoccupations. Même si rien n'indique que les entreprises publiques seront nécessairement moins efficacesdans la poursuite d'activités commerciales - que les entreprises du secteur privé, il semble toutefois qu'elles soient vulnérables à certains problèmes. Ainsi, les gouvernements n'ont pas toujours apporté les rajustements nécessaires pour compenser les privilèges dont jouissent les sociétés d'État, notamment les taux d'emprunt plus favorables et (dans le cas des entreprises provinciales) les exemptions fiscales. C'est pourquoi, dans un contexte concurrentiel, les entreprises publiques ont parfois bénéficié d'un avantage important sur leurs rivales du secteur privé. De tels privilèges ont aussi mené à l'établissement de prix inadéquats et à de mauvaises décisions en matière d'investissement de la part d'entreprises publiques évoluant sur des marchés monopolistiques. Les données montrent que les pratiques des services publics d'électricité en matière de prix et d'immobilisations ont été particulièrement coûteuses et que ces entreprises sont responsables d'une mauvaise utilisation des ressources. Dans certains cas, les mécanismes de contrôle du secteur public sont affaiblis par de sérieux problèmes au niveau de la surveillance. La propension des décideurs à superposer les objectifs de politique publique constitue l'un des traits marquants de l'entreprise publique, mais cette tendance comporte des coûts importants. Le cumul des responsabilités qui s'ensuit fait en sorte qu'il est très difficile d'évaluer la performance de certaines sociétés d'État. On peut penser que de tels problèmes de contrôle influent sensiblement sur l'efficacité de la production du secteur public, par rapport à celle du secteur privé. Un autre problème surgit lorsque les mécanismes de surveillance et de contrôle de l'État entrent en conflit avec l'autonomie et la souplesse nécessaires à la réussite d'une entreprise commerciale. Ce problème est apparu surtout dans les entreprises opérant dans des industries dynamiques et en expansion rapide, où il est essentiel de réagir promptement à des indices - souvent subtils - que les conditions du marché sont en voie de changer ou que la stratégie de l'entreprise ne produit pas les résultats escomptés. En troisième lieu, on peut s'inquiéter également lorsque les politiciens et les fonctionnaires en viennent à considérer que leurs intérêts sont liés au destin d'une entreprise en particulier. Cette communauté d'intérêts peut nuire au contrôle - une préoccupation dont nous avons fait état en rapport avec certaines sociétés gouvernementales douées d'un «fort esprit d'entreprise». Elle peut aussi fausser le processus de formulation des politiques en faveur de mesures visant à protéger et à soutenir les entreprises publiques en cause, mesures qui ne seraient pas souhaitables dans la perspective d'un secteur industriel compétitif et dynamique. L'influence de la propriété publique sur l'état de la concurrence a suscité certaines préoccupations dans le cadre de notre examen des secteurs des télécommunications et du transport aérien. Enfin, il semblerait aussi, d'après certaines indications, que la propriété publique des principaux services d'électricité ait eu une influence sur les objectifs de la politique gouvernementale dans ce secteur. Bien sûr, de meilleurs mécanismes de surveillance et de contrôle pourraient permettre d'atténuer en partie ces problèmes, mais non de les éliminer. Certains sont propres à l'entreprise publique, et ils auront parfois tendance à en faire une forme d'intervention très coûteuse. Ces diverses préoccupations soulignent bien la nécessite d'une évaluation minutieuse des politiques pour s'assurer que les avantages l'emportent sur les coûts. Quand l'État doit intervenir, l'entreprise publique ne sera le moyen indiqué que si les avantages qui en découlent comme instrument d'application de la politique excèdent tous les inconvénients associés à la production publique de biens et de services commerciaux. Nous avons isolé un certain nombre de situations où ces conditions se vérifient. Premièrement, on relève certains cas où l'intervention du gouvernement dépend largement du statut juridique ou des attributs symboliques de cette entreprise. Dans ces situations, il est possible qu'aucun substitut efficace à la société d'État n'existe réellement. Ainsi, il est difficile de concevoir un autre type d'instrument qui aurait permis aux gouvernements provinciaux d'exercer - comme ils le voulaient - une influence dans les domaines du transport et de l'énergie soumis à la réglementation fédérale. De même, durant la «Révolution tranquille» au Québec, la création d'un grand nombre de sociétés d'État a permis de répondre de façon concrète et presque immédiate au désir des Québécois d'être maîtres chez eux. La deuxième - et la plus importante - catégorie englobe les situations où une entreprise gouvernementale présente des avantages sur le plan organisationnel par rapport à d'autres formes d'intervention. Les avantages de l'entreprise publique au plan organisationnel. Dans certains cas, la production de biens ou de services par une entreprise publique peut être préférable, en raison de la difficulté qu'il y a de négocier et d'appliquer une entente contractuelle avec une entreprise privée. Par ailleurs, la poursuite des objectifs envisagés peut être liée à une production commerciale qui ne saurait être entreprise efficacement dans le cadre réglementaire qui s'applique aux ministères de l'État. Dans les situations que nous avons examinées, des problèmes d'ordre contractuel se sont posés (ou auraient pu se poser) principalement parce que le gouvernement ne pouvait traiter qu'avec un seul producteur, en raison de facteurs technologiques ou de facteurs politiques. Les premiers jouent notamment dans les monopoles où il faut faire d'importants investissements dans des installations très spécialisées ayant une longue vie utile. Il est alors nécessaire de conclure un contrat à long terme en raison de la nature du processus de production, et l'entreprise publique représentera, dans certaines circonstances, la forme la plus souhaitable d'arrangement à long terme. Un autre problème d'ordre contractuel se présente dans le secteur de l'électricité parce que les gouvernements veulent utiliser ces services publics pour poursuivre des objectifs - comme la stabilisation économique - qui nécessitent une direction étroite et continue en matière de politiques. Dans de telles circonstances, la société d'État constitue une solution attrayante par rapport à l'autre moyen d'intervention qu'est la réglementation. Les facteurs politiques jouent un rôle de premier plan dans les sauvetages d'entreprises - comme celui de la DEVCO, par exemple. Dans ce cas, les pressions qui s'exerçaient sur le gouvernement fédéral pour qu'il vienne en aide à l'entreprise ainsi que l'importance du soutien qu'il fallait apporter à ce producteur privé étaient de nature à poser un très sérieux problème d'ordre contractuel. La propriété publique devenait préférable à une entente avec une entreprise privée, qui aurait laissé le gouvernement très vulnérable à d'éventuelles manoeuvres opportunistes de la part des propriétaires et dirigeants de l'entreprise. Dans les chapitres précédents, nous avons évoqué un certain nombre d'autres situations où une entente avec une entreprise privée pourrait s'avérer particulièrement problématique. Lorsque l'État a besoin d'acquérir des produits ou des systèmes hautement perfectionnés, comme dans le domaine de la défense, il est parfois moins coûteux de combler ces besoins en faisant appel à la recherche appliquée au sein même du secteur public, plutôt que de procéder par voie de contrat avec une entreprise privée. La société d'État n'est généralement pas le moyen optimal de percevoir la rente économique, mais elle s'est révélée efficace dans certaines circonstances où la poursuite de cet objectif était entravée par des conflits avec des entreprises privées ou avec d'autres gouvernements De sérieux problèmes d'ordre contractuel peuvent se poser également lorsque, dans le cadre de sa politique industrielle, le gouvernement s'est fortement engagé à soutenir une entreprise privée particulièreune «pseudo-société de la Couronne». Dans certaines de ces situations, la meilleure solution n'est pas de se lancer dans la production publique de biens ou services, mais de reformuler les objectifs de la politique de façon à éviter les problèmes qui se posent. Mais même s'il est parfois possible de redéfinir les objectifs gouvernementaux de manière à accroître le nombre des options qui s'offrent aux responsables, cette voie n'est pas toujours ouverte ou même appropriée. Les avantages de l'entreprise publique au plan organisationnel ne s'étendent pas aux entreprises mixtes. Il est exclu de pouvoir solutionner le genre de problèmes contractuels que nous avons évoqué en recourant à la formule de l'entreprise mixte. Lorsque les objectifs de la politique publique rendent difficiles la négociation et l'application de contrats, il est à prévoir que la conclusion d'un arrangement entre l'État et des actionnaires du secteur privé se butera au même genre de complications. Si une entreprise mixte n'est pas créée directement mais résulte plutôt de l'acquisition d'actions par le gouvernement, les tentatives en vue d'imposer à la société des objectifs en matière de politique vont avoir des répercussions plus vastes; non seulement les actionnaires minoritaires de l'entreprise mixte seront-ils touchés, mais les actionnaires de toutes les entreprises privées vulnérables à une acquisition d'actions par l'État se verront alors soumis à un degré de risque plus élevé. Le rôle possible des entreprises mixtes sur le plan des politique est donc limité. C'est seulement dans des circonstances extrêmes - à un moment où il pourrait être nécessaire de soutenir le marché des actions - que l'entreprise mixte pourrait avoir un rôle à jouer. Et dans un tel cas, l'État doit limiter l'importance et, si possible, la durée de sa participation. La privatisation. Notre analyse de certaines entreprises publiques nous a permis de montrer que, dans bien des cas, le recours à cet instrument de politique ne se justifie pas. Parfois, des sociétés d'État n'ont plus leur raison d'être parce que les objectifs pour lesquels elles avaient été créées ont disparu ou sont devenus moins importants. Dans d'autres cas, une entreprise publique peut remplir un rôle valable, mais il existe un autre instrument qui aurait mieux permis d'atteindre l'objectif visé. Bien sûr, la privatisation n'est qu'une forme de réforme institutionnelle parmi d'autres. On peut tout simplement liquider une entreprise publique - comme ce fut le cas récemment pour un certain nombre d'entreprises fédérales inactives (la Société canadienne des paris sportifs, Loto Canada et St Anthony Fisheries Limited). L'entreprise peut aussi être intégrée à un ministère. Selon les circonstances, chacune de ces réformes structurelles peut s'avérer avantageuse. Il sera profitable, par exemple, d'intégrer une société d'État à un ministère si ses responsabilités en matière de politique publique nécessitent une direction continuelle de la part des autorités, et si les avantages d'une telle intégration excèdent les pertes qui peuvent découler de l'exercice des activités commerciales de l'entreprise en cause dans un contexte moins favorable et plus restrictif. Cependant, c'est surtout la question de la privatisation qui a alimenté le débat public. D'ailleurs, cela ne devrait pas nous étonner car, dans presque tous les cas où l'on envisage une restructuration, la production privée apparaît comme la solution la plus logique et la plus prometteuse. Les avantages de la privatisation. Dans les chapitres précédents, notre intention n'était pas de dresser une liste complète des entreprises publiques susceptibles d'être privatisées, mais plutôt de montrer qu'il y a place pour une réforme institutionnelle et d'illustrer la nature des avantages qui pourraient en découler. Nous avons ensuite précisé un certain nombre des avantages qu'une réforme institutionnelle soigneusement planifiée pourrait permettre de réaliser. En premier lieu, le remplacement d'une société d'État par un instrument d'intervention plus approprié peut permettre d'améliorer sensiblement les résultats obtenus dans la poursuite d'une politique. On peut atteindre certains objectifs - comme favoriser l'exploration, stimuler la recherche et le développement, et assurer des services aériens aux localités éloignées - par des subventions ou d'autres mesures à court terme qui comportent des éléments d'incitation tels que ceux qui sont propres au système d'appel d'offres. D'ailleurs, ces avantages peuvent être réalisés même lorsqu'une industrie est en situation de monopole. Lorsqu'il n'est pas nécessaire d'investir des sommes considérables dans des éléments d'actif très spécialisés et ayant une longue durée de vie - comme dans le domaine du transport urbain -, la société d'État est en général une option moins appropriée qu'une entente contractuelle passée dans un contexte concurrentiel. En second lieu, la privatisation peut être à l'origine d'importants gains d'efficience - attribuables notamment à une meilleure performance de l'entreprise dans ses activités commerciales. Ainsi, il est raisonnable de penser que les entreprises évoluant dans une industrie dynamique et en expansion rapide pourraient accroître leur performance si elles étaient affranchies des restrictions que comporte la propriété publique. A ce sujet, le tableau 10-1 est révélateur. Il montre en effet la situation généralement favorable, au plan des bénéfices, de certaines sociétés britanniques après leur privatisation. Dans une certaine mesure, ces hausses de profits peuvent être attribuables à l'élimination des obligations qu'avaient ces entreprises en matière de politique publique. Des gains économiques peuvent également être réalisés par le biais d'une amélioration de l'efficience des marchés. Dans le cas du transport aérien et du transport ferroviaire des marchandises, la question qui importe n'est pas de savoir si les transporteurs publics sont plus ou moins efficaces que leurs concurrents du secteur privé, mais plutôt de voir les liens qui existent entre la propriété publique et l'avènement d'un contexte dans lequel la concurrence a été considérablement restreinte dans ces industries. Il est possible et souhaitable d'accroître la concurrence dans le transport aérien et le transport ferroviaire. Dans les deux cas, un changement d'ordre organisationnel serait l'une des composantes importantes d'une politique plus générale de réforme visant à accroître la concurrence et à favoriser une plus grande sensibilité aux forces du marché. Enfin, le transfert de certaines activités du secteur public au secteur privé contribuerait à alléger l'appareil décisionnel de l'État. Dégagés d'une partie du fardeau que représente la surveillance des entreprises publiques, les ministres et les hauts fonctionnaires pourraient consacrer plus d'attention aux fonctions clés qui sont au centre de la formulation et de l'administration des politiques. La problématique de la privatisation. Même s'il peut être à l'origine d'importants avantages, le processus de privatisation lui-même risque de soulever un certain nombre de questions. Si celles-ci ne sont pas convenablement résolues, ces avantages éventuels pourraient être perdus, du moins en partie. L'un des dangers est que les gouvernements ne visent pas à maximiser les avantages de la privatisation pour la société, mais cherchent plutôt à obtenir le prix le plus élevé possible lors de la vente d'une entreprise publique. Ces deux objectifs peuvent venir en conflit. Dans un certain nombre de cas, on pourrait maximiser le prix de vente en limitant la concurrence, en soustrayant l'entreprise à celle-ci ou en la plaçant dans un contexte réglementaire favorable. Cependant, un changement de régime de propriété, dans ces conditions, ne permettra pas d'accroître la compétitivité et l'efficience de l'industrie. Les contribuables y gagneront un peu parce que les restrictions à la concurrence contribueront à faire augmenter le prix réalisable lors de la vente mais, en revanche, ils perdront beaucoup plus à titre de consommateurs. Le jeu des mécanismes de contrôle du marché pourra être perturbé si, de plus, la privatisation s'accompagne de certaines restrictions quant à la propriété du capital-actions. En se départissant de ses avoirs dans la société Pacific Western Airlines, le gouvernement de l'Alberta a incorporé dans une loi spéciale des restrictions relatives au droit de vote et à la propriété, de façon à favoriser une large diffusion des actions de l'entreprise. Des restrictions de ce genre peuvent aussi servir à donner une préférence aux résidants d'une région particulière ou à empêcher une société de passer sous contrôle étranger. Ces contraintes peuvent avoir un effet marqué sur l'efficience de l'entreprise nouvellement privatisée Lorsque les actions sont largement réparties et que la proportion que peut posséder une personne ou un groupe est rigoureusement limitée, il sera difficile aux actionnaires mécontents ou à des intérêts de l'extérieur d'exercer une influence quelconque. On pourra ainsi avoir beaucoup de mal à se défaire de cadres supérieurs ou d'un conseil d'administration dont la performance laisse à désirer. La restructuration et la rationalisation qui suivent une prise de contrôle peuvent, en outre, s'avérer essentielles à la formation d'une nouvelle entreprise plus efficiente. Les restrictions imposées aux acheteurs étrangers peuvent avoir un effet semblable sur l'efficience. Un acheteur étranger est parfois mieux placé pour restructurer une société et assurer l'augmentation voulue de l'échelle de production et de la spécialisation. L'acquisition d'une entreprise par des intérêts étrangers peut aussi être souhaitable quand la vente à des intérêts nationaux entraînerait une réduction significative de la concurrence sur le marché. Par ailleurs, les objectifs qui viennent en conflit avec les impératifs de l'efficience économique peuvent souvent être réalisés par d'autres moyens moins coûteux. Par exemple, les arguments en faveur des restrictions sur la propriété du capital-actions tiennent principalement à certaines préoccupations au sujet de la concentration économique - sur certains marchés en particulier ou dans l'économie en général. La Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, récemment modifiée, comporte un mécanisme pour l'examen des projets de fusion susceptibles de nuire à l'efficience du marché. La Loi vise ainsi la concentration sur des marchés spécifiques, mais elle ne s'applique pas à la concentration du pouvoir dans l'économie en général. Cependant, comme le signalait la Commission royale d'enquête sur les groupements de sociétés, il est difficile d'établir d'avance des critères permettant d'évaluer l'incidence de fusions et d'acquisitions qui mettent en cause de grands conglomérats. Comme le gouvernement fédéral voudra limiter les acquisitions étrangères dans certains cas - ce qu'il peut faire d'ailleurs en vertu de la Loi sur Investissement Canada -, il pourra aussi vouloir contrecarrer les initiatives de certains intérêts canadiens s'il considère que la transaction envisagée risque de porter préjudice à l'intérêt public. Mais les mesures de protection qui prennent la forme de restrictions à la propriété ne conviennent pas dans ce cas. La décision d'empêcher ou de dissoudre des fusions mettant en cause de grands conglomérats «doit être politique et elle doit émaner du gouvernement et du Parlement, qui auront tenu compte de toutes les circonstances». Les gains sociaux de la privatisation dépendront également de la nature des conditions imposées lors de la vente d'une société d'État. S'il s'agit de céder le contrôle d'une entreprise, on pourra exiger des soumissionnaires qu'ils offrent des garanties en ce qui concerne l'emploi, l'approvisionnement auprès de fournisseurs locaux et, peut-être aussi, la recherche et le développement. Ces exigences sont susceptibles d'influer sur les gains, et donc sur la valeur marchande, de la société. Souvent, ce moyen de promouvoir l'emploi et d'autres objectifs se révèle relativement coûteux et inefficace. Comme nous l'avons mentionné, de tels objectifs se prêtent habituellement mieux à des programmes de portée plus générale qui permettent au gouvernement de choisir les candidats les plus prometteurs en regard de l'aide à accorder et de cesser l'aide si l'entreprise ne répond plus aux critères établis. Dans les cas extrêmes, lorsque la vente comporte une clause à l'effet que des subventions continueront à être versées en retour d'engagements de la part du nouveau propriétaire, en matière d'emploi ou sur d'autres aspects, le gouvernement peut se retrouver dans le même genre de situation défavorable qui mène souvent à opter pour la propriété publique. En d'autres termes, la privatisation dans ces conditions peut se solder par une perte nette pour la société. Le transfert de propriété d'une société et le processus de restructuration et de rationalisation qui le précède ou en résulte risquent d'entraîner des coûts d'adaptation parfois très élevés. On attend ordinairement d'un employeur avisé qu'il suive certaines pratiques afin d'atténuer l'incidence de ces problèmes de transition. En particulier, les gouvernements devraient s'assurer que les termes des conventions collectives et des contrats qu'ils ont conclus avec leurs employés soient respectés, même lorsque les garanties législatives ne s'appliquent pas ou sont ambiguës. Il faudrait surtout éviter que les travailleurs soient pénalisés lorsque les droits qu'ils ont accumulés en vue d'une pension sont pris en charge par un nouvel employeur. Lorsqu'une rationalisation ou une restructuration s'impose en vue de préparer la vente d'une entreprise, les gouvernements doivent suivre les «meilleures pratiques» en fournissant aux employés qui doivent être licenciés un préavis de congédiement suffisant, une compensation appropriée et une aide à la relocalisation. Outre ses obligations envers les employés, une entreprise est généralement liée par certains engagements envers ses créditeurs, ses fournisseurs et souvent aussi envers ses clients. Ces engagements devront aussi faire partie des négociations entre le gouvernement et les acheteurs éventuels. Les emprunts devront probablement être renégociés, vu le degré de risque plus élevé que représente une entreprise privée. Alors que le gouvernement peut continuer à se porter garant du solde de la dette de la société, cette situation risque d'entraîner des difficultés considérables, comme nous l'avons vu au chapitre . Les récentes négociations en vue de la vente de la Société de développement du transport urbain de l'Ontario donnent un exemple de l'importance que peuvent prendre les autres garanties. Une des pierres d'achoppement de ces négociations était la garantie d'exécution que la Société avait fournie à ses clients américains, laquelle (combinée aux garanties plus limitées qui la liaient avec ses sous-traitants) était perçue comme une obligation fort importante. Établir un prix de vente. L'évaluation d'une entreprise publique en vue d'en établir le prix de vente est un exercice particulièrement épineux. Par exemple, le gouvernement du Royaume-Uni a eu tendance, lors de ses émissions d'actions, à fixer le prix à un niveau bien inférieur à la valeur commerciale que prenaient ultérieurement ces titres. Lorsqu'il n'a pas fixé de prix mais a demandé aux investisseurs de présenter des soumissions égales ou supérieures à un prix minimum, il a rencontré là aussi des difficultés. Ainsi le prix minimum exigé pour les actions de Britoil s'est avéré trop élevé, de sorte que les investisseurs n'ont d'abord souscrit que le tiers de l'émission. Lorsqu'une émission publique d'actions est achetée principalement par les résidants, un prix initial trop faible se traduira par un gain pour les investisseurs aux dépens du trésor public, alors qu'inversement, si le prix initial des actions est trop élevé, il en résultera une perte pour les investisseurs à l'avantage de l'État. Bien qu'il ne s'agisse fondamentalement que d'un transfert - et d'un transfert qui se fait, dans ce cas, entre concitoyens -, ce serait une erreur de considérer que la question du prix n'a que peu d'importance. Il est clair que les gens s'attendent à ce que le prix d'une émission d'actions se rapproche raisonnablement de sa juste valeur marchande. Des prix qui conduiraient à des gains inattendus ou à des pertes importantes ne serviraient pas les intérêts du gouvernement et pourraient compromettre le programme de privatisation. Lorsqu'il s'agit de vendre une entreprise publique au moyen d'une émission publique d'actions et qu'il existe un réel problème d'évaluation, nous croyons qu'il serait avantageux d'émettre les actions par étapes. Cette façon de procéder aiderait le gouvernement à déterminer la valeur marchande des actions offertes. En mettant en vente un petit nombre d'actions et en suivant de près l'évolution de leur prix sur le marché boursier, le gouvernement disposera ainsi d'une indication précieuse pour établir le prix des émissions d'actions ultérieures. Le risque qu'une forte proportion des actions soit émise à des prix qui diffèrent sensiblement de leur valeur réelle serait réduit d'autant. Toutefois, pour que la réaction du marché à une émission initiale puisse servir d'indication sur la façon dont il réagira à une émission de 100 % des actions, le fait que le gouvernement demeure propriétaire de la société dans l'intervalle ne doit pas être jugé comme étant préjudiciable à la rentabilité de l'entreprise. Les investisseurs doivent être convaincus que le gouvernement s'est engagé dans un processus de privatisation et qu'il cédera en totalité la propriété de l'entreprise dans un proche avenir Ils doivent être assurés que, dans l'intervalle, le gouvernement ne prendra pas avantage de son pouvoir de contrôle pour imposer à la société des responsabilités en matière de politique publique. Le gouvernement doit donc se désister de son autorité en faveur du conseil d'administration et agir avec beaucoup de prudence dans ses rapports avec l'entreprise au cours de cette période de transition. L'amélioration de la transparence et du contrôle. Les efforts devraient non seulement porter sur une réforme de la structure de propriété des entreprises publiques mais viser également à ce que les sociétés d'État qui ont un rôle légitime à jouer et qui ne seront pas démantelées s'acquitteront le mieux possible de leur mandat. Un régime approprié de transparence et de contrôle doit tenir compte des caractéristiques organisationnelles distinctives de l'entreprise publique. Les sociétés gouvernementales ont été bénéfiques dans les circonstances où il était difficile pour le gouvernement de conclure des accords contractuels avec le secteur privé. Un système de contrôle qui tenterait de reproduire des relations officielles et bien structurées du genre de celles qui existent entre un gouvernement et une entreprise privée compromettrait cet avantage. Par contre, il y a des avantages à ce que les sociétés d'État opèrent avec une autonomie par rapport au gouvernement et qu'elles ne soient pas assujetties aux contraintes qui s'appliquent aux ministères gouvernementaux. Un système de contrôle qui réduirait cette autonomie risquerait d'éliminer en même temps d'importants avantages au plan organisationnel. Le gouvernement fédéral et les provinces ont mis à l'essai diverses méthodes pour le contrôle des entreprises publiques, et d'importantes réformes ont été apportées dans ce domaine au cours des dernières années. Il ressort toutefois de notre examen que des réformes supplémentaires s'imposent. La plupart du temps, les gouvernements ont tiré parti de la souplesse d'intervention que permet l'entreprise publique. Cependant, ils ont moins bien réussi à concrétiser les avantages qui doivent découler de la délégation des responsabilités à une entité quasi autonome au sein du secteur public. A notre avis, il faudrait clarifier et rationaliser davantage la division des responsabilités entre le gouvernement et le conseil d'administration des entreprises publiques. Lorsque les responsabilités ne sont pas clairement définies, il ne peut y avoir de transparence à proprement parler. Et là où le degré de transparence est faible, on ne sera guère enclin à viser un niveau élevé de rendement. Les ministres doivent certes fournir les orientations en matière de politique, mais c'est au conseil d'administration que revient la responsabilité d'administrer les activités de la société. Il doit donc disposer de pouvoirs suffisants pour être en mesure de s'acquitter efficacement de cette responsabilité. Nous avons proposé que les responsabilités de la direction et du conseil d'administration soient précisées dans un document que nous avons appelé un «énoncé des objectifs». Toutes les obligations imposées par l'État y figureraient et tout conflit entre les objectifs de la société d'État serait résolu. L'énoncé des objectifs, y compris toute modification ultérieure, serait déposé au Parlement et deviendrait un document public. Dans le régime que nous proposons, le rôle des membres du conseil d'administration des entreprises publiques est d'une importance capitale. Afin de relever le prestige et l'autonomie des membres du conseil d'administration, nous avons proposé qu'ils soient choisis à partir d'une liste de candidats préparée par une commission indépendante. Nous croyons que les ministres et les hauts fonctionnaires devraient être exclus des conseils d'administration des sociétés d'État, et cela afin d'en favoriser l'indépendance et de réduire le risque de conflits d'intérêts. Afin de s'acquitter efficacement de leurs obligations, les conseils d'administration doivent, à notre avis, avoir les pleins pouvoirs en ce qui concerne l'embauche et la rémunération des cadres supérieurs de l'entreprise. Dans la plupart des gouvernements, le rôle des conseils d'administration des entreprises publiques est encore limité, dans la pratique courante, par la nécessité d'obtenir l'autorisation du ministre pour la plupart des initiatives importantes, même lorsqu'il s'agit de questions qui, dans une large mesure, touchent à des aspects administratifs ou techniques. Nous proposons que ce genre d'intervention prédécisionnelle soit remplacé par un contrôle postdécisionnel. Lorsqu'il y a lieu de conserver une procédure d'autorisation préalable notamment pour les projets d'investissement - nous estimons que celle-ci devrait être conçue de façon à empiéter beaucoup moins qu'à l'heure actuelle sur les responsabilités de la société en matières administratives ou techniques. L'assurance que le conseil d'administration s'acquitte effectivement de ses obligations doit venir de ceux qui sont chargés de surveiller le rendement de la société d'État. La mise en place d'un système efficace pour recueillir et évaluer les renseignements sur la performance des entreprises publiques représente un défi qui mérite une certaine attention au sein de chaque gouvernement. Cependant, nous avons aussi souligné l'importance d'un processus systématique d'évaluation comme «filet de sécurité» distinct des mécanismes de surveillance. Après avoir évalué les objectifs et considéré les diverses options qui s'offrent, les gouvernements devraient fixer un plafond aux coûts qu'ils sont prêts à assumer pour soutenir diverses activités non commerciales. Dans ce cas, même s'il subsiste diverses formes - importantes mais non détectées - de gaspillage et d'inefficience, les ministres peuvent être assurés que le prix payé pour la poursuite de certains objectifs de politique publique demeure dans des limites raisonnables. Le succès d'un système de contrôle repose sur l'imputabilité non seulement des dirigeants et des administrateurs, mais aussi des fonctionnaires et des ministres chargés de la surveillance des activités des entreprises publiques. Les organes législatifs peuvent apporter une importante contribution pour s'assurer que les exigences de la procédure et les «règles du jeu» seront respectées. Nous croyons que les comités législatifs spécialisés représentent une tribune utile pour l'examen des activités des entreprises publiques. Les vérificateurs du gouvernement fédéral et des provinces peuvent appuyer le travail de ces comités et rendre ainsi plus efficace la surveillance exercée par l'autorité législative. Des mécanismes de contrôle spéciaux sont requis dans le cas des monopoles publics et des entreprises mixtes. La présence d'actionnaires privés limite considérablement la gamme des contrôles pouvant être appliqués aux sociétés mixtes. Par contre, des mécanismes de surveillance élaborés sont à la fois possibles et souhaitables dans le cas des monopoles. Les organismes de réglementation peuvent aussi contribuer au contrôle des monopoles, même lorsque la volonté du gouvernement de donner des directives dans certains domaines limite le champ de responsabilité pouvant être confié à un tel organisme. La tâche à accomplir. Notre étude de l'entreprise publique nous a fait explorer deux grandes voies de recherche. Elle nous a fait aborder la question générale de la meilleure façon pour les gouvernements de poursuivre leurs divers objectifs de politique publique. Elle nous a aussi amenés à considérer les répercussions de l'entreprise publique au plan de la productivité et de la compétitivité dans d'importants secteurs de l'économie. Dans un certain nombre de cas, il s'est avéré que les questions de politiques fondamentales débordaient le cadre de l'entreprise publique. Dans quelques secteurs, par exemple, nous avons souligné la nécessité d'une stratégie générale de réforme visant à réduire la protection gouvernementale et accroître le rôle des forces du marché. La privatisation serait un élément de cette stratégie, mais elle ne pourrait par elle-même produire les gains attendus au niveau de l'efficience du marché. Il ressort en même temps de notre étude que d'importants gains peuvent être réalisés en effectuant des réformes centrées sur l'entreprise publique. Bon nombre de sociétés gouvernementales n'ont plus leur raison d'être. Les mécanismes de contrôle en place dans les divers gouvernements ne favorisent pas l'exploitation de tout le potentiel de cet instrument d'intervention de l'État. Il y a amplement matière à réforme dans les institutions, et les mécanismes de contrôle existants des entreprises publiques offrent également de sérieuses possibilités d'amélioration. Malgré l'importance du rôle qu'a joué l'entreprise publique dans le développement du pays, les Canadiens ne doivent pas être prisonniers de leur histoire. Il importe de revoir l'utilité de chacune de ces entreprises dans le contexte social et économique d'aujourd'hui. Il est, important, en outre, que cet examen, de même que le débat public plus vaste dans lequel il s'inscrit soient éclairés par une conception réaliste du potentiel ainsi que des limites de l'entreprise publique. Nous espérons que le présent document contribuera à assurer un haut niveau et une qualité élevée à ce débat.