*{ Conseil du statut de la femme du Québec. 1993 } Pour que cesse l'inacceptable: avis sur la violence faite aux femmes. Introduction. Depuis les tragiques événements de l'école polytechnique où, le 6 décembre 1989, quatorze jeunes femmes ont été tuées, l'urgence de s'attaquer à la violence faite aux femmes s'est posée avec une acuité renouvelée au sein des sociétés québécoise et canadienne. Au-delà du massacre de Polytechnique, au-delà des histoires d'horreur de femmes battues et torturées ou de fillettes violées et tuées, histoires rapportées avec force détails par des journaux en mal de sensationnel, on parle encore bien peu de la violence quotidienne dont sont victimes des centaines de milliers de Québécoises. Les femmes qui subissent des humiliations répétées et le contrôle constant de leurs faits et gestes par un conjoint jaloux, toutes celles qui modifient leur parcours ou leur horaire pour éviter de circuler dans des endroits où elles craignent d'être agressées, celles qui subissent du harcèlement sexuel de la part d'un collègue ou d'un patron, ne font jamais la manchette. Dans les médias comme dans les divers travaux scientifiques, les différentes manifestations de violence subie par les femmes sont souvent traitées isolément les unes des autres. Si un tel morcellement peut s'avérer nécessaire, compte tenu de la complexité de chacune des formes de violence, il contribue néanmoins à faire perdre de vue les liens entre ces problèmes et masque l'ampleur de ce que le sous-comité sur la condition féminine de la Chambre des communes a appelé «La guerre contre les femmes». Le découpage en problèmes particuliers comme ceux des agressions sexuelles, de la violence conjugale ou de l'inceste rend plus difficile la détermination des causes sociales de la violence faite aux femmes par des hommes. Quand, au contraire, la violence est appréhendée dans ses aspects plus globaux, on ne peut s'empêcher de se demander : «Pourquoi toute cette violence spécifiquement dirigée contre les femmes?». Dans le présent avis, le Conseil du statut de la femme (CSF) cherche à répondre à cette dernière question. Il démontre la pertinence d'une analyse intégrant les différentes manifestations de la violence contre les femmes et demande au gouvernement d'aborder lui aussi la question de la violence d'une manière globale. Après avoir tracé un bref portrait de cinq formes de violence faite aux femmes - violence conjugale, agression sexuelle, inceste, harcèlement sexuel, pornographie -, le Conseil s'attache à dégager leurs points communs. Il procède ensuite à une analyse sociale et féministe de la violence subie par les femmes en en établissant les causes et en mettant en relief ses dimensions historiques et mondiales. Il s'attarde à confronter avec la réalité certains mythes courants sur les causes de la violence faite aux femmes. Les similitudes entre les conséquences des différentes formes de violence pour les victimes-survivantes et pour l'ensemble des femmes sont également mises en relief. La violence apparaît alors à la fois comme une conséquence de l'infériorisation des femmes dans la société et comme une façon de perpétuer l'inégalité entre hommes et femmes en remettant celles-ci à «leur» place. La violence est une affaire de pouvoir et, pour y mettre un terme, des changements fondamentaux doivent survenir dans les relations femmes-hommes et dans l'ensemble de l'organisation de la société. En effet, la violence contre les femmes n'est pas une somme de gestes individuels isolés; elle constitue une structure sociale de domination. Dans la dernière partie de l'avis, le Conseil décrit les forces et les faiblesses de la réponse sociale à la violence faite aux femmes. Le CSF propose des pistes d'action visant un «degré zéro» de cette violence qui porte atteinte à l'intégrité physique et psychologique des Québécoises. Chapitre premier - Les différentes formes de la violence faite aux femmes. Dans un projet récent de déclaration préparé par les Nations Unies, la violence contre les femmes est définie comme «un acte, une omission, une menace ou un comportement dominateur, s'exerçant dans n'importe quel domaine, et qui cause ou est susceptible de causer aux femmes des dommages corporels, sexuels ou psychologiques». Le concept de violence faite aux femmes peut englober les manifestations les plus évidentes d'agression directe ou recouvrir un ensemble plus large de manifestations d'oppression dont les femmes sont victimes. La pauvreté qui touche un grand nombre de femmes, leur dépendance économique, les iniquités qu'elles subissent en emploi, le contrôle médical sur leur corps et les restrictions au droit de choisir librement leurs maternités, sont considérés par d'aucunes comme autant de violences structurelles. Aux fins du présent avis, le CSF a cependant choisi de restreindre son propos aux comportements plus directs de contrôle et de domination exercés par les hommes sur les femmes. Sans prétendre à l'exhaustivité, il retient principalement les quatre formes de violence directe que sont la violence conjugale, l'agression sexuelle, l'inceste et le harcèlement sexuel. Nous retenons ces formes de violence parce qu'elles s'exercent principalement sur des femmes et justement parce qu'elles sont des femmes. Nous excluons donc les formes de violence subie par des femmes à l'intérieur d'emplois où, si elles sont agressées, ce n'est pas d'abord en tant que femmes mais en tant que représentantes d'un organisme dont les politiques peuvent déplaire à certaines personnes. ? l'analyse des formes de violence directe et spécifiquement dirigée contre les femmes s'ajoute celle de la pornographie comme mécanisme de légitimation de la violence faite aux femmes: si elle ne constitue pas en ellemême un comportement violent, la pornographie entretient à l'endroit des femmes des attitudes de mépris et de violence qui peuvent avoir des liens avec certaines agressions perpétrées contre elles. Toutes les formes de violence données plus haut ont déjà fait l'objet de documents de recherche distincts qui seront publiés par le Conseil. Nous nous contenterons donc d'en faire une description succincte en dégageant leurs principales caractéristiques et leur ampleur respective. Les actions entreprises pour les contrer seront abordées au dernier chapitre. 1-1 La violence conjugale. Longtemps considérée comme faisant partie de l'ordre des choses, puis occultée par le mythe du «havre de paix» familial, la violence conjugale est dénoncée publiquement, surtout à partir du milieu des années soixante-dix. Grâce au travail des groupes de femmes pour qui «le privé est politique», la violence contre les femmes dans la famille sort de la sphère des rapports privés entre conjoints et est graduellement reconnue comme un problème social. Les groupes de femmes mettent également sur pied les premières maisons d'hébergement destinées aux femmes violentées par leur conjoint. Le concept de «femme battue» au coeur des premières actions contre la violence conjugale est maintenant généralement remplacé par celui de «femme violentée» ou de «femme victime de violence conjugale». Ces termes rendent mieux compte de la diversité des expériences des femmes, la notion de «femme battue» renvoyant trop exclusivement à la violence physique. Comme l'explique le Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale, la violence contre la conjointe prend plusieurs formes. Les coups et les autres sévices corporels caractérisent la violence physique, et entraînent parfois des blessures graves et même la mort de la victime. La violence psychologique se traduit par des comportements et des propos méprisants qui dénigrent les opinions, les valeurs ou les actions de la femme et la conduisent à perdre l'estime et la confiance qu'elle a en elle-même. La violence verbale est moins subtile que la violence psychologique; elle se manifeste souvent par des insultes, du chantage ou des menaces. La violence sexuelle, souvent associée à la violence physique, atteint les femmes au plus profond de leur intégrité. Ce dernier type de violence est encore un sujet tabou et suscite des sentiments de honte chez les femmes qui la subissent. Enfin, certaines femmes sont victimes de violence économique de la part d'un conjoint qui les prive de toute initiative dans les dépenses du ménage et qui va jusqu'à contrôler jalousement leur propre salaire. Pour bon nombre de femmes, le foyer n'est donc pas le havre de paix du mythe mais bien un lieu où elles affrontent quotidiennement le mépris, le contrôle ou les agressions. L'ampleur du problème de la violence conjugale, comme celle de toutes les autres formes de violence à l'endroit des femmes, est difficile à évaluer précisément pour le Québec. La comptabilisation des cas de violence rapportés à la police (10 226 infractions en 1991) limite la violence aux cas de violence physique et de menace constituant des crimes en vertu du Code criminel. Le nombre d'admissions dans les maisons d'hébergement (9 407 admissions de femmes en 1990-1991 dans 76 maisons subventionnées) ne permet pas, quant à lui, de tenir compte des femmes qui se réfugient ailleurs ou qui continuent d'habiter avec leur conjoint violent. On dispose néanmoins de données précises pour le Canada et les États-Unis. Linda MacLeod avait déjà estimé en 1980, à partir du nombre de femmes hébergées dans les maisons d'accueil du Canada, qu'une Canadienne sur dix subissait de la violence physique de la part de son conjoint. Cette estimation s'est avérée très conservatrice : dans une étude canadienne menée en 1986 auprès d'un échantillon représentatif de 1 834 hommes et femmes, 18 % des hommes vivant avec une conjointe avouaient avoir, au cours de l'année écoulée, commis au moins l'un des actes violents suivants : lancer des objets, pousser, rudoyer, gifler, frapper à coups de pied ou de poing, battre, menacer d'utiliser une arme ou, effectivement, s'en servir contre la conjointe. «Environ 10 % des hommes mariés et vivant en union de fait ont déclaré avoir commis au moins un des cinq actes les plus sérieux pouvant entraîner des blessures graves». ? Toronto, 14,4 % des femmes rapportaient, dans une autre étude, avoir subi de la violence physique de la part de leur conjoint au cours d'une période d'un an. Une recherche menée en 1987 auprès d'un échantillon représentatif de 708 couples albertains montre que dans 11,2 % des couples interrogés, l'homme avait violenté physiquement sa conjointe au cours de l'année précédant l'enquête. Selon les auteurs de l'étude, cette proportion est quasi identique au taux de 11,3 % signalé aux États-Unis en 1985 par les chercheurs Strauss et Gelles. Le Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme estime pour sa part que si on ajoute à la violence physique les autres formes d'agressions (verbale, psychologique, etc), au moins une femme sur sept serait régulièrement soumise à la violence conjugale. La violence conjugale est rarement un incident isolé. Elle est répétitive et les épisodes tendent à devenir de plus en plus violents et de plus en plus rapprochés. La violence, notamment l'agression physique, verbale ou sexuelle, se produit souvent selon un cycle caractéristique. Dans la première phase de ce cycle, la tension monte, graduellement, et la conjointe vit dans la crainte de l'explosion de la violence. Quand l'homme passe à l'acte violent, la femme éprouve de la peur, de la colère, ou de la tristesse. Elle se sent démolie, et impuissante. Dans la troisième phase, l'agresseur manifeste des regrets ou essaie de faire oublier son comportement violent; c'est alors le retour au calme jusqu'à la prochaine montée de tension. Pendant cette période de rémission, la femme entretient l'espoir que son conjoint a changé. C'est une des raisons pour lesquelles beaucoup de femmes restent longtemps avec un conjoint violent. Plusieurs autres motifs contribuent également à expliquer pourquoi les femmes violentées demeurent avec leur conjoint : la perspective de la pauvreté, la conviction qu'elles n'ont pas le droit de priver les enfants de leur père, la peur, le sentiment de culpabilité, la honte, l'isolement et la méconnaissance des ressources, l'impression d'impuissance totale à changer la situation. Il ne faut pas non plus sous-estimer l'amour et l'attachement de la femme pour un conjoint qui possède aussi des qualités. La plupart du temps, on tient pour acquis que les victimes de la violence conjugale sont des femmes adultes. Or, on commence à entrevoir l'ampleur du phénomène de la violence dans les fréquentations entre garçons et filles. Prélude à la violence conjugale, la violence dans les fréquentations caractérise les relations amoureuses de nombreuses adolescentes qui, ne cohabitant pas avec leur petit ami, n'en subissent pas moins de la violence physique, sexuelle ou psychologique. De plus, dans les couples qui font vie commune, les femmes jeunes sont plus souvent victimes de violence que les femmes plus âgées. On estime que la grossesse constitue une période à risque élevé de violence physique pour les femmes; toutefois, il semble que les femmes enceintes sont plus exposées que les autres simplement parce qu'elles sont généralement plus jeunes. 1-2 L'agression sexuelle. Le concept de viol, utilisé dans les premiers écrits féministes sur la violence sexuelle subie par les femmes, a depuis quelques années été remplacé par celui d'agression sexuelle. Des changements sont aussi survenus dans les textes de loi et le mot «viol», qui se rapportait à la seule pénétration de force d'un pénis dans un vagin, n'est plus utilisé dans le Code criminel canadien depuis 1983. Le Code insiste maintenant sur le caractère violent plutôt que sur la dimension proprement sexuelle de l'agression. Dans presque tous les cas d'agression sexuelle, l'auteur du crime est un homme et, la plupart du temps, la victime est une femme. Contrairement à la croyance populaire, l'agresseur n'est généralement pas un parfait inconnu et l'agression n'a pas lieu dans une rue sombre, mais plutôt au domicile de la victime ou de l'agresseur. On parle de plus en plus de date-rape, ou de viol dans les fréquentations, phénomène qui survient quand une fille ou une femme est agressée sexuellement par un petit ami ou une connaissance au cours d'une sortie ou d'une rencontre. Les viols ou les agressions sont souvent prémédités et sont commis parfois par plusieurs agresseurs. L'abus de pouvoir et le mépris permettent à l'agresseur de s'arroger le droit d'utiliser à sa guise le corps de sa victime. L'agression sexuelle constitue l'un des crimes les moins rapportés aux services de police. Ainsi, une étude menée à Winnipeg montre que seulement une victime sur dix avait fait appel à la police. Quand l'agresseur est connu de la femme - ce qui est le cas sept fois sur dix - le taux de signalement est particulièrement faible. La méfiance à l'endroit du traitement policier et judiciaire des agressions sexuelles constituerait l'une des explications possibles de ce sous-signalement. Historiquement, dans les affaires de viol, les «mauvaises» femmes, celles, par exemple, qui ne correspondaient pas en tout point à la norme de la mère de famille respectable, n'étaient pas crues. Les «bonnes» femmes, quant à elles, se taisaient pour protéger leur réputation. Encore aujourd'hui, les victimes ont souvent l'impression qu'une plainte pour agression sexuelle les transforme en accusées. S'il avait été interdit de se référer, pendant le procès, aux antécédents sexuels de la plaignante en 1983, cela est réapparu en 1991 avec le jugement R C Seabover. Les mythes de la provocation des femmes et de leur consentement tacite à la violence qu'elles subissent sont en effet tenaces, aussi bien dans l'opinion publique que dans le milieu de la justice. Le fait que seule une partie des plaintes donnent lieu à une mise en accusation - 2 601 plaintes sur 4 360 jugées fondées au Québec en 1990 - ne constitue pas une incitation à recourir au système judiciaire. Le sous-signalement des agressions sexuelles pose des difficultés pour évaluer l'ampleur du phénomène. Brickman et Brière montrent toutefois que 27 % des 551 femmes interrogées au cours de leur étude avaient été violées ou agressées sexuellement au cours de leur vie. L'agression sexuelle y était définie comme des gestes de nature sexuelle impliquant un contact physique entre la victime et l'agresseur. Pour sa part, l'enquête menée par le Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes estimait à une sur deux la proportion des femmes ayant subi des actes sexuels non désirés à un moment ou l'autre de leur vie. Les actes sexuels non désirés incluaient, outre les contacts physiques entre agresseur et victime, les menaces et les gestes d'exhibitionnisme. 1-3 L'inceste. Le rapport du Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes (rapport Badgley) montre que près des deux tiers des femmes victimes d'actes sexuels non désirés avaient moins de dix-huit ans au moment de la première agression. Les agressions ou «abus sexuels» contre les enfants peuvent être le fait de trois types d'agresseurs : des inconnus, des personnes connues mais extérieures à la famille, ou des membres de la famille (on parlera alors d'agressions sexuelles intrafamiliales ou d'inceste). Même si, au sens du Code criminel, l'inceste est circonscrit aux agressions sexuelles entre deux personnes unies par des liens de consanguinité, les définitions cliniques du phénomène incluent généralement tous les cas d'exploitation sexuelle dans le cadre familial. La victime est alors généralement une fille mineure et l'agresseur un homme adulte (père, conjoint de la mère, oncle, etc), bien qu'un autre mineur, par exemple le frère de l'enfant abusé e, puisse également être l'auteur de l'inceste. Il faut noter que, si l'inceste est un phénomène fréquent mais peu rapporté, les enfants sont le plus souvent victimes d'agression sexuelle de la part d'hommes connus mais extérieurs à leur famille. Sur l'ensemble des femmes qui ont subi une agression sexuelle dans l'enfance, la proportion de celles qui ont été agressées par un membre de la famille varie entre 24 % et 29 % selon les études consultées. Comme dans les cas d'inceste cependant, les agresseurs extérieurs à la famille sont des hommes en situation d'autorité et en qui l'enfant a confiance, d'où le sentiment de trahison qui découle souvent des actes sexuels imposés. Les enfants de moins de seize ans soumis à des attouchements, à des agressions sexuelles ou à des tentatives d'agression sont, dans près de 75 % des cas, des filles. Les agresseurs sont des hommes ou des garçons dans 90 % à 98 % des cas, d'après les études. L'agression sexuelle par des adultes sur des enfants procède d'un double rapport de pouvoir : un rapport de domination des hommes sur les femmes, dans la mesure où il s'agit surtout d'agressions sexuelles contre des filles perpétrées par des hommes, et un rapport de pouvoir de l'adulte sur l'enfant, qui peut faire aussi des victimes chez les garçons. Les enquêtes permettant d'évaluer la fréquence des agressions sexuelles commises sur les enfants sont peu nombreuses et ne portent pas exclusivement sur l'inceste. De plus, à cause notamment des variations dans les définitions adoptées pour étudier les actes sexuels commis contre des enfants, il est difficile de connaître exactement l'ampleur du problème. Dans l'étude que Diana Russell a réalisée à San Francisco, dans laquelle l'inceste comprend les contacts ou les tentatives de contacts sexuels entre membres de la famille, 16 % des femmes interrogées ont révélé avoir subi l'inceste dans leur enfance. La Collective par et pour elle, au terme d'une recension des études portant sur l'inceste, conclut pour sa part qu'environ une fille sur cinq subirait des agressions sexuelles intrafamiliales. La relation incestueuse débute souvent par des jeux à connotation sexuelle amorcés par l'agresseur, accompagnés de promesses ou de récompenses. L'activité proprement sexuelle augmente graduellement et s'étend en général sur plusieurs années, tout en étant entourée de secret. Dans certains cas, ce secret, gardé par la victime dans la peur, la honte et la culpabilité, ne sera jamais dévoilé. 1-4 Le harcèlement sexuel. Les connaissances sur la fréquence du harcèlement sexuel sont limitées. Les résultats obtenus par les quelques études sur le sujet varient en fonction de nombreux facteurs. Dans plusieurs recherches, des échantillons non aléatoires étaient constitués à partir des femmes intéressées à participer à l'étude. Par ailleurs, certaines recherches ont porté sur des sous-catégories particulières de femmes: employées de tel secteur, étudiantes de telle université ou collège. Dans une étude menée à l'Université de Calgary à partir d'un échantillon tiré au hasard, 30 % des répondantes du premier cycle universitaire affirmaient avoir été victimes à l'université de comportements sexuels inappropriés. Or, si le milieu de travail ou d'études sont des lieux importants de harcèlement sexuel, les femmes peuvent aussi être harcelées au moment de leurs contacts avec différents services publics ou privés ou dans la rue, par exemple. En 1981, la première enquête nationale réalisée au Canada révélait que 49 % des répondantes avaient été soumises à une «attention sexuelle indésirée». Parmi celles-ci, plus de la moitié ne considéraient toutefois pas les faits rapportés comme du harcèlement sexuel, et ce, malgré les conséquences sur leur travail et malgré la détérioration de leur état de santé psychologique et physique dans un bon nombre de cas. Dans un sondage mené par la maison IQOP en 1988, 23 96 des femmes interrogées estimaient avoir déjà subi du harcèlement sexuel. Parce qu'il repose sur la contrainte et non pas sur la séduction ou l'attirance réciproque, le harcèlement sexuel constitue une forme de violence contre les femmes; il représente une manifestation du pouvoir que s'arrogent des hommes pour contrôler et disposer des femmes comme si elles se réduisaient à un objet sexuel. La notion de harcèlement sexuel a acquis, au fil des années, un degré de précision qu'elle n'avait pas dans les premières recherches sur le phénomène. On s'entend désormais pour caractériser le harcèlement par sa nature généralement répétitive, sa connotation sexuelle, son caractère non désiré par la femme harcelée et ses conséquences néfastes pour celle-ci. Les termes «harcèlement sexuel» incluent à la fois les agressions verbales (blagues sexistes et dévalorisantes, propositions insistantes, questions sur la vie sexuelle de la femme, etc) et non verbales (sifflements, regards insistants, etc), les attouchements, l'affichage de matériel pornographique, ainsi que l'agression sexuelle proprement dite. Selon Catherine MacKinnon, le harcèlement sexuel au travail revêt deux types : il est contrariant si les paroles, les gestes ou les affiches à connotation sexuelle empoisonnent l'atmosphère et créent une ambiance défavorable au travail (dans d'autres contextes, il pourrait être défavorable aux études, à l'accès à certains services publics, etc); il est contraignant s'il s'accompagne de pressions directes, de chantage et de menaces de représailles si la personne harcelée ne cède pas aux avances. Dans les deux cas, le harcèlement s'accompagne d'effets néfastes allant de l'anxiété à la perte d'emploi, en passant par la peur et la dépression. La pornographie a fait et fait toujours un certain nombre de victimes directes : mineurs victimes d'exploitation sexuelle dans la pornographie enfantine, femmes et enfants véritablement torturés puis tués au cours du tournage de certains films pornographiques. La pornographie est également une forme indirecte de la violence faite aux femmes. Elle fonctionne sur un plan culturel et symbolique en renforçant des conceptions très sexistes des rapports hommes-femmes et en réduisant les femmes à des objets sexuels. La pornographie va souvent jusqu'à s'instituer en propagande de haine sexuelle : les femmes sont des «putains» ou des cibles masochistes d'une sexualité masculine qu'on dépeint comme agressive par essence. Pornographie «dure» ou «douce», explicitement ou tacitement violente, sa base idéologique est la même : la domination, notamment sur le plan de la sexualité, des hommes sur les femmes. Véhicule idéologique de l'oppression des femmes, la pornographie c'est aussi une industrie fondée sur l'exploitation de la sexualité humaine. L'importance économique de cette industrie est difficile à évaluer. Au Canada en 1985, le Comité d'étude sur la pornographie et la prostitution estimait les revenus nord-américains produits par la pornographie entre 12 et 50 milliards de dollars, sans compter les recettes venant des bandes vidéo. Comme toute industrie privée active dans une société capitaliste, son principe premier est le profit. La nécessité de conquérir une part toujours plus grande du marché pour amasser plus de profits peut expliquer la diversification des produits pornographiques (vidéos, téléphone-sexe, etc) et le changement dans le contenu des productions : depuis les années soixante, la violence explicite vient «pimenter» le contenu pornographique. La féministe Andrea Dworkin illustre le lien entre pornographie et viol d'un exemple percutant. Le magazine pornographique Hustler publiait il y a quelques années la photo du viol collectif d'une jeune fille sur une table de billard dans un bar, devant une assistance de consommateurs qui encourageaient les violeurs. Quelques mois après, une femme était véritablement violée dans les mêmes circonstances dans la petite ville de New Betsford aux États-Unis. L'histoire a été reprise par le film The Accused. Après le viol réel, Hustler a fait paraître en page couverture la photo d'une femme sur une table de billard, les jambes écartées et l'air lascif, avec la mention «Bienvenue à New Betsford». Malgré des cas semblables où les violeurs «s'inspirent» manifestement du matériel pornographique, les études portant sur les liens de causalité entre la pornographie et les comportements de violence sexuelle faite aux femmes arrivent à des conclusions contradictoires. Si des incertitudes entourent toujours le lien pornographieviol, la pornographie n'en influence pas moins la perception que les hommes (et les femmes) ont des femmes et de la sexualité. Sans les créer de toutes pièces, la pornographie reflète et renforce les tendances misogynes de ses consommateurs et de la société qui donne lieu à une telle production. Plusieurs études montrent du reste que le fait de visionner des scènes où la femme qui subit de la violence sexuelle semble éprouver du plaisir alimente le mythe selon lequel les femmes aiment être agressées sexuellement. L'exposition à des images de violence (sexuelle ou autre) entraîne de plus à être insensible au sort des victimes réelles de violence. Chapitre 2 - Les similitudes entre les manifestations et les conséquences de la violence contre les femmes. L'étude séparée des différentes formes de violence faite aux femmes peut faire perdre de vue les recoupements et les similitudes qui les caractérisent. Ces dernières ont trait à la fois aux diverses manifestations de la violence et aux conséquences pour les femmes et les filles qui subissent l'une ou l'autre forme de violence. 2-l Les similitudes entre les manifestations de la violence contre les femmes. Les manifestations de violence traitées ici ont ceci en commun que les personnes qui ont subi l'inceste, la violence conjugale, le harcèlement sexuel ou l'agression sexuelle sont pour la plupart des filles ou des femmes, alors que les agresseurs sont presque exclusivement des hommes. Il s'agit donc de violences masculines spécifiquement dirigées contre les femmes. Les femmes victimes et les hommes agresseurs ne présentent pas de profil unique. Ils sont de tout âge, de toute culture, de toute origine ethnique et de tout niveau socioéconomique. Malgré leur ampleur, les différentes formes de violence contre les femmes sont aussi trop souvent banalisées. Seules les manifestations les plus graves retiennent l'attention. Elles sont alors présentées, comme ce fut le cas lors du massacre de l'École polytechnique, comme des actes aberrants et exceptionnels, comme l'oeuvre d'un fou ou d'une personne déséquilibrée. Les manifestations de violence contre les femmes sont tellement similaires que les frontières entre elles sont parfois difficiles à tracer. Ainsi, certains gestes de harcèlement sexuel peuvent être considérés comme des agressions sexuelles. La violence conjugale recouvre la réalité de la violence sexuelle perpétrée contre la conjointe. L'inceste constitue une forme d'agression sexuelle. Les différentes formes de violence des hommes contre les femmes, hormis la violence conjugale physique ou psychologique, comportent toutes un aspect sexuel manifeste. La violence atteint ainsi les femmes dans la dimension la plus intime de leur être. Cette dimension est évidemment centrale dans la pornographie, même si celle-ci se distingue des autres formes de violence étant donne qu'elle agit surtout sur le plan des représentations culturelles et qu'on ne compte pas autant de victimes directes. En somme, la violence faite aux femmes se traduit le plus souvent par l'appropriation forcée de leur corps par des hommes. L'inceste fait des victimes surtout chez les enfants, alors que la violence conjugale, le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles sont plutôt associées à des femmes adultes. Or, les recoupements entre les différentes formes de violence masculine apparaissent même quand on essaie de les distinguer sur la base de l'âge des femmes qui les subissent. Ce ne sont pas seulement des femmes mais aussi des fillettes qui sont harcelées ou agressées sexuellement bien que, dans ces cas, on parle alors généralement d'«abus sexuels» d'enfants. On commence par ailleurs à prendre conscience de la violence subie par nombre de jeunes filles dans leurs fréquentations avec les garçons, phénomène qui constitue en quelque sorte le prélude de la violence conjugale. Quant aux femmes âgées, il est erroné de croire qu'elles sont à l'abri des agressions sexuelles ou de la violence conjugale. Une partie des personnes âgées victimes de violence est constituée en fait de femmes qui ont vieilli avec un conjoint violent. La violence faite aux femmes, ou la menace de violence, est en général le fait, non pas d'inconnus, mais de membres de la famille ou de connaissances. Les femmes sont agressées par des proches, des personnes en qui elles devraient naturellement avoir confiance. L'inceste, par définition, se vit «en famille». La violence conjugale aussi. Pour 12 % des femmes contre seulement 2 % des hommes victimes de voies de fait, l'auteur du crime est un membre de la famille. Cinquante-sept pour cent des femmes assassinées au Canada sont tuées par quelqu'un de la famille. D'autres formes de violence se manifestent davantage hors du contexte familial (harcèlement ou agression sexuelle), mais les agresseurs sont connus de la victime la plupart du temps. Les femmes sont aussi plus susceptibles que les hommes d'être attaquées dans un lieu privé. La violence les atteint dans la rue mais aussi et surtout dans leur propre maison, dans la supposée sécurité de leur foyer, ou dans des lieux familiers comme à l'école ou au travail. Plusieurs formes de violence présentent des similitudes quant à leur caractère répétitif. Les actes de violence conjugale, de harcèlement sexuel et d'inceste ne sont pas des incidents rares ou uniques. Ces actes se reproduisent encore et encore, au fil des jours, des mois ou des années. On constate également l'escalade de la violence : la fréquence et la gravité des agressions augmentent avec le temps. 2-2 Les similitudes entre les conséquences des formes de violence faite aux femmes. Les différentes manifestations de la violence faite aux femmes engendrent deux types de conséquences : des conséquences pour les personnes qui subissent la violence, et des conséquences sociales qui touchent toutes les femmes et affectent la société dans son ensemble. 2-2-1 Les conséquences pour les femmes qui subissent la violence. Les conséquences individuelles ne sont pas identiques d'une personne à l'autre. Elles varient avec différents facteurs comme, entre autres, la nature et la gravité des agressions, leur durée, la personnalité de la victime, le soutien de l'entourage et les ressources d'aide à la disposition des victimes. Néanmoins, plusieurs similitudes peuvent être dégagées. La peur est la conséquence la plus manifeste pour les victimes de toutes les formes de violence masculine. La peur d'avoir mal, la peur d'être blessée, la peur de mourir accompagne les agressions physiques et sexuelles contre les femmes et les filles. La crainte de la récidive les hante après l'agression. Les femmes violentées par un conjoint, agressées par une connaissance, harcelées par un patron et les filles victimes d'actes sexuels d'un oncle ou d'un père côtoient, souvent quotidiennement, leur agresseur. Le caractère imprévisible de la violence les force à vivre constamment dans la crainte et à épuiser leur énergie à éviter d'être seules avec lui. Dans plusieurs cas de violence conjugale, les femmes ont peur non seulement pour elles, mais aussi pour leurs enfants, qui peuvent aussi être la cible de la violence du père. Les victimes d'inceste ont, quant à elles, peur pour leurs soeurs. La violence a des conséquences néfastes sur la santé physique et psychologique des femmes agressées. «Les victimes d'agression sexuelle sont blessées dans au moins 60 % des cas, assez grièvement dans 20 % des attaques pour nécessiter des soins médicaux». Selon des épidémiologistes américains, la violence conjugale constituerait la principale source de blessures graves subies par les femmes et ferait plus de victimes que les accidents d'automobiles, les attaques (muggings) et les viols réunis. Plus de la moitié des femmes blessées par leur conjoint lors d'une agression physique ou sexuelle seraient dans l'incapacité de faire des tâches domestiques pendant un certain temps à cause de ces blessures. Une étude québécoise montre que les femmes qui ont subi de la violence conjugale sont, un an après leur séjour en maison d'hébergement, plus nombreuses à éprouver des problèmes de santé physique et connaissent plus de problèmes de santé que les autres femmes. Les problèmes de santé mentale sont aussi plus répandus chez les femmes ayant séjourné en maison d'hébergement. La dépression nerveuse et les idées suicidaires seraient associées à la violence conjugale. L'abus d'alcool ou de drogue peut aussi résulter de la violence, de même que la consommation de médicaments. En outre, l'expérience de l'une ou de l'autre forme de violence peut susciter des sentiments de honte et de culpabilité chez les femmes qui les subissent, ainsi que la perte de l'estime de soi. Les femmes violentées se sentent «marquées». La crainte ou le fait de ne pas être crues ou de ne pas être comprises, alliés à l'adhésion aux messages culpabilisants répétés par la société, isole les femmes qui se replient sur leur secret. La violence peut modifier leur façon de voir les hommes. Elles se méfient, ont peur de l'intimité, sentent le besoin de se protéger. Elles peuvent développer l'idée que tous les hommes sont violents, et que cette violence est dans l'ordre des choses. Elles peuvent aussi avoir de la difficulté à délimiter les frontières de leur intimité ou de leur vie personnelle. Des sentiments ambivalents par rapport à l'agresseur marquent aussi l'expérience des femmes victimes de violence conjugale et de celles qui ont vécu l'inceste. Il est très difficile de départager la haine de l'agresseur et l'amour du père ou du conjoint qui, malgré sa violence, possède aussi des qualités. Ces sentiments entremêlés peuvent être la source d'une détresse psychologique. De plus, les femmes soumises à la violence sexuelle se sentent salies et blessées au plus profond de leur intimité. Leur vie sexuelle peut en être gravement perturbée. Elles peuvent notamment avoir de la difficulté à distinguer entre la sexualité comme fête intime et la sexualité comme expression du contrôle de l'homme sur la femme. Enfin, la violence comporte des conséquences économiques pour les victimes. Le harcèlement sexuel oblige des femmes à quitter leur emploi, la violence conjugale engendre des ruptures d'union dans lesquelles les femmes souvent s'appauvrissent. Plusieurs femmes violentées préfèrent ne rien demander à l'ex-conjoint violent sur les plans matériel ou financier, de crainte de s'exposer davantage à des représailles violentes. Les blessures subies au cours des agressions obligent des femmes à s'absenter du travail ou des études. Les perturbations psychologiques résultant de la violence rendent la concentration mentale plus difficile et peuvent réduire le rendement scolaire ou la productivité au travail. De nombreuses femmes ou filles violentées doivent investir temps et argent en thérapie pour arriver à surmonter le traumatisme associé à l'expérience de violence. 2-2-2 Les conséquences sur l'ensemble des femmes et sur la société. Selon les données des services de police, les femmes sont aussi souvent victimes de crimes de violence que les hommes. Elles redoutent cependant davantage qu'eux de marcher seules la nuit. C'est là un exemple de la rançon de la violence masculine payée par l'ensemble des femmes. La peur, première conséquence de la violence faite aux femmes, n'habite pas seulement les victimes directes de la violence. Elle conditionne aussi la vie des exvictimes qui craignent que la situation de violence conjugale, d'agression sexuelle ou de harcèlement ne se produise avec un autre homme. Elle crée des appréhensions chez celles dont la soeur, l'amie ou la collègue a été harcelée, agressée ou violentée. La peur, notamment celle d'être agressée sexuellement, influence les allées et venues de l'ensemble des femmes et limite leur autonomie. De nombreuses femmes n'osent pas voyager seules, partir en excursion dans la nature, utiliser un stationnement souterrain, rentrer tard de la bibliothèque ou du cinéma, ou même se promener le soir dans leur quartier. La crainte d'une agression sexuelle conditionne la vie de toutes les femmes. La violence faite aux femmes occasionne des coûts élevés à l'ensemble de la société. Les soins médicaux et les services sociaux dispensés aux victimes, les ressources policières et judiciaires mobilisées pour réprimer les crimes contre les femmes, les programmes de traitement destinés aux agresseurs représentent des coûts directs de la violence masculine contre les femmes. Les heures de travail perdues et la baisse de la productivité dans le travail domestique ou salarié des femmes victimes de violence, la moins grande assiduité aux activités d'apprentissage et le retard scolaire pouvant s'ensuivre pour les enfants victimes d'inceste, sont autant de conséquences moins directes de la violence masculine mais tout aussi coûteuses socialement. La société y perd aussi sur le plan moins strictement économique. Par exemple, la pornographie altère et déforme l'image que les hommes et les femmes ont de la sexualité et, plus généralement, des rapports entre les deux sexes. Par ailleurs, comment une organisation sociale peut-elle prétendre à la démocratie et au respect des droits humains quand la moitié de ses membres est susceptible de subir une violence spécifique parce qu'elle appartient au genre féminin? La violence contre les femmes entache la réputation de démocratie de nos sociétés dites évoluées et elle constitue un indice de moindre qualité de vie. Chapitre 3 - L'analyse féministe du pourquoi et du comment de la violence contre les femmes. La violence faite aux femmes est à la fois une conséquence de la subordination des femmes dans la société et un moyen de maintenir cette subordination. La violence se perpétue notamment dans le processus de socialisation, mais elle persiste aussi parce que la société la tolère et n'intervient pas de façon assez efficace pour la faire cesser. 3-1 La violence faite aux femmes comme conséquence de l'inégalité entre les sexes. La violence masculine contre les femmes résulte de l'inégalité sociale entre les sexes. Cette inégalité, comme la violence qu'elle engendre, doit être appréhendée dans une perspective historique. On constate alors que les femmes n'ont peut-être pas toujours été subordonnées aux hommes. 3-1-1 L'inégalité entre les sexes comme phénomène historique. Plusieurs anthropologues associent la subordination sociale et politique des femmes au passage de sociétés nomades de chasseurs-cueilleurs à des sociétés sédentaires fondées sur l'agriculture. Avec la sédentarisation, la croissance démographique devient un enjeu d'importance vitale : il est impérieux de produire la main-d'oeuvre suffisante pour cultiver la terre et pour mener les guerres d'appropriation des terres contre les groupes rivaux. En raison de leur rôle dans la reproduction, les femmes sont précieuses et doivent être protégées. S'appuyant sur les travaux d'anthropologues, Micheline de Sève conclut : Que la protection des femmes ait abouti progressivement à leur réclusion et que la crainte respectueuse de leur pouvoir de donner la vie se soit inversée en mépris de leur dépendance n'a rien de tellement surprenant dès lors qu'elles ont été exclues du contact direct avec l'extérieur. Quelle que soit son origine, la subordination des femmes a été enracinée dans des mentalités et des institutions qui sont encore empreintes du sexisme séculaire qui les a caractérisées. La contribution de l'Église à l'infériorisation des femmes n'est plus à démontrer. Selon la version de la création la plus répandue, la femme a été tirée d'une côte de l'homme et lui était destinée. D'après SaintAugustin, le corps de l'homme est à l'image de son âme, mais pas celui de la femme. Selon Saint-Paul, l'homme est le reflet de Dieu, mais la femme n'est que le reflet de l'homme. L'Assemblée des évêques catholiques reconnaît elle-même le rôle joué par l'Église dans le maintien du système patriarcal : A l'autorité morale de l'apôtre Paul allait s'ajouter celle des Pères de l'Église, tributaires des mêmes stéréotypes sexuels. Ils l'expliqueront (l'infériorité sociale des femmes) comme une déficience de nature et une conséquence de la culpabilité d'?ve, mettant au compte des femmes toutes les tribulations du genre humain depuis la faute originelle, y compris la crucifixion de Jésus-Christ. Le statut inférieur des femmes s'est longtemps trouvé inscrit dans les lois. Les Québécoises ont obtenu le droit de vote aux élections provinciales seulement en 1940. L'accès aux études supérieures et la pratique d'une profession libérale ont longtemps été réservés aux hommes. Jusqu'à une date encore récente, le Code civil québécois était régi par les principes du pouvoir des pères et des maris sur les femmes, ainsi que par celui de l'incapacité juridique des femmes mariées. En vertu de l'ancien Code civil, la femme devait obéissance au mari, qui lui devait protection. La femme était obligée d'adopter la nationalité de son époux. Celui-ci choisissait le domicile familial. Le mari pouvait demander la séparation pour cause d'adultère, alors que la femme pouvait faire de même seulement à condition que la maîtresse du mari vive dans la maison commune. Des réformes successives ont modifié certains aspects du Code civil. Ce n'est toutefois qu'en 1980, au moment de la réforme du droit de la famille, que le législateur a adopté le principe de l'égalité des conjoints. 3-1-2 La violence comme conséquence de l'inégalité. Les femmes ne sont plus, selon la lettre de la loi, traitées comme des mineures, sous la tutelle d'un père ou d'un mari investi de l'autorité suprême. Elles n'ont pas pour autant conquis une égalité réelle dans la société. Les conséquences de l'inégalité des femmes demeurent nombreuses. Le contrôle de leur corps et de leurs maternités leur échappe encore. L'insuffisance de moyens de contraception sûrs et efficaces et l'accessibilité restreinte aux services d'avortement limitent la possibilité des femmes de maîtriser leur capacité reproductrice. Pour ce qui est de l'emploi, le taux de participation des femmes au marché du travail reste bien inférieur à celui des hommes (51,3 % contre 75,1 %). La proportion des femmes travaillant à temps partiel est plus de trois fois supérieure à celle des hommes. En 1990, le revenu moyen d'emploi des femmes atteignait à peine 62,3 % de celui des hommes. Dans la sphère privée, les responsabilités domestiques et familiales incombent encore essentiellement aux femmes, qui les assument gratuitement et souvent au détriment d'un emploi rémunéré. La valeur du travail domestique des femmes n'est pas reconnue. Sur le plan économique, beaucoup de femmes, notamment les plus âgées, sont encore dépendantes d'un conjoint et, au moment d'une rupture conjugale, nombreuses sont celles qui s'appauvrissent. Les familles monoparentales dirigées par une femme constituent l'une des catégories sociales les plus défavorisées économiquement. La violence faite aux femmes est elle aussi une conséquence des rapports d'inégalité entre les sexes. La violence représente l'usage de la force au service d'un pouvoir. Pour qu'une entité exerce de la violence contre une autre, il doit y avoir au préalable un rapport inégal de pouvoir à l'avantage de la première. En théorie, plus l'inégalité est grande, plus le potentiel de violence est élevé. La violence contre les femmes, comme la violence raciale ou religieuse, est rendue possible par la conviction que «l'autre», la femme, le noir, le juif, vaut moins que soi, est moins intelligent, moins beau, moins utile à la société, moins proche de Dieu. La violence existe quand il y a mépris de l'autre et de ses désirs, quand il y a négation de son identité et de son égalité. Beaucoup d'hommes, particulièrement dans le domaine «privé» de la famille, considèrent encore les femmes et les enfants comme étant leur propriété. Des hommes continuent d'exercer leur «droit» de corriger «leur» femme quand celle-ci ne se conforme pas à leurs attentes. D'autres se permettent d'agresser sexuellement une femme qu'ils ont accompagnée au cinéma au mépris complet de ses désirs. Des frères exploitent sexuellement leur soeur, des oncles, leur nièce. Ils le font parce que, historiquement, les hommes ont depuis très longtemps disposé ainsi des femmes. Ils le font parce que la société tolère qu'ils agissent ainsi. Sans la tolérance sociale qui entoure la violence faite aux femmes, celle-ci ne pourrait avoir l'ampleur qu'elle connaît aujourd'hui. Or, la société accepte la violence contre les femmes en n'agissant pas vigoureusement pour la faire cesser et en ne soutenant pas suffisamment les femmes violentées. Si les femmes étaient vraiment considérées comme les égales des hommes sur tous les plans, la violence dont elles sont les victimes séculaires ne pourrait pas se perpétuer. 3-1-3 La violence faite aux femmes et les différentes cultures. L'inégalité entre les sexes et la violence contre les femmes existent aux quatre coins du monde. En Afrique, plus de 75 millions de filles et de femmes sont soumises à des mutilations sexuelles, dont la clitoridectomie et l'infibulation. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, jusqu'à 67 % des femmes seraient victimes de violence conjugale dans certains groupes tribaux. En Inde, 1 786 femmes ont été tuées en 1987 en relation avec des problèmes de dot. Au Koweit, le tiers des femmes interrogées lors d'une enquête ont révélé avoir été déjà agressées par leur conjoint. Dans l'État de Sao Paulo au Brésil en 1980-1981, 722 hommes qui avaient tué leur conjointe parce qu'elle avait commis l'adultère ont été acquittés par la cour en invoquant avec succès la «légitime défense de l'honneur». En juillet 1991 au Kenya, 71 collégiennes étaient violées et 19 tuées lors d'un raid dans leur dortoir mené par un groupe de jeunes hommes. Amnistie internationale dénonce à quel point les femmes sont avilies, humiliées et violées au cours de conflits politiques. En Amérique latine, des femmes prisonnières et des parentes de prisonniers politiques sont fréquemment violées par des gardiens et des soldats. En temps de guerre, le viol des femmes est un acte courant, mais qui passe souvent inaperçu ou est rarement considéré comme un crime de guerre. Au début de 1993, le viol systématique de dizaines de milliers de femmes bosniaques par les soldats serbes a cependant bouleversé l'opinion mondiale. Même si la violence contre les femmes traverse les cultures, son ampleur et sa forme varient selon les sociétés étudiées. Les manifestations de violence contre les femmes révèlent d'une organisation sociale sexiste. Des anthropologues ont démontré que dans les sociétés où la fréquence du viol est élevée, les rapports entre les hommes et les femmes sont particulièrement marqués par l'inégalité, un taux élevé de violence masculine et la valorisation de la force physique dans la socialisation des garçons. La violence conjugale tendrait elle aussi à être plus répandu sociétés où la domination des hommes sur les femmes est la plus manifeste. C'est bien la preuve que la violence contre les femmes est un produit social et non une caractéristique «naturelle» des rapports entre les genres. 3-2 La violence contre les femmes comme facteur contribuant au maintien de l'inégalité entre les sexes. En plus de résulter de l'inégalité entre les sexes, la violence est un moyen de la perpétuer : elle contribue à maintenir les femmes à «leur» place. Les actes de violence contre les femmes sont des actes de contrôle et non pas, comme certains le prétendent, une perte de contrôle. La violence conjugale, l'agression sexuelle, l'inceste, le harcèlement, sont la plupart du temps des gestes prémédités. La pornographie, quant à elle, contient une menace de violence sexuelle et légitime le contrôle des femmes par la force. Selon certains anthropologues, le viol ou la menace du viol serait, dans plusieurs sociétés, un moyen de contrôler socialement les femmes trop indépendantes ou celles qui refusent de se marier. Les mutilations génitales des filles constitueraient elles aussi un mécanisme de reproduction sociale des rapports de domination d'un sexe sur l'autre. On procéderait au «marquage» de la différence entre les hommes et les femmes en coupant le clitoris de la femme, qui offrirait trop de similitudes avec le pénis. La clitoridectomie serait de plus un moyen de contrôler la sexualité féminine et d'assurer la fidélité des épouses. Dans notre société, la crainte du viol amène de nombreuses femmes à modifier leurs allées et venues. La peur d'un père agresseur ou d'un collègue harceleur force la victime à modifier ses habitudes, sa façon de se vêtir, ses propos et altère fondamentalement sa relation avec l'agresseur et même avec l'entourage. Dans les cas de harcèlement sexuel au travail, plusieurs femmes doivent se résoudre à démissionner pour se soustraire aux pressions et aux agressions. La crainte des coups du conjoint amène des femmes violentées à tenter d'éviter, sans succès bien souvent, tout comportement qui pourrait l'irriter. Selon l'expression de Diane Lemieux, coordonnatrice du Regroupement des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, la violence ou la menace de la violence force les femmes à mener une «vie de contournements». D'aucunes voient dans la violence des hommes contre les femmes la façon ultime pour les premiers d'affirmer leur pouvoir quand les autres moyens d'imposer leur volonté ne fonctionnent plus. Quand une femme refuse de se soumettre de bonne grâce à des avances sexuelles, quand le souper n'est pas prêt à temps, quand une femme a trop d'amies ou quand elle a le dernier mot dans la discussion, quand une femme, en un mot, ne reste pas à «sa place», la violence devient l'argument décisif qui rétablit la hiérarchie traditionnelle entre les sexes. Cette violence qui remet les femmes à «leur» place dépasse les rapports interpersonnels entre gens de sexe différent et a des conséquences sur le plan sociétal. Quand les femmes revendiquent collectivement leurs droits, dénoncent les injustices qu'elles subissent et obtiennent des gains juridiques, sociaux, politiques et économiques, elles s'exposent à un ressac anti-féministe comme il en sévit un depuis quelques années. Dans sa forme la plus brutale, ce ressac se traduit en violence. La tuerie de décembre 1989 à l'Université de Montréal en constitue un exemple dramatique. Ce n'est pas par hasard que Marc Lépine a choisi, pour cible des meurtres de Polytechnique, des étudiantes en génie qu'il accusait d'être féministes. Lépine aurait voulu être ingénieur, ces jeunes femmes avaient pris «sa» place. Le fait que Marc Lépine ne possédait pas la personnalité la plus équilibrée ne change rien à l'affaire : même la folie est un produit social, ses manifestations varient selon les sociétés et selon les valeurs qui y sont véhiculées. Quand les femmes protestent contre des actes violents ou sexistes, elles s'exposent à d'autres violences. Plusieurs exemples de cette escalade de la violence pour remettre les femmes à «leur» place proviennent des complexes universitaires. Ainsi, quelque temps après les événements de Polytechnique, à la faculté de génie de l'Université de l'Alberta, des étudiants ont conçu une mise en scène avec des armes jouets pendant laquelle des membres de l'assistance se sont mis à crier «Shoot the bitch» en référence à une étudiante qui avait dénoncé le harcèlement sexuel à la faculté. En 1990, à l'Université Queen, lors de la campagne annuelle de sensibilisation contre le viol, des étudiants ont affiché, en réaction au slogan «Non, c'est non», des slogans obscènes et violents («Non, ça veut dire attache-moi», par exemple). Quand des étudiantes, indignées, ont voulu organiser une manifestation pour protester contre cet affichage, une vingtaine de jeunes hommes se sont présentés sur le terrain prévu pour la manifestation, soi-disant pour jouer une partie de base-ball. Chacun transportait un bâton de base-ball. La manifestation a été annulée. Dans l'affaire de Polytechnique, les réactions des féministes bouleversées et en colère devant tant de haine dirigée contre les femmes ont été dénigrées et taxées d'excessives. Les féministes auraient exagéré la portée sociale du geste de Marc Lépine. Certains ont même soutenu que c'était le «fanatisme» des féministes qui poussait des hommes comme Marc Lépine à des violences extrêmes. Comme dans le traitement d'autres crimes contre les femmes, les victimes sont transformées en coupables : ce sont les femmes, ou les féministes, qui provoquent la violence. 3-3 La perpétuation de la violence par la socialisation. La pornographie, le sexisme dans les médias, les représentations qui cautionnent la domination des femmes par les hommes contribuent à perpétuer la violence contre les femmes. La socialisation sexiste joue aussi un rôle central. 3-3-1 La socialisation et la reproduction sociale de la violence faite aux femmes. Le sociologue Guy Rocher définit la socialisation comme : «le processus par lequel la personne humaine apprend et intériorise tout au cours de sa vie les éléments socioculturels de son milieu, les intègre à la structure de sa personnalité sous l'influence d'expériences et d'agents sociaux significatifs et par là s'adapte à l'environnement où elle doit vivre». Le processus de socialisation commence à la naissance. Traditionnellement, des traits différents sont valorisés chez les garçons et chez les filles dès le plus bas âge. On attend des garçons qu'ils soient actifs et rationnels, qu'ils dominent et contrôlent leur environnement, qu'ils foncent dans la vie. On éduque, au contraire, les filles à la passivité et à l'obéissance, on s'attend à ce qu'elles soient douces, généreuses et émotives. La célèbre étude de Broverman a démontré il y a plusieurs années que les psychiatres américains adhéraient à ce genre de stéréotypes quand ils distinguaient les caractéristiques d'une femme saine (douce, passive, intuitive, etc) et d'un homme sain (agressif, actif, rationnel, etc). Les traits que ces psychiatres évoquaient pour décrire un adulte sain étaient les mêmes que ceux qu'ils associaient à un homme sain. Cette recherche a montré à quel point les traits dits féminins sont socialement dévalorisés. Elle a illustré aussi le dilemme posé à la femme : se conformer au modèle féminin traditionnel et, en même temps, à celui d'un adulte déficient, ou développer les traits associés à un adulte sain, et être taxée de masculine ou de dominatrice pour avoir enfreint les normes sociales régissant le comportement des femmes. Même si les stéréotypes sexistes précédents semblent avoir changé avec les dernières années, beaucoup sont encore tenaces. Ils influencent la construction de l'identité de genre des hommes et des femmes et orientent leur rapport différencié à la force physique et à la violence. La violence masculine n'est pas génétique. Elle est le produit d'une socialisation au cours de laquelle les garçons et les hommes doivent montrer qu'ils sont les plus forts et apprendre à se comporter «en hommes». La violence physique, psychologique ou sexuelle devient une façon normale et légitime d'imposer sa volonté. Selon Daniel Weltzer-Lang, anthropologue et spécialiste de l'étude de la violence masculine, le modèle du viol structure l'érotisme masculin. Les violeurs sont des hommes normaux qui ont parfaitement intégré l'association entre érotisme et violence. Des exemples issus d'autres sociétés abondent dans le même sens. Chez les Samoans, le viol représente un triomphe pour l'homme et constitue un signe de masculinité. Dans plusieurs sociétés africaines, le coït est conçu comme une épreuve de force. La socialisation sexiste permet peu aux hommes de développer leur coté affectif, sauf dans le cadre de la sexualité. L'inceste serait associé à cette absence de séparation entre l'affectivité et la sexualité. Cette forme d'agression sexuelle s'expliquerait aussi par l'absence de contacts entre les hommes et les enfants. Les hommes ne vivent pas assez près des enfants, ils n'ont pas appris à en prendre soin et à les protéger. Ils sont par là moins empathiques à leur endroit et moins sensibles au mal que l'agression sexuelle leur cause. Enfin, l'éducation des hommes les oriente vers la domination et la recherche de partenaires plus petits, plus faibles, à qui il est facile d'imposer sa volonté. Les enfants peuvent correspondre à ces caractéristiques. A l'inverse des garçons plus susceptibles de recourir à la violence, la socialisation des filles leur fait courir le risque de subir la violence masculine. Éduquées à considérer comme naturelle la violence des hommes, elles peuvent minimiser la souffrance qui en résulte quand elles en font l'expérience. Ainsi, les expériences antérieures de victimisation renforcent chez les femmes l'impression que la violence masculine est dans l'ordre des choses. Et, de nombreuses femmes qui ont subi hier l'inceste minimisent aujourd'hui l'importance de la violence perpétrée sur elles par leur conjoint. Les femmes violentées rejettent souvent le blâme sur des facteurs extérieurs (consommation d'alcool du conjoint, stress) ou se sentent elles-mêmes responsables de la violence qui leur est faite. La croyance populaire veut qu'en tout homme sommeille des instincts irrépressibles de violence qu'il ne faut surtout pas éveiller. Si les femmes sont battues, c'est qu'elles ont provoqué la violence de leur conjoint, par exemple en n'étant pas d'assez bonnes épouses. Si elles sont agressées sexuellement ou sont victimes de harcèlement, c'est qu'elles ont été trop confiantes ou trop amicales : elles n'auraient pas dû accepter de sortir avec l'agresseur, elles n'auraient pas dû se trouver à tel endroit, à tel jour, à telle heure. Les femmes se répètent les messages que la société leur envoie sur leur responsabilité dans la violence qu'elles subissent. En d'autres termes, elles intériorisent leur oppression. Cette intériorisation empêche souvent les femmes violentées de prendre conscience du caractère inacceptable de la violence et contribue à les maintenir dans un rôle de victime. Même lorsqu'elles savent que la violence est inacceptable, les femmes victimes de violence masculine se sentent souvent incapables d'y échapper. L'éducation à la passivité et à la dépendance, conjuguée à l'expérience du manque de pouvoir réel des femmes dans la société et à la peur engendrée par la violence, amène certaines femmes à tolérer la violence et à la considérer comme leur lot. Peu conscientes de leurs forces, elles se croient impuissantes à changer leur situation. Cette «impuissance apprise» paralyse les femmes et contribue à les maintenir dans des situations de victime. Les femmes ne réalisent pas les habiletés et les compétences qui sont les leurs et qui leur permettent de survivre à une violence profondément destructrice. La théorie de l'«impuissance apprise» par laquelle on cherche à expliquer pourquoi certaines femmes violentées demeurent dans des situations de violence a cependant fait l'objet de critiques. Il faut bien voir que l'impression d'impuissance n'est pas seulement le fruit d'une perception erronée de la femme violentée. L'impuissance ressentie a souvent des bases bien réelles et elle est la conséquence logique du manque de solutions ou de ressources dans lequel se trouvent bien des femmes violentées. La peur de la vengeance du conjoint violent, si elle le quitte, et la peur de se retrouver pauvre et seule, la crainte de perdre leur emploi qui empêche les femmes harcelées de porter plainte, l'appréhension des victimes d'inceste ou de viol de ne pas être crues, n'ont rien d'irrationnel. Elles sont au contraire symptomatiques des obstacles réels que les femmes victimes de l'une ou l'autre forme de violence rencontrent et du manque de ressources et de soutien qui leur permettraient d'échapper a leur situation. Certains chercheurs et chercheuses notent que les femmes violentées ne sont pas passives et paralysées, elles cherchent activement et progressivement de l'aide pour mettre un terme à la violence. L'«impuissance apprise» semble souvent caractériser moins les femmes violentées que certaines personnes ou organismes vers lesquels elles se tournent pour recevoir du soutien et qui ne savent pas répondre adéquatement à leurs besoins. 3-3-2 Des nuances sur la transmission de la violence entre les générations. Le premier lieu de socialisation des enfants est la famille. Le comportement des parents constitue, sinon le seul modèle, du moins un modèle de première importance pour le jeune enfant. Un milieu familial violent peut donc permettre ou renforcer L'apprentissage de comportements de victime ou d'agresseur chez les enfants. C'est ce qu'on appelle la transmission de la violence d'une génération à l'autre. Ainsi, les garçons qui ont vu leur père user de violence contre leur mère ou qui ont eux-mêmes été battus ou victimes d'agression sexuelle, auraient tendance à reproduire les mêmes comportements violents à l'âge adulte. A l'inverse, les filles témoins ou victimes de violence dans leur famille seraient plus susceptibles d'être plus tard victimes de violence masculine. Les études sur lesquelles s'appuie l'hypothèse de la «transmission générationnelle» de la violence ne sont pas sans failles. Souvent menées à partir d'échantillons restreints ou non représentatifs de la population générale, fondées sur des définitions très variables de la violence et présentant par conséquent des résultats difficilement comparables, ces recherches n'utilisent pas toujours un groupe témoin composé de personnes qui ne sont pas des agresseurs ou qui ne sont pas des victimes. Le fait de savoir que 40 % ou 50 % des batteurs de femmes ont été battus dans leur enfance ne permet pas de confirmer la théorie de la «reproduction générationnelle» quand on ignore si cette proportion est significativement différente de la proportion des non-batteurs qui ont aussi été battus dans leur enfance. De plus, le fait que la moitié ou plus des batteurs de femmes ou des pères qui commettent l'inceste n'ont jamais eux-mêmes été maltraités ou abusés dans leur enfance tend à montrer qu'il n'y a pas de relation simple de cause à effet entre la violence dans l'enfance et la violence a l'âge adulte. Il faut donc se garder d'entretenir une vision déterministe selon laquelle, par exemple, les garçons maltraités ou victimes d'agression sexuelle seraient inéluctablement condamnés à reproduire plus tard la même violence (et seraient du même coup excusés de le faire). Ces réserves étant faites, il semble que les expériences de violence dans l'enfance représentent un facteur parmi d'autres qui contribuent au phénomène de la violence faite aux femmes. Les filles témoins de violence conjugale courent plus de risques que les autres d'être à leur tour victimes, et la probabilité que les garçons témoins ou victimes dans leur famille soient plus tard des agresseurs est plus élevée que chez les autres garçons. Chapitre 4 - Les mythes entourant les formes de violence faite aux femmes. Le pouvoir inégal des femmes et des hommes dans la société, maintenu et reproduit par le processus de socialisation, apparaît déterminant pour comprendre l'origine de la violence particulière des hommes contre les femmes. Cependant, plusieurs croyances populaires, parfois appuyées sur des théories biologiques, psychologiques ou sociales, situent ailleurs la cause de la violence subie par les femmes. En fait, certaines sont de simples justifications employées par les hommes violents pour nier leur responsabilité et culpabiliser la victime. D'autres sont inexactes dans la mesure où elles présentent comme des causes des facteurs associés à la violence. En outre, toutes passent sous silence le rapport de pouvoir qui est au fondement de la violence des hommes contre les femmes. Les similitudes entre les mythes qui prétendent expliquer chacune des formes de violence faite aux femmes sont par ailleurs remarquables. 4-1 La provocation et le masochisme des femmes. Les femmes, par leurs attitudes et leurs comportements, provoqueraient la violence des hommes. Dans les cas d'agression sexuelle, il est classique pour les agresseurs d'invoquer la provocation ou le consentement tacite de la victime. Le consentement ou la réciprocité est de la même manière implicite quand on assimile le harcèlement sexuel à un simple flirt ou à un jeu de séduction. La violence d'un homme contre «sa» femme est souvent présentée comme la conséquence des provocations verbales de la part de la femme. Même dans les cas d'inceste, la responsabilité de la victime est parfois invoquée. Le mythe de la provocation est souvent employé comme argument quand il s'agit de crimes contre les femmes. Pourtant, dans les cas de vol ou de voies de fait contre des hommes, on ne soupçonne pas la victime d'avoir provoqué le voleur ou l'agresseur. Le mythe de la provocation des femmes a pour effet de nier qu'il y a eu agression - pour les violeurs, le viol n'existe pas car la femme est toujours consentante au fond - ou du moins de reporter la responsabilité de l'agression sur la personne qui la subit. Dans les deux cas, la responsabilité de l'homme agresseur est occultée. Un mythe apparenté à celui de la provocation est celui du masochisme des femmes. Les femmes aimeraient être brutalisées, c'est pourquoi les femmes violentées auraient tant de mal à quitter leur conjoint violent. Quant à la violence sexuelle, les femmes la trouveraient excitante et la rechercheraient inconsciemment. On reconnaît bien là l'influence de la pornographie. De telles idées démontrent une tragique incompréhension de la peur, de la honte, du sentiment d'impuissance et de la souffrance physique et psychologique qui caractérisent l'expérience des femmes soumises à la violence. Le mythe du masochisme des femmes passe aussi sous silence la résistance opposée par les femmes agressées, harcelées ou violentées, et le fait que les femmes battues et les femmes agressées sexuellement subissent souvent des blessures qui les conduisent à l'hôpital. 4-2 Les fausses accusations et le désir de vengeance. Un autre mythe veut que les femmes lancent de fausses accusations de violence conjugale, de harcèlement ou d'agression sexuelle dans le but de se venger ou de nuire à un homme avec lequel elles seraient en conflit. Les données statistiques tirées tant des services de police et des services sociaux que des quelques enquêtes de population existantes montrent pourtant l'ampleur du phénomène de la violence contre les femmes. Compte tenu des difficultés associées à une plainte à la police ou à la Commission des droits de la personne et du manque de soutien accordé aux femmes dans le processus judiciaire, compte tenu aussi des délais parfois importants et des résultats souvent décevants pour les femmes, compte tenu enfin que les femmes sont encore trop souvent traitées comme les coupables quand elles portent plainte pour agression sexuelle, il serait fort étonnant que les plaignantes soient nombreuses à inventer des accusations. Par contre, il est démontré que pour toutes ces raisons, beaucoup de femmes violentées ne porteront jamais plainte. 4-3 L'explication biologique : l'agressivité naturelle et les pulsions sexuelles irrésistibles de l'homme. Les mythes présentés plus haut visent les victimes. D'autres mythes construisent plutôt un portrait déformé des hommes agresseurs. Ainsi, à cause de l'hormone mâle testostérone, les hommes seraient plus enclins à la violence que les femmes. Une autre théorie du même ordre veut que la présence d'un double chromosome Y chez certains hommes soit à la source de la violence. Ces explications voulant que la violence soit biologiquement déterminée sont de plus en plus mises en question. Au deuxième Congrès mondial sur la violence et la coexistence humaine tenu à Montréal en 1992, plusieurs conférenciers ont affirmé que la violence n'est ni innée, ni inévitable. Par ailleurs, les pulsions sexuelles irrésistibles seraient, selon des croyances populaires basées sur la biologie, à l'origine de l'agression sexuelle. Or, les études montrent que de 14 % à 46 % des viols rapportés impliquent plus d'un agresseur et que la majorité des agressions sexuelles, notamment quand l'agresseur est un inconnu, sont préméditées. Les violeurs ne sont pas non plus des hommes «en manque», dont les désirs sexuels sont frustrés. Ils ont souvent des relations sexuelles régulières avec des partenaires consentantes. La pratique de l'inceste s'installe quant à elle graduellement, s'étend sur plusieurs mois ou sur plusieurs années et l'homme agresseur utilise plusieurs tactiques pour maintenir le secret autour de ses gestes. Ces faits sur les agressions sexuelles infirment la thèse des pulsions sexuelles irrésistibles. 4-4 La pathologie ou le profil psychologique des agresseurs. La pathologie ou le profil psychologique de l'auteur d'inceste, du violeur ou du batteur de femmes est souvent invoquée comme raison unique pour expliquer sa violence. «C'est un malade», dira-t-on. Certains hommes violents contre les femmes présentent réellement des problèmes psychiatriques. Les violents «pathologiques» représentent toutefois une faible minorité parmi les agresseurs soumis à des examens psychiatriques. Les autres sont considérés comme normaux. Des études caractérisées par une approche psychologique de la violence faite aux femmes ont par ailleurs tenté de tracer le profil des agresseurs types dans les différents crimes contre les femmes. Les agresseurs d'enfants auraient des angoisses profondes par rapport à la sexualité, ils manqueraient d'estime d'eux-mêmes, seraient immatures, auraient peu d'habiletés sociales et seraient introvertis. Les violeurs seraient des hommes agressifs. Les conjoints violents manifesteraient une faible estime d'eux-mêmes, auraient du mal à s'affirmer et à exprimer leurs émotions, seraient affectivement dépendants de leur conjointe, etc. Les auteurs ne s'entendent toutefois pas sur les caractéristiques psychologiques énumérées. De plus, d'autres chercheurs notent que les hommes violents se distinguent peu dans l'ensemble des hommes non violents. Ainsi, la difficulté d'exprimer ses émotions ou de s'affirmer n'est pas propre aux seuls hommes violents. Notons également que la faible estime de soi ou la difficulté de s'affirmer caractérisent aussi beaucoup de femmes. Celles-ci ne sont pas violentes pour autant. 4-5 Les facteurs externes à l'agresseur: alcool et conditions économiques difficiles. L'alcool et les drogues sont souvent considérés comme des causes de la violence infligée aux femmes. C'est un fait que, dans les cas de voies de fait contre la conjointe ou d'agressions à caractère sexuel sur des femmes adultes ou sur des fillettes, l'homme agresseur peut avoir consommé de l'alcool. Pourtant, nombre d'hommes violents ne sont pas alcooliques, et les femmes qui consomment de l'alcool ont rarement un comportement violent. Cela nous permet de penser que si ces substances réduisent les inhibitions des agresseurs et facilitent l'expression de la violence, ils ne la créent pas. Alcool et drogue peuvent être associés à la violence contre les femmes (comme à la plupart des crimes violents), mais ils n'en sont pas la cause. La violence existe bien avant l'usage de l'alcool ou des drogues. On constate d'ailleurs que certains conjoints qui battent leur femme surtout quand ils ont bu exercent beaucoup de violence verbale et psychologique même quand ils sont sobres. L'alcool et la drogue peuvent servir de prétexte pour excuser l'agression. Dans certains cas, l'alcool serait sciemment consommé par l'homme violent dans le but de justifier ses actes violents ultérieurs. Par ailleurs, certaines théories tentent d'expliquer la violence contre les femmes par les conditions économiques difficiles vécues par de nombreux hommes. Opprimés par le système socio-économique, les hommes des milieux défavorisés auraient tendance à affirmer leur pouvoir en opprimant en retour des plus faibles, en l'occurrence les femmes. Selon une explication similaire, on croit que les problèmes économiques créent chez les hommes des tensions qui éclatent en violence. Cela ne permet toutefois pas de comprendre pourquoi ce ne sont pas les femmes, pourtant plus pauvres et généralement situées plus bas dans l'échelle sociale que les hommes, qui sont violentes. Les conclusions qui veulent que la violence soit surtout le fait des milieux défavorisés reposent souvent sur des cas non représentatifs de la population globale des victimes ou des agresseurs, et commandent une grande prudence. Si ce sont surtout des femmes de milieux défavorisés qui recourent aux maisons d'hébergement, il ne faut pas perdre de vue que les femmes de milieu plus aisé ont d'autres recours (famille ou amis en mesure de les accueillir, chalet, voyages). La surveillance plus étroite exercée par les services sociaux et policiers dans les milieux populaires, conjuguée au fait que les milieux aisés disposent de moyens financiers pour éviter l'intervention des services sociaux (recours à des thérapeutes privés), peut expliquer en partie pourquoi plus de cas connus proviennent de couches sociales économiquement défavorisées. Les hommes soupçonnés d'agression, s'ils sont mieux nantis ou plus instruits, peuvent avoir une meilleure crédibilité aux yeux de la police. Quant aux cas connus de harcèlement sexuel, ils proviennent généralement des milieux de travail ou d'études. Dans ces cas, les agressées et les agresseurs ne sont donc pas parmi les plus démunis de la société. Plusieurs enquêtes menées auprès d'échantillons représentatifs relèvent des taux plus faibles de violence conjugale dans les couches sociales plus favorisées. Les épidémiologistes Stark et Flitcraft concluent toutefois que la différence entre les pauvres et les riches est peu importante et qu'elle peut être partiellement attribuable à un biais dans les déclarations des actes de violence. Les femmes de milieux aisés pourraient en effet avoir plus de réticence à avouer qu'elles sont victimes de violence conjugale. En fait, sans pouvoir dire que la proportion des femmes violentées ou des hommes violents est la même dans tous les milieux socioéconomiques, on sait que la violence faite aux femmes s'exerce dans toutes les couches sociales. 4-6 La symétrie de la violence des hommes et des femmes. Le nouveau mythe de la symétrie de la violence des hommes et des femmes prétend que les femmes sont aussi violentes physiquement que leur conjoint. On reconnaît que sur l'ensemble des personnes qui commettent l'inceste ou qui harcèlent ou agressent sexuellement un adulte, la proportion des femmes est infime en comparaison de celle des hommes. Cependant, certains soutiennent que les actes de violence conjugale sont commis aussi fréquemment par les personnes des deux sexes. Hommes et femmes seraient donc aussi responsables les uns que les autres de ces agressions en milieu familial. Si, à cause de leur manque de pouvoir et à cause de leur socialisation, les femmes sont plus susceptibles d'être victimes qu'agresseures, c'est un fait que certaines femmes dérogent cependant à cette norme et utilisent la violence. Cela ne permet aucunement de dire que les victimes de violence conjugale sont autant des hommes que des femmes. Les études réalisées auprès des services sociaux et de santé, les données des services policiers et les enquêtes canadiennes et américaines sur la criminalité menées auprès d'échantillons représentatifs indiquent toutes au contraire que les victimes de violence conjugale sont essentiellement des femmes. De plus, les études qui montrent que les femmes sont aussi violentes que les hommes ont été fort contestées sur le plan méthodologique. L'instrument de mesure de la violence utilisé dans ces recherches, le Conflict Tacticts Scale (CTS), permet de comptabiliser les gestes violents sans que soient pris en compte l'intention du geste, son contexte ou ses conséquences. La récente recherche menée dans l'Ouest canadien et portant sur la violence conjugale perpétrée par des femmes comporte elle aussi ces lacunes puisqu'elle utilise la CTS. Or, on sait que les femmes ont souvent recours à la violence dans un contexte d'auto-défense ou de représailles. Une proportion importante des femmes qui tuent leur conjoint ont été violentées par lui pendant des années. En outre, ce sont des femmes qui subissent des blessures causées par la violence de leur conjoint et qui nécessitent des soins médicaux. Les données du Centre canadien de la statistique juridique permettent d'établir que 86 % des 269 homicides conjugaux commis au Québec entre 1974 et 1986 ont été perpétrés par des hommes. La mort comme conséquence ultime de la violence conjugale est donc essentiellement le lot des femmes. Par ailleurs, dans plusieurs recherches qui obtiennent des taux similaires de violence conjugale commise par des hommes et des femmes, la CTS est administrée à un seul membre du couple à qui l'on demande de rapporter les actes violents qu'il a subis ou commis. On postule alors que les hommes et les femmes rapportent de la même façon un même acte violent, que leur perception de la violence est identique et correspond à la réalité. D'autres études démontrent pourtant que les perceptions des deux membres d'un même couple sur la violence conjugale sont fort différentes. Une recherche québécoise récente montre que les femmes rapportent avoir subi le double du nombre d'agressions que leur conjoint déclare avoir commis. Les hommes violents ont tendance soit à reporter la responsabilité de leur violence sur la conjointe ou sur des facteurs externes, soit à minimiser le caractère violent de leur comportement. Compte tenu de tous ces éléments, les résultats de travaux qui montrent que les femmes sont aussi violentes que les hommes apparaissent peu fiables et peu valides. 4-7 La pathologie du système familial. L'une des explications les plus à la mode de la violence dans la famille est issue de l'approche systémique de thérapie familiale. Selon cette approche, la famille est un système composé de membres en interaction. Aucun problème ne peut être considéré comme relevant d'un seul individu de la famille. Une difficulté ou un comportement inapproprié de l'un des membres de la famille ne pourrait pas se perpétuer sans la contribution active des autres membres. Tout problème constitue donc le symptôme d'un mauvais fonctionnement du système familial dans son entier. Pour arriver à résoudre le problème, ce n'est pas le comportement de la seule personne porteuse du symptôme qui devra être modifié, mais bien celui de l'ensemble des membres de la famille. Selon une approche systémique de thérapie familiale, l'interaction violente dans une famille est conçue, soit comme une solution inadéquate et répétitive à une difficulté familiale non perçue, soit comme la manifestation d'un problème de frontière (membres de la famille trop ou pas assez engagés les uns par rapport aux autres) ou de hiérarchie (manque de clarté dans l'exercice du pouvoir parental, notamment). La responsabilité d'un comportement violent n'échoit donc pas au seul conjoint qui bat sa femme ou au seul père ou frère qui commet l'inceste. Le système entier, c'est-à-dire les autres membres de la famille, contribuent aussi au maintien de la violence. Or, même si dans les situations de violence conjugale ou d'inceste, la réaction de la femme violentée, de la fillette abusée ou de la mère de celle-ci peut avoir un effet sur la perpétuation de la situation, l'agresseur reste l'unique responsable de la violence. L'approche de thérapie familiale occulte cette responsabilité. Elle passe sous silence les avantages que procurent la violence à son auteur (conformité de la femme violentée à ses désirs ou à ses ordres, privilège de disposer sexuellement de l'enfant agressée et d'actualiser ses fantasmes, etc) et le rapport de pouvoir à la base de l'agression. En somme, elle examine le fonctionnement familial en l'isolant de son contexte social et en oubliant la réalité de la subordination des femmes dans la société et dans la famille. Cette forme d'analyse ne se retrouve pas uniquement dans le monde de l'intervention psychosociale. Elle se reflète aussi dans les préjugés populaires voulant qu'il y ait toujours plus d'un responsable de la violence. L'approche systémique colore aussi un certain discours gouvernemental sur la violence. Dans les termes mêmes du Conseil de la famille, «on ne peut nier une certaine part de responsabilité des femmes en violence conjugale et familiale». Selon le même organisme, il faut aider les «familles victimes de violence». Un glissement s'opère alors et le concept de violence familiale tend à se substituer à celui de violence conjugale, d'inceste ou de violence faite aux femmes dans la famille. La spécificité de la violence contre les femmes disparaît au profit d'un phénomène multiforme dont les enfants, les personnes âgées et même les hommes peuvent être aussi bien victimes que les femmes. Les conséquences politiques d'un tel glissement sont indéniables : les causes sociales de la violence faite aux femmes sont occultées et la violence conjugale et l'inceste deviennent des formes parmi d'autres de violence familiale. Chapitre 5 - La réponse de la société à la violence faite aux femmes: lacunes et recommandations. La violence faite aux femmes constitue un problème d'une rare gravité. Elle est le produit d'une société sexiste qui infériorise les femmes de multiples façons et elle est aussi un comportement choisi par des hommes pour contrôler des femmes. Au nom du droit à l'intégrité physique, sexuelle et psychologique des personnes, au nom du droit à l'autonomie et du droit des femmes d'être des citoyennes à part entière, la violence spécifiquement dirigée contre elles ne peut plus être tolérée et doit être bannie par tous les moyens. Or, de nombreux problèmes caractérisent encore les actions menées pour contrer la violence faite aux femmes. Les différentes mesures ne sont pas intégrées dans un ensemble cohérent. Les actions dans le domaine de la prévention, notamment auprès des enfants d'âge scolaire, sont ponctuelles et insuffisantes. L'intervention communautaire, sociale et sanitaire présente certaines lacunes. Le traitement judiciaire des actes de violence contre les femmes soulève de nombreuses critiques. En un mot, la réponse sociale à la violence contre les femmes doit être modifiée dans le but de véritablement tendre vers le degré zéro de la violence faite aux femmes. La nouvelle réponse sociale à la violence faite aux femmes doit s'appuyer sur les principes suivants : - La violence faite aux femmes sous toutes ses formes est inacceptable et contrevient à leur droit à l'intégrité, à l'autonomie et à la participation pleine et entière à la vie sociale. - Une réponse sociale globale et intégrée est nécessaire pour mettre fin à toutes les formes de violence faite aux femmes. - Les structures sociales et les rapports de genre qui entretiennent l'inégalité des femmes et des hommes doivent être profondément transformés afin de prévenir la violence contre les femmes. - La protection et le soutien des femmes victimes de violence et la responsabilisation des hommes agresseurs doivent être au coeur des actions pour contrer la violence faite aux femmes. 5-1 Agir globalement et de façon concertée sur les différentes manifestations de violence contre les femmes. Au moment présent, les différentes formes de violence subie par les femmes font l'objet d'actions séparées des pouvoirs publics et des organismes qui offrent des services. La politique d'aide aux femmes violentées du ministère de la Santé et des Services sociaux traite de violence conjugale et d'agression sexuelle. La politique d'intervention des ministères de la Justice et de la Sécurité publique traite uniquement de violence conjugale. En 1992, le comité interministériel chargé de coordonner les deux politiques a entrepris de revoir celles-ci dans le but de définir une politique gouvernementale sur la seule question de la violence conjugale. Le problème des agressions sexuelles serait ainsi relégué au second plan, comme tous les autres problèmes de violence contre les femmes qui n'ont jamais fait l'objet d'actions gouvernementales soutenues et concertées. Or, nous avons mis en lumière dans les chapitres précédents, les liens entre les différentes manifestations de violence, leurs racines communes et les conséquences similaires de la violence pour celles qui la subissent et pour l'ensemble des femmes. Nous avons également souligné la dimension sexuelle qui est au coeur de la plupart des formes de violence contre les femmes. Pour mettre un terme à la violence contre les femmes, il est impérieux de ne pas la réduire à la seule violence physique exercée par des conjoints. La violence sexuelle imposée par l'ami, le collègue, le conjoint, la simple connaissance ou le parfait inconnu, ne peut plus être négligée, pas plus que la violence psychologique ou verbale. Une intervention globale sur l'ensemble de la question de la violence contre les femmes est en fait nécessaire. Par ailleurs, nous avons fait état aussi de la tendance, qui prévaut dans certains organismes, de tenir l'ensemble des membres d'une même famille coresponsables d'un problème comme l'inceste ou la violence conjugale. On tend également de plus en plus à noyer la question de la violence contre les femmes dans une analyse sur la violence familiale vécue aussi bien par les enfants et les personnes âgées que par les femmes. Une politique de lutte contre la violence faite aux femmes contribuerait à contrebalancer ces tendances et à affirmer la spécificité de la violence dirigée contre les femmes. Prendre pour objet la question globale de la violence faite aux femmes n'est pas un acte sans précédent : le comité fédéral sur la violence faite aux femmes, qui a parcouru le Canada en 1992, a cherché à repérer des moyens de lutter contre toutes les formes de violence subie par les femmes. Le gouvernement de l'Ontario, quant à lui, compte fusionner en 1994 son plan d'action relatif à l'agression sexuelle et celui qui porte sur la prévention de la violence faite aux femmes parce que tous deux touchent à la même question du pouvoir des hommes sur les femmes. La politique de lutte contre la violence faite aux femmes devra poursuivre deux grands objectifs : la prévention et l'amélioration de l'intervention visant à réduire les conséquences de la violence. Si l'atteinte d'un degré zéro de violence passe nécessairement par la prévention, les interventions plus «curatives» pour améliorer les services offerts aux victimes et pour responsabiliser les agresseurs demeurent essentielles, du moins à court et à moyen terme. Pour répondre au problème global de la violence contre les femmes, le CSF recommande donc : 1- Que le gouvernement du Québec se dote d'une politique de lutte contre l'ensemble des formes de violence faite aux femmes et que cette politique soit axée sur une approche intégrée de prévention et d'action contre la violence. Pour atteindre les deux objectifs de prévention et d'amélioration de l'intervention, la politique devra mettre à contribution, dans un travail conjoint, les ministères de la Santé et des Services sociaux, de la Justice, de la Sécurité publique, de l'Éducation, de l'Enseignement supérieur et de la Science, de l'Immigration et des Communautés culturelles, des Communications, ainsi que le Secrétariat à la Condition féminine, le Secrétariat aux Affaires autochtones, l'Office des personnes handicapées et le Secrétariat à la famille. Les organismes communautaires actifs dans le champ de la violence faite aux femmes, ainsi que les divers établissements des réseaux de la santé et des services sociaux et de l'éducation, devront être partie prenante du processus d'élaboration de cette politique. L'implantation de la politique devra être accompagnée d'un échéancier et de modalités d'évaluation permettant de juger des résultats atteints après une période de trois ans. Pour assurer l'atteinte des objectifs de la politique, le travail conjoint des différents ministères et organismes doit prendre forme «sur le terrain», dans la concertation entre leurs intervenantes et intervenants respectifs. L'intervention auprès des femmes victimes de violence est encore trop largement morcelée. Les intervenantes et les intervenants du secteur communautaire, des établissements de services sociaux, du secteur de la santé et du domaine de la justice ignorent trop souvent leurs actions respectives, se transmettent peu d'information et collaborent encore plus rarement dans le but d'une intervention cohérente et concertée. Pour pallier ces problèmes, un comité interministériel a été créé dans la foulée des politiques des ministères de la Justice et du Solliciteur général sur la violence conjugale et du ministère des Affaires sociales sur les agressions sexuelles et la violence conjugale. Des tables de concertation ont été mises sur pied dans différentes régions du Québec à partir du milieu des années quatre-vingt. Elles regroupent généralement des intervenantes et des intervenants des groupes communautaires de femmes, des groupes pour hommes violents, du réseau de la santé et des services sociaux et des milieux de la justice et de la police. Le fonctionnement des tables semble cependant varier beaucoup d'une région à l'autre et il n'y a pas encore d'évaluation systématique de ces expériences. Des intervenantes rapportent que les tables de concertation permettent rarement de dépasser l'échange d'information et de mettre en place des actions concrètes. D'autres soulignent que les tables ne sont pas suffisamment prises au sérieux par certains organismes qui y délèguent des personnes sans leur accorder le pouvoir d'engager l'organisme dans telle ou telle action envisagée par la table. De plus, les tables de concertation n'ont souvent pas d'argent pour démarrer des actions concrètes. Enfin, certains reprochent aux tables de travailler trop exclusivement sur la question de la violence conjugale et de délaisser les autres formes de violence contre les femmes. Pour améliorer la concertation dans l'optique d'une prise en considération globale de la question de la violence contre les femmes, le Conseil propose : 2- Que le gouvernement du Québec, dans sa future politique contre la violence faite aux femmes, propose des moyens concrets pour faire de la concertation une véritable priorité en s'appuyant notamment sur l'évaluation des mécanismes de concertation existants. 5-2 Prévenir la violence faite aux femmes. La plupart des mesures actuelles de lutte à la violence faite aux femmes visent à réduire les conséquences de cette violence. Elles ne permettent pas d'attaquer le problème à la source et, éventuellement, de diminuer l'incidence de la violence contre les femmes dans notre société. Pour s'approcher véritablement d'un degré zéro de violence faite aux femmes, des changements structurels importants, allant dans le sens de l'égalité des femmes et des hommes, sont essentiels. Le Conseil du statut de la femme a déjà formulé des recommandations au regard de l'égalité au travail, de la sécurité du revenu, des congés parentaux, du libre choix des femmes quant à leurs grossesses, etc. Nous ne répéterons pas ces recommandations ici. Il est cependant essentiel de rappeler leur lien avec la question de la lutte contre la violence faite aux femmes. Les mesures de sensibilisation et de prévention portant plus directement sur la violence faite aux femmes sont insuffisamment répandues au Québec. Hormis quelques campagnes ponctuelles de sensibilisation tenues ces dernières années, notamment sur la question de la violence conjugale, hormis certaines initiatives émanant des ressources pour les femmes victimes de violence, la prévention est peu développée. 5-2-1 La prévention à l'école. Les activités pour promouvoir les rapports égalitaires entre les sexes et pour prévenir la violence en général, et la violence contre les femmes en particulier, devraient occuper davantage de place dans la formation des jeunes. Les enfants peuvent subir l'inceste et l'agression sexuelle de la part d'adultes, ils doivent être informés du danger et encouragés à dire non à ces actes sexuels et à dénoncer les agresseurs. Par ailleurs, la violence conjugale, le viol ou l'inceste ne sont pas le seul fait d'hommes adultes; de nombreuses adolescentes sont battues ou agressées sexuellement par un petit ami, par une connaissance ou par un frère. Une étude menée à Toronto révèle que 20 % des jeunes femmes étudiant au secondaire ont vécu au moins une forme de violence dans leurs fréquentations avec les garçons. La sensibilisation des enfants s'impose aussi pour prévenir la violence dans les rapports hommes-femmes. En dépit des nuances apportées précédemment sur la question de la transmission de la violence d'une génération à l'autre, les enfants témoins ou victimes de violence dans leur famille semblent présenter davantage de risques, dans le cas des filles, d'être plus tard des victimes de violence conjugale et dans le cas des garçons, d'être des conjoints violents. Il est donc impérieux d'empêcher que les garçons n'acquièrent des comportements violents et que les filles n'adoptent des attitudes de tolérance à la violence. L'école devrait être un lieu par excellence de la sensibilisation des jeunes à la réalité de la violence contre les femmes. Or, c'est surtout à l'intérieur du programme de formation personnelle et sociale (FPS) que ce genre de sujet est actuellement abordé; par exemple, le programme de FPS au secondaire comprend un volet «éducation à la sexualité», qui inclut quelques heures sur les agressions sexuelles et sur les rôles et les stéréotypes sexuels. Le cours de FPS est obligatoire en première, troisième, quatrième et cinquième année du secondaire. Il est facultatif au primaire et est offert, avec d'importantes variations de contenu, par environ la moitié des écoles. Quelques écoles organisent des activités complémentaires de formation autour du thème de la violence contre les filles et les femmes. Le harcèlement sexuel des filles commence à être traité dans ces activités. La Centrale de l'enseignement du Québec s'est aussi intéressée au harcèlement sexuel à l'école et a effectué une recherche sur la question. De plus, elle a lancé, en 1992, une campagne contre la violence à l'école sous le thème Objectif zéro. Certaines initiatives intéressantes de prévention en milieu scolaire viennent des groupes de femmes travaillant sur la violence. Par exemple, le programme Espace, originaire des États-Unis et introduit au Québec grâce au travail du Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, vise à prévenir et à dépister les agressions sexuelles contre les enfants du préscolaire et du primaire. Autre exemple, à Québec, le groupe Entraide Jeunesse offre aux écoles deux rencontres d'environ une heure avec les jeunes sur le thème de la violence dans les fréquentations. Les groupes communautaires manquent cependant de ressources financières pour mettre sur pied des activités de prévention ou étendre celles qui existent. Les élèves de quelques écoles ont eux-mêmes commencé, par le conseil des élèves ou un autre type de regroupement, à s'occuper de la violence qui les touche. Aucun inventaire des expériences novatrices des jeunes en matière de prévention et de lutte contre la violence n'existe encore. Cependant, certains exemples tendent à montrer que le message de la non-violence est davantage entendu quand il est porté par les élèves plutôt que par la direction de l'école. Là où les élèves ne prennent pas d'eux-mêmes l'initiative de travailler contre la violence, il apparaît donc important que les adultes de l'école trouvent les moyens de susciter l'engagement des jeunes dans les activités de prévention en lien avec la violence. En résumé, dans l'ensemble du Québec et particulièrement au primaire, les cours touchant la question de la violence, quand ils existent, varient d'une commission scolaire ou d'une école à l'autre. L'importance accordée au thème de la violence faite aux femmes et aux filles dépend aussi beaucoup de chaque enseignante et enseignant. Les activités complémentaires autour de ce thème se font quant à elles sur une petite échelle et sont ponctuelles et de courte durée. La prévention sous toutes ses formes doit être plus intense et plus soutenue en milieu scolaire, afin de favoriser de véritables changements sociaux. Le Deuxième plan d'action du gouvernement du Québec en matière de politique familiale entend lui aussi privilégier la prévention et promouvoir des comportements pacifiques chez les jeunes. Jamais, cependant, le gouvernement n'y nomme le problème particulier de la violence masculine contre les femmes et les filles. Or, cette dimension devrait être centrale dans les activités de prévention en milieu scolaire. Compte tenu de l'importance de prévenir la violence dès le plus jeune âge, le CSF recommande : 3- Que le ministère de l'Éducation du Québec intègre à l'enseignement régulier de chacune des années du primaire et du secondaire de toutes les écoles du Québec, un volet obligatoire de promotion des rapports égalitaires entre les sexes et de prévention de la violence en général et de la violence contre les femmes en particulier. 4- Que le ministère de l'éducation incite toutes les écoles primaires et secondaires à organiser chaque année des activités complémentaires de prévention de la violence contre les femmes et les filles et que les regroupements d'élèves des écoles du Québec soient encouragés à s'engager activement dans leur milieu pour prévenir et contrer la violence, particulièrement la violence faite aux filles et aux femmes. Des activités de sensibilisation devraient également être mises en place à la maternelle et dans les garderies. Les groupes travaillant dans le secteur de la violence faite aux femmes, ainsi que les enfants à qui le programme s'adresse (quand leur âge le leur permet), devraient être associés aux activités de programmation. Les groupes de femmes devraient être soutenus financièrement pour leur permettre de faire des activités de sensibilisation dans les écoles. Le contenu des activités de promotion et de prévention devrait être plus qu'informatif et viser aussi la transformation des attitudes et des valeurs relatives aux rapports hommesfemmes, à la sexualité et à la violence. Les programmes de prévention scolaire devraient être périodiquement évalués après une première période de rodage. Certains intervenants et intervenantes insistent sur l'importance de transmettre non pas seulement un message anti-violence mais également et surtout un message social positif et pacifiste. De la même façon, l'éducation sexuelle à l'école, qui de l'avis de certains devrait permettre de réduire l'incidence des agressions sexuelles, présente trop souvent la fertilité et la sexualité sous l'angle des problèmes alors qu'elle devrait être abordée sous ses aspects positifs et développementaux. Les programmes qui consistent à enseigner des méthodes de résolution de problèmes, ceux qui mettent à profit l'enseignement des arts martiaux et de la philosophie sous-jacente (maîtrise de soi, respect de soi et des autres, justice, etc) et les programmes qui permettent le jumelage des enfants violents avec d'autres enfants non violents semblent constituer des voies prometteuses pour la prévention de la violence. La prévention de la violence spécifiquement dirigée contre les femmes commande cependant de parler aussi aux jeunes de la façon de construire des rapports plus positifs entre les hommes et les femmes. L'accent mis par le ministère de l'Éducation du Québec sur la violence à l'école ne doit pas faire en sorte de noyer la question de la violence particulière vécue par les femmes. Il est important d'apprendre aux filles à reconnaître la violence et à la refuser. L'apprentissage à l'affirmation de soi et les techniques d'auto-défense peuvent constituer des outils pertinents à cet égard. Néanmoins, les activités actuelles de prévention de la violence sexuelle visent surtout les victimes; pour améliorer leur efficacité, les activités de prévention devraient viser davantage les agresseurs éventuels. Il est nécessaire d'assurer la formation des enseignantes et des enseignants appelés à donner les cours portant sur la violence faite aux femmes et sur le sexisme et de leur fournir les outils pédagogiques appropriés. A ce jour, seules quelques universités offrent un cours optionnel portant sur les rapports de genre ou le sexisme en lien avec l'éducation, mais aucun titre de cours ne renvoie à la question particulière de la violence. En ce qui a trait aux outils pédagogiques, le gouvernement du Manitoba a publié une liste nationale des documents sur la prévention de la violence. La liste est imposante, mais peu de documents semblent porter expressément sur la question de l'égalité des sexes et sur la violence spécifiquement dirigée contre les filles et les femmes. Parmi les outils de prévention connus, mentionnons le guide de prévention intitulé «Pouce! La prévention en milieu scolaire et la violence faite aux femmes», mis au point par la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants. Par ailleurs, certains programmes de prévention innovent dans le choix des moyens pour sensibiliser les jeunes à la question de la violence : marionnettes, théâtre, photoromans, etc, innovations qui pourraient être intégrées aux outils pédagogiques déjà utilisés. Pour assurer le succès du programme de prévention, le CSF recommande : 5- Que le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science incite les universités à modifier la formation des futurs enseignants et enseignantes pour les rendre aptes à éduquer les enfants sur les questions des rapports hommes-femmes, de la violence en général et de la violence faite aux femmes en particulier, et qu'il s'assure que la formation collégiale donnée aux futurs éducateurs et éducatrices en garderie comporte également un volet de sensibilisation sur ces mêmes questions. 6- Que le ministère de l'Éducation, de concert avec les commissions scolaires et les écoles, organise des activités de formation permanente pour habiliter les enseignantes et les enseignants à transmettre les contenus des programmes de promotion des relations égalitaires entre les sexes et de prévention de la violence, et que soit constitué un ensemble d'outils pédagogiques en lien avec ces contenus. L'Office des services de garde à l'enfance devrait veiller lui aussi à ce que des activités de formation permanente pour les éducateurs et éducatrices en garderie portent sur les rapports de genre et la violence. Les programmes de prévention à l'école pourraient s'inspirer de la liste des éléments de réussite des programmes de prévention répertoriés dans le rapport du Groupe de travail pour les jeunes : établir et maintenir une relation de confiance, assurer la continuité, intervenir avec intensité, opter pour la souplesse, respecter les valeurs et miser sur les compétences, éviter d'étiqueter, profiter des transitions, adopter une gestion du soutien, viser la concertation des ressources, associer du personnel compétent, oublier l'instantanéité, évaluer pour apprendre, financer adéquatement et viser la concertation entre les ministres. 5-2-2 Des programmes particuliers pour les enfants plus à risque. Les enfants témoins ou victimes de violence dans leur famille, sans être prédestinés à reproduire cette violence, semblent présenter plus de risques que les autres enfants de subir ou de commettre des actes de violence conjugale à l'âge adulte. Des programmes d'intervention visant à procurer du soutien psychosocial à ces enfants «à risque» et à les resocialiser à des agirs non sexistes et non violents semblent essentiels dans un cadre d'action préventive. Les centres de protection de l'enfance et de la jeunesse (CPEJ, qui, à la suite de la réforme de la santé et des services sociaux, remplacent officiellement les anciens centres de services sociaux (CSS) à partir d'avril 1993) agissent pour empêcher la violence parentale à l'endroit des enfants, mais ils travaillent peu à prévenir l'apparition de comportements violents chez les enfants victimes de sévices. Les enfants témoins de violence dans leur famille sont pour leur part le plus souvent laissés à eux-mêmes. Aujourd'hui, certaines maisons d'hébergement pour les femmes victimes de violence conjugale interviennent auprès des enfants hébergés. Cependant, le manque de ressources financières ne permet pas à toutes les maisons de démarrer ou d'étendre l'intervention auprès des enfants. De plus, les CLSC n'ont généralement pas de programmes particuliers s'adressant aux enfants des femmes violentées qui viennent consulter. Un document du Regroupement des CLSC du Montréal métropolitain fait à cet égard état du danger d'oublier les enfants dans l'intervention en violence conjugale. Dans une perspective préventive, et comme le Groupe de travail pour les jeunes le recommandait, ces enfants devraient faire l'objet d'une intervention soutenue. Le CSF recommande donc : 7- Que les Régies régionales veillent à ce que, sur leur territoire, des services de soutien et de resocialisation à des agirs non sexistes et non violents soient dispensés aux enfants témoins de violence conjugale ou victimes de violence dans leur milieu familial. 5-2-3 La réduction de la violence à la télévision. La campagne contre la violence à la télévision menée par la jeune Virginie Larivière, à la suite du viol et du meurtre de sa soeur, a propulsé la question de la violence télévisée à l'avant-scène de l'actualité. Une récente recension des écrits réalisée pour le compte du CRTC met en relief les liens établis par de nombreuses études effectuées en laboratoire entre la violence télévisée et la violence réelle. L'exposition à la violence télévisuelle aurait notamment des effets de désinhibition (les sujets sont plus enclins à commettre des actes violents), des effets de désensibilisation (à la longue, les sujets ne s'émeuvent plus devant les scènes de violence), et des effets d'apprentissage social (les sujets, entre autres, les enfants, apprennent de la télévision des comportements violents nouveaux quand la violence est présentée comme acceptable et acceptée). Le contexte «artificiel» de ces études a été contesté par certains qui affirment que les résultats obtenus en laboratoire ne sont pas reproductibles dans la vie réelle. Dans les études sur le terrain, des résultats contradictoires sont obtenus quant à la relation entre la violence télévisée et la violence réelle. Néanmoins, selon la recension effectuée par le CRTC, la majorité des recherches établissent une association positive entre les deux phénomènes, même si l'exposition à la violence télévisée n'est pas le seul facteur en jeu pour expliquer la propension à la violence. Parmi ces études menées auprès d'enfants, certaines mettent en relief l'influence réciproque entre violence télévisée et violence réelle s les enfants (plusieurs recherches ont porté seulement sur des garçons) exposés à de fortes doses de violence télévisée sont plus enclins à être agressifs et violents, et les enfants violents recherchent davantage les émissions de télévision violentes. Même s'il s'agit de violence générale et non pas de violence spécifiquement dirigée contre les femmes, le fait pour les jeunes de voir des scènes de violence les amène à considérer comme normal l'usage de la force et de la contrainte dans les relations interpersonnelles. Les rapports entre hommes et femmes risquent d'en être affectés. Comme les films violents présentent de plus très souvent aux garçons des modèles de héros violents de type macho et aux filles des modèles d'héroïnes ou passives ou séductrices, l'apprentissage de la violence est teinté de sexisme. Deux études réalisées pour le CSF montrent la quantité importante de scènes violentes et de scènes sexistes dans les vidéoclips. Au-delà de la seule question des effets sur les comportements de la violence télévisée, il importe de replacer le débat sur le plan éthique : même quand leur effet concret n'est pas démontré, on peut considérer que les images violentes ne sont, en elles-mêmes, pas souhaitables. Aux yeux du Conseil, il est plus que temps de mettre un terme à la violence dans les émissions et dans les films présentés à la télévision et spécifiquement destinés aux jeunes, de même que dans les émissions dites familiales comme les téléromans. Celles-ci sont en effet fort prisées par les jeunes. Les émissions et les films comportant des scènes de violence devraient par ailleurs être présentés en dehors des heures de grande écoute des enfants. Comme le suggérait en 1992 le président de la Régie du cinéma, les radiotélédiffuseurs devraient adopter la classification des films utilisée par la Régie et présenter seulement tard en soirée les films destinés à un public de 18 ans et plus. Comme la politique d'autoréglementation en vertu de laquelle le soin est laissé aux radiotélédiffuseurs de se doter de lignes directrices pour contrôler les contenus sexistes et violents des émissions n'a pas permis jusqu'à maintenant de freiner la violence à la télévision, le CSF recommande : 8- Que le ministre des Communications du Québec intervienne auprès de son homologue fédéral et auprès du CRTC afin: - que les lignes directrices adoptées par les radiotélédiffuseurs en matière de violence télévisée interdisent clairement la violence dans les émissions et les films destinés aux jeunes, dans les vidéoclips et dans les émissions familiales et empêchent la diffusion des émissions et des films comportant des scènes de violence pendant les heures de grande écoute; - que le public soit adéquatement informé du contenu des lignes directrices en matière de violence et que des mécanismes soient mis en place pour assurer l'évaluation périodique de ces lignes directrices par la population; - que l'application des lignes directrices soit l'objet d'un contrôle strict et que leur non-respect soit assorti de sanctions; - que soit favorisée la production d'émissions de télévision véhiculant un message positif pour la société, exemptes de sexisme et de violence, destinées aux jeunes. 5-2-4 Une campagne médiatique contre la violence faite aux femmes. La tenue d'une campagne soutenue visant à dénoncer toutes les formes de violence faite aux femmes représente une autre mesure préventive importante. Une telle campagne doit remplacer les initiatives ponctuelles et partielles de sensibilisation du public sur la violence faite aux femmes. Pour plusieurs, la campagne québécoise de lutte contre «l'alcool au volant» constitue l'exemple type d'une campagne efficace; il pourrait inspirer une campagne médiatique contre la violence faite aux femmes. La campagne doit viser à dénoncer toutes les formes de violence contre les femmes et à informer les victimes des moyens de se soustraire à la violence. Elle doit mettre l'accent sur la responsabilité des hommes agresseurs et sur le rôle que doivent jouer l'ensemble des hommes pour faire cesser la violence contre les femmes. A cet égard, on pourrait s'inspirer de campagnes récentes menées ailleurs contre la violence conjugale et contre les agressions sexuelles et dans lesquelles figurent des hommes qui remettent en question le comportement d'un ami violent. Le CSF recommande : 9- Que le gouvernement du Québec mène une vaste campagne de sensibilisation à la violence contre les femmes, qui insiste sur le caractère inacceptable et criminel de cette violence. Cette campagne devrait insister, non seulement sur le fait que les femmes ne doivent pas tolérer la violence qui leur est faite, mais encore sur la responsabilité des hommes de faire cesser cette violence. De plus, une campagne médiatique contre la violence faite aux femmes devrait être conçue et réalisée en concertation avec les milieux. Les collectivités devraient notamment avoir l'occasion de s'engager pour lui donner une «couleur» régionale. La campagne devrait aussi être adaptée par et pour les collectivités autochtones et diffusée par leurs médias. Les médias des différentes communautés culturelles du Québec devraient aussi la diffuser. Enfin, cette campagne médiatique devra comporter des volets s'adressant aux adultes et d'autres s'adressant aux jeunes. 5-2-5 Un traitement plus approprié de l'information sur la violence faite aux femmes. Les médias, par leur traitement de la nouvelle et par leurs émissions sur l'actualité, peuvent jouer un rôle dans la prévention de la violence contre les femmes. Ils peuvent notamment en rendre la réalité plus visible et éveiller à une meilleure compréhension du problème. Ils peuvent aussi renseigner les femmes sur les ressources qui peuvent leur venir en aide en cas d'agression. Malheureusement, quand les médias qualifient de «drames passionnels» les crimes de violence conjugale ou appuient sur les caractéristiques psychologiques des agresseurs sexuels, ils renforcent plus qu'ils ne démystifient les préjugés relatifs à la violence contre les femmes. Le traitement sensationnaliste de certaines agressions contre les femmes peut être traumatisant pour la victime, par exemple, quand l'information donnée permet de l'identifier (la rue où elle habite, l'endroit où elle travaille, etc) ou quand on fournit des détails sordides sur l'agression, particulièrement dans les cas d'agression sexuelle. Ces façons d'aborder la violence contre les femmes ne contribuent en rien à la prévention du problème. On peut même se demander si elles n'ont pas pour effet de donner des modèles à d'autres hommes violents. Le CSF croit qu'il est nécessaire de changer les représentations médiatiques de la violence faite aux femmes et il recommande : 10- Que le ministère des Communications, en collaboration avec la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et des représentantes et des représentants des différents médias, mette au point des lignes directrices favorisant un traitement plus approprié de l'information sur la violence contre les femmes. 5-2-6 La prévention du harcèlement sexuel en milieu de travail. Plusieurs syndicats, entreprises et institutions se sont dotés, ces dernières années, d'une politique en matière de harcèlement sexuel. Cette politique a l'avantage de permettre aux femmes harcelées sexuellement d'avoir un recours sur les lieux mêmes de leur travail ou de leurs études. Elle peut servir aussi de mesure préventive: en amorçant des discussions autour de la question du harcèlement, de sa nature discriminatoire, des conséquences pour les femmes harcelées et des moyens à prendre pour le contrer, on sensibilise les membres de l'organisation à cette réalité et on contribue à la prévenir. La Commission des droits de la personne a déjà mené une opération de sensibilisation auprès des entreprises de 50 employés et plus. Le Groupe d'aide et d'information sur le harcèlement sexuel au travail procure quant à lui du soutien aux organisations qui sont aux prises avec un cas de harcèlement ou qui veulent se doter d'une politique contre le harcèlement sexuel. Les petites et moyennes entreprises sont encore peu nombreuses à avoir des protocoles d'intervention en matière de harcèlement sexuel. Le CSF recommande : 11- Que la Commission des droits de la personne sensibilise les PME et, le cas échéant, les syndicats regroupant les travailleuses et les travailleurs de ces PME, à la nécessité d'adopter et d'appliquer une politique pour contrer le harcèlement sexuel dans l'entreprise. Par ailleurs, le gouvernement du Québec ne donne pas toujours l'exemple dans le domaine de la prévention et de l'intervention appropriée en matière de harcèlement sexuel. Les ministères et les organismes gouvernementaux et paragouvernementaux sont loin d'avoir tous adopté des directives internes contre le harcèlement sexuel. A la suite de la divulgation de deux cas de harcèlement sexuel au ministère du Revenu, le Conseil du trésor a annoncé, en janvier 1993, qu'une politique contre le harcèlement sexuel dans la fonction publique était en préparation. Le CSF considère qu'il est impératif qu'un tel projet se concrétise et recommande : 12- Que le gouvernement du Québec se dote d'une politique visant à prévenir et à contrer le harcèlement sexuel au travail dans les ministères et les organismes gouvernementaux et qu'il incite les organismes du secteur parapublic à adopter une politique similaire. 5-2-7 La prévention par l'amélioration de la sécurité des femmes. Beaucoup de femmes habitant la ville craignent d'être agressées. Certaines villes, Montréal par exemple, ont commencé à examiner la question de l'aménagement urbain sous l'angle de la sécurité des femmes. Des institutions comme l'Université McGill ont par ailleurs procédé à des inspections de leur campus en vue d'y améliorer la sécurité. A la neuvième Conférence sur les femmes et la sécurité urbaine tenue en 1992, certains moyens ont été proposés pour améliorer la sécurité des femmes dans les villes : création d'un comité de travail et d'action pour mettre en application les engagements pris lors de la Conférence, mise au point d'un guide d'évaluation de la sécurité des lieux, concertation pour assurer la sécurité des femmes dans le transport en commun. Le CSF croit aussi qu'il faut agir dans ce sens et recommande: 13- Que le ministère des Affaires municipales agisse avec les municipalités pour détecter les problèmes relatifs à la sécurité des femmes dans les villes et pour y proposer des correctifs, et voie avec elles à intégrer la préoccupation de la sécurité des femmes dans tout projet d'aménagement urbain. Par ailleurs, plusieurs femmes qui laissent un conjoint violent ne se sentent plus en sécurité chez elles et sont tenues de déménager. Elles se retrouvent souvent appauvries et ont du mal à trouver un lieu d'habitation sécuritaire. L'accès aux logements subventionnés est régi par de nombreux critères et les familles ou les personnes qui y ont droit sont inscrites sur des listes d'attente parfois très longues. De plus, le caractère d'urgence des situations vécues par les demandeurs n'est pas pris en considération dans l'attribution des logements. Or, c'est justement l'urgence qui caractérise le besoin de se reloger des femmes violentées. Sensible à cette réalité, la Société de logement de l'Ontario a émis des directives afin que les femmes victimes d'agression aient un accès prioritaire aux logements sociaux. Des mesures similaires devraient être prises au Québec afin de faciliter le relogement des femmes violentées. Pour prévenir de nouvelles manifestations de violence qui pourraient s'exercer contre elles si elles tardaient à déménager, pour soutenir les femmes qui cherchent à se soustraire à la violence et pour faire en sorte qu'elles ne soient pas davantage pénalisées sur le plan économique, le CSF recommande : 14- Que la Société d'habitation du Québec accorde aux femmes économiquement défavorisées qui sont victimes de violence conjugale une priorité d'accès aux habitations à loyer modique (HLM). 5-3 Améliorer l'intervention relative à la violence faite aux femmes. Une politique visant à enrayer la violence contre les femmes doit non seulement être dotée de mesures préventives mais doit également être assortie de moyens en vue d'améliorer l'intervention quand il y a violence. L'amélioration de l'intervention requiert des changements dans les services sociaux et de santé offerts aux femmes violentées, des modifications dans le traitement judiciaire des cas de violence faite aux femmes, une meilleure prise en considération des besoins de certaines femmes doublement vulnérables à la violence et la formation des intervenantes et des intervenants actuels et futurs travaillant auprès des femmes violentées. 5-3-1 L'amélioration des services communautaires et sociosanitaires offerts aux femmes victimes de violence. Des groupes communautaires, principalement des groupes de femmes, donnent des services aux femmes et aux filles violentées. Le réseau de la santé et des services sociaux le fait également, surtout dans les centres locaux de services communautaires (CLSC), les centres de protection de l'enfance et de la jeunesse (les anciens centres de services sociaux) et les centres hospitaliers. De nombreuses lacunes affectent cependant les soins et les services psychosociaux et de santé. L'amélioration de ces soins et de ces services constitue une partie importante d'une éventuelle politique de lutte contre la violence faite aux femmes. - Le soutien des organismes communautaires. Mis à part les cas d'inceste dont la victime est mineure qui sont pris en charge par les centres de protection de l'enfance et de la jeunesse, l'intervention sociale spécialisée en matière de violence faite aux femmes est principalement prise en charge par les groupes communautaires de femmes. Il existe présentement au Québec 83 maisons qui hébergent des femmes victimes de violence conjugale et 22 centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, qui soutiennent aussi des femmes victimes de harcèlement sexuel et des femmes adultes ayant subi l'inceste dans leur enfance. On compte également plus de 80 centres de femmes qui travaillent différents aspects de la condition des femmes, entre autres la violence. Un seul groupe communautaire de femmes, situé à Montréal, travaille exclusivement sur le harcèlement sexuel au travail. En plus d'offrir des services directs d'information, d'aide, d'accompagnement et, le cas échéant, d'hébergement, les groupes de femmes luttent contre la violence en menant des actions de sensibilisation auprès du public et en faisant pression sur l'État afin d'inciter à des changements qui mettront un terme à la domination subie par les femmes dans la société. Malgré leur rôle de premier plan dans la lutte contre la violence faite aux femmes, les organismes communautaires de femmes vivent dans une situation financière précaire. La reconduction des subventions à chaque année ou à tous les trois ans n'est jamais assurée. Les montants accordés par l'État ne permettent pas de répondre aux besoins de l'ensemble des femmes violentées : faute de place, une femme sur deux est refusée dans les maisons d'hébergement membres du Regroupement des maisons d'hébergement et de transition pour les femmes victimes de violence conjugale; l'intervention auprès des femmes non hébergées, l'intervention auprès des enfants hébergés et le suivi posthébergement sont limités à cause du manque de ressources; pour la même raison, certains centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle doivent dresser des listes d'attente de victimes de harcèlement sexuel ou de femmes qui ont vécu l'inceste dans leur enfance. Les services disponibles pour ces femmes sont en général de création plus récente et sont moins développés que ceux destinés aux femmes victimes de violence conjugale ou d'agression sexuelle. Faute de ressources, les activités de prévention et de sensibilisation sont souvent négligées. Pour pallier l'insuffisance des subventions, les groupes de femmes travaillant dans le champ de la violence doivent consacrer une partie de leur temps à chercher d'autres sources de financement. Les bas salaires et le roulement élevé du personnel dans les ressources pour femmes violentées sont aussi des conséquences du financement inapproprié qui ont de l'incidence sur les services offerts. En regard de la situation des groupes de femmes travaillant dans le domaine de la violence faite aux femmes et dans l'esprit de ce qu'il a déjà proposé dans le cadre du Sommet sur la Justice tenu en 1992, le CSF recommande 15- Que le gouvernement du Québec, dans sa future politique sur la violence faite aux femmes, garantisse un financement stable et suffisant aux groupes de femmes travaillant sur l'une ou l'autre forme de violence exercée contre les femmes. - L'amélioration du dépistage dans le réseau de la santé et des services sociaux. Les femmes et les filles victimes de violence se présentent souvent au CLSC, chez leur médecin ou à l'urgence de l'hôpital en mentionnant d'autres motifs de consultation que la violence. La honte et le sentiment de culpabilité les empêchent de parler directement de la violence; il leur est plus facile de parler de leurs malaises physiques, de leurs insomnies ou de leur état dépressif, ou de prétexter un accident pour expliquer leurs blessures. C'est pourquoi il s'avère important pour les intervenantes et les intervenants du domaine des services sociaux et de la santé d'être sensibilisés à la question de la violence faite aux femmes, d'être habilités à dépister les femmes violentées et de se doter de protocoles d'intervention auprès de ces femmes. Les quelques initiatives venant d'associations professionnelles (par exemple, les guides d'intervention auprès des femmes victimes de violence conjugale conçus pour le personnel infirmier ou pour les travailleuses et travailleurs sociaux) sont intéressantes mais insuffisantes pour améliorer l'intervention auprès de l'ensemble des femmes soumises à la violence. Toutefois, les CLSC de la région de Montréal ont élaboré un guide devant faciliter le dépistage des cas de violence conjugale et de plus ont donné la formation en rapport avec ce guide à trois mille employées et employés appelés à entrer en contact avec des femmes violentées. De telles initiatives devraient être multipliées et porter sur l'ensemble des formes de violence contre les femmes, non pas seulement sur la violence conjugale. Le dépistage doit être systématique dans les établissements du réseau de la santé et des services sociaux, mais il doit également être fait par les médecins en clinique ou en cabinet privé. Le CSF propose donc : 16- Que le ministère de la Santé et des Services sociaux incite les établissements de son réseau à se doter, de concert avec les différentes associations professionnelles du domaine de la santé ou des services sociaux, de lignes directrices pour le dépistage et l'intervention de base auprès des femmes victimes de violence. Les établissements de santé pourraient notamment s'inspirer des lignes directrices émises par le Conseil des affaires scientifiques de l'Association médicale américaine qui recommande aux médecins d'interroger systématiquement toutes les femmes pour connaître leurs antécédents de violence. Le dépistage et l'intervention suggérée tiennent compte de l'ensemble des formes de violence auxquelles les femmes peuvent être soumises et non seulement de la violence conjugale. - Des services sociosanitaires mieux adaptés. Les femmes qui ont vécu ou qui vivent de la violence peuvent recourir aux services publics dispensés par le réseau de la santé et des services sociaux. Sous le choc de l'agression, elles ne savent cependant pas toujours vers où se tourner pour recevoir de l'aide. L'accessibilité aux services varie selon les régions. Dans les cas de violence conjugale, la ligne d'urgence SOS violence conjugale informe toutes les femmes du Québec, mais les femmes ou les filles agressées sexuellement, celles qui sont victimes d'inceste ou de harcèlement sexuel, ne bénéficient pas d'un service semblable. Pour remédier à ce problème, le CSF recommande : 17- Que le gouvernement du Québec, en concertation avec les ressources actuelles, s'assure qu'un service téléphonique provincial gratuit d'information et d'aide soit disponible pour les femmes victimes de toutes les formes de violence. Dans le domaine des services sociaux, les femmes victimes de violence peuvent faire appel à leur CLSC pour de l'information ou du soutien. Ceux-ci offrent en effet les services psychosociaux courants. Dans les cas d'inceste mettant en cause un enfant mineur, c'est généralement le Centre de protection de l'enfance et de la jeunesse qui intervient. Le ministère de la Santé et des Services sociaux répertorie actuellement l'ensemble des interventions menées par son réseau d'établissements en matière de violence faite aux femmes. Même s'il n'existe pas encore de vue d'ensemble, on sait que les services de ce réseau offerts aux femmes violentées varient beaucoup d'une région à l'autre. Plusieurs CLSC ont des actions structurées en violence conjugale, mais l'intervention auprès des victimes des autres formes de violence est plutôt laissée à l'initiative des praticiens et des praticiennes. L'approche systémique de thérapie familiale, que nous avons décrite à la section 4-7 et qui est de plus en plus répandue dans les établissements de services sociaux, risque quant à elle de faire porter à l'ensemble des membres d'une famille la responsabilité de la violence conjugale ou de l'inceste. L'approche systémique peut renforcer le sentiment de culpabilité des victimes (et, dans les cas d'inceste, de la mère de la victime) et contribuer à déresponsabiliser les hommes violents, qui ont d'avance tendance à nier ou à excuser leur violence. De plus, quand la menace et la peur caractérisent les rapports entre un conjoint violent ou un père incestueux et sa victime, il y a lieu de douter du caractère thérapeutique d'une intervention dite «familiale» et de considérer les risques qu'elle fait courir à la victime. Pour ces raisons, l'intervention devrait, tout en s'inscrivant dans une perspective de concertation, s'adresser distinctement à la victime et à l'agresseur. Par ailleurs, l'intervention de groupe auprès des hommes violents prend depuis quelques années une importance grandissante, surtout dans les cas de violence conjugale. Le ministère de la Santé et des Services sociaux s'est doté en 1992 d'orientations en matière d'intervention auprès des conjoints violents. Un cadre de financement et des lignes directrices pour l'évaluation et la formation sont également en voie d'être terminés. Il est cependant important, comme semble le reconnaître le MSSS, que cette systématisation du soutien aux groupes de traitement ne se fasse pas au détriment des services aux victimes. Du reste, le contenu des thérapies offertes aux hommes violents fait l'objet de nombreuses critiques, parce que peu d'entre elles mettent l'accent sur la violence comme moyen de contrôle et sur les rapports de pouvoir et de domination entre les hommes et les femmes, rapports reconnus à l'origine de la violence. On s'interroge ainsi sur les modifications réelles des comportements qui peuvent se produire en thérapie; des évaluations soutenues devraient être menées pour vérifier le degré de succès des groupes de traitement. Ces évaluations devraient notamment s'attacher aux effets à long terme du traitement, tenir compte de l'effet du traitement sur toutes les formes de violence, en particulier sur la violence psychologique, et inclure, le cas échéant, un volet d'évaluation auprès des conjointes des hommes violents. Les évaluations des groupes de traitement devraient permettre entre autres de transmettre une information juste et réaliste aux conjointes des hommes violents qui commencent une thérapie, afin qu'elles n'entretiennent pas d'espoir démesuré quant aux résultats du traitement. Pour assurer une intervention psychosociale plus appropriée dans les cas de violence faite aux femmes et aux filles, le CSF recommande : 18- Que le ministère de la Santé et des Services sociaux subventionne prioritairement les ressources pour les victimes de violence et qu'il s'assure que les principes de protection et de soutien des victimes et de responsabilisation des agresseurs quant à leurs comportements de violence et de contrôle sont à la base de l'intervention sociale et de l'évaluation des services. Certains problèmes particuliers caractérisent l'intervention auprès des filles victimes d'inceste. Comme les autres enfants signalés au Directeur de la protection de la jeunesse ou pris en charge par le CPEJ, les victimes d'inceste subissent les conséquences de l'insuffisance du nombre de personnel. Selon les intervenantes des CPEJ, cette insuffisance se traduit notamment par des délais importants entre le moment du signalement et celui de la véritable prise en charge d'un cas par un intervenant ou une intervenante. Le transfert d'un dossier d'un service de l'établissement à un autre peut nuire à la continuité de l'intervention et, souvent, cause des délais additionnels. Dans les cas d'inceste et lorsque la sécurité de l'enfant est considérée comme compromise, l'intervenante ou l'intervenant agissant en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse peut décider de sortir l'enfant de son milieu familial et de la placer en famille ou en centre d'accueil. Or, ces ressources reçoivent aussi des enfants maltraités ou négligés, et des jeunes ayant des problèmes de comportement. De plus, les familles d'accueil n'ont pas toujours la formation ni le soutien nécessaire pour apporter une aide efficace aux victimes d'inceste. Pour favoriser une intervention plus appropriée auprès des enfants victimes d'agressions sexuelles intrafamiliales, le CSF recommande : 19- Que les Régies régionales mettent en place sur leur territoire des ressources répondant aux besoins particuliers d'hébergement temporaire des enfants victimes d'inceste et que les CPEJ, en collaboration avec les régions, adoptent des mesures pour éliminer les délais et assurer la continuité de l'intervention. Notons, de plus, que des CPEJ n'offrent plus de services aux enfants agressés sexuellement par des personnes extérieures à la famille. Le CSF est d'avis que l'accès gratuit à des services spécialisés d'aide psychosociale devrait être assuré à tous les enfants victimes de pareilles agressions . 5-3-2 L'amélioration du traitement judiciaire de la violence contre les femmes. Le traitement judiciaire de la violence contre les femmes présente des lacunes importantes. D'une part, on ne reconnaît pas toujours pleinement le caractère criminel de certains actes de violence faite aux femmes. D'autre part, quand le système de la justice intervient, son action est souvent mal adaptée à la réalité et aux besoins des femmes qui ont subi une agression. - La reconnaissance du caractère criminel de certaines formes de violence contre les femmes. Quand la violence contre les femmes intervient dans le milieu de la famille, on tend parfois à la considérer comme un problème familial nécessitant un traitement psychosocial plutôt que comme un acte criminel. Les cas d'inceste signalés au Directeur de la protection de la jeunesse donnent peu souvent lieu à des poursuites criminelles. La mère de l'enfant victime d'inceste n'est pas toujours en mesure de porter plainte à la police et le poids de la dénonciation ne devrait pas reposer sur ses seules épaules. Or, l'intervenante ou l'intervenant social responsable du dossier porte rarement plainte auprès de la police pour dénoncer l'inceste, même si la loi le lui autorise en la ou le relevant du secret professionnel. Selon des intervenantes du secteur, des travailleuses et travailleurs sociaux se sont vu refuser l'autorisation d'être relevés du secret professionnel parce qu'ils ou elles n'avaient pas démontré à la satisfaction de la cour qu'il y allait de l'intérêt de l'enfant. De telles expériences ont rendu les intervenantes et intervenants plus réticents à entreprendre une démarche en vue de porter plainte à la police. Par ailleurs, les établissements de services sociaux n'ont pas de ligne claire pour inciter leur personnel à porter plainte au criminel. Enfin, plusieurs intervenantes et intervenants sont en désaccord avec ce qu'on appelle la judiciarisation. Force est donc de constater que la société ne reconnaît pas suffisamment le caractère criminel des agressions sexuelles contre les enfants quand l'agresseur est un membre de la famille. Dans les cas de violence conjugale, et même si ce type de crime est davantage pris au sérieux par le système judiciaire depuis l'adoption de la politique des ministères de la Justice et du Solliciteur général en 1986, certains souhaitent la décriminalisation des voies de fait les moins «graves» et d'autres souhaitent que les conjoints violents soient adressés à des programmes de traitement psychosocial en lieu et place de l'emprisonnement ou de l'amende. La tendance à considérer les actes de violence contre les femmes dans la famille d'abord comme des problèmes psychosociaux en atténue le caractère criminel. Or, si la société veut mettre un terme à ces agressions, elle doit transmettre un message clair aux hommes violents et aux femmes victimes : la violence contre les femmes est inacceptable et criminelle. L'approche punitive n'est pas une panacée; à elle seule, elle ne mettra pas terme aux agressions subies par les femmes. Ce moyen a cependant été choisi par la société pour indiquer sa désapprobation à l'égard de certains actes qu'elle juge inacceptables, notamment les actes sexuels commis sur des enfants et les voies de fait. Ces actes ne devraient pas être considérés avec plus d'indulgence quand ils se déroulent dans la sphère familiale. Afin que soit réaffirmé, dans la future politique québécoise de lutte contre la violence faite aux femmes, le caractère inacceptable et criminel de la violence contre les femmes, le CSF recommande : 20- Que la thérapie ou l'aide psychosociale ne soit pas considérée comme une solution de rechange à une sentence dans les cas de voies de fait contre la conjointe ou d'inceste. 21- Que les ministères de la Santé et des Services sociaux et de la Justice harmonisent leurs politiques, directives et pratiques relatives aux cas d'inceste et d'agression sexuelle sur des enfants pour faire en sorte que tous les agresseurs soient dénoncés aux autorités policières. Une approche non judiciaire est privilégiée actuellement en matière de harcèlement sexuel. La médiation entre la personne harcelée et le harceleur est possiblement moins éprouvante que le recours aux tribunaux et peut donner lieu à un règlement plus rapide des cas. La Commission des droits de la personne du Québec (CDPQ), principale instance recevant des plaintes de harcèlement, fonde son travail sur la médiation. L'efficacité de son intervention est toutefois mise en doute par certaines personnes. Selon des intervenantes travaillant sur la question du harcèlement sexuel, de nombreux problèmes subsisteraient malgré les changements récents survenus dans la procédure d'enquête de la Commission et la création d'un tribunal des droits de la personne. Notons cependant qu'aucune évaluation en bonne et due forme n'a encore été réalisée. Pour faire le point sur l'approche de médiation privilégiée par la CDPQ, le CSF recommande : 22- Que le ministère de la Justice, en collaboration avec la ministre déléguée à la condition féminine, entreprenne une étude pour évaluer le traitement des plaintes de harcèlement sexuel par la CDPQ et par le Tribunal des droits de la personne et pour, le cas échéant, recommander des mesures visant à augmenter l'efficacité de ce traitement. - Les changements requis dans le traitement des crimes contre les femmes. Outre la question de la judiciarisation proprement dite de la violence contre les femmes, le traitement des crimes contre les femmes par l'appareil policier et judiciaire présente plusieurs lacunes. Victimes de violence d'un homme, les femmes se sentent fréquemment malmenées à nouveau, par le système judiciaire cette fois, alors qu'il devrait au contraire les soutenir. Les attitudes des policiers, des substituts du procureur et des juges, si elles se sont modifiées dans le sens d'une plus grande empathie à l'endroit des femmes victimes de violence, demeurent souvent empreintes de sexisme. Dans bien des cas, les femmes ne se sentent ni écoutées, ni crues, ni comprises. Quand des procédures sont engagées, la lenteur et la lourdeur de l'appareil judiciaire découragent les femmes. Malgré certaines amélioration survenues ces dernières années, l'engorgement des tribunaux cause toujours des remises et des délais et la surcharge de travail des substituts du procureur les empêche de consacrer aux victimes toute l'attention requise. Les délais augmentent les risques que les femmes soient menacées et harcelées. Après quelques appels de femmes harcelées par un ex-conjoint violent, par exemple, les policiers hésitent ou renoncent à intervenir. De plus, dans l'arrêt Askov, la Cour suprême a jugé déraisonnable le délai entre le dépôt de la dénonciation et la tenue du procès, entraînant l'annulation des poursuites. Ce motif d'annulation a été repris dans une série de causes, notamment dans des cas d'agression sexuelle en 1991, avant que l'effet de la décision dans l'arrêt Askov ne soit tempéré par des jugements ultérieurs de la Cour suprême. L'engorgement des tribunaux favorise, également, la négociation de plaidoyer et la réduction des chefs d'accusation. Les femmes victimes d'agression sexuelle peuvent se sentir lésées au terme de telles négociations, surtout qu'elles n'en sont pas toujours informées. Les sentences imposées sont souvent légères et les conditions de remise en liberté n'assurent pas nécessairement la protection de la victime. Les femmes ne sont pas toujours au courant du moment de la remise en liberté de leur agresseur. Or, quel que soit le type de crime, l'agresseur est la plupart du temps connu de la femme victime, qui risque donc de le rencontrer de nouveau. Pour pallier ces différentes difficultés relatives à l'administration de la justice, le CSF recommande : 23- Que les ministères de la Justice et de la Sécurité publique prennent les moyens afin, respectivement, de réduire les délais de poursuite et d'assurer la protection des femmes violentées avant et après leur comparution en justice. Parmi les moyens à envisager, signalons l'augmentation du personnel judiciaire, l'incrimination plus fréquente des hommes violents pour désobéissance au tribunal, menace, etc, l'information des femmes sur le moment et les conditions de remise en liberté de leur agresseur et l'établissement de contrôles plus serrés de probation des hommes reconnus coupables de crimes violents contre les femmes. L'attribution des cas de violence conjugale à des agents de probation au moment de l'enquête sur remise en liberté, dans le but de fournir un avis expert pour permettre au tribunal de mieux juger de la dangerosité des agresseurs consentants à se soumettre à une telle évaluation, devrait aussi être envisagée. Une récente expérience de ce type s'est avérée, selon les procureurs consultés, fort utile. Par ailleurs, la peur des conjointes doit être davantage prise au sérieux par la cour quand il s'agit d'évaluer la dangerosité des hommes violents . Sur le plan des sentences à imposer, le CSF recommande : 24- Que le ministère de la Justice incite les substituts du procureur de la couronne à faire valoir le principe d'exemplarité des sentences dans les cas de crimes de violence contre les femmes. Le soutien aux femmes victimes de crimes violents fait encore trop souvent défaut dans le système judiciaire. Les femmes qui portent plainte après avoir subi de la violence sont souvent laissées à elles-mêmes, mal informées du déroulement des poursuites et mal soutenues au cours d'étapes émotivement très pénibles. Dans ces circonstances, les femmes, notamment celles qui sont victimes de violence conjugale, refusent parfois de témoigner ou offrent un témoignage contredisant les déclarations qu'elles ont déjà faites, ce qui ne va pas sans démotiver les policiers et les substituts du procureur qui s'occupent de leur cas. Pour réduire le nombre de cas où les femmes victimes se désistent, et même si ce problème est, semble-t-il, moins criant qu'il ne l'était il y a quelques années, le soutien des victimes doit constituer un moyen privilégié. Une information adéquate sur le déroulement du processus judiciaire, ainsi que l'accompagnement tout au long des démarches, apparaissent comme des mesures de première importance. Le ministère de la Justice s'est engagé, lors du Sommet de la Justice tenu en 1992, à accorder une aide financière aux groupes communautaires qui soutiennent les victimes d'actes criminels, mais on ignore si cet appui suffira à répondre aux importants besoins en la matière. De plus, l'information et l'accompagnement doivent être donnés par des personnes qui connaissent bien la question de la violence faite aux femmes et le fonctionnement de l'appareil judiciaire. La continuité dans l'intervention doit aussi être favorisée: les femmes trouvent très pénible d'avoir à répéter leur histoire à une multitude d'intervenantes ou d'intervenants. Le Conseil recommande donc, en conformité avec une proposition qu'il avait déjà formulée au moment du Sommet de la Justice : 25- Que le ministère de la Justice s'assure qu'un soutien approprié soit accordé aux femmes victimes de violence tout au long du processus judiciaire et que les groupes d'aide et d'intervention auprès des femmes victimes de violence puissent être associés à l'organisation et à la dispensation de ce soutien. 26- Que le ministère de la Justice fasse en sorte que dans tous les districts judiciaires du Québec, les cas de violence faite aux femmes soient attribués à des procureurs spécialement formés dans ces questions. - L'amélioration des autres recours. Les femmes victimes de violence peuvent, quand les actes perpétrés contre elles constituent des crimes en vertu du Code criminel, porter une plainte à la police. Toutefois, les femmes disposent également de certains autres recours, que la violence subie constitue ou non un crime. Si les poursuites au criminel sont assumées par l'État et n'occasionnent donc pas de déboursé pour les plaignantes, il en va autrement des recours au tribunal pour faire valoir un droit reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne. La femme dont la plainte pour harcèlement sexuel n'est pas retenue par la Commission des droits de la personne et qui veut malgré tout poursuivre des démarches juridiques, y renonce souvent, selon les intervenantes du milieu, à cause des coûts élevés - essentiellement les frais d'avocat qui y sont associés. Le CSF insiste sur l'importance d'assurer aux personnes à faible revenu, parmi lesquelles on retrouve des femmes victimes de violence, la possibilité de faire valoir leurs droits. A cet égard, le Conseil a déjà demandé, lors du Sommet de la Justice tenu en 1992, que soient revus les critères d'admissibilité à l'aide juridique. Par ailleurs, les femmes victimes de voies de fait, d'agression sexuelle ou d'inceste peuvent se prévaloir des recours prévus dans la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (loi de l'IVAC) pour être indemnisées financièrement. Cette loi n'est pas toujours bien connue des victimes d'actes criminels ni des personnes qui leur viennent en aide. Pour faciliter l'utilisation de ces recours, le CSF propose: 27- Que le ministère de la Justice veille à transmettre davantage d'information sur la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (IVAC) et sur les recours civils à la population en général et aux intervenants et intervenantes travaillant avec des femmes victimes de violence. Des délais maxima s'appliquent pour la réclamation d'une indemnisation en vertu de la loi de l'IVAC; des délais s'appliquent également pour la poursuite des agresseurs devant les tribunaux civils en vue d'obtenir une compensation financière. Or, dans les cas d'inceste, le secret entoure souvent pendant des années les actes commis. Des femmes qui ont vécu l'inceste croient ne pas pouvoir bénéficier d'une compensation quand elles prennent conscience, parfois plusieurs années plus tard, des agressions qu'elles ont subies dans l'enfance ou quand, enfin, elles sont en mesure de les révéler. Dans la pratique pourtant, le service d'indemnisation de l'IVAC montre de la souplesse. Alors que la loi prévoit qu'une demande d'indemnisation doit être faite dans l'année de la survenance de la blessure, il fait plutôt courir le délai à partir du moment de la connaissance ou du dévoilement dans les cas d'inceste. Les tribunaux civils sont également souples dans leur interprétation du délai. Pour clarifier et faciliter les recours des femmes ayant vécu l'inceste, il apparaît cependant important d'éliminer officiellement tout délai, comme l'a déjà fait la Colombie-Britannique et comme l'Ontario envisage de le faire dans le cas des poursuites civiles. Le CSF recommande conséquemment: 28- Que le Code civil et la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels soient modifiés afin d'éliminer, dans les cas d'inceste, les délais pour formuler une demande d'indemnisation à l'IVAC ou pour entreprendre des poursuites civiles contre l'agresseur. Le harcèlement sexuel est considéré comme un acte discriminatoire qui porte atteinte aux droits individuels. En matière de harcèlement sexuel, la Cour suprême a déjà établi la responsabilité d'un employeur en vertu de la loi fédérale sur les droits de la personne. On considère donc généralement qu'un employeur auquel s'applique la Charte québécoise peut aussi être tenu responsable du harcèlement sexuel au travail. Par ailleurs, les personnes qui ont subi des sanctions à la suite de harcèlement ou de démarches effectuées pour contrer le harcèlement sexuel au travail devraient pouvoir bénéficier d'une protection quant à leur emploi. Dès qu'une salariée démontre qu'il y a eu harcèlement sexuel ou plainte à cet effet auprès d'un organisme ou d'un intervenant reconnu (syndicat, CDPQ, groupe communautaire spécialisé en matière de harcèlement sexuel, etc) et qu'elle a subi un congédiement, une suspension, un déplacement, une mesure discriminatoire, des représailles ou une autre sanction, il devrait exister une présomption que cette sanction lui a été imposée en relation avec le harcèlement sexuel ou sa dénonciation, et est illégale en tant que pratique interdite au sens de la Loi sur les normes du travail. Le CSF propose : 29- Que la Loi sur les normes du travail soit modifiée afin que le recours prévu à l'encontre d'une pratique interdite (congédiement, sanction, etc) s'applique à la salariée qui est l'objet de harcèlement sexuel ou qui a entamé des démarches pour que cesse le harcèlement sexuel. Les modifications à la Loi concernant l'assurance-chômage au Canada proposées au début de l'année 1993, qui auraient pour effet de priver de prestations les personnes qui quittent volontairement leur emploi sans raison valable, ont soulevé de nombreuses interrogations. D'aucuns s'inquiètent de leur impact sur les femmes qui démissionnent de leur emploi en raison de harcèlement sexuel. Il sera donc important de s'assurer que cette loi ne pénalise pas les femmes harcelées. Il semble, en outre, que les différents bureaux et agents de la CSST ne reconnaissent pas toutes les conséquences physiques et psychologiques du harcèlement sexuel au travail. Certains acceptent d'indemniser les femmes pour qui le harcèlement a eu des conséquences néfastes pour leur santé, d'autres pas. Il apparaît donc important d'officialiser, dans la loi, la reconnaissance du harcèlement sexuel comme source possible de maladie professionnelle. Le CSF recommande : 30- Que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles soit modifiée de façon à considérer les conséquences physiques et psychologiques du harcèlement sexuel au travail comme une maladie professionnelle. - La lutte contre les actes sexuels imposés à des femmes adultes par des personnes en situation d'autorité ou de responsabilité. Des femmes sont victimes de violence, particulièrement d'actes de nature sexuelle, de la part d'un médecin, d'un intervenant social, d'un thérapeute ou d'une autre personne à qui elles s'adressent pour recevoir des services psychosociaux ou de santé. Les actes sexuels entre thérapeute et patiente constituent un abus de confiance qui peut être extrêmement dommageable pour les femmes qui en sont la victime. Selon des études américaines réalisées sur le sujet, 5 % à 12 % des thérapeutes masculins interrogés admettent avoir eu des moments d'intimité sexuelle avec une ou des clientes. L'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario s'est doté en 1992 de règles sévères pour suspendre ou imposer une amende à ses membres coupables d'inconduite, d'attouchement ou d'agression sexuelle sur une patiente. Le gouvernement ontarien s'apprête pour sa part à modifier la Loi sur les professions de la santé réglementées pour interdire à un ensemble de spécialistes de commettre des actes de nature sexuelle à l'endroit de leurs clientes. Au Québec, l'avant-projet de loi déposé à la fin de 1992 pour modifier le Code des professions ne comporte pour sa part aucune disposition en vue d'interdire les actes sexuels entre thérapeute et cliente. Il apparaît pourtant essentiel d'agir à un niveau général pour prohiber de tels actes. Encore aujourd'hui, l'initiative est laissée aux corporations professionnelles et les progrès sont lents. Même si plusieurs corporations incluent à leur code de déontologie l'obligation de comportement irréprochable des membres ou de respect à l'endroit des clients et des clientes, seule la corporation des psychologues interdit explicitement les contacts sexuels entre thérapeute et cliente. Pour mettre un terme aux actes sexuels commis par des spécialistes sur leurs clientes, le Conseil s'appuie sur les commentaires qu'il a déjà soumis à la commission parlementaire sur l'avant-projet de loi modifiant le Code des professions et recommande : 31- Que le Code des professions soit modifié de façon à ce que les actes sexuels avec les clientes soient clairement interdits aux spécialistes qui offrent des services psychosociaux ou de santé ou du soutien émotif, et que les corporations des professions visées adoptent un règlement précisant les modalités d'application de cette interdiction. Le règlement qui devrait être adopté par chaque corporation en question devrait contenir des dispositions précisant la nature des actes prohibés et la durée de l'interdiction de contacts sexuels avec une cliente après la fin du traitement en tenant compte du degré de dépendance émotive inhérent à la relation thérapeutique. D'autres dispositions devraient prévoir comment le public sera informé de l'interdiction d'actes sexuels entre thérapeute et cliente, ainsi que les lignes de conduite à tenir par un spécialiste à qui une cliente confierait avoir été abusée sexuellement par un autre thérapeute. La sensibilisation du public et des spécialistes, ainsi que le soutien des victimes pour dénoncer les abuseurs, apparaissent donc essentiels pour faire cesser l'exploitation sexuelle des clientes. Pour marquer clairement le refus de la société de tolérer la violence exercée par les personnes en position d'autorité, des changements dans le système de justice criminelle sont également nécessaires. ? présent, dans les crimes de voies de fait et d'agression sexuelle, la gravité du crime est fonction du degré de violence physique exercée. De l'avis de certaines, la violence intrinsèque à l'imposition d'un contact sexuel non désiré n'est pas suffisamment reconnue. Les rapports sexuels imposés par un personne en position de responsabilité ou d'autorité (parent, enseignant, gardien d'enfant, thérapeute, médecin, etc), même sans recours à la force physique, ont de graves conséquences pour la victime et devraient être sévèrement punis. Pour ces raisons, le Conseil propose : 32- Que l'abus de confiance ou de pouvoir soit systématiquement considéré, au moment de la détermination de la sentence, comme un facteur aggravant dans les cas de violence contre les femmes, particulièrement dans les cas d'agression sexuelle. Les actes sexuels imposés dans une situation de responsabilité touchent particulièrement les femmes atteintes d'un handicap ou d'un problème de santé mentale. La violence sexuelle que celles-ci subissent n'est pas seulement perpétrée par des proches, mais par des hommes qui sont censés leur donner des services sociaux et de santé à domicile ou en institution. Il arrive aussi que les femmes handicapées ou psychiatrisées qui séjournent dans un établissement de santé soient agressées par des pensionnaires masculins de l'institution. Si, évidemment, les agresseurs doivent être poursuivis en justice, il est important que des mesures soient prises pour prévenir les agressions contre les femmes handicapées ou atteintes de problèmes psychiatriques alors qu'elles reçoivent des services sociaux ou de santé et pour améliorer l'intervention lorsqu'une telle agression a lieu. Le CSF recommande donc : 33- Que le ministère de la Santé et des Services sociaux, avec les régies régionales et les autres parties en cause, établisse des protocoles d'action en cas d'actes de violence commis contre la clientèle handicapée ou malade des établissements par des employés ou par d'autres bénéficiaires, et que ces protocoles soient connus du personnel et des personnes séjournant dans ces établissements. - La restriction des droits de garde ou de visite pour cause de violence. La violence conjugale atteint non seulement les femmes qui en sont les victimes, mais également leurs enfants. Ceux-ci peuvent être des victimes directes de la violence ou des témoins des agressions de leur père contre leur mère. Quand la femme violentée quitte son conjoint, ce dernier peut reproduire les mêmes actes de violence avec une nouvelle partenaire. Pour ces raisons, les contacts des hommes violents et de leurs enfants devraient être encadrés ou restreints de manière à assurer que les enfants ne soient pas ni les témoins ni la cible de nouvelles violences. Or, actuellement, dans l'attribution des droits de garde et de visite, on a tendance à supposer qu'il est toujours dans le meilleur intérêt de l'enfant d'avoir le plus de contacts possible avec ses deux parents. Ce n'est peut-être pas le cas quand l'un des deux parents est violent. Les actes de violence conjugale, d'agression sexuelle ou les autres actes de violence devraient être davantage soumis à examen quand on évalue ce qui est dans le meilleur intérêt de l'enfant et qu'on juge de la capacité d'un parent à s'occuper de cet enfant. Une meilleure coordination des jugements rendus en matière civile et criminelle devrait être assurée. Le souscomité sur la condition féminine de la Chambre des communes a déjà formulé une recommandation en vue de modifier la Loi sur le divorce afin que la violence faite aux femmes ou aux enfants entre en ligne de compte quand les droits de garde ou de visite sont attribués. Le CSF abonde dans ce sens et recommande : 34- Que, dans le cadre des procédures relatives à la garde des enfants, les antécédents de violence contre les femmes ou les enfants entrent en ligne de compte et constituent un facteur défavorable à l'attribution de droits de garde ou de visite à l'homme violent. - La restriction de la pornographie. Il est important de lutter contre la pornographie en tant qu'agent symbolique du sexisme et de la violence contre les femmes. Diverses solutions doivent être explorées pour mettre un terme à la prolifération des productions pornographiques. La sensibilisation et la prévention constituent des mesures de choix pour faire cesser la pornographie : l'éducation à une sexualité saine, au respect et à l'égalité entre les sexes, est essentielle pour contrer aussi bien la pornographie que les autres formes de violence contre les femmes. Des mesures «curatives» sont également nécessaires. Le Code criminel ne traite pas actuellement de pornographie, seulement d'obscénité, qu'il définit à l'article 163 (8) comme «l'exploitation indue des choses sexuelles, ou de choses sexuelles et de l'un ou plusieurs des sujets suivants, à savoir : le crime, l'horreur, la cruauté et la violence». Des groupes de femmes ont demandé à maintes reprises de remplacer le concept d'obscénité par celui de pornographie et d'en donner une définition assez précise de façon à exclure les productions érotiques et à inclure les représentations qui semblent cautionner la domination, l'exploitation, la dégradation, la déshumanisation ou la violence en lien avec la sexualité. Les demandes dans le but de mettre un terme à la diffusion de productions pornographiques se heurtent cependant aux objections des défenseurs de la liberté d'expression. Or, si l'interdiction de la pornographie constitue une atteinte à la liberté d'expression, elle s'avère nécessaire pour protéger certains droits fondamentaux des femmes et pour empêcher la diffusion de représentations qui les dégradent et légitiment la violence à leur endroit. La Cour suprême a partiellement admis cette nécessité dans le jugement R C Butler rendu en 1992. La cour reconnaît que l'objectif d'éviter le préjudice lié à la diffusion de productions pornographiques constitue une préoccupation suffisamment urgente et réelle pour justifier des restrictions à l'exercice de la liberté d'expression. Dans le jugement, la représentation de choses sexuelles accompagnées de violence est reconnue comme constituant presque toujours une exploitation indue au sens du Code criminel. La représentation de choses sexuelles même non accompagnées de violence équivaut aussi à une exploitation indue lorsqu'elle comporte la participation d'enfants. Le jugement précise également que «les choses sexuelles explicites qui constituent un traitement dégradant ou déshumanisant peuvent constituer une exploitation indue si le risque de préjudice est important». Le concept d'obscénité ayant été précisé par le jugement Butler, les revendications traditionnelles des groupes de femmes à l'effet d'obtenir une loi sur la pornographie ne semblent plus aussi impérieuses. On ignore cependant encore comment les tribunaux interpréteront les notions de «traitement dégradant ou déshumanisant» et comment le «risque de préjudice important» sera défini. L'influence du jugement Butler devra être étudiée dans quelques années. Dans l'immédiat, des mesures devraient être prises pour que les policiers soient bien au fait du contenu du jugement et puissent prendre des procédures contre les représentations constituant une exploitation indue des choses sexuelles. Dans cette optique, le CSF recommande: 35- Que le ministère de la Justice, en collaboration avec le ministère de la Sécurité publique, émette des lignes directrices d'interprétation du jugement Butler à l'intention des policiers du Québec. Les poursuites contre quiconque incite à la haine contre un groupe identifiable sont par ailleurs possibles en vertu de l'article 319 du Code criminel; comme la haine et le mépris des femmes sont au coeur de la pornographie, cet article pourrait donc être invoqué pour faire interdire des productions pornographiques et d'autres types de représentations qui encouragent la haine et la violence contre les femmes, à condition que les femmes soient définies comme un groupe identifiable, ce qui n'est pas le cas actuellement. Afin d'enrayer la diffusion des productions pornographiques qui cautionnent la domination, l'exploitation, la dégradation ou la violence à l'endroit des femmes, le CSF recommande : 36- Que le ministre québécois de la Justice intervienne auprès de son homologue fédéral afin d'élargir la portée des articles 318 et 319 du Code criminel pour interdire la propagande haineuse contre les femmes. Certaines municipalités ont quant à elles pris des moyens afin de limiter ou d'interdire la pornographie (affichage, étalage, spectacles, boutiques) sur leur territoire. En 1992, 87 municipalités regroupant plus de la moitié de la population du Québec s'étaient dotées de tels règlements. Deux jugements rendus à l'automne 1992 ont déclaré inconstitutionnelles les règlements des villes de Montréal et de Drummondville en invoquant le fait que la protection de la moralité publique est un champ de compétence fédérale. Montréal a porté le jugement en appel. En attendant, il serait important d'explorer les moyens qui demeurent à la disposition des municipalités pour limiter ou interdire la pornographie sur leur territoire. Le CSF recommande donc : 37- Que le ministère des Affaires municipales propose des lignes directrices aux municipalités leur permettant de rédiger des règlements concernant l'étalage, l'affichage, les boutiques et les spectacles pornographiques sans outrepasser leur compétence. Au coeur des débats sur la pornographie, et notamment depuis l'adoption de la Charte des droits et libertés de la personne, on trouve la question des oppositions entre certains droits des femmes, d'une part, et la liberté d'expression, d'autre part. Dans d'autres domaines de la violence faite aux femmes, les droits des victimes et ceux des accusés peuvent aussi entrer en contradiction. A l'instar de la Fédération des femmes du Québec, le CSF considère qu'il serait important de faire une réflexion approfondie sur les considérations éthiques et philosophiques entourant l'équilibre entre les différents droits individuels et collectifs consentis ou revendiqués dans notre société. Le ministère de la Justice pourrait être chargé d'appeler à une telle réflexion. 5-3-3 Une meilleure prise en considération des besoins des femmes doublement vulnérables à la violence. L'amélioration de l'intervention sur la question de la violence faite aux femmes requiert aussi de mieux tenir compte des problèmes et des besoins particuliers de certaines femmes. Les femmes atteintes de handicap, les immigrantes récemment arrivées au pays ou les femmes appartenant à une minorité ethnique et les femmes autochtones subissent souvent, en plus de l'inégalité de pouvoir entre les sexes, des conditions particulières d'isolement et de marginalisation sociale qui accroissent leur vulnérabilité à la violence. Devant un homme bien portant, les femmes atteintes d'un handicap sont doublement désavantagées. De fait, elles sont plus susceptibles d'être abusées ou agressées sexuellement que les femmes non handicapées et elles utilisent moins que ces dernières les ressources d'aide. Comme nous l'avons déjà mentionné, les filles et les femmes handicapées et celles qui ont des problèmes de santé mentale sont vulnérables à la violence sexuelle de leurs proches ou à la violence conjugale, mais elles sont aussi exposées à l'agression de la part d'hommes qui sont censés leur donner des services ou des soins. Les femmes handicapées physiquement peuvent plus difficilement se défendre contre un agresseur. Les femmes mentalement malades ou handicapées ou celles qui ont de la difficulté à s'exprimer sont d'autant plus sujettes à la violence qu'elles ont du mal à communiquer pour dénoncer l'agression dont elles seraient victimes et que, souvent, on accorde peu de crédibilité à leurs propos. De plus, les règles entourant le témoignage en justice ne sont pas suffisamment adaptées à la situation de ces personnes malgré certaines améliorations apportées au Code criminel en 1992 permettant de témoigner à l'extérieur de la salle d'audience ou derrière un écran. L'isolement social qui est le lot de nombreuses femmes handicapées, ainsi que le manque de ressources habilitées à répondre à leurs besoins, accentuent leur vulnérabilité à la violence. L'isolement est aussi le lot de beaucoup d'immigrantes. Elles viennent parfois de sociétés où l'inégalité des rapports hommes-femmes est encore plus marquée qu'ici. Pour celles qui sortent de pays où règnent la dictature et la répression, la crainte de la police les empêche de porter plainte quand elles sont victimes de violence. La violence sexuelle se double souvent de racisme à l'endroit des femmes des minorités visibles. La méconnaissance de la langue, des lois et des ressources de la société québécoise accentue la vulnérabilité à la violence des nouvelles arrivées. Les services d'information et d'aide aux femmes violentées ne sont souvent disponibles qu'en français ou en anglais. Les barrières culturelles et l'incompréhension auxquelles les immigrantes et les femmes appartenant à une minorité ethnique peuvent se heurter augmentent leur isolement. De plus, les immigrantes risquent de subir en silence la violence quand elles craignent de perdre leur emploi si elles se plaignent du harcèlement sexuel de leur patron. Les femmes dont le séjour au Canada est parrainé par un conjoint violent risquent elles aussi de se résigner à leur sort. Actuellement, les femmes qui viennent au Canada rejoindre un conjoint qui a déjà été admis comme immigrant se voient attribuer le statut de parrainées. Ce statut les place pour une période de dix ans sous la responsabilité du conjoint qui se porte garant pour elles et qui doit pourvoir à leurs besoins. La dépendance psychologique et financière inhérente au statut de parrainée peut renforcer l'isolement de ces femmes et constituer un obstacle pour celles qui voudraient quitter un conjoint violent. Notons cependant que le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration a récemment assoupli ses règles et n'insiste plus pour que, dans les cas de violence conjugale, le garant continue d'être responsable de la femme qu'il violente. Par ailleurs, les femmes autochtones connaissent souvent l'isolement géographique propre au milieu rural ou aux régions isolées. Elles sont de plus isolées des sources d'aide de la société blanche par des barrières culturelles. Plusieurs femmes autochtones établissent un lien entre la violence conjugale et familiale et l'oppression de leurs peuples. C'est pourquoi certains mouvements traditionalistes cherchent à ranimer la culture autochtone et à susciter l'engagement de la communauté et de la famille élargie pour contrer les problèmes sociaux comme la violence faite aux femmes. Aujourd'hui, malgré l'absence de données statistiques précises, il semble que la violence conjugale, l'inceste et l'agression sexuelle soient des problèmes importants dans les communautés autochtones. Dans les deux tiers de ces communautés, le problème de la violence conjugale est considéré comme grave ou plutôt sérieux. En Ontario, 80 % des femmes autochtones auraient déjà été maltraitées ou agressées. Dans les communautés autochtones, l'intervention policière dans les cas de violence conjugale est rendue plus difficile parce que les agents de la paix connaissent souvent personnellement les individus en cause. On note, de plus, des lacunes importantes sur les plans de la formation à l'intervention en violence conjugale et de la concertation chez les divers intervenants et intervenantes travaillant dans ce domaine. Au Québec, comme ailleurs au Canada, les femmes des communautés autochtones qui veulent se soustraire à la violence doivent souvent quitter leur milieu pour aller vers une maison d'hébergement ou d'autres types de services. Le transport jusqu'à la ressource la plus proche constitue un problème pour les femmes qui doivent quitter leur foyer en catastrophe. Par la suite, l'incompréhension et même des attitudes discriminatoires de la part des membres de la société blanche accroissent parfois leur isolement. Une connaissance approfondie des problèmes particuliers des femmes doublement vulnérables à la violence fait souvent défaut et le système sociosanitaire et le système judiciaire n'ont pas toujours une réponse adaptée à leurs besoins. Conséquemment, le CSF recommande : 38- Que le gouvernement du Québec, à l'intérieur de sa future politique contre la violence faite aux femmes, accorde un soutien financier approprié aux groupes communautaires qui travaillent auprès des femmes doublement vulnérables à la violence. 39- Que le gouvernement du Québec assure l'accès des services sociosanitaires et du système judiciaire aux femmes handicapées, aux femmes immigrantes et de groupes ethniques minoritaires et aux femmes autochtones qui sont victimes de violence, et qu'il prévoit la sensibilisation des intervenantes et des intervenants à leurs problèmes particuliers. Dans les faits, assurer aux femmes doublement vulnérables l'accès aux services suppose, en plus de la sensibilisation des intervenantes et des intervenants, l'attribution de subventions spéciales à des organismes communautaires, notamment à des maisons d'hébergement pour les femmes victimes de violence conjugale et à des établissements de santé et de services sociaux pour leur permettre d'aménager leurs lieux et de prévoir des services en fonction des besoins des femmes handicapées qui sont victimes de violence. Dans le secteur de la justice, ce n'est pas seulement l'accès aux lieux mais, dans le cas des femmes atteintes d'un handicap qui affecte leur capacité de communiquer, l'accès au processus judiciaire lui-même qui doit être facilité. Le ministère de la Justice doit mettre en place des moyens permettant aux tribunaux de recevoir le témoignage de femmes victimes de violence et souffrant de handicap mental ou de tout handicap affectant leur capacité de communiquer. Le droit de recourir à un ou une interprète, c'est-à-dire à quelqu'un qui est capable de transmettre aux autres ce que la personne handicapée cherche à communiquer, devrait être respecté. Au besoin, les tribunaux pourraient permettre à une personne proche de la personne handicapée d'aider celle-ci à témoigner. Pour ce qui est des femmes immigrantes, l'accessibilité pourrait se concrétiser par l'attribution de subventions spéciales en vue de permettre aux ressources pour femmes victimes de violence desservant un nombre important de femmes qui parlent peu ou pas le français de rendre leurs services disponibles en d'autres langues. A titre d'exemple, un groupe d'aide aux femmes harcelées sexuellement pourrait faire traduire en espagnol sa brochure d'information. Par ailleurs, les immigrants et les immigrantes devraient recevoir dès leur arrivée au Québec de l'information sur les lois et les ressources dans le domaine de la violence faite aux femmes. Enfin, faut-il le rappeler, la campagne de sensibilisation à la violence faite aux femmes qui devrait être diffusée par les principaux médias devrait être reprise par les médias des communautés culturelles. Le CSF souligne de plus, comme il l'a fait dans son mémoire sur l'énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration, la nécessité d'abolir le système de parrainage pour la conjointe et les enfants d'une personne immigrante. Conjointe et enfants seraient ainsi classés comme immigrants indépendants même s'ils arrivent au Québec après le requérant principal de l'immigration. Quant aux femmes autochtones victimes de violence, leur accès aux services doit être assuré par la mise en place de services dans les communautés autochtones mêmes. Le gouvernement du Québec doit appuyer le travail des groupes de femmes autochtones qui veulent contrer la violence faite aux femmes dans leurs collectivités. Cet appui doit se faire dans le respect des approches privilégiées par les femmes autochtones. Des ressources financières suffisantes doivent notamment être accordées pour mettre sur pied des maisons d'hébergement, afin d'éviter aux femmes violentées d'avoir à quitter leur milieu pour recevoir ces services. Dans les cas où les groupes de femmes des communautés autochtones considéreraient inapproprié, entre autres pour la sécurité des femmes, l'établissement d'une maison d'hébergement ou d'un autre type de service dans leur collectivité, les victimes de violence devraient avoir accès rapidement à un moyen de transport pour aller chercher les services à l'extérieur de leur communauté. Comme pour les autres cas de femmes doublement vulnérables à la violence, on doit prévoir la sensibilisation des intervenantes et des intervenants qui travaillent à l'extérieur des réserves et qui sont appelés à donner des services aux femmes autochtones victimes de violence. 5-3-4 La formation et la recherche. Améliorer le traitement social, sanitaire et judiciaire de la violence faite aux femmes requiert une meilleure formation des divers intervenantes et intervenants. En effet, les intervenantes et les intervenants du réseau de la santé et des services sociaux sont insuffisamment sensibilisés à la question de la violence faite aux femmes. Selon la directrice du CLSC Olivier-Guimond, «les formations collégiales et universitaires préparent bien mal nos intervenants à l'intervention au niveau de la violence conjugale». Les formations en cours d'emploi qui ont été données jusqu'à présent (par exemple, une formation à l'intervention féministe en violence conjugale a été suivie il y a quelques années par des intervenantes des CLSC) ne suffisent pas : les intervenantes et les intervenants des CLSC arrivent encore mal à reconnaître les femmes victimes de violence conjugale qui se présentent devant eux en invoquant d'autres problèmes que la violence. Les intervenantes et les intervenants sociaux, les infirmiers et les infirmières et les médecins manifestent encore des attitudes non aidantes à l'endroit des femmes violentées par leur conjoint. Même quand les intervenantes et les intervenants ont été sensibilisés au dépistage de la violence conjugale, comme c'est le cas dans les CLSC de la région de Montréal, seulement un petit nombre d'entre eux est en mesure de faire de l'intervention de base auprès des femmes violentées. Quant aux autres formes de violence faite aux femmes, elles sont encore moins bien connues que la violence conjugale par la plupart des spécialistes de la santé et des services sociaux. La sensibilisation et la formation des intervenantes et des intervenants du domaine judiciaire sont également déficientes. La formation en techniques policières au Cégep et à l'Institut de police de Nicolet comporte un volet de quelques heures sur la violence familiale dans le cours intitulé Intervention en situation de crise. Dans la formation de base dispensée au personnel des services correctionnels, on commence à parler de violence conjugale et d'agression sexuelle, mais l'importance accordée à ces thèmes dépend surtout de la motivation et de l'expérience du personnel enseignant. Aucun cours n'aborde spécifiquement, et nécessairement, la question de la violence faite aux femmes. La formation en droit ne comporte pas de cours obligatoire traitant spécifiquement de la violence faite aux femmes, du sexisme ou de la façon d'intervenir auprès des enfants victimes d'agression sexuelle. Quant aux activités de perfectionnement offertes aux membres des forces policières, des services correctionnels, du Barreau ou de la magistrature, elles sont ponctuelles, de courte durée et non obligatoires. En conséquence, le Conseil du statut de la femme formule la recommandation suivante 40- Que le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science assure l'inclusion, dans la formation des futurs intervenants et intervenantes de la santé, des services sociaux, de la justice et des services policiers et correctionnels, d'un volet obligatoire portant sur les rapports hommes-femmes, le sexisme et la violence contre les femmes, et que les ministères responsables des différents champs d'intervention donnent de la formation continue et obligatoire en cours d'emploi sur ces mêmes thèmes. Des besoins se font également sentir sur le plan du développement des connaissances relatives à la violence faite aux femmes. Si, sur les différentes formes de violence, on commence à être mieux documenté, les données récentes proviennent surtout de recherches américaines et parfois canadiennes. La prochaine enquête de Santé Québec devrait remédier partiellement au manque de données empiriques québécoises puisqu'un nouveau volet de recherche porte sur la violence conjugale. Les autres formes de violence faite aux femmes ne sont toutefois pas abordées. Statistique Canada entreprend pour sa part en 1993 une étude pancanadienne sur toutes les formes de violence faite aux femmes, à l'exception de la violence subie dans l'enfance. Il serait important d'arriver à mieux connaître l'ampleur du phénomène de l'inceste au Québec, comme celle des autres formes de violence contre les femmes. Pour y arriver, l'élargissement du champ de l'enquête Santé Québec au-delà de la question de la violence conjugale apparaît comme une avenue à considérer. L'enquête Santé Québec est la seule à recueillir des données québécoises de façon périodique sur les problèmes sociosanitaires. Or, l'une des interrogations importantes au regard de la violence contre les femmes est de savoir si elle va en augmentant ou en diminuant. A ce jour, on sait que davantage d'actes violents contre les femmes sont rapportés à la police en comparaison d'il y a quelques années. Cela ne signifie pas nécessairement que la violence faite aux femmes est plus répandue. Une intervention sociale efficace doit s'appuyer sur une connaissance précise de l'évolution des problèmes qu'elle cherche à circonscrire. C'est pourquoi on doit pouvoir suivre les changements dans l'incidence et la prévalence de la violence faite aux femmes dans la population. Une cueillette systématique et continue d'information dans les organismes de santé et de services sociaux pourrait permettre, quant à elle, de mieux connaître l'évolution de la demande de services en lien avec le problème de la violence faite aux femmes et les caractéristiques de la clientèle. Également, une connaissance plus fine et plus approfondie de la violence du point de vue des femmes qui la subissent viendrait enrichir la compréhension de la violence et de ses effets. Le contexte dans lequel la violence subie s'inscrit, les stratégies des femmes pour s'y soustraire, la perception des femmes quant aux interventions aidantes et non aidantes de leur entourage et des différents services, sont autant d'aspects de l'expérience des femmes victimes de violence qui ont été peu abordés et qui se prêtent souvent mal aux méthodes quantitatives de recherche. La recherche qualitative dans le domaine de la violence faite aux femmes mériterait d'être davantage encouragée. Enfin, il apparaît essentiel de mieux connaître et de mieux évaluer les programmes de prévention et d'intervention en matière de violence faite aux femmes. La première étape est de savoir ce qui se fait dans les différents milieux. Par exemple, il n'existe pas de recension des différentes expériences de sensibilisation effectuées en milieu scolaire pour sensibiliser les jeunes à la violence faite aux filles et aux femmes. On ignore aussi ce qui se fait exactement dans les établissements du réseau de la santé et des services sociaux ou aux tables de concertation en matière d'intervention contre la violence faite aux femmes. Si la connaissance des actions entreprises dans différents secteurs fait souvent défaut, l'évaluation des programmes et des services semble aussi déficiente. Quelle est l'efficacité des mesures mises en place, par exemple, pour traiter les conjoints violents ou les agresseurs sexuels? Les mécanismes de concertation actuels donnent-ils des résultats? La formation offerte aux intervenants et aux intervenantes permet-elle de bien répondre aux besoins des femmes victimes de violence? Ces questions doivent trouver leur réponse si on souhaite améliorer les actions visant à enrayer la violence contre les femmes. Les nouvelles mesures proposées dans le présent avis, par exemple, la réduction de la violence à la télévision, la tenue d'une campagne médiatique ou le dépistage des femmes victimes de violence, commandent également des stratégies rigoureuses de recherche évaluative. Dans le but de parvenir à une meilleure connaissance de la question de la violence faite aux femmes et de privilégier les moyens les plus appropriés pour la contrer, le Conseil recommande : 41- Que le gouvernement du Québec assortisse sa future politique contre la violence faite aux femmes d'un programme de recherche permettant d'accroître les connaissances sur cette violence et sur l'efficacité des mesures adoptées pour la contrer. Conclusion. La violence contre les femmes est profondément enracinée au coeur des sociétés fondées sur les valeurs patriarcales. La violence faite aux femmes représente l'une des manifestations les plus extrêmes de l'inégalité sociale entre les sexes. Elle constitue aussi le moyen ultime de garder les femmes à «leur» place, quand les autres moyens de contrôle ont échoué. Inégalité et violence s'inscrivent donc dans une relation circulaire où elles se renforcent mutuellement. Pour briser ce cercle vicieux et pour atteindre un «degré zéro» de violence, des mesures sociales énergiques doivent être prises. Tant que la société tolérera ou même, comme c'est le cas pour la pornographie, cautionnera le mépris et la violence contre les femmes, tant que le sexisme et la violence seront reproduits socialement dans la famille, à l'école et dans la rue, tant qu'on ne tiendra pas compte des racines sociales communes à l'ensemble des manifestations de violence contre les femmes, les actions contre cette violence auront peu d'effet sur l'ampleur du phénomène. Pour susciter l'effort concerté, cohérent et soutenu qui est nécessaire pour mettre un terme aux agressions subies par les femmes, le Conseil du statut de la femme réclame une politique gouvernementale sur la violence faite aux femmes. Une telle politique doit s'appuyer sur une approche d'abord préventive. La prévention à l'école doit devenir systématique et continue. Les enfants ayant vécu dans un milieu de violence doivent être l'objet d'une intervention plus intensive. La violence doit disparaître des émissions de télévision pour enfants. Une campagne médiatique doit être menée pour dénoncer les manifestations de violence contre les femmes et pour mettre en relief la responsabilité des hommes de faire cesser ces agressions. Les médias doivent diffuser une information plus éducative et à caractère moins sensationnaliste sur la violence faite aux femmes. La prévention du harcèlement sexuel doit devenir une priorité des milieux du travail. Sur le plan de l'aménagement des villes, on doit mieux tenir compte de la violence faite aux femmes et de la peur qu'engendre la violence. Outre les activités d'éducation et de sensibilisation pour empêcher l'apparition d'attitudes et de comportements violents contre les femmes, des mesures doivent aussi être prises pour contrer la violence qui existe maintenant et pour mieux aider les femmes qui en sont les victimes. Le travail des groupes communautaires de femmes qui soutiennent les victimes de violence doit être reconnu et subventionné de manière appropriée. Dans le réseau institutionnel de la santé et des services sociaux, le dépistage des victimes de violence fait cruellement défaut, ainsi que les protocoles d'intervention à la suite du dépistage. Ces lacunes doivent être corrigées. Par ailleurs, les services actuels et à venir, qu'ils soient dispensés aux femmes qui vivent de la violence ou aux hommes agresseurs, doivent sans équivoque mettre de l'avant les principes de protection et de soutien des victimes et de responsabilisation des agresseurs. La société doit également manifester clairement son refus de tolérer la violence contre les femmes en reconnaissant le caractère criminel de plusieurs formes de violence et en les punissant sévèrement. Des améliorations s'imposent dans le traitement judiciaire des crimes contre les femmes afin de remédier notamment aux longs délais, à la déficience de la protection accordée aux femmes et au manque de soutien dans le processus judiciaire. Des mesures strictes doivent être prises pour mettre un terme aux fautes sexuelles commises par des thérapeutes à l'endroit de leurs clientes ou patientes. Les recours à la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, à la Loi sur les normes du travail et à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles doivent être facilités ou améliorés pour les femmes victimes de violence. Les antécédents de violence conjugale doivent être pris en considération au moment de l'attribution de droits de garde ou de visite lors de la séparation ou du divorce. Enfin, des mesures doivent être prises pour restreindre la diffusion des productions pornographiques. L'amélioration des services communautaires et sociosanitaires et l'amélioration du traitement judiciaire de la violence faite aux femmes visent l'ensemble des Québécoises victimes de violence. Des mesures doivent cependant être prises pour assurer à certaines femmes doublement vulnérables à la violence : femmes autochtones, femmes immigrantes ou membres des minorités visibles et femmes souffrant d'un handicap, une réponse adaptée à leurs besoins particuliers d'aide. Enfin, pour mettre un terme à la violence faite aux femmes, les intervenantes et les intervenants de tous les secteurs doivent être sensibilisés a cette réalité. La question de la violence faite aux femmes doit être systématiquement traitée dans la formation de base et dans les activités de perfectionnement des intervenants et intervenantes des domaines de la justice, de la sécurité publique, de la santé et des services sociaux. Un programme de recherche sur la violence faite aux femmes doit également être mis sur pied pour accroître les connaissances sur cette question et pour évaluer l'efficacité des mesures adoptées pour la contrer. La violence contre les femmes n'est ni rare ou marginale, ni le fait d'hommes déviants ou malades. Elle constitue un problème social grave et exige une réponse sociale de même envergure. En plus des femmes, c'est la société tout entière qui bénéficiera d'un degré zéro de la violence contre les femmes.