*{ Caisses populaires Desjardins 1982 } Le développement social et la responsabilité des institutions. Comme il se doit, permettez-moi de vous remercier chaleureusement de m'avoir offert cette tribune de choix. Le thème de cet exposé portant sur le développement social et les institutions m'est particulièrement cher. Notre but est de nous intégrer à ces assises en y fournissant une contribution, un son de cloche qui, espéronsle, fournira de la matière à réflexion dans les délibérations qui suivront d'ici mercredi. Dans ce bref exposé, nous tenterons de dégager quelques grandes lignes présentant notre perception de la problématique et des solutions relatives à la responsabilité sociale des institutions. Nous postulons au départ que la question de la responsabilité sociale des institutions nous apparaît comme un problème national et que le temps presse d'innover dans ce domaine afin d'amorcer un vaste projet de transformation pouvant déboucher sur un nouveau contrat_social. Par responsabilité sociale des institutions, nous nous référons à la qualité des relations de ces institutions envers leurs différents publics, compte tenu d'un contexte spécifique. Nous tenons compte des ressources_humaines, des actionnaires et investisseurs, des consommateurs, des fournisseurs, de la collectivité locale, des concurrents, de l'État comme aussi des ressources énergétiques et de l'environnement. Notre but au niveau de la problématique n'est pas d'évaluer tel ou tel type d'institution, mais d'examiner les fondements sociaux sur lesquels repose l'économie prévalante. Le principal constat tient en ce que l'économie marchande a ceci d'insuffisant que de par sa conception même, elle ne tient pas compte de la responsabilité sociale; elle procède plutôt d'une pensée toute matérialiste et individualiste de l'économie. Elle néglige la dimension sociale de l'être humain et réduit celui-ci, ainsi que la société, à une machine à production et à consommation. Contrairement à Adam_smith, promoteur de l'harmonie économique par le jeu de la main invisible, nous ne croyons pas que la somme des égoïsmes particuliers débouche sur le bien commun. Les faits viennent aussi contredire l'historique maxime de Stuart_mill «laisser-faire, laisser passer, tout s'arrangera de soi, la liberté corrigeant elle-même les maux qu'elle engendre». Par la suite, la théorie de Keynes est devenue le nouvel évangile de la pensée libérale, l'État rectifiant les effets cycliques par des interventions fiscales et monétaires. Aujourd'hui avec la social-démocratie, les efforts de l'État pour contrebalancer les effets du libéralisme se traduisent par des investissements massifs en mesures sociales. Le budget de l'État dévore maintenant 46% du PNB et plus l'État intervient, plus les taxes sont élevées, plus ceci induit les prix des produits à la hausse et plus les entreprises perdent leur avantage concurrentiel. Avec la stagflation, le libéralisme économique vit sa seconde plus grande époque de rejet. Cette crise économique s'accompagne d'une crise de civilisation ou les assises du monde_occidental sont ébranlées en profondeur. Le culte de l'individualisme, de la primauté du capital, du profit, de la croissance à tout prix et de la consommation effrénée engendrent toute une série de problèmes sociaux: inégalité, pauvreté, chômage, travail en miettes, milieux de vie dégradés, pollution, etc. Règle générale, la responsabilité sociale revient encore à l'État qui ramasse au bout de la ligne les pots cassés. A observer les événements, on dirait que l'économie libérale tend vers son autodestruction avec la concentration, les monopoles, les transnationales, le régime d'antagonisme entre les acteurs socio-économiques, etc. Nous assistons à une multitude de problèmes d'une grande complexité, si bien que la société apparaît comme bloquée, déséquilibrée. Toute la vie économique est devenue horriblement cruelle alors que l'homme a cessé d'être solidaire de son frère. Il faut transformer en profondeur l'édifice économique fondé sur l'égoïsme, la primauté du capital, la puissance et la diminution progressive de la responsabilité personnelle. Dans un contexte de grande tension sociale, deux issues classiques font surface: Premièrement: Revenir au libéralisme pur? C'est impensable, le désordre social serait pire. Deuxièmement: S'orienter vers le dirigisme étatique? Ce n'est pas une solution meilleure; rares sont les individus qui fuient vers les pays_de_l'_est, n'est-ce pas! Pourtant une solution alternative commence à poindre: celle de la transformation sociale en profondeur du régime économique. La question sociale devient une question_nationale. C'est une question totale impliquant des changements aux niveaux des mentalités, des structures et des comportements. Maintenant que la société est imprégnée des éléments de la révolution_industrielle, elle se trouve mûre pour une ère marquée par l'innovation sociale. C'est une grosse commande qui nous sollicite; des remises en question en profondeur interpellent nos institutions; insérer le social dans les appareils figure parmi les grandes priorités de l'heure. La direction des changements désirés est connue: (1) Le respect de la dignité de la personne; (2) Un travail signifiant; (3) La solidarité humaine et l'engagement communautaire; (4) Les conditions favorisant l'actualisation personnelle; (5) Un meilleur partage des pouvoirs et des richesses; (6) Le remembrement des différentes dimensions de la vie; (7) Une éthique économique supérieure; (8) Bref, une économie plus responsable, humaine, participative et consensuelle. La notion de responsabilité sociale renvoie donc, dans cette perspective, à une remise en cause du dogme de l'ancien capitalisme libéral fondé essentiellement sur l'individualisme, le matérialisme et la primauté du capital sur l'homme. La responsabilité sociale étendue à l'ensemble de la société commande l'aménagement d'un nouvel ordre économique. L'objectif visé est de repenser l'économie marchande afin qu'elle puisse tenir compte de ses prolongements sociaux. Le défi se conçoit comme un autre type de rationalité qui nous fasse déboucher sur l'instauration d'un nouveau contrat_social. Ce tournant historique se veut une révolution qualitative, soit un renouvellement social en profondeur du libéralisme économique. Ici il ne s'agit pas de supprimer la liberté mais de la rendre plus juste et plus responsable. Un énorme saut qualitatif est requis au niveau des esprits, des comportements, des structures afin de rénover le tissu social. A cet effet, la crise généralisée que nous subissons actuellement se présente comme une occasion privilégiée de renouvellement social en profondeur des institutions. Mais une conception renouvelée des rapports sociaux implique la définition du projet social et de son programme de réalisation. Il ne suffit pas que le premier_ministre canadien décrète la société juste pour que sa réalisation en soit assurée. De même le gouvernement du Québec ne pourra pas bâtir le Québec à long_terme par le virage technologique si celui-ci n'est pas accompagné du virage social. Le tournant historique actuel s'appuie sur de nouvelles synthèses sociales: le modèle mécanique d'organisation de la société doit se muer vers un modèle organique mettant l'accent sur l'expérimentation de la responsabilité et de la solidarité. L'avenir des institutions devra tenir compte des humanistes, des régionalistes, des innovateurs, des coopérateurs, des démocrates, des écologistes et des tenants du «small is beautiful». Fondamentalement, le propos que nous tenons développe la thèse que la responsabilité sociale émanera d'un nouveau type d'économie sociale, car la société industrielle contemporaine secrète à des degrés trop élevés, la déshumanisation, l'accumulation des coûts sociaux et la dégradation de l'environnement. Le temps presse de réexaminer les fondements économiques et d'inventer de nouveaux modèles dans notre rôle d'employeur et d'agent économique. Les tendances lourdes quant à une nouvelle économie sociale semblent converger vers l'aménagement d'un régime caractérisé par les traits dominants suivants: - une démocratie industrielle et économique laissant une place importante à la participation des travailleurs et des consommateurs; - une économie de conservation et de sobriété fondée sur le respect de la personne et de l'environnement; - une concertation des agents économiques au service du bien commun. Des changements sensibles au sein des organisations sont donc requis afin de favoriser la prise en charge de leur responsabilité sociale. Un des traits marquants de ces courants sociaux actuels est la remise en cause des modèles d'organisation classiques, mécanistes et impersonnels. Afin de passer au travers des périodes de fortes turbulences sociales et politiques qui s'annoncent, les institutions de quelque nature qu'elles soient, devront développer le sens de la solidarité avec leur personnel et une conscience sociale envers leurs différents publics. Actuellement, des efforts d'innovation sociale se manifestent en milieu industriel. Les recherches-actions des spécialistes en sciences du comportements ont contribué depuis une décade à l'apparition du développement organisationnel. Ce courant se veut une réponse au changement, une stratégie d'éducation complexe en vue de changer les croyances, les attitudes, les valeurs et la structure de l'organisation, de sorte qu'elle puisse mieux s'adapter à son environnement externe, y compris les nouvelles valeurs. Le développement organisationnel recourt aux connaissances des sciences humaines afin d'améliorer le climat de travail au moyen de différentes approches: la direction participative aux objectifs, l'enrichissement des taches, les groupes autonomes de travail, les systèmes sociotechniques, etc. Maintenant au Québec, il existe plus de 200 entreprises qui ont développé diverses formules de démocratie industrielle pouvant s'identifier à l'actionnariat ouvrier, l'autogestion, les coopératives_ouvrières_de_production, la cogestion, la qualité_de_vie au travail ou autres approches développant le tripartisme (patronat - syndicat - employés). Les exemples de Tembec et de Cabano s'avèrent des expériences intéressantes de participation ouvrière. Les papiers_cascades_de_cabano nous apparaissent comme un modèle excellent en terme de répartition de la propriété et des moyens de production, l'entreprise appartient à trois groupes: l'État via_rexfor et SDI, la participation du travailleur et de la population qui peuvent détenir 20% du capital-action et finalement un entrepreneur privé les papiers_cascades situe dans les Cantons_de_l'_est. Il n'existe pas de modèle unique d'organisation, mais celui de Cabano favorise un certain équilibre dans le partage du pouvoir et de l'avoir de l'entreprise. Des lois gouvernementales devront faciliter l'essor de l'actionnariat ouvrier afin de faire des travailleurs de véritables partenaires de l'entreprise. Nous avons foi que les organisations privées, publiques et coopératives puissent contribuer sensiblement à actualiser les espoirs d'une vie meilleure et, sur ce plan, voici quelle peut être la contribution de la coopération. Un fait important à souligner dans l'évolution de la société industrielle, est que les nouvelles valeurs et aspirations des citoyens (solidarité, participation, autonomie, entraide, équité) correspondent dans leur ensemble à l'esprit, à la philosophie et à l'action coopératifs. Si le secteur coopératif en tant qu'organisme économique ne peut atteindre une position dominante dans l'économie, néanmoins en tant qu'agent de réforme sociale, il peut exercer une influence prépondérante. Dans le contexte d'une reconversion qualitative de l'économie, la coopération peut jouer un rôle d'inspirateur, car elle rallie le social à l'économique et elle est porteuse de valeurs mobilisatrices telles la liberté, l'esprit d'entraide, la responsabilité et le partage. Nous pensons que la coopération en tant qu'idéal et philosophie représente un espoir probant pour la société post-consommatrice, et nous ne sommes pas les seuls à y croire puisque ce que nous avons tenté au Québec rejoint 365 millions de coopérateurs dans le monde. Le coopératisme n'est ni anglais, ni français, il est humain. La coopération est une formule d'organisation à laquelle la crise devrait donner une vigoureuse impulsion, car elle répond à la responsabilité centrale de notre époque; soit plus de justice dans la liberté, c'est-à-dire un meilleur partage des richesses et des pouvoirs. La coopération nous apparaît comme notre plus belle réussite nationale de démocratie économique, que ce soit dans le commerce du blé, de l'épargne et du crédit et de l'agriculture. Selon le regretté Alexandre Laidlaw, nous assisterons d'ici l'an_2000 à l'émergence de toutes une kyrielle de coopératives non conventionnelles, multi-fonctionnelles et villageoises. Nous pensons aussi que les régies coopératives pourront contribuer à démocratiser les entreprises étatiques et à leur insuffler un nouveau dynamisme. Pour sa part, le mouvement_desjardins entend fournir une contribution sensible au perfectionnement de l'ordre social et économique. Les caisses_populaires_et_d'_économie, les coopératives, par leur formule originale d'organisation en fédérations, et même en confédération, résultant de leurs objectifs de participation et de démocratie, sont particulièrement aptes à s'adapter aux attentes des temps actuels. En effet, elles sont en mesure d'allier l'efficacité de la grande organisation et la singularisation permise par la petite. Nous voulons signaler à votre attention certaines contributions sociales du MCPED, telles le triple programme de formation des dirigeants, de formation des gestionnaires et de formation des employés; le rôle de l'institut coopératif Desjardins comme lieu de rencontre pour la plupart des organismes du milieu; la mise sur pied de la société_d'_habitation_alphonse-desjardins; l'intercoopération dans l'agro-alimentaire; les préoccupations de développement communautaire que l'on retrouve dans certaines de nos fédérations; la fondation_girardin-_vaillancourt, la société_de_développement_international_desjardins, etc. Lors d'une conférence présentée antérieurement à la chambre_de_commerce_de_montréal, je mentionnais qu'en tant qu'agent de transformation sociale, le MCPED met le cap sur six principaux objectifs: - un objectif misant sur l'éducation et la solidarité dynamique des membres - un objectif visant à aider les communautés locales à retrouver leur capacité d'action dans la solution de problèmes communs - un objectif relié à une économie de petites unités décentralisées - un objectif de démocratie industrielle et économique (meilleure répartition du capital et des pouvoirs) - un objectif de réalisme à l'ère du gaspillage et de la pollution - un objectif axé sur un processus de collaboration des divers éléments constitutifs de la société. Nous sentons que ces défis nous interpellent de façon positive et commandent de notre part un engagement authentique et profond pour actualiser les valeurs que préconise la philosophie coopérative. Notre propos sur la responsabilité sociale serait incomplet s'il ne faisait pas allusion à la nécessaire concertation des grands acteurs socio-économiques et aussi aux changements de mentalité requis au plan individuel. Les problèmes auxquels fait face la société sont globaux et leur solution implique une convergence des efforts vers un redressement sensible des bases économiques. Nous sommes inquiets actuellement de la grande dissimilitude quant aux intentions de projet de société. Une grande part de la désorganisation sociale au canada et au Québec provient du manque de cohérence en terme de finalités ultimes. On dirait qu'a l'image du libéralisme, il se développe des égoïsmes de groupe se comparant à de l'individualisme en bande. Les intervenants sociaux sont souvent enfermés dans des corridors institutionnels ou idéologiques qui empêchent la poursuite du bien commun national. Un minimum de consensus est requis entre les partenaires, sinon les tables de concertation socio-économique ou politique se transforment en monologues stériles. Lors du dernier sommet québécois de concertation socio-économique, l'initiative positive préconisée par le MCPED et la FTQ pour relancer l'industrie de la construction, signifiait un premier consensus concret des plus louables. On se souvient qu'entreprises, syndicats et institutions financières ont été invités à dégager une somme de $ 1 milliard pour relancer l'industrie de la construction en mettant en chantier 50,000 unités de logements, à des taux hypothécaires de 13,5% et partant, créer 85,000 emplois. L'ouverture pour le syndicat sur ce second front entrepreneurial se situe comme un défi historique. D'autre part, au lieu d'entretenir les chômeurs au sens servile du mot par l'assistance financière, il est nécessaire pour l'État de créer les conditions visant à impliquer les individus et les collectivités locales dans leur propre développement. D'une social-démocratie scandinave, il faut passer à une social-démocratie entrepreneuriale. Dans ce sens au Québec, nous sommes toujours en attente d'une loi visant à encadrer les sociétés de développement communautaire. Nous en sommes actuellement rendus à cette phase ou il faut sortir de nos paralysies en faisant preuve de plus d'imagination, de responsabilité et de solidarité. Par exemple, Israël est un pays ou l'économie ouvrière contribue à près de 25% du PNB cette situation est due essentiellement à l'implication des collectivités locales par et dans les mouvements coopératifs et syndicaux. Maintenant que l'économie d'opulence a plutôt tendance à se transformer en économie de pénurie, il faudra réapprendre se serrer les coudes, à modifier son style_de_vie et à faire preuve de dépassement. Nous touchons du doigt ici les nécessaires modifications de mentalité au plan individuel. L'harmonie dans la société ne résulte pas de l'unique progrès matériel. La crise est aussi dans les personnes. On à trop misé sur l'homo oeconomicus et l'intérêt personnel. Au-delà des doctrines, des structures, ça prend des personnes pour les incarner et les vivifier. Alors que le monde contemporain est menacé dans son travail, dans sa famille, dans son âme, il faut des leaders pour faire avancer la cause sociale. S'il est un message que je veux laisser aux membres du conseil canadien de développement social, c'est celui du dépassement et du courage - positions qui sont à l'opposé du moindre effort et du fatalisme. L'heure est à l'action et à la dignité. anglophones et francophones ont le défi d'édifier une société démocratique de développement, hors d'un matérialisme béat, plus conforme à leur culture originale, personnaliste, qualitative et spirituelle; ainsi, la responsabilité sociale en sera intrinsèquement prise en compte au plan individuel et institutionnel.