*{ Caisses populaires Desjardins 1989 } Les défis nouveaux de la société québécoise. C'est avec plaisir que j'ai reçu et accepté l'invitation de venir vous rencontrer ce midi. Je remercie tout spécialement ceux et celles qui ont rendu possible cette activité. Comme président du mouvement_des_caisses_desjardins, j'aime à rencontrer les gens actifs qui, dans chacun de leur milieu, s'intéressent au défi de notre société et veulent étroitement oeuvrer à l'amélioration et au développement de leur région, de leur ville. Comme membres de la chambre_de_commerce_de_grand-mère, et par votre présence ici ce midi, vous démontrez que le développement harmonieux de votre localité vous intéresse et vous préoccupe. Je vous en félicite. D'ailleurs, de plus en plus la société québécoise aura besoin de la participation de tous ses membres, puisque le contexte nouveau dans lequel elle évolue nécessite la mise en place d'un vaste projet de société qui fait appel à la concertation. Devant le jaillissement de nouvelles innovations technologiques en matière de communication, les distances et les frontières ne sont plus des obstacles et les échanges commerciaux deviennent de plus en plus fréquents et rapides. Les conséquences de cette ouverture sur le monde sont nombreuses et doivent nous amener à repenser notre organisation sociale et économique, puisque nous sommes dorénavant placés devant de nombreux défis nouveaux. Cette ouverture sur le monde interroge même notre identité. Sommes-nous d'abord des Québécois, des Canadiens, des Nord-américains ou tout simplement des citoyens du monde? En d'autres termes, ce contexte mondial nouveau doit-il d'abord et avant tout favoriser l'enrichissement des individus ou doit-il être l'occasion de renforcement de la société québécoise comme collectivité? Car je le répète, la société québécoise est aux prises avec des défis nombreux sur tous les plans. 1) L'emploi. Est-il normal que notre système économique, pour fonctionner, doive sacrifier une partie de la population, environ 10%, pour permettre à l'autre 90% de mieux_vivre? Cette question est d'autant plus importante car elle fait écho à une relève, notre jeunesse, qui souffre le plus de cette situation importune. En effet, pendant que l'on se félicite de ces sommets de croissance économique, des dizaines de milliers de jeunes, en pleine force de l'âge, végètent souvent dans des emplois précaires. Ainsi, trop de Québécois sont laissés pour compte dans une société riche comme la nôtre. Ces phénomènes du chômage et de la pauvreté, particulièrement chez les jeunes, ne sont pas étrangers aux problèmes doubles de la dénatalité et du vieillissement de la population, comme le disait récemment brigitte_lepage, la présidente du conseil_permanent_de_la_jeunesse: «On ne peut pas demander aux jeunes de faire des enfants. Avec un contrat de travail de douze mois, ils n'ont pas les moyens de s'engager dans un projet de vingt-cinq ans». 2) La dénatalité. Ces propos soulignent avec justesse que le défi de la dénatalité est certes déterminant pour remporter tous les autres, puisqu'il s'agit de notre survie. Après avoir compté pour le tiers de la population canadienne il y a trente ans, le Québec n'en représente plus que le quart et il n'est pas loin le temps où il n'en représentera plus que le cinquième. Des dizaines de causes expliquent ce triste phénomène mais les solutions ne sont pas légion. 3) L'immigration. L'abaissement des frontières nous oblige à considérer l'immigration comme une alternative, comme un élément de solution. L'immigration ne peut certes pas se substituer à l'accroissement naturel de notre population, mais peut aider notre équilibre démographique, à la condition de bien composer avec cette variable qui risque, si nous ne l'assumons pas pleinement, de jouer contre nous. La question de l'immigration au Québec est une question également difficile puisque le peuple québécois, lui-même une minorité francophone en amérique_du_nord, devient paradoxalement terre d'accueil pour d'autres minorités chez lui. 4) La langue. La question de la langue est également tributaire en bonne partie de l'immigration. La langue est toujours le signe de la continuité d'un peuple et nous devons la défendre car elle est en soi notre permanence, notre perpétuité. La langue est le premier élément d'une culture. 5) L'éducation. Et cette culture repose en bonne partie sur un système d'éducation efficace et de qualité. De nombreuses restaurations sont à prévoir dans notre système d'éducation publique. C'est d'ailleurs fort compréhensible - puisqu'il célèbre cette année ses vingt-cinq ans. La société tout entière a subi des transformations importantes, depuis ce quart de siècle, et l'école doit aujourd'hui s'adapter, apporter les correctifs à son fonctionnement afin de répondre encore davantage aux besoins de la population scolaire. Sans doute y aurait-il lieu d'examiner de meilleurs arrimages entre notre système d'éducation et le monde du travail pour que nos jeunes puissent trouver un emploi pour lequel ils auront été vraiment préparés. 6) La mondialisation des marchés. Ce qui nous amène à un défi très important pour les entreprises, c'est-à-dire la globalisation des marchés. On voit de plus en plus de concurrents puissants qui avancent sur notre terrain. A titre d'exemple, soulignons que le mouvement_des_caisses_desjardins avec ses quarante milliards d'actif, ses quatre millions de membres au Québec et ses mille trois cent quarante-trois caisses_desjardins est la plus importante institution financière, ici au Québec. Dans une économie fermée, c'est une place fort enviable. Mais la situation ne se présente plus ainsi: nous évoluons dans un marché ouvert! De plus en plus international, qui nous oblige à nous comparer à nos concurrents réels; des géants financiers japonais, suisses, américains, anglais. C'est alors que nous découvrons que Desjardins, premier au Québec, est sixième au Canada et que la première institution bancaire, qui occupe le premier rang canadien, possède deux fois et demie nos actifs. Or, cette banque n'est que la quarante-huitième au monde: les premiers rangs appartiennent principalement à des entreprises japonaises. Considéré par plusieurs comme un géant au Québec, Desjardins est finalement un nain au pays des géants puisqu'il se retrouve environ cent-cinquantième parmi toutes les institutions financières à l'échelle du monde. Il en va de même pour la majorité de nos institutions et entreprises les plus performantes ici au Québec et au Canada. J'espère vous avoir convaincus que nous avons finalement beaucoup de pain sur la planche. Certains d'entre vous pourront dire que ce tableau est plutôt sombre et que l'ordre du jour des projets de la société québécoise est passablement chargé. Ces problèmes, que j'identifie comme des défis majeurs de notre société, sont autant de défis pour chacun des québécois. Il ne faut jamais oublier que les collectivités sont formées d'individus qui ont chacun un rôle à jouer et qui peuvent, en agissant dans le même sens, orienter le développement de toute une communauté. C'est d'ailleurs ce qui me frappe le plus lorsque j'examine un à un les défis énoncés précédemment. Lorsque j'élabore le constat de cette situation, je réalise que, pour chacun de ces défis, notre société à une vision a court terme. Je devrais plutôt dire que les individus ont une vision à court terme. Et c'est là, peut-être, le plus grand défi que nous avons à relever. Au lieu de penser que tout ce qui nous entoure et que tout ce que nous possédons mourra avec nous, nous devrions plutôt concevoir notre mandat de citoyen comme devant faire fleurir, faire multiplier cet héritage individuel et commun afin de le remettre aux générations de Québécois et de Québécoises qui nous suivent. Pour cela, il faut avoir une vision à long_terme et un désir de participer à l'évolution de notre société en y mettant les efforts collectifs. «Si chacun nettoie le devant de sa porte, dit le proverbe chinois, c'est toute la ville qui sera propre». Chacun doit agir maintenant dans la mesure de ses moyens. D'ailleurs, nous disposons d'une multitude de façons de participer à la résolution de nos problèmes communs. C'est dans cette perspective que je souhaite que nous puissions définir une planification stratégique québécoise qui sera basée sur l'entraide, le regroupement des forces, la solidarité des individus et des collectivités, pour faire face aux nombreux défis déjà évoqués. On se rappellera qu'au début du siècle, Monsieur alphonse_desjardins s'est attaqué au problème du développement économique, non pas des régions ou des entreprises, mais des individus. Il lui apparaissait, à l'époque, qu'il fallait d'abord régler le problème de la pauvreté et de la misère des individus et qu'ensuite, chaque individu ayant reconquis une certaine indépendance économique, il en résulterait par le fait même un développement de chacune des localités. En effet, à l'époque ce sont des individus comme des cultivateurs ou des ouvriers qui étaient démunis. Monsieur Desjardins a cherche un moyen de contribuer à leur mieux-être économique. Or aujourd'hui, nous en sommes tous témoins, ce qu'il a proposé, est certes une solution qui a manifestement réussi. Même si à l'époque, il existait quelques grands centres ou grandes villes ou il y avait passablement d'activités économiques, Monsieur Desjardins: - n'a pas suggéré de déménager dans les grands centres pour y trouver de l'emploi; - n'a pas mobilisé les gens pour réclamer l'aide de l'état; - n'a pas demandé que d'autres viennent créer des emplois pour aider les gens du milieu. Non, il a plutôt proposé que les gens de chaque localité prennent leurs affaires en main, qu'ils regroupent leurs forces et qu'ils utilisent ces forces pour s'entraider, pour se créer dans le milieu même, ou les gens veulent vivre, les ressources financières requises pour contribuer au mieux-être économique de chacun. En somme, ce que cette solution nous enseigne, c'est que dans les milieux ou les ressources sont limitées (ressources_humaines, ressources financières, ressources matérielles) les gens ne peuvent rien s'ils agissent individuellement ou isolément. Par contre, selon cette théorie, la somme des petites forces en crée toujours une plus grande - une plus grande force qu'il est ensuite possible de mettre au service de tous. Oui, la formule a certes réussi: aujourd'hui, selon le modèle proposé par Monsieur Desjardins, on retrouve mille trois cent quarante-trois caisses réparties sur tout le territoire du Québec (la caisse est quand même la seule institution financière dans plus de six cent soixante-quinze municipalités du Québec). Ces caisses se sont regroupées en dix fédérations régionales et une fédération de caisses industrielles - et ces onze fédérations se sont elles-mêmes regroupées en une confédération. En dehors du Québec, le Mouvement a également affilié récemment les fédérations de caisses de l'Ontario et du Manitoba qui ont ainsi regroupe leurs forces à celles de notre Mouvement québécois. De plus, au fur et à mesure que les membres des caisses réalisaient les bienfaits pour la collectivité de regrouper leurs épargnes, au fur et à mesure que l'on a donne aux caisses une plus grande capacité de desservir leurs membres, on a vu les caisses occuper des champs nouveaux. C'est ainsi que tout ce vaste réseau de caisses est maintenant propriétaire d'une quinzaine de sociétés filiales qui oeuvrent dans les domaines de l'assurance, de la fiducie, du crédit industriel, de l'investissement et même du développement international. Chez nous, chez Desjardins, nous croyons a cette concertation des intelligences et nous définissons souvent même la coopération comme étant la capacité d'être intelligent a plusieurs. C'est pourquoi l'approche de Desjardins par rapport au développement local, régional ou même du Québec et du Canada, s'est peu à peu définie par son lien étroit avec les communautés elles-mêmes, par son appartenance coopérative et par sa tradition populaire. Or, c'est dans cette optique que, chez Desjardins, nous avons opté pour être partenaire du développement d'une société unique et riche qui ne doit jamais mourir. C'est dans cette optique que nous concevons la planification d'un projet de société québécoise. Du point de vue économique, ce projet de société devra prévoir la création et la mise en place de noyaux durs dans des secteurs économiques névralgiques pour la santé économique du Québec. Cette création d'entreprises importantes ne saurait se faire sans la concertation essentielle à la réussite d'un tel projet. De plus, pour réaliser cet objectif, il faudrait également favoriser et faciliter le maintien et le développement de centres de décision ici même au Québec. Comme entreprise coopérative, nous pensons également que le projet de société québécoise doit également faire une place importante a la démocratie économique afin de permettre aux travailleurs et employés de prendre en main leurs propres entreprises par différentes formules, dont la formule coopérative, faisant en sorte que celles-ci deviennent alors permanentes et inaliénables. D'autre part, face à l'ouverture de nos frontières, au libre-échange, a la mondialisation des marches, il nous faudra multiplier nos efforts de solidarité afin de conserver les acquis des générations précédentes. D'ailleurs, pour faire face à l'avènement de l'internationalisation des marchés, notre société devra revoir certains modes de fonctionnement à l'égard de l'éducation et de la formation, permettant l'accroissement des liens entre nos maisons d'enseignement et des entreprises, stimulant du même coup la recherche_et_le_développement pour les entreprises d'ici. Également, nous devrons faire en sorte d'assurer le développement régional en facilitant un apport de capital de risque pour les gens du milieu et en activant les moyens de concertation des nombreux intervenants locaux et régionaux. Chez Desjardins en particulier, nous ne concevons pas le développement régional comme le fruit d'une planification extérieure, mais bien plutôt comme un processus d'évolution résultant d'une action consciente et concertée des personnes et des groupes en cause qui acceptent de s'engager de façon solidaire et responsable dans les initiatives de nature a faire progresser la qualité_de_la_vie de leur milieu. Nous accordons priorité aux projets qui engagent activement les personnes et les collectivités, qui visent a la mise en valeur permanente des ressources plutôt qu'à leur exploitation intensive, qui acceptent la discipline du long_terme plutôt que de ne s'en remettre qu'à des intérêts immédiats. Nous visons enfin au développement le plus partagé possible, soucieux des besoins d'ensemble et des mécanismes de participation. Nous souhaitons un développement résolu, capable de réclamer son du et de faire respecter ses droits légitimes, mais un développement actif, plus soucieux de son autonomie et de son autosuffisance que des réclamations constantes d'appui et de soutien extérieur. Mais, pour Desjardins, le développement régional est un élément majeur du projet de société québécoise. Comme le soulignait a juste titre le conseil_des_affaires_sociales_et_de_la_famille, il existe maintenant deux Québec dans un, celui des régions et celui des grands centres. Selon cette étude, en effet, de plus de plus de jeunes quittent les régions par manque de travail. Il s'ensuit une diminution de la natalité, une augmentation de la population vieillissante, la perte de certains services de santé, d'éducation, de loisirs. Avant que ne s'accentue ce phénomène, il est urgent d'agir a l'égard du développement régional. conclusion. Pour ce faire, il importe, plus que jamais, que le projet de société québécoise fasse place a une vision du long_terme plutôt qu'a une vision du court terme, de résultats immédiats, mais limites. Pour réaliser cette planification stratégique québécoise, il faudra inviter la population a être partie prenante a ces décisions; il faudra oeuvrer selon la politique du petit pas, en pensant globalement, mais en agissant localement. Il appartient, je pense, à chaque individu de passer a l'action et de ne pas attendre que quelqu'un d'autre règle son problème à sa place. Notre fondateur, alphonse_desjardins, avait imaginé une solution forte, en ce qu'elle était permanente, et c'est la toute sa puissance. Nous devons prendre exemple sur ce modèle et viser par la solidarité des Québécoises et des Québécois un consensus de société pour trouver ensemble des solutions permanentes aux défis qui nous sont proposés aujourd'hui; des solutions préventives et à long_terme qui serviront d'amorce à un changement profond des mentalités. Nous devons développer des outils qui assureront la permanence et la continuité de nos entreprises, de ces centres de décision sur le plan économique. Nous devons faire en sorte de construire ce rempart économique solide qui nous protégera contre ceux qui ne voient pas l'utilité de la société québécoise et de la raison de son maintien ou de sa continuité. Des lors, toutes les entreprises québécoises auront un rôle important à jouer dans la mise en place de ces solutions. Tous les citoyens du Québec auront également ce même rôle à jouer. Nous devrons tenir compte de l'environnement dans lequel nous vivons, établir un système de valeurs en conséquence. La nature d'une corporation est de se perpétuer, de ne jamais mourir. C'est pourquoi nos entreprises peuvent jouer un rôle déterminant dans l'établissement de ces valeurs permanentes au coeur de notre collectivité. Avec un horizon d'éternité, nous n'aurons pas a gérer avec des visées a court terme comme si l'entreprise allait mourir avec nous. Nous sommes comme des porteurs de flambeau dans une course a relais qui faisons notre bout de chemin le mieux possible afin de préparer le terrain pour ceux qui nous suivront. C'est la collectivité qu'il faut favoriser et développer, puisque c'est pour elle que les entreprises existent et qu'elles doivent exister. Chez Desjardins, nous avons plus que jamais pris conscience de nos responsabilités a l'égard de la société québécoise et je peux vous assurer que nos gestionnaires ont engagé leur action pour faire partie des solutions, pas des problèmes.