*{ Chambre de commerce du Québec. 1983. La croissance économique et les objectifs de la politique économique du Québec } La croissance économique et les objectifs de la politique économique du Québec. Introduction. Comme l'ensemble du Canada, l'économie québécoise se remet lentement d'une récession qui a ramené le PIB à son niveau d'il y a cinq ou six ans. Cette récession, la pire depuis la guerre à frapper la plupart des pays occidentaux, nous a fait prendre conscience de la désirabilité de la croissance économique. Si la récession qui s'achève n'était qu'un phénomène conjoncturel, les pouvoirs publics n'auraient eu qu'à mettre en oeuvre des politiques keynésiennes visant à stimuler la demande et à assurer une relance contrôlée. Or, l'efficacité de ce genre de politique est de plus en plus remise en cause: que l'on pense seulement que de 1975-76 à 1980-81 (c'est-à-dire entre les deux récessions), le déficit budgétaire fédéral a totalisé $58 milliards et que celui du gouvernement du Québec a été de $9 milliards, ce qui n'a pas empêché la récession de 1979-80 ni celle de 1981-82. Bref, il y a quelque chose de structurel dans la récession que nous venons de vivre. Une autre manière de constater ce phénomène consiste à observer que depuis la guerre, le cycle économique s'est continuellement détérioré, les récessions que nous vivons étant de plus en plus sérieuses. Le Tableau 1 en fait la démonstration pour l'ensemble du Canada (ces chiffres ne sont pas tous disponibles pour le Québec). Les prix, qui avaient tendance à diminuer en période de récession, se sont mis à augmenter de plus en plus, créant le phénomène inquiétant de la stagflation. Les prix ne s'ajustant plus pour rétablir l'équilibre et le plein emploi, ce sont les quantités, l'activité économique réelle, qui portent tout le fardeau des ajustements nécessaires pour tirer l'économie de la récession. Au Tableau 1, cela est particulièrement bien illustré par l'évolution de la production industrielle, qui a chuté de plus en plus fortement au cours des récessions d'après guerre. De même, d'une récession à l'autre, la consommation a souffert de plus en plus. Et le taux de chômage résume la situation: de 3,7% en moyenne durant la récession de 53-54, il est passé à 4,6% en 57-58, puis à 6,0% en 74-75, à 7,9% en 79-80 et à 9,7% entre juillet 81 et décembre 82. De même que l'amplitude des petits cycles économiques a tendance à croître depuis la guerre, ainsi les grandes dépressions ont, sur une période plus longue, eu tendance à s'amplifier. Aux États-Unis (où existent des estimations fiables de ces événements de l'histoire économique), l'autre grande dépression comparable à celle de 1929-33 s'est produite en 1839-43. Or, en 1839-43, les prix ont diminué de 42%, en comparaison de 31% en 1929-33. En 1839-43, il n'y eut pas de chômage généralisé, contrairement à la Grande Dépression de 1929-33, qui fut exacerbée par le protectionnisme et les contrôles de prix. De plus, alors que les dépenses réelles de consommation diminuèrent de 19% en 1929-33, elles avaient en fait augmenté de 21% en 1839-431. De cette brève analyse découlent trois observations. Premièrement, la situation économique québécoise est semblable à la situation des autres pays industrialisés et, dans une certaine mesure, tributaire de celle-ci. Deuxièmement, nos difficultés économiques actuelles semblent pour une bonne part structurelles, c'est-à-dire dues à des rigidités multiples qui ont rendu nos économies de moins en moins aptes à s'adapter au changement. Et troisièmement, les pouvoirs publics, au Québec comme ailleurs, doivent non seulement favoriser la relance actuelle, mais ils doivent adopter des politiques structurelles permettant à la relance actuelle de déboucher sur une croissance économique soutenue. Mettre le Québec à l'avant-garde des politiques économiques progressistes, tel est l'objectif des recommandations du présent mémoire. Nous sommes persuadés que si le gouvernement du Québec poursuit son cheminement actuel vers un nouveau réalisme économique, l'avenir du Québec en sera un de croissance et de prospérité économiques . 1) Les grands objectifs à poursuivre. 1-1) La croissance économique. Au Québec comme au Canada et dans les autres pays capitalistes, nous avons connu une croissance économique rapide qui, dans l'histoire de l'humanité, constitue un phénomène unique. Un fait rapporté par l'économiste français Jean Fourastié illustre bien la réalité et les bienfaits de la croissance économique: en 1891, l'ouvrier français spécialisé devait travailler durant 625 heures pour gagner un salaire équivalent au prix d'achat d'une bicyclette. Or les statistiques officielles indiquent que maintenant (en 1980), au Canada, un mécanicien de machines fixes gagne $6 262,50 en 625 heures de travail (à $10,02 de l'heure), soit assez pour s'acheter une petite automobile (ces chiffres sont calculés avant l'impôt sur le revenu, qui réduit le revenu disponible du travailleur). Une comparaison de l'ouvrier québécois d'il y a un siècle avec celui d'aujourd'hui montrerait le même genre d'augmentation phénoménale du niveau de vie. Depuis la Grande Dépression, la croissance économique réelle de la production nationale a été d'environ 3% aux États-Unis et de 4% au Canada. De 1961 à 1981, au Canada, le PIB réel a crû de 4,7% par année et le PIB réel per capita de 3,2% par année; au Québec, ces taux de croissance, bien qu'un peu moins élevés, ont été du même ordre (respectivement 3,9% et 2,8%). Le Tableau 2 montre aussi que la croissance économique a sérieusement ralenti depuis le début des années 70. Alors que le PIB réel per capita avait augmenté de 3,8% par année de 1961 à 1973 au Québec, ce taux de croissance tombait à 1,5% par année de 1973 à 1981. Un phénomène semblable s'est produit au Canada, aux ÉtatsUnis et, en général, dans le monde occidental. Ce ralentissement de la croissance économique est essentiellement dû à un ralentissement de la productivité. Une étude du Conseil du trésor du Québec constate que le taux d'augmentation annuel de la productivité québécoise (définie comme le rapport du produit intérieur réel à l'emploi) est passé de 1,8% de 1971 à 1976, à -0,5% de 1976 à 1981. Le même phénomène se produit dans les autres pays industrialisés où on observe, à partir de la première moitié des années 70, une décélération de la croissance de la productivité. Certains ont vu là un effet des deux chocs pétroliers de la dernière décennie, alors que le prix réel du pétrole du Golfe Persique a été multiplié par cinq en 1973-74 et, de nouveau, par trois en 1979-80. Cette explication, si elle n'est pas dépourvue de pertinence, demeure insuffisante pour expliquer le ralentissement de notre croissance économique. Au Canada, en effet, le prix réel du pétrole (calculé à Montréal) n'a augmenté que de 9,2% par an au cours de la dernière décennie. Certains pays, comme le Japon, ont été beaucoup plus affectés que le Québec ou les États-Unis par le choc pétrolier mais sans subir un affaiblissement comparable de leur croissance économique. Un économiste américain bien connu, Edward Denison, s'est penché sur la question complexe des causes du ralentissement de la croissance économique aux États-Unis. Il soutient que si l'augmentation des prix de l'énergie a pu, en un coup, réduire le niveau de la production nationale, il est plus difficile de comprendre comment cela aurait pu entraîner une réduction continue du taux de sa croissance ultérieure. Selon les calculs de Denison, l'augmentation des prix de l'énergie n'explique que 11% de la réduction de la croissance de la productivité entre 1973 et 1976. Et il estime qu'environ 40% de cette diminution de la croissance est imputable à la réglementation de la pollution et de la santé-sécurité au travail. Aux yeux de Denison, une large portion du déclin demeure «un mystère», et il n'écarte pas la possibilité que les effets économiques de l'inflation y comptent pour beaucoup. Les observations de Denison sont certainement aussi applicables à l'économie québécoise. La conclusion qui se dégage de cette brève analyse est que rien ne nous permet de croire que nos économies ne pourraient pas retrouver leur taux de croissance économique historique. Les effets du ralentissement de la croissance économique au cours des dernières années indiquent que l'idéal de la «croissance zéro» n'est pas partagé par la population. Notre objectif pour le Québec doit donc être un taux de croissance du PIB réel per capita d'au moins 3% à 4%. 1-2) Le plein emploi. Le retour de la croissance économique réglerait le problème sérieux du chômage. Le taux de chômage au Québec, qui a atteint 13,8% durant l'année 1982 (10,4% en 1981) était de 8% en moyenne au cours de la dernière décennie et de 5% à la fin des années soixante. Le plein emploi ne signifie évidemment pas une situation où 100% des personnes actives ont un emploi. Une économie de plein emploi en est une où il n'y a pas de chômage involontaire ou non-frictionnel. Dans les année de croissance économique rapide, on estimait à environ 3% le taux de chômage frictionnel et volontaire correspondant au plein emploi effectif. Ce taux de chômage «naturel» est non inflationniste; d'autre part, toute tentative de le réduire par une stimulation de la demande devient inflationniste. Au cours des dernières années, on en est venu à croire que le taux de chômage non inflationniste aurait augmenté aux environs de 7%, en bonne partie rigidités dans le mécanisme d'ajustement des salaires (dont les taux de salaire minimum) et à cause des incitations créées par l'assurance-chômage. Nous faisons donc face à deux problèmes distincts. Premièrement, promouvoir le retour à la croissance économique afin de réduire le taux actuel de chômage (plus de 14% au Québec) à son niveau non inflationniste de 7 à 8%. Et deuxièmement, mettre en oeuvre des politiques structurelles nécessaires pour réduire ce taux de chômage non inflationniste à un niveau plus compatible avec notre taux historique de 4 à 5%. Rien n'indique que ce soient là des tâches impossibles. L'objectif de la politique économique québécoise doit donc être, à court terme, de ramener le taux de chômage à 7 ou 8% et, à moyen terme, de retrouver un taux de chômage plus proche de l'expérience historique du plein emploi. 1-3) La lutte à l'inflation. L'inflation - surtout la stagflation, c'est-à-dire l'inflation combinée avec le chômage - pourrait sembler un problème insoluble si ce n'était que nous avons déjà connu une croissance économique sans inflation importante. Au cours des années 60, le taux annuel d'inflation au Québec dépassait à peine 2,5% en moyenne, alors qu'il atteignit presque 9% au cours des années 70. Les causes de l'inflation suscitent de vifs débats parmi les économistes, et la solution définitive du problème n'est pas encore en vue. Le problème de l'inflation dans un contexte québécois est d'autant plus difficile que la politique monétaire n'est pas de juridiction provinciale; et qu'il s'agit là d'un phénomène international qui échappe en partie à une petite économie ouverte. Il n'en demeure pas moins que l'inflation au Canada peut être contrôlée, à preuve le taux d'augmentation des prix à la consommation, qui est passé de 12,5% en 1981 (par rapport à 1980) à 7% au début de 1983 (février 1983 par rapport à février 1982); et que, si nous ne comprenons pas parfaitement les mécanismes de la stagflation, nous connaissons certaines des causes qui contribuent à l'inflation. La grande majorité des économistes admettent que celles-ci incluent une politique monétaire laxiste, un déficit gouvernemental persistant et des rigidités dans l'économie (des salaires inflexibles à la baisse, par exemple). Or, si le gouvernement du Québec n'exerce pas de contrôle direct sur la politique monétaire fédérale ni sur le déficit du gouvernement central, il peut quand même y exercer une certaine influence. Et le gouvernement du Québec exerce un contrôle direct sur son propre déficit ainsi que sur un bon nombre de politiques économiques gouvernant l'adaptabilité ou l'inflexibilité de l'économie québécoise. Conjuguées avec le fait que le gouvernement du Canada comme celui des États-Unis semble décidé à contrôler l'inflation, ces observations rendent réaliste l'objectif à moyen terme de réduire substantiellement l'inflation au Québec. 1-4) Le rôle du secteur privé et le régime des subventions. Historiquement, la croissance et la prospérité économiques sont liées à l'économie capitaliste, et elles demeurent fonction de la productivité du secteur privé. Le revenu réel per capita suit la croissance de la productivité du secteur privé. Et la grande majorité des emplois sont créés dans le secteur privé. Par exemple, de 1971 à 1981, 515 000 emplois nets ont été créés au Québec, dont seulement 60 000, soit 12%, dans l'administration publique. D'autre part, si certaines interventions de l'État peuvent produire des avantages supérieurs à leurs coûts (tangibles), la somme croissante des interventions étatiques s'accompagne d'une augmentation du poids économique de l'État qui ne peut qu'être préjudiciable à la croissance économique à long terme. En 1965, les dépenses de tous les niveaux d'administration publique au Québec équivalaient à moins de 30% du PIB: cette proportion atteint maintenant quelque 50%. Sur la base de l'expérience des 15 dernières années, la Chambre a déjà calculé que chaque fois que la part de l'État (tous les niveaux d'administration publique) dans le PIB augmente de 5% au Québec (c'est-à-dire tous les quatre ans), le taux de croissance annuel de la productivité diminue de 0,7 point, la croissance annuelle réelle du PIB diminue de 0,64 point, le taux de chômage augmente de 1,4 point et le taux d'inflation augmente de 2,0 points, au cours des trois ans qui suivent. L'analyse de l'évolution du poids de l'État dans l'ensemble de l'économie canadienne mène à des conclusions similaires. Un économiste britannique, David Smith, a obtenu des résultats semblables à maints égards en comparant la croissance économique de 19 pays industrialisés et la part des dépenses publiques (en biens et services) dans le revenu national disponible: selon lui, chaque augmentation de cinq points de pourcentage de la part de l'État semble entraîner une réduction de 1% dans la croissance économique. Puisque l'accroissement du poids de l'État dans l'économie accroît le chômage (c'est-à-dire détruit des emplois) et réduit la croissance économique (empêche la création de nouveaux emplois dans l'avenir), les dépenses de l'État pour subventionner l'entreprise ne constituent pas une méthode réaliste de création d'emplois. Les subventions aux entreprises ne font que donner d'une main une partie de ce qui a été prélevé par l'autre. En 1980-81 (dernier exercice financier pour lequel les données du Système canadien de gestion financière sont disponibles), l'administration publique québécoise a directement perçu $759 millions auprès des entreprises ($658 millions en impôt sur le profit des sociétés et $101 millions en taxes sur les ressources naturellesCela n'inclut pas les $2 458 millions perçus auprès des employeurs en taxes sur la masse salariale: $1 269 millions en taxes d'assurance-maladie, $583 millions pour les caisses des accidents du travail et environ $606 millions en contributions de l'employeur au RRQ. En retour, les entreprises privées ont touché des paiements de transfert de $304 millions - dont 43% est allé à l'agriculture. L'objectif à viser consiste donc à privilégier le rôle du secteur privé dans la croissance économique et à réaliser que le meilleur encouragement à l'entreprise ne se trouve pas dans les subventions. 2) La politique macro-économique. 2-1) La lutte contre l'inflation. La récession économique a durement frappé les entreprises et le chômage que nous connaissons actuellement comporte un coût économique qu'on ne peut minimiser. Cependant, toute tentative de dresser un tableau coûtsavantages de la lutte contre le chômage doit prendre en considération le fait que l'inflation impose elle-même des coûts importants à l'économie. Les coûts de l'inflation, qui sont trop souvent négligés dans le débat actuel, sont de cinq ordre: 1- Les coûts de l'incertitude, soit les coûts économiques associés à l'impossibilité pour les individus et les entreprises d'établir des plans financiers à long terme; et la réduction des investissements à long terme qui en découle; 2- Les coûts d'ajustement à l'inflation que doivent subir les individus et les entreprises pour réagir à des changements de prix fréquents; 3- La réduction du rendement des investissements. Conjuguées à l'augmentation des prix dans le temps, les règles fiscales actuelles sous-évaluent les coûts de remplacement des actifs d'une entreprise et, par conséquent, surestiment leurs profits réduisent les rendements réels après impôt. Il s'ensuit évidemment une réduction des investissements; 4- Les coûts administratifs et réglementaires qu'entraîne un recours accru à l'État pour protéger contre l'inflation; et les coûts politiques de l'augmentation des recettes gouvernementales qu'engendre l' inflationsurtout via l'impôt sur les profits des sociétés (référence à 3) et l'indexation imparfaite de l'impôt sur le revenu des particuliers; 5- La réduction de la productivité et de la croissance économique causée par ces phénomènes (en particulier 3 et 4), et la détérioration du cycle économique qui y est liée. En un sens, la crise économique est un phénomène inséparable d'une inflation incontrôlée. Le Conseil économique du Canada estime qu'il importe de juguler l'inflation si on ne veut pas payer un coût encore plus élevé pour le faire dans l'avenir. La Chambre croit aussi que le rétablissement de la croissance économique et du plein emploi passe par une lutte décisive contre l'inflation. Nos gouvernements semblent avoir compris que la solution n'est pas dans un contrôle coercitif des prix et des salaires. On sait que le programme fédéral de contrôle 1975-78, s'il s'accompagna d'une réduction des hausses de salaires, «n'a pas donné d'aussi bon résultats dans le cas de l'augmentation des prix», comme l'écrit le Conseil économique du Canada. L'option de contrôles plus stricts, d'autre part, devrait être appuyée par un programme de rationnement et entraînerait de sérieux déséquilibres dans l'affectation des ressources et dans l'efficacité économique. Le professeur Paul Evans, économétricien à l'Université Stanford, a calculé que les contrôles de prix aux U.S.A. durant la dernière guerre ont résulté en une production nationale de 7,1% moins élevée que si la politique monétaire seule avait été mise à contribution. Il conclut que les contrôles des prix et des salaires «ne constituent pas un remède bon marché et sans douleur pour l'inflation. En fait, ils sont peut-être un des remèdes les plus coûteux et les plus douloureux». Le gouvernement du Québec exerce un contrôle direct sur ses propres dépenses, qui constituent près de la moitié des dépenses de tous les niveaux d'administration publique au Québec: et il exerce un contrôle direct sur son propre déficit. Dans la gestion de ses finances, le gouvernement du Québec peut apporter une contribution importante à la lutte contre l'inflation. 2-2) La gestion des finances publiques québécoises. La Chambre de commerce du Québec reconnaît que le gouvernement du Québec s'est engagé dans la bonne voie en réduisant le fardeau de la rémunération dans le secteur public et parapublic, et elle l'engage à poursuivre résolument dans cette direction en s'attaquant à la résorption de son déficit budgétaire. Dans son mémoire annuel de l'an dernier, la Chambre recommandait au gouvernement d'éliminer graduellement son déficit sur une période de trois ans. Or, le déficit a dépassé $3,2 milliards en 1982-83 et sa réduction est d'autant plus impérieuse que la relance économique s'amorce. Cela ne se fera pas sans difficultés, mais notre croissance économique future est sans doute à ce prix. Si on veut réduire et éliminer graduellement le déficit budgétaire québécois sans augmenter les impôts déjà trop lourds, il n'y a qu'une solution: réduire les dépenses du gouvernement du Québec. Comme la rémunération du secteur public et parapublic provincial compte pour la moitié des dépenses du gouvernement du Québec, toute réduction de celles-ci exige une diminution de celle-là. Ce qui requiert deux choses: premièrement, ramener la rémunération, incluant les avantages sociaux, des employés du secteur public et parapublic québécois au niveau du secteur privé; et deuxièmement, réduire la taille du secteur public et parapublic du gouvernement du Québec, qui emploie quelque 13% de la main-d'oeuvre québécoise. Nous félicitons le gouvernement de s'être engagé dans cette voie. Mais les efforts actuels ne suffiront pas. Si le gouvernement doit être félicité pour avoir maintenu l'augmentation des dépenses de 1982-83 en deçà de ce qui avait été prévu au budget, on doit cependant réaliser que les dépenses de l'État continueront, en 1983-84, de croître plus vite que l'inflation. Évidemment, on ne doit pas oublier que la réduction des services gouvernementaux qu'impliquent les compressions budgétaires doit s'accompagner d'une réduction correspondante des taxes demandées aux usagers. Autrement, les coupures dans les services publics existants risquent de se traduire par des interventions accrues de l'État dans d'autres domaines et par le maintien du fardeau fiscal actuel. Pour réduire réellement les dépenses publiques, il faudra que le gouvernement abandonne certains programmes de réglementation ou de transfert, et qu'il sous-traite à l'entreprise privée un nombre croissant d'activités administratives. Certaines déclarations ministérielles récentes à propos de la sous-traitance nous permettent de croire qu'ici encore, le gouvernement regarde dans la bonne direction. Éventuellement, on peut espérer que le gouvernement se dirige résolument vers le transfert de certaines activités parapubliques (dans la santé et l'éducation, surtout) à l'entreprise privée et à la concurrence du marché. Par exemple, on ne voit pas pourquoi l'assurance-santé privée, qui coûte moins cher, ne pourrait pas remplacer une partie des activités gouvernementales dans ce domaine. De même, il est urgent que le ministère de l'Éducation lève son moratoire sur la création de nouvelles écoles privées: entre autres avantages, un recours accru à l'école privée servirait à alléger le fardeau financier de l'éducation au Québec. Nous sommes confiants que le gouvernement du Québec fera sa part dans la mise en place des conditions nécessaires à une croissance économique renouvelée et soutenue. 2-3) Le commerce extérieur. En créant un ministère du Commerce extérieur, le gouvernement du Québec a donné un autre signe de sa reconnaissance de la place stratégique qu'occupe le commerce extérieur (canadien et international) dans l'économie du Québec. Dans une économie où les importations et les exportations équivalent à environ 40% du PIB, en effet, le commerce extérieur joue un rôle stratégique. Environ 60% des exportations totales des entreprises québécoises vont vers le reste du Canada. Historiquement, ces exportations, composées surtout de produits manufacturés, ont profité de la protection tarifaire canadienne contre la concurrence étrangère - comme nos secteurs mous. Tôt ou tard, la concurrence étrangère déplacera ces exportations et nos entreprises exportatrices devront ou devenir compétitives ou se recycler en fonction des avantages comparatifs. Les exportations internationales au Québec, qui sont nécessairement compétitives, sont surtout fondées sur les produits miniers, les produits forestiers et le matériel de transport. Mais ce ne sont là que les principaux groupes de produits, nous exportons à l'étranger bien d'autres choses. Un bon exemple de la capacité compétitive de nos entreprises est qu'elles réussissent à exporter pour quelque $170 millions de textile, surtout dans les secteurs de pointe comme les fibres artificielles et les tissus spéciaux. Nos entreprises devront exploiter de plus en plus les marchés prometteurs du reste du Canada et des États-Unis. En un sens, la liberté d'importer est encore plus importante que la possibilité d'exporter. Importer à moins cher nous permet de maximiser l'utilisation de nos ressources. Le commerce extérieur libre oblige aussi les entreprises à produire efficacement. C'est par ce genre d'incitation à l'efficacité économique que l'on explique souvent la croissance rapide des six partenaires originaux du marché commun européen depuis 1957. Nos secteurs mous ne seraient plus mous s'ils avaient été soumis à la discipline du marché international. Bien sûr, la concurrence étrangère peut éliminer des emplois domestiques et entraîner le recyclage de la maind'oeuvre touchée, mais ces problèmes sont plus que compensés par la création d'emplois dans les industries montantes et par la modernisation de notre structure industrielle. De plus, une concurrence étrangère plus libre permettra sans douté aux entreprises québécoises d'obtenir à moins cher une bonne partie des $12 milliards ou plus de produits manufacturés que nous importons présentement du marché canadien protégé. Bref, il nous faut accepter la concurrence étrangère non pas comme un obstacle à notre développement, mais comme une règle de jeu essentielle du commerce et une possibilité de croissance à exploiter davantage. Par conséquent, la politique économique québécoise doit favoriser le commerce extérieur dans ses deux aspects importants: encourager nos entreprises à exporter et favoriser, dans la réciprocité avec nos partenaires extérieurs, l'abolition des obstacles aux importations. Concernant les barrières non tarifaires aux importations, la Chambre ne voudrait pas qu'une politique gouvernementale d'achat chez nous discriminatoire contribue à accroître le fardeau fiscal des contribuables et à protéger artificiellement des entreprises moins efficaces. 3) La politique micro-économique. Comme dit Mancur Olson, «la meilleure politique macro-économique est une bonne politique micro-économique». Les grandes politiques macro-économiques requises (lutte contre l'inflation et discipline fiscale) doivent se doubler de politiques micro-économiques si l'on veut un retour de la croissance économique et du plein emploi sans inflation. Notre analyse a montré qu'une partie importante de notre stagnation économique récente provient des rigidités structurelles introduites dans notre économie (comme dans les autres économies occidentales) par la réglementation gouvernementale, le poids de l'État et les pouvoirs syndicaux. 3-1) L'entreprise et le profit. Il faut d'abord un nouveau climat politique qui reconnaisse l'importance de l'entreprise et du profit, de l'investissement privé et de la compétitivité de nos entreprises. C'est avec plaisir que nous avons entendu, récemment, plusieurs déclarations gouvernementales allant dans ce sens; mais on attend encore des actes. L'investissement est une condition nécessaire de la croissance économique. Il est donc inquiétant de noter que le rapport des immobilisations (privées comme publiques) au PIB, qui est présentement de 18,2%, a eu tendance à diminuer depuis le milieu des années 70 au Québec. De plus, les immobilisations réalisées au Québec, qui constituaient quelque 24% de total canadien en 1971, n'en font plus que 18% en 1981. Un autre phénomène inquiétant est la forte proportion des immobilisations qui sont effectuées par le secteur public (près de 38% au cours de la décennie) comparativement aux entreprises commerciales (41%) et aux institutions et à l'habitation (21%). Si on veut que la croissance économique reprenne, on devra créer des conditions politiques telles que l'investissement privé augmente fortement. On investit dans une entreprise donnée parce que l'on prévoit obtenir un rendement comparable ou supérieur à ce que rapportent les investissements à risque comparable. Le profit est ainsi le moteur de l'investissement et de la croissance économique. Un des axes de la nouvelle politique économique doit donc être d'encourager le profit par une réduction des charges réglementaires et fiscales qui affectent les producteurs de biens et services. Dans ces domaines, le gouvernement a déjà fait quelques pas dans la bonne voie. On observe à Québec un nouveau réalisme économique qui favorise l'investissement privé et qui semble reconnaître le rôle du profit. Ainsi, on a pu écrire que, par son dernier énoncé de politique économique, le gouvernement du Québec a «reconnu la nécessité de créer des conditions économiques favorables aux investissements privés et il a manifesté le désir de collaborer avec la grande entreprise plutôt que de s'y substituer». Il importe en particulier que le gouvernement ne mette pas d'entraves à l'accroissement de la compétitivité de nos entreprises. Une mesure de cette compétitivité est donnée par le coût unitaire de la main-d'oeuvre (qui est fonction de la productivité globale appliquée au facteur main-d'oeuvre et de la rémunération de la maind'oeuvre). Au Canada, au cours de la décennie 1971-1981, le coût unitaire de la main-d'oeuvre a augmenté de 8,8% par an, en comparaison de 6,8% aux USA - bien que cet écart se soit amenuisé dans la deuxième partie de la décennie. Même si des chiffres officiels à ce sujet n'existent pas pour le Québec, on peut affirmer que notre compétitivité a aussi diminué avec le temps puisque, d'une part, la croissance de la productivité au Québec a ralenti encore plus que dans l'ensemble du Canada et que, d'autre part, la rémunération moyenne croît légèrement plus vite au Québec que dans le reste du Canada. Un autre aspect de l'encouragement de l'entreprise et du profit réside dans le rôle des organismes économiques purement volontaires comme les chambres de commerce. Plusieurs activités publiques comme la promotion du tourisme ou la mise sur pied de maisons régionales de l'industrie pourraient être prises en charge par les chambres de commerce. La Chambre de commerce du Québec est disposée à entamer des discussions avec le gouvernement là-dessus. De manière générale, le gouvernement du Québec doit corriger le climat d'incertitude politique créé par la loi 101 et par votre option constitutionnelle. Ce climat d'incertitude freine le développement économique en incitant des entreprises à quitter le Québec, en empêchant la venue ou la création de nouvelles entreprises ici et en rendant plus problématique la croissance des entreprises qui restent. Un vigoureux coup de barre doit être donné pour rétablir au Québec le climat de confiance économique qui constitue une condition nécessaire de la prospérité et de la croissance. 3-2) La déréglementation, voie de l'avenir. La déréglementation est à l'ordre du jour, et le Québec devra tôt ou tard y faire face. D'abord pour une raison bien simple: la réglementation impose aux entreprises un lourd fardeau économique, elle augmente les coûts et les prix et elle rend nos entreprises moins compétitives que celles qui sont moins réglementées. Deuxièmement, la réglementation introduit dans l'économie de multiples rigidités qui étouffent la croissance économique. On peut sans doute appliquer à notre économie l'estimé de Denison selon lequel au moins 40% du déclin récent de la productivité est dû à la réglementation accrue de l'économie par l'État. Troisièmement, la réglementation engendre ce que l'on appelle des «effets pervers», c'est-à-dire des effets imprévus de l'intervention gouvernementale qui nuisent souvent à ceux-là mêmes que l'on voulait aider. Le salaire minimum en fournit un bon exemple. Non seulement le salaire minimum entraîne-t-il des coûts supplémentaires pour les entreprises, mais il impose surtout des coûts importants aux travailleurs les moins productifs (les jeunes et les non-spécialisés, surtout). Pratiquement tous les économistes qui ont étudié la question, en effet, ont observé que le salaire minimum empêche l'emploi de la main-d'oeuvre dont la productivité, à un certain moment (au début de la vie active d'un travailleur non spécialisé, par exemple), est inférieure au montant du salaire décrété. Dans une étude réalisée pour le ministère québécois du Travail et de la Main-d'oeuvre, l'économiste Pierre Fortin écrit: «Les résultats empiriques dont nous disposons à l'heure actuelle nous permettent d'estimer que pour un niveau d'activité économique donné une hausse de 10% du salaire minimum par rapport au salaire moyen au Québec augmente de 18 000 a 30 000 le nombre des chômeurs parmi les jeunes de 14 à 24 ans et les femmes de 25 ans et plus. De plus, on peut évaluer à un chiffre situé entre 25 000 et 42 000 le nombre de chômeurs additionnels que crée la politique québécoise du salaire minimum en maintenant celui-ci à un niveau plus élevé de 23% qu'en Ontario et aux États-Unis. L'effet de substitution et l'effet de récession qu'elle (la politique québécoise du salaire minimum) a induits en se détachant progressivement du salaire minimum américain depuis novembre 1973 s'évaluent en termes d'une augmentation de 27 000 à 45 000 chômeurs au Québec». De même, dans une étude du Conseil économique du Canada et de l'Institut de recherches politiques, les professeurs Edwin West et Michael McKee reprennent à leur compte la conclusion d'un autre économiste: «presque tout spécialiste sérieux du salaire minimum soutiendrait, en se fondant sur les données disponibles, que ce salaire a réduit l'emploi des travailleurs et surtout des adolescents». Enfin, la réglementation entraîne un coût net très élevé pour le consommateur. Par exemple, on a calculé que la déréglementation des transports aériens au Canada pourrait entraîner une réduction de 50% de tarifs. Il n'existe pas d'estimé du coût total net de toutes les réglementations pour le consommateur québécois, mais il ne fait pas de doute que le coût est très élevé. La déréglementation, bien sûr, entraîne des coûts immédiats, mais ces coûts sont le prix qu'il faut payer pour éliminer les coûts économiques plus élevés de la réglementation en termes d'inefficacité économique. Une première étape consiste, bien sûr, à ne pas augmenter davantage le poids de la réglementation dans l'économie. Par exemple, il faut que la réforme des lésions professionnelles qui est envisagée réduise au lieu d'augmenter le fardeau réglementaire de l'entreprise. Il serait anti-économique d'obliger les entreprises à consentir des avantages sociaux additionnels à certains groupes de salariés (une extension des congés de maternité, par exemple) - que l'on risque fort de défavoriser plutôt que d'aider. Réglementer les fermetures d'usine empêcherait les entreprises montantes de déplacer les entreprises en déclin. Simultanément, il conviendrait de mettre en place des mécanismes institutionnels aptes à contrôler la croissance de la réglementation. Dans cette perspective, la loi cadre sur la réglementation annoncée par le gouvernement devrait donner suite aux recommandations que la Chambre soumet au gouvernement depuis quelques années déjà: 1- Que toute réglementation soit automatiquement abrogée après une période de deux à cinq ans si elle n'a pas été explicitement reconduite par l'Assemblée nationale (couperet législatif); 2- Que, afin de renforcer le contrôle du législatif sur la réglementation, tout projet de loi étudié par l'Assemblée nationale soit accompagné de ses règlements d'application; 3- Que soit effectuée une étude coûts-avantages de toute nouvelle législation ou réglementation économique, et que ces études soient rendues publiques dès le dépôt du projet de loi ou de règlement; 4- Que les textes réglementaires soient écrits dans un langage clair. Dans un mémoire présenté le 25 mars 1983 à la Commission d'étude sur le contrôle parlementaire de la législation déléguée, la Chambre propose plusieurs modalités d'application de ces recommandations. La Chambre reconnaît avec satisfaction que le gouvernement du Québec est de plus en plus ouvert à l'option de la déréglementation. La réforme de la législation déléguée, le projet d'une loi cadre sur la réglementation ainsi que plusieurs déclarations ministérielles récentes en font foi. Un engagement ferme du gouvernement dans cette voie constituerait une étape importante vers notre prospérité économique future. 3-3) Des lois du travail équilibrées. On ne peut parler de réglementation sans traiter de la législation du travail, qui constitue une composante majeure du fardeau de la réglementation. L'avant-projet de loi modifiant le Code du travail, qui est présentement à l'étude, contient des mesures qui: 1- encouragent la syndicalisation en réduisant encore davantage les droits et la protection juridique de l'entreprise; 2- imposent des rigidités syndicales; 3- renforcent les dispositions du Code contre la liberté du travail en cas de grève. Ces dispositions auraient évidemment pour effet de renforcer de manière significative les privilèges coercitifs disproportionnés que la loi accorde déjà aux syndicats. Le pouvoir actuel des syndicats repose en effet sur trois privilèges légaux que les associations syndicales sont (à part l'État lui-même) les seules à posséder: 1- Le monopole de la représentation des syndiqués d'une unité d'accréditation - l'accréditation conférant à un syndicat le monopole de représentation de tous les salariés compris dans l'unité d'accréditation; 2- La cotisation syndicale obligatoire; 3- Le monopole du travail en cas de grève, c'est-à-dire les dispositions qui interdisent à l'employeur d'engager des remplaçants pour son personnel en grève. Ajoutés aux pouvoirs actuels des syndicats, les révisions proposées au Code du travail ont essentiellement pour effet d'étendre le domaine du syndicalisme obligatoire. Or, 59% des Québécois croient que les syndicats ont trop de pouvoir, la grande major travailleurs non syndiqués ne désirent pas la syndicalisation, et 61% des travailleurs syndiqués s'opposent à l'appartenance syndicale obligatoire. Les privilèges syndicaux actuels ont des conséquences économiques sérieuses pour l'entreprise et pour la prospérité économique de l'ensemble de la population. Ils accroissent le coût réel de la main-d'oeuvre, réduisent la compétitivité de nos entreprises et, via les conventions collectives de plus en plus complexes et exigeantes, introduisent de multiples rigidités dans la gestion des entreprises et le fonctionnement de l'économie. Si elle augmente encore davantage les pouvoirs syndicaux, la révision proposée au Code du travail intensifiera ces problèmes économiques et compromettra le retour de la prospérité. Un carcan comme celui de l'accréditation multipatronale nuirait particulièrement au développement des PME, qui ont besoin de liberté et de flexibilité pour se situer à la pointe du progrès. D'une part, nous avons cru comprendre de certaines déclarations ministérielles que ce projet n'était pas pour bientôt. Ce fut pour nous le signe d'un nouveau réalisme économique de la part du gouvernement. D'autre part, les mêmes porte-parole annoncent la reprise du débat sur la question d'ici quelques mois, ce qui nous oblige à demeurer sur un pied de guerre. Non seulement serait-il économiquement suicidaire d'accorder aux syndicats de nouveaux privilèges, mais il conviendrait plutôt d'entreprendre une révision en profondeur des privilèges syndicaux actuels qui dérogent au droit commun et qui minent l'adaptabilité de notre économie aux réalités nouvelles. Le gouvernement, qui vient d'être échaudé par ses propres syndicats (et les pouvoirs exagérés qu'il leur avait consentis), est certainement en mesure de comprendre cela. 3-4) Vers une réforme de la fiscalité. Dans leurs décisions de localisation, les entreprises et leurs cadres prennent en considération non seulement leurs anticipations de revenus bruts, mais aussi leurs revenus nets d'impôt (en plus des autres conditions de vie). Les impôts sur le revenu (des particuliers ou des sociétés) réduisent la rémunération des producteurs et diminuent par conséquent les incitations au travail et à l'investissement. C'est pourquoi une fiscalité trop lourde nuit grandement à la croissance économique. On sait que le fardeau fiscal des entreprises et des individus est plus élevé au Québec que dans les provinces ou États concurrents - en particulier l'Ontario, qui sert souvent de modèle pour les comparaisons de ce genre. Selon les estimés présentés par le ministère québécois des Finances lors de la présentation de son budget du 25 mai 1982, les entreprises privées québécoises paient, en 1982, 15,1% de plus d'impôts et taxes que si les lois fiscales ontariennes s'appliquaient ici; de même le fardeau fiscal des particuliers est de 14,1% plus élevé au Québec qu'en Ontario. Toujours selon les chiffres du ministre des Finances, si l'on considère maintenant le seul impôt sur le revenu des particuliers, le fardeau fiscal est de 31,9% plus élevé au Québec qu'en Ontario. En particulier, l'impôt sur le revenu impose un fardeau disproportionné à ceux qui gagnent $30 000 et plus, c'est-à-dire à tous ceux qui occupent des postes de cadre dans les entreprises: la Canadian Tax Foundation calcule qu'en 1981 (dernière année disponible), un contribuable marié avec deux enfants en bas âge et gagnant %30 000 par an paie 25% de plus d'impôt sur le revenu (excluant le RRQ) au Québec qu'en Ontario. Les taux marginaux d'impôt sur le revenu des particuliers, qui sont plus élevés au Québec que partout ailleurs au Canada, constituent une source d'inquiétude toute particulière. D'autant plus que l'écart entre le taux marginal maximum du Québec et celui de l'Ontario a été agrandi par les mesures d'harmonisation présentées par le ministre des Finances à l'Assemblée nationale, le 17 décembre 1982. Un des rares avantages du budget MacEachen avait été de réduire de 43% à 34% le taux marginal maximum de l'impôt fédéral. Les taux des autres provinces étant liés au taux fédéral, il s'en est suivi une réduction correspondante de leurs propres taux marginaux, qui a amplifié la réduction fédérale. Or, le Québec n'a pas réduit de la même manière son taux marginal supérieur. C'est ainsi qu'avant le budget fédéral et les mesures d'harmonisation québécoises du 17 décembre 1982, le taux marginal combiné (fédéral - provincial) était de 63,6% en Ontario et de 67,9% au Québec, pour un écart de 4,3 points au détriment du Québec. A partir de 1982, le taux marginal maximum est réduit à 50,3% en Ontario maisparce que le taux de l'impôt québécois n'a pas été harmonisé - à 60,4% ici. L'écart en faveur de l'Ontario a donc augmenté à 10,1 points. Certains ont affirmé que les impôts plus élevés au Québec étaient compensés par un coût de la vie moins élevé à Montréal que dans les autres grands centres du Canada. On invoque souvent l'indice du coût de la vie du Conférence Board du Canada selon lequel, en 1981, il coûtait à un cadre moyen (salaire annuel de $40 000), pour vivre à Montréal, 8% de moins qu'à Toronto, 7% de moins qu'à Calgary et 15% de moins qu'à Vancouver. Cependant, comme le démontre l'analyse même du Conférence Board, ce genre d'affirmation est trompeur. Premièrement, l'avantage comparatif que présente Montréal en 1981 vient en bonne partie des taux hypothécaires anormalement élevés en octobre 1981 (19,5%), qui ont agrandi l'écart en faveur de Montréal, où les maisons coûtent moins cher. Le Conférence Board a refait les mêmes calculs mais en supposant que les maisons avaient été achetées en 1978, c'est-à-dire quand hypothécaires, à 10,5%, étaient plus près de leur niveau historique: on constate alors que Montréal perd son avantage comparatif et que Toronto, Calgary et Vancouver deviennent moins chères. Deuxièmement, un examen de l'indice du coût de la vie du Conférence Board montre que ce qui coûte le plus cher à Montréal comprend surtout des services contrôlés par les gouvernements: les impôts sur le revenu, les taxes foncières, les utilités publiques et le transport sont les domaines où Montréal perd l'important avantage comparatif qu'elle aurait autrement. Au mieux, donc, les politiques gouvernementales réduisent sérieusement l'avantage comparatif de Montréal par rapport aux autres grandes villes canadiennes; au pire, elles le transforment en désavantage comparatif. Au niveau de la fiscalité des entreprises, la Chambre s'inquiète du niveau élevé des taxes sur la masse salariale au Québec. On estime qu'en 1983, les entreprises québécoises paieront quelque $2 380 millions en part de l'employeur en diverses taxes sur la masse salariale ($1 016 millions pour l'assurance-maladie, $408 millions pour les caisses des accidents du travail, $434 millions pour le régime public de retraite et $512 millions pour l'assurance-chômage). Cela représente un taux effectif d'imposition 7% de la masse salariale prévue de $34 200 millions pour les entreprises québécoises en 1983. Et encore ces chiffres n'incluent-ils pas les $798 millions que constituera la part des employés au régime public de retraite et à l'assurance-chômage - ce qui donne un taux effectif total d'impôt sur la masse salariale d'environ 9,3%. L'impact économique immédiat de ces taxes directes sur la masse salariale est d'augmenter le coût réel de la main-d'oeuvre, de réduire la compétitivité de nos entreprises et de diminuer l'emploi. Mentionnons aussi l'impact économique inquiétant de la taxe dite «ascenseur» sur les carburants. Depuis son entrée en vigueur le 26 mars 1980 (et surtout depuis son doublement à 40% le 17 novembre 1981, qui devait être révisé en 1983), cette formule a entraîné une augmentation de 168% des recettes de la taxe sur les carburants. Afin de favoriser la relance et la croissance économique, le gouvernement du Québec doit établir un plan triennal de réduction du fardeau fiscal des particuliers et des entreprises au Québec. L'objectif de ce plan (qui s'articule précisément sur le plan triennal de réduction des dépenses gouvernementales que la Chambre proposait dans son Mémoire annuel de 1982) doit être de ramener, sur une période de trois ans, le fardeau fiscal des contribuables du Québec à un niveau inférieur au fardeau fiscal des contribuables de l'Ontario. Le premier volet de ce plan doit consister à réduire les taux d'imposition des particuliers de manière à ce qu'ils soient favorisés au Québec par rapport à l'Ontario. Cela implique la réduction des taux marginaux de l'impôt sur le revenu - particulièrement au niveau des cadres d'entreprise, des entrepreneurs et des dirigeants de PME -, l'abolition des droits de succession, et plusieurs autres modifications à la loi québécoise de l'impôt qui viseraient à favoriser le contribuable québécois (par exemple: accorder à l'employé qui profite de l'option d'acheter des actions dans sa compagnie un traitement fiscal comparable aux avantages permis par le fisc fédéral). Le gouvernement du Québec devrait aussi indexer les tranches de l'impôt provincial sur le revenu des particuliers. Le deuxième volet du plan triennal de réduction du fardeau fiscal des Québécois consisterait à alléger le fardeau fiscal des entreprises privées, qui est de 15,1% plus lourd au Québec qu'en Ontario. Ici encore, il s'agit non seulement de ne pas faire pire que l'Ontario mais bien de faire mieux: il faut créer au Québec des conditions fiscales plus favorables qu'ailleurs, des conditions qui inciteront les entreprises à venir s'établir ici. Plus particulièrement, il faut réduire les impôts sur les revenus des sociétés (incluant les taxes sur salariale), qui représentent un fardeau fiscal de 87,7% plus élevé au Québec qu'en Ontario, et la taxe sur les carburants, qui impose à nos entreprises un fardeau de 72,5% plus lourd qu'en Ontario. 3-5) Le virage technologique. De la Révolution industrielle à nos jours, l'importance de la technologie dans la croissance économique n'est plus à démontrer. La technologie, en effet, accroît la productivité des ressources, elle permet de produire plus avec une quantité donnée de ressources. Or, comme on l'a vu, nos problèmes actuels de croissance économique sont étroitement reliés à une stagnation de la productivité. La crainte de voir le progrès technique créer du chômage est une réaction d'une autre époque. La Révolution industrielle en Angleterre, qui multiplia par 200 la productivité des tisserands, tripla le nombre d'emplois dans l'industrie du coton en 30 ans. L'apparition des chaînes de montage dans l'industrie américaine de l'automobile au début du siècle produisit un accroissement de la productivité de 8,5% par année, réduisit le prix des automobiles de 62% de 1910 à 1920 et créa quelque 169 000 emplois dans l'automobile seulement en une décennie. A Silicon Valley en Californie, 165 000 personnes occupent actuellement des emplois qui, pour la plupart, n'existaient pas il y a quelques années. Ce qui se passe est que l'élimination de certains emplois par le progrès technologique se trouve plus que compensée par la création d'autres emplois. Au Canada, par exemple, l'accroissement de la productivité agricole a entra;né une perte de 168 000 emplois agricoles de 1961 à 1971, mais ces pertes ont été plus que compensées par une augmentation totale de plus de deux millions d'emplois, dont 1,5 million dans les industries de services. Au cours de la même période, le PIB réel per capita a augmenté de 46%, et les dépenses réelles de consommation de 65%. L'emploi n'est qu'un moyen de créer de la richesse, il n'est pas une fin en soi; on produit pour consommer, et non pas l'inverse. La Chambre a déjà exprimé son appréciation devant la préoccupation réelle du gouvernement du Québec pour le «virage technologique». Dans l'énoncé de politique économique «Bâtir le Québec 2», nous avons relevé certains énoncés prometteurs d'une nouvelle orientation économique du gouvernement - par exemple: «Si l'État vient en aide au secteur privé par de nombreuses mesures, il doit s'efforcer de ne pas contrer, par ailleurs, ses efforts en faisant supporter à l'entreprise des charges fiscales, sociales ou administratives trop lourdes et nuisibles au maintien de sa capacité concurrentielle». La Chambre s'inquiète cependant du postulat qui semble trop souvent sous-jacent aux positions gouvernementales: à savoir que si l'État n'intervient pas, rien ne se produira. Il nous semble au contraire - comme nous l'avons montré plus haut - qu'une bonne partie de nos problèmes économiques viennent justement des contraintes trop lourdes que l'État (au Québec, au Canada et ailleurs) impose à l'économie. Pour que le Québec prenne véritablement le virage technologique (et pas une génération en retard), il est certain, en tout cas, que le gouvernement du Québec doit s'atteler à la tâche de favoriser la flexibilité et l'adaptabilité de notre économie. En plus des politiques macro-économiques proposées, le gouvernement devra réduire le fardeau fiscal et réglementaire des particuliers et des entreprises et, a fortiori, veiller à ne pas l'alourdir davantage. N'oublions pas que Silicon Valley a été créée par l'esprit d'entreprise agissant dans un milieu favorable aux affaires plutôt que par un plan gouvernemental. De même, il convient de se demander pourquoi l'équivalent canadien de Silicon Valley se trouve en Ontario («Ottawa Valley») et non pas au Québec. Au cours de la dernière décennie, en effet, «Ottawa Valley» a été le lieu d'un accroissement extraordinaire d'entreprises à haute technologie. Elles y sont maintenant au nombre de 255, dont 64 manufacturiers. Après les pionniers initiaux que furent Computing Devices of Canada, Bell-Northern Research et Microsystems International Ltée, toute une génération de nouvelles firmes s'est installée dans la vallée au cours des dix dernières années: Epitek Electronics Ltée, Mitel, Gandalf, Lumoniks (lasers), etc. Les entrepreneurs qui ont lancé ces entreprises recherchaient un milieu propice aux affaires, a de fiscalité favorables et le moins d'embûches réglementaires possibles (syndicalisme, langue d'enseignement, écoles privées, etc). Il est sans doute hélas révélateur que cinq des plus dynamiques chefs d'entreprise d'Ottawa Valley aient révélé qu'ils préféreraient Toronto (et même Kitchener-Waterloo ou London) à Montréal s'ils devaient déménager leur entreprise. Le Québec doit s'engager dans le virage technologique, porteur d'une croissance renouvelée. Cependant, ce virage ne pourra être négocié sans une flexibilité accrue de notre économie, qui exige des politiques macro-économiques et micro-économiques favorables à la liberté d'entreprendre.