*{Conseil du patronat du Québec. 1981. L'exercice du droit de grève et la permanence des services essentiels } L'exercice du droit de grève et la permanence des services essentiels. introduction. La négociation des contrats collectifs de travail dans le secteur public ou parapublic a posé des problèmes considérables au Québec depuis l'avènement d'un nouveau Code du travail, en 1964. Des 1966, dans le domaine de la santé, et 1967, dans le domaine de l'éducation, l'échec des négociations avec les institutions locales a conduit à la prise en main par l'État des relations de travail de chacun de ces secteurs; depuis 1972, le front commun syndical et la «table centrale de négociations» sont devenus les seuls facteurs déterminants, réalisant, a toutes fins utiles, la centralisation complète des négociations entre l'État et les syndicats représentant l'ensemble de ses employés. Il n'y a aucune commune mesure entre des négociations concernant en même temps la majorité des services de l'État et des négociations concernant une entreprise parmi d'autres. Pourtant, le cadre légal n'a pas été ajuste à mesure que changeaient les réalités auxquelles on l'appliquait et il est resté substantiellement le même. Ce cadre légal définit les conditions d'exercice du droit de grève comme s'il s'agissait du droit des employés d'arrêter les opérations d'une manufacture de crayons, alors que, dans le contexte nouveau, le droit de grève fait peser la menace d'une catastrophe pour l'ensemble de la société. Que l'on évalue comme plus ou moins dramatiques les grèves qui ont effectivement eu lieu dans le secteur public jusqu'à maintenant, ne change pas l'énormité de la menace que le cadre présent des relations de travail fait peser sur la société, ni l'inquiétude qu'elle nourrit dans les périodes de conflits. Il est évident que «les conditions d'exercice du droit de grève dans le secteur public ou parapublic» ne constituent pas un problème isole. Une réflexion sur l'ensemble des lois du travail et leur évolution, sur les distinctions entre le public et le prive, sur la situation particulière créée par les monopoles d'État et la centralisation, sur la centralisation du pouvoir syndical qui en est parfois la conséquence, permettrait sûrement de situer de façon plus exacte les questions particulières sur l'exercice du droit de grève dans diverses situations. Cependant, une telle réflexion ne conduirait que lentement à une révision en profondeur des lois du travail. La prochaine ronde de négociations dans le secteur public ou parapublic sera donc vécue dans un cadre légal probablement comparable a celui de 1972, 1976 et 1979. Nous devons donc, dans l'immédiat, chercher des correctifs particuliers a certains problèmes spécifiques causes par l'exercice du droit de grève dans le secteur public ou parapublic. Ainsi, nous situons notre intervention dans le cadre général des lois du travail actuelles. Le droit de grève et les conditions de son exercice en sont des éléments fondamentaux, et il ne semble pas possible de redéfinir ces éléments dans le contexte d'une réflexion particulière. Les problèmes spécifiques que l'évolution des relations de travail du secteur public ou parapublic a fait ressortir touchent «les services essentiels». En effet, nous avons vu dans le passé que les conditions d'exercice du droit de grève sont actuellement insuffisantes pour garantir la permanence des services essentiels. Après l'expérience de 1972, le gouvernement a cherché à corriger cette situation par la loi 253 avant les négociations de 1976 de la même façon, après 1976, le gouvernement a préparé les négociations de 1979 par une loi portant principalement sur la question des services essentiels (loi 59). Il paraît donc clair que tel est le sujet a propos duquel un complément aux lois actuelles est nécessaire, en attendant que l'on s'engage sérieusement dans une révision d'ensemble des lois du travail. C'est sur ce point spécifique que portera notre intervention. Il ne semble pas au premier abord, que l'examen des moyens d'améliorer le régime de négociation dans les secteurs public, parapublic et péripublic permette de découvrir beaucoup de nouveau. En effet, cet examen se poursuit sans relâche, si l'on peut dire, depuis 1964. Toutes les facettes de la réalité semblent avoir été analysées, et toutes les positions théoriques, exposées à plusieurs reprises. Dès 1964, avant que le droit de grève ne soit accorde aux salaries du secteur public, les questions fondamentales étaient connues et publiquement posées: qu'arrivera-t-il des malades dans le cas d'une grève affectant les hôpitaux? Qu'arrivera-t-il des foyers privés d'électricité par une grève de l'Hydro? Qu' arriverat-il des enfants lors d'une grève paralysant les écoles? Et ainsi de suite. Pour que la décision politique soit prise, en 1964, d'accorder le droit de grève dans les services publics sans avoir d'abord trouve une réponse socialement acceptable à ces questions, il a fallu que l'on se fasse croire que l'inquiétude exprimée par ces questions était sans fondement. Il a fallu en fait poser les hypothèses suivantes: 1) les syndiques ne prendront pas les citoyens en otages pour obtenir comme rançon des avantages particuliers; 2) une opinion publique bien informée exercera sur les parties des pressions suffisantes pour garantir en tout temps les services qu'une société civilisée considère comme sacres ou vitaux. Les faits;ont montre que ces deux hypothèses étaient fausses. D'une part, l'action de masse dirigée par une organisation où se perd la responsabilité personnelle n'obéit pas aux lois de la morale individuelle et, s'il est dans l'ordre des choses que , par exemple, une infirmière se dévoue sans compter pour un malade qui l'interpelle personnellement, il est également dans l'ordre des choses que la même personne obéisse en toute bonne conscience à un mot d'ordre dont l'effet est d'abandonner à eux-mêmes un nombre indéterminé de malades. D'autre part, dans un conflit opposant l'État et des syndicats, il est dans l'intérêt des deux parties d'en minimiser les conséquences et de remplacer l'information par des déclarations du genre: «La situation est sous contrôle». Considérant la collectivité globalement, la vie ou les souffrances de quelques individus sont en effet des quantités négligeables. D'ailleurs, même dans les meilleures conditions, le temps de diffusion d'une information suffisante et le temps de réponse de l'opinion publique sont beaucoup trop longs pour que la pression populaire agisse sur les parties au moment opportun, si un conflit a déjà bloque des services essentiels. Il est plus facile de régler ces problèmes dans l'abstrait, sans tenir compte des inquiétudes, pourtant bien fondées, et des souffrances, pourtant bien réelles, des personnes en cause. C'est ainsi que le législateur a pu se donner un semblant de solution en 1964. Cependant, les réalités de la vie conservent leurs droits et les solutions abstraites ne règlent rien. C'est pourquoi la Commission permanente du Travail et de la Main-d'oeuvre doit examiner encore aujourd'hui les mêmes questions auxquelles on a cru pouvoir échapper auparavant en formulant des hypothèses peut-être fort généreuses, mais irréalistes. La corde au cou. Lorsqu'il s'agit en général du droit de grève dans les secteurs public ou parapublic, le gouvernement doit être capable de répondre concrètement a la question préalable suivante: en cas de grève, qu'advient-il du droit des citoyens d'obtenir les services que le gouvernement s'est engage à lui procurer en toute égalité, sans égard donc à quelque circonstance discriminante que ce soit? Lorsqu'il s'agit en particulier du droit de grève dans des services de santé ou de sécurité des citoyens, la question préalable est la suivante: par quels moyens le gouvernement garantira-t-il la permanence des services essentiels? S'il y a lieu de chercher, par une démarche empirique de négociation, de conciliation et de compromis, un équilibre entre les droits généraux des citoyens et les droits particuliers des citoyens syndiqués, il en va tout autrement quand des services essentiels sont en cause. Par définition, l'idée d'une rupture ou d'une discontinuité est incompatible avec l'idée de «services essentiels». Au niveau des principes, tous s'accordent sur ce point. Les dirigeants syndicaux affirment qu'ils s'en préoccupent en toutes circonstances. Et le premier ministre déclarait, après l'expérience de 1979, que laisser a un groupe particulier de citoyens la responsabilité de décider seul et selon ses propres intérêts des services essentiels à l'ensemble des citoyens , « c'est se mettre comme société la corde au cou». Malgré la clarté des principes, cependant, rien n'est évident dans la pratique, car il reste à savoir ce qui concrètement est considère comme un service essentiel et, faute de disposer d'une définition générale interprétable sans équivoque, par qui et selon quelles règles les décisions seront prises a ce sujet. Mais ce n'est pas quand l'heure des décisions est arrivée qu'il faut se préoccuper d'établir les règles selon lesquelles les décisions seront prises. Établir d'avance ces règles: voilà la tâche fondamentale du législateur. Des règles imparfaites. Les décisions qui doivent fixer concrètement les limites a l'exercice du droit de grève afin de garantir la permanence des services considérés par une société donnée comme essentiels, consistent principalement à déterminer quels sont ces services. Mais de telles décisions ne reposent pas exclusivement sur des données matérielles mesurables avec la rigueur des sciences exactes: elles impliquent un jugement de valeur, une évaluation plus ou moins subjective de l'acquis et des moeurs d'une société donnée. Que des sociétés puissent vivre sans électricité, cela ne suffit pas pour affirmer que telle société qui a intégré l'électricité a son mode de vie puisse vivre elle aussi pendant un temps sans électricité. On a considéré déjà, dans notre société, l'école comme une «institution sacrée» et ce n'est plus le cas. Ces exemples sont suffisants pour montrer que la définition des services essentiels change d'une société a l'autre et change avec le temps dans une même société. Il ne s'agit donc pas de déterminer ce qui, dans l'absolu est essentiel, mais bien ce que la société, ici et maintenant, considère comme essentiel. Et la diversité des composantes de la société a pour conséquence qu'il existe des opinions divergentes à ce sujet. C'est pourquoi il s'agit bel et bien de trancher par une décision à laquelle tous devront se rallier malgré la diversité des opinions, et non pas de chercher la solution qui si imposerait a tous par son évidence. Ainsi, nous devons accepter d'avance de ne pas avoir une solution parfaite capable de créer l'unanimité. Attendre l'unanimité serait nous condamner à la paralysie. Il faut nous donner des règles qui permettent de prendre des décisions dans l'incertitude, même si nous savons que ces règles sont imparfaites. Les solutions expérimentées. Au moment d'un conflit opposant l'État employeur et les syndicats représentant les employés de l'État, les décisions de l'une et l'autre partie sont commandées - tout au moins influencées - par la dynamique propre du conflit. Les décisions de l'État sur les services a maintenir en tout temps tendront à limiter les moyens de pression des syndicats, bien plus qu'a protéger véritablement ce que la société considère comme essentiel. Selon la même logique, les décisions des syndicats tendront à augmenter l'efficacité de leur action, indépendamment des conséquences pour les tierces personnes. Ce n'est faire injure à personne que de rappeler ces lois fondamentales de l'action humaine, car ces lois s'appliquent quelles que soient les personnes qui incarnent, à tel moment, l'État ou le syndicalisme. Les syndicats ont mis en échec les solutions expérimentées antérieurement laissant à l'État la décision ultime sur les services à maintenir en temps de grève. Mais la solution inverse, celle qui laisse aux syndicats la responsabilité de décider des services essentiels, c'est «pour la société, se mettre la corde au cou». Dans notre structure politique actuelle, la division entre le pouvoir exécutif (l'État) et le pouvoir législatif (l'Assemblée nationale) est plus théorique que réelle. Cela limite considérablement la possibilité de trouver un moyen terme entre les deux solutions extrêmes déjà expérimentées. En fait, à cause de notre structure politique, une loi spéciale a tous les caractères d'un «ordre du pouvoir exécutif». Pourtant, l'ultime recours doit rester l'Assemblée nationale. Malgré qu'il puisse être utilise par le pouvoir-executif a mauvais escient, il doit quand même être accepte comme définitif. Reste a chercher les moyens d'éviter que «l'ultime recours» ne devienne le «recours habituel». Une solution mitoyenne. Face aux difficultés vécues et aux inquiétudes que ces difficultés ont nourries dans l'ensemble de la population, la proposition la plus simple, trop simple, - mais peut-être aussi la plus populaire - est d'interdire purement et simplement le recours a la grève dans le secteur public. L'objection la plus courante a cette proposition - a savoir qu'une telle interdiction est inutile parce qu'elle ne sera pas respectée est, elle aussi, trop simple. D'une part, nous avons vécu jusqu'en 1966 sans qu'il n'y ait de grève significative dans les services publics, ce qui montre que la grève n'est pas une fatalité. L'interdiction pure et simple de la grève dans le secteur public est une solution insuffisante pour deux raisons principales. Premièrement, cette solution exigerait une contrepartie du genre d'un arbitrage exécutoire, et le recours a l'arbitrage exécutoire, à moins qu'il ne soit exceptionnel et limite, rend pratiquement inutiles les autres mécanismes de négociation. D'autre part, il y a des services essentiels en dehors du secteur public et certains services publics n'ont rien d'essentiel, de sorte que le secteur public ne comporte pas que des services essentiels ni ne couvre tous les services essentiels. Pour notre part, par la consultation des associations et des entreprises membres du CPQ, à travers les années, nous avons fini par privilégier une solution mitoyenne qui veut laisser le plus de place possible a la négociation libre dans le cadre des lois générales et, en même temps, garantir la permanence des services essentiels. D'ailleurs plusieurs groupes et spécialistes ont propose une solution comparable à la nôtre, dans ses éléments principaux. L'ex-président du British Columbia Labor Relations Board, analysant la phénomène des grèves dans le secteur public, favorisait, lui aussi, une proposition du même genre que celle que nous soutenons. Ce n'est pas une solution qui pourrait faire disparaître par miracle toutes les difficultés et tous les conflits. En acceptant les principes de la libre négociation entre employés et employeur, nous devons accepter les risques de l'échec occasionnel et de l'affrontement direct. Mais, dans une société qui reconnaît la primauté de la loi, les conflits particuliers doivent être circonscrits par la loi de façon à ne jamais mettre en cause ce que cette société considère comme essentiel. La première partie de la solution consiste à trouver les moyens de décrire les services essentiels concrètement, sans que cette description des services essentiels ne devienne à son tour un objet de négociation . Il faut donc que les équipes responsables d'établir quels services doivent être maintenus en tout temps ne soient pas les mêmes équipes qui sont impliquées dans la négociation collective elle-même. Bien plus, il est a souhaiter que le travail de recherche nécessaire la description des services essentiels ne soit pas lié dans le temps à la négociation collective. Les conclusions sur les services à maintenir en tout temps auront leurs effets surtout dans les périodes de renouvellement des contrats de travail, mais ces conclusions doivent être acquises, autant que possible, en dehors de ces périodes, par un travail indépendant de la préparation des négociations comme telles. C'est pourquoi nous proposons la formation d'une équipe permanente de spécialistes, dont la compétence est confirmée tant par leur formation que par leur expérience, et dont la tâche sera d'analyser un à un les secteurs clés, de décrire les services essentiels et de maintenir à jour cette description. C'est ce que nous appelons la Régie permanente des services essentiels. La deuxième partie de la solution consiste à prendre les moyens pour que les services décrits comme essentiels soient effectivement maintenus en tout temps. Cela suppose que la loi donne aux décisions de la Régie une autorité équivalente à celle d'un ordre de la Cour et prévoie des sanctions assez graves pour décourager toute volonté de passer outre aux décisions de la Régie. Dans la mesure ou les services essentiels décrits par la Régie seraient assurés, le droit de grève ou de lockout s'exercerait dans tous les secteurs selon les règles établies par les lois générales applicables au domaine des relations de travail. Par contre, dans les cas limités et clairement définis où la grève serait interdite, le recours à un Conseil provincial d'arbitrage pourrait être un moyen de sortir d'une impasse. L'Assemblée nationale reste l'ultime recours et pourrait, le cas échéant, réviser les décisions de la Régie ou d'un Conseil d'arbitrage. Rétablir un certain équilibre. L'existence d'une Régie permanente appuyant ses décisions sur des études spécifiques puis, année après année, sur ses propres expériences et une certaine jurisprudence, serait de nature à enlever graduellement au problème des services essentiels son caractère dramatique. Les syndicats y perdraient évidemment une partie de leur force d'action, mais ils échapperaient en même temps à l'accusation de prendre les citoyens en otages et gagneraient une plus grande crédibilité. De toute façon, la diminution des pressions que les syndicats peuvent actuellement exercer sur les décisions politiques est nécessaire, puisque l'expérience de la dernière décennie montre que, par les moyens actuels, les syndicats obtiennent des avantages indus. En effet, les conventions collectives signées dans le secteur public sont sur nombre de points manifestement trop avantageuses pour les syndiqués par comparaison à ce que l'on observe dans les secteurs où les lois du marché s'appliquent. Diversité des cas à régler. Le recours à une Régie permanente - sorte de «commission d'experts» neutre et extérieure aux mécanismes de la négociation comme telle - s'impose parce qu'il n'y a pas moyen de donner l'expression «service essentiel» une définition théorique suffisamment claire pour être applicable dans chaque cas de façon automatique. Il ne s'agit pas de l'ensemble des services publics, ni, dans le cas d'un service en particulier, de toutes les activités intégrées à ce service. Un jugement particulier est nécessaire dans chaque cas. Il existe des cas où les services à maintenir en tout temps sont plus faciles à identifier. Selon les critères les plus répandus dans notre société, au moins quatre genres de services ont déjà été identifiés par l'ensemble de la population comme étant globalement des services essentiels: 1) les services de santé (hôpitaux, cliniques d'urgence, foyers d'accueil, etc...), 2) la fourniture d'électricité; 3) la fourniture de gaz naturel 4) la distribution de l'eau potable. Dans ces quatre secteurs, toute grève doit être interdite si elle affecte les services aux usagers. Cela ne signifie pas, pourtant, que nulle grève ne peut affecter les entreprises ou institutions oeuvrant dans ces secteurs. Une grève affectant la perception des comptes des compagnies distributrices d'électricité, par exemple, n'est pas comprise dans notre définition. Il en est de même d'une grève affectant les rapports administratifs que les hôpitaux doivent faire parvenir à la Régie de l' assurancemaladie. Par contre, la distribution de l'eau potable aux usagers inclut manifestement non seulement le bon fonctionnement du réseau de distribution, mais aussi diverses opérations techniques en amont, comme le contrôle de la qualité de l'eau. Ainsi, même dans le cas des quatre secteurs où la menace d'une grève crée des inquiétudes exceptionnellement graves, la Régie doit décrire de façon plus précise les activités spécifiques qui doivent en tout temps être poursuivies. En dehors de ces secteurs où la santé et la sécurité des citoyens est directement en cause, la définition des services essentiels exige une analyse fine et sur mesure. Dans quel contexte géographique un transport en commun est-il un service essentiel et quelle partie du réseau de transport est alors spécifiquement en cause? Dans quelles circonstances, l'entretien des routes ou des voies urbaines ou d'un autre réseau de communications estil essentiel au maintien d'une vie sociale acceptable? Il n'y a pas de réponse globale à des questions de ce genre et c'est pourquoi nous croyons qu'un organisme spécialise doit faire les recherches et les consultations nécessaires pour trouver des réponses sur mesure. Nous concluons donc que la création d'une Régie permanente des services essentiels, capable de donner une description précise des services à maintenir en tout temps et dotée de pouvoirs suffisants pour faire respecter ses décisions, empêcherait que l'exercice du droit de grève dans les services publics ne crée des situations dramatiques et diminuerait le nombre des cas où les décrets du pouvoir exécutif deviendraient nécessaires, tout en laissant un champ assez vaste à la vraie négociation pour éviter que les contrats de travail du secteur public ne soient décidés unilatéralement. C'est en somme donner une nouvelle chance à la négociation dans le secteur public, malgré les expériences douloureuses vécues en 1966, 1967, 1972, 1976 et 1979. Deuxième partie. Les propositions. Sans remettre en question l'ensemble du cadre légal actuel des relations de travail, nous proposons d'y ajouter deux éléments nouveaux: 1- La Régie permanente des services essentiels. Le CPQ propose de créer une Régie, dotée de pouvoirs administratifs et judiciaires, à laquelle l'Assemblée nationale confierait la responsabilité de définir les services essentiels et de prendre les moyens nécessaires pour en assurer le maintien en tout temps, comme aussi d'approuver ou de modifier, selon le cas, les ententes entre les parties à ce sujet. Cette Régie devrait pouvoir émettre toute ordonnance prohibitive, ordre d'agir ou toute autre décision afin de faire respecter les conditions de la loi, les ententes conclues entre les parties et ses propres directives. Ses décisions seraient exécutoires et ne pourraient être annulées ou modifiées que par l'Assemblée nationale. Dans le cas où une partie en appellerait d'une décision de la Régie auprès de l'Assemblée nationale, la décision de la Régie continuerait de s'appliquer tant et aussi longtemps que l'Assemblée nationale n'en aurait pas décidé autrement. Composée d'au moins trois juges qui auraient une connaissance approfondie du milieu du travail et qui pourraient s'adjoindre au besoin des spécialistes en provenance, notamment, des différents organismes spécialisés de l'État, cette Régie serait permanente. La permanence contribuerait à établir la crédibilité et le sérieux de la Régie. Par ailleurs, il est probable que les pouvoirs considérables attribués à la Régie aient pour effet de réduire le recours aux injonctions par les parties qui devraient, pour satisfaire à la loi, s'adresser d'abord à la Régie. Or la compétence et la spécialisation de ses membres donneront aux décisions de la Régie une qualité qu'on ne trouve pas toujours dans les jugements d'un magistrat, non spécialisé en relations de travail, appelé a se prononcer sur une demande d'injonction. Nous désirons insister ici sur le caractère exécutoire des décisions de cette Régie et sur les moyens dont elle doit disposer pour les faire respecter. Sans ces pouvoirs et ces moyens, en effet, on continuera à assister à des interventions fréquentes de l'Assemblée nationale dans les conflits de travail, ce qui n'est d'aucune façon souhaitable. L'Assemblée nationale, en effet, doit demeurer la solution de dernier recours, que l'on convoque lorsque tous les autres moyens ont été inefficaces pour protéger le bien-être des citoyens. Parmi les pouvoirs de la Régie, il y aurait celui d'imposer des pénalités aux organisations et aux salaries qui enfreindraient les règles édictées pour assurer la permanence des services publics. Ajoutons que la Régie devrait pouvoir agir au-delà du seul champ qu'on appelle actuellement le secteur public ou parapublic. Municipalités, compagnies privées d'enlèvement des ordures, transport de la nourriture, camionnage, déblaiement des rues l'hiver réseaux de transport en commun et de communications, fourniture d'électricité et de gaz, alimentation en eau potable, égouts: voila, pêle-mêle, quelques exemples des services qui sont manifestement en cause lorsque l'on parle de services essentiels. D'ailleurs, plus la société se développe, plus la technique se raffine, et plus la sécurité de l'ensemble des citoyens dépend du bon fonctionnement de tous les rouages. Ainsi donc, la question des «services essentiels» n'est jamais une question temporaire. 2- Un Conseil provincial d'arbitrage. Nous suggérons également la création d'un Conseil Provincial d'arbitrage, à caractère volontaire, mais dont les décisions seraient toujours exécutoires. On a dit à satiété déjà que le système actuel d'arbitrage ne satisfait personne, ni du côté syndical ni du côté patronal. Nous n'y revenons pas. Il est évident qu'il faut prévoir un système nouveau d'arbitrage, notamment dans les cas suivants: - lorsque les parties décideraient de porter volontairement leur cas en arbitrage; - lorsque les travailleurs n'ont pas le droit de grève. De plus, lorsqu'une solution acceptée par les deux parties est devenue impossible et que le gouvernement doit en imposer une d'autorité, il aurait alors la possibilité, s'il le juge à propos, de référer, en tout ou en partie le différend l'arbitrage. Un tel régime d'arbitrage serait axé sur la création d'un Conseil d'arbitrage provincial. Toute la valeur de ce nouveau Conseil résiderait dans la compétence, l'intégrité, l'impartialité des personnes qui seraient appelées à y travailler. Ces personnes devraient être nommées pour une période de temps déterminée d'avance ce qui leur assurerait l'indépendance et la sécurité nécessaire a leur fonction. Cependant, le Lieutenant-gouverneur en conseil pourrait être amené à statuer sur la conduite d'un membre du Conseil, si telle conduite était incompatible avec son statut. Dans l'hypothèse où les parties décideraient de porter volontairement leur cas devant un tel Conseil provincial d'arbitrage, la loi devrait prévoir qu'une telle décision doit être prise par les parties au tout début des négociations. Cela éviterait d'aller chercher le maximum par la négociation, puis de demander l'arbitrage dans l'espoir d'obtenir quelques gains supplémentaires.