*{Conseil du patronat du Québec. 1985. Avant-projet de loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic } Mesdames, Messieurs. Le Conseil du Patronat du Québec (CPQ) salue avec plaisir le dépôt de l'avant-projet de loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic. Ce geste qui répond aux attentes d'une très large partie de la population, comme le confirment tous les sondages à ce sujet, s'imposait aussi, parce qu'il est évident que la nature de notre régime juridique de relations du travail dans les secteurs public et parapublic au Québec a joué un rôle important dans les difficultés que le Québec a connues en ce domaine au cours des vingt dernières années. C'est ce que confirme d'ailleurs le groupe de travail du Secrétariat du Comité des priorités qui a analysé, en 1983, les caractéristiques du régime de relations de travail dans le secteur public de certains pays industrialisés en comparaison avec celui qui existe au Québec. Ce groupe de travail conclut essentiellement que le Québec peut être considéré comme une société particulièrement «généreuse» quant aux droits qu'il consent aux syndicats de son secteur public. En réalité, écrivent les auteurs du rapport, le Québec s'est donné un régime de négociation dans le secteur public qui accorde aux syndicats tous les avantages des systèmes de négociation nord-américains et européens, alors que l'État-employeur a écopé de tous les désavantages des deux systèmes. Ils en concluent que ce n'est donc pas par hasard si au Québec, depuis une vingtaine d'années et sous quatre gouvernements différents, les conflits de travail ont dégénéré en conflits sociaux et ont abouti ultimement à l'Assemblée nationale pour trouver leur dénouement à l'extérieur des règles du jeu convenues au départ. Il y a donc lieu d'être d'accord avec la démarche qu'entreprend le gouvernement, démarche qui, rappelons-le, n'est cependant toujours qu'à l'étape d'un avant-projet de loi. On ne doit par ailleurs pas se surprendre de ce que les syndicats s'opposent à cette démarche et, du même souffle, se déclarent satisfaits du régime actuel. Ce dernier n'est-il pas en effet carrément favorable au syndicalisme québécois, selon l'étude déjà citée? Cette opposition ne devrait cependant pas intimider le législateur et compromettre le futur dépôt d'un véritable projet de loi visant à traduire dans notre régime de négociation dans le secteur public un meilleur équilibre entre les intérêts, droits et responsabilités de tous les intervenants. Le présent mémoire a d'abord pour but de signifier notre accord avec la démarche gouvernementale, sous réserve de l'analyse que nous ferons de l'avant-projet de loi, signalant par ailleurs les ajouts que l'on devrait y retrouver. Il a pour but également de rappeler au législateur l'intérêt du secteur privé pour le régime de négociation du secteur public. Outre le fait que les chefs d'entreprise soient d'abord et avant tout des citoyens concernés par les conflits de travail du secteur public au même titre que tous les autres citoyens, ils sont également responsables de la croissance économique. Or cette croissance économique n'est possible que si l'entreprise peut compter sur certains services publics essentiels (c'est le cas de l'électricité ou du transport en commun), mais surtout sur un climat de relations de travail sain qui ne projette pas à l'extérieur du Québec une image négative de nos relations patronalessyndicales. Dans un premier chapitre, nous commenterons l'avant-projet de loi, selon la compréhension que nous en avons, en insistant sur quatre points: - le retrait du droit de grève sur la rémunération; l'Institut de recherche sur la rémunération; - le Conseil des services essentiels; - la décentralisation. Dans un deuxième chapitre, nous identifierons ce que nous appelons les grands «oublis» du projet de loi, affirmant même que l'avant-projet de loi ne va pas assez loin. Nous établirons d'abord en quoi il ne va pas assez loin, puis nous aborderons les quatre questions suivantes: - la démocratie syndicale; - les pénalités; - le piquetage; - la création d'un Conseil provincial d'arbitrage. En conclusion, nous rappellerons l'essentiel de la position du CPQ dans ce dossier et à l'égard de l' avantprojet de loi. Nous rappellerons également la stricte obligation qu'a le gouvernement d'agir en ce domaine La rémunération. La caractéristique majeure de l'avant-projet de loi est de soustraire du droit à la grève et au lock-out les questions relatives à la rémunération. Celles-ci seraient négociables, mais la décision finale appartiendrait dorénavant au gouvernement qui fixerait par règlement la rémunération des travailleurs de l'État pour une année en cours. Nous sommes d'accord avec cette orientation qui tient compte du caractère particulier du secteur public, lequel n'a rien à voir avec les situations qui prévalent dans le secteur privé. Cette orientation a d'ailleurs été adoptée en Suède, un pays qui nous est souvent cité en exemple par le syndicalisme québécois. A l'appui de cet accord, nous pouvons invoquer toute une série d'arguments qui, pour l'essentiel, tiennent dans les éléments suivants et constituent les grandes lignes d'une véritable politique salariale gouvernementale: a) Les élus du peuple doivent être les seuls responsables du budget et de son affectation. C'est a eux qu'il appartient de déterminer la part de ce budget qui sera affectée à la masse salariale, sa répartition seule pouvant ensuite faire l'objet de négociations, comme le propose l'avant-projet de loi. b) La détermination de la masse monétaire qui est répartie entre les employés d'une entreprise privée s'établit selon des critères qui s'appuient sur les forces du marché. Au cours des négociations, le rapport de forces particulier à une entreprise influence de façon importante les paramètres du règlement. Ce rapport de forces joue à l'intérieur de réalités dont les frontières sont limitées, d'une part, par la capacité de l'entreprise d'embaucher et de retenir des employés qualifiés en nombre suffisant pour exécuter les taches et d'autre part, par la capacité de l'entreprise de vendre son produit sur un marché soumis aux règles de la concurrence. Donc, de façon générale, le règlement salarial obéit à la loi de l'offre et de la demande: tel n'est pas le cas dans le secteur public. c) Les services offerts par le secteur public ne sont pas soumis, de façon générale, à la concurrence. Le monopole qu'exerce l'État confère aux employés du secteur public les avantages inhérents à la situation monopolistique qui caractérise ce marché bien particulier. Dans ces conditions, laisser agir le pouvoir de négociation des employés du secteur public pour fixer leurs salaires équivaut à laisser un groupe de pression planifier les grandes orientations économiques de la société, à cause de l'absence de mécanismes qui pénaliseraient économiquement les employés dont les salaires seraient trop élevés, comme c'est le cas dans l'entreprise privée. C'est ce qu'ont d'ailleurs compris les travailleurs suédois pour qui «il serait contraire à l'ordre démocratique établi que de permettre aux employés de l'État d'obtenir par le moyen de la négociation collective, une influence plus directe que les autres citoyens sur les objectifs, l'orientation, l'ampleur et la qualité des services publics. Les décisions en ces matières relèvent de la prise de décision politique et par délégation de la responsabilité des corps administratifs constitués. Ces matières peuvent faire l'objet de consultation avec les syndicats du secteur public mais elles ne ressortissent pas au champ de la négociation collective». d) Le rapport de forces que consacre le Code du travail repose sur la capacité des parties de s'infliger des pertes économiques, en cas de désaccord. Le différend prend fin lorsque l'une des parties estime que le maintien de ses demandes lui coûtera plus cher que l'acceptation de la position de l'autre partie. La grève représente, de plus en plus, le moyen utilisé pour infliger à l'autre partie des pertes économiques souvent importantes. Une grève des employés du secteur public permet i l'employeur, sauf de très rares exceptions, de réaliser des économies substantielles. Les employés doivent donc miser sur un autre effet de la grève. Une guerre d'information s'engage alors et le pouvoir politique est placé en situation de fixer la masse salariale des employés de l'État dont l'importance sera directement proportionnelle au tort politique que ses employés pourraient lui causer. Une seule limite: les difficultés financières qui forceraient alors le gouvernement à intervenir au moyen de sa panoplie d'instruments d'exception tels les lois spéciales, les décrets, etc. Dans un cas comme dans l'autre, on ne peut parler de négociations véritables, comme c'est le cas dans le secteur privé. Aussi bien alors établir clairement les règles du jeu. e) Lorsque les employés d'une entreprise privée privent leur employeur de leurs services pour exercer sur lui une plus grande pression en négociation, les clients de l'entreprise se tournent vers d'autres fournisseurs pour satisfaire leurs besoins. Dans le secteur public, l'utilisateur n'a d'autre choix que d'attendre la fin du conflit pour retrouver les services dispensés par les employés de l'État. Le public laissé sans services finira par exercer sur le gouvernement les pressions qui bénéficieront la plupart du temps aux salariés de l'État. Bien plus, la réussite sera d'autant plus complète que les employés auront réussi à paralyser le plus complètement possible les services publics. Aucune société civilisée ne peut admettre qu'un tel rapport de forces préside à la disponibilité des services publics! f) Les échelles de salaires dans les secteurs public et parapublic doivent être établies à partir de comparaisons avec les salaires annuels moyens dans le secteur privé. Les données, entre autres les données fiscales, existent qui permettent d'établir de façon scientifique ces points de comparaison. Nous précisons: les points de comparaison doivent être les salaires annuels moyens (ou la rémunération totale moyenne, selon le cas), et non pas des données indépendantes des autres facteurs affectant le salaire annuel d'un salarié. Ainsi, le salaire horaire moyen n'est pas un point de comparaison valable: par exemple, dans l'industrie de la construction, le plombier fera $18 000 ou $20 000 par an, si on tient compte de ses périodes d'inactivité, tandis que, sur la même base horaire, un plombier dans la fonction publique pourrait gagner $30 000 par an, en plus de jouir d'une totale sécurité d'emploi et de multiples avantages sociaux. g) La reconnaissance de la spécialisation et de la qualification des employés des secteurs public et parapublic s'impose. Cette reconnaissance, qui suppose des différences significatives entre les divers échelons de l'échelle salariale d'un poste, constitue en effet une saine incitation à l'amélioration et au perfectionnement de l'ensemble des employés. Cette différenciation appliquée en tenant compte du marché permet au gouvernement d'attirer de meilleures ressources humaines. h) L'État, en tant qu'employeur, n'a pas à jouer un rôle de leader en matière de rémunération. Ce principe a pour fondement l'équité. D'une part, il n'existe en effet aucune justification pour que les employés des secteurs public et parapublic bénéficient de conditions de travail plus avantageuses que le reste de la population; d'autre part, il existe une marge de risques et d'incertitude dans le secteur privé, du fait que ce secteur est sensible à la conjoncture économique, alors que la fonction publique assure une grande sécurité à ses salariés, et cette marge de risques doit être compensée principalement par la chance d'atteindre a des avantages économiques supérieurs. En somme, aucune puissance de négociation ne saurait justifier un important transfert de ressources de l'État pour privilégier des employés payés à même le trésor public, et pour cause: a) les impôts sont payés par tous les travailleurs québécois, y compris par ceux dont les salaires sont moindres que ceux des employés de la fonction publique et parapublique; b) aucun gouvernement ne saurait avantager ses propres travailleurs en taxant davantage les travailleurs du secteur privé. i) La rémunération d'un salarié doit être établie à partir de considérations économiques et non pas de considérations propres à une politique sociale. Vouloir faire dépendre les salaires des besoins et non de l'apport productif des travailleurs est un non-sens. Un tel principe appliqué au secteur public aurait des effets d'entraînement sur le secteur privé et affecterait tout le fonctionnement de l'économie. Nulle société ne pourrait survivre si elle ne se donnait pas des mécanismes capables de contenir les besoins dans le cadre délimité par ses moyens économiques. Les mécanismes du marché qui lient les salaires à la valeur de la production, et les augmentations de salaire aux gains de productivité, sont irremplaçables à ce point de vue. j) Les questions monétaires ne doivent pas se limiter seulement aux échelles de salaires et aux coûts des «avantages sociaux». Il y a un prix aussi pour bon nombre de clauses dites «normatives», un prix économique dans certains cas, un prix social dans les autres. L'État-employeur, le plus gros employeur dans une société moderne, a une force d'entraînement énorme sur l'ensemble de l'organisation sociale. Il peut être tenté d'imposer, en tant qu'employeur, des politiques sociales qu'il n'oserait pas défendre en tant que Législateur. Les règles d'administration imposées par la convention collective contiennent «un modèle de gestion». Si ce «modèle de gestion» appliqué aux entreprises proprement économiques enlevait à ces entreprises leur productivité et leur rentabilité, le modèle proposé par l'État nous conduirait dans une impasse. Ainsi en est-il de l'idée que la promotion d'un employé pourrait être décidée sur le seul critère de l'ancienneté sans égard à sa compétence; ou encore de règles obligeant l'employeur à payer tous les frais inhérents à l'arbitrage des griefs; ou encore de règles limitant la mobilité de la main-d'oeuvre au point d'obliger à conserver des postes inutiles ou de maintenir à son poste un employé inefficace, etc. En général, l'État doit veiller à préserver des pouvoirs réels à ses gestionnaires, en même temps qu'il doit, par ailleurs, s'assurer que ces gestionnaires portent réellement la responsabilité rattachée à leur fonction. Pour toutes ces raisons, nous devons être d'accord avec l'avant-projet de loi en ce qu'il propose de soustraire du droit à la grève et au lock-out les questions relatives à la rémunération. D'ailleurs, contrairement à ce qu'affirment certains syndicats, il ne s'agit pas là d'une négation du droit à la négociation: celle-ci demeure et les syndicats auront tout le loisir de s'exprimer sur les propositions gouvernementales, au point de les faire modifier, au cours de la période consacrée à la négociation. Ce qui est modifie, c'est le mode de règlement éventuel d'un désaccord sur une question donnée, la rémunération. Or, déjà, les policiers et les pompiers n'ont pas le droit de grève non seulement sur leur rémunération mais sur l'ensemble de leurs conditions de travail: personne ne conclut cependant qu'ils n'ont pas le droit à la négociation. L'Institut de recherche sur la rémunération. Pour permettre au gouvernement de déterminer par règlement des conditions de rémunération justes et équitables pour ses travailleurs, l'avant-projet de loi propose la création d'un Institut de recherche sur la rémunération et en précise la composition et les fonctions. Nous avons déjà proposé nous-mêmes la création d'un organisme paragouvernemental, et donc indépendant du pouvoir politique, qui aurait pour fonction de fournir aux parties à la négociation des données statistiques indiscutables. Nous sommes donc d'accord avec la création suggérée de l'Institut de recherche sur la rémunération, d'autant plus que le gouvernement lui confierait un rôle additionnel, soit celui d'informer le public sur les principaux enjeux en cause lors d'une négociation. Nous formulons cependant, en ce qui concerne cet Institut, les deux propositions additionnelles qui suivent: a) bien s'assurer, pour sa crédibilité même, qu'il sera indépendant du pouvoir politique; b) bien s'assurer également que si les comparaisons salariales avec le secteur privé sont importantes, les comparaisons salariales, nombre de postes, avantages sociaux, etc.) avec les fonctions publiques d'ailleurs le sont également. L'Institut devra être très attentif à ce genre de comparaison. Le Conseil des services essentiels. L'avant-projet de loi modifie considérablement le rôle et les pouvoirs de l'actuel Conseil des services essentiels et nous nous en réjouissons. C'est le cas notamment des «pouvoirs de redressement» qui lui sont accordés par la section quatre de l'avant-projet de loi. Le contenu de cette section semble rejoindre la proposition que nous formulons depuis des années exhortant le législateur à prendre les moyens pour que les services décrits comme essentiels soient effectivement maintenus en tout temps, sans devoir régulièrement en référer à l'Assemblée nationale. Cela suppose que la loi donne aux décisions du Conseil des services essentiels une autorité équivalente à celle d'un ordre de la Cour et prévoie des sanctions assez graves pour décourager toute volonté de passer outre aux décisions du Conseil. 2) Il faut que le Conseil en arrive à trouver les moyens de décrire les services essentiels concrètement, sans que cette description des services essentiels ne devienne à son tour un objet de négociation. Il ne faut donc pas que les équipes responsables d'établir quels services doivent être maintenus en tout temps, soient également impliquées dans la négociation collective elle-même. Il est à souhaiter que le travail de recherche nécessaire à la description des services essentiels ne soit d'aucune façon lié dans le temps à la négociation collective. Leurs conclusions sur les services à maintenir en tout temps auront leurs effets surtout dans les périodes de renouvellement des contrats de travail, mais autant que possible, on devra y être parvenu en dehors de ces périodes, par un travail indépendant de la préparation des négociations comme telles. C'est pourquoi s'impose la formation d'une équipe permanente de spécialistes, dont la compétence est confirmée tant par leur formation que par leur expérience, et dont la tâche sera d'analyser un à un les secteurs-clés, de décrire les services essentiels dans l'ensemble du secteur public et parapublic et de maintenir à jour cette description. C'est là un rôle que devrait jouer le Conseil des services essentiels. 3) Ajoutons finalement que le Conseil devrait pouvoir agir au-delà du seul champ qu'on appelle actuellement le secteur public ou parapublic. Municipalités, compagnies privées d'enlèvement des ordures, transport de la nourriture, camionnage, déblaiement des rues l'hiver, réseaux de transport en commun et de communications, égouts: voilà, pêle-mêle, quelques exemples de services manifestement en cause lorsque l'on parle de services essentiels. D'ailleurs, plus la société se développe, plus la technique se raffine, et plus la sécurité de l'ensemble des citoyens dépend du bon fonctionnement de tous les rouages. Aussi la question des «services essentiels» n' estelle jamais une question temporaire. La décentralisation. Il a été reconnu qu'il est absolument nécessaire de décentraliser les négociations dans les secteurs public et parapublic et de redonner aux partenaires patronaux du gouvernement (les associations patronales et les institutions elles-mêmes) beaucoup plus de responsabilités en matière de négociations qu'ils n'en ont actuellement. On a en effet eu l'impression qu'au cours des vingt dernières années, l'État-employeur s'était progressivement substitué aux diverses instances patronales provinciales, régionales ou locales, tant dans le domaine scolaire que dans le réseau des affaires sociales. L'avant-projet de loi rectifie à cet égard la situation passée et redonne aux parties locales et régionales un certain nombre de pouvoirs. Nous devons cependant nous interroger sur l'ampleur réelle de la décentralisation envisagée. Il nous faut en effet constater que les comités de négociation sectorielle demeurent à toutes fins utiles sous la responsabilité gouvernementale et que les mandats de négociation de la partie patronale, à tous les niveaux, devront comme dans le passé être autorisés par le Conseil du Trésor. L'avant-projet de loi répond-il alors vraiment à cette demande clairement exprimée par le milieu de récupérer certains pouvoirs perdus au cours des années? Cette partie de l'avant-projet de loi devra sûrement être rediscutée avec les associations patronales concernées pour que l'on perçoive vraiment un transfert véritable de pouvoirs vers les partenaires patronaux du gouvernement. Nous appuyons par ailleurs, et sans discussion aucune, la décision gouvernementale exprimée dans l'avant-projet de loi de ne pas permettre le droit de grève sur les matières négociées à l'échelle locale ou régionale. Autrement, ce serait le chaos qui nous conduirait à des situations probablement pires que celles que nous connaissons aujourd'hui. Les oublis de l'avant-projet de loi. Nous consacrons ce deuxième chapitre à ce que nous appelons les oublis de l'avant-projet de loi. Plus précisément, nous voulons parler de la démocratie syndicale, des pénalités pour infraction à la loi, du piquetage et de la création d'un Conseil provincial d'arbitrage. Auparavant, cependant, nous voudrions commenter de façon générale l'avant-projet de loi en affirmant que même si nous sommes généralement d'accord avec son contenu comme nous l'avons établi au premier chapitre, nous considérons qu'il ne va pas assez loin. Ce que propose en effet l'avant-projet de loi, c'est de soustraire du champ de la négociation donnant ouverture au droit de grève un seul élément, celui de la rémunération dans le secteur des affaires sociales, de l'éducation, de la fonction publique, mais non dans le secteur des organismes gouvernementaux (articles 40 a 45). Ce qui veut clairement dire d'abord que la grève demeure autorisée pour tous les autres objets de négociation dans le secteur des affaires sociales, de l'éducation et de la fonction publique. Pas nécessaire d'être grand clerc pour imaginer facilement que certains objets de négociation pourront alors prendre et rapidement une grande importance, avec comme résultante possible toujours la grève générale et illimitée, tant dans les hôpitaux qu'ailleurs! Dans le cas ensuite des organismes gouvernementaux, c'est le cas de Hydro-Québec par exemple, la rémunération n'est pas soustraite du champ de la négociation donnant ouverture à la grève: la situation restera donc strictement la même qu'aujourd'hui. En d'autres mots, le gouvernement n'a pas choisi d'agir en identifiant des activités ou des secteurs ou il considère que le droit de grève devrait être supprimé. Il a choisi d'agir en mettant tous les secteurs d'activité sur le même pied et en interdisant de faire grève que sur la seule question de la rémunération. Voila pourquoi nous disons que même s'il s'agit la d'une orientation avec laquelle nous sommes d'accord, l'avant-projet de loi ne va pas assez loin. Rappelons a cet égard notre position fondamentale: l'interdiction pure et simple de la grève dans l'ensemble du secteur public est une solution insuffisante pour deux raisons principales. Premièrement, cette solution exigerait une contrepartie du genre d'un arbitrage exécutoire, et le recours à l'arbitrage exécutoire, a moins qu'il ne soit limité et assujetti a certains paramètres précis (ce que nous ne rejetons pas), rend pratiquement inutiles les autres mécanismes de négociation. D'autre part, il y a des services essentiels en dehors du secteur public et certains services publics n'ont rien d'essentiel, de sorte que le secteur public ne comporte pas que des services essentiels ni ne couvre tous les services essentiels. Cependant, face aux événements survenus dans les services de santé au cours des dernières années, le Conseil du Patronat, pour des raisons humanitaires, a convenu, en novembre 1982, de réclamer l'interdiction pure et simple de toute grève dans les services de santé. Les différents gouvernements successifs ont refusé, jusqu'à maintenant, d'adopter une telle loi sous prétexte qu'elle n'empêcherait pas les «grèves illégales». Mais cette position gouvernementale est la négation même d'un principe fondamental de la démocratie: la primauté de la loi. En fait, une telle position est un aveu d'impuissance et d'échec de la part des gouvernants, et nous ne pouvons y souscrire. Par ailleurs, le CPQ a toujours considéré aussi comme essentielle, en tout temps et en totalité, la distribution de l'électricité, du gaz naturel et de l'eau potable, puisque l'interruption de tels services met directement en péril la santé et le bien-être des gens. Et cela a été confirmé par toutes les enquêtes auprès de la population. Nous maintenons encore cette position et appliquons a ces secteurs le même principe qu'aux services de santé, soit le retrait pur et simple du droit de grève. La démocratie syndicale. L'avant-projet de loi n'ajoute rien aux dispositions actuelles du Code du travail relatives aux votes de grève. Or il y a lieu de croire que si ceux-ci avaient été davantage encadrés dans le passé, certaines des grèves que nous avons connues dans les secteurs public et parapublic n'auraient pas eu lieu. Cette affirmation est d'ailleurs fondée sur les résultats de différents sondages CROP reproduits en annexe deux. Ainsi, lors d'un sondage CROP réalisé en novembre 1984, cette firme spécialisée posait les trois questions suivantes: «A votre avis, pour le vote de grève, la loi devrait-elle ou non: a) exiger que le vote soit surveillé par une autorité extérieure au syndicat? b) laisser les syndicats libres d'établir leurs propres règles en matière de vote de grève? c) exiger que le vote soit pris par une majorité de tous les membres plutôt que seulement par ceux qui sont présents à l'assemblée»? A la première question, 82 % des répondants ont répondu OUI; les travailleurs syndiqués ont également répondu OUI dans une proportion de 78 %. A la seconde question, 64 % des répondants ont répondu NON; chez les travailleurs syndiqués eux-mêmes, 60 % ont répondu NON. A la troisième question, 80 % des travailleurs syndiqués ont répondu «OUI». Rappelons que le Code du travail a été amendé, il y a quelques années, pour y inclure certaines mesures de contrôle des votes de grève. Ces amendements demeurent cependant insuffisants. Pour sa part, le CPQ a toujours maintenu que le vote de grève, de ratification et de retour au travail devrait se dérouler dans les conditions suivantes, conditions devenues encore plus nécessaires depuis que le législateur a accordé la «formule Rand intégrale» aux structures syndicales: 1) le vote au scrutin secret devrait avoir lieu après le refus global par l'association de salaries des dernières offres patronales; 2) ce vote devrait être tenu immédiatement avant l'exercice du droit de grève; 3) tous les salariés compris dans l'unité de négociation, qu'ils soient ou non membres de l'association de salariés, devraient être invités à voter; 4) le vote au scrutin secret devrait se dérouler sous la surveillance de représentants du ministère du Travail. 5) une grève ne devrait être légale que si la majorité des membres éligibles au scrutin se déclaraient favorables a une telle grève; 6) le règlement relatif à la tenue du vote devrait être connu de tous les salariés membres de l'unité de négociation; 7) la date et l'endroit choisis pour la tenue du vote devraient être connus à l'avance par tous les salariés membres de l'unité de négociation; 8) après le début de la grève, un nouveau vote au scrutin secret et surveillé devrait être tenu à période fixe déterminée par le législateur. Compte tenu de l'impact sur la population des grèves dans les secteurs public et parapublic, le législateur devrait en profiter ici pour introduire un certain nombre de mesures pour encadrer les votes de grève. Les pénalités. L'avant-projet de loi ne prévoit pas de pénalités autres que celles déjà prévues par la loi pour infraction aux nouvelles dispositions. Le législateur, outre le fait qu'il devrait lui-même faire respecter ses propres lois et se refuser à des accommodements du genre de ceux qui ont trop souvent été consentis dans le passé, devrait envisager d'autres types de sanctions, allant par exemple du non paiement des cotisations syndicales par les travailleurs à la désaffiliation possible ou encore à la perte d'accréditation pure et simple. «Qui ne respecte pas la loi peut difficilement réclamer la protection de la loi.» Ainsi, le syndicat qui fait une grève illégale peut-il toujours se réclamer de la loi pour maintenir le tas de privilèges que le législateur lui a consentis, comme le monopole de représentation, les cotisations obligatoires déduites à la source et la réduction de la liberté individuelle des syndiqués au profit de l'organisation syndicale? Le jour où le gouvernement enlèvera les cotisations obligatoires au syndicat qui se place dans l'illégalité, et redonnera à l'individu le libre choix de son syndicat et le libre choix temporaire ou permanent de payer ou de ne pas payer la cotisation syndicale, ce jour-là certains syndicats cesseront d'exploiter les avantages actuels des lois en se moquant des autres lois, des obligations sociales et des barrières morales qui devraient être les limites normales de leur action. Le piquetage. L'avant-projet de loi ne dit mot, pas plus que l'actuel Code du travail d'ailleurs, sur le piquetage à l'occasion des grèves. Pourtant, on se rappelle comment certains piquets de grève ont pu dans le passé bloquer l'accès a certaines salles d'urgence d'hôpitaux, par exemple. Les travailleurs impliqués dans une grève ou un lock-out souhaitent habituellement informer le public de l'existence d'un conflit de travail entre eux et leur employeur. L'un des moyens les plus utilises: le piquetage. En installant quelques-uns des leurs munis de pancartes à l'entrée de l'établissement où ils travaillent, les salariés en grève espèrent qu'une fois informés du conflit, une majorité des tiers sera favorable à leur cause et influencera d'une façon ou d'une autre l'employeur. Voilà la raison d'être du piquetage: informer le public de l'existence d'un conflit de travail dans un établissement. Le CPQ ne s'oppose pas a cette pratique. Qu'en est-il dans les faits? Nul besoin de faire une longue tournée d'établissements dont les travailleurs sont en grève pour constater que la ligne de piquetage poursuit souvent d'autres buts que celui d'informer le public. En effet, est-il besoin de masser des dizaines de personnes aux entrées de l'établissement visé, pour atteindre un objectif d'information? Il est clair que lorsque la ligne de piquetage se transforme en muraille, le but visé est tout autre. Il s'agit alors d'intimider les autres employés, les visiteurs ou les fournisseurs dans le but de perturber sinon paralyser les activités de l'établissement. Rien ne justifie de telles pratiques et le CPQ dénonce l'absence de dispositions dans le Code du travail ou dans toute loi connexe qui empêcheraient certains employés d'ériger un véritable blocus autour des établissements qu'ils cherchent a paralyser. Il est évident que le fait de masser de véritables bataillons de grévistes autour des établissements touchés par un arrêt de travail ne peut que provoquer de la violence. Il devrait être clairement prévu que les piqueteurs ne peuvent exercer qu'une influence morale et en aucun cas, et d'aucune façon, bloquer physiquement ou par des menaces verbales ou écrites, l'accès aux lieux ou l'employeur exerce ses activités. Toute autre forme de piquetage, sur les lieux de travail ou ailleurs, devrait être interdite sous peine de sévères pénalités. Un Conseil provincial d'arbitrage. L'avant-projet de loi ne suggère aucun mécanisme vraiment nouveau (autre que la médiation) pour solutionner les différends dans les secteurs public et parapublic. La grève ou le lock-out demeurent les seuls mécanismes de règlement des différends qu'envisage le législateur, sauf pour les pompiers et policiers assujettis à l'arbitrage, et dont le régime n'est pas modifié par l'avant-projet de loi. Or, l'expérience des dernières années a démontré une faiblesse évidente dans la qualité de l'arbitrage des différends au Québec, justement dans le domaine municipal. Nous appuyons d'ailleurs a ce sujet les représentations de l'Union des municipalités, tout comme nous partageons totalement leur point de vue à l'effet que devrait leur être redonné leur droit de lock-out que les derniers amendements au Code du travail leur ont fait perdre. Pour solutionner ce problème et proposer du même coup une alternative à la grève, nous avons déjà suggéré la création d'un véritable Conseil provincial d'arbitrage, a caractère généralement volontaire sauf exception, mais dont les décisions seraient toujours exécutoires. Nous réitérons cette proposition. On a répété a satiété que le système actuel d'arbitrage ne satisfait personne, ni du côté syndical, ni du côté patronal. Nous n'y revenons pas. Mais il est évident qu'il faut instaurer un nouveau système d'arbitrage, notamment dans les cas suivants: - lorsque les parties décident de porter volontairement leur cas en arbitrage; - lorsque les travailleurs n'ont pas le droit de grève, dans le cas des pompiers et des policiers par exemple; - lorsque les travailleurs se verront supprimer leur droit de grève. De plus, lorsqu'une solution acceptée par les deux parties est devenue impossible et que le gouvernement doit en imposer une d'autorité, il aurait alors la possibilité, s'il le juge a propos, donc sur une base tout a fait volontaire, de référer, en tout ou en partie, le différend à l'arbitrage. Un tel régime d'arbitrage reposerait sur la création d'un Conseil provincial d'arbitrage. Toute la valeur du Conseil suggéré résiderait dans la compétence, l'intégrité et l'impartialité des personnes qui seraient appelées a y travailler. Ces personnes devraient être nommées pour une période de temps déterminée d'avance, ce qui leur assurerait l'indépendance et la sécurité nécessaires à leur fonction. Cependant, le Conseil des ministres pourrait être amené à statuer sur la conduite d'un membre du Conseil, si telle conduite était incompatible avec son statut. Ce Conseil provincial d'arbitrage devrait s'appuyer sur un secrétariat solide, composé de spécialistes intègres et impartiaux, et travailler très étroitement avec le nouvel Institut de recherche sur la rémunération. Dans l'hypothèse où les parties décideraient de porter volontairement leur cas devant un tel Conseil provincial d'arbitrage, la loi devrait prévoir qu'une telle décision devrait être prise par les parties au tout début des négociations. Ceci éviterait d'aller chercher le maximum par la négociation, puis de demander l'arbitrage dans l'espoir d'obtenir quelques gains supplémentaires. Signalons finalement que si ce Conseil provincial d'arbitrage était mis sur pied, il faudrait bien sûr lui donner des paramètres précis dans le cadre desquels il devrait prendre ses décisions. L'État peut en effet difficilement se soumettre à l'arbitrage traditionnel pour trancher un conflit avec ses employés: il peut difficilement déléguer à un tiers, sans lui donner des paramètres précis, la responsabilité d'affecter des fonds publics importants à la rémunération des travailleurs de l'État. Ces paramètres (dont l'un pourrait être que les décisions des arbitres ne pourraient jamais instituer des conditions de travail supérieures à la moyenne comparable du secteur privé) devraient par ailleurs être largement diffusés. Conclusion. 1) Le Conseil du Patronat reçoit de façon positive le dépôt de l'avant-projet de loi et certaines de ses propositions propres a solutionner certains problèmes rencontrés à l'occasion des négociations dans les secteurs public et parapublic au cours des vingt dernières années. L'action gouvernementale s'inscrit dans le cadre des réclamations bien connues de la population et vise, bien timidement encore il faut le dire, a rétablir un certain équilibre entre les intérêts, droits et responsabilités de tous les intervenants dans ce difficile dossier des relations de travail dans les secteurs public et parapublic. Le CPQ souhaite que le gouvernement ne se laisse pas intimider par le veto que lui opposent les centrales syndicales, mais qu'au contraire il ira même plus avant dans ce dossier qui intéresse les chefs d'entreprise a plus d'un titre. 2) En ce qui concerne le contenu de l'avant-projet de loi lui-même, le CPQ se dit d'accord avec la proposition qui consiste a soustraire du droit à la grève et au lock-out les questions relatives à la rémunération. Il est également d'accord avec la mise sur pied d'un Institut de recherche sur la rémunération et le fait de donner, cette fois, de véritables pouvoirs au Conseil des services essentiels. Le CPQ croit cependant que le travail de recherche nécessaire à la description des services essentiels ne devrait d'aucune façon être lié dans le temps à la négociation collective. Le mandat du Conseil devrait lui permettre d'agir au delà du seul champ qu'on appelle actuellement le secteur public ou parapublic. Quant à la décentralisation suggérée par l'avant-projet de loi, elle apparaît toujours bien timide. 3) La principale critique du CPQ à l'endroit de l'avant-projet de loi vient de ce qu'il ne contient pas. Pour le CPQ, l'avant-projet de loi ne va pas assez loin. Même s'il soustrait du droit à la grève les questions relatives à la rémunération, il laisse le champ libre à la grève générale et illimitée sur tous les autres objets de la négociation à l'échelle provinciale. Et même dans le cas de services essentiels comme l'électricité, le gouvernement n'a pas soustrait la rémunération du champ de la négociation qui donne ouverture à la grève. En d'autres mots, le gouvernement n'a pas choisi d'agir en identifiant des activités ou secteurs ou il considère que le droit de grève devrait être supprimé. Il a choisi d'agir en mettant tous les secteurs d'activité sur le même pied et en interdisant de faire la grève sur la seule question de la rémunération (et sur les questions négociées à l'échelle locale). Pour le CPQ, qui continue de croire à la nécessité d'interdire purement et simplement le droit de grève dans les services de santé, dans la distribution de l'électricité, du gaz naturel et de l'eau potable, l'avant-projet de loi ne va donc pas assez loin. D'ailleurs, allez donc expliquer a un malade hospitalisé qu'une grève dans un hôpital peut se justifier sur une question d'ancienneté, de changements technologiques ou de formation, mais pas sur une question de rémunération... 4) Le CPQ souligne par ailleurs d'autres «oublis» de l'avant-projet de loi: rien sur la démocratie syndicale, rien sur le piquetage, aucune pénalité nouvelle telle la non retenue des cotisations syndicales ou même la désaccréditation, n'est introduite. Rien de neuf également en ce qui concerne le règlement des différends lorsque la grève est autorisée. Ce qui permet au CPQ de revenir à la charge avec sa proposition de création d'un Conseil provincial d'arbitrage, un mécanisme dont a ce jour on ne lui a pas démontré l'inutilité ou l'absurdité. Le CPQ tient a rappeler a nouveau, en conclusion de ce bref mémoire, ce que les membres du groupe de travail du Secrétariat du Comité des priorités ont déjà clairement établi: le Québec, à l'intérieur du Canada, et le Canada à l'intérieur du monde industrialisé, est le plus avancé, le plus à l'avant-garde au chapitre des droits syndicaux, notamment en ce qui touche le droit de grève. Avec à l'esprit ce diagnostic non contesté et incontestable d'ailleurs, il est évident que le législateur peut cette fois être à l'écoute des véritables intérêts et préoccupations de la population.