*{ Conseil du patronat du Québec. 1987. Mémoire soumis à la Commission parlementaire de l'économie et du travail en marge de ses travaux sur la sous-traitance et Hydro-Québec } Conseil du Patronat du Québec. Mémoire soumis à la Commission parlementaire de l'économie et du travail en marge de ses travaux sur la sous-traitance et Hydro-Québec. «L'importance de la sous-traitance». A l'occasion des travaux de votre Commission, nous tenons à vous livrer quelques réflexions sur l'important dossier de la sous-traitance au Québec. Dans un premier temps, nous exposerons certaines considérations générales sur la sous-traitance, rappelant qu'un système de sous-traitance efficace est absolument nécessaire à une économie dynamique. Dans un deuxième temps, nous traiterons des contraintes inacceptables que posent à la sous-traitance certaines interprétations actuelles données à l'article 45 du Code par le Tribunal du travail. Nous tirerons finalement de cet exposé trois conclusions qui, nous le souhaitons, seront retenues par votre Commission. A - Considérations générales sur la sous-traitance. La sous-traitance, ou le faire-faire, est un concept issu de l'entreprise privée. Il s'agit de confier par contrat à une entreprise la fourniture d'un service ou la fabrication d'un produit qui devra s'incorporer dans le processus de fabrication d'un produit final ou dans un système intégré de services. Dans le secteur industriel, cette pratique est chose courante et plusieurs PME et ex-PME devenues grandes aujourd'hui, doivent leur existence à des contrats de sous-traitance. C'est le cas notamment de plusieurs de nos firmes d'ingénierie. Le principe qui sous-tend ce processus est qu'il est souvent plus pratique et moins coûteux pour une entreprise de faire effectuer certaines tâches par d'autres entreprises spécialisées, car cela lui évite soit d'avoir à investir dans des immobilisations additionnelles, soit d'avoir à garder à son emploi une main-d'oeuvre supplémentaire qui ne serait plus requise une fois la tâche spécifique exécutée. Les entreprises sous-traitantes se spécialisent souvent dans des activités où leur coût de production est inférieur à ce que serait celui de la grande entreprise. De plus, grâce à leur spécialisation et à leurs efforts pour accroître leur productivité, les entreprises sous-traitantes sont souvent pionnières en matière d'innovations technologiques et de formes d'administration plus dynamiques et plus rationalisées que dans certaines grandes entreprises aux prises avec une réglementation et des conventions collectives qui les empêchent souvent de s'ajuster rapidement et avec souplesse aux modifications de leur environnement. En matière de relations de travail, un syndicat doit généralement, s'il est responsable, comparer ses exigences aux conditions qu'offre un sous-traitant qui effectuerait un travail comparable. à celui de l'entreprise qui emploie ses membres pour que le jeu de la négociation demeure un mécanisme efficace de détermination des conditions de travail. Par ailleurs, dans les secteurs public, parapublic et péripublic, le recours à des sous-traitants est souvent le principal moyen de conserver un certain bon sens économique à l'administration publique. Dans la plupart de leurs activités, les institutions et entreprises de ces secteurs sont en effet en position de monopole et, en conséquence, les syndicats représentant leurs employés jouissent aussi des avantages d'une position de monopole. Pourtant, un très grand nombre de ces activités, dans tous les secteurs, peuvent être concédées à des soustraitants. C'est en plaçant leurs propres employés, lorsque c'est possible, en position de concurrence vis-à-vis des sous-traitants que ces institutions et entreprises peuvent maintenir certaines règles économiques dans leur administration. Ajoutons encore que l'innovation technique peut améliorer la productivité des services de l'administration publique si et seulement si celle-ci se garde constamment la possibilité d'avoir recours à des sous-traitants. Les règles de l'administration publique empêchent en effet trop souvent que le travail soit réorganisé toutes les fois que les nouvelles possibilités techniques le permettent. Au contraire, le sous-traitant qui n'intègre pas assez vite une nouvelle possibilité technique, perdra en peu de temps son contrat à l'avantage du soustraitant plus innovateur. Rappelons que l'idée de sous-traiter certains services publics a germé il y a plusieurs années déjà, mais que l'extension véritable de la sous-traitance aux administrations publiques a vraiment vu le jour au début des années 80, à un moment où les budgets des administrations publiques sont devenus déficitaires et où la population s'opposait à la fois à des hausses de taxes diminution des services. Dans une conjoncture où la population réclamait le maintien de services coûteux mis sur pied en période de forte croissance économique désormais révolue, les administrations publiques ont été confrontées à la nécessité de fournir ces services à un coût moindre. Parmi les options envisagées, la sous-traitance et même carrément la vente de certains services publics à l'entreprise privée sont devenues des options de plus en plus retenues ces dernières années. Afin d'illustrer cette affirmation, nous reproduisons en annexe 1 une étude récente du CPQ sur la soustraitance de certains services municipaux aux États-Unis. Cette étude nous permet d'affirmer que le recours à la sous-traitance pour dispenser certains services municipaux a entraîné, de façon générale, des réductions de coûts substantielles dans plusieurs municipalités américaines. Elle nous permet également de croire que les avantages dont bénéficient les administrations publiques lorsqu'elles accordent des contrats de sous-traitance peuvent être analogues à ceux de la grande entreprise qui sous-traite: diminution des coûts reliés au maintien d'une infrastructure et d'une main-d'oeuvre importante jumelée à un accroissement de la productivité résultant de la compétition entre entreprises fournissant des services. B - La sous-traitance et le code québécois du travail. Le législateur québécois a prévu des dispositions dans le Code du travail pour protéger les syndicats contre les aléas de l'aliénation ou de la cession totale ou partielle de l'entreprise. Il s'agit de l'article 45 du Code. Cet article a pour but de protéger l'accréditation des associations de salariés et non pas de «contrôler» la sous-traitance, l'un des mécanismes essentiels de notre économie, comme nous l'avons précédemment établi. En toute déférence, nous croyons que certaines interprétations du Tribunal du travail n'ont pas tenu compte de l'objectif initial visé par le législateur. Le CPQ a déjà manifesté son accord avec le jugement de la Cour Supérieure dans l'affaire de la Commission scolaire régionale de l'Outaouais Réal Bibeault et al, CSH 500-05-000324-82, confirmé sur le banc par la Cour d'appel et aujourd'hui devant la Cour suprême: l'article 45 s'applique lorsqu'il y a aliénation ou cession de l'entreprise à une autre et non pas, en espèce, entre deux sous-traitants concurrents répondants à un appel d'offres. Ce que l'on oublie trop souvent dans les débats au sujet de l'article 45, nous ne le répéterons jamais assez, c'est qu'un système de sous-traitance est absolument nécessaire à une économie dynamique. C'est par ce système que l'élargissement de la base économique - au moment de l'implantation d'une industrie majeure ou d'une innovation technologique, par exemple - s'irradie dans une multitude de petites et moyennes entreprises spécialisées. C'est par ce système encore qu'une structure économique conserve une souplesse suffisante pour s'adapter constamment aux situations toujours nouvelles créées par la concurrence internationale. 2 - L'article 45 du Code et la sous-traitance. Si l'on accepte, comme le veulent certaines centrales syndicales, que le seul lien à considérer pour appliquer l'article 45 soit l'activité comme telle, tous les facteurs entrant dans l'organisation du travail en vue d'exécuter cette activité pourront changer sans que le syndicat, lui, ne change. Le célèbre cas de la Commission scolaire régionale de l'Outaouais illustre bien la situation. L'entreprise principale donne, année après année, des contrats à divers sous-traitants. S'il arrive une fois que les salariés de l'un de ces sous-traitants soient syndiqués, les salariés de tous les sous-traitants qui suivront le seront automatiquement, si l'on adopte le raisonnement de la majorité des juges du Tribunal du travail dont la décision a heureusement été infirmée par la Cour Supérieure. Le sous-traitant qui abandonne un contrat pour en exécuter un autre, amenant avec lui ses employés syndiqués, n'amènera-t-il pas aussi avec lui la convention qui s'est appliquée dans le contrat antérieur? En pratique, la décision du Tribunal du travail dans le cas ci-haut mentionné aurait imposé aux divers soustraitants des comportements nouveaux. Sachant que les employés affectés à tel sous-contrat seront automatiquement syndiqués, les concurrents éviteront, le cas échéant, de répondre aux appels d'offres. Ainsi, c'est bel et bien un des mécanismes essentiels à la sous-traitance - la concurrence entre les sous- traitantsqui est bloqué. Le transfert des obligations de l'entreprise principale à ses sous-traitants bloque un autre mécanisme essentiel à la sous-traitance. On ne peut pas imaginer une organisation industrielle immuable. Telle activité qu'une entreprise a exercée elle-même pendant un temps pourra à un moment ou l'autre être concédée à une entreprise spécialisée, et l'inverse est vrai aussi. Dans l'ensemble de l'économie, ces transferts sont nombreux et ils le seront d'autant plus que l'innovation technologique permettra la mise au point de nouvelles techniques de production. Ainsi, le développement économique crée constamment des cas où une entreprise doit réévaluer ses procédés et doit occasionnellement décider de faire appel à des sous-traitants possédant une expertise ou des équipements qu'elle ne pourrait ellemême rentabiliser. 3 - Ce que veut dire l'article 45 du Code. Dans la mesure où il s'agit d'éviter que la vente d'une entreprise soit utilisée comme moyen d'échapper aux obligations de la loi, le législateur avait raison et a encore raison d'intervenir. Mais quand l'interprétation d'une loi ancienne crée aujourd'hui des situations dommageables qui n'avaient pourtant pas été voulues comme telles, il devient nécessaire que le législateur précise le texte des lois et l'adapte aux réalités connues. Le but du Code du travail demeure, selon nous, exclusivement de lier l'existence d'un syndicat à la volonté majoritaire d'un groupe défini de salariés. C'est dans le respect de cette intention que devrait être révisé l'article 45. Ainsi, lorsqu'une entreprise change de propriétaire alors que ses parties essentielles demeurent les mêmes - et tout spécialement son personnel - nul doute que la volonté déjà exprimée par ce personnel d'adhérer à un syndicat doit être respectée et que le contrat de travail négocié par et pour ce personnel lie le «nouvel employeur». Mais le Code du travail ne doit pas avoir pour effet d'empêcher l'application normale des règles économiques dans la gestion des entreprises et des organismes de l'État. Pour cela, le Code du travail doit affirmer clairement que le transfert d'un activité d'une entreprise à un sous-traitant et le transfert d'un contrat d'un sous-traitant à un autre sont autorisés, sans qu'il soit d'aucune façon question de transférer également les accréditations syndicales. Les barrières artificielles peuvent, pendant un temps, maintenir des emplois dans des conditions éloignées de l'optimum économique. Mais il s'agit alors de chômage camouflé qui réserve inévitablement des lendemains difficiles. Plaider pour une organisation économique dynamique, ce n'est pas vouloir sacrifier les emplois à l'efficacité, c'est vouloir offrir constamment des emplois productifs qui sont la seule sécurité pour tous à long terme. Cette position du CPQ est d'ailleurs confirmée dans une étude non publiée réalisée par la firme Secor pour le compte de la Commission consultative sur le travail (Commission Beaudry) et dont nous résumons l'essentiel en annexe 2. Selon cette étude, l'interprétation actuellement donnée par le Tribunal du travail à l'article 45 du Code «est un non-sens sur le plan économique». C - Conclusions. De ce bref exposé, nous soumettons respectueusement à votre attention trois conclusions: 1 - Tous les intervenants économiques québécois, ceux du monde syndical notamment, doivent reconnaître concrètement l'importance d'un système de sous-traitance dans le développement d'une économie dynamique. 2 - Le législateur québécois doit prendre les moyens nécessaires pour s'assurer que les dispositions légitimes du Code du travail qui traitent d'aliénation et de cession d'entreprise, ne puissent être interprétées comme s'appliquant aux cas de sous-traitance. De telles contraintes n'existent d'ailleurs pas dans les autres provinces. 3 - Toutes les entreprises publiques, parapubliques et péripubliques, doivent être assurées qu'elles auront l'appui indéfectible et inconditionnel du gouvernement dans tout différend patronal-syndical qui aurait pour objet la limitation des droits légitimes de l'employeur en matière de sous-traitance.