*{ Discours néo-libéral CEQ, 1988 } Bâtir la démocratie sociale. Chères militantes et militants, Chers congressistes et amis, lors du trentième Congrès, en 1986, nous avions choisi de placer notre action syndicale au service de la démocratie, une démocratie à protéger et à renforcer. Loin d'être désuet, ce filon de notre inspiration et de notre union se doit d'être poursuivi et approfondi. Le syndicalisme ne devient une force d'intervention efficace que dans la mesure où il plonge dans le social. Il y a quelques années, la crise servait de paravent au plus important matraquage de nos acquis sociaux de l'Après-guerre. Depuis plus de cinq ans, la reprise économique est en cours, mais les programmes de rigueur, voire de compression, sont toujours à l'ordre du pur des gouvernements. Il y a quelque chose qui cloche quelque part! Combien d'années de prospérité économique faut-il pour en arriver à une période de développement social? Combien de profit faut-il aux uns, pour que l'ensemble social ait droit à des dividendes? A quand une politique active, consciente et concertée de promotion, de rénovation et d'extension de nos services publics? A quand la remise en route de nos politiques sociales? Notre travail au coeur du progrès social. Le moment est venu, pour la CEQ et pour l'ensemble du mouvement syndical québécois, de prendre la mesure des grands besoins collectifs, des grandes causes sociales qui sont au coeur des réalités de notre temps. Le temps est venu de peser de tout notre poids, à travers la négociation, l'action professionnelle, l'action politique, pour que la prospérité économique dont se félicitent les uns se traduise en meilleures conditions sociales pour la majorité. C'est l'horizon que nous nous proposons d'explorer et d adopter, sous le thème de ce trente-et-unième Congrès: Notre travail au coeur du progrès social. Notre travail, celui de tous les jours d'abord, celui de nos professions, techniques et métiers, celui qui fait notre vie, et celles de nos concitoyennes et concitoyens, à travers les services publics dont nous assurons la présence et l'efficacité, malgré tout. Notre travail de syndicalistes engagés aussi, dans nos établissements, dans nos structures, dans nos milieux respectifs, auprès de nos compagnes et compagnons de travail, face à nos employeurs. Critiques lorsqu'il le faut, nous sommes d'abord et avant tout des gens de proposition. Notre action collective vise l'établissement d'un ordre social plus juste, aux plans national et international. A travers la mise à jour de notre projet syndical, nous voulons contribuer, modestement mais concrètement, à la construction du progrès social de notre collectivité. Deux années de reprise en main. Au cours des deux dernières années, nous sommes parvenus à sortir de l'ère des décrets de 1982-1983, même si nous n'avons pas réussi, loin de là, à en effacer toutes les séquelles. Faut-il se redire que nous repartions de loin, sans convention, sans mobilisation, avec pour seul bagage notre détermination à nous reprendre en main, à remonter cette pente au pied de laquelle nous nous sommes retrouvés en décembre 1985, à côté de ceux qui nous y avaient précipités... Reprise en main au plan de nos relations, sinon toujours de nos conditions de travail. Par la négociation, puis par l'imposant travail de gestion des ententes provinciales, à travers tout un ensemble de comités. Reprise en main au plan professionnel aussi, à travers nos interventions pédagogiques dont la pertinence a été reconnue même dans les milieux officiels. A travers nos colloques, celui portant sur l'enseignement collégial qui a amorcé le début d'un débat public qui doit absolument se prolonger: et celui qui, portant sur l'apprentissage du français, a exprimé notre engagement face à cette question majeure tant au plan social que scolaire. A travers les débats aussi sur la douance, l'enseignement privé, la réforme des structures scolaires, le financement des universités, la formation professionnelle, l'éducation interculturelle, la santé et les services sociaux, le loisir, les communications. Reprise en main encore, aux plans social et politique, à l'occasion de multiples interventions, souvent en coalition, sur de multiples enjeux qui façonnent ou façonneront nos vies et notre travail: le libre-échange, le rôle de l'État, les lois sociales, la question linguistique. A l'occasion aussi de plusieurs campagnes de solidarité de mieux en mieux enracinées. Reprise en main enfin, à travers cette tournée sans précédent des affiliés qu'a menée au début de cette année le Bureau national. En plus de nous en apprendre beaucoup sur le vécu quotidien de celles et ceux que nous représentons, cette tournée a dégagé trois pistes dont nous nous sommes largement inspirés dans la préparation de ce Rapport: - la défense, la valorisation et le développement des services publics où nous sommes s'imposent plus que jamais: - c'est en s'attaquant aux problèmes concrets que vivent nos membres dans leur travail que notre action syndicale retrouvera son emprise et son élan; - c'est en travaillant à répondre mieux aux besoins de services de la population que notre action syndicale consolidera sa légitimité. Quel projet syndical? En ces années où la prospérité d'une minorité de «gagneurs» obscurcit, mais de moins en moins, l'exclusion et l'appauvrissement de larges couches sociales, où la précarisation de l'emploi et le sous-développement des services publics sont devenus notre lot quotidien, il est plus que temps de faire en sorte que se réalise un meilleur partage de la richesse collective, ce qui ne saurait reposer que sur la construction d'un nouveau rapport de force ancré dans la mobilisation du mouvement social et syndical. Pour mieux prendre en compte les réalités de notre temps, nous proposons à ce trente-et-unième Congrès d'orienter notre action autour des grands axes suivants: - proposant la rénovation des services publics d'éducation et de santé où nous travaillons, nous recommandons la mise en avant d'une politique de la population touchant la famille, les services de garde, la petite enfance, la jeunesse, les personnes âgées et l'immigration; - constatant à quel point la dérive des dernières années a privé les services publics et leurs personnels de leur juste part, nous proposons le renforcement de nos interventions, tant en cours de négociation qu'aux plans social et politique; - désireux de contribuer à construire une force syndicale valable dans le secteur public, nous invitons le Congrès à endosser le projet de développement de notre organisation, et à concourir à sa réalisation, dans l'unité interne, et dans la recherche d'une unité plus sereine au plan inter-centrales. La quarantaine de propositions que nous avançons sur ces terrains illustre notre détermination à faire que notre travail, celui de nos membres au fil du quotidien, celui que nous faisons comme syndicalistes, soit au coeur du progrès social. Nous décrivons certaines réalités qui ne sauraient être tenues dans l'ombre plus longtemps; nous dénonçons ce qui doit l'être. Nous revendiquons les changements qui s'imposent. Mais surtout nous nous engageons, à travers un train de propositions concrètes et accessibles, à faire de notre travail un outil de développement de notre société, en même temps que nous comptons en retirer les conditions d'une vie satisfaisante et épanouissante. L'éducation, la santé et les services sociaux au coeur des besoins de la population. Comme personnels oeuvrant dans l'éducation, dans la santé et les services sociaux, dans l'ensemble des services publics, nous sommes quotidiennement confrontés aux vrais besoins de la population québécoise. Plus que jamais, la population québécoise a besoin de services publics rénovés, accessibles et efficaces. Plus que jamais elle demande que ces services s'adaptent aux réalités nouvelles et répondent aux problèmes de notre temps. Parce que l'éducation, la santé et les services sociaux sont au coeur des besoins de la population. - nous avons la responsabilité de prendre collectivement la mesure de l'évolution de cette population, de l'émergence des besoins nouveaux, de l'ampleur et de la gravité des problèmes qui pèsent sur les services publics; - nous avons la responsabilité de réaffirmer avec force les grandes orientations démocratiques et sociales qui sont portées par notre organisation depuis nombre d'années et de proposer des pistes de changement et des objectifs pour les années à venir; - nous avons la responsabilité de mettre en oeuvre des actions collectives susceptibles de contribuer à la fois à l'amélioration des conditions des personnels que nous représentons et de la population québécoise dans son ensemble. L'évolution de la population québécoise. La population québécoise vit aujourd'hui une crise démographique majeure qui conditionne son avenir. Depuis 1970, le renouvellement des générations ne se fait plus. Le déclin de la natalité s'aggrave d'année en année et touche l'ensemble des régions du Québec. Cette crise démographique se traduit déjà par le vieillissement progressif de la population québécoise, vieillissement qui précède et annonce son déclin numérique. Si les tendances actuelles se maintiennent on estime qu'en moins d'un siècle, les Québécoises et les Québécois de souche française ne représenteront plus que moins de 20 % de la population actuelle du Québec. Par ailleurs, force est de constater que le Québec ne peut compter actuellement sur l'immigration pour assurer le renouvellement de sa population. Le bilan migratoire net des 25 dernières années indique un déficit de près de 300 000 personnes. La migration du Québec vers les autres provinces annule les gains de l'immigration internationale. La crise démographique que vit aujourd'hui le Québec ne menace pas seulement le volume de sa population; elle comporte des impacts politiques, culturels et socio-économiques majeurs: - la régression du poids politique du Québec dans la confédération canadienne; - la perturbation de l'équilibre linguistique et culturel au détriment du français; - l'appauvrissement graduel aux plans économique et social: problème de l'emploi, déclin des services publics, tensions communautaires; - l'accroissement de certains besoins sociaux, en particulier pour les personnes âgées. Pour comprendre la aise démographique et y faire face, il est capital de la relier à un autre phénomène marquant de l'évolution actuelle de la population québécoise: la crise de la famille. Depuis les années soixante, la famille traditionnelle est en éclatement. Cela se traduit par la diminution du nombre de mariages et l'augmentation du nombre de divorces. On assiste à une fragilité croissante des alliances conjugales. Cette fragilité est liée largement à la modification des modèles familiaux initiée par l'accession progressive des femmes à l'autonomie, à l'égalité, et au marché du travail (52 % de la population active), de même que par l'émergence des familles monoparentales qui représentent désormais une famille sur cinq au Québec. Ce sont encore les femmes qui assument la quasi-totalité du fardeau de travail occasionné par les enfants. Pour les travailleuses, le fardeau est particulièrement difficile à supporter; on lui a donné un nom: la double journée de travail. Ce sont aussi les femmes qui sont les principales cibles de la violence conjugale: une femme sur dix est victime de violence! La crise de la famille modifie radicalement les modèles, le mode de vie et la mentalité de la population. De toute évidence, il faut lier la chute de la natalité à cette crise de la famille. Les femmes qui ont des responsabilités parentales ont une marge de manoeuvre très limitée à l'égard des lieux et des horaires de travail. Ce n'est certes pas un hasard si 70 % de tous les emplois à temps partiel au Québec sont occupés par des femmes. Leur insertion sur le marché du travail se produit dans un contexte qui ne tient pas compte des responsabilités parentales. La rigidité des horaires de travail et des horaires des services publics en est la meilleure illustration. Et que dire de la déficience flagrante des congés parentaux? Plus globalement, c'est l'altération de l'ensemble des conditions socio-économiques dans la société québécoise qu'il faut prendre en compte pour saisir les contraintes que subissent aujourd'hui les femmes et les familles: - la précarité et la cherté des transports publics en dehors des grands centres urbains: - la hausse constante du coût de la vie; - l'inaccessibilité des logements décents à des loyers abordables; - la carence des services publics de loisir et de culture. L'interaction de l'éclatement de la famille, de l'altération des conditions socio-économiques, des obstacles à l'accès des femmes au marché du travail, de la nature précaire des emplois qu'elles occupent et du faible niveau de rémunération de ces emplois, se traduit par une féminisation de la pauvreté. Soixante dix-huit pour cent des personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont des femmes. Comme le salaire des femmes constitue une composante essentielle du revenu d'un nombre croissant de ménages, il n'est guère surprenant d'assister à un appauvrissement graduel des familles. Quant aux familles monoparentales, inutile de préciser que leur situation est particulièrement catastrophique. Cent-vingt mille de ces familles, ayant à leur tête une femme, reçoivent de l'aide sociale! Dans un tel contexte d'entrée massive des femmes sur le marché du travail et d'éclatement de la famille biparentale traditionnelle, l'un des problèmes majeurs qui se pose aussi à la population québécoise est l'insuffisance criante des services de garde: garde en milieu scolaire, garderies, garde familiale, haltes-garderies. Le nombre de places est partout inférieur aux besoins, l'accessibilité est réduite, le financement public est inadéquat. Enfin, pour compléter le tableau, l'État québécois a entrepris, ces dernières années, un processus de désengagement face à ses responsabilités sociales à l'égard des jeunes, des personnes handicapées et des personnes âgées. Ce désengagement de l'État exerce une pression nouvelle sur les femmes et les familles, sur leurs conditions socio-économiques et, par conséquent, il accentue la crise de la famille et la crise démographique. La société québécoise ne peut se contenter d'observer, sans réagir, l'évolution actuelle de la population et de ses besoins. Il serait insensé de croire que les tendances négatives se redresseront d'elles-mêmes! Une intervention impérieuse s'impose: il y va de la santé, du dynamisme et de la survie même de notre société! Comme syndicalistes, nous avons le devoir de nous adresser aujourd'hui au gouvernement et à l'ensemble des responsables politiques au Québec et nous sommes en droit de demander: - A quand une action réaliste et efficace dans le domaine de la natalité, une action adaptée aux réalités d'aujourd'hui et de demain? - A quand des politiques d'accès à l'égalité dans les emplois, d'équité salariale, d'aménagement du temps de travail, de congés parentaux? - A quand des modifications significatives aux politiques de transport, de logement, de loisir, de fiscalité et de sécurité du revenu pour répondre aux besoins nouveaux et contrer l'appauvrissement des familles? - A quand le développement des services à la petite enfance? - A quand une politique d'immigration susceptible d'attirer des immigrantes et des immigrants aptes à s'intégrer au Québec et à y rester? - A quand une politique cohérente du troisième âge pour faire face au vieillissement de la population? - A quand une politique énergique d'affirmation du caractère français du Québec? Bref, nous sommes en droit de demander de façon pressante l'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique de la population, et d'une politique de réponse globale et cohérente à l'ensemble des besoins collectifs et individuels de cette population. L'éducation d'aujourd'hui à demain. Abordant la question de l'éducation, il n'est pas inutile de réaffirmer, comme congrès démocratique, l'idéal que la CEQ défend depuis nombre d'années et qui vise à doter le Québec d'une véritable école publique et commune; une école accessible aux enfants de toutes provenances sociales; une école véritablement gratuite; une école qui soit le lieu par excellence de la liberté de conscience et du respect des croyances; une école apte à assurer à la personne humaine la plus grande maîtrise possible de son destin; une école, aussi, qui valorise la solidarité, le sens de la coopération et de l'entraide, l'égalité entre les hommes et les femmes, l'internationalisme, le pacifisme et le respect de l'environnement. Il n'est pas inutile de réaffirmer avec force notre conviction que l'éducation est un droit fondamental, inaliénable et non négociable! Or, nos membres qui font l'école quotidiennement ne cessent d'en témoigner: la situation de l'éducation se détériore au Québec. Tout au long des années quatre-vingt, le secteur public de l'éducation a eu à souffrir des effets désastreux de coupures et compressions budgétaires de toutes sortes. Au nom de la «rationalisation», des décisions ont été prises qui ont eu pour conséquence de donner une priorité de fait aux aspects administratifs sur la dimension pédagogique et éducative de la vie à l'école. Parallèlement durant la même période, on n'en a peut-être jamais demandé autant à l'école. Non seulement les demandes sociales faites à l'école se sont-elles accrues en nombre, mais encore se sont-elles diversifiées au point où il est devenu difficile, même pour celles et ceux qui y oeuvrent, de faire l'accord sur la nature exacte de son rôle dans une société moderne. Comme si ce qui la bouleverse ne suffisait pas, l'école publique doit de plus subir sur un autre front les conséquences du préjugé favorable et souvent complice dont bénéficie l'école privée. Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant de constater que la condition des personnels se dégrade. L'alourdissement de la tâche, l'accroissement du travail à statut précaire, la perte d autonomie et de contrôle sur l'activité pédagogique... autant d'éléments qui contribuent aujourd'hui aux sentiments de désenchantement et d'exclusion d'un bon nombre. Malgré les grandes difficultés que vivent les personnels de l'éducation, ils continuent de manifester, jour après jour, leur attachement profond pour les jeunes, attachement qui ne se dément pas et qu'il faut reconnaître et saluer, ainsi que nous aurons l'occasion de le faire de façon toute spéciale durant ce Congrès. Selon certains, l'école est responsable de tous les péchés du monde: l'école primaire serait un lieu de complaisance et de facilité, l'école polyvalente et le CEGEP des lieux d'ineptie et de perdition! Et, bien entendu, ce sont les agents de l'éducation qui seraient responsables de cet état de délabrement de la vénérable institution scolaire! Les personnels de l'éducation, reconnaissons-le, ne sont pas restés imperméables au discours qui accuse l'école de tous les maux. Ils ont été victimes d'une forme particulièrement perfide de privatisation: la privatisation d'un problème de société. Pourtant, s'il est vrai qu'à l'école tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, ce n'est pas vrai que l'école et les personnels soient entièrement responsables de ce qui leur arrive. La crise de l'école ne provient-elle pas d'abord d'une crise de société? Tout examen objectif de la situation ne nous révèle-t-il pas que l'école québécoise n'a fait que subir les contrecoups des changements et des crises qu'a vécus la société aux plans économique, politique, sociologique, idéologique? Personnels de l'enseignement public, nous devons nous dire entre nous, et dire aux parents et aux élèves, que nous sommes disposés à relever les défis de notre temps: - le défi de l'amélioration de la qualité du français dans un contexte anglophone nord-américain: - le défi de l'amélioration de l'ensemble des apprentissages scientifiques et culturels; - le défi de l'émergence d'un pluralisme ethnique, idéologique et religieux qui marque davantage les grands centres; - le défi de l'éducation des adultes à une époque où le temps de l'école et celui du travail iront en se confondant de plus en plus; - le défi d'une jeunesse angoissée par la menace nucléaire, la crainte de désastres écologiques, les risques de plus en plus grands reliés à l'exercice normal d'une sexualité adulte. Le redressement et la stabilisation de l'école québécoise passent cependant par des voies qui débordent largement les cadres de l'institution scolaire comme telle. Ce travail exige une concertation de toutes les forces vives de notre société et la CEQ entend assumer pleinement la responsabilité qu'elle a de rappeler à la classe politique qu'une société n'a jamais que l'école qu'elle mérite. Nous sommes prêts à faire l'école de notre temps, pourvu qu'on nous en donne les moyens en même temps que le mandat. La santé et les services sociaux en question. Des défis nous attendent également, comme collectivité et comme centrale syndicale, dans les services de santé et les services sociaux. Depuis la parution du Rapport de la Commission Rochon, un très important débat est en cours sur la démocratisation, l'accessibilité, l'universalité, la gratuité et la qualité des services de santé et des services sociaux. Si, du côté syndical, nous défendons toujours les mêmes principes sur ces questions, il est évident que d'autres cherchent à remettre en question les fondements mêmes du système public. Ainsi en est-il de la mise en place, au cours des dernières années, d'une politique générale de désinstitutionnalisation, sans véritable débat, sans programme réel de transition, sans ressources d'appui suffisantes. Nous nous retrouvons maintenant à la veille d'une nouvelle politique en santé mentale dont il n'est pas exagéré de croire qu'elle se fera encore sur le dos des malades, de leurs familles, des communautés qui les accueillent... une autre politique qui servira de couverture au désengagement de l'État. On assiste à la mise en place du même scénario pour les personnes âgées. Les pratiques de désinstitutionnalisation et de non-institutionnalisation se sont développées sans fournir pour autant les moyens suffisants au maintien à domicile, sans assurer des soins et des services de qualité à des gens vivant des problèmes majeurs d'autonomie et de santé. Il faut le dire avec force: la désinstitutionnalisation ne peut continuer à ce prix, dans de telles conditions. Par ailleurs, depuis quelques années, des pratiques de privatisation à la pièce s'instaurent: services à domicile privés, sous-traitance de services de buanderie et d'entretien ménager, etc. L'Accord de libre-échange risque d'accélérer le mouvement de privatisation de la santé et des services s y rattachant, puisque des géants américains pourront aspirer à gérer des hôpitaux ou des centres d'accueil, comme cela se fait déjà en Ontario. Face à de telles pressions, que risquent de devenir nos services publics de santé, lorsque l'on sait l'état d'arriération sociale et économique du système américain? Pour la CEQ et le mouvement syndical dans son ensemble, il est impératif de mener la lutte à toute tentative de privatisation car, dans ce domaine, l'entreprise privée affiche des intérêts qui ne s'apparentent pas a priori à la qualité des services. Il faut continuer d'exiger la socialisation de l'ensemble des coûts et la gestion collective publique des services de santé et des services sociaux. D'autre part, nous sommes aujourd'hui les témoins d'une baisse inquiétante de la qualité des services dans ce secteur: déshumanisation des soins, discontinuité des services, listes d'attente, bureaucratisation, etc. Nous assistons à la mise en place, là comme en éducation, de systèmes de gestion ayant tendance à prioriser les aspects administratifs aux dépens de la qualité des soins et des conditions de travail. Or, la qualité des services est étroitement liée aux conditions de travail des personnels, et ceux-ci sont unanimes à dire qu'ils ont subi une détérioration majeure de leurs conditions de travail. Un redressement s'impose pour restaurer la qualité des soins comme s'imposent, plus que jamais, la nécessité de la démocratisation du système public de santé et l'urgence d'assurer la participation des personnels à la gestion et au processus décisionnel. Il est impérieux d'agir dans le sens te la démocratisation. Tout comme la Commission Rochon, nous croyons que «l'équité en matière d'accessibilité aux services et de distribution des ressources dans la collectivité ne peut être assurée sans le maintien d'un système public fort». Cela implique notamment que les coûts soient assumés et contrôlés collectivement . Un défi et une tâche immenses nous attendent dans le domaine de la santé et des services sociaux. Le mouvement syndical, la CEQ en particulier, doit multiplier les efforts visant à revitaliser et améliorer cet immense secteur de notre patrimoine collectif. L'action revendicative au coeur du quotidien de nos membres. A la veille d'entreprendre la prochaine ronde de négociation dans le secteur public, il est bon de nous rappeler collectivement que l'action revendicative occupe une place centrale dans nos activités syndicales parce qu'elle se situe au coeur des besoins et du quotidien de nos membres. A travers les mécanismes parfois lourds de la négociation collective s'expriment les aspirations les plus légitimes des êtres humains: la recherche de la dignité dans le travail, de la nécessaire autonomie dans l'exercice des activités professionnelles, des meilleures conditions pour répondre aux besoins réels de la population, d'une plus grande équité dans le partage des ressources et de la richesse dans la société, bref de moyens plus adéquats pour mieux faire et pour mieux vivre dans le quotidien. Même si ce ne sont pas tous les groupes membres de la CEQ qui sont couverts par le régime de négociation des secteurs public et parapublic, tous nos affiliés profitent des effets d'entraînement des grandes négociations nationales. Il est donc important que tous les syndicats de la Centrale s'approprient la réflexion sur cette négociation. La négociation collective qui s'engage et qui déjà mobilise une large part de nos énergies se situera dans une conjoncture en pleine évolution. Au plan économique, certaines tendances se précisent: - la reprise économique, bien réelle en Amérique du Nord, ne semble guère inclure l'économie québécoise, du moins en ce qui a trait à la création d'emplois durables; - bénéficiant de la tendance des gouvernements au désengagement, l'entreprise privée poursuit une réorganisation de l'économie qui ne tient guère compte des intérêts des travailleuses et des travailleurs; - la vaste majorité de la population ne profite pas des fruits de la relance économique et les inégalités sociales s'élargissent. Au plan politique, des changements s'annoncent: - aux États-Unis, la fin de l'ère Reagan approche; connaissant l'influence potentielle des politiques de ce pays sur les nôtres, il faudra surveiller avec soin les résultats des élections qui viennent; - à l'échelle canadienne, des élections fédérales se préparent, dont les enjeux - pensons au libre-échange, à certaines privatisations - nous affectent de près; - à l'échelle québécoise, le gouvernement actuel est à la croisée des chemins; bénéficiant d'un taux de satisfaction très élevé, habile à désamorcer les débats et les conflits potentiels, il risque toutefois de trébucher sur la question linguistique et, pis encore, de ne pas savoir prendre, avec les moyens appropriés, le virage social qu'imposent la croissance des inégalités et l'apparition de nouveaux besoins sociaux. Au plan social, au-delà des grandes caractéristiques de l'évolution de la population que nous avons évoquées, certains courants importants se manifestent: - montée de l'individualisme et poursuite du désengagement face à l'action collective; en contrepartie, recentrage des valeurs sur le respect de la personne humaine et de ses droits; - repli relatif des mouvements sociaux traditionnels et développement de nouveaux mouvements, par exemple pour la défense de la qualité de l'environnement; - affirmation persistante du mouvement des femmes; - réanimation des organismes de défense de la langue française; - division du mouvement syndical, particulièrement dans le secteur public où se déroule une recomposition des forces. Notre stratégie de négociation ne peut se définir en faisant fi de cette conjoncture dont nous venons d'esquisser quelques grands traits ni sans tenir compte de la conjoncture interne qui s'est aussi modifiée. La nouvelle CEQ doit relever des défis nouveaux: - Le défi de l'élargissement: la Centrale a évolué rapidement et a accueilli de nouveaux groupes; pour porter adéquatement à la fois les aspirations et les revendications des groupes qui constituaient la Centrale aux dernières rondes de négociation et celles des groupes qui viennent de s'y joindre, il nous faut développer la solidarité entre tous les groupes que nous avons maintenant mission de représenter. - Le défi de la réappropriation: depuis la fin du conflit de travail de 1982-1983, nous avons été forcés, pour diverses raisons, de conduire la négociation sans une participation massive des membres. Il nous faut aujourd'hui créer les conditions d'une réelle réappropriation de la négociation collective par les membres. Il faut s'engager fermement à tout mettre en oeuvre pour y parvenir. - Le défi de la demande collective: première occasion de réappropriation de la négociation par les membres, la préparation de la demande syndicale et la définition des priorités doivent s'effectuer avec la participation la plus active possible du plus grand nombre. Il y a là un rendez-vous majeur à ne pas manquer. Lors de la dernière ronde, nous avons effectué quelques percées prometteuses pour l'avenir, réussi à freiner les demandes patronales et poursuivi le colmatage de certaines brèches ouvertes par les décrets de 1982. Il nous faut cependant reconnaître que les acquis n'ont pas été suffisants pour enrayer la dégradation des conditions de travail et des services publics. A cet égard, rappelons à grands traits les propos communs entendus de la bouche de nos membres lors de notre tournée récente, propos confirmés par d'autres enquêtes et consultations: détérioration continue des conditions de travail de la majorité des personnels, précarisation accrue de l'emploi, réduction de la diversité et de l'accessibilité des services publics, impacts majeurs de nouveaux problèmes sociaux, réduction des rôles des personnels à des fonctions d'exécutants, dévalorisation de l'apport des personnels, déplacement des priorités politiques du soutien approprié aux clientèles les plus défavorisées vers des services de pointe aux clientèles les plus favorisées, inquiétude certaine sur notre capacité collective à satisfaire raisonnablement les aspirations des membres, compte tenu des défis que nous devons relever et de la conjoncture dans laquelle il faudrait le faire. La prochaine négociation. Voilà, du point de vue de nos membres, les questions auxquelles il faut nous atteler lors de la prochaine négociation qui, comme toutes les autres, revêt une grande importance stratégique dans la détermination de nos choix collectifs de développement. Collectivement, nous ne sommes peut-être pas suffisamment conscients du rôle que jouent les négociations des secteurs public et parapublic. Nos alliés naturels non plus. Il revient, naturellement, à l'ensemble de la structure militante de nos organisations d'oeuvrer, en permanence, au relèvement de cette conscience. D'ailleurs, les chiffres étant compris de tous, allons-y de quelques données révélatrices. Sait-on que - de 1981 à 1987 le PIB a augmenté de 59 %, l'IPC a augmenté de 38 %, et nos salaires de 22 % seulement? - les compressions imposées au budget de l'enseignement ont été 2,32 fois plus grandes que celles de l'ensemble des dépenses du gouvernement du Québec? - c'est la compression de la rémunération des employées et employés des secteurs public et parapublic qui a financé la réduction du déficit et les nouveaux projets gouvernementaux? Somme toute, notre situation est assimilable à celle d'une catégorie de citoyennes et citoyens qui se feraient imposer une taxe spéciale de 30 % de leur revenu total, tout en demeurant assujettis au régime fiscal général. Devant de telles réalités, qui peut prétendre que l'enseignement public a reçu sa juste part des budgets et de la production économique des dernières années? Et où peuvent bien vouloir en venir ces gens qui parlent encore de coupures et de compressions? La négociation collective est un outil indispensable à l'amélioration des conditions de travail de nos membres, de même qu'une occasion de répartition plus équitable de la richesse dans la société. C'est aussi un instrument essentiel à la démocratisation des rapports de travail et à la sauvegarde de l'autonomie et de la dignité de chaque salariée et salarié. Et le meilleur moyen de faire reconnaître notre droit à la négociation collective, c'est de l'exercer vigoureusement, tout en étant conscient qu'une négociation ne se terminera jamais par un renversement de gouvernement ni par le changement complet de toutes ses politiques, mais plutôt par un compromis mutuellement acceptable compte tenu du contexte général. En vue de la prochaine ronde de négociation, notre instance de coordination (la CICC-N) a retenu, pour fins de consultation et de débats, les trois orientations qui suivent: bien cibler les priorités dès la phase de préparation, favoriser la détermination de priorités communes, lier nos priorités de négociation aux besoins sociaux. Après consultation, nous en sommes arrivés aux thèmes suivants comme objets de priorités communes: - le développement des services publics et l'accroissement des ressources dans les services publics: - le développement de l'emploi, y incluant la protection des emplois existants la déprécarisation des emplois et les mesures appropriées d'accès à légalité; - les conditions d'exercice du travail, y incluant l'aménagement de la fin de la carrière; - la rémunération, particulièrement sous deux angles: le niveau général de la rémunération et, là où il y a lieu, la correction des iniquités salariales: - la pleine négociabilité de nos conditions de travail (lois 37 et 160). L'ampleur du terrain à couvrir n'échappe à personne. La dimension politique de tels enjeux et objectifs non plus. L'engagement des membres, et au premier chef, d'un large bassin de militantes et militants est à réussir; la mobilisation collective de l'ensemble de nos composantes et affiliés est indispensable; la construction d'alliances syndicales et sociales larges est déterminante. Sous réserve des responsabilités particulières dévolues par nos statuts aux instances des fédérations, aux affiliés et à nos organismes de coordination, ce Congrès constitue un carrefour privilégié pour dessiner le profil d'un corridor d'action rassembleur, unificateur et stimulant, qui nous serve d'inspiration pour les mois à venir. Outre la préparation technique de nos dossiers, il faut d'abord assurer la compréhension des enjeux et bâtir la mobilisation autour de ces enjeux, celle de nos membres, et celle de tous les secteurs de l'opinion publique qui nous sont accessibles, et qui ont intérêt, tout comme nous, à ce que nos services publics redeviennent une priorité collective reconnue. Ainsi considérée, dans toute son ampleur revendicative, sociale et politique, la négociation, c'est le coeur de notre mandat syndical. Il ne saurait y avoir d'autre plus pressante priorité à compter de la rentrée prochaine. L'action politique syndicale au coeur de nos espoirs de changement. Lorsqu'on prend le temps de réfléchir au sens fondamental des droits d'association, de négociation, de grève, on se rend compte de leur caractère politique. Dans le secteur public, - à cause de la nature des intervenants, de l'impact de l'événement, du rôle de l'opinion publique et des effets d'entraînement, - mais aussi parce que la négociation concerne les services publics et questionne les choix budgétaires et fiscaux, le caractère politique de la négociation est plus apparent que dans toute autre négociation collective. Pendant longtemps, nous avons eu tendance à ériger des cloisons étanches entre l'action syndicale «proprement dite» et l'action sociale et politique. Mais nous avons appris que les objectifs sociaux et politiques majeurs qui nous rassemblent ne peuvent être tous atteints par la négociation collective. Comment faire, sans action politique syndicale, pour élargir et consolider les droits syndicaux au Québec? Comment agir pour que soit adoptée une stratégie de plein emploi? Comment contribuer à la consolidation et à l'amélioration des programmes de sécurité du revenu (assurance-chômage, aide sociale, régimes de retraite...)? Comment oeuvrer à la démocratisation des services publics? Comment influencer les choix politiques pour faire en sorte qu'une réponse soit apportée aux nouveaux besoins sociaux qui s'expriment? Comment intervenir pour en arriver à une gestion démocratique de nos avoirs collectifs et à une plus grande équité fiscale? Comment promouvoir la défense de la langue et de la culture françaises? Comment soutenir le respect des droits humains et l'élimination des discriminations, et agir en faveur de la paix et du désarmement? La plupart de ces objectifs ne peuvent être atteints par la seule négociation collective. D'autres moyens d'action doivent être envisagés. Soulignons, par exemple, les interventions pédagogiques sur la paix et sur les droits humains, la Rencontre internationale syndicale organisée à l'occasion du Sommet de la francophonie, l'important colloque sur l'apprentissage du français... Mais la Centrale a surtout utilisé deux canaux: la représentation syndicale à diverses tribunes, notamment les commissions parlementaires, et la participation à des coalitions. Cependant, si toutes ces interventions ont permis d'influencer l'opinion publique, elles ne sont manifestement pas suffisantes pour infléchir durablement le changement. Il nous faut réexaminer nos moyens d'intervention et nous donner une action politique syndicale plus forte. C'est ce que nous avons entrepris depuis quelques années. Nos réflexions et nos discussions nous ont conduits aux conclusions suivantes: la relance de l'action politique à la CEQ passe à la fois par le renforcement du consensus interne, la recomposition de notre action extra-parlementaire, la concrétisation de nos solidarités et le renforcement de notre influence sur la scène parlementaire. Force nous est de faire ce constat: que ce soit en rapport avec nos préoccupations professionnelles ou avec la situation internationale, le consensus interne autour de priorités communes est une condition indispensable à l'action politique syndicale. D'autre part, ce qui fonde l'autonomie de l'action politique d'une organisation syndicale, c'est sa capacité de soutenir elle-même ses représentations politiques et d'exercer en propre une pression politique significative. La CEQ doit donc non seulement maintenir une politique de représentation active au niveau des lieux de consultation, mais elle doit aussi se donner les moyens de soutenir ses représentations par des campagnes d'opinions et des interventions appropriées. Pour qu'une priorité syndicale s'inscrive à l'agenda politique et aboutisse finalement à une décision politique, il faut un patient travail d'enracinement, de promotion, de débat et de mobilisation; et cela, non seulement au niveau national mais dans les régions. Par ailleurs, l'action politique syndicale se nourrit de solidarités concrètes. A cet égard, il existe un potentiel surprenant. L'ouverture manifestée par les membres de la CEQ à la coopération internationale (alphabétisation au Nicaragua, projets en Haïti) et à certaines campagnes de solidarité (Chili, Afrique australe, Palestine) constitue une illustration réelle de ce potentiel qu'il nous faut continuer de développer. Enfin, notre réflexion nous a menés à la conclusion qu'on ne peut faire l'économie d'une action et d'une présence au plan parlementaire. Manifestement, il y a une roue qui manque à notre chariot. Il faut se donner les moyens d'interpeller directement les partis politiques dans la perspective de mieux faire valoir la pertinence de nos analyses et de nos revendications, et de s'assurer une influence significative sur la scène politique concrète. Le débat sur les formes à donner à cet engagement doit se poursuivre, certes, mais l'expérience de l'action nous guidera aussi, dans la mesure où certaines conditions établies seront respectées, tels la préservation de l'autonomie et de l'unité de la Centrale ainsi que le contrôle démocratique de l'organisation. Sommes-nous prêts à franchir le pas d'un renforcement de l'action politique syndicale? A accomplir maintenant l'étape réalisable, avec nos membres, dans nos milieux? Nous vous proposons d'en discuter ouvertement pendant ce Congrès, puisqu'il s'agit d'une dimension incontournable de notre mandat syndical. Il y a belle lurette qu'en d'autres milieux la nécessité d'une action collective de type politique a été reconnue. Pour notre part, nous avons surmonté nos inhibitions d'il y a 15 ou 20 ans. Il nous reste à nous organiser, méthodiquement, concrètement: à passer des paroles et des écrits aux actes... Le développement de la Centrale au coeur de notre capacité d'agir. En devenant «Centrale de l'enseignement» en 1974, notre organisation entrait de plain-pied dans le mouvement syndical québécois. Progressivement, elle allait s'ouvrir à d'autres groupes que celui des enseignantes et des enseignants. Cette évolution s'est continuellement accompagnée d'une volonté acharnée de défense et de promotion des services publics du Québec et d'un souci constant d'unité à l'interne et de solidarité avec le mouvement syndical et populaire à l'externe. Le moment est venu aujourd'hui de franchir une étape majeure dans le débat sur l'avenir de notre organisation, débat qui a cours dans nos rangs depuis quelques années. Permettre à notre organisation de devenir aussi légitimement crédible dans des secteurs comme la santé et les services sociaux, la fonction publique ou les communications, au même titre que nous le sommes devenus en éducation: voilà la démarche que nous avons engagée et qui ne peut qu'être profitable à l'ensemble de nos membres. Déjà en 1983, nous faisions le constat suivant: «il est évident que le mouvement syndical, tel qu'il se présente actuellement dans le secteur public, manque d'unité: peu de cohésion, guère de cohérence et une solidarité bien aléatoire». Cinq années et une ronde de négociation plus tard ne nous permettent pas de changer un iota à ce diagnostic. Mais en 1983, nous posions aussi la question suivante: «Allons-nous nous condamner à «constater» ces problèmes sans tenter de mieux nous organiser pour l'avenir?». En effet, plutôt que de sombrer dans le fatalisme, nous avons proposé la relance et la consolidation du syndicalisme dans le secteur des services publics. En 1988, les mêmes objectifs nous animent toujours. Nous avons vécu des coalitions, des cartels et des fronts communs. Tout cela était souhaitable et devra continuer à se faire. Mais nous avons connu les limites et les difficultés de ces formes d'organisation. Dans les moments-clés, des liens plus solides nous auraient permis de mieux servir les travailleuses et les travailleurs. Toutefois, la perspective de créer «une nouvelle centrale», comme nous l'écrivions en 1983, s'est transformée. Aujourd'hui, c'est par l'organisation syndicale sur le terrain que se concrétise notre développement, le tout porté par une pratique de rapprochement avec les organisations qui le désirent. Nous avons au fil des ans développé une conception du syndicalisme qui nous caractérise à bien des égards, une vision qui concilie autonomie et concertation, une pratique qui allie décentralisation du pouvoir et des moyens d'action avec unité d'action. Cette vision et cette pratique méritent, croyons-nous, d'être rendues accessibles à une plus grande partie des personnels des services publics, et au premier titre, à ceux qui ne sont pas syndiqués ou qui sont regroupés dans des entités indépendantes. Le regroupement au sein d'une CEQ transformée d'effectifs plus nombreux et plus diversifiés au sein du secteur public créera certainement une nouvelle dynamique syndicale. Au nom même des intérêts bien compris des groupes que nous représentons déjà, notamment en , éducation, nous avons tout à gagner à recomposer notre force et notre solidarité sur une base plus large, interprofessionnelle et multisectorielle. La CEQ a un vécu l'identifiant pour l'essentiel au secteur de l'enseignement. Le pari qui nous interpelle maintenant consiste à préserver et à conserver cet acquis tout en élargissant ce champ traditionnel de nos activités, avec la contribution d'autres groupes syndiqués qui ont aussi parmi leurs préoccupations la défense et la promotion des services publics. Le coeur de cette démarche repose sur l'idée que nous serons tous (de l'éducation, de la santé et des services sociaux, des loisirs, des communications, de la fonction publique, etc) plus forts, plus efficaces, mieux représentés, dans la lutte pour l'amélioration de nos droits et de nos conditions de travail et de vie, et que nous pouvons porter plus loin, parce qu'ensemble, nos aspirations sociales et démocratiques. Pour ce faire, pour sanctionner officiellement le cheminement réalisé et baliser le développement en cours, le présent Congrès est invité à procéder dès maintenant aux modifications appropriées aux statuts afin d'augmenter la capacité d'agir de notre organisation dans les années à venir. Nous avons choisi notre camp. Depuis quelques années, il est devenu à la mode d'ausculter cette institution un peu «inadaptée» que serait devenu le syndicalisme, les uns souhaitant sa dislocation, les autres sa relance. Question de point de vue. Question d'intérêts aussi. Mais nous soutenons qu'il y a en jeu plus qu'il n'y paraît a première vue. A travers et au-delà du syndicalisme dont on conteste ici et là la pertinence ou les stratégies, que l'on attaque même sans vergogne, c'est plus souvent qu'autrement notre patrimoine démocratique et social que l'on vise à démanteler. Ce patrimoine démocratique est constitué certes d'institutions parlementaires, de chartes et de législations, mais aussi d'un ensemble de valeurs et d'institutions qui sont à la base même de notre développement collectif, économique, social, éducatif et culturel. Nos écoles, collèges et universités, nos centres de santé et de services sociaux, nos équipements de garderies, de loisir, de communications et de culture, nos institutions économiques et financières publiques, nos grands services publics constituent autant d'actifs incessibles de notre société, autant de leviers essentiels de notre développement collectif et de notre épanouissement personnel. Alors que des calculs comptables à court terme nous en mettent plein la vue du côté des déficits et du niveau des dépenses publiques, on nous cache ce qui se passe dans la colonne des revenus de l'État, on ratatine notre potentiel, on hypothèque notre avenir. Il faut que le Québec reprenne la route, la route de son développement, la route du plein développement de ses ressources humaines. Les orientations mises en avant dans ce Rapport veulent contribuer à l'ancrage de notre action syndicale aux réalités de notre temps, aux réalités démographiques, sociales, éducatives de notre temps. Nous nous élevons contre «le chacun pour soi» si en vogue maintenant; nous nous élevons contre la privatisation de nos problèmes de société et de nos défis de développement. Les réponses à ces problèmes et à ces défis sont devant nous, non derrière nous. Mais ces réponses se bâtiront avec les matériaux et à même le patrimoine dont nous disposons maintenant, non pas en lui tournant le dos. En choisissant notre camp, celui du renforcement de nos acquis collectifs et de nos services publics, nous faisons le pari qu'il est possible de consolider le caractère démocratique de notre société et de préserver les fondements de notre démocratie sociale. En faisant le choix de renforcer notre capacité d'agir comme centrale syndicale et comme composante du mouvement syndical québécois, nous prenons la décision de nous équiper pour faire face, plus pleinement encore, à nos responsabilités, celles d'inscrire «notre travail au coeur du progrès social».