*{ Discours néo-libéral CEQ, 1990 } Deux années au coeur du progrès social. Les deux années qui se sont écoulées depuis le dernier Congrès ont été particulièrement exigeantes pour notre organisation. Nous avons vécu des moments difficiles dans une conjoncture canadienne et québécoise s'inscrivant dans les grandes tendances de redéploiement des économies occidentales. Ces tendances s'y sont retrouvées souvent amplifiées à cause de la faiblesse de notre structure industrielle, mais elles ont aussi souvent été compensées par notre volonté collective de préserver ce qui fait notre identité et notre spécificité. Nous avons, en effet, assisté ces dernières années à des bouleversements économiques dont l'ampleur n'a d'égale que la rapidité avec laquelle ils sont survenus. L'imbrication croissante des diverses économies nationales laisse poindre une véritable planétarisation de l'économie avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur notre quotidien. Plus que jamais, le fossé entre pays riches et pauvres s'élargit et ce, à un point tel que le quart de la population - regroupé dans les pays de l'OCDE - assure les deux tiers de la production mondiale. Le Japon à lui seul possède un produit national brut supérieur à celui de l'ensemble du continent africain. L'ampleur de ces déséquilibres a de quoi laisser songeurs même les plus optimistes et il semble acquis que l'écart grandissant entre pays riches et pauvres deviendra inévitablement un enjeu central des années quatre-vingt-dix. Par ailleurs, nous vivons un débat sociétal d'envergure autour du nécessaire équilibre à maintenir dans l'arbitrage des objectifs d'efficacité économique et de justice sociale. Pendant que les pays de l'Est se sont engagés dans un mouvement frénétique d'où émergeront sans doute une multitude de modèles de développement, la Suède requestionne sa ferveur social-démocrate et un vaste mouvement de désengagement de l'État secoue, à des degrés divers, plusieurs pays occidentaux, dont le nôtre. De fait, un des traits marquants de la gestion socio-économique a été la volonté des pouvoirs politiques de modifier le rôle du secteur public. En termes de participation directe à l'activité économique, les deux paliers de gouvernement se sont retirés de plusieurs secteurs, privatisant une multitude de sociétés d'État en plus de restreindre et de privatiser des pans entiers des services publics. Et ce n'est pas parce que le gouvernement du Québec n'a pas appliqué dans-toute leur brutalité les recommandations des rapports Gobeil, Scowen et autres « sages » qui préconisaient le démantèlement des conquêtes québécoises du dernier quart de siècle, qu'il n'a pas posé, de manière feutrée mais indiscutable, toute une série de gestes dans ce sens. Une vague importante de déréglementation économique et sociale est venue ajouter plus de vigueur à un mouvement dit de libéralisation des forces du marché. Le libre-échange canado-américain, érigé en véritable fétiche, s'inscrit dans cette foulée et constitue un pas de plus vers une homogénéisation plus poussée des politiques économiques et sociales de chaque côté du quarante-cinquième parallèle. Compte tenu de la force respective du Canada et des États-Unis et du modèle de développement préconisé par nos voisins du Sud, il serait surprenant que le processus de nivellement nous favorise. Et ce n'est certes pas l'inclusion probable du Mexique qui viendra modifier sensiblement cet état de choses. L'absence de volonté politique de s'engager très activement face au chômage chronique constitue un bon reflet du laisser-faire préconisé par les gouvernements qui se sont laissés porter par la vague de croissance tout en confiant à l'entreprise privée la responsabilité de restructurer l'économie et de créer des emplois. Ils ont multiplié les concessions fiscales pour favoriser les investissements et ont adopté un vaste train de mesures qui ont modifié en profondeur nos politiques sociales. Le sous-financement devient la règle. En matière d'éducation publique, par exemple, le sous-financement par l'État est devenu la règle. S'il faut dire que le fédéral n'aide pas en réduisant de manière draconienne ses transferts aux provinces, le gouvernement du Québec a, quant à lui, réduit sensiblement les ressources consacrées à l'éducation. Du côté de la santé et des services sociaux, la progression des dépenses publiques a à peine surpassé l'inflation, ce qui en termes réels est un affaiblissement compte tenu du contexte où la population vieillit rapidement et la demande de soins de santé croît à un rythme soutenu. L'abolition de l'universalité des pensions de vieillesse et des allocations familiales représente un virage majeur de la politique sociale canadienne. La réforme de l'assurance-chômage, c'est la guerre aux chômeuses et chômeurs. Les réformes de l'aide sociale et du régime des prêts et bourses sont autant d'illustrations du harcèlement de l'État contre les plus démunis au nom de l'intérêt public. Quant à la véritable passoire fiscale - qui laisse passer les plus gros poissons pour resserrer ses mailles sur les plus petits - elle se poursuit tant à Québec qu'à Ottawa où l'impôt est de moins en moins équitable, pour servir le mythe de la lutte au déficit. La mystification a été particulièrement marquée au Québec: jamais la situation financière du gouvernement québécois n'a-t-elle justifié des restrictions aussi sévères que celles imposées non seulement au personnel du secteur public, aux bénéficiaires de l'aide sociale, aux usagères et usagers des services de santé et aux étudiantes et étudiants, mais à l'ensemble de la population. Le gouvernement du Québec s'est servi de manière élastique de la présumée bonne gestion des finances publiques pour remodeler le rôle de l'État. Profitant d'une conjoncture économique plus que favorable, Québec a bénéficié de revenus budgétaires plus élevés que prévus au cours des dernières années. Mais il n'a pas desserré l'étau sur les dépenses publiques, de telle sorte que leur part dans l'économie a continuellement diminué depuis 1980. Le Québec a donc réussi à réduire sensiblement son déficit et tous les indicateurs confirment la bonne santé des finances publiques québécoises malgré le récent ralentissement économique. Une négociation dans l'adversité. C'est dans ce contexte que s'est déroulée la dernière négociation du secteur public et parapublic québécois, qui a duré 16 mois dans les conditions les plus dures et les plus adverses. Certes nous savions que nous n'aurions pas la partie facile. Québec niait dès le départ l'existence même des problèmes que nous soulevions. Ses partenaires patronaux, fidèles à eux-mêmes, poursuivaient dans la ligne qui a toujours été la leur: celle de la récupération des pouvoirs et du renforcement de l'arbitraire. C'est la rigidité, l'obstination et l'entêtement qui ont caractérisé l'attitude patronale tout au long de la négociation. Il faut avoir été aux tables, il faut avoir passé des heures interminables en rencontres, il faut avoir argumenté inlassablement face à des murs qui - cette fois - n'avaient pas d'oreilles, pour saisir vraiment l'intransigeance des employeurs. Cette négociation aura aussi été celle de la répression institutionnalisée, particulièrement dans le secteur de la santé et des services sociaux avec la loi 160, sorte de loi 111 permanente. Malgré cela, nos membres de ce secteur ont livré une lutte à certains égards admirable qui a produit des résultats indiscutables quoique insuffisants sur plusieurs aspects. Nos membres du secteur de l'éducation ont eux aussi mené une lutte importante tempérée toutefois par les difficultés de mobilisation rencontrées chez plusieurs affiliés du groupe des enseignantes et enseignants de commissions scolaires. Il faut aussi souligner que face à une partie patronale soudée dans son intransigeance, le mouvement syndical était plus divisé qu'auparavant. Bien sûr, la CEQ était pour la première fois la plus importante et la plus représentative des organisations du secteur public, mais nous étions, malgré tout, près d'une dizaine de groupes à nous présenter devant le gouvernement à des moments différents, avec des mandats distincts et des objectifs peu harmonisés. Notre alliance avec la CSN a sans doute permis un meilleur contrôle de la situation à partir d'un certain moment. Mais nous étions bien en deçà de ce qu'une coordination intersyndicale serrée, voire une solidarité réelle aurait pu produire comme résultat. Malgré toutes les embûches rencontrées, il nous faut aussi constater. sobrement mais lucidement, que les résultats dans l'ensemble marquent un redressement des tendances, une brèche dans les politiques de l'État. Nous avons en effet réussi à forcer le gouvernement du Québec à réinvestir dans le système public d'éducation, ce qui, on l'a vu, n'était nullement dans ses intentions. L'amélioration des régimes de retraite constitue un autre progrès accompli. Le virage amorcé pour freiner un tant soit peu la précarisation de l'emploi constitue un pas qui a été franchi. L'acceptation par le gouvernement d'entreprendre des négociations abordant la question de l'équité salariale représente aussi un progrès, même s'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Et si les résultats de la négociation ne répondent pas à toutes nos attentes, nous avons la conviction profonde de savoir que tout ce qui devait être fait a été fait. Il reste à rappeler qu'une négociation n'est d'ailleurs jamais tout à fait terminée, les résultats d'une ronde devant servir de tremplin pour les rondes suivantes. D'ici là toutefois nous entreprenons, dès la rentrée prochaine, I'opération-bilan de cette négociation qui ne se veut pas un simple exercice de routine ou une narration des événements et des dates. Nous avons opté pour un bilan critique qui ira au fond des choses, un bilan en profondeur qui portera le débat et la réflexion dans l'ensemble des syndicats et auprès du plus grand nombre possible de membres. Ce sera aussi un bilan constructif permettant de changer les choses à la prochaine ronde, car la négociation du secteur public ne sera plus jamais la même à l'avenir. L'ampleur de la négociation du secteur public, sa durée et les énergies qu'elle draine ne doivent cependant pas nous faire oublier que la Centrale négocie plus de 120 conventions collectives entre deux congrès. Des négociations qui impliquent sans doute moins de membres, mais qui sont aussi difficiles et exigeantes. Il suffit de songer au secteur d'enseignement privé dans lequel les tendances à la restriction trouvent facilement écho; qu'il s'agisse des garderies ou du secteur des loisirs où l'on est littéralement étouffé par les problèmes chroniques de sous-financement et par les coupures budgétaires gouvernementales; qu'il s'agisse enfin du secteur universitaire qui n'est pas non plus à l'abri des tendances dominantes de notre société. La situation des services publics. Je viens d'évoquer les politiques sociales et économiques des gouvernements. Leur impact sur les services publics et, par là, sur l'exercice de nos métiers est loin d'être négligeable. Dans le monde de l'éducation, si la dernière négociation nous a permis d'infléchir une tendance, les restrictions et les reculs des dernières années sont loin d'avoir été rattrapés. La formation professionnelle des jeunes demeure le parent pauvre de notre système d'éducation. De réforme promise en promesse non tenue, elle est plus que jamais soumise aux besoins à court terme des entreprises et de moins en moins démocratique, c'est-à-dire répondant de moins en moins aux attentes de la majorité. Entre-temps, échecs et abandons se multiplient chez les jeunes qui ont pourtant bien besoin de ce que leur apporte l'école. Par ailleurs, c'est encore et toujours le fouillis à l'éducation des adultes où les querelles de juridiction entre les différents niveaux de gouvernement et la multiplicité des intervenants empêchent toujours le Québec de se doter d'une politique globale de formation continue. En cette Année internationale de l'alphabétisation, comment ignorer les chiffres troublants sur le nombre d'analphabètes que nous avons au Québec, pourtant l'un des pays les plus riches de la planète. On ne saurait non plus passer sous silence l'augmentation des frais de scolarité pour les étudiantes et les étudiants qui fréquentent l'université, une décision injuste, injustifiée et injustifiable qui va augmenter le phénomène de l'abandon scolaire et restreindre l'accessibilité des jeunes aux études supérieures alors qu'il reste tellement à faire pour atteindre un niveau comparable à celui de l'Ontario ou plus simplement à celui des Anglo-Québécois. Le ministre de l'Éducation a déjà déclaré qu'il ne voyait pas de a drame national » s'il y avait 10 % d'abandon scolaire. C'est là une différence fondamentale qu'il y a entre lui et nous. Pour la CEQ, chaque étudiante et chaque étudiant doivent être soutenus afin de repousser les limites de leur possible; l'école, le collège et l'université doivent les amener à se dépasser eux-mêmes; et plus ils seront nombreux à se rendre à l'université, meilleur sera notre système scolaire. C'est cela le niveau d'excellence que nous recherchons; c'est cela la performance que doit accomplir l'école québécoise. Il faut aussi dénoncer avec vigueur la réforme prévue de la fiscalité scolaire qui n'augure rien de bon pour l'avenir. Avec la nouvelle manie de nos gouvernements de a pelleter » une partie de leurs responsabilités budgétaires dans la cour des autres, nous nous retrouvons avec des pouvoirs de taxation accrus pour les commissions scolaires, certes, mais nous nous retrouvons surtout avec un nouveau geste de désengagement de l'État. De plus, la fiscalité scolaire étant fondée sur la valeur foncière des propriétés d'un territoire, elle est non seulement régressive mais il est fort à parier qu'elle créera des commissions scolaires riches et des commissions scolaires pauvres; avec des écoles mieux nanties pour les unes et plus démunies pour les autres. Ce n'est pas du tout là l'esprit qui a présidé à la formation du ministère de l'Éducation il y a 25 ans. En faisant sa réforme de la fiscalité scolaire, le gouvernement ne fait pas qu'abdiquer ses responsabilités. Il abdique tout court! Dans les services de santé, on assiste aussi à un désengagement graduel de l'État et à diverses formes de privatisation qui risquent de s'accélérer dans l'année qui vient. La réforme du système de santé et de services sociaux qui devait suivre la publication du rapport de la Commission Rochon n'a toujours pas eu lieu. Par ailleurs, les orientations retenues et les gestes posés marquent clairement la volonté de l'État de réduire ses coûts et son implication dans ce secteur. Sous prétexte du désengagement financier du gouvernement fédéral et de l'énormité des coûts de santé et de services sociaux, même s'il s'avère que la croissance de ces dépenses est sous contrôle, le gouvernement applique de nombreuses coupures dans les secteurs suivants: soins dentaires aux enfants, physiothérapie, certains médicaments et traitements pour personnes âgées et bénéficiaires d'aide sociale, etc. En plus de favoriser le développement des ressources privées d'hébergement pour personnes âgées plutôt que de développer les centres d'accueil et d'hébergement publics, le gouvernement tend à appuyer une nouvelle vague de désinstitutionnalisation, cette fois vers les familles d'accueil et les familles naturelles. Le gouvernement nourrit également d'autres projets importants de privatisation, notamment des services de buanderie et de cafétéria. Toutes ces transformations s'élaborent étape par étape, morceau par morceau, au son d'une campagne idéologique mettant de l'avant l'endettement de l'État, les soi-disant abus des bénéficiaires, les coûts croissants de la santé au Québec, les coûts anticipés faramineux, compte tenu du vieillissement de la population. Même l'Association des hôpitaux du Québec y est allée de sa proposition de redéfinition complète de nos services de santé. a Faisons payer les malades! », tel a été l'essentiel du slogan des administrateurs hospitaliers. Certes, il ne s'agissait là que de présumées « propositions pour contribuer au débat ». Mais ce débat n'en est pas un, lui qui se fait constamment dans la même direction dans le but d'influencer l'opinion publique québécoise et ainsi l'amener à renoncer à un acquis social auquel elle tient profondément. Les propres sondages menés par l'AHQ ont d'ailleurs clairement démontré que l'écrasante majorité des Québécoises et des Québécois tient encore beaucoup à l'universalité et à la gratuité des soins de santé. Enfin, point n'est besoin d'un long plaidoyer pour faire état de la situation dramatique que vivent les secteurs des garderies et des loisirs. C'est pratiquement une lutte de tous les instants pour la simple survie que mènent nos membres qui oeuvrent dans ces secteurs. Condition des femmes: le meilleur et le pire. Au chapitre de la lutte des femmes, nous avons connu le meilleur et le pire Le meilleur, il est venu de la force renouvelée et de la vitalité retrouvée du mouvement féministe à l'occasion de l'affaire Chantal Daigle. A cette occasion, des milliers de femmes se sont levées pour dire que c'en était assez que les politiciens, les juges, les parents, les conjoints disposent de leurs corps et pour réaffirmer dans la détermination et la sérénité que, oui, les femmes sont capables de disposer d'elles-mêmes, qu'elles ont atteint la maturité et la majorité. Et qu'elles ont le droit à l'autodétermination de leur présent et de leur avenir. Le pire, il est venu en ce jour de mai où le Parlement du Canada a décidé de recriminaliser l'avortement; geste d'une gravité exceptionnelle compte tenu de l'impact qu'il aura à la fois chez nous et à l'étranger. Ici, il limitera l'accès à l'avortement aux personnes qui ont le plus de moyens, transférera la responsabilité de la prise de décision de la femme au médecin et rendra plus dangereuse la pratique de l'avortement qui se fera davantage dans la clandestinité. Ailleurs, c'est par l'exemple que nous prêcherons. Une Africaine me disait récemment être horrifiée par les conséquences de la décision de notre Chambre des communes dans son pays. « Pour nous, affirmait-elle, vous êtes un exemple. Avec ce qui vient d'arriver, notre gouvernement qui était déjà réticent à nous concéder ce droit, risque d'en profiter pour reculer». Nous ne soupçonnons pas toujours à quel point les décisions prises ici, se répercutent ailleurs. Le meilleur, il est aussi venu à l'occasion des 50 heures du féminisme où, à l'occasion de l'anniversaire du demi-siècle de droit de vote des Québécoises, des centaines, voire des milliers parmi elles se sont rassemblées pour fêter ce que nous sommes devenues et prendre la mesure de nos attentes et de nos espoirs. Il est enfin venu par le début de reconnaissance de la profession de sage-femme, un petit pas en avant dont l'importance n'apparaît évidente que lorsque l'on sait la farouche opposition de la Corporation professionnelle des médecins du Québec à cette forme d'accouchement. Là encore on ne voulait même pas accepter que c'est aux femmes de décider. Le pire, il est aussi venu en cette journée du mois de décembre dernier alors que dans un établissement d'enseignement universitaire que d'aucuns croyaient à l'abri des violences, quatorze jeunes filles sont tombées sous les balles d'un tueur pour la seule raison qu'elles étaient des femmes. Ce sanglant épisode est venu nous rappeler brutalement à quel point les acquis sont vulnérables, à quel point la violence faite aux femmes est omniprésente. Elle s'est exprimée dans une telle horreur ce jour-là mais elle est constante dans le harcèlement, pour beaucoup de femmes battues, dominées et dépendantes. Enfin, mouvement de masse, le mouvement féministe a également vécu la marginalisation, une certaine désaffection et une réduction de sa zone d'influence. Tout comme le mouvement syndical et les autres forces dérangeantes de notre société, il a connu sa part de ralentissement admirablement exprimé par la formule lapidaire d'une collègue féministe: « Derrière chaque homme nouveau, il y a une féministe épuisée! ». La formule porte, mais elle n'en est pas moins rigoureusement exacte. La question nationale et linguistique. Un autre front majeur de lutte de la Centrale est celui de la question nationale et linguistique. Le Québec français que d'aucuns croyaient mort était simplement assoupi. Et lorsqu'il s'est éveillé, il a donné lieu à des rassemblements de masse comme on n'en avait pas vu depuis longtemps. Montréal a vu la plus importante manifestation de l'histoire du Québec se dérouler dans ses rues et proclamer notre volonté de défendre et promouvoir notre identité. La CEQ a repris la place qui lui revenait dans le débat linguistique alors que les tergiversations, les contradictions et le laxisme du gouvernement Bourassa en la matière ont lancé des signaux que d'aucuns ont qualifiés d'ambigus mais qui ont, très clairement, été interprétés pour ce qu'ils reflétaient: un manque flagrant de volonté politique d'affirmer clairement le caractère français du Québec et de prendre les moyens qu'il faut pour y parvenir. C'est ainsi que nous nous sommes engagés, de concert avec toutes les Québécoises et tous les Québécois qui ont encore le goût d'eux-mêmes, à combattre le bilinguisme dans l'affichage commercial à l'extérieur comme à l'intérieur, nous avons proclamé haut et fort que le français n'était pas une langue de façade, nous avons mis en garde le gouvernement contre la bilinguisation des panneaux de signalisation routière et avons constaté sans grande surprise que les conclusions du groupe de travail mis sur pied par le ministre Ryan n'avaient pas eu l'heur de convaincre le ministre des Transports Sam Elkas. Il est vrai que les recommandations ne préconisaient pas le retour au bilinguisme institutionnel et que l'on continue de prétendre, en certains milieux, que le français tue sur les autoroutes québécoises. La question linguistique a également été omniprésente dans les services publics et elle s'est répercutée dans le quotidien de nos membres. Après avoir élargi l'accès à des services de santé en anglais, après avoir tenté - en vain - d'amener les entreprises publiques québécoises à réduire leurs exigences en matière de connaissance du français soi-disant pour favoriser l'accès à l'emploi des communautés culturelles, après avoir amnistié inconditionnellement les enfants qui malgré la loi 101 ont fréquenté illégalement l'école anglaise durant des années, comment s'étonner dès lors du rejet du français que l'on observe dans certaines écoles à forte concentration pluriethnique de la région métropolitaine? Incapable d'affirmer clairement et sans hésitation le caractère français de la société québécoise, le gouvernement Bourassa n'a pas été davantage en mesure d'en affirmer le caractère distinct à l'occasion des dernières négociations constitutionnelles. La tragi-comédie du Lac Meech a peut-être pris fin techniquement mais il est possible d'affirmer aujourd'hui que ni le Québec, ni le Canada ne seront plus jamais les mêmes. On ne bâtit pas un pays en tordant les bras, on ne réussit pas les mariages en forçant les conjoints. C'est ce qui est ressorti de manière on ne peut plus limpide au cours des derniers mois. Nous avons pris conscience, collectivement, de notre existence comme peuple. Et c'est là le fondement même de ce qui fait les États. Notre vie en centrale. Au cours des derniers mois nous avons, par ailleurs, vécu une expérience exceptionnelle et fort enrichissante: la tournée nationale auprès des membres de l'ensemble des milieux et des régions pour faire le point sur notre vie syndicale et sur l'état de notre organisation. Nous livrons au Congrès un rapport franc, direct et sans complaisance, mais nous partons aussi de nos forces et de nos faiblesses pour un nouveau départ. Nos adhérentes et adhérents croient fermement en leur organisation syndicale; ils font confiance à leurs dirigeantes et dirigeants. C'est l'action collective qui est remise en cause. Celle qui les interpelle, qui les questionne, qui leur rappelle sans cesse qu'ils n'y trouveront que ce qu'ils y investiront. Mais, nous le savons, l'action syndicale c'est fondamentalement cela. Sa force et son influence résident essentiellement dans l'engagement des personnes qui composent l'organisation. C'est dérangeant, bien sûr. Et c'est infiniment moins confortable que d'autres organismes dans lesquels il suffit de verser des primes régulièrement pour être protégés en cas de problème. Mais il est infiniment plus valorisant et déterminant pour infléchir nos conditions de travail et de vie d'investir de soi dans l'action collective. C'est donc à redonner à nos membres le goût de réinvestir dans une organisation en laquelle ils ont confiance que nous proposons au Congrès d'engager notre mouvement. Celui-ci traverse aussi une certaine crise de croissance et d'ajustement. C'est normal quand on élargit ses rangs. Mais il faut bien prendre soin des prochaines étapes, faire le point sur notre modèle d'organisation, le partage des responsabilités et des rôles, refaire consensus sur ce qui nous unit et qui nous rassemble et faire en sorte que chacune de nos composantes trouve une centrale qui lui ressemble. Cette tournée aura également été l'aspect le plus visible de la « débureaucratisation » de la Centrale que nous avons entreprise et qui est sur la bonne voie. Elle doit toutefois se poursuivre, se compléter et s'étendre. La prise de conscience est faite au niveau national, il faut cependant que la débureaucratisation de nos pratiques, de nos habitudes et de nos mentalités s'étende à l'ensemble des syndicats et fédérations, autant chez les personnes élues, qu'employées. Car la bureaucratisation est une tentation permanente, une solution de facilité: pour les membres, c'est remplacer l'action collective par un coup de téléphone au syndicat qui réglerait tous les problèmes; pour les employés, c'est se confiner dans le seul travail technique spécialisé qui évite l'action-terrain; pour les élus, c'est s'enfermer dans le confort des idées reçues, limiter nos horizons aux instances et plutôt que vivre une démocratie réelle, nous contenter d'une démocratie formelle. Nous devons continuer à changer notre façon de voir et notre façon de faire les choses, redécouvrir la force du syndicalisme de terrain, mieux cerner l'essentiel de l'accessoire. On ne saurait cependant passer sous silence les difficultés financières que connaît la Centrale. Bien entendu, nous analyserons en profondeur toute la question de l'inadéquation des moyens par rapport aux besoins de la Centrale, aux attentes des affiliés, aux exigences de notre mandat syndical et aux nécessités d'un syndicalisme renouvelé et raffermi. Mais quelle que soit la voie qui nous sera proposée à l'issue des travaux, il n'en demeure pas moins vrai que nous avons oeuvré depuis deux ans dans un contexte financier fort difficile, qui nous a forcés à faire parfois des choix douloureux. Ceci ne nous a pas empêchés de conclure des conventions collectives avec les syndicats et associations qui regroupent nos différentes catégories d'employés que je veux remercier devant le Congrès pour le travail accompli au jour le jour, souvent dans l'ombre, au service de l'organisation et de ses membres. Notre champ d'intervention. Nous avons aussi fourni de très importants efforts pour élargir le champ d'intervention et accroître la zone d'influence de la Centrale. Nos travaux pour contrer le harcèlement sexuel nous ont amenés à devenir la première organisation syndicale à se doter d'une politique complète à cet égard. Nous avons mené une campagne de promotion de l'école publique et nous n'avons pas ménagé nos efforts en vue d'occuper toute notre place dans le domaine de la santé et de la sécurité du travail. Nous sommes intervenus là où il le fallait et aussi souvent qu'il le fallait pour questionner les projets de loi qui portaient atteinte aux droits démocratiques et aux libertés fondamentales. Enfin, nous avons participé à de nombreuses coalitions et élargi nos alliances autour de plusieurs de nos préoccupations. Par sa composition donc, et par ses interventions, la CEQ occupe, croyons-nous, une place plus large sur la scène publique québécoise et elle a réussi à élargir sa zone d'influence malgré les difficultés qu'elle a connues en propre et celles qu'a connues le mouvement syndical et progressiste. Cette évaluation, nous le savons bien, n'est pas toujours partagée par l'ensemble de nos membres dont certains nous ont maintes fois mentionné l'insuffisance de la visibilité de la Centrale et de ses porte-parole sur la place publique. Cela m'amène à évoquer le rôle grandissant des médias dans notre société. Nous affranchir des médias. J'ai récemment eu l'occasion, à l'invitation du Conseil de presse du Québec, de faire une analyse sur la façon dont la presse jouait son rôle chez nous. J'avais rappelé le rôle de formation que doit jouer la presse et le fait qu'elle ne devait pas se contenter de rapporter les événements mais qu'elle se devait aussi de les mettre en perspective. J'avais signalé le fait que le sport, la politique et les affaires étaient infiniment mieux couverts que le monde du travail et les plus démunis. J'en veux pour preuve additionnelle le récent forum sur les femmes et la multidimensionnalité du pouvoir qui a été abondamment rapporté dans les médias, lesquels n'ont cependant - à une seule exception près pas soufflé mot des ateliers sur les femmes et le syndicalisme. Pourtant, dans le cas de l'écrasante majorité des femmes, c'est beaucoup plus par l'action syndicale qu'en fondant une entreprise qu'elles risquent de se développer, de s'épanouir, d'accéder à l'autonomie financière et de faire reconnaître leur travail à sa juste valeur. Mais parler à la fois de syndicalisme et de féminisme devait représenter un mélange bien trop explosif! On pourrait aussi mentionner la couverture médiatique des événements de polytechnique. Il aura fallu des heures pour avoir la certitude que les victimes étaient toutes des femmes. Pourquoi ce fait était-il si difficile à dire? Pourquoi était-il si pénible, si gênant de rapporter la réalité? Pourquoi a-t-on feint de ne pas comprendre les raisons de ce crime que le tueur lui-même avait expliquées? Pourquoi a-t-on demandé a autant d'hommes et à si peu de femmes et de féministes de faire la lumière sur l'événement? Oui, nos médias ont encore une fois failli dans leur mission de formation, manqué de perspective et évité d'aborder les vraies questions. Enfin, il est essentiel de rappeler que le pouvoir des médias s'étend jusqu'au choix des annonces publicitaires: les nôtres, pas celles qui font oeuvre d'abrutissement. C'est ainsi que la télévision de Radio-Canada a refusé cette année encore le message livré par la présidente de la Centrale, tout comme elle avait refusé celui - remarquable - livré par Pierre Bourgault et qui nous a valu la reconnaissance unanime du milieu de la publicité, des communications et des médias en plus de remporter un Coq d'or spécial pour la promotion de la culture. Cette même Société Radio-Canada qui nous inonde ad nauseam avec les émissions sportives lors des séries éliminatoires du hockey, du baseball et du football; qui retarde ou avance les bulletins de nouvelles parce qu'il y a égalité en troisième période ou qu'il faut aller au-delà de la neuvième manche; qui nous abreuve des discours insignifiants des onze premiers ministres pérorant sur le Lac Meech mais qui coupe subitement le discours montréalais de Nelson Mandela le mardi 19 juin à 19 heures sous prétexte que le temps consacré au bulletin de nouvelles est terminé. C'est cette société d'État qui jugeait « controversé » le message que je livrais, au nom de la CEQ, sur la dignité des personnes. Mais si j'aborde cette question aujourd'hui c'est parce que les médias vont jusqu'à façonner l'image que nous avons de nous-mêmes. Il est vrai que la couverture par les médias de leur négociation et de leur centrale a laissé amers et déçus nos adhérentes et adhérents en leur donnant l'impression qu'à cause de cela même leur lutte était moins importante. Je crois qu'il est essentiel que nous nous affranchissions un peu du pouvoir des médias et que nous nous dégagions un tant soit peu de leur influence; ne serait-ce que pour ce qui regarde notre action syndicale et nous-mêmes, sans évidemment renoncer à accentuer nos efforts pour que nos points de vue et nos actions soient davantage compris et mieux rapportés. Pour que fleurisse le changement. Notre trente-deuxième Congrès général est appelé à tracer la voie à suivre dans l'exercice de quatre grands mandats qui marqueront de façon déterminante à la fois notre centrale, ses membres et la société québécoise dans son ensemble. Au lendemain de la Fête nationale dont le thème « Un pays à faire rêver » ne peut laisser personne indifférent, il importe d'engager résolument la CEQ dans le débat sur l'avenir du Québec. Notre centrale a toujours eu le souci des questions constitutionnelles, confrontée qu'elle était au quotidien avec des structures scolaires sclérosées et pré-confédératives qui ne pouvaient être modifiées que par des amendements à la Constitution. Dans le cadre de ses interventions liées à la vie professionnelle de ses membres, il n'était pas rare de la voir aux prises avec les problèmes nés des conflits de juridiction entre les différents niveaux de gouvernement. Sa sensibilité aux questions linguistiques, qui sont intrinsèquement liées à la question nationale, l'a amenée à pousser sa réflexion à ce chapitre. Nous n'avons pas participé au débat référendaire il y a dix ans, nos membres ayant, dans les circonstances d'alors, préféré que la Centrale s'abstienne de prendre position. Cette fois, et à l'avenir, il faut que la CEQ intervienne dans le débat sur la question nationale. Et la question nationale, précisons-le, ce n'est pas le sort qui est réservé à l'Accord du Lac Meech, ce n'est pas l'évolution de la carrière politique de Jean Chrétien et ce n'est pas non plus la dernière opération de négociation sous pression de Brian Mulroney. La question nationale, c'est le devenir de la nation québécoise, son existence même. Il se passe actuellement quelque chose de déterminant dans le Québec d'aujourd'hui. Nous vivons des moments historiques qui, quel qu'ait été le sort de l'épisode Meech, marqueront à tout jamais notre nation. Entre la bêtise et l'intolérance, entre les tractations et les combines, il se dessine désormais ce que l'on appelle un grand courant politique que n'infléchiront que celles et ceux qui en seront. Il faut donc que la CEQ intervienne pour porter le point de vue propre de ses adhérentes et adhérents, pour défendre comme personne d'autre qu'elle ne peut le faire la place et l'importance de l'éducation, de la santé et des services publics dans notre société d'avenir. Il faut que la CEQ intervienne pour défendre les intérêts propres de ses adhérentes et adhérents, s'assurer du rôle qu'ils seront appelés à jouer, peser de tout leur poids pour infléchir les priorités. Avec la question nationale, on le sait, ce sont les structures scolaires qui sont en débat. Ce sont les droits à l'éducation et à la santé qui sont l'enjeu. C'est le droit des femmes à l'égalité qui est en cause. C'est le Québec français qui se joue. Dans le débat sur la question nationale, qui est appelé à devenir le combat de la question nationale, il ne suffira pas d'être vigilants. Il faudra aussi investir de nous-mêmes. Dans toutes les nations du monde, dans tous les pays, les organisations syndicales ont toujours joué un rôle capital dans les luttes de libération nationale, dans les combats pour l'épanouissement des peuples, dans les débats sur les États en voie de constitution. De plus, l'éducation, l'école et celles et ceux qui la font ont joué un rôle de premier plan pour façonner l'histoire. Depuis dix ans, le Québec a évolué et les membres de la CEQ aussi. Aujourd'hui ils sont en faveur de l'indépendance du Québec et une vaste majorité d'entre elles et eux est d'accord pour que leur centrale fasse la promotion de la souveraineté. Dans la fierté et l'espoir. Il faut préciser ici que notre prise de position n'a strictement rien à voir avec l'Accord du Lac Meech et le psycho-drame constitutionnel auquel il a donné lieu. L'indépendance d'un peuple n'est pas affaire de conjoncture, ce n'est pas un réflexe passager ou temporaire dû aux circonstances. L'indépendance, c'est un choix. C'est le choix de bâtir un pays qui nous ressemble, fondé sur des valeurs qui sont les nôtres, avec une langue qui est la nôtre; des institutions dans lesquelles nous nous reconnaissons et une fraternité qui nous unit par-dessus tout: la volonté de vivre ensemble. Que les peuples québécois et canadien aient été totalement exclus des débats, que onze personnes se soient enfermées pendant six jours pour s'invectiver et se pressuriser mutuellement, que la Constitution, qui est la Loi suprême du pays, n'ait été l'affaire que d'une poignée d'experts qui débattent de la portée d'un avis juridique annexé a une déclaration politique et de l'influence de la couleur du trombone ou de la largeur de l'agrafe sur l'interprétation qu'en donnera la Cour suprême, tout cela est révoltant. Mais ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel il est dans le droit des peuples à l'autodétermination et leur volonté de vivre dans la dignité. L'indépendance, c'est un geste d'affirmation nationale, un élan porteur vers l'avenir, un projet collectif qui se bâtit dans la fierté et dans l'espoir. Et je ne peux m'empêcher d'ajouter que si, au lieu de se présenter timidement avec cinq petites conditions moins que minimales devant ses collègues, notre gouvernement avait manifesté le quart de la dignité qu'ont démontrée les autochtones du Manitoba, il est à parier que le Québec aurait été traité avec plus de respect dans cette négociation qui était censée être la sienne. Soyons très clairs: notre appui à l'indépendance n'est pas un appui conditionnel. C'est un appui fondé, motivé et mis en perspective. Nous luttons à la fois, par exemple, pour le développement des services publics, pour une protection législative des droits des femmes et pour le droit de grève. Il ne nous viendrait pas à l'idée d'exiger l'obtention préalable du droit de grève avant de nous engager dans la lutte pour les services publics et les droits des femmes; pas plus d'exiger que les droits des femmes soient pleinement reconnus et parfaitement respectés avant de réclamer le droit de grève. De même, nous tenons à la fois à l'indépendance et au projet social. L'un n'est pas conditionnel a l'autre, mais les deux sont liés en perspective. Nous appuyons totalement le projet indépendantiste dans sa spécificité, mais personne ne doit nous empêcher de promouvoir en même temps la totalité de nos objectifs sociaux, en étant conscient qu'ils ne se réaliseront pas tous en même temps. Lier, dans notre discours et notre pratique, la poursuite du projet national et celle du projet social n'exclut pas de passibles alliances avec des groupes moins sensibles au projet social. Ce qui est exclu, c'est de nous mettre bêtement à la remorque de leaders ou d'organisations qui poursuivraient clairement des objectifs opposés aux nôtres aux plans économique et social. Il n'est pas question d'exiger de tous nos alliés circonstanciels qu'ils adhèrent à la totalité de nos objectifs. Mais rien de plus normal que d'essayer de les sensibiliser et de les convaincre. Rien de plus légitime aussi que de nous concerter d'abord avec nos alliés naturels permanents. Le Bureau national vous invite donc à engager la Centrale sur la voie de l'avenir; celle qui nous mènera vers une société plus juste, plus égalitaire, plus fraternelle, plus démocratique. En quelques mots, à engager la CEQ sur le chemin de l'indépendance dans l'honneur et dans l'enthousiasme! Un Québec pluriethnique et français. Les événements récents survenus dans les cours d'écoles de certains établissements de la métropole sont dramatiques. Mais ils ne représentent que la pointe de l'iceberg, une simple partie de la réalité que vivent les Québécoises et les Québécois qui se donnent une perspective d'avenir à moyen terme. Le Québec de demain sera pluriethnique et français ou il ne sera pas. C'en est presque devenu un lieu commun tant la formule est répétée à satiété: « Il faut réussir l'intégration des immigrantes et immigrants et des communautés culturelles au Québec contemporain ». Mais cette formule ne recouvre pas les mêmes réalités partout. Tandis que le Québec hésite encore à se doter d'une politique d'éducation interculturelle, comme il aurait dû le faire depuis longtemps déjà, il importe au plus haut point que nous, de la CEQ, fassions nôtre la question du Québec interculturel et français. Le choc des cultures et des valeurs ne se fait pas sans heurt, nous le savons toutes et tous. Au moment où le Québec projette d'accueillir une population immigrante de plus en plus importante, il est urgent de nous donner les outils qui permettront d'instaurer un dialogue franc et ouvert. Bien sûr, l'école continuera à avoir un rôle important et déterminant à jouer pour l'intégration des jeunes. Mais il faudra que ce processus d'adaptation rejoigne tout autant l'ensemble de la société. Les services sociaux et de santé devront eux aussi s'adapter à cette diversité culturelle. Les nouveaux arrivants constituent une richesse pour le Québec d'aujourd'hui. Loin de « voler » des emplois, ils en créent; loin de diluer notre culture, ils l'enrichissent. Il nous faut être accueillants, avoir les bras et l'esprit ouverts, reconnaître le droit à la différence, et nous adapter à ce qu'ils sont pour mieux les accueillir et mieux les intégrer avec et parmi nous. Cette intégration, elle signifie a adaptation », ce qui veut dire patience. Elle veut aussi dire tolérance. Elle veut enfin dire compréhension, dialogue et échange. Elle suppose que l'on est sûr de soi, confiant en l'avenir, ouvert à l'évolution. Et le premier défi à relever pour la société québécoise demeure encore celui de la francisation des nouveaux venus. Il s'agit là d'un enjeu national qui déborde le simple cadre de la région montréalaise dont le visage cosmopolite est accentué par l'augmentation constante des membres des communautés culturelles. Parce qu'il ne faut pas que l'écart se creuse et que la déchirure se fasse entre Montréal et le reste de la province. Et parce que c'est de notre identité nationale qu'il s'agit. Le Québec change de visage. C'est bien. Il ne change pas de langue! Il nous faudra affirmer le caractère obligatoire de notre francité qui débordera le cadre de l'école. Jusqu'ici, en effet, on a trop compté exclusivement sur l'école pour franciser les communautés culturelles. Mais si l'école est indiscutablement lieu de socialisation et d'acculturation, elle ne peut plus tout faire, toute seule. Plus que jamais aujourd'hui, l'école se retrouve seule à ramer à contre-courant dans un univers de messages contradictoires et opposés: la langue d'origine demeure celle de la maison et l'anglais trop souvent la langue de travail. Du statut de troisième langue, le français doit occuper la place qui lui revient. Et l'école ne pourra continuer, elle seule, à en porter le poids. Tout comme elle ne pourra toute seule solutionner les problèmes spécifiques qui se posent aux jeunes filles et aux femmes issues des communautés culturelles et qui vivent au fond d'elles-mêmes la rupture et le tiraillement. Conflit de valeurs et des coutumes dont elles sont l'enjeu principal, elles ont besoin de l'école, évidemment, mais aussi de l'ensemble des services publics pour s'intégrer harmonieusement à la société québécoise. Ce conflit des valeurs est dû au fait qu'en ce qui concerne le droit des femmes à l'égalité, toutes les sociétés n'en sont pas rendues au même point. Le gouvernement du Québec et ses différents ministères ont une responsabilité indiscutable en la matière, mais nous avons aussi la nôtre et nous entendons l'exercer pleinement. Par les liens de fraternité et d'amitié qu'il nous faut continuer à tisser avec les organisations regroupant des femmes et des hommes des communautés culturelles, par les échanges et l'entraide qui doivent nous lier les unes aux autres et enfin par l'affirmation sans équivoque que le droit des femmes à la dignité, à l'égalité et à la liberté, est inaliénable. Il a fallu travailler trop fort pour gagner ces acquis, ils sont encore trop fragiles, trop menacés; si bien que nous ne serons pas trop nombreuses à lutter ensemble pour les conserver et les élargir. Aussi le Bureau national vous propose-t-il l'adoption d'une déclaration de principe sur le Québec pluriethnique et français et demande-t-il au Congrès de lancer en nos rangs une campagne de sensibilisation des membres à cette réalité qui deviendra un axe important de réflexion collective en vue de l'adoption de notre politique formelle à ce sujet. L'appauvrissement et la pauvreté. Sur le terrain de l'appauvrissement et de la pauvreté, des jonctions sociales, culturelles et politiques sont naturelles. Ce dossier déterminant que nous aborderons à ce Congrès en est un universel car il nous touche toutes et tous sans exception, quoique avec certaines distinctions. De fait il importe au plus haut point de démystifier certaines affirmations. Nous sortirions à peine de six années de vaches grasses, période faste entre toutes, nous dit-on. Période faste qui a laissé le Québec avec un taux de chômage de 9,3 %. Il n'y a pas de quoi pavoiser, surtout lorsque l'on constate que 90 % des emplois créés l'ont été dans le secteur tertiaire et que la moitié d'entre eux peuvent être qualifiés de précaires. Le Conseil économique du Canada parle du « déclin de la classe moyenne » tandis que le Conseil des affaires sociales voit, quant à lui, «deux Québec en un». L'érosion des salaires s'est soldée par une importante perte du pouvoir d'achat des familles. Les hausses de salaires négociées ont été, règle générale, inférieures à l'inflation. Le salaire minimum a, pour sa part, chuté de 28 % en termes réels depuis 1977. Si plus de 600 000 personnes ne touchent que le salaire minimum au Québec, un nombre beaucoup plus considérable de travailleuses et de travailleurs - parmi lesquels beaucoup de jeunes - ont un salaire à peine supérieur et dont le niveau est étroitement lié à cette norme minimale. Par ailleurs, il y a un appauvrissement généralisé de l'ensemble des salariés qui se traduit par une baisse de la part relative du revenu national que ceux-ci accaparent. En 1977, les salaires représentaient 75 % de l'ensemble des revenus des Québécois; dix ans plus tard, ils n'en constituaient plus que 70 %. Le fait qu'une forte proportion de personnes salariées ne touchent pas leur juste part même en période d'enrichissement collectif nous amène à questionner le sens même de ce concept qui, comme tous les indicateurs moyens, occulte un côté de la médaille. Comment en effet peut-on passer sous silence l'appauvrissement collectif de celles et ceux qui, déjà pauvres, continuent de s'appauvrir avec des prestations sociales partiellement indexées? C'est le cas notamment des personnes assistées sociales dont les prestations sont amputées et souvent supprimées dans les circonstances que l'on sait; c'est également celui des personnes âgées qui, année après année, voient leurs pensions se désindexer; c'est enfin le cas des étudiantes et étudiants dont l'appauvrissement se perpétue à mesure que leurs charges augmentent. Cette pauvreté, nous y sommes confrontés tous les jours dans l'exercice de nos métiers. Est-il vraiment nécessaire d'expliquer l'impact de la pauvreté sur les conditions d'apprentissage et le développement des élèves? Les restrictions budgétaires en éducation ne frappent-elles pas plus fort, dans les milieux défavorisés, celles et ceux qui ont le plus besoin de l'école? Et l'enfant qui n'a pas mangé ou qui se nourrit mal n'a-t-il pas plus de difficultés et n'accumule-t-il pas plus de retard que les autres? Est-il également nécessaire de rappeler que la carte de la pauvreté et celle de la santé concordent parfaitement? Que la boutade d'Yvon Deschamps n'a plus rien d'un jeu de mots: plus on est pauvre, plus on est malade, plus on recourt aux soins de santé. Et les milliers de nouveaux sans-abri ne sont-ils pas avant tout de grandes victimes de la désinstitutionnalisation? Il est par ailleurs une donnée essentielle que l'on observe partout: lorsque la pauvreté augmente dans un pays - et chez nous, le nombre de « nouveaux pauvres », surtout parmi les jeunes, est croissant - les droits et les acquis des classes moyennes et des personnes syndiquées passent très rapidement pour des privilèges qu'il devient difficile de défendre et parfois de justifier. La jeunesse est en effet confinée dans l'antichambre économique, politique et sociale. Liée par la précarité, elle peut difficilement amorcer un combat social et épuise ses forces à pester contre ses aînés qui la maintiennent dans cette antichambre. Comment demander aux jeunes de participer à la construction d'un projet social commun alors qu'ils sont pratiquement exclus de ce projet par des politiques d'embauche et de rémunération abusives? Le défi du mouvement syndical est aussi de concilier la défense des intérêts de ses membres avec celle des revendications de cette jeunesse montante. Nous devons trouver le moyen de jeter des ponts entre ces deux catégories de travailleuses et travailleurs. Cela nous permettra d'expliquer qu'en plus d'être atteints par la pauvreté, nous nous sommes aussi appauvris depuis sept ans. Quand l'inflation est supérieure aux augmentations salariales, nous nous appauvrissons. Quand les pensions sont désindexées ce sont les personnes retraitées - celles de l'AREQ comme les autresqui s'appauvrissent aussi. C'est ainsi que le Bureau national désire engager la CEQ dans la lutte à l'appauvrissement et à la pauvreté comme mandat prioritaire en matière d'interventions socio-politiques des deux prochaines années. Ce mandat ne devra pas se limiter à la Centrale mais être également porté par l'ensemble des fédérations et trouver résonance dans tous les syndicats, d'autant plus qu'il permet des jonctions avec les jeunes et les aînés, comme nous l'avons vu, mais aussi avec les femmes qui composent la très grande majorité des personnes bénéficiant de l'aide sociale, qui ont des salaires nettement inférieurs à ceux des hommes et que l'on retrouve majoritairement dans le groupe des personnes âgées. Cet axe d'intervention nous permettra aussi de consolider nos liens avec les travailleuses et les travailleurs immigrants qui occupent plus souvent qu'à leur tour les emplois les moins bien rémunérés et qui sont aux prises avec une surexploitation dans bien des milieux de travail. Il nous permettra aussi de faire la jonction avec les conseils d'orientation dans le secteur de l'éducation pour soutenir notre approche en matière de services éducatifs pour les plus démunis; avec les bénéficiaires des services sociaux et de santé pour développer notre approche de prévention et adapter ainsi notre réseau aux besoins réels; avec le monde des loisirs qui aura lui aussi à s'ajuster tant à la capacité qu'aux besoins de celles et ceux qui en auront désormais grandement besoin. Dossier rassembleur s'il en est un, celui de la pauvreté et de l'appauvrissement constitue, à n'en pas douter, un élément de cohésion et de consolidation de nos solidarités sociales. Un regard sur nous-mêmes. Nous avons, mes collègues du Bureau national et moi-même, beaucoup écouté à l'occasion de la tournée. Nous avons inscrit notre démarche dans le sens du rapprochement avec les membres pour adapter notre organisation aux réalités d'aujourd'hui. Le diagnostic que nous avons posé a été bien accueilli par le Conseil général. Il est à présent soumis au Congrès. Mais là ne prend pas fin la démarche. C'est tout le contraire. Maintenant, elle commence. Pour qu'elle parte du bon pied, toutefois, il faut nous entendre sur les causes qui sont intrinsèques à notre organisation et celles qui ne dépendent pas de nous mais s'inscrivent davantage dans un courant socioculturel qui traverse l'ensemble des pays occidentaux. A la faveur de la crise économique du début de la décennie quatre-vingt, il y a eu une grande restructuration des économies occidentales à laquelle se sont greffés des courants idéologiques non négligeables qui ont marqué à la fois notre société et à laquelle n'ont pas été imperméables les rangs de notre centrale. Nous avons ainsi assisté à ce que l'on a pu appeler une « crise de foi » en des valeurs collectives, le recours aux solutions individuelles, la remise en cause de l'action syndicale et populaire. Ce mouvement de repli sur soi a également trouvé écho dans l'organisation même des services publics où l'on a retourné le plus possible au privé ce qui était considéré de responsabilité publique. Ce « rétrolibéralisme » faisait également des libertés individuelles un absolu intouchable et remettait foncièrement en cause les libertés collectives. Certes, il y va de notre responsabilité de nous adapter à ces situations nouvelles, mais il est important que le travail se fasse dans les deux sens: il faut rapprocher la Centrale des adhérentes et adhérents mais il faut aussi que celles-ci et ceux-ci se rapprochent de l'action syndicale. Cela se fera notamment par la relance de l'éducation syndicale à tous les niveaux de l'organisation. Une éducation syndicale qui se fera à travers les actions et les échanges, qui partira du vécu des membres, de là où ils en sont, mais qui les fera aussi cheminer: un syndicat, une centrale, cela ne peut produire de résultats sans l'engagement, l'appui et la participation de leurs membres. Ce n'est pas tant le « allez-y » qui importe, mais le « allons-y » qui donne des résultats. Ainsi, d'aucuns se sont interrogés sur la capacité de la direction de la Centrale de a livrer la marchandise » à la suite de la tournée et de notre rapport. La direction de la Centrale prend aujourd'hui l'engagement d'accorder une priorité permanente à la mise en oeuvre des décisions du Congrès sur cette question fondamentale s'il en est une. Mais la direction de la Centrale ne peut tout faire toute seule. Ce rapport, ce n'est pas seulement un mandat que confie le Congrès à celles et ceux qui travaillent aux bureaux montréalais et québécois de la CEQ. Ce mandat, le Congrès le donne à l'organisation qu'est la CEQ, au mouvement que constitue la CEQ. Ce mandat, le Congrès le donne à chacune des fédérations, à chacun des syndicats. En fait, ce mandat il se le donne à lui-même. C'est ainsi et uniquement ainsi que nous courons la chance de réussir la réappropriation de notre organisation par ses membres, que nous les amènerons à y investir et à retrouver le goût de l'action collective. Parallèlement, nous nous engageons résolument sur la voie de l'étude sur les paliers et services de la Centrale. Là encore, ce ne sera pas une étude technique de quelques personnes qui auront trouvé une formule miracle. La réponse, elle est sans doute dans un mode d'organisation différent, dans des ajustements qu'il reste à trouver, mais aussi dans les choix politiques qui seront faits. Il faut avoir les moyens de nos ambitions. Il y a une fin à l'agrandissement par l'intérieur. Et s'il est vrai que l'on peut toujours faire plus avec moins, vient le moment où le raisonnement atteint sa limite: on ne peut tout de même pas faire presque tout avec presque rien. Revoir la négociation du secteur public. Parmi les éléments soulevés lors de la tournée, il y a eu la question de la négociation du secteur public. J'ai déjà évoqué le bilan de celle-ci et les perspectives qui s'en dégageront mais il faut aller un peu plus loin. Une chose est apparue de façon claire à l'occasion de la dernière ronde: le modèle actuel de négociation dans le secteur public est totalement dépassé, inefficace et frustrant. Il ne force nullement le débat sur le fond des questions. Les dés y sont pipés d'avance et l'équilibre entre les parties n'existe pas. Il nous faudra trouver d'autres voies. Cela dit, que l'on n'interprète surtout pas mes propos comme une remise en question de l'exercice du droit de grève sous prétexte que celui-ci serait dépassé. Le droit de grève sera dépassé le jour où les droits de gérance des employeurs seront dépassés. Et quand on voit l'attitude et les ambitions patronales et gouvernementales dans les services publics, on peut affirmer sans risque de trop se tromper que ce n'est pas demain la veille. C'est pourquoi je lance aujourd'hui un appel à toutes les organisations syndicales du secteur public sans exclusive pour qu'ensemble nous prenions l'initiative de préconiser une réforme du régime de négociation dans le secteur public et de travailler à bâtir ce nouveau modèle sur une base unifiée. Dans les services publics plus qu'ailleurs encore, nous n'avons jamais rien eu à gagner des divisions. Ce n'est évidemment pas aux seules structures et à ce que l'on appelle « la plomberie » des négociations qu'il faut nous attaquer. C'est aussi les contenus, les stratégies et les objectifs mêmes sur lesquels il faut nous pencher. Ainsi nous savons que nous ne pouvons régler tous les problèmes en une seule et même ronde, mais qu'il nous faudra mieux cibler nos priorités, les faire partager par la population et nous préparer dans une optique à moyen et long terme. Plusieurs pistes de solutions se présentent au mouvement syndical en général et à la CEQ en particulier: - Présenter aux membres et à la population en général une solution de rechange crédible à partir d'un projet social défini sur nos propres bases et qui tienne compte de la réalité actuelle. Par exemple, au lieu d'aborder seulement la retraite par la recherche de moyens pour sortir du travail plus vite et mieux pensionné, approche qui a un effet en termes d'accroissement de coûts dans lesquels le gouvernement peut sabrer unilatéralement, n'aurions-nous pas intérêt à revendiquer un contrôle accru sur les caisses de retraite, l'obligation pour le gouvernement d'y contribuer et une mise à la retraite progressive qui tienne compte du vieillissement de la population? - Explorer davantage des solutions qui ne font pas uniquement appel à des crédits nouveaux mais qui se penchent également sur une meilleure utilisation et rationalisation des ressources actuelles. - Reconstruire chaque jour une solidarité de plus en plus fragile mais de plus en plus nécessaire. Cela pose la nécessité d'intégrer nos revendications dans un mouvement social plus vaste de solidarité avec les plus démunis; cela pose également, en nos rangs et ailleurs, la nécessité de rejoindre les jeunes et de leur faire partager nos idéaux syndicaux, mais cela pose tout d'abord la nécessité de rejoindre nos membres à la base de façon constante, sur un terrain qui prend son point de départ dans leurs préoccupations immédiates pour s'étendre sur un terrain social plus large. On aura compris que cela déborde le cadre restreint de la négociation des clauses de conventions collectives. Certes, ce travail essentiel demeure toujours nécessaire mais il faut se rendre à l'évidence: la négociation dans le secteur public déborde largement la période officielle des pourparlers; elle dépasse largement le champ étroit des sujets abordés; elle s'étend largement au-delà des salles de rencontre; elle se fonde largement au-delà du rapport de force, sur le rapport d'opinion qui ne se construit pas en un jour. L'éducation: priorité permanente. Outre les mandats qui découlent des décisions de ce trente-deuxième Congrès, il en est que la conjoncture autant que nos convictions profondes nous imposent de promouvoir et de faire valoir. Je n'étonnerai sans doute personne en réaffirmant aujourd'hui qu'il faut refaire de l'éducation une priorité permanente dans notre société. L'ensemble des pays qui progressent de nos jours l'ont compris et ont recommencé - quand ils avaient cessé de le faire - à investir massivement dans leur système d'éducation. « Qui s'instruit s'enrichit » n'est pas un slogan creux, il s'applique désormais aux peuples et aux nations. Il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir au Québec pour en arriver à atteindre cet objectif. La promotion du service public d'éducation, elle passe par la valorisation de l'action professionnelle de nos membres. En cette Année internationale de l'alphabétisation, elle passe par la réaffirmation du caractère essentiel de l'éducation des adultes, autant que de celle des jeunes; elle passe par l'enseignement professionnel autant que par les enseignements spécialisés; elle passe par les services aux enfants en difficulté autant qu'aux enfants issus des communautés culturelles. Elle passe cependant surtout par la revalorisation des personnes qui oeuvrent en éducation, par la réduction de la précarité de l'emploi qui compromet le service d'éducation, par la reconquête de l'autonomie professionnelle et la reconnaissance effective de nos compétences et de notre expertise. La CEQ est la seule organisation dans laquelle se retrouvent des enseignantes et des enseignants du préscolaire, du personnel de garderies et de services de garde; elle est la seule à pouvoir bâtir une réelle politique de la petite enfance. La CEQ est la seule organisation qui regroupe des enseignantes et des enseignants, des professionnelles et professionnels des trois ordres d'enseignement; sa contribution à la réflexion sur la mission spécifique de chacun et sur le passage d'un ordre à un autre est donc inestimable. Par ailleurs, les décisions de notre Congrès pourront se prolonger avec pertinence dans la vie professionnelle de nos membres. Au sein des conseils d'orientation, les adhérentes et adhérents de la Centrale pourront faire valoir l'importance de doter telle école d'un projet éducatif tenant compte de la situation de pauvreté des enfants qui la fréquentent; telle autre école pourrait se voir proposer un projet d'intégration de ses élèves issus des communautés culturelles; telle autre enfin pourra voir à la promotion du français dans toutes les sphères de la vie scolaire. Ce sont là des projets bien plus emballants et plus utiles que les projets de douance et « d'hyperformance Dans cet esprit, le Bureau national entend remettre sur pied le réseau-éducation qui soutiendra et alimentera notre action professionnelle tout au long des deux années à venir. L'environnement: un dossier rassembleur. Il est une question qui est au coeur des préoccupations des jeunes et, de plus en plus, des adultes de chez nous et d'ailleurs: l'environnement. Ce n'est pas pour rien qu'aujourd'hui un peu tout le monde se dit environnementaliste et que l'on sent parfois que d'aucuns se raccrochent à un filon politiquement et commercialement rentable. En menant à l'automne prochain notre opération d'éducation relative à l'environnement, nous relevons un défi de taille mais elle produit déjà des résultats majeurs pour la Centrale. De fait, une très importante concertation d'organismes se greffe à la CEQ pour cette « première » qui suscite une adhésion très forte dans les milieux et représente une façon concrète de valoriser nos métiers, notre action syndicale et notre engagement social. L'éducation à l'environnement permettra aux syndicats locaux d'élargir leurs solidarités dans leur milieu et d'y rayonner par une initiative rassemblante. C'est que l'implication dans la protection de l'environnement nous permet de créer une solidarité syndicale, une solidarité nationale et aussi une solidarité internationale parce que le sujet permet l'intégration des valeurs inhérentes au syndicalisme au travail quotidien. Il permet aussi l'intégration harmonieuse de nos préoccupations socio-politiques à notre activité pédagogique: la paix, les droits humains et la solidarité internationale. Car il est fort difficile de parler d'environnement sans évoquer les inégalités sociales, la pauvreté, la violence, les guerres. C'est pour payer les seuls intérêts de sa dette internationale, dont ceux qu'il doit aux banques canadiennes, que le Brésil détruit la forêt de l'Amazonie, le poumon de la terre. C'est que nous avons notre part de responsabilité dans la détérioration de la qualité de la vie dans le Tiers-Monde, tout comme les États-Unis et leurs pluies acides sont en train d'achever la destruction de nos érablières, prospérité des industries polluantes de Nouvelle-Angleterre oblige. Cela questionne aussi le type de développement de nos sociétés. Nous préconisons bien sûr le développement durable qui est l'utilisation rationnelle des ressources renouvelables et non renouvelables en essayant de répondre aux besoins actuels des humains sans hypothéquer les besoins des générations futures. Cette question nous interpelle très fortement comme centrale syndicale et nous oblige à remettre en question nos stratégies d'action. Notre conception de nos besoins d'aujourd'hui n'est pas fondée sur le développement durable. Le pillage actuel des richesses de la planète ne peut se poursuivre indéfiniment; et non, ce n'est pas vrai que nos enfants auront le même type de développement que nous. Le voudraient-ils qu'ils ne le pourraient pas. C'est donc un défi énorme que nous sommes appelés à relever et qui va bien plus loin que l'intervention pédagogique - essentielle - qui en est le point de départ. L'école - encore une fois - contribuera à faire naître de nouvelles valeurs et sera au coeur du changement. Syndicalisme féministe et féminisme syndicaliste. On aura constaté que j'ai abordé la question des femmes partout où le propos s'y prêtait dans le rapport moral. C'est qu'il importe au plus haut point d'intégrer la dimension féminine et féministe à l'ensemble des activités du mandat syndical, mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue la spécificité de la lutte des femmes dans notre organisation, dans notre société et à travers le monde. Car la réalité est têtue. Dans toutes les situations, en toutes circonstances, sous tous les cieux, les femmes sont les plus démunies. Ici, elles sont les plus pauvres des personnes âgées, des chefs de familles monoparentales, des personnes seules et des immigrants. Elles comptent davantage sur l'aide sociale, vivent de plus longues périodes de chômage, sont confinées dans les emplois les moins bien rémunérés, ont moins accès à l'emploi et aux promotions. Partout elles vivent des rapports de domination, de violence, d'inégalité, de sexisme. Et partout elles enregistrent de nouveaux reculs: en Grande-Bretagne où on procède à la déréglementation du travail des femmes dans les mines; dans le Tiers-Monde où le sous-développement de l'éducation fait qu'elles sont maintenant huit fois plus nombreuses que les hommes à être analphabètes; à travers de nombreux pays où la montée de l'intégrisme religieux vient enrayer la difficile progression sur le chemin de l'émancipation et de l'égalité; au Québec et au Canada où les réformes de l'aide sociale et de l'assurance-chômage ainsi que la recriminalisation de l'avortement les frappent de plein fouet. Au risque d'être citée pour outrage à la magistrature, il me semble essentiel de dire ici, en tant que femme, la révolte qu'ont soulevée de récents comportements de certains des honorables pontifes de l'appareil judiciaire. Passe encore qu'un juge tente de nous faire croire qu'il est incapable de découvrir tout seul qu'il se trouve dans une maison close. On peut sourire et faire semblant de le croire. Avec le juge Dionne dont les propos sexistes, vulgaires et méprisants sur la comparaison entre les lois et les femmes, nous pensions sincèrement avoir touché le fond du baril. Mais ce n'était pas encore assez: il y a à peine quelques jours un autre juge, Pierre Mercier, condamnait à une seule journée de probation un homme trouvé coupable par un jury de violence sexuelle et conjugale. Douze jurés ont conclu: la culpabilité hors de tout doute; la Couronne a réclamé cinq ans de prison mais Monsieur le Juge, lui, a décidé qu'ils avaient tous tort, qu'ils s'étaient tous trompés. Et il a pratiquement félicité l'ignoble coupable. Désolée pour la juge Andrée Ruffo qui fait un travail admirable, mais il faut souligner à quel point la magistrature représente un bastion de la misogynie et du mépris pour les femmes de notre société. Et je réitère aujourd'hui devant le Congrès, la désuétude totale dans laquelle est tombée la peine d'un an de prison pour outrage au tribunal. Avec ce que nous voyons depuis quelque temps, il nous faut exiger, en plus de la destitution des juges coupables, une peine de cinq ans de prison pour l'outrage du tribunal. Cette lutte des femmes, il me semble important de le rappeler quand on est à la présidence d'une centrale qui compte 72 % de femmes. est et demeurera une priorité de tous les instants de notre organisation. C'est ainsi que notre syndicalisme doit être féministe. Cela commande, en plus de la représentation équitable et de l'accès au pouvoir syndical, la nécessité de maintenir au sein des centrales syndicales - et des syndicats - des comités de condition des femmes. Afin que la vigilance continue de s'exercer et les analyses de se déployer. Les féministes, dans leur action syndicale, sont celles qui dérangent... et qui permettent d'aller plus loin et de changer ainsi l'ordre établi de l'inégalité entre les femmes et les hommes. C'est ainsi que notre féminisme doit être syndicaliste. Dans nos sociétés où les valeurs conservatrices sont à la hausse, nous n'avons pas les moyens - et les femmes moins que quiconque - de nous priver de l'apport conjugué des deux forces progressistes que constituent le mouvement féministe et le mouvement syndical. Le syndicalisme est devenu, au fil des ans, une force sociale organisée au sein de nos sociétés. C'est même dans certains cas la seule à part, bien sûr, les partis politiques. En ce sens, il peut et doit être un outil essentiel pour forger le progrès social. Les congés de maternité, l'accès à l'égalité, le harcèlement sexuel, l'équité salariale, la lutte en faveur de la maternité librement consentie et du contrôle par les femmes de leur corps sont autant de thèmes autour desquels le mouvement syndical a su mobiliser et rassembler. Relever le défi de la modernité dans l'unité. Il m'apparaît essentiel, en terminant, de partager avec vous ma vision de la modernité du syndicalisme. En cette fin du vingtième siècle, prétendent d'aucuns, le syndicalisme serait un frein au développement et à la compétitivité de notre société, un mal nécessaire dépassé et mésadapté, un mouvement qui se berce d'utopies. Il faut nous inquiéter des tentatives de banalisation des organisations syndicales que l'on constate dans notre société. Bien sûr, cela a toujours été le cas. Les organisations syndicales et les luttes syndicales, même les plus héroïques, ont toujours et dénoncées et honnies par les médias, les gouvernements et les puissants de ce monde. Ce n'est que longtemps après qu'elle ait pris fin que la grève de l'amiante est devenue une lutte historique. Ce n'est qu'après que les organisations syndicales aient été décriées parce qu'elles les revendiquaient, que la population a bénéficié de la quasi-totalité des mesures sociales. Toutes les luttes que nous avons menées ont toujours été décrétées « hors d'ordre » au moment où elles avaient lieu. C'est toujours « plus tard » qu'elles ont été reconnues à leur juste mérite. J'en veux également pour preuve une nouvelle qui nous parvenait il y a à peine huit jours: le Conseil supérieur de la langue française, présidé par l'académicien Maurice Druon, remettait au premier ministre de France, Michel Rocard, un avis qui avait auparavant reçu un accueil favorable de l'Académie française, du Conseil de la langue française du Québec et du Conseil de la langue française de Belgique. Ce rapport a pour objectif de rectifier et de simplifier l'orthographe française, ainsi que, selon les termes mêmes de ses auteurs, « de corriger des absurdités que rien n'explique ou ne justifie, des incertitudes qui troublent et des anomalies diverses ». Les rectifications touchent le trait d'union, le pluriel des noms composés, l'accent circonflexe, le participe passé de verbes pronominaux et les anomalies. Le rapport a été officiellement soutenu par le premier ministre français et bien accueilli un peu partout. Il y a pourtant trois ans, lorsque la CEQ a lancé, à l'issue du Colloque sur le français qu'elle organisait, cette même idée de simplification de l'orthographe, que préconisent d'ailleurs aussi nos homologues syndicaux français de la Fédération de l'éducation nationale, le moins que l'on puisse dire est que l'accueil a été différent. Des protestations indignées fusaient de maints endroits qui dénonçaient le laisser-aller, le manque de rigueur, la baisse du niveau des exigences! Trois ans plus tard, c'est devenu une excellente chose. Tant mieux. Soyons belles joueuses et beaux joueurs. Et attendons encore, impatiemment bien sûr, la politique de féminisation du langage que daignera produire l'Académie française. Après tout, la CEQ a déjà adopté la sienne depuis bientôt dix ans. Nous ne sommes pas un fléau social. Le syndicalisme constitue au contraire une richesse de notre société et, il n'y a pas de honte à le dire, une garantie de la vie démocratique. Les pays dans lesquels il n'y a pas de syndicats ou ceux dans lesquels les syndicats sont faibles et dominés ne sont pas des démocraties, ce sont des dictatures. Les grands tenants des grandes libertés individuelles auraient intérêt à s'en souvenir. Les défis de l'heure de notre société, l'appauvrissement, l'environnement, la mondialisation de l'économie ne pourront être relevés sans la participation active des organisations syndicales. Non, les syndicats ne sont pas dépassés. Ce n'est pas parce que les défis ont changé que les organisations syndicales n'ont plus de rôle à jouer, une place à occuper, une contribution marquante à apporter. Elles doivent s'adapter, bien sûr, évoluer avec leur temps, relever ce que j'ai qualifié de défi de la modernité. Mais pour une société, elles ne sont pas des problèmes, elles font bien plus partie des solutions. Et les jeunes l'ont bien compris, eux qui représentent l'espoir et l'avenir. Ces jeunes que l'on dit rejeter l'action collective, prôner les solutions individuelles, hostiles à la syndicalisation. Une toute récente recherche menée à l'École des relations industrielles de l'Université Laval par madame Carole Julien a tenté de mesurer la propension des étudiantes et étudiants de secondaire V à se syndiquer en leur offrant le choix de travailler en milieu syndiqué ou non syndiqué. Le résultat est surprenant et prometteur: c'est à plus de 87 % que les jeunes ont exprimé le désir de se syndiquer; 89 % des filles et 85 % des garçons ont donné cette réponse. Pour les fins de la comparaison, la même question posée à des jeunes étudiantes et étudiants de secondaire V aux États-Unis obtenait 48 % de volonté de se syndiquer. Préservez-nous du libre-échange. Une autre recherche récente réalisée par l'Université de Montréal et Segma-Lavallin pour mesurer les valeurs des jeunes québécois renferme, elle aussi, des motifs d'espoir: 86 % des jeunes se disent satisfaits de l'enseignement reçu; la plupart disent beaucoup aimer la liberté nouvelle du CEGEP qui leur permet d'assumer leurs responsabilités. Lucides, 87 % font confiance à leurs enseignantes et enseignants - c'est le groupe dont le taux de confiance est le plus élevé de tous; 72 % ont confiance dans les syndicats; et 67 % ne font pas confiance aux hommes et femmes politiques. L'avenir est donc fait d'optimisme et d'espoir. Il nous faut poursuivre notre route et cesser d'être gênés parce que l'on est « dérangeants ». Ce sont celles et ceux qui « dérangent » qui font avancer les choses. On nous dit souvent de nous contenter du possible. Cela ne suffit pas. Il faut, bien sûr, prendre en compte ce qui apparaît comme étant possible, mais le syndicalisme est un contre-pouvoir, sa mission fondamentale c'est de faire reculer les limites du possible. Plus que jamais dans les mois à venir, le Québec va avoir besoin de ses syndicats. La CEQ doit s'engager résolument à occuper toute la place qui lui revient dans notre société, accroître sa visibilité, sa zone d'influence, son rayonnement, sa capacité d'intervention. Le défi à relever est de taille et le chemin à suivre n'est pas de tout repos. Nous ne devons cependant pas choisir la voie la plus facile, nous devons choisir la meilleure. Notre responsabilité première de déléguées et délégués à l'instance suprême de la Centrale est de donner à notre organisation par notre engagement, notre enthousiasme et notre unité, l'élan indispensable pour infléchir le cours des choses et pour que fleurisse le changement.