*{ Discours néo-libéral CEQ, 1992 } Introduction. Un effort de lucidité et de volonté. Le monde dans lequel nous vivons, nous travaillons et nous menons notre action syndicale connaît aujourd'hui de très profondes mutations. Ces mutations sont de toutes natures: éthiques, idéologiques, économiques, politiques, sociales et culturelles. Tout indique que ces mutations vont à la fois s'accentuer et s'accélérer dans les années qui viennent. Même si elles peuvent parfois paraître loin de nos préoccupations immédiates, elles risquent fort de transformer de manière durable notre société, nos milieux de travail, notre environnement syndical Nulle part sur la planète, le syndicalisme n'échappe aux effets des transformations qui sont à l'oeuvre. Nulle part, il n'échappe aux remises en question qui accompagnent ces transformations. Partout, il cherche à se redéfinir. Le nouveau contexte, qui se dessine jour après jour sous nos yeux, nous convie à un effort de lucidité et de volonté. Il nous convie à nous saisir collectivement des mutations en cours, à en maîtriser la complexité, à en comprendre les diverses facettes et les enjeux multiples, à en tirer les leçons qui s'imposent. Il nous convie à prendre conscience de l'impact de ces mutations sur la société québécoise, à prendre acte de l'ampleur de la crise que traverse notre société et à identifier les choix fondamentaux qui se posent à elle. Il nous convie à poser un regard critique sur la situation du mouvement syndical québécois et à cerner les principaux enjeux qui le confrontent. Il nous convie surtout, dans le respect des valeurs fondamentales qui nous inspirent et dans la continuité des orientations majeures qui nous guident, à revoir et à adapter notre organisation, ses structures, ses pratiques, à redéfinir et à redéployer nos stratégies et notre action syndicales. En somme, il nous faut entreprendre ensemble, comme nous avons toujours su le faire dans le passé, de renouveler notre syndicalisme pour le rendre plus apte à relever les nouveaux défis qui nous attendent dans les années qui viennent. Nous espérons que cette réflexion collective que nous vous proposons pourra y contribuer. Première partie. Un monde en profonde mutation. Sur de nombreux plans, le monde tel que nous le connaissons vit aujourd'hui de très importantes mutations. En ce début de la décennie 1990, des transformations radicales qui nous paraissaient hier encore inimaginables se déroulent pourtant sous nos yeux. Ces mutations ne sont pas superficielles. Elles sont profondes. Et tout indique que nous sommes inscrits dans un processus de changements fondamentaux qui risque fort de se poursuivre tout au long de la décennie en cours. Aucun pays et, à l'intérieur de ceux-ci, aucun groupe social n'échappe aux effets de ces transformations, mais tous ne les vivent pas de la même manière. Certains en subissent durement, parfois même tragiquement, les contrecoups et les conséquences L'accentuation de la mondialisation. Si on devait résumer en une seule phrase les mutations en cours sur la planète, nous dirions que nous vivons une formidable accentuation de la mondialisation. Les remarquables progrès des techniques de communication représentent un des principaux facteurs de la mondialisation en cours en rendant possible une internationalisation croissante de l'information. Et celle-ci, pour sa part, influence de plus en plus aussi bien l'évolution des situations politiques que le fonctionnement des marchés financiers ou la propagation des valeurs et des comportements culturels. On a vu, par exemple, le rôle joué récemment par cette mondialisation de l'information dans la guerre du Golfe et dans l'évolution des pays de l'Est. Plus près de nous, on a pu constater la dimension internationale qu'ont prise la crise amérindienne et le projet de développement hydro-électrique de Grande-Baleine a la suite de leur très importante médiatisation. Autre exemple: on ne cesse de constater l'impact considérable qu'a sur les flux migratoires la diffusion massive dans les pays du Sud d'images produites par et pour les populations des pays riches L'apparition d'une conscience planétaire. Cette mondialisation de l'information s'accompagne d'une prise de conscience planétaire des problèmes vitaux qui se posent aujourd'hui à l'humanité, particulièrement de ceux liés à l'environnement Les catastrophes écologiques de Tchernobyl en Union soviétique, de l'Exxon Valdez en Alaska, de Bhopal en Inde, de même que la désertification dans le Sahel et la destruction de la forêt amazonienne, sont là pour nous rappeler la dimension planétaire du défi environnemental. Aucun peuple ne peut désormais ignorer que l'amenuisement de la couche d'ozone, l'altération des climats, la disparition de nombreuses espèces, la prolifération des pluies acides, la pollution de l'air, de l'eau et du sol, le gaspillage des ressources non renouvelables, l'accumulation des déchets dangereux et la pression démographique sont autant de manifestations d'une grave crise environnementale qui menace l'existence même de la planète. Et aucun peuple ne peut, face à l'ampleur de ces menaces, se fermer les yeux et faire abstraction de l'impérieuse nécessité pour tous de défaire le mythe de la productivité et de la rentabilité à court terme, de remettre en cause les valeurs dominantes, de revoir en profondeur les modèles de croissance et de développement qui nous ont collectivement menés à cette situation très inquiétante L'émergence d'un monde multipolaire. Le contexte politique international est aujourd'hui plus mouvant et plus complexe que jamais. La fin des années 80 et le début des années 90 ont été marqués par des bouleversements considérables qui ont mis fin à un monde bipolaire où tout semblait s'inscrire dans la lutte incessante entre deux blocs antagonistes constitués autour des États-Unis et de l'Union soviétique. Les changements en Europe de l'Est et la désagrégation de la superpuissance soviétique, l'accroissement du poids politique de la Communauté européenne, de l'Allemagne et du Japon, les tendances au renforcement du rôle de l'ONU, parmi d'autres indications, nous signalent l'émergence d'un monde multipolaire. Ce monde sera-t-il plus respectueux du droit international et plus soucieux de résoudre pacifiquement les conflits? Car en matière de paix, rien ne peut être considéré comme acquis. Avec la prolifération des armes atomiques, la menace nucléaire demeure présente et de nombreuses causes de conflits très graves perdurent sur la planète. On est fort loin, par exemple, d'avoir fini de vivre les soubresauts provoqués par la démocratisation des sociétés communistes Certains, oubliant que près du quart de l'humanité vit toujours sous des régimes communistes, ont chanté un peu tôt la mort de ceux-ci Qui peut prédire ce qui se passera quand la Chine se mettra à bouger? Que dire aussi de la situation explosive qui maintiendra le Moyen-Orient au bord de la guerre tant et aussi longtemps que la question palestinienne demeurera non résolue? Par ailleurs, les inégalités de développement et la marginalisation politique et économique des pays du Tiers Monde qui en découle resteront pour longtemps encore une source majeure de tension et d'instabilité dans un monde soumis aux intérêts des grandes puissances Bien qu'elle ait des causes autres que les inégalités de développement, la montée des intégrismes dans plusieurs régions du monde exprime dramatiquement le désarroi et la colère des populations démunies et représente une source éventuelle de graves conflits. Certes, un monde multipolaire est en voie d'émerger progressivement Mais ce monde, à tout le moins dans la décennie à venir, continuera d'être dominé par une seule superpuissance politique, les États-Unis. Ceux-ci, malgré leur relatif déclin économique, demeurent la plus grande puissance militaire. Ils demeurent surtout, et c'est là un élément essentiel de leur influence, les maîtres du jeu dans le marché mondial des communications: 80 % de tous les mots et de toutes les images qui circulent aujourd'hui dans le monde proviennent des États-Unis et reflètent leurs valeurs. La renaissance des nationalismes. Politiquement, économiquement et culturellement, les pays et les peuples sont de plus en plus interdépendants. Ils sont de plus en plus intégrés dans un réseau serré, complexe et diversifié de relations internationales, de conventions, de traités, de pactes. Or, au moment même où l'accentuation de la mondialisation renforce cette interdépendance, on assiste à une extraordinaire renaissance des nationalismes. Non seulement dans l'ancienne Union soviétique et dans la Yougoslavie en décomposition, mais un peu partout dans le monde, les peuples affirment comme jamais leur volonté d'autodétermination. La contradiction n'est qu'apparente. A l'ère de la mondialisation, les ensembles géopolitiques se recomposent. Les vieux modèles d'intégration autoritaire des peuples se sont effondrés. D'autres ont vu le jour qui, telle la Communauté européenne dans une certaine mesure, tentent de miser plutôt sur le dynamisme des nations et la coopération pacifique. L'évolution historique semble démontrer que l'indépendance des nations s'avère une condition préalable à l'établissement d'une interdépendance harmonieuse. Le renouveau nationaliste exprime notamment l'aspiration des peuples à être partie prenante, sur leurs propres bases, de l'évolution en cours. Pour ce faire et pour survivre et prospérer dans un monde de forte compétition et 'interdépendance croissante, les peuples ressentent la nécessité, aujourd'hui peut-être plus encore qu'hier, de s'appuyer sur des États souverains. Mais la renaissance des nationalismes ne comporte pas que des aspects positifs. Elle s'accompagne, à des degrés divers mais dans de très nombreux pays, d'une résurgence préoccupante des vieux démons du racisme, de l'intolérance, du rejet des minorités et des populations immigrantes ainsi que de la violence interethnique. Le fragile développement de la démocratie. Jamais dans l'histoire n'y a-t-il eu autant de peuples vivant dans des régimes politiques démocratiques. Au cours des dernières années, la démocratie parlementaire a connu un développement remarquable non seulement en Europe de l'Est, mais en Amérique latine et, plus difficilement, dans certains pays africains et asiatiques. Toutefois, il n'en demeure pas moins que des centaines de millions d'êtres humains vivent encore dans des régimes dictatoriaux ou totalitaires. Mais, outre qu'il est encore loin de toucher tous les peuples, le développement de la démocratie paraît fragile dans la mesure où il se réalise partout dans un contexte d'accroissement de la pauvreté. On sait dans quelles conditions économiques très difficiles se trouvent placées les nouvelles démocraties d'Europe de l'Est. La situation est tout aussi dramatique en Amérique latine qui, littéralement égorgée par le poids conjugué de la dette, de l'inflation et du chômage, sombre de plus en plus dans la misère. On est en droit de se demander, comme en témoignent par exemple les reculs de la démocratie en Haïti et au Pérou, si la contradiction entre le processus de démocratisation et la dégradation économique pourra se prolonger. De plus, le développement démocratique parait ambigu dans la mesure où la démocratie connaît actuellement une crise importante dans les sociétés qui, comme la notre, la pratiquent depuis longtemps absentéisme électoral croissant, la perte de confiance envers les représentantes et représentants politiques, envers les partis et envers les institutions, de même que la montée de l'extrême droite qui n'hésite pas à remettre en question certains des fondements de la démocratie, illustrent particulièrement cette crise. Le développement démocratique paraît enfin aléatoire dans la mesure où il s'est peu étendu sur les plans économique et social et où, par conséquent, les populations sentent qu'elles ont de moins en moins de prise sur les choix décisifs qui touchent pourtant directement leurs conditions de vie et de travail. L'intégration des économies et des marchés. Sur le plan économique, l'accélération de la mondialisation est encore plus visible. Au fur et à mesure que le grand capital s'internationalise et que les entreprises multinationales prennent de l'expansion, ces dernières organisent leur production et se font concurrence à une échelle qui dépasse largement le cadre des frontières nationales. Une véritable division internationale du travail se met peu à peu en place entre les sociétés les plus avancées, qui se concentrent progressivement sur les secteurs de pointe et les services, et certains pays en développement qui se spécialisent dans la sous-traitance industrielle. Mais, dans sa phase actuelle, la mondialisation de l'économie ne conduit pas à la mise en place d'un grand marché unique. Au contraire, nous assistons plutôt à la constitution de trois grandes zones de concentration de l'activité économique (zone européenne autour de l'Allemagne, zone asiatique autour du Japon, zone nord-américaine autour des États-Unis), entre lesquelles la concurrence est extrêmement vive et les rapports de plus en plus tendus. Cette réorganisation des économies et des marchés provoque une énorme instabilité internationale et de grands bouleversements dans les économies de nombreux pays qui se voient contraints de revoir leurs priorités de développement en fonction des nouvelles règles du jeu déterminées par les trois pôles dominants. Dans cette partie de bras de fer commercial, les États-Unis, dont les problèmes internes sont considérables et dont l'économie est chancelante et de moins en moins compétitive, exercent une énorme pression afin de constituer une zone de libre-échange d'abord en Amérique du Nord puis, progressivement, à l'échelle de l'ensemble du continent, avec l'intention manifeste de se ménager une véritable chasse-gardée face à leurs puissants concurrents européens et asiatiques. L'intensification de la concurrence. Aujourd'hui, 80 % de tous les échanges commerciaux sur la planète sont effectués entre pays industrialisés Et la concurrence entre les pays et les entreprises pour la conquête des marchés est devenue féroce. Les progrès dans le domaine des technologies et des communications rendent chaque jour plus périmés les atouts traditionnels (proximité des marchés, abondance des ressources naturelles, main-d'oeuvre à bon marché) sur lesquels des pays comme le Canada ont historiquement basé leur développement économique. Désormais ce sont les sociétés disposant d'une main-d'oeuvre qualifiée, investissant dans la recherche, l'innovation et la production de biens et de services de qualité, capables d'identifier et de développer des créneaux stratégiques, qui sont le mieux à même de tirer leur épingle du jeu. Dans le contexte actuel de réorganisation des économies et des marchés et de véritable guerre commerciale que se livrent les grandes puissances, la capacité des États nationaux de définir et de structurer leur développement économique en fonction de leurs objectifs spécifiques s'en trouve considérablement amoindrie. Les règles de la grande bataille en cours s'établissent dans les institutions internationales, en fonction des intérêts souvent à courte vue des principales puissances économiques. Et cela ne va pas sans mal, comme en témoigne l'incapacité du GATT depuis 1986 à susciter un consensus autour de nouvelles règles commerciales communes. La croissance des inégalités et de la pauvreté. L'intégration des économies et des marchés dans une conjoncture d'intensification de la concurrence provoque de très préoccupantes retombées sociales, particulièrement en termes d'accroissement des inégalités et de la pauvreté. Les pays du Tiers Monde en sont les premières victimes et voient les conditions de vie déjà insatisfaisantes de leurs populations se dégrader, à la suite notamment de la chute dramatique des prix de bon nombre de matières premières. En Amérique latine, 240 millions de personnes (60 % de la population) vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté, contre seulement 130 millions en 1980. En Afrique, la situation économique s'est à ce point détériorée au cours des dernières années que certains n'hésitent pas à en parler comme d'un «continent perdu». Les pays industrialisés n'échappent pas aux conséquences des mutations en cours. Certains d'entre eux, surtout en Europe où la tradition social-démocrate est forte, s'efforcent d'atténuer l'impact des restructurations et de préserver, sinon d'étendre, les acquis sociaux. D'autres, particulièrement les États-Unis et le Canada, traversent une crise dont l'ampleur dépasse les prévisions les plus pessimistes. Cette crise se traduit de diverses façons: accroissement des inégalités entre les régions et entre les classes sociales, augmentation de la pauvreté, pressions à la baisse - au nom de la compétitivité - sur les programmes sociaux et les services publics, précarisation des emplois, appauvrissement général de la classe moyenne, etc. Est-il besoin de préciser que dans le Tiers Monde, comme dans les pays industrialisés, les enfants sont les premières victimes du développement des inégalités et de la pauvreté et que les femmes sont particulièrement touchées par les mutations économiques en cours? Partout, ces dernières se voient menacées de perdre les fragiles acquis des deux dernières décennies. La montée de l'exclusion. De la même façon qu'à l'échelle internationale des peuples entiers ont de plus en plus marginalisés et exclus du développement, on voit se déployer, dans les sociétés dites avancées, un véritable phénomène d'éclatement social et d'exclusion durable de certaines catégories de la population. Un grave fossé s'agrandit progressivement entre d'une part les personnes qui, disposant d'une bonne qualification et d'un emploi rémunérateur, parviennent à s'intégrer dans des entreprises et dans des sociétés qui cultivent à l'excès les performances individuelles, et d'autre part les personnes qui, peu ou mal formées, souvent victimes d'un enchaînement d'inégalités, se retrouvent exclues de la vie économique et condamnées à la précarité, au chômage, à la pauvreté et à la marginalisation sociale. Cette montée de l'exclusion, qui touche surtout les femmes, les jeunes et les personnes immigrées, mais qui s'étend de plus en plus à d'autres catégories de la population (notamment les travailleuses et les travailleurs âgés qui perdent leur emploi), est porteuse d'incompréhension, de tension et d'affrontement. Ce phénomène n'est d'ailleurs pas étranger à la résurgence des idéologies et des mouvements d'extrême droite qu'on observe actuellement partout en Occident. L'apparent triomphe du libéralisme. La désintégration du communisme en tant que modèle alternatif de société et la crise que traversent aujourd'hui les projets socialiste et social-démocrate semblent laisser entièrement le champ libre au libéralisme et aux valeurs d'individualisme et de darwinisme social qu'il porte. D'aucuns n'hésitent pas à proclamer son triomphe, mais les choses ne sont pas aussi simples et le triomphe pourrait bien n'être qu'apparent. Le libéralisme, aujourd'hui comme hier, demeure porteur de déséquilibres, de conflits, d'inégalités et d'injustice qu'illustrent fort bien des phénomènes aussi divers que la montée de la pauvreté et de l'exclusion, la croissance de l'emploi précaire et la crise de la démocratie. Les peuples d'Europe de l'Est qui, il y a peu, ont vu dans le libéralisme un remède à tous leurs maux et s'y sont jetés à corps perdu, commencent déjà à en revenir. Ils en découvrent aujourd'hui l'envers de la médaille et subissent durement les effets pervers du développement sauvage de l'économie de marché. Les cohortes de sans-abri, qui, à l'Est comme à l'Ouest, au Nord comme au Sud, hantent les grandes villes du monde, expriment mieux que n'importe quelle autre image les limites du libéralisme triomphant. Et, partout sur la Terre, des êtres humains persistent à refuser que la raison du plus fort domine les rapports sociaux, à promouvoir les valeurs de tolérance, de liberté, de coopération et de solidarité, à agir pour que les choix politiques, économiques et sociaux soient réorientés en fonction de ces valeurs. Partout aussi, des forces sociales importantes, au premier rang desquelles se retrouvent le mouvement syndical et le mouvement des femmes, cherchent à mieux cerner les enjeux du temps présent et à oeuvrer pour mettre en place les conditions d'un avenir différent. Deuxième partie. Le Québec à l'heure des choix. La société québécoise est touchée de plein fouet par les mutations de toutes natures qui secouent présentement la planète Pour s'en rendre compte, il suffit d'observer par exemple la préoccupation croissante de la population envers les questions environnementales, les effets de l'intégration des marchés et de l'accentuation de la concurrence sur l'économie québécoise ou la croissance de la pauvreté que l'on constate depuis quelques années. L'impact de ces transformations, conjugué aux difficultés que la société québécoise éprouve à résoudre ses propres contradictions et aux hésitations qu'elle manifeste à assumer pleinement ses aspirations historiques, provoque une véritable situation de crise. A bien des égards, la société québécoise semble désorientée, oscillant entre des valeurs antagonistes, emprisonnée dans un statut politique désuet, s'épuisant en de vaines querelles constitutionnelles, indéterminée quant à son développement économique et social. Pourtant, face aux enjeux majeurs qui la confrontent, la société québécoise ne peut plus guère demeurer dans l'incertitude et repousser les échéances. Elle est confrontée à l'urgente nécessité d'effectuer un certain nombre de choix essentiels et décisifs pour son avenir. Réaffirmer la primauté des valeurs fondamentales. Dans la foulée de la Révolution tranquille et pendant près d'un quart de siècle, le peuple québécois a progressé, a développé son État et ses institutions, a déployé ses programmes sociaux et ses services publics, a orienté son développement économique, social et culturel sur la base d'un certain nombre de valeurs partagées collectivement et qui faisaient une large place à la recherche de l'égalité, du partage de la richesse, de la coopération et de la solidarité. Puis, à la faveur de la crise économique des années 80, sous l'influence d'un puissant courant néo-libéral qui commençait alors à souffler partout en Occident, on a vu les divers gouvernements prêter de plus en plus l'oreille à certaines franges de la population qui remettaient en question ces valeurs. On a vu les gouvernements se faire les promoteurs de nouveaux choix politiques, économiques, sociaux et culturels qui découlaient de cette idéologie néo-libérale. Cette remise en question s'est traduite notamment par un désinvestissement dans l'éducation publique et par l'accroissement du soutien à l'école privée, par la diminution de raide aux élèves en difficulté et par l'augmentation du soutien aux projets de douance; dans le domaine de la santé, par l'abandon des programmes de prévention et par la remise en question de l'universalité Elle s'est aussi traduite par la promotion de l'individualisme et de la compétition, par la privatisation de plusieurs responsabilités économiques et sociales de l'État, par l'évolution de plus en plus inéquitable de la fiscalité, par une opposition marquée aux revendications des femmes, par des restrictions à l'aide sociale, par une dévalorisation des régimes publics et collectifs de retraite et une valorisation des régimes individuels, etc. Ce détournement des valeurs a profité largement de la crise des idéologies dites «de gauche» qui a eu pour conséquence notable de nous faire éprouver collectivement une difficulté considérable à articuler un projet de société crédible et distinct de celui incarné dans le libéralisme dominant. Au Québec comme partout ailleurs en Occident, on a, au cours de la dernière décennie, prêté les vertus les plus exagérées à l'entrepreneurship privé, l'érigeant en un puissant mythe collectif, lui laissant façonner à sa guise l'économie, lui abandonnant les rênes de l'État et de la société, plagiant ses méthodes jusque dans la gestion de nos écoles et de nos hôpitaux. Avec quels résultats? Une impasse politique désolante, une crise économique sans précédent depuis les années 30, une situation sociale qui frôle la catastrophe, une détérioration des services publics et une stagnation des conditions de vie et de travail de celles et ceux qui y oeuvrent... Les idéologies totalitaires semblent en voie de s'effondrer partout dans le monde et c'est tant mieux. Faudrait-il les remplacer ici par le règne d'airain d'une idéologie néo-libérale sans coeur dont on n'arrive plus à tenir le compte des victimes dans les sociétés qui s'y sont adonnées corps et âme? Nous croyons, au contraire, qu'il importe plus que jamais de rappeler la légitimité et la primauté de certaines valeurs fondamentales, de les remettre à l'ordre du jour dans les grands débats publics et de faire en sorte qu'elles inspirent les choix de développement de la société québécoise. Nous croyons que le peuple québécois doit aujourd'hui réaffirmer clairement sa volonté de construire une société basée sur les valeurs de liberté, de démocratie et de tolérance, de justice sociale et de coopération, d'égalité et de solidarité. Sortir de la crise politique en réalisant l'indépendance. A la veille de l'an 2000, confronté comme tous les pays aux conséquences majeures de l'accentuation de la mondialisation, le Québec a de nombreux défis à relever pour assurer un meilleur présent à toutes et à tous, un avenir plus prometteur à sa jeunesse. Pensons simplement, à la nécessité dans laquelle il se trouve de se doter d'une stratégie de développement économique et social pour sortir de la crise économique et pour faire face à l'intégration du grand marché nord-américain et à l'intensification de la concurrence internationale. Pensons également aux difficultés qu'il éprouve toujours à asseoir la légitimité du français comme langue commune et à établir des rapports harmonieux entre la majorité francophone, les nations autochtones, la minorité anglophone et les communautés culturelles. Or, face à ces défis contemporains et à de nombreux autres, le Québec piétine. Rappelons le constat effectué par la vaste majorité des organismes québécois qui ont témoigné devant la Commission Bélanger-Campeau: le Québec ne dispose pas de nombreux pouvoirs politiques qui lui seraient nécessaires aujourd'hui pour assurer son développement social, économique et culturel. Rappelons par exemple qu'il ne peut même pas moderniser ses structures scolaires sans l'accord du gouvernement fédéral et des autres provinces! Prisonnier d'une camisole de force constitutionnelle, il est dans une impasse politique qui perdure. Cela fait maintenant plus de 25 ans que le Québec s'épuise en luttes stériles pour tenter de conquérir, de conférences constitutionnelles en commissions d'études, des demi-pouvoirs insatisfaisants et gaspille ensuite ses énergies à tenter de contrer avec plus ou moins de succès les intrusions d'un État fédéral centralisateur dans ses champs de compétence. Vingt-cinq années de négociations, de tergiversations et d'échecs ont, nous semble-t-il, largement démontré l'inutilité des tentatives de réformer le fédéralisme canadien En persévérant dans cette voie, le Québec risque de perdre un temps précieux qui serait mieux employé à s'attaquer aux problèmes économiques et sociaux qui s'accumulent. Il est temps d'en finir avec les atermoiements. Le droit du peuple québécois de s'autodéterminer est incontestable Son aspiration à l'indépendance est légitime, normale et viable. En accédant à l'indépendance, le Québec occuperait une place enviable dans le concert des quelque 200 nations qui sont aujourd'hui souveraines: au dix-huitième rang par sa superficie, comparable à l'Autriche, à la Suisse et à la Suède par sa population, au troisième rang des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économique (selon les données mêmes de cette organisation) par son produit intérieur brut per capita (total des biens et services produits en une année). En termes de niveau de vie, de développement économique et social, de démocratie et de droits et libertés, le Québec se comparerait avantageusement a la vaste majorité des autres pays indépendants. L'accession du Québec à l'indépendance, est-il besoin de le préciser, n'est pas une panacée. Elle ne se fera pas sans difficulté. Et, en soi, elle ne disposera pas non plus des problèmes économiques que la société québécoise connaît. Elle ne remplacera en rien la nécessité de réorienter bon nombre de choix sociaux déterminants. Mais elle permettra au peuple québécois de sortir de l'impasse politique dans laquelle il se trouve, de mettre la main sur les outils essentiels à son développement, de prendre les commandes des pouvoirs pour réaliser son projet de société. Nous croyons que le peuple québécois a un rendez-vous avec l'histoire qu'il ne doit pas rater. Son projet d'indépendance doit être un projet démocratique, généreux, ouvert sur le monde. Nous croyons que c'est un projet qui doit être mené à terme rapidement, dans le respect de la souveraineté populaire et dans un esprit de solidarité nationale et de sereine détermination. Sortir de la crise économique en investissant dans l'éducation. Le Québec traverse une crise économique qui affecte durement une large partie de sa population et, en tout premier lieu, les femmes, les jeunes et les enfants. Cette crise, comme nous l'avons vu, n'est pas une simple récession dont on pourrait espérer qu'elle disparaisse rapidement. Elle est plutôt la conséquence des bouleversements profonds provoqués par l'intégration des économies et des marchés et par l'intensification de la concurrence internationale. L'économie québécoise, à l'instar des économies canadienne et américaine, est mal en point. Les investissements, les exportations et la consommation stagnent. Le sous-emploi et le chômage s'accroissent. Des régions entières sont laissées pour compte Montréal s'enfonce dans le marasme. Selon les données mêmes de l'Association des manufacturiers, le secteur manufacturier connaît son pire déclin en 50 ans. A l'échelle canadienne, sa capacité de production n'est plus utilisée qu'à 70 %. De 1980 à 1991, la part des produits achetés au Canada et fabriqués sur place a chuté radicalement de 73 % à 56,5 %, ce qui en dit long sur l'incapacité et l'absence de volonté des milieux d'affaires de s'adapter au nouveau contexte de libre-échange en préservant les emplois. Depuis 1989, le secteur manufacturier aurait perdu plus de 400 000 emplois, dont le tiers au Québec. Cette désindustrialisation s'accompagne d'une véritable dislocation du marché du travail. Au chômage structurel très élevé que nous connaissons s'ajoute la prolifération du travail précaire. Désormais, il n'y a plus qu'un emploi sur deux qui soit à temps plein et permanent. Même au plus fort de la reprise qui a suivi la récession de 1982, la vaste majorité des emplois créés au Canada le furent dans le secteur des services et de la distribution au détail (75 % des emplois entre 1977 et 1987). Ces emplois, occupés aux trois quarts par des femmes, étaient pour la plupart peu qualifiés, non syndiqués, mal rémunérés, saisonniers, à temps partiel La précarité des emplois s'est aussi développée de manière considérable dans le secteur public: plus du tiers des emplois en éducation et plus de la moitié en santé sont des emplois précaires. Le développement économique futur du Québec dépend notamment de sa capacité à rééquilibrer la répartition de l'emploi entre les différents secteurs d'activités et à créer des emplois de qualité dans des secteurs concurrentiels. Pour y arriver, le gouvernement du Québec a récemment proposé une stratégie visant à miser sur une quinzaine de secteurs industriels compétitifs (appelés «grappes») déjà présents au Québec et disposant des atouts nécessaires pour faire face à la concurrence internationale. Cette stratégie représente un pas dans la bonne direction et a reçu un large soutien de l'ensemble des intervenants économiques. On peut toutefois se demander dans quelle mesure elle pourra être réellement concrétisée. D'une part, une bonne partie des outils nécessaires a sa mise en place sont entre les mains du gouvernement fédéral qui ne poursuit pas nécessairement, loin s'en faut, les mêmes objectifs économiques. D'autre part, l'actuel gouvernement du Québec, fidèle en cela à son idéologie néo-libérale, refuse d'assumer le leadership de cette réorientation et s'en remet à l'initiative privée. Or, c'est précisément cette politique de laisser-faire qui prévaut au Canada et au Québec depuis une dizaine d'années, et qui nous a valu par exemple de nous engager dans le libre-échange avec les États-Unis sans programme de soutien et d'adaptation, ni pour les entreprises ni pour la main-d'oeuvre, avec les résultats désastreux que l'on connaît. Il n'existe pas de recette miracle pour assurer la relance économique du Québec, mais il y a urgence d'agir pour réunir les conditions rendant possible une telle relance. Chose certaine, la relance économique du Québec, dans un contexte d'intégration des marchés, d'intensification de la concurrence et de mutations technologiques, ne peut se réaliser sans refaire de l'éducation une véritable priorité sociale. Cette conviction est heureusement de plus en plus largement partagée dans tous les milieux. A cet égard, le directeur du département d'économie du MIT, Monsieur Lester Thurow, dans une entrevue qu'il a accordée à la revue «Actualité» en août 1991, posait en termes très clairs le choix qui s'offre à nos sociétés: «Aujourdhui, pour être concurrentiel, un pays n'a que deux choses à offrir des salaires plus bas ou une main-d'oeuvre plus qualifiée. Il n'y a rien d'autre. Personne ne va tenter de concurrencer le Pérou en abaissant ses impôts, le Pérou aura toujours des impôts plus bas. Et il y aura toujours un endroit où le coût des services sociaux sera moindre. Si on choisit d'offrir une main-d'oeuvre plus qualifiée qu'ailleurs, il faut être sérieux et commencer a travailler sur l'éducation primaire et secondaire.» Le taux d'abandon scolaire que nous connaissons actuellement au Québec (le plus élevé dans les pays développés), la déficience de la formation de la main-d'oeuvre qui caractérise notre société (moyenne annuelle de deux heures par travailleuse ou travailleur comparativement à 160 heures au Japon) et le sous-financement des universités qui se prolonge d'année en année soulignent avec éloquence l'ampleur du défi qui se pose à notre société. Nous croyons qu'il est urgent que le Québec s'engage dans la mise en oeuvre d'un développement économique durable, axé sur l'objectif du plein emploi, respectueux de l'environnement, basé sur l'éducation et la formation de la main-d'oeuvre et appuyé sur une stratégie industrielle innovatrice et adaptée aux nouvelles réalités économiques. Sortir de la crise sociale en misant sur la solidarité. Conséquence de la crise des valeurs, de l'impasse politique et de la crise économique, la situation sociale que connaît actuellement le Québec frôle la catastrophe. Quelques données, toutes plus inquiétantes les unes que les autres, suffisent à illustrer la gravité de la situation. On dénombre, en 1991, dans notre société, plus de 400 000 personnes en chômage et plus de 650 000 personnes assistées sociales. Plus d'un million de personnes vivent dans la pauvreté, dont le tiers sont des enfants. Il faut souligner de plus que la moitié des familles monoparentales (presque toutes dirigées par des femmes) et 60 % des femmes âgées vivant seules sont pauvres, ce qui met tragiquement en lumière le phénomène de féminisation de la pauvreté. La faim est redevenue un problème sérieux pour plusieurs: uniquement à Montréal, il existerait aujourd'hui 340 organismes de dépannage alimentaire! Par ailleurs, on y dénombre plus de 15 000 sans-abri, dont le tiers sont âgés de moins de 30 ans et dont le quart ont déjà été hospitalisés en psychiatrie. De plus, nous détenons depuis quelques années le triste record du plus haut taux de suicide au monde chez les jeunes... La montée de l'exclusion, qui constitue une tendance lourde dans toutes les sociétés industrialisées, est particulièrement virulente ici. L'écart entre les personnes qui ont accès au travail et à la consommation et celles qui n'y ont qu'un accès précaire ou qui en sont tout à fait exclues ne cesse de s'agrandir. Cet écart provoque une tension sociale croissante et est porteur de conflits potentiels très sérieux. La solidarité entre payeurs et bénéficiaires des mesures sociales s'effrite de plus en plus; la grogne fiscale de la classe moyenne s'amplifie; le terrain devient propice à la remise en question de l'intégrité des programmes sociaux et des services publics. Il est évident qu'il n'y a pas à moyen terme de solution réelle à ces multiples problèmes sociaux sans mise en oeuvre d'une véritable politique visant le plein emploi Et nous parlons évidemment ici de développement d'emplois stables, à temps complet et bien rémunérés. Pour que cela devienne possible, il faut, comme le souligne le Conseil des affaires sociales dans son rapport sur le développement, mobiliser les forces vives au niveau local et régional et «redéfinir le contrat social du Québec des années 90 autour du principe de l'emploi pour tous». Et pour cela, il faut établir un consensus entre l'État, les entreprises et le mouvement syndical notamment afin d'identifier les secteurs porteurs d'avenir, d'y procéder à des investissements judicieux et massifs, et de consentir un effort sans précédent à la formation de base et à la formation technique des ressources humaines. Le développement d'emplois de qualité représente également la seule réponse valable à la crise des finances publiques. Il suffit de se rappeler que si toutes les personnes aptes au travail étaient effectivement au travail à un salaire industriel moyen, les recettes fiscales et les économies de prestations qui en découleraient couvriraient très largement le déficit budgétaire du gouvernement québécois et lui permettraient de répondre aux nouveaux besoins sociaux. Il est par ailleurs évident qu'il existe dans notre société un sérieux problème de manque d'équité dans la répartition du fardeau des impôts entre les particuliers et les entreprises et qu'il est devenu urgent, dans le contexte actuel, de s'atteler collectivement à une réforme significative de la fiscalité. Nous croyons qu'il est urgent d'instaurer au Québec un nouveau contrat social qui mise sur la solidarité et qui, notamment par la mise en oeuvre d'une politique de plein emploi et par une réforme en profondeur de la fiscalité, contribuerait à réduire la pauvreté en assurant un meilleur partage de la richesse et une plus grande équité entre les régions et entre les groupes. Ce nouveau contrat social contribuerait également à améliorer de manière significative la condition économique et sociale des femmes et à accélérer l'atteinte de l'égalité. Il contribuerait à maintenir et à développer un système de santé et de services sociaux de qualité en lui assurant un financement public adéquat, transparent et progressif. Il contribuerait enfin à donner à l'école les moyens de la réussite et à reconnaître l'éducation comme un fondement essentiel de la démocratie et comme une condition première du développement économique, social et culturel. Troisième partie. Le syndicalisme québécois à la croisée des chemins. Dans un monde en profonde mutation et dans un Québec confronté à des choix déterminants pour son avenir, le syndicalisme québécois se retrouve aujourd'hui en quelque sorte à la croisée des chemins. Des perspectives fragiles. Mieux que ses semblables dans bon nombre de sociétés industrialisées, le mouvement syndical québécois a su non seulement préserver mais accroître sa force numérique. S'il est loin d'atteindre les sommets observés dans des pays comme la Suède (environ 89%), le taux de syndicalisation se situe à environ 47 % au Québec, c'est-à-dire nettement au-dessus des taux de syndicalisation au Japon (28%) , en France (25%), au Canada (38%) et aux États-Unis (17%). Il jouit par ailleurs, selon tous les sondages, d'une importante reconnaissance dans la population qui le considère comme une institution indispensable à la défense des droits des travailleuses et des travailleurs. Il demeure un intervenant social de premier ordre et dispose d'une réelle capacité d'action collective. Il est difficilement imaginable, par exemple, que puisse s'établir au Québec le consensus nécessaire à la résolution de la triple crise politique, économique et sociale sans qu'il soit partie prenante des solutions. Toutefois, menacé dans certains de ses acquis, le mouvement syndical québécois est placé sur la défensive. Il éprouve de la difficulté à s'adapter aux profondes mutations en cours et à en saisir les enjeux déterminants. Il est aussi atteint par la crise de confiance qui touche toutes les institutions. Certaines de ses composantes sont tentées par un repli sur soi. Son extrême désunion est une source de faiblesse inquiétante et mine dangereusement son influence. Il souffre de son incapacité à concevoir une vision politique et stratégique d'ensemble. Les perspectives du mouvement syndical québécois sont par conséquent fragiles. S'il n'arrive pas dans les années qui viennent à dépasser ses divisions, s'il cède à la tentation corporatiste, s'il ne se renouvelle pas, s'il ne parvient pas à mieux cerner ses objectifs prioritaires et à articuler stratégiquement ses interventions tant dans les milieux de travail que sur les plans revendicatif, professionnel et sociopolitique, il pourrait bien connaître un déclin semblable à celui du mouvement syndical américain: de moins en moins représentatif, de moins en moins influent, de plus en plus faible et marginalisé... Mais nous croyons que le déclin du syndicalisme n'est en rien inéluctable Les jeux ne sont pas encore faits. Rendu à la croisée des chemins, le mouvement syndical québécois peut choisir, dans un effort commun de lucidité et de volonté, d'emprunter, malgré les risques, la voie du renouvellement Cependant, le temps lui est désormais compté pour agir. Un fondement essentiel à la démocratie. Certaines personnes n'hésitent pas à questionner la pertinence et la légitimité de l'action syndicale dans les sociétés modernes. A leurs yeux le syndicalisme serait devenu une institution dépassée et inutile, une sorte d'empêcheur de danser en rond dans un monde dominé par les dogmes de la compétitivité et de la productivité. D'autres, à l'extérieur comme au sein des organisations syndicales, voudraient voir le syndicalisme ne pas intervenir dans le champ social et politique, ni même dans celui de l'organisation du travail, et se replier sur la stricte défense des intérêts salariaux et professionnels des travailleuses et des travailleurs. C'est vite oublier les leçons du passé. Car si l'histoire nous a appris que la démocratie est une condition préalable et vitale au véritable développement économique et social, elle nous a aussi enseigné que le syndicalisme, de par la voix qu'il donne aux travailleuses et aux travailleurs, les valeurs qu'il porte, les orientations qu'il défend et l'action incessante qu'il mène, représente un fondement essentiel à toute société démocratique. Est-ce une pure coïncidence si les pays où la démocratie n'existe pas ou est défaillante sont aussi des pays où le syndicalisme est absent, faible ou réprimé? Est-ce un simple hasard si les grands acquis sociaux qui caractérisent notre société - pensons notamment à assurance chômage, au système public de santé, aux régimes de retraite sont largement le fruit des luttes persistantes qu'en d'autres temps le mouvement syndical québécois a menées? Une présence et une action légitimes. Si le mouvement syndical, de concert avec les autres forces démocratiques et sociales, ne réaffirme pas la primauté de la solidarité sur l'individualisme dans notre société, qui donc le fera? Si le mouvement syndical n'intervient pas pour démocratiser les milieux de travail dans les institutions et les entreprises et pour les adapter aux nouvelles réalités - condition sine qua non d'une efficacité accrue dans l'organisation du travail - qui donc le fera? Si le mouvement syndical abandonne son action revendicative et professionnelle pour assurer l'égalité et l'équité dans la détermination des conditions salariales et de l'ensemble des conditions de travail des personnels qu'il représente, qui donc le fera? Si le mouvement syndical n'agit pas pour contrer le développement de la précarité dans l'emploi, qui donc le fera? Si le mouvement syndical québécois s'abstient de participer aux débats en cours, s'il cesse de dénoncer la croissance des inégalités et de la pauvreté ainsi que la montée de l'exclusion, s'il abandonne la lutte pour la mise en oeuvre d'une politique de plein emploi, s'il ne pèse pas de tout son poids afin que les intérêts et les aspirations de ses membres et de la majorité de la population soient réellement pris en compte dans l'élaboration des choix politiques, économiques et sociaux qui détermineront l'avenir du Québec, qui donc le fera? Dans la conjoncture présente, le pire service que le mouvement syndical pourrait rendre non seulement à la collectivité québécoise mais en tout premier lieu à ses propres membres serait de se replier sur lui-même, de s'enfoncer la tête dans le sable de ses préoccupations immédiates, de laisser à d'autres la tâche de dessiner l'avenir. Le prix qu'il devrait payer plus ou moins long terme pour une telle politique de l'autruche serait sans doute sa marginalisation comme force sociale et une très importante dégradation des conditions de vie et de travail des personnes qu'il représente. Nous croyons qu'aujourd'hui plus qu'hier encore, la présence et l'action du mouvement syndical dans tous les milieux de travail, comme dans les régions et dans la société en général, et sur tous les plans - revendicatif, professionnel et sociopolitique - sont légitimes. Le mouvement syndical a non seulement le droit de faire entendre sa voix; il en a l'impérieux devoir, Développer une nouvelle stratégie syndicale. Mais, pour être en mesure d'assumer pleinement ses responsabilités dans les années à venir, pour accroître sa capacité d'influer réellement et durablement sur l'évolution éthique, politique, économique et sociale du Québec, pour défendre efficacement les intérêts de ses membres, le syndicalisme québécois doit se remettre sérieusement en question. Il doit renouveler ses formes d'organisation, son fonctionnement, son discours et ses pratiques. Il doit surtout éviter d'être à la remorque des événements et se doter de nouvelles perspectives stratégiques pour faire face aux mutations en cours et aux enjeux socio-économiques majeurs. Cela implique d'abord l'affirmation d'une commune volonté d'identifier conjointement des objectifs prioritaires et réalisables dans la conjoncture présente, et de mettre en oeuvre des 23 moyens Importants et concrets pour les atteindre. Il ne manque pas d'objectifs et de projets déterminants qui, dans le contexte actuel, devraient faire l'objet d'une action stratégique concertée du mouvement syndical québécois: - la réduction de la précarité dans l'emploi, ce qui suppose notamment la syndicalisation du nouveau salariat qui subit cette précarité particulièrement dans les services privés et ce qui implique de faire de l'amélioration des conditions salariales et des conditions de travail des personnels à statut précaire une priorité dans les négociations de conventions collectives; cette lutte à la précarité est vitale pour l'avenir même du syndicalisme; - la promotion des droits des femmes et l'amélioration significative de leurs conditions socio-économiques, ce qui implique la mise en oeuvre d'un ensemble de transformations, notamment dans les milieux de travail; - la transformation de l'organisation du travail où, dans un contexte de valorisation de diverses formes de gestion participative, des gains substantiels pourraient être acquis en termes d'accroissement réel de la coopération, d'adaptation des milieux de travail aux conditions des femmes et de développement du pouvoir des travailleuses et des travailleurs sur leurs lieux de travail à la suite d'un engagement syndical dans ce champ; Relever les défis des années qui viennent. - la revalorisation de la négociation, particulièrement dans le secteur public, ce qui suppose la réalisation d'une réforme en profondeur des régimes de négociation et de relations de travail dans le sens d'une réaffirmation et d'une consolidation du droit de négocier qui est battu en brèche partout; ce qui suppose aussi d'identifier les meilleurs moyens de responsabiliser les parties et de déjudiciariser les modes de règlement des problèmes (notamment par la mise en place de comités permanents dans les établissements et par la création d'une Commission des relations de travail), ce qui implique enfin d'interroger et éventuellement de réviser et d'adapter les pratiques syndicales actuelles en matière de négociation et d'application des conventions collectives; - la mise en oeuvre d'une politique de plein emploi, ce qui suppose l'élaboration de propositions conjointes et concrètes favorisant la mise en place d'une telle politique de développement économique durable; - la revalorisation de l'éducation, ce qui suppose qu'elle soit reconnue socialement comme un fondement essentiel de la démocratie et comme une condition indispensable au développement économique, social et culturel; - la consolidation a le développement des services publics et des programmes sociaux, ce qui suppose l'établissement d'un consensus solide quant aux valeurs collectives de la société québécoise et ce qui implique notamment une réforme en profondeur de la fiscalité; - l'instauration d'un nouveau contrat social, qui suppose une approche progressive et pragmatique et ce qui implique la constitution d'une large alliance sociale à cette fin. C'est dans la mesure où il se donnera de telles perspectives stratégiques et où il mettra en oeuvre une action concertée et efficace pour les atteindre que le mouvement syndical pourra exercer une réelle influence sur l'État québécois et le forcer à prendre ou à reprendre ses responsabilités économiques et sociales. C'est aussi en se donnant de telles stratégies communes qu'il sera le mieux à même, dans la perspective d'une accession du Québec à l'indépendance, d'assurer tout au long du processus la défense et la promotion des intérêts et des aspirations de ses membres et de l'ensemble des travailleuses et des travailleurs. Outre les questions que nous venons d'identifier, le mouvement syndical québécois sera par ailleurs confronté dans les années à venir à de nouveaux enjeux sur lesquels il aurait tout intérêt à développer une vision et une action communes. Pensons à la tendance à la décentralisation qui semble vouloir se développer comme un courant important dans notre société. Cette tendance peut constituer un piège si elle conduit au désengagement de l'État et au renforcement des inégalités. Elle peut aussi, à l'opposé, représenter un moyen de revitaliser la démocratie, qui en a bien besoin, et de revitaliser les régions en permettant aux citoyennes et aux citoyens et à leurs groupes représentatifs d'identifier les problèmes prioritaires, de rechercher les solutions adéquates et de les mettre en oeuvre dans un esprit de nouvelle solidarité sociale. Entre le piège et le défi, une action concertée du mouvement syndical pourrait bien faire toute la différence. En somme, nous avons la conviction que le développement d'une nouvelle stratégie syndicale au Québec, aussi difficile et exigeant que cela puisse paraître, est un défi incontournable que doit relever le mouvement syndical s'il veut se donner une réelle capacité d'influencer l'avenir de notre société et d'enraciner sa légitimité auprès de ses membres et de la population. Clarifier les objectifs de la concertation. Pour être réellement efficace, la mise en oeuvre d'une nouvelle stratégie syndicale implique aussi une participation conjointe et soigneusement préparée dans les lieux d'influence bipartites ou tripartites afin de maximiser l'influence syndicale. Dans la mesure où elle sollicite fortement les diverses composantes sociales (État, patronat, mouvement syndical, etc) à s'inscrire dans un processus de concertation afin de créer les consensus nécessaires à sa résolution, la crise politique, économique et sociale que traverse le Québec peut représenter une «chance historique» à saisir pour le mouvement syndical. Mais attention! Il n'y a rien de magique dans la concertation. Celle-ci soulève plusieurs questions et comporte des risques, notamment un risque d'érosion de la démocratie syndicale, un risque de rupture entre les représentantes et représentants syndicaux et les membres. Mais elle n'a rien de diabolique non plus. En fait, le mouvement syndical pratique depuis toujours dans une certaine mesure la concertation en négociant et en concluant des conventions collectives. Cela ne le dispense pas pour autant de construire, de préserver et d'utiliser au besoin un rapport de force dont l'utilité demeure évidente dans une société capitaliste où les travailleuses et les travailleurs n'ont guère de cadeau à attendre ni de l'État, ni du patronat. La question n'est donc pas tellement de savoir si le mouvement syndical doit participer aux lieux de concertation, mais de clarifier les objectifs qu'il y poursuit, d'identifier les niveaux et les lieux où sa participation peut permettre réellement de faire avancer ses objectifs, d'assurer un réel contrôle et un réel suivi des instances démocratiques syndicales sur le processus et sur les résultats de la concertation et enfin, d'appuyer celle-ci sur une mobilisation des membres. Appliquée à tous les niveaux (lieux de travail, régions, secteurs économiques, niveau national), et encadrée par une législation et un État qui assumerait pleinement son rôle et garantirait la mise en oeuvre effective des consensus à travers un contrat social, la concertation pourrait être un instrument réel de démocratisation économique et sociale. Relever les défis des années qui viennent. Il n'est pas indifférent de rappeler à cet égard que les pays où les travailleuses et les travailleurs ont le mieux préservé leurs acquis à travers les crises successives (la Suède et l'Autriche par exemple) sont ceux où se pratique une réelle concertation et où existe un authentique contrat social. La volonté de concertation, telle qu'elle se développe actuellement au Québec, doit dépasser la simple réaction défensive face à la concurrence et la nécessité de sauver les meubles en période de crise économique. Elle doit rapidement s'inscrire dans une démarche collective de démocratisation véritable des lieux de travail et de démocratisation des décisions quant aux orientations économiques et sociales, tant dans les régions et dans les secteurs d'activités qu'au niveau national. Dépasser les divisions intersyndicales. La mise en oeuvre d'une nouvelle stratégie syndicale implique par ailleurs - et ce n'est pas le moindre des défis - que le mouvement syndical québécois parvienne à dépasser les divisions et la désunion qui l'affaiblissent considérablement. Il n'y a pas d'exemple de pays où un mouvement syndical à ce point éclaté et morcelé ait préservé et développé une capacité d'action et une réelle influence sociale. Certes, il existe des raisons historiques et des sentiments d'appartenance fondés qui justifient l'existence du pluralisme syndical tel que nous le connaissons au Québec. Mais les divergences idéologiques du passé se sont aujourd'hui largement atténuées, ne laissant souvent place qu'à des rivalités organisationnelles. N'est-il pas imaginable, dans le respect des légitimes sentiments d'appartenance, de dépasser les rivalités et les divisions et de développer un authentique partenariat intersyndical autour de certains objectifs prioritaires communs? Dans un contexte d'accentuation de la mondialisation, au moment où, par exemple, les organisations syndicales nationales des divers pays d'Europe viennent de se réunir en une Confédération européenne, le morcellement du mouvement syndical québécois n'apparaît-il pas archaïque? Dans notre société qui traverse une crise politique, économique et sociale d'une extrême gravité, alors que la faiblesse du mouvement syndical risque d'handicaper sérieusement sa capacité d'influer sur le cours des événements, peut-on trouver de réelles justifications au déplorable état de désunion qui caractérise le syndicalisme québécois? Bien sûr, les organisations syndicales collaborent déjà dans un certain nombre de dossiers importants, notamment au sein du Mouvement Québec, de l'intersyndicale des femmes et de diverses coalitions. Mais cela paraît bien timide et nettement insuffisant en regard des défis majeurs qui leur sont actuellement posés. Ce dont le mouvement syndical a besoin aujourd'hui, ce n'est pas d'une illusoire unité organique. Sur le plan démocratique, il n'est pas évident que celle-ci soit souhaitable. Il n'est surtout pas évident qu'elle soit réalisable. La recherche à tout prix d'une telle unité organique risquerait au contraire d'accroître la tendance à la dispersion en une multitude d'organisations indépendantes et d'éloigner le mouvement syndical québécois d'une véritable amorce d'unification. Ce dont il a un urgent besoin, c'est d'abord d'affirmer une volonté commune et réelle de gérer le plus harmonieusement possible l'inévitable concurrence intersyndicale, de réduire, sinon d'éliminer les impacts négatifs des changements d'allégeance syndicale et de mettre en place des moyens concrets, tel un comité conjoint d'arbitrage des conflits, pour y arriver. Ce dont il a un urgent besoin, c'est ensuite de mettre en place les conditions d'une unité stratégique et d'une unité d'action pour atteindre les objectifs essentiels évidents qui sont les siens en cette période de mutation et de crise. Même s'il peut arriver que les organisations syndicales aient parfois à défendre chacune de leur côté leurs intérêts particuliers, elles n'en demeurent pas moins confrontées à des enjeux sociaux identiques. Ne pourrait-on, dans une démarche réfléchie pour y parvenir, oeuvrer ensemble afin d'identifier les éléments centraux d'un projet commun de société à promouvoir et les objectifs prioritaires à poursuivre dans le cadre d'une nouvelle stratégie syndicale? Ce dont le mouvement syndical a besoin, enfin, c'est d'initier une dynamique concrète et pragmatique de dépassement des divisions en mettant en commun certains moyens et certaines ressources, sur le plan par exemple de la recherche, des communications, de la mobilisation et de l'action sociopolitique au sein d'un secrétariat Intersyndical qui serait au service de ses objectifs conjoints. Le développement d'un véritable partenariat intersyndical au Québec devrait par ailleurs conduire, dans le présent contexte d'intégration du marché nord-américain, à une démarche conjointe pour favoriser l'émergence de nouvelles formes de coopération et de solidarité intersyndicales à l'échelle du continent. La mise en place d'un nouveau partenariat intersyndical est, nous en avons la conviction, une condition urgente et essentielle au renouvellement et au redéploiement social du syndicalisme québécois. Reconstruire une alliance sociale. Enfin, l'efficacité de la mise en oeuvre d'une nouvelle stratégie syndicale et la réussite du renouvellement et du redéploiement social du mouvement syndical québécois passent par la reconstruction d'une alliance des forces sociales et démocratiques autour d'un nouveau projet commun de société et de certains grands objectifs collectifs. Il n'est guère imaginable en effet que le mouvement syndical, à lui seul, parvienne à réorienter en profondeur les choix politiques, économiques et sociaux du Québec et parvienne à atteindre les objectifs prioritaires que nous avons identifiés précédemment. Le mouvement syndical québécois se doit par conséquent de prendre dans les années à venir l'initiative de proposer aux autres forces sociales progressistes la construction d'une nouvelle alliance en faveur du changement. Cette proposition devrait s'adresser particulièrement au mouvement des femmes qui constitue une des plus grandes forces dynamiques à l'oeuvre dans notre collectivité, à l'oeuvre aussi au sein même des organisations syndicales. Le mouvement québécois des femmes s'est d'ores et déjà attelé à l'immense défi de définir les éléments novateurs d'un projet d'avenir pour la société québécoise, comme en témoigne la tenue cette année du Forum national des femmes autour du thème «Un Québec féminin pluriel» et comme en témoignent les débats qui ont eu cours dans plus de 1 300 groupes rassemblant près d'un million de femmes. Cette proposition devrait s'adresser également au mouvement coopératif qui vient de tenir des États généraux, précédés d'une trentaine de colloques régionaux, qui l'ont conduit à élaborer un projet de société qui rejoint à bien des égards les objectifs prioritaires du mouvement syndical et du mouvement des femmes. Cette proposition devrait enfin, cela va de soi, s'adresser au mouvement communautaire qui poursuit, notamment avec la Commission populaire itinérante de Solidarité populaire Québec, sa propre réflexion sur les orientations d'un nouveau projet de société. Une telle jonction entre le mouvement syndical, le mouvement des femmes, le mouvement coopératif et le mouvement communautaire autour d'un projet commun et d'objectifs prioritaires réalisables serait susceptible de modifier sensiblement les rapports de force présents dans notre société. Elle pourrait peser de manière significative sur les choix que le Québec doit effectuer dans les années qui viennent pour sortir de la triple crise politique, économique et sociale. Elle pourrait aussi représenter un élément moteur pour revitaliser la démocratie aux niveaux local, régional et national. La mise en oeuvre d'une telle action concertée des forces sociales conduirait inévitablement à relancer sur des bases différentes la réfiexlon et le débat sur l'action politique du mouvement syndical québécois et à questionner son abstentionnisme historique qui constitue, aux yeux de plusieurs, une véritable pierre d'achoppement de son influence dans notre société. Nous croyons que le renouvellement du syndicalisme québécois et l'accroissement de sa capacité à influer sur les choix politiques, économiques et sociaux impliquent dans les années à venir à la fois la reconstruction d'une alliance sociale et la poursuite de sa réflexion sur son action politique autonome. Quatrième partie. La CEQ face aux défis des années qui viennent. La CEQ est concernée par les profondes mutations qui sont en voie de transformer le monde dans lequel elle agit et qui sont susceptibles de modifier à plus ou moins long terme les milieux de vie et de travail de ses membres. Elle doit prendre acte de l'ampleur de ces mutations et les prendre en compte dans ses analyses et dans l'élaboration de ses stratégies syndicales. Oeuvrant dans la société québécoise, la CEQ est également directement touchée par l'évolution des valeurs de même que par l'impasse politique et la crise socio-économique qu'elle connaît. Elle se doit d'influer sur les choix d'avenir du Québec, ne serait-ce qu'à cause de l'impact que ces choix exerceront sur les conditions professionnelles et les conditions de vie de ses membres. Composante du mouvement syndical québécois, la CEQ est confrontée à bien des égards aux mêmes enjeux, aux mêmes problèmes, aux mêmes difficiles défis. De par sa nature et sa composition, ses valeurs et ses orientations, la CEQ a une responsabilité particulière à assumer et une contribution originale à apporter tant dans le mouvement syndical que dans la société québécoise. Elle a aussi des défis spécifiques à relever dans les années qui viennent. Mailler diversité et solidarité. Au cours des dernières années, la CEQ a mené une démarche exemplaire sur les plans de la démocratie et de la participation afin de clarifier et de redéfinir sa mission, ses valeurs, ses principales orientations et ses pratiques et afin de revoir et de transformer ses services, ses structures, son fonctionnement, son financement et sa gestion. Peu d'organisations ont le courage de s'atteler lucidement à une remise en question volontaire, aussi profonde et articulée, d'une ampleur aussi considérable. Cette démarche, animée par le Groupe d'étude sur les structures et les services, s'imposait. Elle est porteuse de grands espoirs. L'implantation dans les années à venir des changements qui, à la suite de cette démarche, seront retenus par les instances de la CEQ devrait contribuer de manière importante à renouveler son syndicalisme et à l'adapter aux réalités nouvelles. Ces changements devraient assurer une plus grande cohésion interne, un meilleur partage et une utilisation plus efficace des ressources, une action plus unie et plus forte parce que plus participative. Ils devraient permettre d'harmoniser prise en compte des aspirations individuelles ou catégorielles a démarche collective. La réussite de cette transformation qui vise fondamentalement à mailler diversité et solidarité est une condition essentielle au renouvellement du syndicalisme de la CEQ et au redéploiement de son action collective. Refaire de l'éducation une priorité sociale. Au cours des dernières années, la CEQ a aussi replacé l'éducation au coeur de son projet syndical. Elle a entrepris une offensive majeure afin de refaire de l'éducation une priorité sociale déterminante au Québec. Cette offensive, centrée autour de la campagne «Pour une école de la réussite», a connu un retentissement réel et important, tant auprès des membres de la CEQ que dans le milieu de l'éducation et dans la population en général. Elle a notamment illustré la capacité de mobilisation des membres de la CEQ sur une question qui les préoccupe grandement. Elle a contribué à l'émergence d'une prise de conscience nouvelle face aux sérieux problèmes d'éducation que vit aujourd'hui la société québécoise. La tenue, tout au long de 1991, de séminaires sur la réussite scolaire dans les différentes régions du Québec a permis de mettre en évidence l'ampleur du problème de l'échec et de l'abandon scolaires, d'en identifier les causes, de reconnaître notre part de responsabilités, de mettre de l'avant des solutions concrètes, et de contraindre le ministre de l'Éducation à reconnaître la gravité de la situation et à s'engager dans un plan d'action. La CEQ, ses composantes et ses membres ont eu l'occasion d'exprimer clairement au ministre leur point de vue sur les mesures à mettre en place pour favoriser une école de la réussite, notamment lors de la rencontre nationale organisée en janvier 1992 par la Fédération des enseignantes et enseignants de commissions scolaires (FECS) et le Centre de recherche et d'intervention sur la réussite scolaire (CRIRES), que la Centrale a mis sur pied avec l'Université Laval. Mais la partie est loin d'être gagnée. Elle est à peine engagée. La lutte pour refaire de l'éducation une priorité sociale déterminante et pour mettre en place les conditions d'une école de la réussite devra demeurer au centre de l'action de la CEQ dans les années à venir, tant sur les plans revendicatif, professionnel que sociopolitique. L'atteinte de cet objectif est en effet intimement liée a l'ensemble des priorités syndicales et professionnelles définies par les membres de la Centrale au cours des dernières années. La revalorisation de l'éducation et l'instauration d'une école de la réussite impliquent indéniablement la revalorisation des personnels de l'éducation et l'accroissement de leur nombre, de leur pouvoir et de leur autonomie. Elles impliquent aussi une réduction significative de la précarité, une revalorisation de la formation professionnelle, une organisation du travail différente et plus coopérative, un développement des services professionnels, des mesures de soutien aux élèves en difficulté et aux institutions oeuvrant dans les milieux défavorisés et pluriethniques. En fait, elles impliquent un effort sans précédent de revalorisation globale de l'éducation publique. Par ailleurs, la partie ne se jouera pas uniquement sur le terrain des revendications, de la négociation et de l'action sociopolitique. C'est aussi dans chaque milieu, dans chaque établissement que se posera le défi de la réussite scolaire. A cet égard, la Centrale, de concert avec ses fédérations concernées, proposera dans les mois qui viennent un plan d'action pour poursuivre la campagne pour la réussite scolaire. Ce plan d'action visera particulièrement à outiller les syndicats et à aider les membres à assumer ce nouveau défi. Et ce défi est de taille. Nous savons combien les membres se sentent isolés, dévalorisés, sans voix. Aussi est-ce la voix collective des membres, dans chaque établissement, qui devra être amplifiée. C'est une véritable reconquête du pouvoir des membres et une revalorisation de leur travail au niveau local qui devront être orchestrées dans les années à venir, notamment en redéfinissant et en redéployant les objectifs poursuivis par l'engagement syndical dans les lieux de participation et en développant l'engagement concret des membres dans la mise en oeuvre d'une école de la réussite. Le défi ne se posera pas uniquement dans les écoles; il se posera également dans les cégeps et les universités. Car, à l'enseignement postsecondaire aussi il y a nécessité de mettre en place une stratégie pour assurer la réussite et la persévérance. A ce niveau, on sait que la réussite passe notamment par un accroissement du taux d'accessibilité et une amélioration des mesures d'accueil, d'encadrement et de suivi. Ces préoccupations furent d'ailleurs au coeur de la réflexion que la CEQ et ses fédérations concernées ont menée sur le cégep de l'an 2000. Elles vont demeurer centrales dans les années à venir. Au niveau postsecondaire, la tache ne sera pas facile face à un ministère qui semble préoccupé surtout par l'évaluation étroite de la performance des institutions et par leur classement. Un tel souci de l'image et une telle promotion de la concurrence risquent de conduire à un système hiérarchisé et inégalitaire et d'affecter peu à peu la mission fondamentale des cégeps et des universités. Les problèmes cruciaux d'échec et d'abandon scolaires qui se posent à la société québécoise devraient conduire celle-ci à requestionner dans les années qui viennent non seulement le rôle et la mission des cégeps - on voit mal ce qu'une évaluation à la pièce comme le propose actuellement le gouvernement pourrait donner- mais l'ensemble du système et du projet éducatifs. Le temps n'est-il pas venu de revendiquer la mise sur pied d'une Commission d'enquête publique sur l'éducation? La mise sur pied d'une telle commission ne devrait cependant pas servir de prétexte à retarder l'entrée en vigueur des mesures urgentes nécessaires pour lutter contre le décrochage scolaire. Une telle commission d'enquête devrait se pencher sur le sens de l'éducation, sur ses missions (notamment sa mission sociale), sur ses finalités, sur ses moyens; en prenant particulièrement en compte la situation démographique, les nouvelles réalités de la famille, de la petite enfance, des milieux défavorisés, le caractère pluriethnique croissant de la société québécoise, les mutations économiques et technologiques, la nouvelle problématique de la formation professionnelle, et les impacts de l'introduction des valeurs de compétition dans l'école ainsi que de la sélection exercée non seulement par des écoles privées grassement financées par les fonds publics, mais aussi par un nombre croissant d'écoles publiques. Un quart de siècle après le rapport Parent, il est temps de faire à nouveau le point et de réfléchir collectivement sur l'éducation du vingt-et-unième siècle. La CEQ entend apporter sa contribution dans ce dossier prioritaire, notamment en soumettant à son Congrès de 1994 les résultats d'une première réflexion globale sur l'éducation, réflexion conduisant à une démarche auprès des membres. L'éducation redevient partout un enjeu central du développement des sociétés. L'éducation basée sur la compartimentation et le fractionnement du savoir montre aujourd'hui ses limites. Il paraît de plus en plus évident que la formation de base doit transmettre des valeurs fondamentales et une vision globale du monde afin que l'être humain soit en mesure de comprendre ses origines, son environnement, la société dans laquelle il vit et soit aussi en mesure d'agir sur elle. Ce n'est qu'ensuite que la spécialisation dans une discipline ou dans un métier doit prendre progressivement sa place. La lutte que mène la CEQ pour refaire de l'éducation une priorité sociale déterminante et pour mettre en place les conditions d'une école, d'un cégep et d'une université de la réussite est non seulement essentielle à la défense des intérêts et des aspirations de ses membres, mais elle est aussi au coeur des défis contemporains de la société québécoise. Le défi de refaire de l'éducation une priorité sociale déterminante au Québec rejoint les préoccupations centrales des membres de la CEQ. C'est un défi susceptible de les rassembler et de les mobiliser dans une action collective d'envergure. C'est aussi un défi qui est au coeur des enjeux éthiques, politiques, économiques et sociaux les plus cruciaux des années à venir Promouvoir la santé et les services publics. La CEQ sera aussi confrontée dans les années qui viennent au défi important de défendre et de promouvoir les services publics, particulièrement dans le domaine de la santé et des services sociaux. L'engagement de la CEQ dans cette lutte est vital, non seulement parce qu'elle représente des milliers de membres qui oeuvrent dans ces services, mais aussi parce que tout recul, toute brèche dans ces services, sont susceptibles d'avoir des retombées brutales et immédiates sur les conditions de vie de l'ensemble de ses membres qui utilisent ces services et sur les conditions de vie de l'ensemble de la population. Ils sont aussi susceptibles d'avoir des retombées sur les conditions de travail de ses membres, ne serait-ce que par l'impact néfaste qu'aurait une détérioration de ces services sur certaines clientèles scolaires. page 33 Il suffit, pour s'en convaincre, de penser aux effets qu'ont eus les restrictions et les coupures dans l'aide sociale. Nous avons vu comment l'intégration des économies et des marchés et l'intensification de la concurrence qu'elle provoque exercent une énorme pression à la baisse sur les programmes sociaux et les services publics à peu près partout sur la planète. Nous voyons chaque jour comment cette remise en question se manifeste dans la société québécoise, notamment dans le domaine de la santé et des services sociaux. Les séminaires régionaux sur la santé et les services sociaux que la CEQ de concert avec ses composantes concernées, a organisés au cours de la dernière année ont permis de prendre la mesure des effets de la réforme de la santé et des services sociaux entreprise par le gouvernement du Québec avec la loi 120. Ils ont aussi permis de constater à nouveau à quel point l'absence d'une véritable politique de la santé laisse le champ libre au gouvernement pour donner au système les orientations de son choix, en dehors de tout véritable débat démocratique. Ces séminaires ont enfin permis d'identifier certains des enjeux majeurs des années qui viennent dans ce secteur, au premier rang desquels se trouvent les questions du financement du système et de la participation à la gestion des établissements. Lors de la présentation d'un mémoire à la Commission parlementaire des affaires sociales, la CEQ a fait connaître ses orientations en matière de financement, notamment quant aux contrôles à exercer sur les prix des médicaments, sur la croissance du nombre de médecins, sur la rémunération à l'acte ainsi que sur la surutilisation éventuelle des technologies médicales. Elle a pris position contre la désassurance des services optométriques et des services dentaires, au nom de la nécessité de la prévention particulièrement chez les enfants. Elle s'est opposée à l'introduction de tickets modérateurs ou d'autres frais aux bénéficiaires. Elle a finalement opté, parmi les formules de financement proposées, pour l'impôt-santé qui permet un financement public, transparent, équitable et progressif. La CEQ devra dans les années qui viennent promouvoir avec vigueur ses positions sur le financement et continuer à manifester concrètement son attachement aux principes d'universalité, d'accessibilité, de gratuité, de financement et d'administration publics qui constituent des caractéristiques fondamentales du système québécois de santé et de services sociaux. Par ailleurs, la CEQ devra affiner sous d'autres aspects ses stratégies et ses interventions dans ce secteur, notamment en clarifiant et en prédisant, avec ses composantes concernées, les objectifs à poursuivre et les conditions à établir dans le cadre de la participation aux divers lieux de gestion. Défendre et promouvoir la santé et les autres services publics, c'est, nous en avons la conviction, défendre et promouvoir les intérêts des membres de la CEQ et leurs valeurs les plus fondamentales. C'est aussi donner un sens au développement économique du Québec et contribuer à instaurer un nouveau contrat social qui mise sur la solidarité. Enraciner la légitimité de la lutte des femmes. Composée aux deux tiers de femmes, la CEQ a une responsabilité spécifique à l'égard de leur lutte pour la conquête et l'exercice effectif de leurs droits tant dans la société en général et dans les lieux de travail où elle est présente qu'au sein même de l'organisation syndicale. Les mutations en cours et la crise économique et sociale servent déjà de prétexte à certains pour remettre en question la légitimité de la lutte des femmes et pour freiner la mise en place effective des conditions d'une égalité réelle. Il est improbable que cette tendance aille en s'amenuisant dans les années qui viennent. Tout indique au contraire que les acquis des femmes pourraient être menaces. Dans ce contexte, la CEQ ses regroupements sectoriels et ses syndicats seront confrontés au défi d'enraciner la légitimité de la lutte des femmes et d'accentuer leur action dans ce dossier prioritaire. Au-delà des progrès réalisés au cours des deux dernières décennies, de profondes transformations restent à être mises en oeuvre à la fois dans la culture du travail, dans la culture scolaire et dans la culture syndicale pour passer d'une égalité formelle à une égalité réelle. Dans le champ du travail, outre l'objectif permanent de syndicalisation des femmes, l'accent devra être mis sur la lutte au harcèlement sexuel, l'obtention de véritables programmes d'accès à l'égalité en emploi, la réalisation de l'équité salariale dans nos conventions collectives et l'obtention d'une loi proactive en cette matière. L'accent devra également être mis sur une révision en profondeur de l'organisation du travail pour que celle-ci tienne enfin compte des réalités des femmes. Dans le champ scolaire, l'action entreprise pour désexiser les apprentissage devra être poursuivie avec insistance, en particulier dans la formation professionnelle. La conscientisation des jeunes devra par ailleurs être accentuée, notamment en favorisant la prise de parole des filles et en combattant la discrimination, le harcèlement sexuel et les comportements sexistes dont elles sont encore trop souvent les victimes. Dans le champ syndical, la priorité sera sans équivoque la mise en place d'un programme spécifique d'accès à l'égalité comportant des moyens réels pour augmenter de manière significative la participation des femmes au pouvoir politique. Cela devra se concrétiser à tous les niveaux de l'organisation syndicale et dans toutes les composantes. L'enracinement de la légitimité de la lutte des femmes et l'accentuation de l'action collective pour instaurer une véritable égalité représentent un virage essentiel à prendre dans toute la société québécoise dans les années à venir. Cet enracinement est aussi au coeur de toute volonté réelle de renouvellement du syndicalisme québécois et du renouvellement de notre syndicalisme. Intégrer les jeunes à la vie syndicale. Le renouvellement de notre syndicalisme et la redynamisation de notre action collective dans les années qui viennent seront aussi conditionnés de manière décisive par notre capacité à intégrer les jeunes à la vie syndicale. Il y a là un défi déterminant à relever. Comme le souligne avec pertinence le Groupe d'étude sur les structures et les services dans son rapport, la CEQ et ses composantes ne peuvent plus reporter indéfiniment, sans en subir des conséquences importantes, l'obligation de faire une place à leurs jeunes membres dans la structure syndicale. Il est essentiel de reconnaître la nécessité de mettre en place à tous les paliers des mesures concrètes pour susciter et favoriser l'engagement des jeunes dans l'action collective syndicale. L'une des mesures qui pourrait être réalisée rapidement serait de mettre sur pied un comité de jeunes à la CEQ, comité disposant de moyens pour intervenir de façon significative dans ses débats et ses orientations. Faire une place aux jeunes dans nos structures et dans notre vie syndicale implique par ailleurs de prendre en compte leurs valeurs, qui sont parfois différentes et se confrontent souvent à celles des gens plus âgés. Le clivage qui existe sur ce plan est sans doute l'une des causes majeures des problèmes de mobilisation et de relève que connaissent aujourd'hui la plupart des organisations syndicales. Faire une place aux jeunes implique aussi de prendre en compte de manière prioritaire dans les années qui viennent la précarité d'emploi qui les touche largement et qui handicape leur intégration à la collectivité syndicale. Disposant d'un nombre très restreint de droits reconnus et protégés, soumis de ce fait trop souvent à l'arbitraire patronal, il n'est pas étonnant que leur engagement syndical en souffre. Il est primordial de reconnaître la nécessité d'accentuer la réflexion et l'action collectives dans nos rangs sur la question de la précarité. Le clivage qui existe dans notre société et dans nos milieux de travail entre les gens qui ont un emploi régulier et les gens qui sont à statut précaire constitue sans aucun doute l'enjeu le plus préoccupant et le plus difficile qui se pose à notre époque au syndicalisme. Redéployer l'action sociopolitique. Reconstruire nos solidarités internes dans le respect des diversités, faire de l'éducation une priorité sociale déterminante au Québec, défendre et promouvoir la santé et les autres services publics, enraciner la légitimité de la lutte des femmes et accentuer l'action collective pour instaurer une véritable égalité, intégrer les jeunes à la vie syndicale et lutter contre la précarité en emploi, voilà autant d'objectifs stratégiques essentiels à poursuivre dans les années qui viennent. Il y là autant de conditions à mettre en place pour renouveler et revitaliser notre syndicalisme. En poursuivant ces objectifs stratégiques et en centrant son action syndicale autour de ceux-ci, la CEQ améliorera de façon significative les conditions de travail, les conditions professionnelles et les conditions de vie des membres qu'elle représente. Ce faisant, la CEQ contribuera par le fait même à améliorer les conditions socio-économiques de l'ensemble de la population et à instaurer une société plus équitable et plus solidaire Car tout est lié. Et s'il est essentiel que ces objectifs stratégiques déterminent notre action syndicale dans les établissements et dans la négociation collective à tous les niveaux, il paraît évident que cela ne peut suffire. Nous connaissons aujourd'hui, pour les avoir durement éprouvées, les limites de la négociation. Encore faut-il que les conditions politiques, économiques et sociales rendant possible l'atteinte de ces objectifs soient réunies. Ainsi, la restauration de l'éducation comme priorité sociale et la mise en oeuvre d'une véritable école de la réussite impliquent notamment qu'un consensus à cet effet se développe dans la société québécoise et qu'une réelle volonté de réinvestissement en éducation voie le jour. Or, un réinvestissement substantiel en éducation suppose une amélioration sensible de l'état des finances publiques, qui peut difficilement être atteinte sans une réforme de la fiscalité et sans une relance du développement économique autour de l'objectif du plein emploi. Par ailleurs, nous savons que l'échec et l'abandon scolaires ont aussi pour cause les inégalités économiques et sociales que subissent de nombreux enhnts et de nombreux jeunes. L'instauration d'un nouveau contrat social misant sur la solidarité et conduisant à une réduction de la pauvreté et des inégalités fait nécessairement partie de la solution à moyen terme au problème scolaire. L'avenir de la santé et des autres services publics, de même que la réalisation effective des droits des femmes et la réduction, sinon la disparition, de la précarité sont au moins autant liés à l'évolution des valeurs et de la situation économique et sociale au Québec qu'à la vigueur et à la pertinence de l'action syndicale dans les établissements et dans les négociations. Aussi apparaît-il primordial que la CEQ réoriente et redéploie son action sociale et politique en fonction des objectifs stratégiques essentiels que nous avons identifiés, et qu'elle se dote d'un nouveau plan d'intervention, moins dispersé tous azimuts, mieux ciblé, plus efficace, plus diversifié dans ses moyens, afin d'accroître sa capacité d'influencer les choix déterminants effectués par l'ensemble des partenaires sociaux. Ce plan stratégique d'intervention devrait viser à susciter l'apparition d'un consensus solide sur les valeurs fondamentales qui doivent inspirer le développement de la société québécoise dans les années à venir. Il devrait aussi viser à positionner la question de l'éducation au coeur des débats publics, notamment dans les débats sur les défis que serait appelé à relever un Québec accédant à son indépendance. Il devrait par ailleurs viser à renforcer, particulièrement dans les milieux économiques, la perception croissante que la revalorisation de l'éducation est une condition indispensable à la relance économique. A cette fin, la CEQ ne devra pas hésiter à développer de nouvelles alliances dans tous les milieux. Elle ne devra pas hésiter non plus a promouvoir ses positions en matière de formation de la main-d'oeuvre et à s'imposer comme interlocuteur incontournable dans ce dossier. Enfin, ce plan d'intervention stratégique devrait viser à susciter le plus rapidement possible la mise en place d'un nouveau contrat social axé notamment sur le maintien et le développement de la santé et des autres services publics, sur l'amélioration significative des conditions économiques et sociales des femmes, et sur la lutte à la précarité d'emploi et à la pauvreté. L'efficacité de l'action syndicale de la CEQ dans les années qui viennent reposera largement sur sa capacité à renouveler et à redéployer ses interventions sociales et politiques autour de certains objectifs stratégiques déterminants. La CEQ pourrait-elle, à elle seule, dans une démarche isolée, parvenir à infléchir l'évolution des valeurs et les grands choix politiques, économiques et sociaux de sorte qu'elle puisse réaliser de façon satisfaisante les objectifs stratégiques essentiels à l'amélioration des conditions de travail, des conditions professionnelles et des conditions de vie de ses membres? Poser la question, c'est y répondre... Aussi la CEQ devra-t-elle, dans les années qui viennent, contribuer à l'émergence d'une nouvelle alliance sociale susceptible d'initier des changements en profondeur dans la société québécoise. Elle ne devra pas hésiter à prendre certaines initiatives, notamment auprès des autres organisations syndicales, du mouvement des femmes, du mouvement coopératif et du mouvement communautaire, afin de susciter l'élaboration d'un projet commun pour la société québécoise et d'une stratégie réaliste pour le mettre en oeuvre. Plus particulièrement, la CEQ devra contribuer à réunir les conditions permettant de dépasser les rivalités et les divisions intersyndicales. Sur cette question vitale, nous croyons que la CEQ se doit de soulever courageusement les débats qui s'imposent et d'exprimer une volonté politique très claire, appuyée sur des propositions concrètes notamment quant à l'élaboration conjointe d'une nouvelle stratégie syndicale, quant à la formation de comités intersyndicaux dans certains dossiers et quant à la mise sur pied d'un secrétariat intersyndical. Il s'agit là de l'un des enjeux les plus importants du renouvellement et de la revitalisation du syndicalisme au Québec dans les années à venir.