*{ Discours néo-libéral CSD, 1989 } Et la CSD continuera... A la clôture du dernier Congrès, j'ai annoncé que je ne solliciterais pas un nouveau mandat. Aujourd'hui, cette position est maintenue. C'est pourquoi je donne officiellement ma démission à titre de président de la CSD. Conformément à nos règlements, cette décision sera mise en vigueur samedi, dès l'installation des nouveaux officiers. Je peux vous résumer les motifs de mon départ en deux raisons claires: après trente ans de permanence syndicale, il est temps que je change de genre de vie. Pour la CSD, il est aussi temps qu'on change le style de leadership. Désormais, je veux consacrer mes énergies à réaliser des projets personnels d'étude, de recherche et d'écriture, et à m'occuper avec d'autres militants de mettre en oeuvre un projet de solidarité internationale pour venir en aide à des travailleuses et des travailleurs d'Amérique latine. Je vivrai donc mes préoccupations dans un autre environnement, à partir de ma famille et des amis qui voudront partager des réflexions et agir sur les nouvelles conditions internationales de promotion collective. Il est certain que la poursuite de mon engagement sera envisagée et réalisée à un rythme différent et plus conforme au nouveau mode de vie choisi. Ce nouveau mode de vie constituera un changement majeur dans ma vie. Je devrai m'habituer à vivre autrement, mais je ne perdrai jamais ma culture syndicale, au contraire je veux l'approfondir, l'élargir et la diffuser. Défis syndicaux d'hier. Même s'il est loin le temps où j'ai commencé, en janvier 1958, comme permanent responsable de l'éducation syndicale au Conseil central de Montréal, affilié à la CTCC, je voudrais vous communiquer à grands traits la comparaison de deux réalités syndicales historiques: celle des années 1960-1970 à 1980-1990. D'abord, il y a trente ans, la CTCC (aujourd'hui la CSN) ne comptait pas plus de membres que la CSD actuelle. Deuxièmement, il y avait comme aujourd'hui trois centrales syndicales: l'AFL, le CIO et la CTCC, puis la CIC-CEQ. Avec du recul, faut-il croire que l'unité organique des centrales est une chimère? Faut-il croire aussi que le Québec syndical s'est francisé superficiellement, puisque les unions américaines-internationales et canadiennes demeurent toujours des organismes étrangers, même si elles se sont regroupées sous le sigle francophone de la FTQ? Trois autres caractéristiques méritent en ce moment d'être relevées parce qu'elles indiquent l'évolution des syndicats: il s'agit entre autres des enjeux de la négociation collective, des débats idéologiques syndicaux et de la réaction au syndicalisme de la classe ouvrière. Comme conseiller technique à la Fédération du Vêtement, au bureau régional de Montréal, à la CSN, à la Fédération du Commerce, j'ai vécu les grands enjeux syndicaux de la négociation collective au cours des années 60. L'industrialisation battait son plein et la syndicalisation a connu un essor important. Augmentations de salaire, ancienneté, droit d'expression, droit de grief, sécurité syndicale, autant de revendications primaires des syndicats qui grugeaient le pouvoir économique patronal de même que son autorité de direction. Rendement et productivité étaient les deux moyens de récupération des gains consentis par la partie patronale. Les syndicats ont attaqué alors le système à la pièce et de boni, en revendiquant le contrôle syndical de l'étude des temps et mouvements. Les grèves du Textile ont été efficaces et ont fait tache d'huile dans les autres secteurs économiques. La réplique patronale ne s'est pas fait attendre: l'automatisation a été implantée dans les entreprises pour accroître la productivité et les relations humaines ont été utilisées, soit pour endormir un syndicat affilié à une Centrale en un syndicat de boutique, soit pour le contrôler en nommant des dirigeants syndicaux, contremaîtres. C'est au cours de ces années que le syndicalisme a été emporté par le bouillonnement de la Révolution tranquille, c'est-à-dire par une démangeaison profonde de changer de société. Passionnante histoire qu'on faisait, parce qu'on créait de toute pièce une nouvelle société. On a réfléchi aussi sur le syndicalisme: devait-on lui donner une vocation révolutionnaire, c'est-à-dire une responsabilité qui pousserait le Gouvernement à transformer la société économique en la faisant gérer par les travailleuses et les travailleurs? Pour ce faire, on devait confondre le mouvement syndical à un parti politique. Le mouvement syndical devait non seulement représenter ses membres, mais aussi toute la classe ouvrière et le peuple. La bataille idéologique était commencée. Il y a eu déchirement entre les fédérations et les régions. Des clans se sont formés qui s'accusaient de tous les péchés du monde: il y avait des bons et des mauvais, des purs et des impurs. Plus grave encore, le leadership de la base de n'exprimait plus. La scission a réglé définitivement ces divergences idéologiques. Les deux couches principales de salariés qui composaient la classe ouvrière française ont adhéré assez massivement au syndicalisme. Les cols bleus de la grande et moyenne entreprise n'ont pas hésité à se syndiquer, ni les cols blancs de la fonction publique et parapublique. C'est au cours des années 70 que les cols blancs sont devenus majoritaires sur le marché du travail, par suite notamment de l'automatisation qui a coupé massivement les emplois manufacturiers. Après la fondation de la CSD, des blocs numériquement importants de syndiqués cols blancs ont abandonné les centrales syndicales pour devenir des syndicats indépendants, comme le Syndicat des fonctionnaires provinciaux. Le patronat a soudoyé massivement les travailleuses et travailleurs du secteur privé pour les inciter à former des syndicats de boutique avec la complaisance des gouvernements, libéral ou péquiste. De plus, la natalité a diminué, il y a eu un vieillissement important de la main-d'oeuvre et des néo-Canadiens de plusieurs communautés culturelles sont venus grossir les rangs de la force active de Montréal. C'est à ce titre aussi qu'on peut parler de la formation d'une nouvelle classe ouvrière québécoise. De plus, par suite de l'éducation et de l'accroissement du nombre de diplômés, les cols roses occuperont de plus en plus d'espace dans la main-d'oeuvre. Quelles attitudes ces nouvelles couches sociales vont-elles adopter à l'égard du syndicalisme? Vont-elles se syndiquer? Ou auront-elles plutôt une attitude passive vis-à-vis de leur travail, recherchant un but individuel à leur vie, hors de l'entreprise? Défis syndicaux d'aujourd'hui. Dans les années 80, comment s'est comporté le syndicalisme? Il a traversé une période difficile. L'économie est ébranlée par la récession de 1981 et le syndicalisme subit des pertes de membres importantes dans des secteurs économiques historiquement très syndiqués comme le textile, le vêtement, les mines, les fonderies. On négocie le travail partagé dans le secteur privé. La CSD a développé un service unique à ses membres dont l'objectif est la relance des entreprises; ce service n'est peut-être pas aussi spectaculaire que le Fonds de solidarité des travailleurs, mais il est aussi efficace dans la protection des emplois. L'impact de cette récession sur le syndicalisme est trop grave pour qu'on en ignore les conséquences positives et négatives. Les employés des PME se syndiquent, tandis que les employés de la grande entreprise de pointe (comme IBM) résistent à la syndicalisation. Les TUA négocient avec des nouvelles compagnies de l'auto des pactes sur la main-d'oeuvre et les conditions de travail avant l'embauche des employés et, bien entendu, l'obtention d'accréditation. Des problèmes sérieux sont à prévoir au CTC, parce que les unions membres ne respectent plus les règlements relatifs aux juridictions professionnelles. En effet, plusieurs unions comme les Métallos d'Amérique seraient sujettes à disparaître de la carte syndicale parce qu'elles ont perdu des milliers de membres dans leur secteur classique des mines et fonderies. Pour se maintenir comme union, on recrute dans plusieurs secteurs comme la chaussure, les banques, le taxi, etc. Comment le CTC réglera-t-il ce problème de juridiction ? Si les anglophones canadiens n'agissent pas, éventuellement, on peut prévoir un éclatement du CTC par suite de bataille interne. Déjà, il a perdu l'affiliation des unions de métiers de la Construction qui ont formé un regroupement particulier au Canada tout en conservant leurs liens avec les unions américaines. Comme employeur, le Gouvernement a réagi sévèrement en fixant unilatéralement un décret et le gel des salaires dans la fonction publique et parapublique. Dans le secteur de la construction, décrets par-dessus décrets, sont imposés. Par la suite, il y a eu retour à la négociation libre. Malgré la reprise économique, le taux de chômage demeure élevé. Le déficit gouvernemental vient hanter les débats publics: privatisation et programmes sociaux sont visés par l'intervention gouvernementale conservatrice. Le mouvement syndical est sur la défensive, parce qu'il veut protéger les acquis sociaux. Noble mission, mais faut-il s'ériger dans l'avenir comme le défenseur de toutes les réalisations mises en oeuvre lors de la Révolution tranquille ? S'il amplifie ce genre d'intervention syndicale, il s'inscrit à la remorque du passé. Est-ce qu'il répondra alors aux attentes nouvelles de ses membres face, par exemple, au réseau de la santé, au système d'éducation, à l'efficacité de l'Hydro-Québec? La politisation syndicale est maintenant pratiquée par des syndicalistes marginaux. La CSD a innové quand elle a décidé de sortir de ces sentiers battus pour assumer de nouvelles responsabilités. L'époque est révolue où les syndicats se limitaient à jouer un rôle chien de garde en appliquant la convention collective comme unique responsabilité syndicale. Depuis plus de dix ans, la CSD a proposé un syndicalisme nouveau et moderne parce que les syndicats ont besoin de plus d'espace syndical pour contribuer à résoudre les problèmes actuels des travailleuses et travailleurs. Pour améliorer les conditions de travail, il faut être très attentif à l'entreprise privée ou publique, car elle n'est plus gérée comme jadis, selon le modèle de l'organisation scientifique du travail. Elle reluque vers de nouveaux modes de gestion, à cause de la compétition, de l'efficacité et de la profitabilité. L'approche syndicale de la CSD est plutôt intimement liée à notre conception du rôle du travailleur, à la compétence et aux technologies disponibles. Compte tenu de ces facteurs, la CSD a lancé l'idée de gestion participative au Québec vers les années 1979, en indiquant que le syndicalisme se moderniserait, s'il établissait les conditions concrètes en vertu desquelles les travailleuses et travailleurs vont déployer en toute liberté et responsabilité leur savoir-faire sur leur poste de travail. La prévention en matière de santé et sécurité fait maintenant partie des moeurs, car ce courant syndical a été initié en 1973-1974. Mais elle n'a pas encore extirpé à la source toutes les causes d'accident et de maladie professionnelle. La CSST et les entreprises ne remplaceront jamais l'action syndicale dans ce domaine, ni le rôle des syndicats dans la réparation professionnelle. La CSD est intervenue avec vigueur dans le débat linguistique. On a réclamé des changements majeurs dans la Loi 101, même si l'ensemble du mouvement syndical traditionnel s'est assis derrière les barrières épaisses du statu quo. On ne doit plus laisser aux bureaucrates de l'Office de la langue française et aux entreprises le soin de franciser les lieux du travail, parce que cette mission gouvernementale tâtonne. Pour le moment, l'espoir qui nous anime de mieux cerner et affermir notre identité nationale dans les milieux de travail, est rattaché à la garantie du ministre responsable de mettre en pratique une de nos revendications qui est de subventionner au mérite les projets syndicaux de francisation. Alcoolisme et toxicomanies, travail et famille sont aussi deux responsabilités additionnelles que les syndicats doivent maîtriser pour améliorer la qualité de vie de nos membres. Mon départ me peine beaucoup parce que j'ai bien aimé travailler avec et pour vous. J'ai aimé cette responsabilité syndicale, parce qu'elle a permis de transformer la condition des travailleuses et travailleurs et aussi, comme dit le poète, elle a exalté «le parfum des fleurs». Après mon départ, «le jour se lèvera aussi» et la CSD continuera.