*{ Discours néo-libéral CSN, 1980 } Une force collective organisée avec le peuple. Camarades, nous sommes réunis ici, à Québec, pour tenir le cinquantième congrès régulier de notre organisation, au moment où nous entrons dans la décennie '80. L'occasion est propice pour rappeler à notre mémoire collective les hommes et les femmes qui, au fil des 60 années de vie de notre organisation, ont bâti ce mouvement, se réunissant, s'organisant en syndicat, luttant, imposant leurs idéaux, affirmant leur dignité avec détermination. Enracinée dans le peuple, notre organisation a grandi avec lui. Notre mouvement s'est affirmé comme un instrument privilégié de défense et de lutte de la classe ouvrière. C'est au milieu des masses populaires que progressivement nous nous sommes formés et que nous avons engagé les combats pour la liberté et le respect des droits des travailleurs. Un moment comme aujourd'hui est une occasion de nous le rappeler. Combien de décisions engageantes ont dû être prises par les militants délégués aux 49 congrès précédents! Combien de luttes difficiles et parfois historiques y ont-elles été élaborées! Combien de fois les politiques gouvernementales, les manoeuvres patronales y ont-elles été combattues! Quelle somme d'espoirs pour la classe ouvrière les congrès précédents ont-ils portés! Depuis soixante ans, nos congrès ont été témoins des grands moments de notre histoire ouvrière. Au cours de toutes ces années, les travailleurs ont été confrontés aux crises économiques, politiques et sociales; lendemains de deux grandes guerres; combat contre le régime Duplessis; conflit de la chaussure à Québec en 1926, grèves de Sorel en 1937, celles de l'amiante en 1949 et 1975, Louiseville, Dupuis Frères; Radio-Canada; les transports en commun; les grands fronts communs de la décennie '70, Commonwealth Plywood en 1978; les luttes syndicales pour obtenir des droits, pour le bénéfice de tous les travailleurs: assurance-chômage, assurance hospitalisation, assurance maladie, code du travail, syndicalisation des employés de l'État, reconnaissance du droit de grève; et les grandes décisions d'orientation de notre mouvement affirmant notre combat contre le capitalisme et pour l'avènement d'une société nouvelle, socialiste et démocratique. Nous devons continuer. Chacun de ces congrès, à sa manière, a été une occasion de faire le point pour mieux projeter nos espoirs, mieux articuler nos projets et préciser nos actions. Et si nous sommes réunis aujourd'hui, militants et militantes, c'est à tous ceux et celles qui ont lutté et ont ainsi marqué des progrès pour l'avancement de tous les travailleurs, c'est-à-dire à tous ceux et celles qui ont milité au cours des années vingt, trente, quarante, cinquante, soixante, soixante-dix, que nous le devons. Ils ont bâti ce mouvement; notre devoir de militants exige que nous continuions en apportant des réponses concrètes aux problèmes actuels des travailleuses et travailleurs. Les deux dernières années. Parmi tous les événements et les conflits qui jalonnent une période de deux ans et qui marquent une organisation syndicale, certains émergent, soit par l'importance questions fondamentales qui sont en cause, soit parce qu'ils sont révélateurs du type de fonctionnement démocratique que nous nous imposons, soit enfin parce qu'ils représentent des gains ou parfois des reculs temporaires dont notre organisation doit savoir tirer toutes les conséquences. Je veux en souligner quelques-uns, devant le présent congrès, qui ont occupé une bonne part de nos énergies militantes et autour desquels nous avons organisé une mobilisation. Les congrès régionaux. Avant d'entreprendre les campagnes nationales qui s'imposaient à la suite des décisions du quarante-neuvième congrès, nous avons voulu tenir des congrès régionaux au cours de l'hiver 1979. Sous le thème de "l'enracinement de nos revendications", nous avons débattu de la santé et de la sécurité au travail, de la reconnaissance du droit au travail, du retrait de l'injonction, de la définition de notre propre analyse et de nos propres revendications sur la question nationale, en plus d'informer les travailleurs des atteintes aux droits et libertés que constituent, entre autres, l'infiltration et la surveillance policière. Nous avons voulu prendre le soin nécessaire afin que les décisions importantes prises dans nos instances aient un sens concret, une résonance et une signification pour le plus grand nombre de travailleurs. Je crois qu'il y a un effet direct entre cette large campagne de sensibilisation menée de concert avec les conseils centraux et une réelle mobilisation des travailleurs pendant les débats portant sur la sécurité-santé, à l'occasion de l'adoption de la loi 17, ou les manifestations du premier mai portant sur le droit au travail et les libertés, ou encore à l'occasion des mobilisations autour du droit au travail. J'estime qu'une fois ce travail d'information et de sensibilisation accompli, nous devrons maintenant au cours du congrès proposer des formes concrètes d'organisation et d'action pour satisfaire nos revendications. Nous pouvons progresser, camarades, dans la mesure où un plus grand nombre de travailleurs connaissent et partagent nos objectifs. Cela a nécessité et nécessite encore de tous les militants, élus et salariés, des efforts constants qui finissent par porter fruit. Notre mouvement, c'est justement la somme de toutes les actions de chacun de ses militants et militantes. La condition féminine. C'est réellement à partir du congrès de la CSN, en 1978, que la condition féminine est devenue partie intégrante des préoccupations quotidiennes de notre centrale. Quoique nous ayons déjà adopté des orientations de fond sur cette question, en 1976, il aura fallu quatre ans pour qu'on puisse constater que le mouvement assume pleinement, et non de façon marginale, la lutte des femmes. Le comité de la condition féminine ainsi que le service de la condition féminine, ont accompli dans les deux dernières années un travail énorme. Tout en poursuivant le travail amorcé en 1976 relativement à la sensibilisation et à la formation sur l'oppression spécifique des femmes et ses manifestations, le comité de la condition féminine a multiplié les activités et a mis en marche des mouvements sans précédent au Québec. Le comité de la condition féminine a tenu plusieurs sessions de formation; a mis sur pied des comités régionaux; a réussi d'une part à travailler efficacement au niveau des syndicats locaux, des conseils centraux et des fédérations, mais il a aussi créé des liens importants avec des groupes progressistes qui défendent les droits des femmes à l'extérieur du mouvement. Cela permet concrètement d'élargir les bases et l'appui à la lutte fondamentale des femmes. Ce n'est pas sans difficultés que ce travail s'est amorcé et se continue mais il est nécessaire. Le comité a, sans cesse, poursuivi les revendications qui sont prioritaires, par exemple le salaire égal pour un travail de valeur égale. Le comité a, en plus, assuré la diffusion la plus large des revendications principales. Le 8 mars est désormais une fête, une manifestation tout aussi importante pour le mouvement que la fête du premier mai; plus d'une douzaine de régions cette année ont participé à cette fête internationale des femmes. Des percées. Commencée ici même, au Centre municipal des congrès de Québec, en juillet 1976, la longue marche des employés d'hôtels en vue de l'amélioration de leurs conditions de travail a abouti en '80, après une grève de 10 mois à l'Auberge des gouverneurs de Sainte-Foy, par la signature de première conventions collectives à l'Auberge des Gouverneurs de Sainte-Foy et de Rimouski, au Méridien de Montréal, et aux Holiday Inn centre-ville à Québec et à Sainte-Foy. Ce sont des conventions qui dépassent tout ce qui existe dans ce secteur et qui font la preuve qu'un vrai syndicat peut contribuer à transformer la réalité imposée aux travailleurs. Actuellement, les travailleurs du Hilton, après quatre années de lutte pour faire reconnaître leur syndicat, sont en négociation. En plus de mener une lutte syndicale pour la réalisation de leurs objectifs de négociation, ces travailleurs et travailleuses avaient dû mener une longue lutte syndicale pour la reconnaissance de leur syndicat et contre la répression patronale. Dans les banques, et en particulier dans plusieurs succursales de la Banque Royale au Saguenay Lac Saint-Jean, plusieurs employées tentent elles aussi d'améliorer leurs conditions de travail, malgré la volonté répressive de ces grandes institutions financières et malgré la déficience des lois fédérales. Ce sont ces mêmes lois et l'application étroite qu'en fait le CRTC qui empêchent les journalistes des actualités à Radio-Canada, depuis plusieurs années, de former un syndicat; le CRTC remet même en cause aujourd'hui l'accréditation gagnée de haute lutte en 1968 par les journalistes du réseau français. Malgré les pressions constantes exercées par les bien-pensants, qui invitent les organisations syndicales à soigner leur image, et malgré les attaques persistantes du patronat et des gouvernements qui cherchent à discréditer les actions syndicales, l'adhésion des travailleurs à notre centrale s'est accrue au cours des deux dernières années. Je crois que nous pouvons affirmer qu'il y a là un signe de confiance des travailleurs et travailleuses à l'égard de la CSN et que cette confiance prend sa source dans notre capacité de répondre à leurs besoins. Les droits humains. La CSN a participé activement aux débats qui se sont déroulés lors du colloque de la Confédération mondiale du travail portant sur les droits humains, en mars dernier. Nous avons assuré nos camarades de notre collaboration pour que les droits et libertés soient davantage respectés, chez-nous et ailleurs. Nous nous sommes engagés, au terme de ce colloque, à reprendre, à l'intérieur même du mouvement, les revendications agréées par les centrales syndicales nationales et continentales. La CMT a affirmé que la reconnaissance, par les États nationaux, des droits formels n'était pas suffisante; en conséquence, toutes les organisations syndicales doivent accentuer la lutte pour la reconnaissance des droits des travailleurs et de leurs organisations. Afin d'assurer la mise en oeuvre et la coordination internationale de ce plan de revendication, le colloque a décidé de la constitution d'un comité de continuité auquel nous participerons. Montebello. Durant quatre jours, au printemps 1979, les représentants de la CSN ont mis de l'avant et défendu les positions de notre centrale au cours du second sommet économique. Nous avons principalement exposé nos revendications sur l'accès à la syndicalisation, la nationalisation de la prévoyance collective et la création d'une caisse de stabilisation de l'emploi. Des points de convergences sont apparus entre la FTQ et nous sur l'accès à la syndicalisation et sur la caisse de stabilisation de l'emploi. Plusieurs éléments de nos politiques respectives ne sont pas encore conciliés; cependant, les accords de principe devraient servir de base à une discussion plus suivie entre les centrales. Nous avons posé à la fin du sommet des conditions à toute participation ultérieure. Ces conditions visaient comme préalable la cessation de toute opération policière dans les syndicats et les organisations syndicales en plus d'exiger une suite significative à nos revendications sur l'indexation du salaire minimum, sur l'accès à la syndicalisation, sur la création d'une caisse de stabilisation de l'emploi et sur la transparence économique. Le conseil confédéral a entériné ces conditions déterminées par la délégation CSN. La CSN a refusé de participer aux sommets sectoriels ou régionaux qui ont été postérieurement tenus puisque les conditions n'avaient pas été remplies. Nous avons l'intention de poursuivre cette politique. Les fermetures d'entreprises, les mises à pied, les faillites. Les fermetures d'usines, les coupures de postes et les faillites privent actuellement des milliers de travailleurs d'un emploi, durant les dernières années, la CSN a accentué les efforts pour poser, face à la population, face aux gouvernements et aux entreprises, le problème de celui et de celle qui, du jour au lendemain, se retrouve sur le trottoir avec uniquement l'assurance-chômage comme moyen de subsistance immédiat et éventuellement l'assistance-sociale comme perspective de survie. Les fermetures d'entreprises et les mises à pied sont des phénomènes constants dans le système économique capitaliste. Les grandes entreprises recherchent continuellement la disparition de la concurrence et l'établissement de monopoles pour assurer des profits encore plus imposants. Ce phénomène est accéléré à l'occasion des crises comme celle que nous vivons; nous devons combattre pour que les hommes et les femmes ne soient pas les victimes de ces jeux de capitaux. Nos fédérations ont mobilisé dans le secteur de l'éducation et des affaires sociales, quand l'application des restrictions budgétaires a mis directement en cause la qualité des services fournis à la population; nous avons poursuivi, lors des récentes négociations, la lutte pour que de meilleurs mécanismes de protection soient négociés. Cette lutte est loin d'être terminée. Nos fédérations du secteur privé entreprennent systématiquement des luttes syndicales pour assurer l'emploi et contrer les mises à pied massives. En novembre 1978, Cadbury a déménagé sa production en Ontario, privant de travail quelque 550 hommes et femmes qui, depuis 65 ans, avaient permis à cette entreprise de prospérer. Nous devons rappeler comment a pu s'organiser la solidarité autour de cette lutte syndicale. Dans ce cas précis, nous avons donné un sens concret à une orientation du précédent congrès qui recherchait l'élargissement de nos appuis. La CSN, la Fédération des employés du Commerce et le Conseil central de Montréal ont su développer une vraie mobilisation populaire. Récemment encore, à Québec, les travailleurs de la boulangerie Vaillancourt ont entrepris une lutte pour le maintien de leurs emplois. Là encore, une véritable solidarité ouvrière s'est construite; les travailleurs ont formulé des propositions pour maintenir la production et ainsi garantir les emplois. Marine Industrie à Sorel a annoncé la mise à pied de plus de 1 000 travailleurs; à la Davie Shipbuilding à Lauzon, plus de 1 000 travailleurs sont inscrits sur les listes de rappel. Crino à Joliette, Bellevue à Thetford, Larrivée à Sainte-Hyacinthe, Tourbec à Montréal, Willis à Sainte-Thérèse, l'entreprise Léo Bernard à Shawinigan ont privé de leur emploi des centaines de travailleurs et travailleuses. D'autres fermetures sont le fait de politiques gouvernementales à courte vue; celles de Crino à Saint-Germain de Grantham, Lawrenceville et Joliette, où 64 emplois ont été perdus. Ces trois usines ont été fermées après que la Coopérative fédérée eût reçu $4 563 000 du ministère de l'Agriculture du Québec et $4 066 000 du ministère fédéral de l'expansion économique régionale pour la modernisation de son usine à Granby. Ces pertes d'emplois sont donc directement causées par l'attribution de fonds publics, constitués des impôts que paient les travailleurs, à des entreprises privées et justifiés par la réorganisation du travail. A Thetford, l'usine Bellevue est toujours fermée malgré les déclarations du gouvernement de la convertir en usine de transformation des produits de l'amiante. Power Corporation a prémédité la disparition d'un journal publié depuis quarante ans, le Montréal-Matin; cela s'est passé entre Noël et le Premier de l'An 1979. Deux postes de radio, à Saint-Jérôme et à Drummondville, ont été fermés. A la commission scolaire régionale de l'Outaouais, 70 concierges ont été soudainement privés de leurs emplois quand leur employeur, une agence de location de service, s'est vu retirer son contrat de service d'entretien ménager. Ce cas mérite d'être souligné parce qu'il démontre comment les employeurs, y compris les institutions publiques, réorganisent le travail, rendant ainsi les travailleurs encore plus vulnérables sur le marché du travail, et les privant souvent du droit à la syndicalisation. Au lieu d'embaucher directement les travailleurs de soutien et d'être ainsi obligée de respecter les termes de la convention collective du Front commun, cette commission scolaire a accordé des sous-contrats à des entreprises qui ne versent que le salaire minimum à leurs employés. La résistance syndicale, appuyée par le mouvement et la population, a réussi à provoquer la réouverture d'entreprises fermées; les Fonderies de Sorel et l'usine de bois Samoco, sur la Côte-Nord. Ces deux exemples doivent nous inspirer pour entreprendre d'autres luttes. Nous devrons dégager des revendications précises pour prévenir et empêcher les fermetures ou mises à pied et nous devrons proposer des formes nouvelles d'organisation et de lutte pour contrer cette offensive du capitalisme. Uniroyal. Après cinq ans de lutte syndicale, dans un conflit qui prenait son origine dans la volonté de l'employeur de ne pas reconnaître l'existence d'un syndicat CSN et qui prit ensuite la forme d'une fermeture d'usine, les travailleurs d'Uniroyal ont réussi à faire reconnaître leur syndicat, à négocier une convention collective et à retourner au travail au cours du mois de septembre 1979. Des jugements vengeurs. Plusieurs jugements au cours des deux dernières années ont été dirigés contre les travailleurs et leurs organisations syndicales. Parmi ces jugements qui constamment agressent l'ensemble de la classe ouvrière, je veux en signaler deux principalement. D'abord celui du juge Masson condamnant la CSN, le syndicat des travailleurs de la Reynolds et une vingtaine de syndiqués à payer des dommages évalués à plus de dix millions de dollars. Ce qu'il importe de rappeler, c'est que pour nous condamner, le juge s'est précisément appuyé sur le fait que la CSN est intervenue dans le conflit de 1967, en soutien aux travailleurs et en solidarité avec eux. "La Confédération a tout simplement mis en application les rouages de cette interdépendance des structures, de cette solidarité dont elle se fait un point d'honneur." (Jugement, page 134). Voilà bien ce qui est devenu intolérable pour le juge et les compagnies; voilà également ce qui nous rend coupables devant cette justice de classe. Je le réaffirme ici, maintenant: cela est vrai, la CSN se fait un point d'honneur de la solidarité qu'elle développe autour des luttes qu'entreprennent les travailleurs et nous continuerons à la développer. C'est là la grande force des travailleurs organisés! Et c'est pourquoi les juges et les compagnies cherchent à réprimer notre solidarité! Afin d'assurer encore et davantage cette solidarité et cette interdépendance, nous amenons au présent congrès des propositions concrètes de coordination des négociations et nous proposons un budget conséquent. Il y eut aussi le jugement du juge Bérubé qui condamnait des militants de la Coopérative agricole du Bas Saint-Laurent à de lourdes peines de prison. Au cours du procès, le juge s'est appuyé sur le climat social occasionnellement "perturbé" par les grèves dans les hôpitaux pour justifier la sévérité des condamnations qu'il imposait aux militants syndicaux. Le juge a donc condamné ces militants non seulement en regard des gestes pour lesquels il les a tenus coupables, mais aussi et surtout en raison de leur appartenance à la classe des travailleurs. Ces deux jugements illustrent clairement ce que signifie une justice de classe. Les lois sont promulguées par des parlements qui servent les intérêts de la bourgeoisie; il n'est donc pas étonnant que le droit au travail, le droit à un revenu convenable, le droit à un salaire décent comme prix du travail, le respect de la grève, et tant d'autres droits fondamentaux ne soient pas reconnus dans les lois promulguées. En plus, les lois sont appliquées avec toute la rigueur que commande l'appartenance des juges à une communauté d'intérêts et d'idéologie avec les patrons. Commonwealth Plywood. Ce conflit constitue, en lui-même, la démonstration la plus éclatante de la nécessité des revendications que nous soutenons: dans l'état actuel de la législation du travail, n'importe quel employeur peut s'appuyer impunément, dans sa volonté répressive, sur tout l'appareil judiciaire et policier contre l'exercice des droits des travailleurs. Le gouvernement devra accéder aux exigences des centrales syndicales pour favoriser l'accès à la syndicalisation. La justice la plus élémentaire a été bafouée dans cette cause ouvrière en même temps que les libertés démocratiques reconnues; l'assemblée nationale a été ridiculisée. Notre organisation n'a voulu négliger aucun effort, pour que triomphent les droits fondamentaux dans cette lutte syndicale. C'est là notre responsabilité, la mission première que nous devons poursuivre; même si, malgré tous les efforts du mouvement et de ses militants, nous ne réussissions pas à établir, dans chacun des cas, le rapport de forces suffisant pour réussir, compte tenu de l'arsenal répressif déployé contre les travailleurs et l'insuffisance des lois. Il y a quelques jours, les militants du Syndicat, du Conseil central, de la Fédération et de la CSN se voyaient obligés de mettre fin au conflit. L'évaluation du rapport de forces, l'évaluation de l'adhésion majoritaire des travailleurs "de l'intérieur" à un syndicat de boutique et l'évaluation de l'ensemble des procédures judiciaires instruites contre les militants et le syndicat ont conduit à cette décision. En effet, en conséquence du refus de W-P Caine d'appliquer la convention collective et la sentence arbitrale, seulement six travailleurs ayant participé à la grève ont été réintégrés, sur les 70 travailleurs à l'emploi. Dans un premier temps, la Cour supérieure émettait une injonction obligeant la compagnie à respecter la convention collective. Mais, quelques jours après, la Cour d'appel suspendait l'application de cette injonction, rendant impossible une solution judiciaire avant plusieurs mois. Nous devons dégager les conclusions de cet échec momentané pour mieux organiser notre rapport de force à l'avenir et préparer notre combat, plus politique, pour l'élargissement des droits. Les différents pouvoirs n'acceptent de concéder des droits aux travailleurs que le jour où ces droits ont été virtuellement arrachés par les travailleurs. C'est là la seule façon d'acquérir des droits. Les revendications mises de l'avant par le mouvement syndical, sur le plan précis de la législation du travail comme sur tous les autres plans, s'appuient sur notre vécu et s'inspirent du combat que nous menons tous les jours contre les injustices. Le conflit à la Commonwealth Plywood marque donc l'histoire du mouvement syndical québécois. Il démontre devant tous comment une compagnie peut décider, de sa simple volonté, de priver de leur moyen de subsistance plus de cent travailleurs; comment, malgré ce comportement anti-social et foncièrement injuste, une compagnie peut quand même bénéficier pendant de longues années de privilèges et avantages que lui accorde l'État; comment une compagnie peut s'allier à l'appareil judiciaire et policier pour réprimer les luttes syndicales; comment une compagnie peut dominer des organisations douteuses pour tenter de saboter et d'évacuer l'action syndicale authentique. Les événements à la Commonwealth Plywood font preuve de l'urgence d élargir les droits par les modifications nécessaires au Code du Travail et, sur un plan plus large, démontrent la nécessité de démocratiser les pouvoirs économiques pour assurer aux travailleurs le plein exercice des libertés. Lois spéciales, lois d'exception, lois devenues habituelles. Le gouvernement Lévesque, comme le gouvernement Bourassa auparavant, et comme le gouvernement fédéral, et tant d'autres gouvernements précédents, a utilisé des lois d'exception contre les travailleurs qui exerçaient leur droit de grève. En 1967, au cours du conflit du transport à Montréal, le camarade Marcel Pépin avait publiquement dénoncé le bill 1, affirmant qu'on pouvait peut-être se sentir soulagé de la reprise du transport; mais que dans les faits, il s'agissait d'un précédent pernicieux parce qu'il brimait le droit des travailleurs et que le modèle serait de nouveau utilisé pour encore brimer des travailleurs, sans jamais véritablement résoudre les problèmes de fond. Les événements qui ont suivi sont venus confirmer cette appréhension. Non seulement le gouvernement a-t-il proclamé la loi 62 contre tous les travailleurs du Front commun, non seulement a-t-il forcé le retour au travail des cols bleus de Montréal, et non seulement a-t-il imposé un décret aux travailleurs d'Hydro-Québec, mais encore a-t-il constamment négocié avec les salariés des affaires sociales ou de l'éducation en brandissant la menace de lois spéciales, de lois répressives, de décrets. La loi spéciale est devenue l'arme privilégiée de l'État lorsqu'il s'agit de réprimer les revendications légitimes de ses employés. Comme le disait le leader parlementaire du gouvernement Lévesque lorsqu'il siégeait dans l'opposition: "Quand le gouvernement est tanné de son rôle de patron, quand il s'aperçoit que son maquillage de patron commence à fondre et à couler, lorsque cela ne fait plus son affaire, lorsque l'action et la solidarité syndicales ont ébranlé son masque, lorsque son hypocrisie lui dégouline le long du visage, il devient juge et présente une loi au nom de l'intérêt public, parce qu'il a le privilège de se transformer en juge." (Claude Charron, Assemblée nationale 9 décembre 1975). Cette attitude foncièrement répressive du gouvernement provincial trouve un écho dans plusieurs provinces au Canada et au gouvernement fédéral également. Trois lois de l'Alberta font actuellement l'objet de plaintes déposées par les organisations syndicales devant l'Organisation Internationale du Travail. La Nouvelle-Écosse a adopté au profit de la multinationale Michelin une loi contraire aux conventions internationales du travail pour empêcher la constitution de syndicats. Le gouvernement fédéral, après avoir interdit la grève des postiers, a poursuivi et fait condamner à la prison notre camarade Jean-Claude Parrot. Services essentiels. Au cours de la grève dans le secteur des affaires sociales, les travailleurs et travailleuses ont répondu aux problèmes de services essentiels. Les ententes ou listes ont été respectées; lorsqu'une situation particulière modifiait le cadre prévu, là encore, les syndicats ont apporté des solutions rapidement. Nous pouvons affirmer que jamais, depuis que les négociations sectorielles ont été entreprises, la question des services essentiels n'a posé si peu de problèmes. Pourtant les députés et ministres du gouvernement Lévesque ont tenté de jeter le doute sur le déroulement des négociations, proposant même déjà des modifications au droit de négociation et de grève. En dehors de la période de négociation et lorsqu'il s'agit de favoriser les "missions économiques" de l'État au détriment des "missions sociales", les politiciens sont moins préoccupés du maintien des services à la population. Il nous faudra demeurer vigilants car c'est le droit de grève qu'on attaque sous le couvert d'une démagogie qui s'exerce sur cette question des services essentiels. Ces attaques contre les travailleurs coïncident avec les attaques portées dans les autres provinces et par le gouvernement fédéral. La question nationale. Dans la poursuite du débat beaucoup plus large portant sur la question nationale, le conseil confédéral a estimé, dans le respect de l'opinion de chacun des membres de la CSN, qu'il était de l'intérêt des travailleurs et des couches populaires de voter OUI au référendum. Cette décision du conseil ne signifie pas un appui à la souveraineté-association mais considère que le référendum constitue un moment dans la lutte contre l'oppression nationale. Nous avons soutenu, depuis que notre mouvement a entrepris une réflexion sur la question nationale, que le référendum ne mettrait pas un point final au règlement de cette question. Les délégués au conseil confédéral ont endossé la position soutenue par l'exécutif et le comité d'orientation, selon laquelle ne pas prendre position sur nos propres bases et d'une manière autonome aurait eu comme conséquence de laisser à des partis politiques qui ne défendent pas nos intérêts le soin de définir la signification et les enjeux de la réponse. Notre démarche n'est pas terminée; ni notre réflexion autour de la question nationale. Nous devons poursuivre et notre réflexion et notre démarche afin d'assurer que les travailleurs occupent toute la place qui leur revient. Depuis les trois ans où nous sommes intervenus sur cette question, il n'y a pas une seule organisation au Québec qui ait fourni autant d'analyses et de critiques, qui n'ait déployé, comme nous, autant d'efforts au plan de l'information, de la formation, pour démocratiser ce débat et permettre aux travailleurs de dégager eux-mêmes une vue et une approche autonome sur la question nationale. Ce que nous avons entrepris sur cette question fait la preuve que les travailleurs sont capables de dégager leurs propres perspectives et de tracer les cadres de ce qu'ils envisagent comme société. C'est la voie que nous devrons suivre dans la poursuite des autres débats fondamentaux, et principalement à propos du type de société que nous voulons construire, socialiste et démocratique. Il faut poursuivre. Les résultats du référendum imposent à tous ceux qui aspirent à des changements de ne pas abandonner dans cette difficile entreprise qui consiste à convaincre la partie du peuple qui hésite encore; c'est une attitude que nous connaissons dans le mouvement syndical. Par ailleurs, ce référendum qui, rappelons-le, ne représentait qu'un moment dans le règlement de la question nationale, aurait peut-être apporté des résultats différents si le gouvernement avait mis davantage l'accent sur un projet social qui aurait pu susciter plus d'espoir dans les couches populaires. Nous devrons, enfin, faire preuve de vigilance extrême face aux nouvelles propositions que le fédéral et les autres provinces mettront de l'avant à compter d'aujourd'hui. Nous serons encore du côté de la défense des intérêts spécifiques et des droits fondamentaux des travailleurs qui sont les mêmes, finalement, que ceux du peuple québécois. Notre action syndicale. Les organisations syndicales sont les seules qui, en permanence, sont essentiellement vouées à la défense des travailleurs et de leurs intérêts. La fonction syndicale, quelle que soit la conjoncture politique dans laquelle elle s'exerce, a comme responsabilité première de servir d'instrument de défense des intérêts de ceux qui la composent. Il est, à cet égard, significatif de constater que toutes les sociétés totalitaires ont soit éliminé, soit asservi les organisations syndicales. Les raisons sont évidentes et découlent de la volonté d'exercice absolu du pouvoir. La fonction syndicale demeure, quels que soient les changements de gouvernement, quelles que soient les transformations qui peuvent être apportées aux conditions politiques. Comme l'affirmait le congrès de 1976, le pouvoir politique ne peut pas répondre à tous les problèmes quotidiens auxquels sont confrontés les travailleurs. "Les changements qui pourraient s'opérer à la tête d'un gouvernement, disait notre camarade Marcel Pépin, ne sont pas des garanties que la vie des travailleurs dans les usines, les bureaux, les hôpitaux et les écoles pourrait être transformée à notre goût". Cette affirmation faite devant le 47e congrès et devant l'imminence de la prise du pouvoir par un parti politique qui n'est pas un parti de travailleurs, mais qui bénéficiait à l'époque de la lutte contre le gouvernement Bourassa, s'est avérée tout au cours des quatre dernières années. Pour les travailleurs, les mêmes problèmes. En effet, les problèmes vécus par les travailleurs sont demeurés les mêmes: perte constante du pouvoir d'achat, maintien d'un haut niveau d'inflation, absence du droit à l'indexation des salaires et des prestations, chômage constant et élevé, multiplication des fermetures d'usines, longueur des conflits de travail, dureté de la répression gouvernementale, judiciaire, policière et patronale. Aucune législation importante n'est venue modifier les conditions économiques et sociales que subissent les travailleurs; aucune suite réelle n'a été donnée aux promesses de faciliter l'accès à la syndicalisation. Sur un grand nombre de législations, le gouvernement ne peut même pas se disculper en plaidant l'absence de juridiction. S'il en avait eu la volonté, le gouvernement aurait pu satisfaire plusieurs de nos revendications: accès au syndicalisme, retrait de l'injonction, caisse de stabilisation de l'emploi, contraintes contre les entreprises qui veulent fermer, transparence économique des sociétés privées. Le gouvernement pourrait agir. Bien plus, son propre programme prévoyait des législations relatives à la représentation proportionnelle, à l'accréditation multi-patronale, à l'indexation des impôts et à l'indexation du salaire minimum. Si le gouvernement n'a pas légiféré, c'est donc qu'il a fait son choix. Même lorsque le gouvernement a légiféré, comme à l'occasion de la loi 45, il a laissé des ouvertures béantes dans le mécanisme anti-scab à la faveur desquelles les employeurs continuent à produire pendant la grève; ou encore, comme à l'occasion de la loi 17, il a ignoré nos principales revendications et a soumis les syndicats à des pressions visant à les intégrer et à dénaturer le sens premier de l'action syndicale. Enfin, les politiques mises de l'avant ne proposent aucune modification fondamentale aux conditions économiques et sociales que subissent les travailleurs. "Bâtir le Québec" cherche à consolider les pouvoirs économiques en place. Quelles que soient les rénovations contenues dans ce projet économique, les travailleurs demeurent exclus. Nous avons la responsabilité d'affirmer la présence des travailleurs. Ce mouvement existe parce que quelque 220 000 travailleurs et travailleuses du Québec, de tous les secteurs d'activités, croient en leur force réunie et constituée en organisation syndicale. Ils y croient parce qu'avant tout, ils voient dans cette organisation un instrument pouvant répondre à leurs besoins immédiats, au plan des conditions de travail et de vie, ainsi qu'un instrument capable, dans une plus large perspective, de proposer des améliorations concrètes à leur condition ouvrière. Un cadre qui détermine un terrain de lutte. Notre action syndicale se déroule dans un cadre précis. Nous avons hérité de ce cadre à l'époque où, aux États-Unis, le président Roosevelt mettait en forme les éléments de sa politique de New Deal. Cette politique cherchait à reconstruire le capitalisme en le rendant plus tolérable. Nous avons hérité par ces réformes du cadre monopolistique de représentation syndicale, soit le fait que dans notre régime syndical, un seul syndicat par unité de négociation a droit à la reconnaissance légale. Cette reconnaissance légale entraîne l'obligation faite à l'employeur de négocier une convention collective et entraîne, à défaut du respect de cette obligation tenue à l'employeur, le droit légal de faire la grève. Ce régime n'est pas le résultat d'une politique "bienveillante" du capitalisme. C'est le résultat immédiat des luttes syndicales menées aux États-Unis, au Canada et au Québec pour faire reconnaître le droit d'association et le droit de grève. Ce cadre juridique est particulier en Amérique du Nord et se distingue du pluralisme syndical qui constitue la formule la plus répandue dans le monde. En effet, sauf pour quelques états de l'Asie et de l'Océanie, dans les autres pays les travailleurs peuvent adhérer à l'organisation syndicale de leur choix. Le cadre du monopole de représentation syndicale devient donc, dans notre action syndicale, une donnée fondamentale de notre action. Ce n'est pas au plan d'une communauté idéologique que s'exerce au départ le choix d'une organisation par les travailleurs, mais à celui de la capacité de répondre à leurs besoins les plus immédiats. C'est sur la base d'une communauté d'intérêts que se construisent les syndicats. Il nous faut donc, dans toute action syndicale que nous entreprenons, reconnaître cette réalité et en dégager toutes les conséquences qui s'imposent. Ce qui est une attitude profondément syndicale, puisqu'elle prend en compte les conditions objectives à l'intérieur desquelles doit se mener toute lutte syndicale et détermine la force même que peut dégager le syndicat. Les modèles nord-américains. L'essence même du syndicalisme américain, que le syndicalisme canadien n'a pas hésité à emprunter et qui est véhiculée chez-nous par les "unions internationales", ne correspond pas à nos aspirations, à nos traditions et à nos pratiques. Ce syndicalisme accepte le régime capitaliste qui nous est imposé. Il y a des résistances à l'intérieur du mouvement syndical américain à la construction d'un syndicalisme plus combatif. Mais régulièrement des groupes importants de travailleurs entreprennent de grandes luttes syndicales. On doit, entre autres, souligner la grève des mineurs du charbon et celle de travailleurs des services publics dans plusieurs municipalités, dont les 35 000 travailleurs du transport public de la ville de New-York. L'action syndicale fait l'objet d'attaques régulières de la part du patronat: un taux de chômage de plus en plus élevé et constant; une mécanisation et une réorganisation du travail; l'impossibilité pour plusieurs travailleurs du secteur public et para-public d'accéder à la syndicalisation, sont des exemples concrets des offensives que mène. la bourgeoisie américaine. Mais à ces attaques s'ajoute le vide que crée une action syndicale centrée sur la seule négociation des conventions collectives et n'ouvre pas des perspectives de changements plus fondamentaux. Les travailleurs ont tendance à substituer à leur organisation syndicale une panoplie de mouvements de citoyens. A plus ou moins brève échéance, ce syndicalisme devra accepter des rénovations et ouvrir de nouveaux fronts d'action syndicale et se libérer du poids de l'affairisme s'il veut véritablement remplir sa mission. Un processus de désyndicalisation s'accentue, à la grande satisfaction des capitalistes et de leurs agents répressifs, qui souhaitent que la classe ouvrière ne puisse plus leur opposer qu'un instrument de défense affaibli. Cette désyndicalisation est activement soutenue par les gouvernements de plusieurs états, surtout dans le sud des États-Unis, par la promulgation de lois anti-ouvrières visant à freiner le développement du syndicalisme et à entraver l'accès à la syndicalisation. Pourtant, les statistiques citées au colloque des Droits humains, tenu par la CMT, montrent qu'en 1975, 19 millions de citoyens américains avaient droit à un programme d'assistance alimentaire; le chômage augmente avec constance et atteint maintenant des seuils inconnus depuis la grande dépression; la discrimination des noirs sévit encore avec force, 2,5 millions d'Américains vivent actuellement sous le seuil de la pauvreté. L'exportation du modèle au Canada. Le syndicalisme canadien, de son côté, s'est développé en suivant le même modèle. Il est en effet constitué d'unions américaines, auxquelles se juxtaposent des unions pan-canadiennes où l'on retrouve le même type de fonctionnement fortement hiérarchisé et centralisé. La loi fédérale, l'application qu'en fait le Conseil canadien des relations de travail et le soutien conjoncturel du CTC à cette loi nient aux travailleurs le droit de se constituer en syndicats sur la base d'unités naturelles. Dans les faits, cette structure finit par priver les travailleurs d'un contrôle véritable sur la vie de leur organisation. Ce qui a pour effet d'affaiblir les organisations syndicales elles-mêmes. Nous devons souligner ce qui se passe sous le couvert de ce qu'on appelle pudiquement "les unions internationales" et qui n'est rien d'autre qu'une transposition, au plan syndical, d'un impérialisme qui prolifère au plan économique. Il y a là, à mon avis, quelque chose qui ressemble à l'abandon de l'autonomie syndicale au profit de pouvoirs extérieurs. Il ne s'agit pas d'une simple expression, cette domination des pouvoirs extérieurs s'est clairement manifestée à l'occasion de conflits intervenus entre la FTQ, notamment, et certaines unions internationales dans le secteur de la construction, dans celui du textile et vêtement, dans les secteurs des hôtels et restaurants. Les volontés d'autonomie de la FTQ ont même été à plusieurs occasions contrées par des tutelles imposées des États-Unis et des procédures judiciaires intentées contre la FTQ par les Unions internationales. Nous reconnaissons la nécessaire solidarité internationale; mais nous nous opposons à la domination de la vie syndicale. Une question de structure. Nos conceptions syndicales se fondent sur des principes qui exigent le contrôle des travailleurs sur tous les domaines où il est essentiel que leurs décisions soient souveraines. Nous différons de ce type de syndicalisme, non seulement par nos déclarations de principe ou nos résolutions de congrès, mais surtout par la nature même de notre organisation et par nos pratiques quotidiennes. Structurellement en effet, nous avons situé le pouvoir syndical au niveau des syndicats, c'est-à-dire à la portée des travailleurs dans l'usine, sur le chantier, à leur établissement de travail. Nous avons constitué des entités professionnelles, les fédérations, et des entités régionales, les conseils centraux, sur les bases de la solidarité entre travailleurs d'un secteur et d'une région. Ce sont donc les travailleurs eux-mêmes qui décident des actions qu'ils jugent essentielles de mener. Mais cette action est activement soutenue par tous les travailleurs affiliés. L'examen des faiblesses des organisations basées sur un métier ou un secteur doit mieux nous permettre de comprendre la force accrue qu'entraîne nos structures interprofessionnelles et le soutien aux luttes par la mise en commun d'un Fonds de défense confédéral. Nous savons que, réunis sur la base d'une communauté d'intérêts tous les travailleurs ne partagent pas la même opinion, la même idéologie, la même philosophie, que tous n'ont pas non plus atteint le même niveau de conscience collective; mais nous savons que tous subissent la même exploitation et que la volonté de s'affranchir de cette exploitation est largement partagée. Notre pratique syndicale nous a enseigné que c'est par l'établissement d'un rapport de forces que peuvent se résoudre les conflits d'intérêts. Nous avons aussi compris de notre expérience syndicale qu'il n'y a pas d'avenir pour nous dans le régime actuel et que, rejetant le capitalisme qui s'appuie sur l'exploitation des travailleurs et des masses populaires, notre avenir se situe au contraire dans un régime socialiste qui chercherait à satisfaire les besoins du peuple et qui serait soumis à un véritable contrôle démocratique. Dès le lendemain des grèves du textile et de l'amiante, au congrès de 1951, sous l'impulsion de notre camarade Gérard Picard, la CTCC affirmait notre rupture avec le système capitaliste et sa volonté de rechercher une alternative politique. Le président de la CSN d'alors concluait ainsi le rapport au congrès: "Tous ceux que la question sociale préoccupe doivent d'abord étudier sérieusement l'entreprise moderne et en prendre une vue juste. Ils doivent aussi contribuer à déraciner des esprits les conceptions capitalistes, à donner son rang, le premier, à la personne humaine, et à créer un climat social susceptible de préparer les voies aux réalisations futures". Six ans après la deuxième guerre mondiale, en pleine guerre froide, au beau milieu d'un continent soumis au McCarthysme et à la chasse aux communistes, dans une province soumise aux lois de Maurice Duplessis, dont la loi du cadenas, c'était porter une attaque lucide et militante contre les pouvoirs en place. C'était exprimer, il y a déjà trente ans, un projet devenu actuel dans la CSN d'aujourd'hui. Toujours davantage une organisation de masse. Ailleurs dans le monde, les travailleurs se regroupent dans des organisations syndicales qui ne sont pas soumises au monopole de représentation. C'est donc dire que les travailleurs pourraient plus naturellement adhérer à des organisation syndicales en fonction des orientations syndicales et idéologiques défendues par les centrales. Et pourtant, ces organisations, justement parce qu'elles sont des organisations syndicales, s'imposent de ne pas faire de distinctions sur une base idéologique. Même à l'intérieur d'un cadre de représentation syndicale beaucoup plus souple que celui que nous connaissons, ces organisations affirment et défendent fortement leur caractère de masse. Le syndicalisme, non seulement comme instrument de défense des intérêts immédiats des travailleurs, mais aussi comme regroupement de travailleurs pouvant agir sur des transformations sociales en profondeur, ne peut agir d'une manière significative que dans la meure où il représente le plus grand nombre de travailleurs et travailleuses. Ne pas tenir compte de cette exigence primordiale, c'est atténuer la portée de nos actions, diminuer notre prise véritable sur les conditions de changement et compromettre les idéaux pour lesquels nous menons nos combats. La place occupée par chaque syndicat, la place occupée par chaque militant, chaque militante, chaque travailleur, chaque travailleuse, est donc un espace essentiel, déterminant. Augmenter nos efforts de syndicalisation. Nous devons répondre aux attentes de ceux qui sont déjà dans notre organisation; mais nous devons aussi déployer tous les efforts nécessaires pour nous rallier les travailleurs non organisés, les travailleurs sans emploi, les jeunes, les femmes, les travailleurs à la retraite, les immigrants, les travailleurs handicapés. Nous ne devons pas seulement être une organisation de masse; nous devons le devenir davantage. Il s'agit là, dans l'objectif de défense des travailleurs, d'une étape absolument essentielle. Chaque militant, chaque syndicat, doit devenir sensible à la condition des travailleurs non-syndiqués. Ils doivent donc, en conséquence, développer un véritable réflexe de syndicalisation. Ce sont les travailleurs, les travailleuses qui peuvent agir pour favoriser la syndicalisation et pour grossir le nombre de travailleurs membres de l'organisation à laquelle ils appartiennent. Cette volonté trouve un écho particulier dans notre mouvement dont les rangs n'ont cessé de croître surtout depuis le dernier congrès. Nous avons mis dans cet objectif de syndicalisation des non-syndiqués beaucoup d'efforts; c'est par centaines que dans des comités régionaux d'organisation, des militants et militantes sont formés dans le but de pouvoir répondre aux demandes qui nous sont faites. L'exécutif se réjouit de constater que la préoccupation de l'organisation est aujourd'hui plus présente au sein de notre mouvement, elle devra le devenir davantage. La démocratie syndicale. Le maintien de notre caractère de masse doit aussi reposer sur la recherche de convergences, d'intérêts communs et de solidarité entre les militants et militantes. Les pratiques syndicales qui développent des antagonismes entre les travailleurs, les travailleuses et leurs instances, entre les instances, ont pour conséquence de diminuer la force des travailleurs. L'action syndicale exige, comme préalable à toute action, et comme condition essentielle à toute victoire, le regroupement le plus large possible des travailleurs. Le vrai sens de la mobilisation réside dans la capacité, pour le syndicat, de rassembler autour d'objectifs définis la détermination des travailleurs pour organiser ainsi la lutte. Camarades, la dynamique d'une organisation syndicale exige la cohésion, la rigueur de l'analyse, et la discipline dans l'action. Les divisions, les affrontements stériles entre tendances extérieures à l'action syndicale, les ostracismes de militants, l'irrespect envers les travailleurs, l'excommunication ne sont pas des pratiques syndicales qui nous renforcissent. Pour réussir nos luttes syndicales, nous devons déployer les efforts pour construire des syndicats unis, déterminés, militants et convaincus. Ce n'est pas la négation du débat; c'est, tout au contraire, l'affirmation de la nécessité de faire passer ces débats à travers les contraintes souvent exigeantes de l'action collective. L'unité syndicale. L'action militante des syndicats, qui s'est développée et précisée au cours de la dernière décennie, représente une menace pour les pouvoirs en place, et au premier chef pour les intérêts économiques dominants. Pour les capitalistes et les gouvernements qui leur permettent de prospérer, l'enjeu est de taille. La classe dominante cherche par tous les moyens à enrayer notre action: législations générales intervenant directement dans les relations de travail, lois spéciales à l'occasion, tentatives d'intégration des travailleurs au système, volonté de neutraliser les organisations syndicales, répression policière et judiciaire, menaces de sanctions économiques et fermetures d'entreprises. Ce sont là autant de manifestations de la réaction des pouvoirs en place contre le danger que représente l'action démocratique des forces syndicales. La résistance et la contre-attaque les plus unitaires possibles s'imposent face à ces assauts répétés. L'unité de revendication et d'action est possible entre les centrales sans aucun préalable de nature idéologique. L'exécutif l'affirme clairement parce que trop souvent certains ont voulu expliquer les désaccords entre les centrales par des conflits d'ordre idéologique que la CSN entretiendrait. L'unité s'impose tout naturellement, dès l'instant où se manifeste la volonté de lutter pour des revendications communes contre un même exploiteur. Elle peut se réaliser sur la base d'actions concrètes. Elle est obligatoirement fondée sur le respect des engagements pris en commun et sur la loyauté de chacun. Elle doit enfin, et c'est essentiel, impliquer que chaque centrale déploie les mêmes efforts d'information, d'éducation et de mobilisation à l'égard de ses membres et accepte de se soumettre aux engagements pris démocratiquement. J'ai dénoncé publiquement et sans détours une situation pénible qui nous avait été faite par une centrale alliée. Nous connaissons les conséquences de cette dénonciation. Je demeure cependant persuadé qu'il était nécessaire d'identifier le mal et de dire à ce moment-là la colère de tous ceux qui risquaient d'en payer le prix. Rendre l'unité possible. Par cette dénonciation, j'ai voulu aussi que soit possible à nouveau, mais sur des bases claires, l'unité syndicale. Une négociation menée en vue de la satisfaction d'objectifs déclarés d'intérêts communs n'est possible et fructueuse que dans la mesure où tous les efforts sont réunis pour garantir que les travailleurs, qui vivent très exactement les mêmes conditions, puissent se prononcer sur les objectifs et sur les résultats de cette négociation. L'unité revendicative et d'action n'est ni possible, ni même imaginable, lorsqu'un des partenaires emprunte des voies différentes. Les travailleurs affiliés à la CSN ne sont pas investis, comme par miracle, d'une conscience plus grande de leur condition; je ne pense pas non plus qu'ils souffrent d'un complexe masochiste qui les conduirait inexorablement à entreprendre des grèves qui seraient inutiles. Nous voulons bien croire, à la limite, que les travailleurs affiliés à d'autres centrales atteignent plus rapidement un niveau de satisfaction acceptable. Nous devons respecter les décisions des instances souveraines des autres centrales. Mais nous voulons aussi que les décisions prises par les travailleurs qui nous sont affiliés commandent le même respect chez nos partenaires. Si nos instances syndicales décident de recourir à la grève, nous avons le droit de réclamer qu'aucune organisation syndicale alliée ne cherche à atténuer leurs revendications ou à dénaturer le geste qu'elles posent. La négociation des travailleurs membres du front commun, de notre point de vue, de notre pratique et de nos convictions, n'est pas une question de surenchère; ce n'est pas non plus une entreprise sophistiquée de maraudage. Ce sont les travailleurs en négociation qui établissent leur revendications et les accords qu'ils jugent satisfaisants. Proposition: que la CSN propose à la CEQ et à la FTQ de constituer des comités de travail sur la protection du pouvoir d'achat, le retrait de l'injonction et l'accès au syndicalisme Une responsabilité de tous. Nous devons développer des pratiques unitaires à tous les niveaux. L'unité syndicale est aussi la responsabilité des syndicats locaux, des conseils centraux, des fédérations. Quant à l'exécutif, nous proposons à nos camarades de la FTQ et de la CEQ de mettre sur pied des comités de travail sur des sujets précis, notamment l'accès au syndicalisme, le retrait de l'injonction et le maintien du pouvoir d'achat. Sur chacun de ces sujets, séparément et en commun, nous avons formulé des revendications qui convergent. Je crois qu'il est maintenant temps d'harmoniser nos revendications en vue de la tenue de conférences inter-centrales qui devraient réunir un grand nombre de travailleurs et préparer une véritable mobilisation et une action pour exiger la satisfaction de nos demandes. La crise et ses manifestations. Les années '70 ont été le théâtre de l'accélération d'une crise économique dont les signes avant-coureurs avaient commencé de se manifester à la fin des années soixante. Quand on parle de cette crise, cela signifie, concrètement, pour les travailleurs des pays industrialisés, un appauvrissement net, un appauvrissement dû à l'inflation qui, règle générale, précède et dépasse les augmentations de salaires. Dans plusieurs pays, dont le Canada, les gouvernements ont ajouté à ce processus d'appauvrissement en utilisant des mesures cyniquement appelées anti-inflation. Des études récentes démontrent que les travailleurs canadiens ont reçu, en moyenne, des augmentations très inférieures à l'augmentation des prix. L'inflation et les contrôles ont coûté quelque 4 milliards de dollars aux travailleurs. Encore un million de chômeurs. La crise a également signifié une augmentation du chômage. Sans tenir compte des exclus, c'est-à-dire les travailleurs qui ne se qualifient plus parce qu'ils ont épuisé les droits aux prestations, ou qui ne peuvent y avoir accès en raison des carences ou des exclusions, sans tenir compte des femmes qui ne peuvent accéder au marché du travail, des étudiants qui n'ont jamais pu travailler, il y a toujours, aujourd'hui, officiellement'' plus ou moins un million de sans-travail. Ces chiffres décrivent le chômage quantifiable; il faut aussi tenir compte des travailleurs occasionnels, de ceux qui vivent d'un emploi partiel, de ceux qui sont victimes de réductions d'horaires ou de salaires, de ceux qui sont assistés par le biais de programmes d'étude ou encore de programmes temporaires d'emploi; c'est-à-dire de ceux qui, tout en occupant un emploi, sont quand même victimes d'une forme de chômage. La crise signifie aussi l'exclusion du marché du travail de plusieurs travailleurs: ceux qui ont été jugés trop âgés par les entreprises, ou trop peu productifs en raison de leur état de santé ou de leurs handicaps; les jeunes qui ne trouvent pas d'emploi. (Faut-il souligner que le gouvernement québécois fait de la propagande en faveur des études collégiales, proclamant que 75 pour cent des finissants se trouvent un emploi. Ce qui signifie, en même temps, que 25 pour cent des jeunes qui sortent de nos institutions d'enseignement collégial sont condamnés au chômage). En situation de chômage, le patronat a tout le loisir d'exercer une politique discriminatoire dans l'embauche, et de créer des tensions à la baisse sur les salaires. Personne n'est plus scandalisé des statistiques sur le chômage; l'opinion publique s'est habituée, s'est domestiquée. Que le taux de chômage oscille encore autour de 10 % au Québec, ce n'est plus très grave, sauf pour les 300 000 travailleurs et travailleuses qui sont directement frappés par le phénomène. Les travailleurs n'ont pas le droit de connaître leur avenir immédiat. Tout est scrupuleusement camouflé dans les tiroirs des administrateurs et des hautes directions des entreprises. Tous les efforts qui ont été faits par notre centrale, depuis longtemps, pour réclamer la transparence économique, la connaissance des faits économiques des entreprises se sont heurtés au mur du refus. Les travailleurs n ont pas le droit de savoir, même si c'est leur vie qui est en cause. Le gouvernement du Québec refuse toujours de nous reconnaître ce droit élémentaire. Un pouvoir d'achat rétréci. Cette insécurité se manifeste de plus par la diminution du pouvoir d'achat des salariés. Comble du cynisme des dirigeants politiques et économiques, on accuse les travailleurs parce que le coût de la vie augmente, comme s'ils étaient responsables de ces hausses. On se sert de l'insécurité de l'emploi, de menaces de fermetures, de licenciements pour amener les travailleurs à accepter des baisses réelles du salaire et pour ainsi réaliser "de bonnes affaires". Ce que nous disons de ce problème de l'appauvrissement continu de la classe ouvrière, nous pouvons l'affirmer en ce qui a trait au refus du monde patronal et gouvernemental d'accepter que les travailleurs aient une plus grande autonomie, une plus grande responsabilité. On refuse d'adapter le Code du travail aux réalités actuelles; on passe des lois qui ne tiennent pas compte des revendications des travailleurs, comme la loi 17 sur la santé et la sécurité du travail; on adopte des lois qui sont largement insuffisantes, comme la loi 126 portant sur le normes minimales de travail; on exige du travailleur de se serrer la ceinture parce que l'argent manque, se fait rare. Pendant ce temps, les compagnies réalisent systématiquement, année après année, des profits records. Le travail et les profits. Pendant que d'un côté, la condition ouvrière, chez-nous et ailleurs dans le monde occidental, se détériore constamment depuis le début de cette crise, les grandes entreprises sont de plus en plus florissantes. Les chiffres sont là pour en témoigner. Ainsi, il est bon de rappeler le rapport entre le revenu du travail e les profits. Le revenu du travail, selon Statistiques Canada, diminue d'une manière dramatique alors que les profits sont de plus en plus considérables. Nous n'avons pas voulu dans ce rapport faire étalage de beaucoup de données statistiques mais nous croyons que ce tableau mérite d'être cité: Il importe de savoir que les salaires dont il est question dans ce tableau ne sont pas uniquement ceux des travailleurs de production ou de bureau mais bien de tous les salaires, y compris ceux des présidents et autres administrateurs des compagnies. Comme le tableau l'indique, un déplacement de un pour cent des salaires vers les profits entraîne une perte, du côté des salaires, de deux milliards de dollars. On peut nous objecter que la période choisie est trop courte et non significative. Pour y répondre, nous avons voulu remonter davantage dans le temps. Aussi, sommes-nous en mesure de démontrer que depuis 1961, jamais les profits n'ont atteint le niveau que l'on connaît maintenant. Le tableau suivant nous éclaire sur ce point: Ces données statistiques démontrent que les compagnies ont la capacité d'aller chercher toujours davantage de profits, pendant que la part du revenu du travail va diminuant. Nous proposerons au présent congrès des moyens concrets pour mieux adapter notre action à la conjoncture. Nous devrons accepter de réajuster notre action syndicale pour lutter contre les offensives que les capitalistes entreprennent contre nous. Les taux d'intérêts. Ces offensives contre la classe ouvrière sont multiples. Une nouvelle manifestation récente touche la hausse vertigineuse du taux d'intérêt. En effet, la Federal Reserve Board des États-Unis a décidé, au cours des derniers mois, des hausses successives des taux d'intérêt qui ont atteints des seuils jamais connus auparavant. La Banque du Canada, et par voie de conséquence toutes les banques canadiennes, ont imité cette politique monétaire. Cette décision des capitalistes constitue un nouveau moyen utilisé pour faire supporter aux travailleurs le coût de l'inflation et d'ainsi tenter de régulariser la crise, au dépens des travailleurs et au profit des capitalistes. Les effets sont immédiats et désastreux: perte de maisons pour la population à revenu moyen, hausse imposante du prix des loyers et fort ralentissement de la construction, ce qui signifie un chômage très élevé pour les travailleurs de cette industrie. C'est un autre moyen, comme la loi C-73 l'avait été auparavant, de faire supporter les effets de la crise aux travailleurs. La crise signifie aussi le resserrement des politiques sociales: diminutions administratives du droit à l'assurance-chômage, réduction réelle du salaire minimum, progression lente du niveau de prestations sociales. Les capitalistes profitent de cette crise, les hausses de profit qui suivent en sont un exemple accablant: Une concentration du capital, des transactions de plus en plus spectaculaires permettent l'établissement de monopoles et la prise en mains, par quelques intérêts, de secteurs immenses de l'économie. Cette situation monopolistique et très mobile du capital, notamment par la constitution de sociétés multinationales, permet le chantage quant à la fiscalité. Ainsi l'impôt sur le revenu de toutes les compagnies au Québec, l'impôt sur le capital et les places d'affaires ne représentent que 5% des revenus du Trésor. Et, cela, sans tenir compte des innombrables subventions retournées aux compagnies. Pendant ce temps, le coût de la vie progresse sans cesse plus rapidement que les hausses de salaire, et ce, depuis 1976, c'est-à-dire depuis que les effets de la loi C-73 sont ressentis. Notre action face à la crise. Se servant de la crise, le patronat et les gouvernements proposent, exigent et livrent des offensives pour forcer des reculs sur les acquis des travailleurs. Les exemples sont nombreux: le refus de reconduire les clauses d'indexation des salaires dans les secteurs papier et forêt, la volonté de ramener des salaires inégaux dans la construction, celle de ne pas reconnaître les clauses normatives pour les employés du soutien scolaire et des CEGEP. Cette crise réelle nous amène donc à défendre farouchement nos acquis, nos intérêts. Des revendications, des actions. En effet, défendre son emploi, défendre le contenu de son travail, défendre la valeur réelle de son salaire, ce sont des actions syndicales normales et essentielles dans toutes les circonstances; elles le sont encore davantage dans la présente situation de crise. Nous devrons aussi intervenir pour tenter d'apporter des solutions à tous les problèmes qui frappent les travailleurs. Dans cette situation de crise, nous avons le devoir d'élaborer un programme syndical de revendications spécifiques et un programme d'action qui aura comme objectif de s'attaquer au chômage, au travail mal rémunéré, au travail insécure, temporaire ou encore malsain. Nous devrons permettre que nos luttes soient mieux comprises de tous les travailleurs et que le terrain soit ainsi plus propice au développement des conditions de solidarité nécessaires aux luttes syndicales. Pouvons-nous encore laisser les travailleurs des affaires sociales, ceux du secteur de l'éducation, assumer seuls, au moment précis du renouvellement de leurs conventions collectives, des revendications dont on sait qu'elles sont vouées au maintien ou au développement de la qualité des soins de santé, des services sociaux ou de l'éducation? Pourrons-nous longtemps encore permettre que ces travailleurs assument seuls, dans les conditions difficiles de la négociation avec l'État, le double objectif du maintien des services à la population et du maintien de l'emploi? Le gouvernement et les associations patronales comprennent clairement les enjeux, eux qui tentent de réduire la nature de ces luttes à une simple expression d'intérêts corporatistes. Il y a un profond cynisme dans cette attitude gouvernementale qui considère que les travailleurs ne devraient pas réagir lorsque des emplois sont abolis, lorsque des postes ne sont pas comblés, puisque les syndiqués ont négocié un régime de sécurité d'emploi! Ou qui considère que l'employé d'une commission scolaire ou d'un cégep peut être affecté à toute heure, auprès de n'importe quelle clientèle, en autant qu'il touche sa paie; ou encore qui considère que le professeur à tel nombre d'heures d'enseignement à livrer et qu'il importe peu de s'interroger sur le nombre d'enfants auquel cet enseignement sera servi! Qui peut agir? De la même manière, dans le secteur privé, des luttes syndicales sont menées pour contrer la pollution qui frappe des régions entières et leur population; en plus de toucher des travailleurs, les cas des mines d'amiante, de la pollution des rivières et lacs, de l'air, les coupes à blanc dans les forêts sont des exemples éloquents. D'autres luttes syndicales qui sont entreprises contre les fermetures ou mises à pied ont un effet direct sur l'économie de villages, de villes, et parfois même de régions. Face à ces problèmes, qui donc, en dehors des organisations syndicales, peut prétendre pouvoir organiser les pressions nécessaires pour que les solutions soient apportées? Le manque d'accessibilité aux soins de santé, la congestion des salles d'urgence, les longues attentes, l'insuffisance de surveillance dans les écoles, les conditions difficiles d'apprentissage, la pollution, la domination économique, ce sont là des problèmes réels de toute la population. Mais où, par quels moyens, et quand la population peut-elle agir contre ces conditions et quand peut-elle organiser de manière cohérente la défense de ses droits? Organiser le débat, les interventions. Les fédérations, les conseils centraux doivent élaborer de véritables politiques touchant les citoyens. L'exemple du Sommet populaire tenu par le Conseil central de Montréal mérite d'être souligné et devrait se répéter dans plusieurs autres régions. Les questions des services publics, de la qualité de la vie tant à l'usine qu'à l'extérieur, la conservation des lieux et équipements collectifs doivent être pris en compte par l'action syndicale. La CSN, avec ses fédérations et conseils centraux, devra collaborer pour établir des politiques syndicales de la santé, de l'éducation, de l'utilisation des ressources et autres. La constitution des dossiers, l'établissement de revendications précises, demeurent d'abord la responsabilité des syndicats locaux. Mais sur la base des prises de décision des syndicats, nos revendications et actions peuvent et doivent être expliquées. Nous aurions intérêt, en effet, à organiser des lieux d'intervention démocratique où la population et les syndicats pourraient s'instruire mutuellement de leurs problèmes respectifs. De tels lieux seraient utiles dans l'élaboration des solutions aux différents problèmes. Nous pourrions ainsi préparer une mobilisation suffisante pour bâtir un rapport de forces plus large et plus grand. Certaines actions d'un genre nouveau pourraient être envisagées. Est-il possible d'imaginer, par exemple, que la négociation d'employés d'une municipalité porte également sur l'organisation de terrains de Jeux, l établissement d'équipements sociaux dans des quartiers désignés par les syndicats en fonction des besoins des plus défavorisés? Ce ne sont là, camarades, que des éléments d'une réflexion que nous devrons poursuivre. Une plate-forme de revendications. Nous demanderons au congrès de confier aux instances la constitution d'une plate-forme permanente de revendications qui devra prendre en compte ces exigences. A ce moment précis de notre évolution, il nous semble important que les syndicats, fédérations et conseils centraux puissent se servir quotidiennement de cet outil. Depuis quelques années déjà, la CSN a précisé ses revendications en ce qui a trait au droit au travail, à la caisse de stabilisation de l'emploi, à des mesures de protection du revenu, à l'établissement d'un salaire minium décent applicable à tous. Nous avons aussi réclamé le droit de grève permanent, des mesures concrètes quant au droit à la syndicalisation, le retrait de l'utilisation des injonctions, le droit à l'information économique, le droit aux congés-éducation. Nous luttons quotidiennement pour le droit à la santé et à la sécurité au travail, pour le droit au travail social des femmes, pour le droit à des garderies, pour les droits des retraités et des chômeurs. Sur tous les aspects de la condition ouvrière, nous avons réfléchi, analysé, décortiqué les problèmes, avancé des solutions. La CSN s'est toujours porté à la défense des droits; elle a toujours porté les revendications de tout le peuple; elle a toujours mené des luttes pour que le sort des travailleurs soit amélioré. L'assurance-automobile, la lutte aux compagnies de finance, la démocratisation du scrutin par la représentation proportionnelle, la démocratisation des caisses électorales, le français comme langue de travail, l'accès à l'éducation et aux soins de santé, le bail-type pour les locataires, le congé de maternité, toutes ces revendications ont marqué notre histoire. Plusieurs de ces revendications sont aujourd'hui traduites dans des lois. Nous n'avons pas obtenu une satisfaction absolue à toutes nos revendications mais nous pouvons affirmer que des améliorations sensibles ont été réalisées. Le comité exécutif est d'avis qu'il faut actualiser notre plate-forme de revendications et en développer certains aspects. Par exemple, les droits des handicapés de même que toutes les revendications touchant les aspects culturels de notre vie devront faire l'objet de notre réflexion dans les mois qui viennent. Notre plate-forme de revendications continuera à préciser notre projet de société en regard de quatre grands axes: social, politique, économique et culturel. Comme mouvement syndical, nous avons des exigences touchant chacun des aspects de notre vie collective. L'élaboration de notre plate-forme ouvrira des perspectives favorables et précisera les conditions propices à l'avènement d'une société nouvelle, une société fondée sur les besoins du peuple. Une société socialiste qui soit profondément démocratique, qui permette au peuple de maîtriser le développement économique, qui lui permette aussi une réelle appropriation des pouvoirs et institutions, qui lui permette enfin de développer sa propre culture. Lutter pour donner à tout le peuple une plus grande maîtrise sur son présent et sur son devenir, être la force collective capable d'avancer de nouvelles solutions pour l'ensemble des couches populaires, telle est la perspective qu'il nous faut développer. Camarades délégués, la CSN a marqué l'histoire du Québec. Aujourd'hui, nous devons continuer notre combat, avec la détermination qui nous est caractéristique, avec de nouveaux moyens de lutte, avec notre capacité de faire partager nos analyses, avec notre capacité de faire comprendre à tous que notre combat se situe du côté du peuple et qu'il n'en sera pas autrement. Proposition: qu'une plate-forme permanente de revendications soit élaborée au cours de la prochaine année par les instances appropriées et que cette plate-forme soit envoyée à tous les syndicats. L'organisation du travail. Nous voulons souligner plus particulièrement une offensive que mènent les capitalistes à l'intérieur de la crise économique: l'organisation et la réorganisation du travail. La relance de l'économie capitaliste prend la forme d'une nouvelle offensive patronale sur le plan des conditions de travail. Cette offensive se constate entre autres dans les actions des États, des sociétés multinationales ou nationales, en vue d'établir une nouvelle division internationale du travail. Plus près de nous, le document gouvernemental "Bâtir le Québec" propose un développement économique qui fait sienne de cette division internationale du travail. Toutes les économies capitalistes nationales, et même chaque entreprise, deviennent alors le théâtre de cette offensive patronale qui cherche à réorganiser le processus du travail et à modifier les conditions de travail. Une expropriation continue... L'histoire du développement capitaliste n'est rien d'autre que celle de l'expropriation des moyens du travail et du processus du travail d'entre les mains des travailleurs. Cela s'est manifesté par la destruction des métiers, la division tant du travail manuel que du travail intellectuel, l'arrivée de la production à la chaîne, celle de la mécanisation, de l'informatisation et même aujourd'hui, de la production par robots électroniques, comme cela se pratique chez Général Motors, entre autres. Le développement capitaliste a amené l'organisation de la hiérarchie, qui dépossède le travailleur du contrôle de son travail; il a aussi amené l'encadrement toujours plus poussé qui enlève au travailleur son autonomie; il a enfin amené une discipline harassante, faisant disparaître toute la créativité au travail. Ce développement a favorisé la concurrence entre les travailleurs par la division du travail, par l'attribution de primes au rendement, par l'utilisation de méthodes scientifiques (psychologie, sociologie et génie industriels) qui augmentent le contrôle exercé sur eux; pour mieux diviser les travailleurs, il s'est appuyé sur toutes les discriminations: hommes-femmes, nationaux-immigrants, jeunes-vieux. Ce développement capitaliste a aussi amené la constitution et l'utilisation systématique d'un réservoir de chômeurs, qui permet la mobilité de la main-d'oeuvre et provoque des tensions à la baisse sur les conditions de salaire. A la fin du siècle dernier, les capitalistes avaient mis au point une nouvelle méthode qui continue de sévir encore aujourd'hui et apparaît sous de nouvelles formes: le taylorisme. Cette méthode "scientifique" d'organisation du travail a permis de freiner l'expansion des métiers et, en conséquence, du syndicalisme de métier, de diviser le travail, de parcellariser les tâches pour relancer la productivité, pour conduire à la production et à la consommation de masse. ...mais, aussi, un affrontement continu. L'histoire du capitalisme, c'est aussi celle d'un affrontement constant entre le capital et les travailleurs. C'est l'histoire d'une lutte continuelle entre la volonté de la bourgeoisie cherchant à "diviser pour régner", et la volonté de résistance des travailleurs pour freiner ces attaques par la formation d'organisation syndicale et par le développement de la solidarité la plus large possible. Les travailleurs résistent, n'acceptent pas de se soumettre. C'est là la contradiction fondamentale du développement du système capitaliste. On peut constater cette résistance au niveau même de l'organisation du travail. Le profit maximum, et non pas la satisfaction des besoins des travailleurs et du peuple, telle est la finalité de la production capitaliste. Les travailleur résistent de plus en plus à ce travail privé de sens, aliénant, où ils sont dépossédés de leur créativité. Parfois passive, cette résistance s'exprime alors par l'absentéisme, la mobilité extrême, le roulement de personnel, l'abandon pur et simple. Mais le plus souvent, cette résistance prend une forme active qui s'exprime par des luttes syndicales. Nous estimons que cette offensive patronale, et la capacité des travailleurs d'y résister en remettant en cause la finalité de la production et l'organisation même du travail, seront des éléments déterminants dans les années '80. Durant les dernières années, d'ailleurs, plusieurs offensives ont été engagées. De nouvelles couches ouvrières. En constituant de nouvelles couches de travailleurs en marge des travailleurs organisés, le patronat a cherché à morceler l'unité des travailleurs. Cette catégorie de travailleurs est davantage vulnérable et, souvent, incapable de profiter des droits acquis par les luttes des travailleurs organisés. Plus difficilement syndicable, donc plus difficilement mobilisable, elle est fréquemment constituée de groupes défavorisés et victimes de discriminations sur le marché du travail. Les méthodes utilisées par le patronat sont multiples. Parmi celles-ci, il y a le phénomène du travail à temps partiel, qui ne cesse de s'amplifier tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Déjà en 1973, 12 pour cent de la main-d'oeuvre au Canada travaillait à temps partiel. La sous-traitance est aussi de plus en plus utilisée, surtout dans les tâches d'entretien, de nettoyage, de transport. On retrouve également le travail intermittent, géré par les agences de location de services, qui offrent une main-d'oeuvre à plusieurs secteurs d'activité: travail de bureau, infirmières, services de surveillance, etc. Ces phénomènes font éclater la notion traditionnelle de l'entreprise et rendent, à toutes fins pratiques, la syndicalisation presque impossible, à l'intérieur du Code du Travail actuel. Un autre aspect de cette offensive se cache dans la multiplication du travail à la pige, du travail à durée limitée, surtout chez les travailleurs intellectuels, comme pour les chargés de cours dans les collèges et universités. A travers tous ces phénomènes, c'est la parcellarisation de la force de travail qui est recherchée. Il nous faut trouver de nouvelles formes à donner à la solidarité ouvrière et aux luttes syndicales pour que soit davantage assurée la participation à la vie syndicale de ces catégories de travailleurs et que puisse être assurée l'amélioration de leurs conditions de vie. La modernisation de l'exploitation. Le patronat renforce et modernise le taylorisme. Dans certaines entreprises, la mécanisation du travail prend des formes absolument futuristes: chez Toyota, au Japon, un quart des ouvriers affectés au montage a été remplacé par des robots; chez Citroën, en France, un robot se charge de la soudure des carrosseries et prend la place de 30 ouvriers; chez IBM, un robot, qui peut voir, réussit à monter huit composantes de machines à écrire en 45 secondes. La révolution provoquée par l'arrivée des micro-processeurs bouleverse le travail de bureau, le traitement de l'information, et entraîne une importante diminution de l'emploi dans plusieurs secteurs. A l aide de l électronique, on instaure un nouvel encadrement du travail, une forme nouvelle de surveillance. Déjà, des postes de travail sont combinés à des terminaux permettant le contrôle de la productivité et des erreurs des travailleurs, le pointage statistique, l'établissement de normes internationales de productivité, etc. Pour le travailleur, cette automatisation de plus en plus pénétrante dans le processus du travail entraîne une plus grande désappropriation et contribue activement à une déqualification encore plus poussée du travail. Dans les sociétés plus industrialisées, là où les travailleurs sont syndiqués, donc mieux organisés pour lutter, le patronat n'est pas à court d'inventions; il a imaginé de nouvelles méthodes d'intégration, d'encadrement idéologique, parfois même de participation limitée à la gestion. Les attaques à l'endroit des syndicats se font plus sophistiquées! On propose d'établir des relations plus individualisées; on suggère même aux entreprises de prendre les devants en instaurant des régimes d'arbitrage maison, des comités paritaires qui se préoccupent des questions qui font problèmes, ou encore, en diffusant des journaux maison. Ces moyens modernes cherchent à rendre "inutiles" les syndicats. On propose des mécanismes de co-gestion, de participation aux profits qu'on oppose aux salaires décents comme prix du travail. Le patronat cherche donc aujourd'hui des solutions à la résistance des travailleurs face à la division extrême du travail et aux luttes syndicales qui ont été menées. Ainsi, dans certaines entreprises, le patronat veut "redonner un sens au travail" et relancer la productivité en "récompensant" le travail. Il tente d'élargir les tâches en ajoutant aux fonctions d'exécution certaines tâches de préparation et de réglage. Il veut enrichir les tâches par la participation de l'ouvrier à plusieurs étapes de la production. La méthode la plus sophistiquée, la plus audacieuse à avoir vu le jour est celle qui organise des équipes semi-autonomes de production. Ce nouveau mode d'organisation du travail prétend confier aux travailleurs la responsabilité de l'organisation de la production. Selon cette méthode, le groupe devient responsable de la distribution des tâches, de l'aménagement du temps de travail par le biais d'horaires souples ou flexibles, du choix du leader du groupe. En récompense, le système prévoit des primes collectives, ce qui, dans des domaines comme la santé-sécurité, incite parfois les travailleurs à cacher certains accidents, diminuant ainsi de façon "apparente" le taux d accidents. Ce qui est recherché par ce système est évident: on veut intégrer idéologiquement les travailleurs et leur faire partager les finalités de l'entreprise. Ce sont là des palliatifs qui ne changent pas fondamentalement la condition des travailleurs; pour nous, qui voulons agir sur la transformation de ces conditions, nous devrons développer des alternatives syndicales. Nous devons intervenir. Cette réorganisation de la production se vérifie; plusieurs entreprises y participent au Québec. Chez Steinberg, par exemple, on a déjà implanté des équipes semi-autonomes. Les gouvernements canadien et québécois ont mis sur pied des comités de réflexion sur la "qualité de vie au travail" et cherchent l'intégration des travailleurs et de leurs organisations. Le patronat multiplie les colloques portant sur ces questions; au Sommet économique, le CPQ suggérait même l'émission de "débantures participantes" comme moyen utile à opposer aux progressions salariales et à la négociation des droits de gérance. Cette question est au coeur même de l'exploitation capitaliste; c'est aussi une des voies qui tenteront d'explorer les possédants en vue de freiner les avancées réalisées par les travailleurs et leurs organisations. Nous devrons donc développer des actions syndicales pour contrer ces formes que prend l'exploitation. Enquêter, analyser, alerter, élaborer des programmes, organiser l'action. Il nous faudra enquêter, analyser dans toutes les entreprises où nos syndicats sont présents; nous devrons contacter les autres organisations syndicales afin de mieux connaître et déceler les stratégies patronales. Nous devrons aussi déployer les efforts d'information et de formation qui s'imposent auprès des travailleurs pour les sensibiliser à ces nouvelles agressions du capital. Nous comptons proposer des modalités nouvelles de syndicalisation, qui tiendront compte de la modification de la structure et de la notion de l'entreprise, ainsi que des stratégies patronales pour créer des catégories de travailleurs plus vulnérables. Ces tactiques patronales ne recherchent, en fait, qu'à morceler la classe ouvrière. Nous devrons également élaborer des programmes de revendications et d'action pour donner forme à la résistance des travailleurs. Nous devrons alerter les travailleurs, parce que ces offensives patronales qui prennent forme situent un terrain de lutte où nous devrons combattre au cours de la prochaine décennie. Nous l'avons commencé, mais il faut développer la vigilance et proposer des moyens concrets pour organiser la lutte. De nouveaux moyens de lutte. Nous sommes tout à fait conscients qu'il nous faut aller encore plus loin, faire davantage et mieux. Nous avons décrit la situation actuelle des travailleurs et déclaré qu'il nous fallait poursuivre notre analyse, notre réflexion et inventer de nouveaux moyens d'action. Cette recherche de voies nouvelles que nous voulons faire ne se veut en rien une critique de l'action passée. Ce qui est absolument nécessaire, c'est de constamment adapter notre action, donc nos moyens, à la nouvelle conjoncture. Voilà pourquoi nous invitons le congrès à réfléchir sur certaines propositions qui peuvent faire l'objet d'un examen attentif pour en tirer par la suite les conclusions conséquentes. Tout au cours de son histoire syndicale, la CSN a affirmé que les gains réalisés par les travailleurs syndiqués profitent à l'ensemble des travailleurs et qu'il faut lutter pour que ces gains soient effectivement étendus à tous les travailleurs. Nous reconnaissons que la syndicalisation demeure le moyen privilégié pour améliorer concrètement les conditions de vie des travailleurs; une étude par l'IRAT, en 1973, parle d'une augmentation de 10 à 17 % du salaire du seul fait de la syndicalisation. De plus, l'action des syndicats est le seul moyen qu'ont les travailleurs pour faire progresser les normes qui s'étendent aux travailleurs non-syndiqués. Enfin, la syndicalisation demeure le seul moyen réel d'assurer le respect des droits des travailleurs; même si les droits sont formellement inscrits dans les lois, seule l'action syndicale peut efficacement en garantir l'exercice. Nous devrons maintenant développer des moyens de luttes pour agir plus directement sur l'évolution de la condition de tous les travailleurs. 1- Élargissement du régime de négociation. Le régime de négociation qui prévaut en Amérique du Nord, et en conséquence au Québec, confine la négociation à une seule entreprise et parfois même à une partie de l'entreprise. La conséquence immédiate de ce régime, c'est de limiter la revendication des travailleurs à ce seul niveau, sans pouvoir d'intervention sur l'ensemble d'un secteur industriel ou encore sur l'économie toute entière. Ce régime permet au patronat de diviser plus facilement les travailleurs, de les opposer les uns aux autres. Ainsi, lorsque des regroupements syndicaux se sont effectués, le patronat a résisté. Il a même souvent tout fait en son pouvoir pour diviser les groupes par tous les artifices imaginables. Ce régime de négociation réduit la capacité du syndicalisme d'être à l'offensive; il est plutôt constamment tenu sur la défensive. Les syndicats, ne peuvent négocier ou même traiter des grands enjeux de l'économie, il leur faut se contenter d'obtenir le plus possible pour leurs seuls membres, en protégeant leur pouvoir d'achat, en obtenant un enrichissement et d'autres conditions de travail qui ont déjà été obtenues ailleurs dans le même secteur. Dans un tel système, les employeurs demeurent libres d'investir leurs profits. Il n'est pas possible de forcer une entreprise à agir dans un sens déterminé, par exemple pour assurer la protection de l'emploi. Il n'est pas plus possible d'arracher des avantages importants qui seraient trop éloignés de ce qui existe généralement dans les entreprises d'un même secteur ou d'une même taille. Ce sont les employeurs qui ont le plus intérêt à confiner l'action syndicale dans un cadre très restreint, à limiter les revendications ouvrières au niveau de l'entreprise, pour ne pas permettre que les gains des travailleurs soient étendus. Nous en avons l'expérience, les compagnies luttent avec acharnement pour empêcher tout progrès significatif des travailleurs. Elles sont disposées à accepter de longs conflits, des grèves tumultueuses, pour diminuer la résistance ouvrière; et, dans beaucoup de cas, cette résistance patronale n'a rien à voir avec la capacité de payer des entreprises concernées. Elles luttent pour sauvegarder leurs privilèges. Des tentatives syndicales. Depuis l'existence de ce régime de négociation, il y a bien des syndicats qui, constatant la faiblesse du système, ont tenté de le contourner en opérant de plus larges regroupements syndicaux pour fins de négociation. Cette formule a pu être observée dans les mines de charbon, dans la métallurgie, dans l'automobile aux États-Unis, avec des variantes importantes dans l'exercice du rapport de forces. Au Canada, les grands regroupements opérés aux États-Unis ont eu des répercussions; on l'a constaté dans les mines de fer et dans l'industrie de l'automobile. Ces regroupements sectoriels ont permis aux travailleurs de réussir des percées importantes qui auraient été impossibles en négociant entreprise par entreprise. Nous savons tous que les employeurs peuvent facilement présenter un bloc solide et uni et que, si les travailleurs se présentent devant eux en ordre dispersé, nos chances de succès sont diminuées d'autant. Cette pratique syndicale comporte un certain nombre de dangers, souvent soulevés comme inévitables. Ainsi, toute la question de l'autonomie syndicale est de nouveau posée, de même que les risques énormes de la centralisation. Il vaut la peine de s'attarder un peu sur ces objections avant d'aller plus loin dans l'élaboration d'une formule qui pourrait décupler la force de frappe des syndicats. L'autonomie syndicale doit être préservée. Quand il est question d'autonomie de l'unité syndicale, il faut distinguer entre l'autonomie réelle et l'autonomie théorique. Je m'explique: si un syndicat a pleine autorité pour établir ses revendications auprès de l'employeur et même pour décider de recourir à la grève, il existe des conditions objectives à sa lutte. Si tous les autres syndicats représentant les travailleurs dans d'autres entreprises du même secteur, par exemple, ont déjà accepté des conditions de travail inférieures aux revendications désirées par ce syndicat, il aura alors plus de difficulté à obtenir gain de cause. L'autonomie du syndicat, dans certains cas, est donc plus théorique que réelle. Ce n'est pas aux travailleurs du secteur public que nous allons apprendre que leur force de frappe est beaucoup plus grande, plus efficace dans la forme actuelle de leurs négociations que si chacun des syndicats tentait de négocier seul sa propre convention collective. Nous pouvons même affirmer que leur véritable autonomie s'exprime avec plus de force à l'intérieur de ce regroupement que si chacun des syndicats essayait de faire jouer, seul, son autonomie qui deviendrait alors plus théorique que réelle. Plusieurs syndiqués délégués à ce congrès ont vécu sous les deux régimes et se souviennent sans doute qu'avant les négociations sectorielles et en Front commun, la politique salariale, la masse salariale étaient imposées par le gouvernement aux employeurs locaux et aux syndicats. Déjà les travailleurs de l'hôtellerie, ceux du papier, ont jeté les bases d'un élargissement du Front de négociation et d'action. De plus en plus, dans tous les secteurs, les militants deviennent conscient de la nécessité de cet élargissement. Le risque de la centralisation. Le deuxième danger qui est souvent signalé, et à juste titre, est celui de la bureaucratisation et de la centralisation que risque d'entraîner un régime plus large de négociation. S'il y avait perte de l'autonomie syndicale, il y aurait en effet bureaucratisation. Pour éviter ces dangers, il faut s'assurer que les membres des syndicats aient une prise réelle sur les décisions. Les mécanismes internes de démocratie syndicale doivent être mis en place et scrupuleusement respectés, et des moyens doivent être prévus pour assurer la plus large participation de travailleurs. J'ai évoqué la négociation sectorielle que font des syndicats américains; pourtant, dans une autre partie de ce rapport, nous en avons fait une critique sévère. Ce n'est pas le principe de la négociation plus large que nous contestons, mais l'application qui en est faite. Nous devons maintenir l'autorité des membres dans les décisions. Les syndicats, les travailleurs et travailleuses doivent adhérer volontairement à ces regroupements et doivent être convaincus que leur rapport de forces sera augmenté. Dans le régime de relations industrielles qui est nôtre, comme il n'y a pas ou peu de négociations nationales sectorielles ou universelles, donc applicables à tous, il est normal que nous ayions cherché à négocier "par pointes ou par précédents", ce que nous appelons communément "pattern". Cette formule de négociation vise à réaliser le meilleur objectif dans une entreprise ou un secteur où le rapport de force est plus grand et, par la suite, à imposer les mêmes conditions aux autres entreprises du même secteur ou d'autres secteurs. Un tel système fonctionne mais il comporte certains risques, dont celui de faire établir les précédents par des syndicats indépendants, par exemple. Son efficacité est aussi plus réduite lorsque la négociation continue à se faire entreprise par entreprise et qu'elle demeure constamment atomisée. Il y aura toujours de nouveaux sommets qui seront atteints quant aux conditions de travail, mais ces sommets ne porteront toujours que sur ce qui est applicable au type d'entreprise. Un espace d'intervention limité. Ce qui est plus grave, dans ce régime de négociation, c'est que les sujets de négociation sont toujours limités: on devra se contenter, comme on l'a toujours fait, de négocier les salaires, les heures de travail et certaines dispositions normatives, pour éviter la détérioration des conditions de vie des travailleurs et l'arbitraire patronal. Comment, par exemple, entreprendre une lutte de fond pour forcer les entreprises à réinvestir leurs profits pour maintenir l'emploi? C'est presqu'impossible de réussir de telles revendications dans un cadre aussi étroit. Il ne s'agit là que d'un exemple, celui du réinvestissement. On peut en imaginer d'autres: la formation de la main d'oeuvre, le congé éducatif, le congé syndical, la formation professionnelle. Ce que nous avons vécu au Québec depuis dix ans dans le secteur public devrait nous servir d'exemple. Au cours d'une aussi brève période, les conditions de vie et de travail des salariés des secteurs public et para-public ont été sensiblement améliorées parce qu'il y a eu élargissement du cadre des négociations. Il s'agit là d'un fait irréfutable. Pour une certaine presse et certains courants "d'opinions universitaires", il ne ressort que des grèves de cette période. La réalité est autre pour les salariés: l'uniformisation des salaires, la sécurité d'emploi sectorielle, le mois de vacance après un an, les régimes d'assurance et de retraite, etc. Ce résultat aurait-il été possible en négociant isolément? Aurait-il été possible de négocier la masse salariale attribuée aux salariés en intervenant dans l'attribution des postes budgétaires? Aurait-il été possible de lancer de vastes campagnes pour l'amélioration des soins aux malades, pour un enseignement de meilleure qualité? Nous sommes convaincus que non! Nous savons que durant cette période de dix ans, tout n'a pas été simple pour assurer la coordination, aussi bien à l'intérieur des rangs de notre centrale qu'avec nos partenaires syndicaux. Il y a eu des problèmes, nous en convenons. Il y avait au sein des trois centrales des conceptions, des traditions différentes. Il a fallu des ajustements et parfois même, il y eut des déchirures. Cependant, les grands objectifs de base ont été maintenus depuis le début. Nous savons qu'il appartient aux travailleurs du secteur public de faire leur propre bilan de la dernière négociation. Cependant, les acquis historiques de ces négociations doivent être reconnus. Il est bon de se rappeler que le comité de coordination du secteur public (CCNSP) a vu le jour au sein de notre centrale, en 1970. Le CCNSP n'a pas toujours été ce qu'il est maintenant. Il lui a fallu franchir plusieurs étapes, et en tout premier lieu, les organismes qui le composaient ont dû apprendre à vivre ensemble, à mieux se concerter. Dans une étape ultérieure, les participants au CCNSP ont compris la nécessité de tenter de regrouper les travailleurs des mêmes secteurs affiliés aux deux autres centrales. Les travailleurs des secteurs du privé ont multiplié les expériences de fronts communs. Privé-public: un sort lié. Il n'est pas difficile de comprendre jusqu'à quel point les intérêts des travailleurs d un secteur sont reliés aux intérêts des autres. Ainsi, sur les grands enjeux des négociations, si l'ensemble du secteur privé n a pas obtenu satisfaction à certaines revendications, il devient beaucoup plus difficile d'obtenir gain de cause pour les travailleurs du secteur public. Prenons un exemple pour illustrer ce point: au cours des dernières années, une large offensive des employeurs du secteur privé visait à faire disparaître les clauses d'indexation des salaires et cette offensive patronale a connu, en général, du succès. Il est alors devenu beaucoup plus difficile aux travailleurs du secteur public de maintenir ou d'améliorer leurs clauses d'indexation. Cet exemple peut nous permettre de comprendre jusqu'à quel point il y a inter-relations entre les deux secteurs. Faut-il mentionner la propagande qui, à grands cris, réclame que les salaires du secteur public ne soient pas plus élevés que ceux du secteur privé? Coordonner toutes les négociations. Ce qui est proposé au congrès, c'est la création d'un comité de coordination de toutes les négociations. Presque toutes les fédérations se sont déjà déclarées prêtes à participer au CCN. Elles garderont leur entière autonomie, leur juridiction, et il en sera de même pour les syndicats affiliés. Il ne s'agit donc pas de former un organisme bureaucratique où le pouvoir sera confié à un nombre restreint de personnes. Ce nouvel organisme élaborera et coordonnera les politiques et fera les recommandations nécessaires. Les décisions demeureront dans les instances appropriées. Nous voyons le CCN comme un centre de mise en commun des expériences, comme un aiguillon pour susciter l'élargissement des négociations et comme un lieu où sera préparé d'une manière systématique notre riposte aux attaques que nous avons décrites au chapitre de la crise économique. En plus de la participation des fédérations au CCN, nous estimons nécessaire que la CSN y soit directement participante. Il nous apparaît nécessairement également que le responsable du service des grèves soit activement associé aux travaux. Une négociation débouche parfois sur une grève ou un lock-out, il sera donc essentiel de coordonner l'action avec le responsable du service des grèves pour y accorder aussi une attention stratégique. Éventuellement, nous devrons songer à associer le service de l'organisation aux travaux de ce comité. En effet, pour entreprendre une négociation significative dans le secteur privé, des efforts particuliers de syndicalisation peuvent être utiles. Le mandat de réaliser des accords, pour former des fronts communs avec d'autres organisations syndicales, lorsque jugé pertinent par les travailleurs, pourra être confié au CCN. Ces accords ne peuvent être faits à l'aveuglette, mais des bases solides de coopération peuvent être jetées. Dans la construction de la solidarité ouvrière, il n'y a rien à exclure. Toute une gamme de possibilités peuvent être envisagées. Ainsi, même sur la base régionale des moyens spécifiques pourraient être regardés de plus près. Tous les syndicats doivent réaliser que cet instrument nous permettra de faire plus et mieux au bénéfice de tous les travailleurs. Proposition: 1) Que la CSN crée un comité de coordination de toutes les négociations sur une base volontaire, auquel serait appelé à participer le secteur textile-vêtement-chaussure, toutes les fédérations, la CSN et le responsable du service des grèves. 2) Que ce comité ait comme mandat, entre autres, de préparer pour les syndicats affiliés des documents d'information sur les politiques de négociation. II- Élargissement de la règle d'appartenance au mouvement. A plusieurs reprises, dans ce rapport, nous avons signalé l'importance et la nécessité d'augmenter l'adhésion à notre mouvement. Si nous voulons élargir nos luttes, aller plus loin dans nos revendications, il nous faut faire en sorte que constamment, de plus en plus de travailleurs Joignent nos rangs. Dans les prévisions budgétaires que nous vous soumettons, vous trouverez le reflet de cette volonté que nous avons d'aller plus loin dans le recrutement. C'est là un moyen essentiel pour améliorer notre rapport de forces. L'objectif que nous poursuivons en priorité au cours des deux prochaines années sera d'organiser en syndicats les travailleurs qui ne sont pas déjà organisés. Il ne s'agit pas là d'un moyen d'action nouveau. Telle a toujours été la position de la centrale, mais admettons cependant que si la proposition précédente était acceptée, soit l'élargissement du cadre des négociations, il devient alors plus impérieux d'élargir les cadres du mouvement. En plus de ce que nous venons de dire sur cette question de l'organisation, nous voulons mettre de l'avant un autre moyen susceptible de favoriser à l'intérieur même de notre mouvement, une voix plus importante aux travailleurs non-syndiqués. Un nouveau moyen pour élargir. De plus en plus fréquemment, nous sommes aux prises avec des demandes bien précises de travailleurs qui voudraient se joindre à notre organisation, mais qui ne le peuvent pas en raison du régime d'accréditation et, aussi, parce que nous n'avons aucune structure d'accueil. Parfois, les demandes viennent de travailleurs qui font partie d'un groupe déjà accrédité et qui voudraient militer d'une façon plus spécifique à l'intérieur de nos rangs. Dans la plupart des cas, ces travailleurs font partie d'un groupe qui a choisi un syndicat "indépendant". Il nous est aussi arrivé fréquemment de rencontrer d'anciens militants de notre mouvement qui ont dû cesser d'être membre parce que la majorité de leur groupe avait décidé de rompre ses liens avec nos centrale ou parce que, plus simplement, ils avaient changé d'emploi. Ces travailleurs militants sont alors exclus et souhaitent souvent que nous puissions leur réserver une place dans notre centrale pour continuer à y militer. Bon nombre de travailleurs marginalisés dans notre société, comme les immigrants par exemple, voudraient pouvoir s'associer à l'action syndicale. En vue d'une action collective. Nous savons tous que l'action syndicale ne peut être une action individuelle; elle est fondamentalement collective. Mais nous proposons de permettre une forme d'adhésion individuelle des travailleurs dans notre mouvement. Nous ne perdons pas de vue la nécessité de l'action collective. S'il arrive que des travailleurs, individuellement, se Joignent à nous, dans le cadre d'une structure particulière, ce sera toujours en vue d'une action collective. Dans certains cas, avec la formation syndicale qu'ils pourront recevoir à l'intérieur de nos rangs, avec la conviction plus grande qu'ils acquerront de la nécessité d'une action syndicale forte, ces travailleurs pourraient favoriser l'adhésion de leurs camarades de travail au sein de notre organisation. Si nous acceptons une telle structure, nous devrons être clairs et bien démontrer qu'il ne s'agit pas d'affaiblir d'autres organisations syndicales valables en incitant des membres à joindre nos rangs sur une base individuelle. Mais lorsqu'il s'agit de cas comme ceux que nous avons mentionnes, et qui pourraient être étendus, selon l'expérience, aux chômeurs, aux handicapés, aux jeunes, aux retraités, nous sommes convaincus de pouvoir mieux servir la classe ouvrière par ce moyen. Et nous pensons jeter des bases pour que les travailleurs aient une plus grande force. Nous n'inventons rien de nouveau en formulant cette proposition. Nous reprenons tout simplement une formule qui a déjà été appliquée au sein de notre organisation jusqu'à la fin des années '40. Pour ces nouveaux membres, des services, un fonctionnement adaptés. Il y a déjà eu à la CSN une structure d'accueil pour des membres sur une base individuelle. Cette structure a été abandonnée lorsque les syndicats ont pu être accrédités. Il était alors prévu la constitution de syndicats inter-professionnels qui regroupaient les travailleurs de tous les secteurs. Nous proposons de mettre sur pied une nouvelle structure d'accueil semblable, mais adaptée au contexte actuel, qui nous permettrait de rejoindre des travailleurs qui autrement, même en dépit de leur volonté, ne pourraient pas militer au sein de notre organisation. Si l'objectif de cette opération vise une plus grande syndicalisation, il reste qu'il faudra assumer un certain nombre de services à ces nouveaux adhérants. Ces services seront plus spécifiques et ne seront pas nécessairement les mêmes que ceux que nous assumons déjà pour les syndicats affiliés. Il est entendu que certains services de base seront identiques, mais la prestation en sera différente. Ainsi, dans le domaine de la formation, les participants à cette nouvelle formule auront peut-être besoin de cours plus spécialisés. Nous n'avons pas l'intention dans ce rapport de décrire d'une manière complète tout ce qui pourrait être envisagé comme services à ces travailleurs et travailleuses. Nous croyons surtout qu'il pourra se développer des services particuliers suivant la nature des groupes qui seront constitués, à la suite des adhésions individuelles, par exemple l'application des normes minimales de travail, l'application de la loi sur l'immigration. Chaque conseil central pourrait former, s'il y a une demande d'adhésion individuelle suffisante, un syndicat interprofessionnel groupant des travailleurs de provenances diverses. Le nombre d'individus pour en arriver à mettre sur pied un tel syndical devra être évalué dans chaque cas d'espèce. Seuls des travailleurs peuvent être acceptés dans de tels regroupements. Nous entendons cependant que le terme travailleur doit comprendre celui qui est privé d'un emploi ou celui qui occupe une fonction couverte par la juridiction d'une fédération. Il sera nécessaire de raffiner notre définition mais nous pouvons déjà prévoir que dans le cas de difficultés d'application, le comité exécutif ou le bureau confédéral pourrait décider. Les travailleurs qui ne sont pas déjà membres d'un syndicat affilié à notre centrale devraient pouvoir y adhérer. En général, il faudra édicter la règle que nous n'accepterons pas sur une base individuelle les travailleurs membres d'un syndicat affilié à une centrale. La politique de la CSN, réaffirmée au quarante-neuvième congrès, encourage les syndicats à garder dans leurs rangs, à des conditions appropriées, leurs membres en chômage. Nous devons maintenir cette politique, mais dans l'hypothèse où cela ne peut se réaliser ou encore lorsqu'il s'agit de travailleurs en chômage qui n'étaient pas membres d'une de nos organisations affiliées, nous croyons qu'ils pourraient être acceptés dans les syndicats inter-professionnels. Advenant qu'un syndicat inter-professionnel comprenne un nombre suffisant de travailleurs venant d'un même secteur, (le nombre restant à évaluer) ces travailleurs pourraient former une section. Les sections pourraient être admises comme observateurs aux réunions de leurs fédérations. Ils pourraient, dans un premier temps, être acceptés selon les règles habituelles de représentation comme observateurs avec droits de parole au congrès. Plus tard, suivant les résultats de l'expérience, d'autres formes d'intégration pourraient être élaborées. Les conseils centraux auraient la première responsabilité à l'égard de ces syndicats et la juridiction d'un tel syndicat serait territoriale, comme celle du conseil central. Les adhérants à de tels syndicats devraient payer une cotisation syndicale qui serait un signe tangible de l'appartenance au mouvement. Le cas des chômeurs, des handicapés, des retraités ou autres, devra être traité particulièrement. Cependant, nous sommes d'avis que le niveau de cotisations, sans être le même que celui des affiliés, doit permettre un paiement au FDP, aux conseils centraux, et à l'administration de la centrale. S'il y avait affiliation à une fédération, elle devrait également comporter le paiement d'une cotisation. Si cette proposition est retenue, le comité exécutif préparera un projet de constitution-type applicable à ce genre de syndicats. Les services assurés pourront être multiples, dépendant des circonstances, mais nous ne mettrons jamais assez d'emphase sur la formation. Il ne faudra jamais perdre de vue que normalement ces adhérants individuels le seront à titre transitoire, et que l'objectif poursuivi est de les regrouper avec leurs camarades sur leurs lieux de travail, pour former des syndicats accrédités. Nous devons faire cet effort. Ce que nous proposons au congrès, c'est un accord sur le principe, sur les grands objectifs et sur les quelques conditions générales que nous mettons de l'avant. Nous estimons que cet effort doit être fait par notre centrale. D'abord pour permettre, à l'intérieur de notre mouvement, à des travailleurs que nous ne rencontrons pas dans nos instances, de nous sensibiliser à leur situation particulière. Ensuite, parce que nous avons un rôle spécifique à jouer pour la défense de tous les travailleurs. Proposition: 1) Que la CSN remette sur pieds des syndicats de juridiction territoriale inter-professionnels, qui regrouperaient sur une base individuelle des travailleurs de tous les secteurs, étant entendu que le mot travailleur couvre aussi bien un travailleur privé d'un emploi qu'un travailleur non-affilié à la CSN, qui occupe une fonction couverte par la juridiction d'une fédération; 2) Que ces syndicats inter-professionnels puissent former des sections si un nombre suffisant, tel que déterminé par le bureau confédéral, est atteint; 3) Que les syndicats inter-professionnels aient droit d'être représentés aux congrès de la CSN et des conseils centraux, ainsi qu'à l'assemblée générale de ces derniers, selon les règles habituelles de représentation; 4) Que ces syndicats soient admis dans ces instances comme observateurs, avec droit de parole; 5) Que les mêmes règles s'appliquent s'il y avait éventuellement affiliation à des fédérations; 6) Qu'un mandat soit confié à l'exécutif de la CSN pour préparer un projet de constitution-type applicable à ce genre de syndicats pour définir les règles d'acceptation de ces membres sur une base individuelle, incluant le mode de cotisation et d'affiliation; 7) Que la CSN continue à encourager ses syndicats affiliés à garder dans leurs rangs, à des conditions appropriées, leurs membres en chômage; 8) Que, règle générale, les travailleurs membres d'un syndicat affilié à une autre centrale ne puissent être admis comme membres de ces syndicats inter-professionnels. III- Négociations nationales. Avec l'élargissement de notre capacité de regroupement via les syndicats interprofessionnels et avec la mise en place du comité de coordination générale des négociations, nous croyons que nous pourrons mettre en place des éléments qui nous permettraient d'entreprendre des négociations nationales. Au cours des tournées précédant le 49e congrès, l'exécutif avait avancé une telle hypothèse. Les travailleurs alors consultés avaient accueilli cette idée avec réserve, de sorte que l'exécutif n'avait pas cru opportun de la retenir pour proposition au congrès. Les travailleurs craignaient qu'une telle formule ne conduise inévitablement au tripartisme. Cette crainte se comprend cependant; j'estime par ailleurs que si nous mettons un soin particulier à préparer les conditions dans lesquelles pourrait s'entreprendre cette action syndicale, nous pourrions prendre l'initiative et organiser un véritable rapport de forces pour soutenir nos revendications. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le tripartisme est essentiellement un mécanisme d'intégration des organisations ouvrières; il se fonde sur le postulat selon lequel le patronat, les gouvernements et les syndicats auraient les mêmes intérêts. Nous savons par nos luttes que cela est faux. Mais je voudrais ajouter, pour que les choses soient bien claires, que nous avions précisé ce que nous entendions par tripartisme dans le dernier rapport de l'exécutif. Je me permets de vous le rappeler aujourd'hui: "Quand on parle de tripartisme, il s'agit, en l'occurrence, non pas de la simple rencontre de ces trois groupes distincts mais bien, au vrai sens du tripartisme, de la conclusion d'accords préalables visant à restreindre les revendications ouvrières. Cela présuppose l'aliénation de la souveraineté des syndicats et en conséquence, le refus d'appuyer les luttes syndicales qui ne seraient pas conformes aux accords". Un accueil favorable. Cette année, nous avons repris l'idée des négociations nationales et elle fut accueillie favorablement lors de la tournée pré-congrès. Si nos syndicats et nos fédérations doivent continuer à négocier des conventions collectives au niveau local ou dans des regroupements plus larges, nous avons comme organisation ouvrière la possibilité d'élargir les négociations. Dans ce sens, nous devons rechercher la satisfaction des besoins de tous les travailleurs et non seulement des membres que nous représentons. Le mouvement syndical, nous l'avons dit, a une mission sociale plus vaste et doit assumer la représentation de l'ensemble de la classe ouvrière. Il doit agir sur la transformation en profondeur de notre société. Nous ne pouvons pas accepter, comme travailleurs, qu'on impose comme normes minimales 44 heures de travail! Nous ne pouvons pas accepter, comme travailleurs, un taux de salaire minimum sous le seuil de pauvreté! Nous ne pouvons pas accepter qu'une discrimination constante s'exerce contre les femmes, contre les immigrants, contre les travailleurs âgés ou handicapés! Nous ne pouvons accepter que rien ne soit prévu pour garantir l'emploi! Non seulement devons-nous reprendre, au niveau de négociations pour des conditions universelles, une somme de revendications que nous assumons dans nos négociations quotidiennes mais nous devons aussi élargir nos revendications. Nous devons, à titre d'exemple, tenter de négocier des clauses de transparence économique, des clauses sur le réinvestissement. Nous devons travailler à établir des normes universelles qui, par voie de conséquence, protégeraient les acquis des travailleurs et éviteraient que les conditions négocies soient remises en questions à chaque négociation. Dans la mesure où nous nous serons assurés au préalable d'une information largement diffusée, puis d'une mobilisation réelle tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du mouvement syndical, où nous aurons déterminé les conditions pratiques d'unité de revendication et d'action avec les autres centrales, l'exécutif croit qu'à ces conditions, nous pourrions entreprendre des négociations fructueuses. Nous devons avoir comme préoccupation l'amélioration des conditions de toute la classe ouvrière. Nous avons constamment exprimé cette préoccupation, mais en élargissant le cadre des négociations, notre cadre d'adhésion et en entreprenant des négociations à l'échelle nationale, nous nous donnons des moyens d'agir. Proposition: 1) Que la CSN travaille à mettre en place les conditions nécessaires en vue d'entreprendre de véritables négociations nationales pour l'établissement de conditions universelles; 2) Qu'au préalable, la CSN se soit assurée d'une unité de revendications et d'action avec la CEQ et la FTQ; 3) Qu'au préalable, la CSN se soit assurée d'une information largement diffusée, en même temps qu'une véritable mobilisation à l'intérieur de la centrale, des autres centrales et auprès de la population; 4) Que le contenu de ces négociations soit entériné par le Conseil confédéral de la CSN. Poursuivre l'enracinement. Camarades, nous nous étions collectivement donné une responsabilité lors du dernier congrès, celle d'élargir les droits, nos appuis et nos luttes. Il y avait même, à ce moment, un certain impératif à cette affirmation que nous faisions; nous sommes convaincus du fait que les transformations profondes, que nous jugeons indispensables pour que ce régime fondé sur l'exploitation des travailleurs ne finisse par changer, ne seront pas seulement le résultat d'une réflexion poursuivie entre militants dont l'adhésion nous est déjà acquise. Il est normal en effet qu'un mouvement comme le nôtre forme un certain nombre de militants plus aguerris, mieux articulés; il serait cependant moins normal que notre réflexion, le sens véritable de nos luttes et de nos revendications ne franchissent pas cette ligne de militants. Nos responsabilités et nos actions s'étendent au-delà. Nos responsabilités nous engagent à répandre en portant le débat auprès du plus grand nombre; elles nous engagent aussi à agrandir toujours davantage le champ de la conscience de classe. Nous faisons partie du peuple. Nous sommes convaincus de combattre, de lutter dans le but de satisfaire aux aspirations du peuple. Nous devrions apporter toute le soin nécessaire à nos réflexions, à nos orientations, à nos actions pour que le peuple puisse s'en rendre concrètement compte. Nous savons que les moyens dont disposent les forces adverses sont incroyablement étendus et que la machine de conditionnement des individus que nos ennemis ont mise au point est efficace. Cette constatation doit surtout nous forcer à utiliser au maximum les outils dont nous disposons, et qui sont, fondamentalement, la persuasion par le débat et l'effort constant de faire comprendre et partager nos objectifs, que ces objectifs soient circonstanciels ou globaux. Nous devons occuper la place qu'il est normal que nous occupions et exercer l'influence que nous devons tenir auprès de tous les travailleurs. Nous avons, camarades, l'impérieux devoir de ne pas nous déconnecter du peuple, ni de ses craintes si nous voulons en arriver à les conjurer, ni de ses espoirs, si nous voulons un jour contribuer à ce qu'ils soient satisfaits. Camarades, nous préparons l'avenir. Constamment, depuis maintenant dix ans, nous avons affirmé notre volonté de militer pour qu'une société socialiste et démocratique finisse par s'instaurer. Notre action syndicale, notre réflexion syndicale se sont inscrites dans ce projet plus global: dans cette perspective, des revendications larges ont été proposées, des combats syndicaux ont été menés. C'était le cas de la négociation de salaire en fonction des besoins du monde plutôt que de ceux des lois du marché, de l'élimination de toutes les formes de discrimination, de la mobilisation autour de droits fondamentaux comme la santé et la sécurité, le droit au travail. Dans la solution de la question nationale, nous avons su développer nos perspectives, sur nos propres bases ouvrières et syndicales. Nous avons plusieurs fois affirmé notre détermination à favoriser l'émergence d'une organisation politique indépendante des organisations syndicales, pouvant assurer la défense des intérêts des travailleurs; il serait alors davantage possible de vivre et de travailler autrement. Une signification plus immédiate pour notre combat syndical. En vous proposant aujourd'hui d'élargir le cadre traditionnel des négociations et de la solidarité nécessaire, en voulant donner, à l'intérieur même de notre organisation, une voix à tous ceux que le régime légal actuel veut tenir en marge, l'exécutif croit poser des conditions essentielles pour que notre combat syndical ait une signification encore plus immédiate dans la défense de la classe ouvrière, dans l'articulation des aspirations de notre peuple. Ce mouvement, il faut l'aimer. Je termine, camarades, en répétant ce que je vous disais il y a deux ans, au moment où se terminait le précédent congrès; on constate une suite qui est davantage qu'un symbole, à ce moment précis où j'ouvre ce cinquantième congrès. Nous nous laissions sur les paroles qui suivent: "Je salue tous les militants qui composent notre organisation. Camarades, cette organisation, ce mouvement ,il ne faut pas avoir honte de dire comment il peut être fort quand tous tirent dans le même sens. Il ne faut pas hésiter à affirmer qu'il constitue un instrument privilégié entre les mains des travailleurs québécois pour agrandir toujours davantage le champ de leurs droits, de leurs libertés. Camarades, j'appartiens à ce mouvement. Je veux vous dire toute la fierté que je ressens d'appartenir à ce mouvement. Je ne permettrai pas, et nous ne permettrons pas, que quiconque l'attaque, que quiconque cherche à l'affaiblir. Trop d'espérances, trop de volonté réelle de changement, trop d'aspirations sont incarnées par ce mouvement pour que nous ne soyons pas résolus à l'animer, à le faire progresser jusqu'à la limite de nos forces et de notre solidarité. Affirmer les libertés, défendre les droits, camarades, nous sommes de ce combat". Militantes, militants, il nous faut continuer, il nous faut poursuivre, il nous faut résister, il nous faut combattre, il nous faut forger à chaque jour la solidarité! Nous le devons à ceux et celles qui ont bâti ce mouvement dans le passé! Nous le devons à ceux et celles pour qui ce mouvement, dans l'avenir, représentera pour eux ce qu'il représente pour nous aujourd'hui.