*{ Discours néo-libéral CSN, 1982 } Tous ensemble pour de nouveaux pouvoir. Rapport de l'Exécutif de la CSN, cinquante-et-unième congrès. Ce congrès, qui s'ouvre aujourd'hui, est le cinquante-et-unième de notre histoire. A l'ouverture de chaque congrès de la CSN, nous en profitons pour faire le point, regarder et discuter entre nous de ce qui vient de se passer et tenter de mettre de l'avant des voies de solution qui seraient profitables aux travailleurs et travailleuses. Nous avons toujours souligné les difficultés des travailleurs et des travailleuses alors que nous nous réunissions pour nous livrer à un exercice très exigeant de démocratie syndicale, discutant les idées, animant les débats, proposant les orientations, déterminant les choix dans les chemins à emprunter. Ce congrès s'ouvre aujourd'hui au moment où les statistiques nous apprennent que la situation n'a jamais été aussi pire pour les travailleurs et travailleuses depuis 50 ans, soit depuis la période de la grande crise. Depuis le milieu des années '70, nous assistons à un retour des politiques s'inspirant du libéralisme économique le plus pur: retour au marché libre, diminution des programmes sociaux et économiques: restriction de l'accès à la consommation pour protéger la valeur nominale de notre dollar, avec le lot de chômage que cela provoque. A ces politiques néo-libérales s'ajoute l'offensive idéologique du patronat et des gouvernements, qui vise à légitimer le système de valeurs soutenant l'économie de marché. Ces valeurs, on le sait, vont à l'encontre de celles que nous véhiculons; en cela, nous offrons la résistance pour nous défendre et pour permettre à tout le peuple de progresser. Dans la plupart des pays occidentaux, comme ici, le patronat et ses principaux relais idéologiques tentent de diviser les travailleurs: ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas; ceux qui font partie du secteur public et parapublic et ceux qui font partie du secteur privé; ceux qui sont syndiqués et ceux qui ne le sont pas; ceux qui profitent d'une sécurité d'emploi ou de l'indexation et ceux qui n'en profitent pas; entre les hommes et les femmes; les travailleurs des pays industrialisés et ceux des pays en voie de développement. Le discours patronal, essentiellement, vise à culpabiliser, désolidariser, individualiser pour vaincre notre résistance; il tend à ce que les hommes et les femmes deviennent passifs, subissent les effets d'une crise dont ils ne sont pas responsables et tente de les empêcher de s'organiser collectivement pour s'en sortir. Le monde veut travailler, mais il n'y a pas d'ouvrage; les compagnies reçoivent les subventions d'une main et ferment les portes d'autres entreprises de l'autre main; les gouvernements démissionnent de leurs responsabilités et décident de frapper les victimes plutôt que de s'attaquer aux coupables; les jeunes se découragent, face à un avenir qui apparaît complètement bouché. C'est dans ce contexte difficile, éprouvant pour nos membres, pour la classe ouvrière, pour le peuple tout entier, que s'ouvre notre congrès. Fidèles à notre histoire, fidèles à notre mouvement, nous allons essayer, au cours des jours qui viennent, de mettre de l'avant des propositions susceptibles de dégager des perspectives de "sortie de crise" pour tout le peuple. Deux ans de vie syndicale. Je suggère maintenant, camarades, que nous fassions ensemble le tour de nos actions syndicales depuis le dernier congrès. Je veux vous dire immédiatement qu'en préparant ce rapport, nous avons constaté une fois de plus qu'il s'abat une grande somme de travail par toutes les composantes de ce mouvement: élus et salariés, syndicats et organismes. Que ce soit au plan de la revendication ou à celui de la lutte, que ce soit dans l'action, la négociation, l'organisation concrète de la solidarité, l'énergie nécessaire à la création de nouveaux syndicats, nous avons su dépasser certaines difficultés, aller au-delà de divergences normales pour mettre de l'avant, avec la même force qui nous a toujours caractérisés, les besoins de nos membres, les espoirs des couches populaires, et organiser en même temps le rapport de forces nécessaire pour que ces besoins et ces espoirs soient le mieux possible satisfaits. Au coeur de la crise, nous avons su garder le cap. Nos membres affiliés, les travailleurs et les travailleuses en général, ont rarement traversé des mois aussi difficiles que ceux que nous venons de vivre et malgré tout cela, au plan syndical, ce sont des mois féconds, porteurs d'espoirs pour l'avenir, que nous avons vécus ensemble. Nous avons su, en ces temps de crise si terribles à supporter quotidiennement pour les hommes, les femmes, les familles, les jeunes, resserrer ce qui pouvait avoir tendance à se relâcher et mettre en place les éléments propres à l'aboutissement d'une solidarité très large qui apparaît, comme jamais auparavant, une nécessité absolue. Depuis deux ans des groupes importants qui avaient quitté notre organisation depuis quelques années sont revenus militer au sein de notre mouvement. Nous n'avons pas cessé non plus d'exercer une grande force d'attraction sur les travailleurs et travailleuses non organisés. De plus, des milliers de travailleurs et travailleuses, membres de syndicats affiliés à d'autres organisations, ont librement choisi de venir militer dans nos rangs. Depuis le dernier congrès, ce sont 17 000 nouveaux membres qui ont joint notre mouvement. Cela nous apparaît un signe évident de santé. D'un autre côté, alors que les travailleurs et les travailleuses sont littéralement traqués par le chômage, les mises à pied, les coupures de postes, la difficulté de joindre les deux bouts, qui demeure le lot de la majorité en ces temps difficiles, nous assistons à des dépassements, à des réalisations solidaires, à des comportements parfois héroïques qui n'auraient pu être imaginés en d'autres circonstances. Nous sommes fiers, à l'exécutif de la CSN, d'avoir pu, avec d'autres, donner une forme concrète à l'unité d'action syndicale, en particulier durant les derniers mois, dans des actions face à la crise. Nous avons pu constater à quel point notre mouvement a pu répondre à l'invitation d'exprimer sa solidarité avec les travailleurs forestiers, lors de la mobilisation que nous avons connue sous le nom de "La grande corvée". Ce fut aussi le cas lors de la campagne du FDP; à notre avis, c'est dans des occasions semblables qu'on peut le mieux constater la profondeur des racines qui assurent la solidité d'une organisation, en dépit des bourrasques passagères. Que nos membres tiennent à ce point à leur mouvement constitue un élément extrêmement positif quand une crise comme celle que nous connaissons frappe les hommes et les femmes qui n'ont, en fin de compte, que leur organisation syndicale pour défendre leur dignité. L'unité syndicale. Il est normal pour les militants et militantes, convaincus de l'importance de la solidarité, de ne pas ménager les efforts pour que cette solidarité se traduise concrètement et, par-delà les déclarations pieuses, passe dans les faits. Cependant, même si c'est normal, ce n'est pas pour autant toujours facile. Nous avions insisté sur l'importance de bâtir l'unité d'action avec nos camarades des autres centrales, lors du dernier congrès; nous avions souligné l'importance de bâtir cette unité de revendication et d'action à tous les niveaux: local, régional et fédératif . Si, tous ensemble, nous accordons tellement d'importance à l'unité, c'est parce que nous avons su comprendre la stratégie des pouvoirs économiques et politiques qui ont, de tout temps, assis leur pouvoir, l'ont assuré en quelque sorte en nous divisant, en tentant de faire jouer entre nous des intérêts qui auraient dû nous réunir plutôt que de nous séparer. Mais nous avançons sur le chemin de l'unité! Et cette prise de conscience s'étend toujours plus profondément chez les membres. Plus nous serons nombreux à mieux comprendre nos intérêts fondamentaux de classe, plus les changements seront possibles. Il nous faut continuer, quotidiennement, à tous les niveaux, de créer les conditions propres à bâtir cette unité, qui demeure la principale force des travailleurs et travailleuses. Sur ce plan, au cours des deux dernières années, nous avons marqué des gains importants. La lutte contre la crise économique, il faut l'admettre, a favorisé plusieurs rapprochements qui auraient peut-être été plus difficiles en d'autres circonstances. Constatons-le, tout simplement, en nous disant qu'à compter de maintenant, la responsabilité nous incombe de faire en sorte que cela se poursuive dans l'avenir. Plusieurs événements marquants. Des événements significatifs ont marqué la construction de l'unité au cours des derniers mois. Le 21 novembre, les organisations syndicales québécoises ont su organiser la mobilisation nécessaire pour amener des milliers de travailleurs et travailleuses à la manifestation qui a rassemblé 100 000 personnes à Ottawa. Quelques mois auparavant, nous avions assuré la FTQ de notre volonté ferme de collaborer à toute manifestation pan-canadienne, en collaboration avec le Congrès du travail du Canada. Cette démonstration unitaire à Ottawa, contre les taux d'intérêt, a été un véritable succès. En janvier, les trois centrales se prononçaient ensemble, à la veille de la rencontre des premiers ministres portant sur les problèmes économiques, sur des revendications communes touchant les taux d'intérêt, le soutien de l'emploi, le droit au travail, l'accès à la syndicalisation, la hausse du salaire minimum et des prestations sociales, la canalisation de l'épargne collective pour fournir au peuple québécois des leviers économiques plus importants, pour accroître les interventions du secteur public, pour maintenir et élargir les services publics. Toujours ensemble, en février, nous avons entrepris une campagne d'information et de sensibilisation sur les problèmes économiques vécus par le monde. Nous avons entrepris une tournée des dirigeants des centrales et organisé la tenue, à Montréal, d'une manifestation nationale sur la base de nos grandes revendications communes. On sait que ces deux initiatives ont été couronnées de succès. Dans sept régions du Québec, nous avons rencontré quelques milliers de militants et militantes, dans une tournée qui n'était pas sans rappeler les grands moments d'unité du Front commun de 1972; plusieurs nous en ont d'ailleurs fait la remarque, à tous les endroits où nous nous sommes rendus. C'est vraiment dans des occasions semblables qu'on saisit à quel point la volonté d'unité peut être forte chez les militants. A Montréal, le 3 avril, malgré un temps effroyable, nous étions 30 000 à manifester notre colère face aux politiques d'Ottawa et de Québec. C'est encore une fois ensemble que les trois centrales ont rejeté la proposition du gouvernement du Québec sur le gel des salaires dans le secteur public, quelques jours plus tard, la proposition syndicale commune, acheminée dans les instances démocratiques, était majoritairement endossée par les membres. Par ailleurs, nous vivons actuellement des moments qui seront déterminants en ce qui a trait à l'avenir de l'unité. Faisons en sorte que les enseignements positifs que nous pouvons tirer des dix dernières années sauront nous indiquer où se situent les intérêts véritables des membres que nous représentons. Nous avions aussi réussi à mettre sur pied une unité circonstancielle pour appuyer nos camarades de Radio-Canada, il y a un an, alors qu'ils vivaient une grève particulièrement difficile. Nous devons continuer de forger cette unité d'action chaque fois qu'il est possible de le faire. Nous sommes aussi intervenus de façon unitaire, à plusieurs reprises, sur des questions touchant le statut politique du Québec. La dernière de ces interventions conjointes de la CSN, FTQ et CEQ s'est faite en avril pour dénoncer une constitution dont nous avons affirmé qu'elle n'était pas et ne serait jamais la nôtre. Un autre domaine de l'unité syndicale auquel nous avons consacré de nombreux efforts touche de nombreuses organisations syndicales, réunies dans ce que nous appelons l'intersyndicale. Cette forme d'unité a permis à 300 000 travailleurs et travailleuses de dégager, sur des questions aussi cruciales que le droit de grève, les services essentiels, l'assurance-chômage et l'âge de la retraite, une position commune. Camarades, l'unité d'action et de revendication doit se poursuivre, être entretenue, se fonder sur des bases claires: quand nous sommes ensemble, c'est la force de chacune de nos organisations qui s'en trouve décuplée. La solidarité agissante. Sur une période de deux ans, les événements qui marquent la réalisation d'une solidarité concrète, agissante, sont toujours nombreux. Certains sont connus de tous; d'autres demeurent du domaine personnel, ou encore sont partagés par un nombre limité de membres ou de militants. Ce qui n'enlève rien à leur valeur, au contraire. Je veux m'attarder quelques instants sur deux de ces événements qui nous apparaissent particulièrement significatifs au plan de l'élargissement des appuis, sur ce que ces événements ont pu signifier en termes d'efforts individuels et collectifs. Il s'agit de la grande campagne d'appui aux travailleurs forestiers en grève, connue sous le nom de "La grande corvée", et de la campagne de financement du Fonds de défense professionnelle, qui a été lancée quelques mois plus tard. Les forces vives du peuple québécois. Le simple fait, d'ailleurs, d'en traiter aujourd'hui dans le même chapitre, celui de la "solidarité agissante", n'est pas sans signification; en effet, la lutte des travailleurs forestiers, menée en même temps que celle d'autres travailleurs de l'industrie du papier, eut des effets directs sur le fonds de résistance de la centrale. On sait l'une des principales revendications de ces hommes exerçant un métier particulièrement rude; l'abolition progressive du travail à forfait. Il s'agit là d'une forme de rémunération particulièrement odieuse, qui provoque un taux d'accident plaçant les travailleurs de cette industrie au premier rang des accidentés au Québec. Mais au-delà de la négociation comme telle, c'est sur la solidarité que cette lutte a soulevée dans de nombreux organismes syndicaux, populaires et religieux que je veux insister ici. Durant trois semaines, dans nos syndicats, dans de nombreux groupes populaires, dans les organisations religieuses, il s'est bâti un réseau solidaire aux dimensions incroyables: 3 212 paniers de vivres furent recueillis pour aider les familles des 2 500 travailleurs en grève à passer des fêtes un peu plus heureuses; les syndicats et autres organismes ont souscrit la somme de 199 455 $. "La grande corvée", soutenue par les forces vives du peuple québécois, fut une réussite à tous égards. Par ailleurs, par l'intermédiaire du fonds de grève, c'est une somme de plus de 5 583 341 $ que les membres de la CSN ont versée pour soutenir activement les revendications de ces travailleurs, dont le métier est tellement lié à l'histoire du Québec et à celle de la plupart des familles québécoises. Un succès fantastique. Soutenir les luttes légitimes des hommes et des femmes qui veulent transformer leurs conditions d'existence, cela a un prix. A la CSN, nous en connaissons l'ampleur. Quand le conseil confédéral de mars '81 a accepté l'idée de lancer une campagne volontaire de 6 millions $ pour venir en aide au FDP, il était sorti du fonds, durant les neuf mois précédents, la somme de 13 334 066 $. Durant la même période, il y était entré 7 742 049 $. En lançant cette campagne, nous ne pouvions connaître avec certitude quelle serait la réponse du mouvement. Nous savions, cependant, qu'aux moments les plus difficiles, dans l'histoire de notre mouvement, les membres avaient toujours su réagir dans le sens d'une solidarité accrue, qui sait s'exprimer concrètement. C'est avec cet espoir au coeur que notre campagne s'est mise en branle. C'est notre camarade Léopold Beaulieu qui, dans Nouvelles CSN, a su préciser la perspective dans laquelle se situait cette campagne. "Chaque militant, chaque militante, salarié ou officier, doit faire les efforts indispensables pour que puisse à nouveau s'exprimer, à la face des possédants, cette capacité inouïe de rebondissement qui a toujours caractérisé notre mouvement, chaque fois que ce fut nécessaire." Le rebondissement fut effectivement fantastique. En six mois, sur une base volontaire, la majorité des syndicats a répondu affirmativement à l'appel de la CSN, et leur effort, joint à celui des fédérations, des conseils centraux et de la confédération, a fait en sorte que l'objectif a non seulement été atteint, mais dépassé. Je parlais tout à l'heure de solidarité agissante. Cela en est, camarades, parce que cette réussite n'a pu être possible qu'en mettant des efforts importants de la part de toutes les composantes de notre mouvement. Il a fallu persuader, convaincre, ce qui est le propre de notre fonctionnement syndical. Ce n'est pas faire preuve de chauvinisme que d'exprimer notre fierté face à un tel résultat. C'est notre passé, camarades, c'est notre histoire, c'est la confiance des membres qui a rendu possible l'expression d'une solidarité pareille. Je voudrais ouvrir une parenthèse pour vous remercier toute la gang, les militants et militantes, les salarié(e)s militants, militantes, pour avoir donné à ce mouvement et avoir apporté au patronat et au gouvernement cette réponse qu'il fallait apporter dans les circonstances et je pense que cela mérite un merci collectif. La force d'attraction de la CSN. Cela ne surprend plus personne que la CSN soit la cible privilégiée du patronat, des gouvernements et de tous ceux qui ont pour fonction d'assurer l'apport idéologique nécessaire aux entreprises qui sont montées contre nous; le type de syndicalisme que nous avons choisi de pratiquer, les orientations réaffirmées à chaque congrès, de même que les pratiques syndicales concrètes qui en découlent, tout cela fait de notre organisation une cible de choix pour les bien-pensants, les possédants et leurs haut-parleurs. Mais tout ce beau monde est en même temps obligé de constater que malgré tous leurs efforts pour discréditer notre organisation, pour miner la confiance des membres, nous sommes toujours là, et toujours plus nombreux. Malgré tous les subterfuges pour éloigner les travailleurs et travailleuses de notre organisation, comme l'utilisation de syndicats de boutique, ou encore d'organisations complaisantes comme la CSD, de nouveaux membres nous arrivent. Un cas récent est venu illustrer ce fait quand le Commissaire du travail, Monsieur Adrien Plourde, a clairement établi la collusion de l'entreprise Castonguay et Fils, de Saint-Félicien, au Lac Saint-Jean, avec la CSD, au moment où les travailleurs venaient de fonder un syndicat affilié à la CSN. Dans le secteur de l'hôtellerie, ce sont quelque 3 800 membres qui ont choisi un syndicalisme militant en vue d'améliorer leurs conditions de travail et de vie. Je voudrais ouvrir une parenthèse pour saluer de façon fraternelle les travailleurs et travailleuses du Hilton qui auront à nous supporter toute la semaine et leur dire que l'on fera notre possible pour les aider à mettre en place nos conditions objectives de travail, mais je tiens à les saluer parce que ca fait déjà longtemps qu'ils sont avec nous, mais ils ont dû combattre longtemps pour être avec nous, et ils sont à combattre encore une fois pour renouveler leur contrat de travail. Il y a aussi des membres qui nous reviennent après avoir passé plusieurs années en dehors de notre organisation. Permettez-moi de citer ceux de Carborundum et de Gulf, à Shawinigan, qui ont réintégré les rangs de la fédération de la métallurgie après être passés à la CSD. Je tiens aussi à souhaiter la bienvenue aux agents de la paix et aux employés de bureau et de magasins de la SAQ; ces deux groupes nous avaient quittés il y a déjà quelques années et sont revenus chez-nous, chez-eux, au cours des derniers mois. Certains travailleurs mènent des luttes soutenues, jusque devant les tribunaux, pour continuer d'appartenir à notre mouvement, comme c'est le cas pour les syndiqués de la Commission scolaire régionale de l'Outaouais. Notre mouvement continue donc d'exercer une force d'attraction certaine auprès des travailleurs et travailleuses québécois. Nous devons continuer d'être à la hauteur des espoirs que la classe ouvrière place en notre organisation, nous le devons à ceux et celles qui l'ont bâtie. Donner à nos membres les meilleurs services possibles, faire les efforts nécessaires pour que ceux et celles qui veulent joindre nos rangs puissent le faire dans les meilleures conditions, nous devons continuer de nous y consacrer. Les actions sectorielles et régionales. Nous avons mené, en collaboration avec les fédérations concernées, des actions sectorielles intéressantes touchant aussi bien les pêcheries, la sécurité-santé dans les mines que les liens indispensables qui doivent se nouer entre les travailleurs à l'emploi d'une même multinationale, l'Alcan en l'occurrence. La FAS, de son côté, prépare une politique syndicale de la santé. Les pêcheries. En collaboration avec des chercheurs de l'Université du Québec à Montréal, la fédération du commerce a mené à terme une recherche cadrant parfaitement dans l'optique que nous avions développée en congrès il y a quatre ans: que, dans chacun des secteurs d'activités où nous sommes présents, nous puissions élaborer, à partir de nos expériences concrètes, et avec l'aide des ressources extérieures nécessaires, des politiques originales en terme de développement économique, en terme d'emploi, en terme d'utilisation judicieuse d'une ressource. Nous pensons qu'il s'agit là d'un exemple qui pourrait être suivi dans d'autres secteurs. Des sommets populaires. Certaines régions, par ailleurs, comme Trois-Rivières, Montréal, Sud-Ouest, Drummondville et d'autres que nous oublierions, ont commencé à rassembler, dans des sommets populaires, des organisations vouées à la défense du monde ordinaire avec lesquelles le mouvement ouvrier doit absolument savoir établir une jonction, puisque nous défendons fondamentalement le même monde et les mêmes intérêts. Les mines. A Rouyn-Noranda, en janvier 1981, environ 500 travailleurs des mines se sont réunis pour tenter de dégager des politiques communes touchant la sécurité et la santé. Ce colloque faisait suite à une clinique médicale organisée en collaboration avec l'hôpital du mont Sinaï, de New York. Les résultats de cette clinique, d'une envergure inconnue jusqu'ici, seront livrés incessamment. Colloque Alcan. L'une des plus belles réussites, au plan de la solidarité internationale, fut certes le colloque international des travailleurs de l'Alcan, qui s'est tenu au Québec en octobre '81, à l'initiative de la CSN. En provenance de 8 pays, une soixantaine de travailleurs ont tenu des sessions de travail à Montréal, au Saguenay, à Shawinigan, dans le but de mieux se connaître, de mieux connaître les stratégies de la multinationale Alcan. L'un des voeux émis à la fin du colloque fut que la CSN devrait être le point de jonction dans la circulation d'idées et d'information touchant l'Alcan. Quelques mois après le colloque, au moment où en Jamaïque nos camarades négociaient avec l'Alcan, des pressions concertées de tous les groupes qui avaient participé au colloque ont permis une reprise des négociations et la conclusion d'une convention collective. Toujours davantage, il nous faudra prendre les moyens nécessaires pour donner une projection plus grande à nos actions syndicales quotidiennes; il nous faudra développer les recherches et les actions pour que nous puissions prendre en compte les attentes de nos membres, mettre de l'avant des politiques et des analyses qui diffèrent de celles dont le système se satisfait fort bien. Soixante ans. Pendant le dernier mandat, nous avons eu l'occasion de souligner de façon particulière le fait que notre mouvement avait atteint soixante ans d'existence, depuis sa fondation en 1921. Les diverses manifestations qui ont marqué cet événement sur tout le territoire ont été des occasions privilégiées, pour les militants et militantes, d'opérer un retour sur ce qu'ont été nos racines collectives. La publication d'une Histoire de la CSN a été aussi un moment important en ce qui touche la nécessité de se souvenir de nos origines, de se rappeler des militants et militantes qui ont bâti ce mouvement. Les poursuites judiciaires, les amendes, les conditions de retour au travail et la pratique syndicale. Vous vous souviendrez, camarades, que notre dernier congrès a longuement discuté des poursuites judiciaires, dans le lourd climat que nous imposait la poursuite de 11,6 millions de dollars intentée contre nous à Saint-Charles Borromée. Au printemps 1981, nous avons obtenu le retrait de cette poursuite en même temps que d'une autre, au même endroit, au montant de 460 000 $, à la suite d'un règlement hors cours de 142 000 $. Conscient de l'ampleur et de l'importance des sommes en cause, conscient aussi de la nécessité de développer une stratégie syndicale de riposte face à ces attaques, le bureau confédéral, appuyé par le conseil confédéral, décidait, malgré le retrait de la poursuite, de donner suite à la résolution issue du dernier congrès et d'entreprendre une consultation des instances. Développer le rapport de forces. Soumis au conseil confédéral de décembre et acheminé dans tous les syndicats et organismes dès janvier, un rapport sur la question était adopté au conseil de mars dernier. Il met en évidence la nécessité de développer le meilleur rapport de forces pour pouvoir réaliser nos objectifs. Cela signifie la nécessité d'analyser les forces en présence, de s'assurer la plus large solidarité possible autour de nos luttes, à l'intérieur de nos syndicats d'abord, auprès des autres syndicats, de la région, de la fédération, et, le cas échéant, auprès de la population et des bénéficiaires. L'établissement du rapport de forces, cela signifie aussi la nécessité de se soumettre aux règles de la démocratie syndicale et de s'appuyer sur la solidarité ouvrière qu'assure notre appartenance à un mouvement syndical. Notre appartenance à un mouvement organisé, à un mouvement de masse, nous impose des exigences et une solidarité qui ne se posent pas aux associations indépendantes, dont les actions sont limitées à leurs seuls intérêts. Le conseil confédéral a aussi décidé que, dans le cas de rapport de forces, insuffisant au niveau du syndicat, alors que travailleurs et travailleuses doivent accepter des conditions défavorables, il entre dans la responsabilité collective de la centrale de chercher un règlement qui protège, à la fois, ceux qui se sont battus et tous les autres, qui comptent sur le FDP pour entreprendre leurs propres luttes. De là l'importance d'accorder toute l'attention possible à la négociation du protocole de retour au travail. Les formules magiques qui auraient pour effet de nous soustraire aux attaques patronales n'existent pas. Nous avons donc une responsabilité syndicale d'être vigilants et attentifs dans l'établissement de nos rapports de forces pour protéger le FDP, qui est le pain des grévistes, et pour ne pas permettre qu'il soit finalement administré par les tribunaux. Dans certaines circonstances, bien sur, comme la loi 47 adoptée dans le conflit de la CTCUM, certaines précautions peuvent apparaître superflues. Cette loi, en effet, a été rédigée pour rendre coupables des travailleurs et travailleuses qui avaient entrepris peu auparavant une action qui était légale. Nous sommes conscients des heures difficiles, déchirantes mêmes, vécues par les militants et militantes pendant cette grève. Plusieurs militants et militantes ont indiqué que certaines actions posent au mouvement syndical une question de fond, qui réside dans l'élargissement des solidarités. Notre tache militante nous conduit à expliquer nos actions et à rechercher les appuis populaires, surtout lorsqu'une grève prive la population de services dont elle pourrait bénéficier si les employeurs traitaient équitablement leurs employés. Cette démarche syndicale devient un élément essentiel dans la construction du rapport de forces. Mais cette démarche doit demeurer fondamentalement syndicale, n'en déplaise à Maître Jutras et à tous les éditorialistes qui soutiennent son rapport, accueilli d'ailleurs avec un enthousiasme suspect par le président de la CTCUM Lawrence Hanigan. Le "Sommet de Québec". La CSN a participé, en compagnie de la FTQ et de la CEQ, au Sommet économique qui s'est tenu à Québec, au début du mois d'avril dernier. Nous avons eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises et sur plusieurs tribunes depuis ce temps: nous nous sommes rendus à ce Sommet dans le but de mettre de l'avant des propositions de changement, propositions à l'avantage des couches populaires québécoises. Nous sommes allés y réaffirmer que nous refusions la lecture fataliste des événements que plusieurs voudraient nous imposer. "Nous nous rangeons du côté de l'espoir", avons-nous déclaré dès l'ouverture des débats. Nous avons expliqué par la suite ce que cela pouvait signifier que de se ranger du coté de l'espoir: miser sur notre grande richesse collective, sur notre propre capacité de nous organiser pour transformer la situation à l'avantage des travailleurs, du monde ordinaire, refuser de se laisser imposer des modèles de développement en fonction des intérêts étrangers, et prendre collectivement en mains nos intérêts, notre économie, notre avenir. Ne compter que sur nos propres moyens, en somme. Des propositions différentes. Nous avons soutenu, lors de ce Sommet, qu'il existait des moyens différents que ceux qui consistent en l'écrasement de secteurs entiers de travailleurs et de travailleuses pour sortir de la crise. Une volonté politique, qui n'existe pas à l'heure actuelle, est cependant essentielle à la mise en oeuvre de ces propositions de changement. Si, par exemple, on rétablissait le taux d'imposition des compagnies au niveau qui était celui du début des années '70, le gouvernement québécois aurait joui de revenus supplémentaires de 500 millions $ en 1980. En appliquant le même taux d'imposition qu'en Ontario, c'est une somme supplémentaire de 200 millions $ que le Québec aurait recueilli. Nous avons aussi proposé qu'une taxe soit établie sur certaines technologies destructrices d'emploi; il nous apparaît normal qu'une partie des coûts sociaux engendrés par le remplacement des hommes et des femmes par des machines soit supportée par les entreprises. Le Québec ne tire pas toutes les redevances qu'il pourrait de l'utilisation de nos richesses naturelles. A cet égard, l'exemple le plus patent demeure la multinationale Alcan, qui jouit d'une rente de situation d'au moins 200 millions $ par année. La tarification des droits miniers et forestiers devrait également être revue. Ceux qui sont au bas de l'échelle paient, en proportions deux fois plus au chapitre de la taxe de vente, au Québec, que les mieux nantis. Les produits de luxe, consommés exclusivement par les plus riches, pourraient être davantage taxés. Comme pourrait être taxée davantage la richesse, ainsi que cela existe dans la plupart des pays européens. Nous avons enfin affirmé qu'il était temps de mettre un terme aux différentes échappatoires fiscales dont seuls peuvent jouir les plus riches de notre société. Le ministre fédéral Pierre Buissières estimait, en novembre dernier, que l'application au Québec des mesures contenues dans le dernier budget MacEachen rapporterait des revenus additionnels estimés à 334 millions $ pour l'année 82-83. Nous trouvons absolument scandaleux que les profits tirés de certaines activités parasitaires de spéculation soient taxés à un taux deux fois moins élevé que ne le sont nos salaires. Nous avons exigé que le développement économique se fasse en fonction des besoins du peuple, par des institutions davantage démocratisées; ce développement pourrait, entre autres, être facilité par la canalisation de nos épargnes collectives. Nous avons fait la démonstration qu'il existait d'autres voies que celles choisies par le gouvernement québécois pour assurer les entrées de fonds nécessaires au maintien et au développement des services sociaux et des investissements publics. J'ai eu l'occasion de dire souvent qu'à nos yeux, ce Sommet représentait un moment, ni plus, ni moins, dans un processus jamais terminé d'explication et de mise de l'avant de nos propositions syndicales. Projeter, mettre de l'avant notre projet de société. Nous continuons d'être persuadés que nous ne pourrons aspirer à un changement significatif de société qu'en continuant d'accepter d'aller porter nos messages, d'acheminer nos revendications sur toutes les tribunes à partir desquelles elles ont des chances de se répandre, de pénétrer plus avant dans les consciences et dans les faits. Toutes ces actions que nous avons pu conduire depuis deux ans, camarades, toutes nos réflexions, cadrent dans ce projet de société que nous mettons de l'avant. Nos orientations, il faut en être conscients, ne prennent leur sens que lorsque les travailleurs et les travailleuses les reprennent à leur compte et les traduisent dans leur vie militante. Aujourd'hui la crise. Devant une crise économique qui frappe avec une sévérité inconnue depuis les années '30, nous avons entrepris, dès l'automne, une large démarche de recherche, de réflexion, de sensibilisation et de mobilisation. Depuis plusieurs mois déjà, nos membres dans le secteur privé faisaient part de leur inquiétude croissante face aux fermetures d'usines, aux mises à pied massives, aux faillites d'entreprises, qui amplifiaient encore davantage les effets d'un chômage aux proportions insoutenables. Dans le secteur public, nos membres alertaient l'opinion devant des coupures soutenues, des coupures qui vont en augmentant, des coupures effectuées de plus en plus aveuglément par le conseil du Trésor. Dans les conseils centraux et dans les fédérations, militants et militantes constataient la difficulté toujours plus grande de résister, l'âpreté des luttes en faveur du droit au travail et du développement économique, pour le maintien des droits sociaux, pour l'accessibilité aux services. Il nous fallait agir, sur nos bases syndicales. Fermetures d'usines: des législations urgentes et nécessaires. "Etre victime d'une fermeture d'usine, d'un licenciement collectif, c'est se retrouver du jour au lendemain dans la rue, très souvent sans aucun préavis de l'employeur, sans connaître les causes de son licenciement, sans aucune forme de dédommagement. Etre victime d'une fermeture d'usine, d'un licenciement collectif c'est aussi et surtout avoir à affronter une détérioration rapide de ses conditions de vie: chômage, insécurité économique, difficultés familiales et sociales et, brusquement, être confronté à tout perdre. Et pour chercher du travail devoir quitter sa localité, sa région, sa province; devoir quitter ses proches, ses camarades de travail, ses amis. A trente, quarante, cinquante ans, être contraint à repartir à zéro, à tout recommencer. A trente, quarante, cinquante ans, faire le tour des bureaux de main-d'oeuvre, des quartiers industriels et des centres d'achats, en quête d'un nouvel emploi. Essuyer de multiples refus, être humilié chaque jour. Avoir l'impression que dans l'entourage immédiat on nous pointe du doigt. Puis petit à petit se sentir inutile, impuissant, presque de trop. Se sentir coupable. Coupable de quoi ? Coupable d'avoir été licencié après cinq, dix, vingt ans de travail dans la même usine, le même magasin? Coupable d'être licencié sans préavis, sans explication, sans dédommagement? Coupable de ne pouvoir se retrouver un autre travail? Coupable d'être déjà trop vieux à quarante ans? Et tout cela dans une province où il y a déjà près d'un demi-million de sans-travail!" En février dernier, en publiant "Du travail pour tout le monde", le manifeste des travailleurs et travailleuses victimes de fermetures d'entreprises et de licenciements collectifs, nous lancions un cri d'alarme. Aujourd'hui encore, la situation continue de se détériorer. Plusieurs milliers d'emplois ont été perdus suite à des fermetures d'usines et à des licenciements collectifs. La situation s'aggrave tous les jours. Il n'y a plus une semaine qui passe sans que nous apprenions que telle entreprise vient de fermer ses portes, que telle autre vient de licencier, pour une période indéterminée, plusieurs centaines d'employés. Toutes les régions, tous les secteurs de la vie économique sont touchés. Face à cette situation dramatique que doivent affronter des milliers de familles québécoises, malgré les promesses gouvernementales de la dernière campagne électorale, les législations se font toujours attendre. Une résistance farouche. Pourtant, les travailleurs et travailleuses victimes de fermetures et de mises à pied n'ont pas cessé de se battre. C'est le cas, notamment, de ceux et celles des pêcheries de Paspébiac, en Gaspésie, de l'Abattoir de Bic tout près de Rimouski, de Vaillancourt à Québec, de la Tannerie canadienne à Saint-Pascal de Kamouraska, de Zellers à Baie Comeau, de la filature Plessis à Plessisville, et de bien d'autres encore. Ces luttes sont longues et difficiles; leurs stratégies multiples et diversifiées, leurs issues souvent incertaines. Ce qu'il nous faut souligner, à tout prix, c'est le courage, la très grande détermination et la capacité d'innover dont font preuve ces travailleurs et travailleuses aux prises avec de tels problèmes. C'est aussi la grande solidarité qu'ils savent susciter autour de leur combat. Souvent, la population entière d'un village ou d'une municipalité se lie au groupe de syndiqués qui se bat pour l'emploi. Ces événements ne font pas nécessairement les manchettes des grands médias; pourtant, ils sont là et marquent, à leur manière, le développement de luttes qui ont aussi toute leur importance. Ce fut le cas, entre autres, lors de la manifestation populaire au Bic en avril dernier où travailleurs, travailleuses, ménagères, producteurs agricoles et petits commerçants se sont retrouvés derrière les syndiqués pour exiger, projet en main, l'ouverture d'un nouvel abattoir. Ces formes de solidarité pour appuyer des luttes pour le droit au travail se multiplient un peu partout au Québec. Elles rappellent aussi l'absence de législations rigoureuses pour protéger les personnes victimes d'une fermeture ou d'un licenciement collectif. En ce sens, nous croyons primordial de rappeler aujourd'hui nos grandes revendications sur cette question. Il nous faut unir nos forces pour revendiquer, exiger et obtenir des gouvernements des mesures suffisantes pour éviter les fermetures et les licenciements collectifs, réglementer les fermetures quand elles sont inévitables et maintenir le revenu de ceux qui perdent ainsi leur emploi. Nous croyons également important de poursuivre, dans les mois qui viennent, toutes les mobilisations nécessaires pour assurer sur ce plan des gains véritables. Ottawa, Washington. La politique monétariste d'Ottawa, avec ses effets dévastateurs, fait ses ravages. Ces ravages se poursuivent encore aujourd'hui malgré la colère populaire, malgré la récession qui s'installe, malgré la misère, les drames réels que son application laisse sur son passage. Le mécontentement s'exprime: l'anxiété, le désespoir devant les conséquences économiques désastreuses des taux d'intérêt élevés, devraient pourtant se rendre aux oreilles de ceux qui prétendent gouverner, à Ottawa. Mais Ottawa est sourd. Ou plutôt, il n'entend qu'une voix, qui vient de Washington, et qui continue de le contraindre à appliquer cette politique aux effets tellement néfastes. Le 8 mai dernier, aux Communes, le ministre des finances Allan MacEachen le confirmait, avec tout le cynisme nécessaire à une opération semblable, surtout quand on sait que ce sont des hommes et des femmes, des jeunes, qui paient le prix extrêmement lourd de cette démission gouvernementale. "L'obstacle à la relance de l'économie du Canada, déclarait MacEachen, est la structure actuelle des taux d'intérêt élevés, alimentée et contrôlée par la politique monétaire des États-Unis. La solution est aux États-Unis." Tout ce qu'il reste à attendre, face à une telle absence de volonté politique, c'est le jour où on annoncera au peuple le moment de la fermeture du Parlement, puisque ce gouvernement ne semble plus servir à rien ! La voix de leur maître. Les politiciens fédéraux, comme le célèbre chien de la compagnie RCA Victor, n'écoutent finalement que la voix de leur maître qui trône à Washington! Que ceux et celles qui, de peine et de misère, avaient réussi à loger leur famille dans une maison la perdent parce qu'ils ne peuvent supporter les hausses des hypothèques, cela n'est pas grave! Que ceux et celles qui vivent en logement se voient transférer, par leurs propriétaires, les hausses de coûts du loyer de l'argent, cela n'est pas grave! Que les familles se privent d'acheter des biens durables comme des laveuses, sécheuses, cuisinières, parce qu'emprunter coûte les yeux de la tête, cela n'est pas grave! Que les familles doivent couper, même dans l'essentiel, pour arriver à payer des taux d'intérêt pour lesquels, il y a quelques années seulement, on mettait en prison ceux qui les exigeaient, cela non plus n'est pas grave! Puisque c'est la volonté des États-Unis, la volonté du grand capital, il faut bien que nous nous écrasions! Le prix qu'il nous faut payer. On pourra toujours accuser le mouvement syndical de crier "au loup", nous dire que nous dramatisons toujours ce qui se passe, les chiffres, pourtant, sont là pour dresser le portrait de la situation. Et on ne pourra pas nous accuser de tripoter les chiffres, parce que ces chiffres sont ceux du gouvernement fédéral! Les dernières statistiques livrées au début de mai indiquaient qu'au Canada, 268 000 empois avaient été perdus depuis un an. 151 000 l'ont été au Québec seulement, ce qui représente près de 60 pour cent de tous les emplois perdus. En avril, 1 233 000 personnes étaient à la recherche d'un emploi au Canada, dont 400 000 au Québec; c'est une hausse de 40 pour cent sur une période d'un an. De mars à avril, le nombre de chômeurs a baissé au Québec, passant de 405 000 à 400 000 personnes; ce n'est même pas une bonne nouvelle. Voici comment l'explique le chroniqueur économique Alain Dubuc dans La Presse du 8 mai: "Cela s'explique par la réduction de la main-d'oeuvre au Québec, de 2 930 000 à 2 889 000 en un an. Cette baisse provient principalement du fait que les travailleurs, sans emploi, ont tout simplement arrêté de chercher. Officiellement, ils cessaient alors d'être classés comme chômeurs. Si l'on tenait compte de ces chômeurs découragés, disparus des statistiques, le taux de chômage ne serait pas de 13,8 mais de 15 pour cent." Encore là, nous ne sommes pas les seuls à parler du chômage "officiel" et d'un autre chômage, plus difficile à quantifier celui-là, mais qui fait durement sentir sa présence. Sans doute les statistiques sont-elles là aussi un peu conservatrices, mais ce sont au moins 754 000 Canadiens et Canadiennes qui, par découragement, ont cessé de se chercher du travail. Des hommes, des femmes, des jeunes découragés. Comment ne pas comprendre ce découragement quand on constate que pour chaque emploi disponible, on compte 357 chômeurs et chômeuses. A lui seul, un chiffre pareil devrait clouer définitivement le bec aux bien-pensants qui ne cessent de colporter des insanités comme celle-ci. "C'est pas l'ouvrage qui manque, c'est le monde qui veut pas travailler. " Le mouvement syndical, depuis quelques mois, n'est plus seul à crier sa colère devant la situation terrible qui est faite aux hommes et aux femmes d'ici. La Crise des années '30? Les statistiques nous apprennent que nous y sommes. Et si nous n'en sentons pas les effets exactement de la même manière que nos parents, qui l'ont vécue telle qu'ils nous l'ont racontée, c'est parce que des mesures sociales protègent davantage le monde. Nous, par les militants qui nous ont précédés, n'avons pas été absents, bien au contraire, de ces gains sociaux qui permettent d'absorber, en partie, les chocs brutaux que nous imposent les capitalistes et leur crise. C'est là où nous en sommes, camarades, après des mois d'application servile d'une politique monétariste décidée ailleurs. Celui qui est chargé d'appliquer cette politique qui est en train de vider l'économie canadienne de ses énergies, Monsieur Gérald Bouey, a pourtant vu son salaire augmenter de dix pour cent, en décembre, en passant de 95 000 $ à 104 500 $ par année. Des gens comme lui sont spécialistes pour serrer la ceinture... des autres. Les gouvernements ont abdiqué. Québec. Québec, de son côté, ne fait preuve d'aucune volonté dans la recherche ou la mise en place de nouveaux leviers économiques qui lui permettraient d'avoir plus de prise sur la situation. Il semble se contenter de "gérer la crise", tout au plus, sur le dos de ceux et celles qui n'en sont pas responsables, dans les secteurs public et parapublic principalement. Ce gouvernement, au plan national, joue d'une façon quasi indécente sur notre attachement au Québec, pour mieux asseoir ses politiques rétrogrades; on assiste, à ce niveau, à une entreprise qui en est une de mystification, à notre avis. Et lorsqu'on entend un ministre de ce gouvernement, Monsieur Yves Bérubé, déclarer en réponse à la proposition des trois centrales dans le secteur public que "ce ne serait pas la première fois, dans l'histoire de l'humanité, qu'on verrait un gouvernement renier sa signature", il y a là de quoi faire frissonner quiconque nourrit encore un certain respect pour les conventions démocratiques. Assurant, à deux reprises au moins, vouloir "Bâtir le Québec", ce gouvernement s'applique plutôt à le débâtir au jour le jour, remettant imperceptiblement en question plusieurs des acquis de la révolution tranquille. Ce gouvernement, camarades, vole particulièrement bas, manque de souffle, n'inspire aucun projet susceptible de galvaniser les multiples énergies qui demeurent inemployées. C'est un gouvernement éteint, qui gaspille ses dernières forces à se maintenir au pouvoir sur le dos des hommes et des femmes qui oeuvrent dans les secteurs public et parapublic; il croit, en les livrant à la vindicte populaire, assurer sa propre popularité. Nous croyons qu'il fait là une grave erreur, dont l'histoire se souviendra. Gérer la crise ou la combattre? Plutôt que d'établir une fiscalité où la part des entreprises serait plus importante - car cette part diminue au lieu d'augmenter - le gouvernement québécois préfère couper dans les budgets sociaux. Les coupures ont atteint 1 milliard $ en 1981 et doivent atteindre 700 millions $ cette année. Comme les autres qui l'ont précédé, ce gouvernement se contente de gérer au jour le jour, un peu comme on administre à la petite semaine, sans plan d'ensemble qui pourrait emporter l'adhésion du peuple, sans choix engageants et qui iraient dans le sens des intérêts de la majorité. Si, dans les milieux politiques, on a pris le parti de "gérer la crise", le mouvement syndical, de son côté, a clairement indiqué son choix de "combattre la crise". Combattre la crise, cela signifie avancer nos propres analyses, nos propres solutions. C'est ce que nous avons fait tout au cours de l'hiver, en collaboration avec les autres centrales syndicales. Cela signifie qu'il faut clairement identifier ceux qui profitent de la crise et ceux qui en sont victimes. Nous avons condamné les méga-projets, pour lesquels il faut des masses énormes de capitaux, et qui sont en partie la cause des politiques monétaristes qui nous sont imposées. Tout en draînant des sommes colossales qui ne sont plus disponibles pour des investissements davantage créateurs d'emplois, ces projets deviennent des instruments de chantage entre les mains des multinationales. Nous venons d'en vérifier un exemple encore récemment quand la voracité des compagnies pétrolières n'a pas été satisfaite de l'assurance d'une rentabilité de 20 pour cent sur le capital investi, ce qui a eu pour effet de faire avorter le projet Alsands. Des régions, des provinces entières, finissent par dépendre quasi entièrement de ces projets gigantesques. Ces méga-projets affaiblissent notre développement industriel en orientant des énergies considérables presque exclusivement vers la fabrication d'instruments d'exploitation des ressources énergétiques (gaz et pétrole principalement); cela nous réduit à un rôle de pourvoyeur d'énergie pour les États-Unis, ce qui risque de faire de nous une espèce de Tiers-monde sophistiqué. Des politiques sociales. Combattre la crise, cela signifie aussi mettre de l'avant la promotion d'une stratégie industrielle autonome, fondée sur nos richesses et axée sur la satisfaction des besoins du peuple. Cela signifie enfin revendiquer des politiques sociales qui rendraient le bien-être des travailleurs moins dépendant du seul salaire tiré du travail. Dans plusieurs pays, le bien-être des travailleurs et des travailleuses est moins directement lié au seul salaire. Plusieurs programmes sociaux contribuent à améliorer le bien-être de tous, et les employeurs sont appelés à y contribuer beaucoup plus fortement qu'ici. Ainsi, la part des employeurs dans l'ensemble des bénéfices sociaux représente 95,2 pour cent du salaire en Italie, 74,2 pour cent en Belgique, 70 pour cent en Hollande, 68,6 pour cent en France, 62,3 pour cent en Allemagne de l'ouest. Au Canada, la part des employeurs ne représente que 25,2 pour cent. Quand au Japon, qu'on tente de plus en plus de représenter comme modèle, la part des employeurs ne représente que 14,3 pour cent. C'est donc dire l'immense pression qui s'exerce sur les travailleurs actifs pour demeurer au travail et, en même temps, la grande pauvreté qu'entraîne la perte d'un emploi, que ce soit pour raison de chômage, de retraite, de maladie ou plus naturellement de grossesse. Il y a donc des droits sociaux à élargir, des programmes d'aide à universaliser, comme c'est le cas dans plusieurs pays européens où le salaire net est parfois moins élevé qu'il ne l'est ici mais où, par contre, le salaire indirect, (aide au logement, aide au transport, aide à l'alimentation), fait que le bien-être de l'ensemble est supérieur. Ces programmes sociaux participent à redistribuer avec davantage de justice les richesses; ils enlèvent aussi une part de la tension qui s'exerce en raison de la dépendance directe d'un emploi. Élargir les négociations. Nous avons proposé de tenter d'améliorer concrètement les conditions de ceux et celles qui sont au travail par la voie des négociations nationales. Les conditions sur lesquelles pourraient porter pareilles négociations sont nombreuses. Faire reconnaître à tous le droit à un mois de vacances, comme c'est actuellement le cas dans la fonction publique et parapublique, et comme la chose existe en France depuis 1936. Permettre à tous l'accès à des régimes d'assurances et de retraite valables, quelle que soit la taille de l'entreprise qui les emploie. Assurer l'établissement de règles de sécurité d'emploi, qui rendraient travailleurs et travailleuses moins vulnérables aux soubresauts de l'économie, aux humeurs des patrons. Assurer la réduction des heures de travail, l'augmentation du salaire minimum, l'accroissement des bénéfices marginaux, etc. Nous avons toujours affirmé que la syndicalisation demeurait le meilleur moyen pour un travailleur d'améliorer son sort; mais ce n'est pas le seul. D'abord parce que la syndicalisation n'est pas toujours possible; ensuite parce que les travailleurs non syndiqués sont habituellement davantage exploités et que leur exploitation profite également aux classes possédantes; enfin, parce que l'état lamentable des conditions de travail des non-syndiqués exerce des pressions à la baisse sur les revendications des syndiqués. Le cas du secteur public. La comparaison mensongère que le gouvernement québécois a cherché à propager entre les secteurs privé et public pour tenter de les diviser révèle, par ailleurs, l'immense fossé qui se creuse entre syndiqués et non-syndiqués. La récente réponse des syndiqués du secteur public à la proposition gouvernementale peut nous servir d'exemple. Face à la menace gouvernementale de renier sa signature au bas des conventions collectives négociées avec le Front commun en 1979, les syndiqués du secteur public ont rappelé que le piètre état de l'économie était largement aggravé par l'absence d'une stratégie industrielle, par une trop faible syndicalisation et par une mauvaise protection des droits des travailleurs et travailleuses, qui sont ceux qui consomment, ceux qui génèrent ainsi la demande. Les syndiqués du secteur public ont décidé d'entreprendre immédiatement la négociation de la prochaine convention collective, mais en établissant clairement qu'à leur avis, la crise budgétaire du gouvernement n'était que la conséquence de la crise économique et que c'est cette crise économique qui était responsable de la dégradation des conditions de travail de tous les travailleurs et des conditions de vie de la population. Les syndiqués du secteur public ont aussi indiqué au gouvernement que les propositions mises de l'avant par les trois centrales et touchant la "sortie de crise" devraient être discutées. C'était reprendre à leur compte ce que l'exécutif de la CSN exprimait dans le rapport au congrès de 1980, en proposant le développement d'un syndicalisme de combat adapté aux besoins actuels, aux exigences posées par la conjoncture économique et assumant pleinement sa dimension de classe. Nous avions dit: "Les travailleurs sans emploi que nous voulons accueillir dans nos rangs, victimes au premier chef de la crise économique, vont nous poser des exigences. La loi de l'assurance-chômage ne peut être modifiée par une négociation avec les patrons de l'entreprise. Les politiques d'assistance sociale ne peuvent être modifiées par négociation avec ces mêmes patrons. Les travailleurs mis à pied par les Chantiers maritimes de Sorel ont très bien compris qu'il leur faut se mobiliser devant l'État. Les assistés sociaux coupés par les gouvernement ont très bien compris qu'il leur faut se mobiliser devant le ministère des Affaires sociales. La classe ouvrière ne peut se permettre plus longtemps, à chaque fois qu'un problème se pose, d'aller lutter en rang dispersé. Si nous prétendons être une organisation de classe et de masse, nous devons nous rendre à l'évidence que la classe ouvrière n'est pas composée uniquement des travailleurs qui sont déjà dans nos rangs ou qui un jour le seront. Nous devons développer la force nécessaire pour étendre à tous les travailleurs, à toute la classe ouvrière, ce que nous avons réussi à arracher à quelques employeurs. Si nous prétendons être une organisation de classe et de masse, nous devons non seulement développer des revendications universelles, mais nous devons aussi trouver les moyens nécessaires pour que ces revendications soient reprises et partagées par l'ensemble des travailleurs et pour que finalement tout le peuple en bénéficie. Élargir nos cadres de regroupement, élargir nos revendications, élargir nos moyens pour soutenir le rapport de forces, élargir nos victoires, ce/a fait partie de notre histoire. Il s'agit d'assumer pour tous, à certaines conditions, et en créant un meilleur rapport de forces, ce que nous défendons quotidiennement dans nos conventions collectives." Travail et pouvoir des travailleurs et travailleuses. Il est une préoccupation, un thème sur lequel la CSN est constamment revenue au cours de son histoire et qui prend une importance nouvelle dans la période que nous vivons actuellement, c'est celui du pouvoir des travailleurs sur l'ensemble des conditions de travail. L'action syndicale, pour la CSN, a toujours signifié plus que la négociation de meilleures conditions économiques. Les besoins des travailleurs de maintenir ou d'augmenter leur emprise, leur contrôle, sur toutes les facettes du travail au sein de l'organisation capitaliste ont toujours été présentes dans nos luttes syndicales. Notre volonté de résister aux multiples formes d'oppression et de domination que le pouvoir du capital veut nous imposer s'est maintes fois manifestée: que ce soit par nos luttes contre la déqualification des métiers, nos luttes contre les cadences, contre les formes de rémunération au rendement, contre les méthodes disciplinaires avilissantes, contre la discrimination homme-femme ou encore contre les conditions dangereuses. Sur les lieux de travail. Nos actions syndicales ont aussi clairement démontré que le minimum de démocratie, d'autonomie, de respect des individus et de leur capacité créatrice ne sont pas des choses qui vont de soi pour le patronat; les expériences que nous avons accumulées nous ont amenés à conclure que l'amélioration réelle de nos conditions de travail n'est guère possible si nous ne prenons pas les moyens concrets pour accroître notre pouvoir sur les lieux de travail. Et c'est bien là, par exemple, le sens de la démarche que nous suivons en santé-sécurité. Nous savons que notre bien-être au travail ne peut être possible sans que nous prenions en charge, sur nos propres bases, la santé-sécurité, et sans que le syndicat n'aille chercher un certain nombre de droits pour agir effectivement sur les conditions dangereuses, que ce soit un droit d'enquête ou le droit collectif d'arrêter de travailler. Ainsi, tout comme la vie syndicale devient possible dans la mesure où nous arrachons certains droits, notre capacité de faire en sorte que notre travail ne soit pas abrutissant est largement tributaire des droits et pouvoirs que nous pouvons conquérir pour agir sur l'ensemble de l'organisation du travail. Bref, la qualité de vie au travail dépend de notre capacité de faire reculer les droits de gérance. Ces constatations se sont renforcées depuis une dizaine d'années, à mesure que nous avons formulé nos critiques de la société dans laquelle nous vivons. Il nous est apparu que non seulement les travailleurs et travailleuses étaient exploités économiquement, mais qu'ils subissaient plusieurs phénomènes de domination au sein des entreprises. Tous les pouvoirs sur l'organisation du travail sont dans les mains de la gérance, de sorte que les travailleurs sont relégués à des taches de simple exécution, de plus en plus divisés et ne laissant aucune place à l'expression de l'autonomie et de l'initiative individuelle et collective. Nouvelle division internationale du travail. Nous constatons tous les jours, dans nos milieux de travail et dans nos milieux de vie, ce que la crise signifie en terme de détérioration des conditions de travail et de vie. Elle manifeste aussi une gigantesque tentative des forces du capital pour se restructurer, se réorganiser. Se réorganiser, cela veut dire que le capital pousse encore plus loin sa volonté de concentration. En ce sens, les sociétés multinationales accroissent de plus en plus leur mainmise sur l'économie mondiale. D'origine surtout américaine, puis japonaise, européenne et canadienne parfois, les multinationales pénètrent dans tous les pays, s'emparent de tous les marchés, détruisent les économies locales traditionnelles, accroissent les dépendances, imposent le modèle de consommation et de vie des pays dominants. Pour ce faire, elles soumettent les gouvernements à leurs règles, utilisent le Fonds monétaire international ou diverses autres institutions internationales pour imposer telle ou telle politique aux États, ou encore soutiennent des dictatures militaires. Un pouvoir toujours plus concentré. Ainsi, par le biais des multinationales, le produit du travail de millions de travailleurs et travailleuses à travers le monde se concentre toujours plus dans les mains de quelques-uns. Près de 40 % du commerce mondial est entre les mains des sociétés multinationales et la quasi-totalité des produits de base sont accaparés, de la production à la consommation, par quelques multinationales dans chaque secteur! Cette énorme concentration du capital et du pouvoir de décision, qui prend place à la faveur de la crise, est en train de modeler l'avenir de tous les peuples, sans aucune réglementation des États ou des organismes internationaux. Tout cela s'appuie sur une nouvelle division internationale du travail et des travailleurs. La recherche sera faite dans un pays, l'extraction des matières premières dans un autre, la fabrication des pièces dans un troisième, le montage ailleurs, et ainsi de suite. A titre d'exemple, l'Alcan importe ses matières premières, notamment la bauxite, de l'Amérique latine ou de la Jamaïque, l'aluminium est fabriqué à Arvida; la recherche s'effectue à Kingston, en Ontario, et la transformation est faite en Europe ou encore aux États-Unis. Cette division du travail signifie d'abord une nouvelle division entre les pays industrialisés et les pays du tiers-monde. Profitant de l'immense réservoir de main-d'oeuvre à bon marché des pays du tiers-monde, les grandes entreprises délèguent une partie de leur production vers certains de ces pays. Il s'agit évidemment des étapes de la production qui nécessitent une abondante main-d'oeuvre, qui polluent le plus l'environnement et qui comportent des risques élevés pour les conditions de santé-sécurité. Le travail de montage de circuits électroniques à l'aide d'un microscope, par exemple, effectué par des femmes dans les filiales américaines ou japonaises en Asie du sud-est, épuise la vue au bout de quelques années. Certains pays accèdent ainsi à une forme d'industrialisation, mais une industrialisation complètement dépendante, tournée presque exclusivement vers l'exportation. L'économie de ces pays se transforme donc en économie de sous-traitance déterminée par les besoins des sociétés multinationales, par leur croissance et leurs profits. Le développement des zones franches de production. Une des formes privilégiées, et des plus odieuses, que prend cette division internationale du travail, c'est le développement des zones franches de production, lesquelles sont soustraites aux lois, réglementations et taxes. Selon un dossier de la Confédération mondiale du Travail, à laquelle nous sommes affiliés, il existait en 1978 plus de trois cents zones franches dans les pays du tiers-monde; elles avaient été créées dans les dix dernières années. En 1980, neuf pour cent du commerce mondial était déjà réalisé dans les zones franches. Ces zones franches sont de véritables enclaves, avec frontières et papiers d'identification pour y accéder, où peuvent se développer, en toute liberté, les pires formes du capitalisme sauvage. Les pays hôtes de ces zones garantissent aux firmes étrangères tous les privilèges imaginables: aucune taxe à l'importation et à l'exportation, aucun impôt sur le capital, droit de rapatrier totalement les profits, terrains, bâtiments, énergie à très bas coûts, quand ce n'est pas gratuitement, interdiction du syndicalisme, mise à leur disposition d'une police locale, sur-exploitation, comparable à celle du début du capitalisme, d'une main-d'oeuvre composée surtout de femmes et d'enfants, etc. Le développement de ces entreprises peut permettre la mise sur pied de quelques secteurs de services. De plus, les pays hôtes jouissent d'une "bonne" réputation auprès des institutions mondiales, notamment des institutions de crédit, ce qui leur permet d'avoir accès à l'assistance sociale et militaire des pays riches. La nouvelle division internationale du travail qui se met actuellement en place s'appuie sur l'accroissement des inégalités entre les peuples et accroît considérablement la capacité du grand capital d'augmenter la concurrence entre les groupes de travailleurs de différents pays. Réorganisation de la production et du travail. A l'intérieur des pays capitalistes avancés, nous assistons également à une réorganisation de la production et du travail. Qu'on pense, par exemple, au déplacement de certaines usines ou de certaines parties de la production dans le sud des États-Unis, où la main-d'oeuvre à bon marché est disponible et où la syndicalisation est particulièrement faible. Depuis quelques années déjà, ce phénomène peut être observé dans l'industrie des pâtes et papiers ainsi que dans l'industrie automobile. Un autre des aspects importants de cette restructuration est la modification des rapports entre grandes et petites entreprises. De plus en plus, les grandes entreprises tendent à déléguer une partie de leur production à de petites entreprises qui gravitent autour d'elles. On parle ainsi d'éclatement de la grande entreprise et du développement d'un secteur de PME surtout consacré à la sous-traitance, et donc particulièrement vulnérable et dépendant face aux multinationales. Au Québec, les politiques de développement industriel du gouvernement vont précisément dans le sens de renforcer cette tendance, qui accentue notre dépendance face aux multinationales, surtout américaines, comme cela est proposé dans "Bâtir le Québec". Ce choix de développement industriel entraînera de lourdes conséquences sur l'accroissement de notre dépendance. Cette nouvelle forme de sous-traitance devient un instrument puissant de division des travailleurs en morcelant les groupes, en mettant en concurrence les entreprises et les travailleurs, syndiqués ou non. Des formes précaires. Il faut aussi ajouter à ce phénomène l'accroissement généralisé du travail à temps partiel, le développement de toutes sortes d'autres formes de travail précaire, comme le travail à la pige, le travail à domicile, le louage de personnel par des entreprises spécialisées, le travail clandestin. Tout cela nous amène à constater que des couches de plus en plus importantes de travailleurs, en particulier les jeunes, les femmes et les immigrants, sont relégués dans des emplois où aucune sécurité ne leur est assurée. Ces travailleurs sont complètement dépendants des variations de la conjoncture économique, des besoins, au jour le jour, des entreprises. La mobilité forcée qu'on leur impose, leur isolement, qui est complet dans le cas du travail à domicile, ont comme conséquence qu'ils ne peuvent s'identifier à une collectivité de travailleurs dans le cadre d'une entreprise, qu'ils sont difficilement syndicables et donc totalement à la merci des employeurs. De façon générale, les lois du travail sont largement insuffisantes pour protéger ces catégories de travailleurs. Cette prolifération de statuts précaires est un des aspects de la division du travail. Un défi au mouvement syndical. De la même façon que le taylorisme a réussi à briser le métier et par là le syndicalisme de métier, la division du travail qui se met en place actuellement modifie les structures des entreprises et, par là, les bases du syndicalisme industriel. Isolé sur une chaîne de production qui déborde l'entreprise, le syndicat ne peut pas plus développer de rapport de forces, face à son employeur, que le travailleur, isolé sur une chaîne de production, face à son contremaître. Comment donc recomposer le caractère large et collectif de la lutte syndicale, comment imaginer de nouvelles formes de regroupement qui permettent l'élargissement de la solidarité de l'ensemble des travailleurs, sur des bases qui dépassent le milieu de travail isolé? Voilà des questions déterminantes pour l'avenir du syndicalisme. Face à la restructuration imposée par le capital dans le cadre de la crise, nous devons transformer les structures de l'action syndicale. C'est dans ce sens que lors du dernier congrès, nous proposions la formation de syndicats interprofessionnels, c'est-à-dire des syndicats constitués sur une base territoriale et regroupant des travailleurs individuellement. A cette recherche d'ajustement de notre forme de syndicalisme, dans le but de regrouper les couches de travailleurs que l'économie libérale veut marginaliser, il nous faut ajouter nos revendications sur l'accès à la syndicalisation. Les changements technologiques. Un autre phénomène est intimement relié à la crise que nous traversons, c'est celui des changements technologiques. Dans des secteurs stratégiques pour l'avenir, comme l'électronique, quelques grandes compagnies, qui se comptent sur les doigts d'une main, sont en train, à travers la concurrence qu'elles se livrent, de se partager tous les marchés du monde; cela représente un pouvoir qui dépasse de loin celui des gouvernements. Les nouveaux moyens développés par l'informatique entraînent, à l'échelle du monde, une nouvelle étape dans la concentration du pouvoir de décision. Selon une étude de l'OCDE, on compte actuellement une soixantaine de réseaux internationaux de télématique, gérés par les multinationales, qui permettent instantanément de coordonner la production et la distribution à l'échelle mondiale, d'effectuer le traitement des fichiers du personnel, de jouer sur les taux de change entre les devises, d'avoir accès aux banques de données qu'elles constituent, etc. A titre d'exemple, le réseau de la General Electric permet de relier six cents entreprises et le réseau de la Control Data permet de relier 2 000 villes, sur les cinq continents. Les découvertes scientifiques et les changements technologiques que nous connaissons depuis quelques années, font la preuve, sans l'ombre d'un doute, que nous assistons à une véritable révolution technologique, aussi bien dans la miniaturisation que dans les coûts de la technologie. Ces changements bouleverseront encore plus, dans les prochaines années, nos milieux de travail et nos milieux de vie. L'essor de l'informatique et de la micro-électronique amène des changements notables dans la production. Un nouvel emploi, trois emplois disparus. Dans un premier temps, ces nouvelles machines exercent une certaine fascination. Elles permettent quelquefois de dispenser les travailleurs de quelques tâches pénibles, monotones ou dangereuses. Les multiples applications des changements technologiques auront cependant pour effet, selon certaines études, de modifier d'ici dix ans le contenu de plus de 50 pour cent des emplois actuels. On ne travaillera plus de la même façon dans les bureaux, les usines, les hôpitaux, les écoles, les chantiers. Le contenu des tâches, les classifications, la façon de relier les travailleurs, entre eux les rythmes de production, les systèmes de surveillance seront bouleversés. On assistera à une nouvelle gestion des temps de production, à un plus grand contrôle des cadences de travail, des pauses dans le travail. Tout écart par rapport à la norme sera immédiatement visible. Mais, on peut le deviner, les premiers effets seront d'abord sur le nombre d'emplois, même s'il est possible que dans un premier temps, il n'y ait pas de perte d'emplois. A plus ou moins long terme, les effets seront massifs. Pour un emploi créé par les changements technologiques, au moins trois autres disparaîtront... Déjà dans les caisses populaires au Québec, les syndicats que nous avons organisés font face à un vaste programme d'automatisation des opérations (guichet automatique, transfert électronique de fonds) qui aura des effets sur le nombre d'emplois, l'augmentation du temps partiel, les cadences, etc. Ceux et celles qui seront surtout victimes de ces transformations seront les plus démunis, les moins qualifiés, les moins protégés. Ainsi, comme le démontre bien le rapport du comité de la condition féminine déposé à ce congrès, les femmes seront les plus atteintes, parce qu'elles sont confinées à des ghettos d'emplois comme le travail de bureau, où 50 pour cent des emplois pourraient être abolis parce qu'elles sont moins qualifiées ou parce qu'elles ont plus difficilement accès à la formation professionnelle. Il en est de même pour les travailleurs plus âgés, qui ne pourront pas se réadapter. Mais ce ne seront pas là les seuls effets. Les changements technologiques, leurs bas coûts, leur adaptabilité, leur souplesse, permettront de mieux mettre en place les nouvelles formes de division du travail dont nous venons de parler. Les maîtriser. Les travailleurs ne se sont jamais opposés, en soi, aux changements technologiques qui pourraient être un facteur de progrès réels pour la majorité. Ce qu'ils combattent, c'est leur utilisation par les patrons, dans chaque milieu de travail, afin de renforcer l'exploitation et la domination; c'est la fonction sociale que le pouvoir leur donne qui ne sert pas l'élargissement de la démocratie et la satisfaction des besoins de la collectivité. Ce que nous affirmons, c'est que les travailleurs ont des droits sur l'organisation du travail. Qu'ils sont au premier chef concernés! Que cette organisation ne peut se faire sans eux! Ce que nous affirmons, c'est qu'il est anormal actuellement que l'on puisse utiliser cinq ordinateurs dans un engin spatial et qu'on soit incapables d'avoir la liste classifiée des produits toxiques utilisés dans les industries! Qu'il est anormal que l'on puisse extraire le pétrole des sables bitumineux et qu'en même temps, des travailleurs soient engloutis dans des mines! Qu'il est anormal que les banques de données sur le crédit en sachent tellement sur chacun de nous alors que, collectivement, nous ne savons presque rien sur la situation financière des entreprises où nous travaillons! Ce que nous affirmons, c'est qu'il nous faut asservir ces nouveaux développements technologiques! Camarades, nous assistons aujourd'hui à une multitude de transformations qui ont cours à la faveur de cette crise: changements dans la division du travail, changements dans les formes d'organisation du capital, changements pour moderniser l'appareil productif, mais aussi changements dans le discours patronal face aux travailleurs, afin de freiner les luttes. Le discours patronal. Ainsi, on connaît le discours idéologique développé par les mass-média et le patronat sur le "miracle japonais". Selon ce discours, la forte expansion de ce pays, son haut taux de productivité, reposeraient surtout sur le large consensus social créé entre travailleurs et patrons, sur l'attitude positive des organisations syndicales, sur l'existence de mécanismes de consultation. Cependant, à y regarder de plus près, il y a un revers à cette médaille, dont ne traitent jamais les haut-parleurs du capital. C'est d'abord celui du choix d'un modèle de développement. Celui d'une société fortement hiérarchisée, qui repose d'abord sur une structure industrielle double: d'une part, un secteur industriel très concentré et automatisé, qui assure un emploi à un tiers de la population; et d'autre part, une multitude de petites et moyennes entreprises, qui constituent une pyramide de sous-traitants, et où la majorité des travailleurs occupent un emploi instable, semi-temporaire, journalier, saisonnier, à domicile, etc. Le salaire des travailleurs dans les petites entreprises est de 40 pour cent inférieur à celui des grandes entreprises; celui des femmes, qui constituent l'essentiel de la main-d'oeuvre dans le secteur électronique, représente, à poste de travail équivalent, 64 % pour cent de ce que touche un homme pour un travail à temps plein. Cet écart est encore plus considérable pour le travail à temps partiel et le travail à domicile. Ce "modèle" où les inégalités fleurissent est un modèle authentiquement patronal. Le discours patronal tente aussi de faire croire que certains patrons commencent maintenant à se préoccuper de l'amélioration des conditions de travail. Mais entre la propagande et la réalité, il y a un écart considérable. En fait, très peu d'expériences patronales modifient le contenu du travail. A ce titre, ce qui s'est produit à l'Alcan paraît assez exemplaire. Voilà une compagnie multinationale qui domine toute une région du Québec, le Saguenay Lac Saint-Jean. Plus de trois cents entreprises de sous-traitance dépendent de l'Alcan. Les travailleurs de ces PME ont évidemment des conditions de travail plus mauvaises qu'à l'Alcan. Depuis quelques années, on a procédé à une décentralisation de l'usine d'Arvida. La compagnie a construit une nouvelle usine à Ville de la Baie, qui ne regroupe que 220 travailleurs. Ces derniers ont été sélectionnés avec le plus grand soin et on a implanté des équipes semi-autonomes de production. La même compagnie, qui surexploite ses employés en Amérique latine et en Afrique, fait ainsi figure de patron progressiste auprès d'un petit groupe de travailleurs, auxquels on a concédé un peu plus d'autonomie, c'est que la syndicalisation y est très difficile, les travailleurs s'autodisciplinent en fonction des objectifs de la compagnie et pratiquent eux-mêmes des formes d'exclusion de ceux qui produisent moins. Les nouvelles formes de gestion patronale. Dans la conjoncture de crise, dans le cadre de la transformation de l'organisation capitaliste du travail, la nécessité pour le capital de recréer le consensus entre travailleurs et patrons, d'intégrer les travailleurs et les organisations syndicales aux finalités de l'entreprise devient plus que jamais un enjeu fondamental. On parle beaucoup, depuis quelque temps, des "cercles de qualité". Cette méthode consiste à mettre en place sous la direction des contremaîtres, des petits groupes d'une douzaine de travailleurs qui se réunissent régulièrement pour discuter des problèmes de fonctionnement de l'entreprise. Les travailleurs, dit-on, ont alors le droit d'exprimer leurs commentaires et critiques, de formuler des recommandations, de participer à l'élaboration de certains objectifs de production et d'évaluer, par la suite, les correctifs qui ont été apportés. Par cette formule de participation on cherche à faire en sorte que les travailleurs s'identifient le plus possible à l'entreprise, que leur comportement, leur vie correspondent aux valeurs de celle-ci. Résultat: dans les entreprises où ces cercles ont été mis en place, on note une amélioration de la "qualité des produits", une baisse de l'absentéisme, une croissance importante de la productivité. Quant aux effets réels sur les conditions de travail, les résultats semblent moins spectaculaires puisque les discussions dans les cercles de qualité portent presque exclusivement sur l'amélioration de la qualité des produits et non pas sur l'amélioration de la qualité de vie au travail. De la vigilance. Nous devons donc être très vigilants face à ces expériences, dans la mesure où elles peuvent utiliser certaines aspirations légitimes des travailleurs. Nous devrons reprendre l'initiative afin de resituer ces questions sur notre propre terrain. Nous ne croyons pas que l'augmentation de la productivité nécessite l'embrigadement patronal des consciences, la diminution de l'autonomie des individus et la mise en place de mécanismes d'intégration et de répression, aussi subtils puissent-ils être. Le projet de société du capital. Le mouvement syndical, au plan international et dans chaque pays, est donc confronté ces années-ci à des enjeux majeurs. Dans le cadre de la crise, à travers la lutte que se livrent les puissances dominantes, ce sont des nouveaux modèles de domination et d'exploitation que l'on tente de mettre en place, c'est un projet de société que l'on tente de nous imposer. "Tout changer, afin que rien ne change", voilà bien le défi pour les forces du capital. Un défi, car rien n'est évidemment déterminé d'avance. Comme dans chacun de nos milieux de travail, tout se joue dans le cadre du rapport de forces et il continuera d'en être ainsi, quelles que soient les volontés du patronat et des États. L'issue de cette crise sera d'abord déterminée par les capacités des travailleurs et des classes populaires, non seulement de résister, mais aussi d'imposer de nouvelles conditions de travail et de vie, un nouveau projet de société. Cela veut d'abord dire intervenir dès maintenant, dans chacun de nos syndicats. Il faut mieux connaître les phénomènes qui nous confrontent, il faut que chaque travailleur et travailleuse se sente concerné par les modifications introduites dans l'organisation du travail, parce que nous sommes tous susceptibles d'être touchés. C'est d'abord sur le terrain de la négociation collective que nous devons agir. Le droit à l'information, avec des préavis convenables avant toute transformation du lieu de travail, la protection des emplois et du revenu, le droit de grève en cours de convention, le droit au recyclage et à une formation professionnelle adéquate, la réduction des heures de travail, le temps supplémentaire, voilà seulement quelques pistes que nous devrons mieux explorer dans les mois qui viennent. Il ne faudra pas seulement attendre que les événements surviennent pour s'en préoccuper. Nous devrons, dans les syndicats et les fédérations, mettre de l'avant nos propres politiques et projets quant à l'amélioration de la qualité de vie au travail, quant à l'accroissement de la démocratie, quant à l'augmentation du pouvoir des travailleurs et travailleuses sur les différentes dimensions du fonctionnement des entreprises. Il est essentiel que tous ensemble, nous prenions l'offensive sur ce terrain pour que le progrès scientifique et technologique se transforme aussi en progrès social. Prendre toute notre place. Nous devrons intervenir, non seulement en fonction de nos condition de travail mais aussi pour susciter, forcer le débat dans l'ensemble de la société sur le sens et la finalité des changements qui surviennent. A qui et à quoi servira le surplus de productivité entraîné par les changements technologiques? A nous libérer des contraintes, à accroître le temps libre pour l'épanouissement des personnes? A réduire les inégalités entre les classes? A mieux protéger l'environnement? A lutter contre le sous-développement, les disparités régionales, la dépendance? A abolir les discriminations? Comment allons-nous assurer la démocratisation de l'information, dans une société où son contrôle devient un enjeu fondamental? Comment protéger la vie privée, les droits individuels et collectifs, face au développement de moyens de surveillance et de manipulation de la population? Nous devrons forcer l'État à préparer des législations, pour que le débat démocratique se fasse autour de ces questions, afin que les classes populaires puissent infléchir ce développement en fonction d'un avenir meilleur. Face à toutes les formes précaires de travail qui se développent, qui menacent l'unité et la solidarité des travailleurs, qui signifient un accroissement de l'insécurité, de la dépendance, de l'isolement, il faudra réagir fortement. Il faudra continuer nos efforts d'organisation, freiner la croissance de ces phénomènes, revendiquer l'égalité des droits et des conditions pour tous, exiger les transformations nécessaires aux lois du travail. De l'imagination, de l'audace. Il faudra faire preuve d'imagination et d'audace en adaptant mieux la forme, la structure de nos organisations syndicales aux nouvelles formes de la division du travail, à la structure des entreprises. Il nous faudra réinventer des structures et poser des revendications favorisant l'unité, afin d'étendre notre représentativité, recomposer la solidarité de classe. Renoncer à cela, se replier uniquement sur nos acquis, réduirait la mission du syndicalisme au corporatisme, à un groupe de pression comme les autres. Pour modifier et transformer le présent. Tout le cheminement que nous avons fait à la CSN sur la nécessité d'un changement radical n'aurait sans doute pas les mêmes exigences s'il n'était pas aussi porteur de ce que nous appelons un projet de société. Ce projet ne saurait être résumé en formules toutes faites, toutes figées, comme s'il suffisait de les invoquer pour nous assurer la garantie de lendemains meilleurs. Tout le contraire d'un modèle statique et clos, notre projet est bien davantage le produit d'une articulation constante, toujours inachevée, de besoins, d'espoirs et de volontés qui peuvent et doivent prendre forme, dès maintenant, à travers nos revendications et nos luttes. Dans notre quotidien syndical, nous menons des luttes qui tracent déjà certains éléments de la société que nous souhaitons; c'est notamment le cas des multiples luttes contre toutes les formes de discrimination, pour la réduction des écarts, en faveur de la santé et sécurité au travail, pour assurer une retraite plus décente, etc. Notre projet de société n'a de pertinence que dans la mesure où il permet d'infléchir de transformer ce qui est déjà à notre portée, de préparer, aujourd'hui, la société que nous voulons demain. Compris ainsi, il ne peut donc être perçu comme un voeu pieux ou une fuite en avant. L'urgence de mettre de l'avant une alternative. Cette façon de concevoir notre projet de société est d'autant plus important dans cette période de crise que nous traversons. Face à cette agression des classes dominantes qui, pour préserver et accroître leurs profits et pouvoirs, remettent systématiquement en question les acquis de nos luttes, nous avons à dégager une riposte, à construire, avec toutes les composantes du mouvement ouvrier et populaire québécois, une nouvelle alternative, une voie différente de "sortie de crise". Notre centrale s'est engagée dans cette démarche au cours des derniers mois, en ouvrant une réflexion sur la crise, ses effets et ses causes, en cherchant à dégager les revendications que nous jugeons présentement essentielles, en avançant des propositions pour le plus long terme, en multipliant les approches auprès des autres centrales syndicales, syndicats, organismes populaires et sociaux, pour dégager des objectifs communs et identifier les moyens de les atteindre. Une telle démarche n'est jamais exempte d'embûches et de difficultés mais déjà elle révèle des aspects significatifs, au plan de la solidarité, qui nous incitent à la poursuivre. Les grands axes de notre vouloir collectif. Poursuivre cette démarche nous incite aussi à toujours mieux cerner ce à quoi nous espérons, à reprendre, réactualiser et enrichir notre projet de société. En 1972, suite à la publication du document "Ne comptons que sur nos propres moyens", une réflexion s'engageait dans tout notre mouvement sur le fonctionnement de la société capitaliste et les réponses que nous pouvions y apporter. Un comité de travail était créé, le comité des 12", pour rendre compte de cette réflexion. Le comité déposait un rapport à notre 45e congrès. Il y faisait part d'un consensus large sur le rejet du capitalisme et dégageait un ensemble d'éléments concrets de politique économique dont la synthèse permettait d'avancer des perspectives possibles d'une société socialiste, d'un "socialisme qui serait la réalisation concrète de la démocratie économique et qui correspondrait aux conditions du Québec de même qu'aux besoins et à la mentalité des Québécois..." Nous avons dégagé, au cours du congrès spécial sur la question nationale de juin 1979, les lignes de force de notre projet en ces termes: "L'appropriation collective des moyens de production et d'échanges; la redistribution de la richesse collective produite par le travail; la planification démocratique en fonction des besoins individuels et collectifs; le contrôle par les masses populaires, à tous les niveaux, des institutions et activités économiques, politiques et culturelles." Nous avons également situé notre intervention sur la question nationale comme une composante de notre projet de société, en inscrivant notre mouvement dans une démarche d'appropriation par le peuple québécois et de démocratisation des pouvoirs et institutions politiques, économiques et culturels. C'est par l'articulation de ces grands axes à des revendications à court, moyen et long termes que prend forme notre projet de société. Le socialisme et la démocratie constituent les deux lignes de force de notre projet parce que nous percevons dans ces deux dimensions des composantes essentielles et indissociables dans l'élaboration d'une société différente. Défendre les intérêts du peuple québécois. Le traitement fait au peuple du Québec dans les opérations de rapatriement et de formule d'amendement reflète une volonté d'asservir et de dominer que nous refusons. Le "Canada Bill" et sa formule d'amendement représentent de nouvelles menaces pour le développement et la survie même de notre peuple et permettent d'accroître notre dépendance politique, économique, sociale et culturelle. Nous refusons de reconnaître le "Canada Bill" qui fut imposé sans le consentement du Québec. C'est aux dépens du peuple québécois et des peuples autochtones, premiers habitants du pays, que le rapatriement aura été fait. Nous devons donc accentuer notre vigilance au cours des mois et des années à venir, puisque la constitution sera modifiée. Et cela d'autant plus que le gouvernement du Parti québécois, jouant au grand stratège, a fait jusqu'ici piètre figure dans les négociations constitutionnelles. Nous devrons, comme mouvement, formuler des propositions précises sur les enjeux en cause; dans la poursuite de notre réflexion et notre action, nous devrons rappeler notre plate-forme de revendications; nous devrons également continuer d'exiger du gouvernement du Québec qu'il démocratise les débats, qu'il associe le peuple pour négocier et qu'il formule enfin un projet de constitution du Québec, que nous avons à plusieurs reprises réclamé. Une rupture de plus en plus nécessaire. Aujourd'hui, le niveau élevé de concentration du capital, les exigences de sa restructuration, qui le poussent à faire reculer nos acquis, sa tendance à envahir tous les domaines de la vie collective et privée, et la complicité très évidente des différents paliers étatiques, nous rappellent la nécessité d'une rupture avec une société basée sur la recherche du plus grand profit, l'exploitation des classes populaires et le pillage du tiers-monde. Jamais cette volonté d'augmenter au maximum les profits n'aura été aussi envahissante, aussi destructrice de nos lieux et formes de travail, des maisons, des quartiers et des villes que nous habitons, de l'eau que nous buvons, de l'air que nous respirons et même des pluies acides qui nous tombent du ciel. Et jamais l'existence même de notre planète n'aura été aussi menacée par la prolifération des armes nucléaires, qui atteint des proportions que nous avons peine à nous imaginer. Rejeter les socialismes totalitaires. Si les développements récents du capitalisme nous rappellent l'urgence de réagir, la nécessité d'une rupture, le fonctionnement du "monde socialiste" nous interpelle certes tout autant, sinon davantage. Cela parce que nous nous réclamons du socialisme, d'un socialisme où les notions de démocratie, de libertés, de droits de la personne et des collectivités doivent apparaître au tout premier rang. "Trop souvent, et encore aujourd'hui, cet idéal a été asservi à des intérêts qui ne sont pas ceux des masses populaires qui l'avaient généré. On a dénaturé le socialisme, on l'a vidé des valeurs fondamentales qui le nourrissaient. Il a été utilisé au profit des intérêts des grandes puissances, c'est en son nom que des peuples se font la guerre, que des droits et libertés ont été brimés, qu'on a limité les libertés syndicales, qu'on a maintenu une organisation du travail aliénante, que s'est développé un nouveau dogmatisme, que des partis ont servi à consolider de nouvelles classes dominantes. " Nous tenions ces propos il y a trois ans, et depuis d'autres événements accablants sont venus illustrer leur pertinence. Comme militantes et militants syndicaux, nous avons été particulièrement attentifs et solidaires à l'extraordinaire développement du mouvement "Solidarité" en Pologne. De août 1980 à décembre 1981, Solidarité, par ses revendications et l'ampleur de ses mobilisations, a su être l'expression d'un vaste mouvement porteur d'espoir et de volonté de changement qui a traversé l'ensemble de la société polonaise. C'est par centaines de milliers que les travailleurs et travailleuses ont effectué des arrêts de travail et sont descendus dans les rues de Gdanks, Lodz et Varsovie. Revendiquant l'amélioration des conditions de travail et de vie, la démocratisation de la vie économique et politique, Solidarité aura, tout à la fois, assumé des fonctions économiques et politiques. Il aura su faire éclater le rôle étroit dans lequel on a toujours voulu enfermer le mouvement syndical des pays de l'Est. Solidarité aura été porteur de la régénérescence du socialisme. Et, sous prétexte de la survie du socialisme, l'État polonais, sous la tutelle pressante et autoritaire de l'Union soviétique, a mis au bagne des milliers de militants de ce mouvement. On a enlevé tous les acquis économiques et sociaux, les droits et libertés que Solidarité avait obtenus. Nous avons condamné énergiquement la répression du syndicalisme authentique de Solidarité. Nous croyons nécessaire, malgré les difficultés que cela représente depuis le 13 décembre dernier, de tout tenter pour venir en aide à nos camarades polonais, à tout le peuple de Pologne. "L'ancien ordre des choses". Considérons-nous la crise actuelle des sociétés capitalistes simplement comme une mauvaise phase à passer? Souhaitons-nous, tout simplement le retour à un "ancien ordre des choses", à un type de développement et d'expansion que nous avons déjà connus? Surtout pas. Et de toute façon cela serait un leurre. D'abord parce que la crise actuelle n'est pas un accident de parcours; elle est la conséquence même d'une certaine logique de développement et d'expansion à travers le monde. Elle est aussi le résultat de toutes ces mesures économiques et politiques qui mettent de l'avant les classes dominantes pour favoriser le retour à un certain type de croissance. Nous remettons aussi en question ce type de croissance. Nous ne voulons pas sortir de cette crise pour fortifier une économie basée sur l'inégalité, l'exploitation, l'oppression et la domination. Nous ne voulons pas qu'au sortir de cette crise, une minorité de grands monopoles possèdent, contrôlent et organisent encore davantage l'ensemble de nos activités de travail. Nous ne voulons pas d'un type de développement encore plus menaçant pour notre personne et notre milieu de vie. Nous ne voulons pas d'un type d'expansion qui se fera encore davantage aux dépens des peuples, de pays et de continents. Nous voulons sortir de cette crise en nous assurant que nous saurons poser de nouveaux jalons pouvant nous garantir que la voie même de sortie de crise saura nous mener à une société différente, où nous occuperons une meilleure place pour infléchir les choix de la société. Pour sortir de cette crise à notre avantage, nous aurons à faire preuve de combativité, mais aussi d'imagination et d'audace. Etre toujours présents au sein du peuple. Les critiques du syndicalisme se font plus acerbes. Sans doute est-ce là un phénomène tout à fait normal. Nous n'avons jamais eu les grands médias de notre coté. Mais cela atteint un point sans précédent. Lorsqu'on nous reproche de ne protéger que des fractions privilégiées de salariés, c'est là méconnaître les revendications que nous avons toujours avancées et avançons encore aujourd'hui pour l'ensemble des couches populaires. Le nombre de plus en plus élevé de personnes se retrouvant aujourd'hui en marge du marché du travail, et par conséquent, en marge de nos propres rangs, nous contraint à être plus solidaires et plus conséquents dans les luttes que nous menons. La multiplication du travail à temps partiel occasionnel, temporaire, précaire, la multiplication des chômeurs et des assistés sociaux posent de nouveaux problèmes, entraînent de nouvelles exigences. C'est toute une partie de la classe ouvrière qui risque de se retrouver ainsi comme citoyens de seconde zone. Au Québec seulement, il y a plus de 600 000 chômeurs et chômeuses et plus de 600 000 bénéficiaires de l'assistance sociale, dont près de 300 000 sont des jeunes. En tout, près de 20 pour cent de la population totale est réduite à l'inactivité, sans perspectives d'emploi, ni d'autonomie. Voilà, au plan économique, un gaspillage inouï des ressources humaines! Mais il y a encore bien plus, au plan humain, où c'est la dignité de la personne et sa créativité qui sont atteintes. Traditionnellement, notre mouvement s'est toujours défini comme profondément lié aux intérêts de l'ensemble des classes populaires. Dans "Les travailleurs organisés en mouvement" en 1970, nous affirmions: "Depuis ses débuts, la CSN a voulu épouser tous les intérêts des travailleurs, non seulement les intérêts professionnels défendus par la négociation de la convention collective, mais tous les autres intérêts sociaux, économiques et culturels." Aujourd'hui, notre souci d'assurer la défense des couches populaires les plus durement touchées par la crise doit prendre encore plus de résonance. Dans ce sens, nous faisons des revendications pour la création d'emplois, pour la protection du revenu des chômeurs et des assistés sociaux, pour la protection du pouvoir d'achat de l'ensemble des travailleurs et travailleuses, pour la baisse des taux d'intérêt, des revendications prioritaires entre toutes. Élargir nos formes d'appartenance. Cette présence auprès de l'ensemble des couches populaires nous incite également à penser à de nouvelles formes, à de nouvelles modalités d'organisation et de représentation . Ainsi, au congrès de juin 1978, nous précisions que pour réaliser des liens de solidarité, "il faut qu'éventuellement nous puissions entretenir des relations suivies et conduire des actions communes avec tous les regroupements de travailleurs, les non-organisés, les chômeurs, les jeunes (étudiants ou chômeurs), les ménagères, les immigrants, les retraités, les agriculteurs, les assistés sociaux, les handicapés, les cadres salariés, etc." Au congrès de juin 1980, nous allions plus loin dans ce sens, en proposant cette fois des modalités concrètes de regroupements, sur des bases syndicales, de sans-emploi. Des projets autour de cette volonté de rapprochement se sont mis en place. Les démarches varient d'une région à l'autre. Nous sommes encore bien loin de la mise sur pied généralisée de tels syndicats. Toutefois, vu la croissance continuelle du chômage, nous croyons important de ne pas abandonner ce projet et de mettre beaucoup plus d'ardeur et d'audace pour sa réalisation. Nous aurons à préciser l'appui concret que pourrait apporter la confédération, par l'intermédiaire de ses services généraux, à la création de tels syndicats. Notre volonté n'est pas d'empiéter sur le terrain des autres, mais au contraire d'assumer nos responsabilités sur différents fronts de lutte, notamment sur celui du chômage, où il est urgent de proposer, avec tous les organismes concernés, une large mobilisation de tous les travailleurs et travailleuses du Québec qui sont sans emploi. Occuper tous les champs de lutte. A l'occasion du quarante-neuvième congrès, en juin 1978, nous invitions les régions à réactualiser nos revendications relatives à la démocratie, aux questions de santé, aux questions scolaires, aux problèmes de logement, aux problèmes de transport, aux problèmes d'alimentation et de l'endettement, aux questions de l'environnement, à l'équipement social. C'était un bien vaste programme. En réalité nous entendions par cette proposition assurer le prolongement et l'enrichissement de notre action syndicale, dont nous avons souligné l'importance depuis 1968. Par exemple, nous devons tous nous loger et les besoins de logements accessibles et habitables sont grands. Nous sommes aussi ceux qui les construisons. C'est pourquoi les travailleurs de la construction revendiquent la rénovation urbaine dans les quartiers populaires, l'accès aux logements de qualité à prix modique, le droit à l'habitation pour le plus grand nombre. C'est ce que nous rappellent les travailleurs forestiers et du papier, lorsqu'ils exigent des mesures précises pour que la coupe du bois ne soit pas destructrice de nos forêts. C'est ce que nous rappellent également les travailleurs et travailleuses des pêcheries, lorsqu'ils avancent des propositions concrètes pour assurer la reproduction et la régénérescence de la richesse de nos fleuves et mers. C'est ce que nous rappellent aussi les travailleurs des mines lorsqu'ils exigent une exploitation contrôlée des richesses naturelles. Ce n'est pas d'aujourd'hui. C'est ce que rappellent enfin nos revendications, bien avant les années '60, par lesquelles nous avons demandé l'amélioration des politiques d'hygiène publique, le développement de services de santé adéquats ainsi que la gratuité de ces services, l'établissement d'un régime d'éducation universel, public et gratuit. Les luttes des travailleurs et travailleuses des affaires sociales ne sont pas étrangères aux réformes et à la création du régime public d'assurance hospitalisation, puis d'assurance-maladie. En démocratisant l'accès aux services de santé, ces mesures ont permis de diminuer notre retard quant à l'état de santé de notre population. De la même manière, les luttes des travailleurs et travailleuses de l'éducation ont permis l'amélioration considérable de l'enseignement, le développement des services d'appui, contribuant ainsi à hausser le taux de scolarisation du peuple québécois. Aux coupures dans les services publics, il faut opposer une implication accrue de l'État et une politique de démocratisation qui garantisse la qualité et l'accessibilité de ces services et qui assure un contrôle populaire sur leur gestion. Toutes ces préoccupations ne sont pas nouvelles à la CSN. Les luttes pour l'égalité entre les hommes et les femmes, pour l'indépendance et l'intégrité de la fonction publique, pour la liberté de presse, sont des manifestations de ces conquêtes qui jalonnent notre histoire. Enfin, cette recommandation que nous avons faite en 1978 sur la nécessité d'assurer la présence des conseils centraux sur des fronts de lutte plus larges, nous la reformulons aujourd'hui. Elle devrait d'ailleurs concerner tout autant les fédérations que les syndicats locaux. Car il y a dans chacun de nos milieux de travail bien des dimensions que nous pouvons questionner. Ce sont celles qui souvent se camouflent derrière le droit de gérance. Faire reculer ce droit, c'est s'engager sur la voie de sa démocratisation. Nous sommes les véritables producteurs et productrices des biens et des services, de l'ensemble des richesses collectives. Chercher à exercer une emprise plus grande sur notre travail, son organisation, sa finalité, c'est lutter pour la maîtrise de nos principaux moyens de production et d'échange, c'est aussi lutter pour la démocratisation des principaux leviers de la vie économique. Nous devons aussi demeurer attentifs à l'expression de nouveaux besoins. Les jeunes, sans doute, n'ont pas toujours la même perception du travail, de son contenu, de sa finalité, que les travailleurs plus âgés. Plusieurs travailleurs et travailleuses qui désireraient aménager autrement leur vie par rapport au travail, par rapport au temps libre, doivent pouvoir trouver dans nos revendications réponse à leur préoccupations et à leurs valeurs. Nous devons peut-être concevoir de nouveaux rapports entre le travail, les études et les loisirs. Toutes ces questions doivent demeurer ouvertes et nous aurons sans doute à les aborder davantage dans les années qui viennent. Un syndicalisme qui assume des fonctions économiques, sociales et politiques. Notre conception d'un syndicalisme ouvert sur la société, un syndicalisme qui assume tout à la fois des fonctions économiques, sociales et politiques, ne signifie pas que nous croyons être les seuls à assumer toutes les luttes des classes populaires. Là-dessus, notre point de vue est clair. Nous croyons que notre mouvement doit intervenir sur toute question qui concerne les classes populaires, mais cela à la manière d'une organisation syndicale, c'est-à-dire en tenant compte du type d'adhésion de nos membres et de notre lieu privilégié d'intervention, le milieu de travail. Lorsque nous croyons nécessaire d'intervenir comme organisation syndicale sur la question de l'énergie, des garderies, du logement, du chômage, de la solidarité internationale, ce n'est pas pour devenir les seuls porte-parole des luttes ouvrières et populaires. C'est parce que nous avons la conviction que cela nous concerne aussi, la conviction que la meilleure manière de faire avancer une cause, c'est d'être toujours plus nombreux à la partager, à la défendre et à nous battre pour la rendre victorieuse. Aujourd'hui, l'unité de nos revendications et de nos luttes est devenue une nécessité. La politique s'occupe de nous, nous devons nous occuper aussi de la politique. Par des législations multiples, l'État encadre le droit à la propriété privée de l'entreprise, les conventions collectives, les formes de syndicalisation. Il est présent au coeur même du milieu de travail, notre lieu privilégié d'intervention. Ignorer l'État, ignorer les politiques qu'il met en place pour gérer l'économie et le travail, ce serait par le fait même renoncer aux exigences de notre syndicalisme. Quand nous exigeons de l'État qu'il intervienne pour protéger les victimes de fermetures d'entreprises et de licenciements massifs, lorsque nous exigeons le contrôle démocratique de nos épargnes collectives, lorsque nous revendiquons la démocratisation des pouvoirs et institutions, nous faisons du syndicalisme aux dimensions politiques. Nous croyons que c'est nécessaire de le faire, que cela fait partie de nos engagements. S'occuper de question politiques ne signifie pas que nous entendons nous transformer en organisation politique. Ce sont des questions que nous avons clarifiées dans le passé. Il faut y revenir constamment parce que sur ce point, on n'a pas toujours voulu nous comprendre et que nos adversaires aiment semer la confusion. Tout en concevant que nous avons à assumer notre syndicalisme en y intégrant la dimension politique, nous avons également souhaité la création d'une véritable organisation politique des travailleuses et travailleurs québécois. Au congrès spécial sur la question nationale, nous avons été très explicites sur ce point: "Tout en réaffirmant l'autonomie, l'indépendance de la démarche syndicale, ce qui implique qu'elle ne saurait d'elle-même participer à la création d'une organisation politique, la CSN, fidèle en cela à son histoire récente, croit également nécessaire pour les travailleurs québécois de se donner, sur des bases autonomes, un outil politique qui leur soit propre afin de favoriser une plus grande convergence des luttes ouvrières et populaires et de s'assurer une véritable transformation des pouvoirs et des institutions politiques, économiques et culturelles." Poursuivre un syndicalisme combatif, démocratique et audacieux. Nous proposons de développer encore davantage ce syndicalisme ouvert sur la société et sur le monde, ce syndicalisme qui interroge, cherche, propose sur tous les fronts, ce syndicalisme qui refuse l'encerclement de la logique du profit, l'encerclement de la croissance sans questionnement. Nous voulons poursuivre notre combat pour un syndicalisme démocratique et audacieux. Un syndicalisme qui se bat pour tous les laissés pour compte, tous les exploités, les opprimés. Un syndicalisme qui n'évite aucune question même lorsque les réponses ne sont pas faciles à trouver. Un syndicalisme qui propose au jour le jour des solutions, des alternatives nouvelles. Un syndicalisme qui sait devoir proposer des transformations des façons de produire et de vivre. Voilà pourquoi notre syndicalisme dont le champ d'intervention privilégié demeure le lieu du travail, entend aussi avoir une emprise sur son organisation, sa finalité. Voilà pourquoi notre syndicalisme pose ainsi constamment la nécessité de faire le lien entre l'usine, le bureau, l'hôpital, le chantier l'école et la société; de faire le lien entre le travail et la société. Enfin notre perspective se veut aussi ouverte sur le futur, pour y être présent, pour s'assurer qu'il sera le reflet de ce à quoi nous aspirons. Pour de nouveaux pouvoirs. Lorsque nous avons tenu notre cinquantième congrès, l'exécutif affirmait que tout le phénomène de la réorganisation du travail représentait le défi majeur posé aux organisations syndicales dans la décennie '80. Nous insistons à nouveau, dans le présent rapport, sur la nécessité d'aménager une riposte syndicale devant les intentions clairement exprimées par le capitalisme, qui procède actuellement à une réorganisation visant à le raffermir. Il s'agit-là, on l'a vu, d'une réorganisation qui s'effectue au niveau mondial, national, local, dans chaque usine, dans chacun des lieux de travail. Cette réorganisation s'appuie sur de nouvelles discriminations entre scolarisés et moins scolarisés, travailleurs intellectuels et manuels, etc. Les opérations qui accompagnent cette réorganisation font apparaître la grande fragilité de nos structures industrielles: des secteurs complets s'écroulent, entraînant dans leur chute des milliers d'hommes et de femmes dans la misère. Ces opération font aussi apparaître, en même temps, l'énorme pouvoir de chantage des forces de l'argent. Bâtir le Québec, il va dans le même sens. Nous devons donc organiser une riposte syndicale percutante. On cherchera, bien sûr, à discréditer nos thèses, à écarter nos inquiétudes face à la réorganisation du travail. On ironisera sans doute en disant que la CSN s'oppose au progrès et voudrait revenir "au temps des charrettes et des lampes à pétrole". Est-il nécessaire de rappeler à ces chevaliers de l'industrie qu'au début des années soixante, ils nous promettaient l'avènement de la société de loisirs pour la décennie quatre-vingts? C'était ignorer qu'en régime capitaliste, ce n'est pas aux loisirs que conduisent la concentration du capital et la recherche des profits, mais au chômage ! Le système capitaliste ne vise pas l'affranchissement de l'homme et de la femme. Il les soumet aux impératifs de l'enrichissement et du pouvoir d'une minorité. Nous sommes de plus en plus nombreux à saisir la logique interne de ce système. Ainsi, même lorsque le développement technologique représenterait un progrès en ce qui a trait à la production, notre fonction syndicale de défense des droits et intérêts des travailleurs et des travailleuses demeure et doit s'accentuer. De nouveaux pouvoirs. C'est dans cette perspective que la CSN estime nécessaire, que soient revendiqués et conquis de nouveaux pouvoirs pour les travailleurs et travailleuses. Une perspective qui, d'ailleurs, a toujours été présente dans notre organisation. Qu'on se rappelle notre cheminement au cours des vingt dernières années. Régulièrement nous nous sommes préoccupés de la place occupée par les travailleurs et les travailleuses dans la société, dans les entreprises, dans les différents lieux de travail; nous avons tenté de créer des conditions objectives pour augmenter leur prise sur le réel, sur la finalité de leur travail. Nous entendons poursuivre. La déqualification, le déclassement des travailleurs, leur réduction au chômage et à l'assistance sociale doivent être évités pendant "cette révolution technologique" en cours aujourd'hui. Ces conséquences néfastes ne seront évitées que si les travailleurs et travailleuses réussissent à aller chercher de nouveaux pouvoirs, susceptibles d'élargir davantage le champ de leurs interventions. Il nous faut agir dans toutes les manifestations de la vie économique, sociale, politique. Il ne faut jamais craindre d'occuper le plus de place possible. En premier lieu, au travail. "J'ai toujours cru profondément que les limites de la convention collective pouvaient être repoussées toujours plus loin", disait notre camarade Marcel Pépin dans le rapport au congrès de 1976. C'est là une conviction partagée par tout le mouvement, la convention collective demeure l'outil privilégié de transformation pour nos membres. Pour faire reculer l'arbitraire patronal, pour faire régresser les droits de gérance, pour atteindre plus de justice et d'équité. Une illustration concrète. Durant les derniers mois, il m'est arrivé à plusieurs reprises de relever l'exemple des négociations dans le secteur des affaires sociales, en 1966, pour illustrer de façon plus concrète ce qui pouvait être compris dans cette formule de conquête de nouveaux pouvoirs. Ceux et celles qui ont vécu cette négociation, il y a maintenant 16 ans de cela, et qui sont ici aujourd'hui, s'en souviendront certainement; les autres, qui oeuvrent dans le milieu, sauront à quoi je fais référence. Disons dès le départ que cette négociation n'avait pas donné lieu à des gains salariaux particulièrement éclatants. Au niveau des pouvoirs, par contre, les gains avaient été spectaculaires. A la suite d'une grève de trois semaines, les travailleurs et les travailleuses avaient réussi à faire éclater plusieurs des formes de domination qui s'exerçaient à plusieurs paliers de la vie en institution. Ainsi, à la gestion autoritaire des administrations sur le personnel, les syndicats ont opposé la notion de "poste". A un contrôle excessif sur l'exécution du travail, à la discipline patronale, les syndicats ont opposé la notion de "liberté syndicale". Au régime de préférence, de népotisme imposé par les directions, religieuses la plupart du temps, les syndicats ont opposé la "règle d'ancienneté" et la "promotion". A l'arbitraire de l'organisation du travail, les syndicats ont imposé des comités de nursing qui ont grandement contribué à améliorer non seulement les conditions de travail dans les institutions, mais aussi la qualité des soins offerts à la population. Atteindre nos objectifs, adapter nos stratégies. Nous savons que la crise que nous subissons est le résultat des choix de développement, des décisions économiques et du fonctionnement capitaliste; que tout cela se joue sur un terrain où nous sommes à peu près complètement absents. C'est cette situation qu'il nous faut pouvoir transformer. Dans la poursuite de nos objectifs globaux, qui consistent à aller chercher davantage de pouvoirs pour la classe ouvrière, il est normal que nous devions adapter nos stratégies en fonction des circonstances. C'est, fondamentalement, ce que font les syndicats depuis qu'il en existe. Plus que jamais, nous avons le devoir d'être attentifs face aux enjeux sociaux, aux besoins de nos membres; d'être rigoureux dans nos analyses, déterminés dans nos mobilisations. Il n'est pas exagéré de le dire: les moments que nous traversons sont parmi les plus difficiles qui nous aient été imposés. Nos choix, nos décisions, nos orientations doivent s'ajuster sur l'amélioration des conditions de vie des travailleurs, des travailleuses et des classes populaires. Tenter de trouver la faille chez l'adversaire; savoir déceler à quel niveau il est le plus vulnérable; identifier le plus exactement possible sur quoi, en vertu des données objectives, doivent porter nos efforts militants pour qu'ils aient le plus de chance de réussir, c'est à cela, à l'élaboration d'une stratégie pour provoquer le changement, plus que jamais, qu'il faut nous consacrer! Etre plus nombreux, une urgence. Si nous sommes trop absents de ces décisions prises par les pouvoirs économiques, que s'empressent d'endosser les pouvoirs politiques, cela est dû, en grande partie, au fait que nous sommes très peu nombreux à être syndiqués. Donc mieux en mesure de nous défendre. Comme l'a démontré une étude que nous avons produite cette année à partir des données du Bureau de recherche sur la rémunération du Conseil du trésor, la progression salariale des travailleurs et travailleuses syndiqués des secteurs privé et public a été la même depuis dix ans. C'est entre syndiqués et non-syndiqués que les différences existent; elles sont dues au faible taux de syndicalisation dans le secteur privé: 20 pour cent tout au plus, alors que ce niveau est de 90 pour cent dans le secteur public. Il est donc urgent d'élargir le taux de syndicalisation pour que les hommes et les femmes du Québec puissent mieux se défendre, pour que le poids global des travailleurs et travailleuses organisés soit augmenté dans la société et que soient modifiées des conditions de travail lamentables et les salaires insuffisants des non-syndiqués. Le présent, l'avenir. Arrivés au terme de ce rapport, camarades, je voudrais redire avec force ma profonde conviction que c'est sur nous-mêmes qu'il faut miser pour se sortir du drame collectif dans lequel les gouvernements, par leurs politiques, nous enfoncent. Il faut que nous entreprenions tous les combats nécessaires pour forcer, à tous les niveaux, par notre mobilisation, les pouvoirs économiques, les pouvoirs politiques, à nous donner les leviers économiques nécessaires pour que le développement soit démocratique, qu'il se fasse dans le sens de nos intérêts plutôt que dans celui des multinationales ou des grandes entreprises. C'est par le contrôle constant de notre développement économique, par une planification soumise aux intérêts du monde que nous pourrons lutter efficacement contre le chômage, pour le plein emploi, pour permettre au monde de vivre autrement que dans l'incertitude. C'est tous ensemble, camarades, militants et militantes, qu'il nous faudra entreprendre les combats nécessaires à la réalisation des objectifs exigeants que nous poursuivons. Ce tous ensemble, c'est la réponse qu'il faut opposer aux forces politiques, aux forces de l'argent, quand elles veulent nous soumettre à leurs volontés. C'est tous ensemble, camarades, militants, qu'il nous faut poursuivre cette grande marche ouvrière, prendre en compte le présent pour mieux préparer l'avenir.