*{ Discours néo-libéral CSN, 1984 } S'organiser pour travailler et vivre autrement. Rapport de l'Exécutif de la CSN, cinquante-deuxième congrès. Au moment où nous entreprenons les travaux du cinquante-deuxième congrès, l'inquiétude, le chômage, la désespérance frappent des centaines de milliers de Québécois. Même si certains indicateurs économiques semblent annoncer une reprise depuis quelques mois, les personnes à bas revenus, les sans-emploi, qu'ils soient hommes ou femmes, jeunes ou plus âgés, ne constatent pas, dans la grisaille de la vie quotidienne, que cela commence à aller mieux. Sous les dehors scintillants de notre société de consommation, la pauvreté existe. Selon le Comité spécial du Sénat sur la pauvreté, une famille sur cinq au Canada vivait sous le seuil de la pauvreté en 1982; au Québec, 24 pour cent des familles étaient dans cette situation. Des milliers, qui occupent un emploi précaire, vivent l'incertitude quant aux lendemains; une génération entière de jeunes s'enlise dans un trou noir, ne voyant pas venir le jour où il pourrait être possible de rêver même à un emploi. Tout cela, camarades, nous interpelle. Tout cela nous presse de réfléchir, nous presse d'agir. C'est notre rôle, c'est notre devoir de dire quelles sont les conditions d'existence du monde ordinaire. Nous sommes réunis dans un mouvement qui n'a jamais cessé de répondre aux aspirations du peuple et d'exprimer ses besoins à la face d'un système qui se satisferait fort bien que le peuple n'ait pas de voix; nous devons parler, nous devons crier même si cela dérange certains conforts. C'est de cette façon que s'est bâti notre mouvement; en n'acceptant aucune compromission sur l'essentiel de sa mission de défendre ses membres en même temps que les intérêts larges des classes populaires. C'est une jonction qui est et qui doit être permanente. Elle doit toujours être au coeur de nos choix syndicaux et marquer nos stratégies d'action. La nature du congrès. Un congrès comme celui qui s'ouvre aujourd'hui est un temps fort dans l'exercice de notre démocratie syndicale. Avant nous, depuis 1921, des dizaines de milliers de militantes et de militants se sont réunis plus d'une cinquantaine de fois en congrès régulier; ce rappel nous réinscrit dans l'histoire et nous fait constater que d'autres avant nous, des hommes et des femmes de toutes les régions et de toutes les conditions, ont construit cette organisation ouvrière. En leur témoignait aujourd'hui un immense respect, rappelons-nous que c'est en bâtissant ce mouvement qu'ils ont fait avancer toute la société. Ce sentiment de respect ne va pas sans un sentiment de fierté. Nous sommes d'un mouvement qui a profondément marqué le développement du Québec; ses luttes ont provoqué un grand nombre de changements à l'avantage de la population. Un congrès, c'est aussi une occasion unique de se souvenir que les progrès sociaux ne sont pas des cadeaux qu'un bon jour les politiciens en place décident de faire au peuple. Non! Ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Ce n'est que sous la pression du peuple organisé, du mouvement syndical, que le sort du monde ordinaire est amélioré. C'est sous les pressions populaires, auxquelles le mouvement syndical n'a jamais été étranger que des changements majeurs sont survenus. Rappelons-en quelques-uns qui ont apporté davantage de dignité pour des millions d'hommes et de femmes de tous les âges et de toutes conditions: l'assurance chômage, l'assurance hospitalisation, l'assurance maladie, l'assurance automobile. Sur d'autres plans, comme en ce qui a trait aux programmes d'accès à l'égalité pour les femmes, le principe d'un salaire égal pour un travail de valeur égale, la gratuité scolaire, des gains importants ont été réalisés, même s'il reste encore beaucoup à faire. La CSN a toujours été au tout premier rang de ces combats pour la construction d'une société plus juste, plus humaine, plus respectueuse des droits des personnes; une société où la satisfaction des besoins doit avoir préséance sur la loi de l'offre et de la demande, la loi du profit. Se rappeler ces combats d'hier donne le courage de poursuivre les combats d'aujourd'hui et d'entreprendre ceux de demain! Notre congrès est aussi une occasion de faire le point sur notre vie syndicale. En ayant la sagesse et le courage d'identifier les ajustements toujours nécessaires, nous garantissons à nos membres affiliés, de même qu'à celles et à ceux qui veulent joindre nos rangs, que leur syndicat, leur mouvement constitue encore le meilleur instrument de défense et de transformation sociale. Pour nous, pour les autres. C'est sur nous tous, militants, que repose la responsabilité d'expliquer à nos camarades de travail dans les usines, dans les institutions, sur les chantiers, dans les bureaux, partout, que l'appartenance au mouvement permet d'améliorer leurs conditions de travail et de vie, de négocier de meilleurs conventions. C'est aussi sur nous tous, militants, que repose la responsabilité de faire partager une conviction encore plus large à nos camarades de travail, la conviction que nos syndicats, nos conseils centraux, nos fédérations, nos instances, notre mouvement constituent des outils majeurs dans la construction d'une société différente. C'est là le sens profond du syndicalisme. Quand on se bat pour ses conditions de travail, on fait en même temps progresser celles des autres. Et quand d'autres travailleurs mènent des luttes acharnées et souvent héroïques, il nous faut comprendre, il nous faut expliquer que ces camarades sont au coeur même d'une lutte encore plus large, une lutte engagée par les classes populaires contre l'injustice, contre l'exploitation, contre le mépris! Ces luttes nous touchent, ces luttes nous concernent, ces luttes nous engagent! C'est le sens de la fraternité; c'est le sens de la solidarité! C'est le sens de la résistance quotidienne au désordre établi. "Chaque syndicat dépend de la force des autres syndicats autant que de la sienne propre. Personne ne peut nier cela. Chaque geste, chaque décision, chaque lutte, chaque instant de courage, chaque risque, chaque refus de reculer ont servi.'' S'appuyer sur le passé pour préparer l'avenir. Le comité exécutif est conscient de la multitude de questions qui auraient pu être abordées dans le cadre de ce rapport. Mais nous avons délibérément décidé de mettre l'accent sur des analyses et des propositions qui nous permettront, nous en sommes convaincus, d'assurer dans chacun de nos syndicats un regain de vitalité syndicale. Nous remettrons de l'avant nos revendications portant sur le secteur des lois du travail; il faut y revenir avec une nouvelle vigueur, au moment où se dessinent au gouvernement et dans d'autres organisations syndicales des tendances qui doivent inquiéter. Au plan économique, nos propositions seront concrètes. Elles portent sur différents niveaux d'intervention: la Caisse de dépôt et de placement, au plan étatique, devrait jouer un rôle encore plus important dans le développement du Québec et la création des emplois. Au plan syndical national, nous devons mettre des énergies et développer des propositions pour que les centaines de millions qui se trouvent dans les caisses de retraite des syndicats affiliés à la CSN soient davantage à la portée des décisions des travailleurs, pour qu'ils servent mieux au développement du Québec, dans l'intérêt des hommes et des femmes qui y vivent. Au niveau du syndicat local, nous avançons l'idée que les syndicats mettent sur pied des Régimes enregistrés d'épargne-retraite collectifs, dont ils pourraient contrôler aussi bien la gestion que les choix d'investissements. Nous soutenons que l'argent est là et que ce qui importe, c'est d'intervenir collectivement pour canaliser ces épargnes dans l'intérêt de nos membres et d'un développement économique qui se ferait autrement que ce qu'on connaît aujourd'hui. C'est ainsi que pour travailler et vivre autrement, il nous faudra constamment soutenir des propositions, les faire passer dans nos conventions collectives, pour que les nouvelles technologies qui s'implantent dans tous les milieux de travail servent les travailleurs et les travailleuses. Une vigilance syndicale nous permettra de nous assurer qu'il s'agira alors de progrès véritables pour la société. Dans un monde où tout pourrait concourir à nous amener à nous replier sur nous-mêmes, il nous faut poursuivre avec acharnement notre fonction de semer des idées, de les défendre, de mobiliser pour qu'elles prennent forme et finissent par profiter à l'ensemble. C'est de cela, essentiellement, qu'il sera question dans ce rapport. Depuis le dernier congrès. Des luttes: les travailleuses et les travailleurs résistent. Depuis deux ans, nos membres ont vécu les mêmes conditions difficiles que l'ensemble des Québécois ont eu à affronter: une situation économique frisant la catastrophe nationale, un taux de chômage officiel qui approche les 15 pour cent, des secteurs industriels en décroissance accélérée, des régions entières à toutes fins pratiques fermées. C'est dans ce climat d'insécurité nationale que nous avons subi, comme l'ensemble des Québécois, l'agression d'un gouvernement qui a profité de manière arrogante de la crise économique, à l'image des grands patrons des multinationales. Mais en utilisant de cette façon la crise économique, le gouvernement québécois a ouvert une nouvelle crise, sociale et politique celle-là, dont il portera devant l'histoire l'entière responsabilité. Nos luttes se sont donc menées sous le signe de la résistance. Dans les services publics, une résistance quotidienne à des lois autoritaires qui ont menacé et menacent encore nos libertés fondamentales et nos droits syndicaux. Dans le secteur privé, une résistance acharnée aux volontés patronales pour nous forcer à accepter des concessions salariales et à abdiquer nos droits acquis. Comme dans toutes les périodes de crise, la lutte syndicale a été plus difficile; toutes les revendications n'ont pas été satisfaites mais la vie syndicale a été maintenue, ce qui nous permet de revenir à la charge. "Le gouvernement par décret". Quelques jours après notre dernier congrès, le 11 juin 1982, nous nous sommes retrouvés plus de 20 000 à Québec, dans une manifestation unitaire de trois centrales pour dénoncer le budget Parizeau; ce budget venait consacrer la volonté gouvernementale de couper dans les effectifs et dans les services à la population. Nous voulions aussi dénoncer les lois 68, 70 et 72, qui venaient d'être adoptées. Sept mois plus tard, le 29 janvier 1983, nous étions plus de 50 000 cette fois, militants de la FTQ, de la CEQ, de la CSN, de syndicats indépendants, de groupes populaires pour dénoncer l'autoritarisme en train de s'installer au gouvernement. Les enseignants, en particulier ceux affiliés à la FNEEQ, ont mené une lutte particulièrement courageuse dans les circonstances; malheureusement, les résultats n'ont pas correspondu à l'énergie et à la solidarité qui avaient été investies. Avec le recul, on constate aujourd'hui les effets terribles produits par l'action du gouvernement dans la dernière ronde de négociations du secteur public. Des effets qui sont visibles aussi bien sur la qualité des services que sur ceux chargés de les assurer. Au plan syndical, l'échec de ces négociations n'a pas manqué de provoquer, à tous les niveaux, la réouverture de plusieurs débats: notre fonctionnement interne, nos choix stratégiques, le régime et les niveaux de négociations, le rapport de forces public, nos liens avec les autres organisations syndicales, la place des usagers, etc. Mais la sévérité de l'échec exige que nous allions au bout de tous ces questionnements. Il y a par ailleurs quelque chose d'absolument inacceptable dans cet acharnement du gouvernement à mettre la hache dans tout ce qui avait été péniblement bâti depuis vingt ans dans les services publics, sous le prétexte d'un déficit budgétaire. Les conséquences sont néfastes pour la société québécoise. Il est dangereux de confier des décisions aussi engageantes pour un pays à des apprentis-sorciers dont les politiques et les propositions sont le reflet de la lecture qu'ils ont faite des derniers sondages. C'est ainsi que nous sommes entrés, au Québec, dans une ère que le professeur Léon Dion, de l'Université Laval, qualifiait l'hiver dernier de "gouvernement par décrets". Cela fait une belle jambe à la supposée social-démocratie et ne manque pas d'inspirer des gouvernements de même tendance. Les travailleurs de la Colombie Britannique vivent depuis quelques mois des agressions similaires, sous le gouvernement créditiste de Monsieur Bill Bennett: dans le secteur public, dans la construction, dans l'industrie du papier. Quand le gouvernement Lévesque a adopté la loi 70, il avait pourtant été prévenu qu'en s'enfermant dans une logique aussi infernale, il déclencherait une série de mécanismes dont on a pu constater les effets profondément négatifs sur les travailleurs et les travailleuses, sur la population, sur la qualité des services qui lui sont fournis, sur notre collectivité. Au moment de l'étude de cette loi en Commission parlementaire, les trois centrales avaient affirmé ceci: "Les acquis démocratiques ne tiennent pas uniquement au parlementarisme, n'en déplaise aux parlementaires. Les acquis démocratiques tiennent aussi dans les règles non écrites qui permettent à la justice et à l'équité de prendre forme. Parmi les libertés fondamentales qui servent une plus grande justice sociale apparaissent, au tout premier rang, les libertés d'association, de réunion, de négociation et de grève. Le gouvernement du Québec devrait en tenir compte. Il est significatif que tous les États qui ont opprimé ont d'abord contraint, limité, puis nié les libertés syndicales." Quelques mois plus tard, dans un texte publié dans le journal La Presse, Pierre Vadeboncoeur écrivait que "le gouvernement pourrait, devrait laisser tomber cette invention abstraite qu'est la loi no 70. Elle porte en elle le principe d'une logique fatale". Ce qui a suivi, ce sont 50 000 pages de décrets et la loi 111, dénoncée publiquement par le mouvement syndical et l'ensemble des organismes voués à la défense des droits et libertés. Car ceux et celles qui ont à coeur la démocratie ont compris qu'on ne mine pas sans risques la crédibilité des seules institutions qui appartiennent en propre aux travailleurs et aux travailleuses: leurs organisations syndicales. En frappant comme il l'a fait dans des mécanismes d'ajustements sociaux, dont ceux de la libre négociation, le gouvernement Lévesque s'est chargé, devant l'histoire, de lourdes responsabilités. Un gouvernement qui fonde sa politique sur l'affrontement plutôt que sur la négociation, sur l'écrasement des groupes plutôt que sur les ajustements nécessaires et normaux ne peut, en même temps, prétendre vouloir "bâtir un pays". Ce constat, un ex-ministre de ce gouvernement, Monsieur Louis O'Neil, l'a fait lui aussi en écrivant le 26 janvier 1983: "Une drôle d'odeur flotte dans l'air. On a vécu le passage de l'étapisme au lévesquisme. Puis celui-ci, par retouches successives, s'est transformé en une sorte de duplessisme à la moderne. Or, les derniers événements font croire que le processus de transformation pourrait ne pas s'arrêter là. On dirait parfois comme une rumeur de bruits de bottes dans les coulisses". La tutelle. Il y a un an aujourd'hui, le 13 mai dernier, le gouvernement imposait au syndicat de l'entretien de la CTCUM une tutelle qui, nous continuons de l'affirmer, ne constitue rien d'autre qu'une vengeance exercée à l'endroit d'un syndicat militant. Nous continuons d'exiger la levée de cette tutelle qui ne sert en rien les intérêts des travailleurs, ni ceux de la population. Il faut également souligner le règlement intervenu en décembre, qui assure entre autres la réintégration des 19 membres du syndicat congédiés au moment de l'imposition de la tutelle. La réintégration des 19 était une revendication prioritaire pour le syndicat. D'autres lois inopportunes. C'est devenu un mode de fonctionnement à peu près habituel pour le gouvernement Lévesque que de passer des lois qui font l'unanimité contre elles. La loi 43 portant sur les travailleurs et les travailleuses à pourboire en est un exemple frappant. La revendication de la CSN et de l'Association des gens à pourboires, avec laquelle nous menons la lutte, est pourtant simple: il est normal de payer des taxes, en autant qu'on bénéficie en retour des mêmes avantages sociaux que les autres catégories de travailleurs. Et la façon la plus équitable en même temps que la moins compliquée à administrer consiste à prélever un pourboire automatique de 15 pour cent sur les factures, pour tenir lieu de frais de services. Le projet de loi présenté par le ministre Marcoux a soulevé un tollé de protestations: personne n'en voulait. On a donc changé de ministre. Le nouveau étudie la question. Un phénomène semblable s'est produit avec le projet de loi 40 sur la restructuration scolaire. Des objections importantes ont été soulevées dans tous les milieux, sans que les aspects positifs ne soient suffisamment nombreux pour faire le contrepoids. On a donc changé de ministre. Le nouveau étudie la question. La sécurité-santé. Cédant clairement aux pressions patronales, le ministre du Travail Reynald Fréchette a proposé, dans le projet de loi 42, des amendements au chapitre des indemnités versées aux accidentés et aux victimes de maladie du travail. Il s'agit d'une véritable remise en question de grands principes acquis par les travailleurs et les travailleuses, une agression que nous avons condamnée et que nous avons dénoncée, aussi bien en Commission parlementaire qu'au cours d'une mobilisation nationale au printemps. Le projet de loi 42 a pour effet de diminuer, par les mécaniques qu'il propose, la responsabilité des employeurs par rapport aux accidents et maladies du travail. Le régime actuel d'indemnisation, bien que désuet et perfectible, est un régime d'assurance. Le projet de loi nous propose un régime d'assistance qui aurait pour conséquence de faire porter par l'ensemble de la collectivité une partie de la responsabilité d'assurer un remplacement de revenu aux victimes, allégeant de ce fait la part de responsabilité des employeurs. Un autre aspect condamnable du projet de loi réside dans la capacité donnée à la CSST de décider du moment ou encore du type d'emploi que devrait obligatoirement occuper une victime d'accident ou de maladie. Encore là, place ouverte à l'arbitraire. Dans cette lutte que nous avons entreprise avec d'autres groupes syndicaux et populaires, il y a des acquis sociaux à défendre et à améliorer. Rappelons-nous les efforts du mouvement pour protéger la santé des travailleurs de l'amiante, ce qui s'était concrétisé en 1975 par l'adoption de la loi 52 qui, même imparfaite, constituait une certaine amélioration. Tout cela est remis en cause. Nous avons été sur la première ligne dans la prise de conscience qui a mené à une meilleure protection pour les victimes d'accident ou de maladie du travail. Je souligne les deux grandes enquêtes que nous avons menées avec l'appui de l'Institut du Mont Sinaï, de New York, avec les travailleurs de l'amiante de Thetford et ceux de la Noranda, dans le Nord-Ouest. Nous comptons défendre les acquis du régime actuel d'indemnisation face aux volontés gouvernementales de limiter encore davantage le droit aux indemnités et à la réadaptation, d'augmenter la pression pour que les victimes retournent au travail prématurément, au risque d'aggraver leur santé. Nous voulons souligner le travail accompli par le syndicat d'Expro, à Valleyfield. Dans son rapport publié à la suite de son enquête publique, la Commission Beaudry reprend environ 80 pour cent des revendications formulées par le syndicat. Une somme de $ 15 millions devra être investie d'ici 1987 pour assurer une meilleure sécurité. Rappelons qu'en moins de quatre ans, quatre ouvriers ont trouvé la mort à la suite d'explosions dans cette usine, sans compter les nombreux autres qui ont été intoxiqués. Il y a quelques semaines à peine, le syndicat a dû intervenir à nouveau pour forcer la compagnie à poursuivre les investissements nécessaires à la sécurité. La grande marche pour l'emploi. Lancée au dernier congrès, la Grande Marche pour l'emploi s'est mise en branle en décembre 1982. Elle a regroupé des victimes de fermetures d'usines: Brown Boveri à Montréal, Vaillancourt à Québec, la Tannerie de Saint-Pascal de Kamouraska, Slacks de Waterloo, Aciers Sorel, etc, des hommes et des femmes victimes de mises à pied massives dans les mines d'amiante, dans les usines de papier, dans les chantiers navals, la forêt, à Thetford, à Sorel, à la Vickers, aux Industries Bourassa de Portneuf, au moulin de papier de Saint-Raymond, dans les scieries de la Gaspésie et de la Côte-Nord. Dans toutes les régions, des travailleurs ont témoigné à leur manière pour sensibiliser la population quant à l'urgence de maintenir et de créer des emplois, à l'urgence de protéger le droit au travail. "Priorité à l'emploi", disaient-ils. Plusieurs jeunes se sont impliqués dans l'organisation de cette Grande Marche appuyée par les mouvements chrétiens, dont l'Assemblée des évêques. Les actions aux niveaux local et régional ont été privilégiées. Nous n'avons pas réussi à atteindre tous les objectifs que nous nous étions fixés, la jonction avec notre stratégie pour l'emploi dans tous les secteurs n'ayant pas été aussi forte qu'espérée. Nous estimons cependant qu'il s'est fait un important travail d'enracinement de nos revendications sur l'emploi. La loi du lock-out. Dans cette agression contre les travailleurs et leurs droits, le patronat, de manière concerté, s'est livré à l'intimidation caractérisée. C'est ainsi que depuis quelques années, l'utilisation du lock-out a été particulièrement privilégiée par les capitalistes désireux de jouer sur tous les tableaux pour atteindre leurs fins: intimider suffisamment les travailleurs pour pouvoir réussir à imposer des reculs. Pendant plusieurs mois, notre mouvement a vécu un phénomène nouveau, soit celui de compter environ trois fois plus de lock-outés que de grévistes; c'est là à notre avis un signe qui ne trompe pas de l'utilisation patronale de la crise économique pour forcer les travailleurs et les travailleuses à se plier à leurs conditions. Mais dans plusieurs cas, le calcul patronal s'est avéré mauvais: c'était compter sans la détermination et le courage de nombreux groupes de syndiqués qui ont su organiser la résistance et finir par faire triompher leurs droits. Souvent ce sont de nouveaux syndicats qui ont été victimes de ces assauts patronaux. On a vu des sociétés largement subventionnées comme le Canadien Pacifique mener des guerres de tranchées, au Château de l'aéroport de Mirabel, par exemple. Pendant d'interminables mois, les menaces de fermeture se sont succédées, entrecoupées de tracasseries juridiques. Mais après onze mois de résistance, les employés ont obtenu gain de cause dans leurs objectifs. Leur lutte est venu concrétiser encore plus le relèvement incroyable des conditions de travail dans l'hôtellerie depuis que la CSN y a effectué une percée. A Télé-Métropole, ce n'est qu'après 14 mois de lock-out que les 170 techniciens ont réussi à signer une convention collective satisfaisante. Chez Menasco, les travailleurs ont été mis à la rue depuis deux ans; on ne sait pas à quel impératif économique répond la fermeture et la menace du déménagement de l'entreprise, sinon la volonté d'échapper à un syndicalisme authentique. Nous sommes revenus à la charge auprès du fédéral pour qu'il adopte une loi anti-scab; nous y reviendrons encore, car nous estimons qu'il s'agit là d'un minimum. Mais les campagnes de boycottage, les tournées de solidarité, la mobilisation, le soutien du mouvement, en particulier par notre fonds de défense, finissent par ébranler ces volontés patronales d'asservir, de briser les reins, de casser les syndicats. Bien souvent atteints au plus profond d'eux-mêmes par l'insécurité, l'inquiétude du lendemain, par la peur et le chantage, frappés parfois dans leurs biens et leur famille, ces hommes et ces femmes ont cependant conservé la plus précieuse des forces, dans les difficultés qui ont été traversées: la force du lien syndical, la force de la solidarité, et c'est avec dignité qu'après de longs mois, plusieurs ont su gagner leur cause. Dans la construction. Dans l'industrie de la construction, 22 000 travailleurs ont perdu en 1982 leur permis de travail parce qu'il leur avait été impossible d'accumuler, en deux ans, les 1 000 heures nécessaires au renouvellement de ce permis. La CSN-Construction a donc fait circuler sur l'ensemble des chantiers, au cours de l'été 1983, une pétition exigeant du gouvernement le renouvellement automatique des cartes de qualification jusqu'en 1986. Les travailleurs de la construction paient chèrement l'insouciance des autorités à protéger leurs emplois sur les chantiers: déjà près du tiers du travail est effectué clandestinement, donc sous payé. Utilisée illégalement, la main-d'oeuvre est exploitée sans vergogne par un patronat qui a vu ses profits augmenter de plus de 50 pour cent durant cette période. Nous avons obtenu le renouvellement automatique des cartes pour l'ensemble des travailleurs de la construction; c'est là une victoire importante mais l'ensemble reste à consolider. En effet, il apparaît de plus en plus clair que la FTQ-Construction est davantage intéressée à l'élimination de la CSN qu'à négocier en fonction de véritables intérêts de tous les travailleurs de ce secteur. Mais pour ceux, au gouvernement ou ailleurs, que la chose pourrait intéresser, nous leur faisons savoir clairement que la CSN est présente dans le secteur de la construction depuis ses tout débuts et compte bien y demeurer, avec l'appui des milliers de militants qui nous font confiance. Les travailleurs se souviennent que ce sont les luttes de la CSN-Construction, à la fin des années '60, qui ont amené l'égalité des salaires, tant au niveau des régions qu'à celui des secteurs. Encore aujourd'hui, dans ses exigences, le patronat tente de réintroduire le double taux, soit une différence de salaire entre le domiciliaire et l'industriel. Le patronat de la construction n'est pas différent des autres patronats: il tente lui aussi de profiter de la crise pour forcer des reculs. Le chômage vécu par la moitié des travailleurs de cette industrie, ces deux dernières années, et un salaire annuel moyen de $ 14 500 brut, amènent les entrepreneurs à croire que le moment est propice à exiger des reculs. De là la demande de réduction des salaires de l'ordre de 20 pour cent. Désyndicaliser. Dans l'offensive contre le réglement de placement est apparue la véritable intention patronale: la désyndicalisation. Après la publication de notre dossier sur le braconnage des emplois et les chantiers clandestins, la réaction patronale a été immédiate. "S'il y a braconnage, c'est la faute des salaires trop élevés; d'autres travailleurs sont prêts à travailler à des salaires de 40 pour cents inférieurs", ont-ils prétendu. En 1984, près du tiers du travail effectué dans la construction l'est par des travailleurs sans permis de travail, sans cartes de classification, sans protection, sans sécurité et à des salaires variant de $ 5 à $ 10 l'heure. A Sainte-Foy, à la suite de l'effondrement d'un édifice à logement en août 1983, où deux travailleurs ont été tués, les enquêtes que nous avons menées et qui ont été confirmées par le coroner ont démontré que 12 travailleurs illégaux, payés $5 l'heure, travaillaient avec 28 travailleurs syndiqués payés aux taux du décret. L'entrepreneur y trouvait son profit et pouvait faire pression sur les employés syndiqués, aussi bien au plan de leur sécurité que de leur emploi. Dans toutes les régions, des entrepreneurs ont systématiquement embauché des travailleurs illégaux pour frauder l'impôt et empocher les contributions obligatoires aux programmes sociaux négociés par les travailleurs. Le gouvernement a manqué à ses responsabilités: en refusant de réglementer, par exemple, le programme Équerre, ce qui aurait eu pour effet de créer de nouveaux emplois. Mais surtout en laissant sa Régie des entreprises de la construction du Québec (RECQ) émettre à tout venant des permis d'entrepreneurs-artisans. Ces permis ont pour résultat de "désyndiquer" le travailleur en lui faisant miroiter les soi-disant avantages des travaux à forfait et de la libre concurrence. Ces travailleurs "désyndiqués", de même que le nombre incalculé de travailleurs clandestin, permettent actuellement au patronat de miner la capacité des associations représentatives de négocier librement. Toutes les données ne sont pas connues au moment où se tient notre congrès, mais le seul fait de notre présence constitue encore la ,meilleure garantie pour la défense des intérêts des véritables travailleurs de la construction. Dans tous les secteurs. A Marine, dans le papier, chez Firestone, dans les usines de transformation du poisson, les syndicats ont résisté aux tentatives patronales visant à les faire reculer sur leurs droits acquis. Dans les cartonneries, après trois mois de grève, les syndiqués de Kruger et de Standard se sont opposés à un cartel de cartonniers canadiens et réussi à arracher une convention collective négociée à leur avantage. A Québec, les chauffeurs de la CTCUQ, forts d'une grève précédente où ils avaient su affirmer leur volonté, ont défendu avec succès leurs droits. A l'usine Brown Boveri de Lachine, la multinationale suisse propriétaire de l'usine a décrété la fermeture après avoir, pendant des années, transféré la production et la technologie vers d'autres centres. Les travailleurs sont maintenant engagés dans un projet visant à faire réouvrir cette usine en s'appuyant sur d'importants débouchés pour l'achat d'équipements électriques que constituent les sociétés d'État comme Hydro. Chez Biscuits David, à Montréal, un lock-out de cinq mois n'a pas réussi à briser la résistance syndicale; il s'agissait là d'un lock-out provoqué et entretenu par un avocat patronal qui est allé jusqu'à recommander à la multinationale propriétaire de fermer l'entreprise. C'est ce même avocat qu'on a rencontré à Télé-Métropole, à Direct Film, à Menasco, à la Reynolds du Cap de la Madeleine. Au poste de radio CKML de Mont-Laurier, il a fallu 14 mois de grève pour la conclusion d'une entente. A New Carlisle, les onze employés du poste de radio CHNC sont en grève depuis 18 mois. Ce sens de la résistance, comme ont su le développer des centaines de membres durant les deux dernières années, fait grandir un mouvement. C'est là, au coeur des luttes et des difficultés, qu'il se forge une volonté à toute épreuve. De nouveaux pouvoirs. Le dernier congrès avait insisté sur l'importance de savoir ajuster les revendications et par voie de conséquences les négociations aux réalités: la vie en effet, et les circonstances, exigent une certaine souplesse dans notre action syndicale. Cela fait partie de notre héritage syndical, en terme de finesse, de savoir quand et sur quoi mettre davantage l'accent, selon des circonstances qui nous sont la plupart du temps imposées et sur lesquelles nous ne pouvons avoir de prise directe. Ces nouveaux pouvoirs que les syndicats étaient appelés à négocier ne constituaient pas une invitation à laisser tomber, par exemple, des revendications au plan salarial. Il demeure toujours vrai que l'une des premières marques de respect qu'un homme ou une femme acquiert au travail se traduit par un salaire décent. C'est ainsi que des conventions collectives comportant des gains salariaux particulièrement spectaculaires ont été signées ces deux dernières années, en dépit des pressions causées par la politique des 6 et 5 pour cent imposée par le gouvernement fédéral. Signalons entre autres le règlement salarial chez Bombardier, à la Pocatière, où une hausse de 18 pour cent a été acquise pour la première année; celui intervenu chez les employés de Direct Film en province, qui comporte des augmentations salariales variant de 30 à 62 pour cent. J'insiste pour souligner comment, dans plusieurs secteurs, un grand nombre de règlements contiennent des clauses améliorant les congés maternités. Que se soit pour les employés de bureau de la Raffinerie de sucre du Mont Saint-Hilaire, les employés de Crouse-Hinds de Granby, dans le secteur métallurgie, de Québec-Photo, de Direct Film, des Éditions du Réveil a Jonquière, dans le secteur des communications et plusieurs autres, des gains significatifs ont été effectués à ce chapitre. Il importe de rappeler que les résultats enregistrés pour les travailleuses dans le secteur public permettent à un nombre de plus en plus important de femmes dans le secteur privé de bénéficier d'une protection similaire. On voit dans cet exemple une illustration supplémentaire d'une réalité syndicale fortement ancrée, qui veut que les luttes et les gains ne sont jamais des faits isolés mais ont des répercussions sur tous les groupes. Plusieurs syndicats ont négocié des clauses protégeant leurs membres face aux changements technologiques. A l'imprimerie Arthabaska, l'employeur devra s'entendre avec le syndicat avant l'introduction des changements technologiques, mais en aucun cas y aura-t-il mise à pied ou baisse de salaire par suite de changements qui pourraient être apportés. Les employés municipaux d'Almer et de Mont-Laurier ont aussi négocié un plancher d'emploi. Cela illustre comment la convention collective demeure un outil privilégié dans la protection des droits des travailleurs et des travailleuses et dans l'élargissement du pouvoir qu'ils peuvent exercer. Un dernier exemple de ce qui peut être réussi par le biais de la convention collective: au centre touristique du Mont-Tremblant, dans les Laurentides, à la suite de la négociation de la première convention collective, les employés ont obtenu une clause stipulant que les frais de service dans les bars et les restaurants doivent être inclus dans l'addition. C'est un précédent dans la restauration, qui assure aux employés des gains moins aléatoires. Les leçons de la résistance. Toutes ces luttes dures, longues et difficiles, pour défendre les droits acquis et résister aux agressions patronales, que ce patronat soit gouvernemental ou privé, toutes ces négociations menées et réussies sont la démonstration que ce n'est pas aujourd'hui ni demain qu'on réussira à briser les reins du mouvement syndical organisé. Nous savons résister, nous pouvons riposter. Nos luttes des dernières années, comme celles qui ont marqué notre histoire syndicale, ont fait la démonstration que des gains importants peuvent être obtenus par ceux et celles qui fondent leur action sur la solidarité. Des actions sectorielles. Plusieurs de nos fédérations affiliées ont organisé des actions sectorielles qui ont pris diverses formes. Ainsi, en collaboration avec la CSN, la fédération de la métallurgie a organisé l'automne dernier, à Québec, un colloque pour la relance du naval. Quand on constate qu'il n'y avait plus à ce moment que 2 350 travailleurs à l'ouvrage, en comparaison avec les quelque 8 000 qui s'y trouvaient en 1978, on peut mesurer l'urgence de forcer les différents niveaux de gouvernement à intervenir massivement pour soutenir cette industrie. Au printemps la fédération du commerce et la CSN ont organisé un colloque sur l'industrie agro-alimentaire: ce colloque a la particularité d'avoir attiré des syndicalistes du Brésil et de France, ce qui a permis de mettre en commun un certain nombre d'expériences. Je veux aussi souligner les efforts que nous avons déployés pour amener le développement de l'industrie de la pêche en Gaspésie et aux Iles-de-la-Madeleine; en lien avec les pêcheurs et la population, nous avons mis des efforts pour forcer les deux paliers de gouvernements à dépasser les querelles stériles afin que des mesures concrètes au soutien de l'emploi soient prises. A l'automne qui vient, sous l'égide cette fois de la CSN et de la FTPF, se tiendra un colloque international sur la forêt et le reboisement; ce colloque s'inscrit dans la campagne nationale lancée il y a quelques semaines. Une régie pour le pétrole. En moins de deux semaines, en novembre dernier, les multinationales du pétrole se sont ruées sans aucune gêne sur les millions que le ministre Parizeau venait de dégager en réduisant sa taxe ascenseur. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, à peu près $345 millions sont passés des coffres de l'État québécois à ceux des multinationales. Nous avons tout juste eu le temps de voir passer le hold-up. C'est alors que nous avons réclamé la création d'une Régie pour contrôler le prix du pétrole, comme il en existe pour déterminer celui du gaz naturel, de l'électricité et du téléphone. L'expérience nous enseigne qu'il est préférable d'avoir des mécanismes qui nous permettent d'intervenir avant que les hausses ne soient décrétées plutôt qu'après, surtout avec les pétrolières. La meilleure preuve en est le résultat de l'enquête entreprise il y a dix ans par le juge Robert Bertrand; au terme de son enquête, il affirmait que les pétrolières auraient diverti plus de $2 milliards provenant des poches des consommateurs. Ils en sont encore à examiner, à Ottawa, les résultats de l'enquête pour déterminer s'il y a matière à poursuite devant les tribunaux. Et voici pourquoi il faut intervenir avant plutôt qu'après... La présence à la CSST. On ne peut pas dire que depuis le dernier congrès, nos ennemis se soient privés de nous faire des difficultés. Le pire, c'est que parfois nous ne leur avons pas nui en nous en créant nous-mêmes. Notre non présence, comme CSN, au Conseil d'administration de la CSST, en est un exemple. La décision extrêmement divisée du dernier congrès a créé de vifs remous. Nous avons assisté à une expression importante de dissidence sur le plancher même du congrès et à une décision politique pour occuper les sièges laissés vacants par la CSN de la part de deux fédérations. Il faut déplorer et juger très sévèrement ce genre de pratiques syndicales, contraires à notre fonctionnement solidaire. Il est évident que ces gestes rendent encore plus difficile un débat déjà très perturbé. Cependant, trop d'organismes, trop de militants et de militantes responsables de la sécurité-santé dans leurs organismes, trop d'intervenants sur ce front de lutte sont insatisfaits de la manière dont la question a été traitée dans le passé, et réglée au dernier congrès, pour que nous n'y revenions pas. Le comité confédéral de sécurité-santé a lui aussi fait le débat et croit que la centrale devrait réviser sa position. Le comité exécutif estime qu'en dépit de toutes les difficultés, que nous nous sommes créées à l'interne suite à la décision du dernier congrès, il nous faut dépasser ce stade et avoir le courage de reposer clairement l'ensemble de la question, à la lumière de notre politique de présence abordée plus loin dans le rapport. Et si le congrès accepte de rouvrir ce débat, l'exécutif se prononcera dans le même sens que le comité confédéral, à savoir que la Confédération doit assumer le mandat de représentation, de défense et de promotion des intérêts des travailleurs et des travailleuses au sein du conseil d'administration de la CSST. Les travaux du comité d'orientation. Le mouvement est régulièrement appelé à faire le point sur l'utilisation la plus efficace des ressources disponibles, en vue toujours d'assurer aux syndicats et aux membres le meilleur soutien possible. Les limites de nos ressources financières, en regard des besoins du mouvement, exigent d'ailleurs que nous procédions à des ajustements constants. C'est dans ce sens que le comité d'orientation a reçu, en avril 1983, le mandat d'examiner entre autres le fonctionnement des services confédéraux et fédératifs en vue de soumettre des propositions concrètes. Le comité a procédé à d'importantes recherches et s'est penché sur plusieurs hypothèses de fonctionnement; il a conclu, finalement, que sa réflexion devait toucher aussi des aspects relevant des juridictions, aussi bien au niveau des fédérations que des conseils centraux. La réorganisation des services confédéraux a aussi fait l'objet des travaux du comité, tel que l'avait demandé le congrès. C'est donc au cours des deux années qui viennent que les conclusions devront émerger afin que des propositions puissent être acheminées au congrès de 1986. L'une des constatations les plus importantes qui ressort des travaux du comité d'orientation concerne la nécessité d'amener davantage de souplesse et de polyvalence dans l'organisation des services aux membres, à qui nous devons fournir un appui militant et quotidien, tant au plan de la négociation qu'à celui de la mobilisation. L'inégalité de la répartition des services dans les fédérations et dans les régions est un problème soulevé régulièrement. Les efforts du mouvement. Toutes les composantes de la CSN, particulièrement son personnel salarié, ont été mises à contribution pour transformer un déficit appréhendé de deux millions, au budget de fonctionnement, en un surplus d'environ $ 900 000 à la fin de l'exercice terminé le 28 février dernier. Il ne faut pas chercher ailleurs que dans une application concrète de la solidarité l'explication de ce genre de résultat. Bien sûr, dans plusieurs milieux, on continue d'espérer le jour où notre mouvement ne pourra plus se retrouver à la hauteur de ses aspirations. Mais ce jour n'est pas encore arrivé puisque toutes les décisions prises depuis deux ans par le bureau et le conseil confédéral ont permis au mouvement de traverser les difficultés sans que les membres n'aient à en subir les contrecoups. Il n'y aura donc pas d'augmentation de la cotisation syndicale à la Confédération. Les prévisions budgétaires pour les deux prochaines années nous permettent de croire qu'il sera possible de continuer d'assumer nos responsabilités, tout en demeurant vigilants au niveau de notre fonctionnement. La place des femmes. La place des femmes dans la société, le développement de leur capacité d'intervenir et le rôle plus important qu'elles doivent remplir à tous les niveaux a fait partie des débats qui ont eu cours depuis le dernier congrès. Nous espérons que toutes les instances et tous nos syndicats s'approprieront les résolutions qui seront adoptées à ce chapitre. En effet, il nous apparaît extrêmement important que nos camarades femmes puissent assumer leurs rôles, en particulier leurs rôles au plan syndical, sans que cela n'occasionne pour elles une surcharge de travail. Il est donc nécessaire que des ajustements se produisent pour que l'exercice du militantisme se fasse dans des conditions équivalentes aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Mais, dans la poursuite de cet objectif, il y a des revendications à soutenir; l'amélioration réelle du réseau public de garderies est l'une des plus importantes à cet égard. Il y a aussi, dans nos milieux, des mentalités à changer pour que l'égalité soit réelle, qu'elle se traduise dans les gestes et dans les attitudes. Je veux souligner certains événements majeurs qui ont marqué ces deux dernières années et qui ont fait progresser la cause de la condition féminine ou encore qui ont pu amener, dans plusieurs milieux, certaines réflexions et prises de conscience. Il y a un an, en mai, un colloque international sur la santé des femmes se tenait à Montréal, à l'initiative du comité de la condition féminine de la CSN. Cet événement, une première mondiale, a réuni des chercheuses et des syndicalistes de quinze pays dont les Philippines, le Nicaragua, la France, l'Afrique du Sud, l'Italie, la Thaïlande; elles ont pu échanger sur le domaine encore trop méconnu de la santé des femmes au travail. A partir de recherches réalisées sur le terrain, dans les milieux de travail où sont particulièrement concentrées les femmes et dont on a souvent, à tort, pensé qu'ils ne comportaient pas de risques pour la santé, plusieurs dizaines de militantes ont pu partager leurs expériences de vie. Constater la similarité des problèmes demeure la meilleure façon de développer une véritable solidarité internationale. Rappelons aussi le grand forum organisé par le Conseil du statut de la femme, en octobre dernier, sur le thème de "la force économique insoupçonnée des femmes". Plus de 1 200 femmes de tous les milieux, dont plusieurs dizaines de militantes de la CSN, ont participé activement à ce forum. J'insiste particulièrement sur le grand rassemblement des femmes syndiquées à la CSN qui s'est tenu en janvier dernier. Environ 800 femmes membres de syndicats affiliés à la CSN se sont réunies pour imaginer "un syndicalisme à leur image". Sans remettre en question les fondements du syndicalisme elles ont fait porter leur réflexion sur la nécessité, entre autres de transformer certaines pratiques syndicales pour qu'elles puissent occuper la place qui doit leur revenir. Des propositions concrètes favorisant le militantisme syndical des femmes ont été mises de l'avant; c'est tout le mouvement, à notre avis, qui doit prendre en compte le fait que les femmes qui veulent militer ont des contraintes de temps dues au fait qu'elles sont encore très majoritairement seules responsables des tâches familiales. Les espoirs suscités par ce grand rassemblement ne doivent pas rester sans lendemain; c'est notre responsabilité syndicale de les traduire dans des mesures concrètes. De même, la dernière négociation dans le secteur public doit servir à alimenter une prise de conscience collective quant au sort fait aux principales revendications spécifiques des femmes: toutes leurs revendications: programme d'action positive, changements technologiques, garderies ont été oubliées dans les décrets. Il importe de rappeler que les services publics comme l'éducation et la santé sont des acquis populaires; ils sont, la plupart du temps, le résultat de luttes ouvrières. Mais ce qui n'a jamais été suffisamment mis en lumière, à notre avis, c'est que ces deux fonctions majeures en éducation et au plan de la santé ont à peu près toujours été assumées par les femmes. Quand ce n'est pas l'État qui prend en charge ces fonctions sociales, elles retournent à la famille, aux femmes dans la très grande majorité des cas. Il ne faut pas chercher beaucoup plus loin l'explication que c'est dans ces deux secteurs que le gouvernement québécois a commencé à faire ses coupures. Il savait que les femmes, gratuitement, prendraient le relais. Quand le professeur a moins de temps à consacrer à l'élève, la mère passe plus de temps avec l'enfant au moment des devoirs. Quand on procède à une diminution des lits dans les hôpitaux, les malades doivent revenir à la maison. C'est encore une fois les femmes qui voient leur tâche augmenter. Enfin, soulignons que les militantes de la CSN ont participé à plusieurs manifestations organisées pour défendre la cause des femmes; par exemple, contre le projet de diffuser du matériel pornographique sur les canaux de télévision à péage et celles contre toutes les formes de violence qui sont faites aux femmes. Les peuples et la paix. Nous n'avons pas ménagé nos efforts pour faire avancer la cause de la paix. Au-delà de toute partisanerie politique, nous avons tenté par tous les moyens de mettre de l'avant des revendications de paix. Nous avons favorisé, avec les regroupements syndicaux, populaires, politiques, religieux, l'urgence d'intervenir sur ces questions de la manière la plus massive possible. Actuellement, nous appuyons une pétition véhiculée dans plusieurs milieux afin que les territoires canadiens et québécois soient déclarés "zones libres d'armements nucléaires". Déjà en mars, l'Assemblée nationale souscrivait de façon unanime aux objectifs de cette pétition, ce qui, nous croyons, doit être souligné. Le mouvement syndical n'a pas le droit de ne pas bouger quand des questions aussi vitales sont en cause. C'est avec cette conviction que nous avons participé le 22 octobre 1983 à une manifestation qui a rassemblé plus de 35 000 personnes à Montréal. Faut-il rappeler qu'au Canada, les dépenses militaires se sont accrues de 230 pour cent de 1980 à 1982 et que durant cette dernière année, $ 6 milliards ont été engloutis dans des dépenses militaires, ce qui représente dix pour cent du budget du Canada. Nous invitons les délégués à prendre connaissance et à diffuser le document sur l'industrie militaire et la reconversion industrielle qui pourrait être faites; plusieurs organismes populaires et syndicaux, dont la CSN et la FNEEQ, ont participé à la production de ce document. Nous n'avons pas hésité pour appuyer les initiatives de paix poursuivies par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau; mais nous n'avons pas manqué une occasion de lui rappeler que ses efforts seraient plus crédibles s'il refusait que le territoire canadien soit le lieu d'essais de missiles porteurs d'ogives nucléaires, les missiles Cruise. Nous sommes d'autant plus concernés, au Québec, que la moitié de la production canadienne à des fins de guerre est concentrée chez-nous. Comme l'exprimaient, le 30 octobre 1982 à Ottawa, des hommes et des femmes manifestant contre les essais des missiles Cruise: "La paix n'est pas une simple absence de guerre. C'est quelque chose qui se bâtit". Notre action internationale. En Amérique centrale, nous avons continué d'appuyer les peuples en lutte pour conquérir ou préserver leur indépendance nationale, au Salvador et au Nicaragua en particulier. Nous avons aussi maintenu notre appui au mouvement Solidarnosc en Pologne, lui aussi en lutte pour un syndicalisme libre; même attitude vis-à-vis les droits du peuple palestinien, dont nous avons soutenu la cause. Au moment où s'ouvre ce congrès, nous recevons deux délégués d'organisations syndicale et populaire d'Afrique du Sud, qui ont pu durant les dernières semaines, expliquer à plusieurs militantes et militants quelles sont leurs conditions de vie dans un pays qui prône l'apartheid. Le dernier Conseil confédéral tenu en avril a été amené à débattre de la politique internationale de la centrale; le débat s'est déroulé sur la base du rapport adopté au congrès de 1982. Plus précisément, c'est la question de notre affiliation avec la Confédération mondiale du travail, la CMT, à laquelle nous sommes affiliés depuis 1946, qui a constitué l'essentiel de nos débats. Nous nous interrogeons fortement sur la pertinence de poursuivre une bonne partie de notre action internationale par le biais de l'affiliation à cette organisation. Des problèmes importants se posent quant à la nature des organisations nationales affiliées dans plusieurs pays, au type ou à l'absence d'actions entreprises ou encore à l'orientation générale de la CMT. Le Conseil recommande au congrès de lui donner le mandat de disposer de cette question immédiatement après le prochain congrès de la CMT, qui doit se tenir à l'automne de 1985. Nous comptons travailler, durant ces prochains mois, à contribuer à redynamiser cette organisation de manière à ce que le progressisme qu'on y a déjà connu prévale à nouveau. On comprendra que ces interrogations quant à notre affiliation ne traduisent pas une volonté de nous isoler sur le plan international. C'est au contraire dans la perspective de travailler plus efficacement, avec les organisations syndicales qui, à travers le monde poursuivent des objectifs et partagent des analyses semblables aux nôtres, que nous poursuivons notre réflexion, en impliquant les différentes composantes de la centrale. Depuis deux ans, dans l'esprit du rapport de 1982, la CSN et ses organismes affiliés ont mis l'accent sur les actions au plan sectoriel, sur le travail avec les forces syndicales dans le Tiers-Monde, sur nos liens avec les syndicats nord-américains Pour que cette dimension de notre action syndicale soit davantage prise en compte, nous proposons aux fédérations et aux conseils centraux de se donner un responsable de l'action internationale pour que la coordination des actions soit meilleure et que les politiques que nous serons appelés à développer le soient à partir d'une base de consultation plus large. Une crise qui n'en finit plus. Chômage, inflation. A notre dernier congrès, en juin 1982, le Canada se trouvait en plein milieu du pire effondrement économique connu depuis les années '30; le taux de chômage atteignait 15,6 pour cent au Québec, fin '82. Aujourd'hui, selon les mois, il oscille entre 13 et 14 pour cent. C'est là le taux officiel, qui cache tout un monde, celui de ceux et de celles qui n'ont même plus espoir de se trouver un emploi et qui n'apparaissent plus sur les listes officielles. On les retrouve vivant - le terme est parfois exagéré! - des prestations d'aide sociale; 694 761 Québécoises et Québécois dépendent actuellement de l'aide sociale. Reagan à Ottawa. Au million et demi de chômeurs et chômeuses "officiels", tout ce que le ministre fédéral des finances Marc Lalonde a trouvé à dire dans son dernier discours du budget, en mars, c'est d'espérer qu'en 1988, la situation revienne au niveau de 1981. Autrement dit, en quelques lignes, la question était réglée au profit, encore une fois, du grand capital. Car l'effondrement économique que nous connaissons est directement relié aux taux d'intérêts, scandaleusement élevés, imposés par Ottawa durant plus de deux ans. Pendant certaines périodes, c'est le Canada qui a connu les taux d'intérêts les plus élevés dans le monde occidental. On a en quelque sorte pratiqué une politique plus "reaganienne" que le président Reagan lui-même! Ces politiques, il faut le souligner, ont reçu un appui constant des grandes entreprises et des institutions financières. Ces politiques ont en effet provoqué un transfert de richesses, des consommateurs et des petites entreprises endettées, vers les institutions financières. La faillite de milliers d'entreprises et la réduction de la consommation ont provoqué les taux records de chômage qu'on a connus et qu'on connaît encore. D'autres interventions gouvernementales sont venues accentuer les conséquences de cette politique monétariste. Ce fut le cas du programme fédéral des 6 et 5 pour cent, limitant les hausses salariales et réduisant la consommation de biens et services. De fait, les mesures de contrôle imposées par Ottawa ont brimé la libre négociation des salaires durant cinq des neuf dernières années. Le budget fédéral de novembre 1981, en réduisant de manière importante les programmes sociaux et en augmentant certains impôts, a accentué les problèmes des classes populaires. Québec n'a pas aidé. Le conservatisme fiscal du gouvernement québécois n'a pas non plus aidé les travailleurs à résister aux assauts de la crise; alors qu'une politique plus expansionniste aurait permis d'atténuer les effets de la récession, le gouvernement a préféré réduire son déficit budgétaire en 1982 et en 1983, faisant payer la note aux salariés du secteur public. Sans pour autant, malgré sa propagande, que le sort des travailleurs des autres secteurs ne s'en trouve amélioré. Il y a un an, les travailleurs forestiers affiliés à la CSN ont vu le gouvernement québécois refuser de mettre en application un programme qui aurait permis à la majorité des forestiers de retrouver leurs emplois en 1983. Mais le gouvernement a prétendu ne pas disposer des $ 10 millions nécessaires à ce programme. Pourtant, les $ 561 millions directement récupérés dans le secteur public devaient servir, prétendait-il "à se donner des moyens pour créer de l'emploi dans le secteur privé". Mais le problème de l'emploi n'est pas seulement relié à la conjoncture économique; l'approfondissement de la crise, sa permanence, indiquent que le chômage n'est plus un phénomène passager. Constater que le chômage est devenu un phénomène structurel, comme le définissent les spécialistes, ne nous condamne pas à laisser passer la tempête sans réagir. Parce qu'il s'agit justement d'un type de tempête qui n'aura pas de cesse si l'intervention gouvernementale n'est pas massive, s'il n'existe pas une réelle volonté de faire autrement. Fidèles à nos pratiques, nous comptons analyser les causes profondes du marasme dans lequel sont plongées des centaines de milliers de personnes. Nous comptons aussi développer des plans d'action, mettre de l'avant des politiques qui répondent efficacement aux besoins identifiés. Nous avons la ferme conviction qu'il y a moyen de faire autrement. La misère chiffrée. C'est la catégorie d'âge de 15 à 24 ans qui est la plus touchée par le chômage. En 1978, 16 pour cent des 15-24 ans étaient sans travail. En 1983, le taux dépasse 22 pour cent. Les jeunes de moins de 30 ans subissent une discrimination en raison de leur âge, ne recevant que $ 151 par mois de prestation sociale. Cette misère a un lien direct avec toutes les formes d'augmentation de la criminalité chez les jeunes: vol, prostitution, etc. Quant aux femmes, leur taux de participation au marché du travail a effectivement augmenté, passant de 36.5 pour cent en 1972 à 48 pour cent actuellement. Mais les emplois auxquels elles accèdent sont largement des emplois à temps partiel, dans des ghettos traditionnels de l'emploi féminin. Elles sont surtout menacées par les changements technologiques, tout en ne gagnant que 60 pour cent, en moyenne, de ce que gagnent les hommes. Le chômage a aussi accentué les disparités régionales. Les régions historiquement les plus défavorisées, comme le Bas Saint-Laurent, la Gaspésie, l'Abitibi-Témiscamingue, le Saguenay Lac Saint-Jean, sont les plus atteintes actuellement. Il n'est pas rare de voir des villes où la moitié de la population subsiste de prestations de chômage ou d'assistance sociale. Selon l'Office de planification et de développement du Québec, la population active totale s'accroîtra de 17 pour cent entre 1982 et 1990. D'après cette hypothèse et en visant un taux de chômage de 7 pour cent à long terme, ce qui demeure socialement inacceptable, il faudrait créer 77 000 nouveaux emplois par année. Or, depuis quarante ans, la plus forte création d'emplois au Québec a été réalisée en 1966, avec 72 800 emplois, et en 1973, avec 128 000 nouveaux emplois. Si on ajoute à cela les effets des changements technologiques sur l'emploi, selon les prévisions d'un document confidentiel du gouvernement fédéral, "The Rocky Road to 1990", il faudrait créer de 108 000 à 120 000 emplois par année au Québec d'ici 1990, et cela pour seulement maintenir le taux de chômage à son niveau actuel! Une reprise? Quelle reprise? Les gouvernements et les média parlent abondamment de reprise. Celle-ci, cependant, est pour le moins modeste et montre même des signes d'essoufflement. Déjà! Ainsi, au début de 1984, l'économie québécoise n'atteint pas encore le niveau de production de 1981. A 13,5 pour cent en février dernier, le taux de chômage est loin de ce qu'on connaissait en avril 1981, soit 9,4 pour cent. En 1983, il y avait 52 000 Québécois et Québécoises de moins au travail qu'en 1980. Selon Statistique Canada, de juillet 1981 à octobre 1983, le nombre d'emplois perdus au Québec s'élevait à 518 000; pendant ce temps, le nombre d'emplois à temps partiel augmentait de 285 000. C'est dans le secteur manufacturier que la perte d'emplois a été la plus forte, soit de 86 000. Les conséquences en sont d'autant plus graves que chaque emploi manufacturier se traduit par la perte d'environ trois emplois dans des secteurs connexes à l'industrie de fabrication: dans l'approvisionnement des matières premières, dans les services, dans les transports, dans les services financiers, etc. La récession est venue accentuer la faiblesse traditionnelle de l'économie québécoise, alors que la proportion d'emplois manufacturiers, au Québec, a encore baissé par rapport à l'Ontario. Plusieurs milliers de ces pertes d'emplois sont survenues dans ce qu'on appelle les secteurs mous: textile, vêtement, chaussure, meuble. Mais des milliers d'autres emplois sont disparus dans des secteurs qui, s'ils n'ont pas connu de progrès importants, connaissaient quand même une certaine stabilité. Ainsi, plusieurs installations dans le secteur des scieries, de la fabrication métallurgique et de la pétrochimie ont été fermées pendant la récession, sans réouvrir leurs portes depuis l'amorce de la "reprise". Rien n'illustre mieux cette situation que l'industrie québécoise du raffinage de pétrole: sur les sept raffineries en opération en 1982, trois ont été fermées complètement, celles de BP, Esso et Texaco, et une quatrième, Gulf, a été fermée en partie. Ces fermetures, en plus de représenter la perte de centaines d'emplois directs, ont porté un dur coup à l'industrie de la pétrochimie québécoise, qui a vu ses coûts d'approvisionnement en matière première s'accroître. Des secteurs primaires qui, autrefois, avaient une certaine importance au Québec, ont également subi le poids de la crise de façon aiguë, comme en témoignent les nombreuses fermetures et mises à pied massives dans les mines de fer, de cuivre et d'amiante. Nombreux également sont les travailleurs forestiers qui n'ont pas travaillé depuis 1981. Le chômage sévit dans toutes les régions et dans tous les secteurs économiques du Québec. Malgré la baisse des taux d'intérêts, les investissements industriels et commerciaux au Québec ont été encore plus bas en 1983 qu'en 1982. Et pourtant, les moyens sont disponibles pour intervenir massivement dans notre économie et stimuler la création d'emplois. Malgré la crise, et vraisemblablement à cause d'elle, le Canadien continue d'épargner environ deux fois plus que l'Américain. Compte tenu du manque d'investissements et de la consommation réduite, les différentes institutions financières regorgent de liquidités. Statistique Canada nous informe que l'année dernière les "disponibilités" des banques canadiennes ont augmenté de 47,5 pour cent. Notre responsabilité. L'incohérence de cette situation - un chômage de 14 pour cent et une chute des investissements, d'un côté, pendant que de l'autre on retrouve un surplus de fonds pour investir - fait encore une fois la démonstration que le mouvement syndical doit absolument s'accaparer ces questions, proposer concrètement des moyens pour sortir de la crise et combattre le chômage. Nous l'avons fait régulièrement depuis au moins vingt ans; nous avons forcé la réflexion, nous avons amené des centaines de travailleurs et de travailleuses à comprendre le système économique dans lequel nous devons vivre. Souvent, nous avons infléchi des politiques gouvernementales, forcé des investissements qui ont servi davantage le développement social, les intérêts de l'ensemble. Aujourd'hui, plus que jamais peut-être, nous devons prendre les moyens pour agir; pour réclamer et obtenir des politiques qui tiennent compte du monde, qui apportent de l'espoir aux milliers de jeunes dont on gaspille la créativité. Qui pourront contribuer à faire en sorte qu'il soit possible de travailler, de vivre autrement. Des leviers économiques majeurs. La CSN a mis de nombreux efforts en vue de préciser des politiques syndicales de développement sectoriel, au cours des dernières années. Ainsi, en novembre 1982, en collaboration avec la Fédération du bâtiment, la Fédération du commerce, la Fédération de la métallurgie, la Fédération nationale des communications et la Fédération des travailleurs du papier et de la forêt, nous avons publié une «Stratégie sectorielle de création d'emplois», que nous avons présentée aux deux gouvernements. Nous avons travaillé étroitement avec plusieurs fédérations pour parfaire nos analyses et élaborer des politiques de développement dans des secteurs comme les pêcheries, le textile-vêtements-chaussures, la construction, les mines d'amiante, les soins de santé, la forêt, les chantiers maritimes. Ces politiques ont été généralement bien reçues par les gouvernements; nos diagnostics et les correctifs que nous proposons sont, en règle générale, bien accueillis. Mais quand vient le moment des engagements financiers, la réponse est habituellement la même: vos projets sont valables mais l'argent manque pour les réaliser. C'est dans cette perspective que nous croyons le moment arrivé d'examiner en détail ce qui est fait avec les milliards de dollars d'épargne collective recueillis chaque année auprès des travailleuses et travailleurs québécois. Nous croyons aussi que le temps est venu de dresser des revendications concrètes quant à l'utilisation de ces sommes. L'argent est là; c'est d'ailleurs pourquoi nous estimons qu'avec les mesures de contrôle des salaires qui nous ont frappé pendant près de trois ans, avec le taux de chômage que nous connaissons, les familles ont déjà suffisamment de difficultés à boucler leur budget. Il ne nous semble donc pas approprié, comme le font d'autres organisations, de leur demander de réduire encore davantage leur revenu disponible en contribuant à des fonds d'investissements pour l'achat d'actions. La Caisse de dépôt et de placement du Québec. Le levier qui pourrait s'avérer le plus efficace outil de développement du Québec existe déjà: il s'agit de la Caisse de dépôt et de placement, qui constitue le plus important fonds d'investissements, non seulement au Québec, mais au Canada. La Caisse possède un actif de $ 18,2 milliards, composé en majorité des dépôts de tous les salariés du Québec, par le biais du Régime des rentes du Québec (RRQ). On compte aussi un bloc de $ 2,6 milliards constitué par le Régime de retraite du secteur public (RREGOP). Un autre bloc de $ 1,3 milliards provient du régime supplémentaire des travailleurs de la construction. D'autres importants dépôts viennent de la Régie de l'assurance automobile et de la CSST. Alors qu'une partie importante de l'actif de la Caisse est consacrée à l'achat d'obligations gouvernementales, un bloc d'environ $5 milliards est investi dans des actions d'entreprise. D'abord, la grande entreprise. Dans ce bloc de $5 milliards, c'est la grande entreprise qui est surtout privilégiée. Depuis l'année dernière, la Caisse a décidé d'investir dans des entreprises étrangères, justifiant ce choix par la possibilité d'amener ces entreprises, dans lesquelles elle investit, à venir s'établir au Québec. Ce dernier motif apparaît valable même si on peut entretenir des doutes tant sur la capacité que sur la volonté de la Caisse d'infléchir le développement des entreprises étrangères dans lesquelles elle investit. Pendant des années, en effet, on a vu la compagnie Domtar, qui a son siège social à Montréal et dont le principal actionnaire était et est toujours la Caisse de dépôt, fermer plusieurs de ses installations québécoises pour déménager sa production en Ontario. Ce n'est qu'après plusieurs interventions de travailleurs québécois concernés, syndiqués à la CSN, qu'on a constaté un changement d'attitude chez Domtar. Pendant longtemps, la politique de la Caisse a été de demeurer un investisseur "neutre", c'est-à-dire de ne pas se mêler de la gestion ou du développement des entreprises où elle investit, même si elle est actionnaire principal. On pourrait se demander si ce n'est pas encore le cas lorsqu'on constate que la Caisse, avec $ 91 millions investis dans Gulf Canada et $ 138 millions investis dans la compagnie Impériale (Esso), n'a en rien empêché la fermeture des raffineries québécoises appartenant à ces sociétés. Il y a certainement lieu, à notre avis, de s'interroger sur la pertinence de financer, à même notre argent, des sociétés qui participent aussi clairement à des transferts de capitaux hors du Québec, qui participent au désinvestissement de l'économie québécoise. Des gestes semblables n'aident en rien le redressement économique du Québec. Pour comprendre le chômage permanent qui nous frappe relativement plus que d'autres régions du Canada, il n'est pas inutile de rappeler la déficience chronique des investissements industriels. Depuis dix ans, le secteur manufacturier au Québec a reçu $23 milliards en investissements, comparativement aux $52 milliards reçus par l'Ontario. Davantage de démocratie. Démocratisée, la Caisse de dépôt et de placement pourrait devenir un instrument extrêmement important pour que nos milliards servent en priorité à financer notre propre développement, en fonction de nos besoins. Mais même dans son fonctionnement actuel, la Caisse inquiète le grand capital canadien, comme en témoigne l'épisode du projet de loi S-31. Inquiet des intentions de la Caisse, le Canadien Pacifique a forcé le gouvernement fédéral à présenter ce projet de loi. Sur les onze hommes qui composent le Conseil d'administration de la Caisse, il n'y a qu'un seul représentant des travailleurs, soit le président de la FTQ. Il n'est donc pas surprenant que la voix des syndicats et des groupes populaires se fasse si difficilement entendre et que les choix d'investissements n'aillent pas davantage dans le sens de la création d'emplois. Nous croyons qu'il y a lieu de demander au congrès d'entériner notre revendication d'une augmentation significative de la représentation syndicale et populaire à la Caisse de dépôt et de placement du Québec; nous y réclamons un siège pour la CSN. Contrôler nos caisses de retraite. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'à la CSN, on a pris conscience de l'importance de contrôler davantage l'utilisation des sommes énormes que nous versons dans nos caisses de retraite. Déjà, au congrès tenu en décembre 1970, le comité exécutif soumettait un volumineux rapport sur le sujet intitulé La prise en mains de nos responsabilités dans nos caisses de retraite est un pas vers notre libération économique. On soulignait, dès le début, qu'il y avait "des centaines de millions de dollars dans les caisses de retraite des syndiqués de la CSN" Les caisses de retraite constituées en vertu des régimes supplémentaires de rentes comptaient en 1981, au Canada, un actif total de plus de $ 61 milliards dont au moins $ 16 milliards au Québec. Cette somme est également répartie entre les régimes publics (municipalités, hôpitaux, écoles, fonction publique, etc) et les régimes privés. Dans le cas des régimes publics, au Québec, les organisations syndicales exercent un contrôle sur l'application des règlements, mais bien peu sur les placements, qui sont confiés à la Caisse de dépôt. Intervenir où il le faut. Rares sont les régimes privés contrôlés entièrement par les syndicats; plus courants sont ceux où le syndicat détient une partie des postes à l'administration, mais la règle générale consiste toujours à ce que l'employeur contrôle entièrement le régime, c'est-à-dire qu'il détermine seul l'application des règlements et le placement de la caisse de retraite. De façon générale, nous négocions les bénéfices des régimes, niveau des rentes, retraite anticipée, etc, mais trop souvent encore nous en abandonnons l'administration à d'autres. C'est pourtant à ce seul niveau qu'il est possible d'intervenir dans les décisions touchant le placement de l'argent accumulé dans la caisse de retraite. L'expérience acquise dans l'administration est aussi la voie d'une meilleure compréhension du fonctionnement de ces régimes et d'un contrôle qui permet de limiter les marges de manoeuvre de l'employeur: versements des cotisations sur une base irrégulière, utilisation des surplus pour réduire ses cotisations, etc. Il ne sera jamais facile de prendre le contrôle complet des régimes supplémentaires de rentes, surtout dans les régimes où l'employeur garantit la solvabilité du régime et la capitalisation des rentes des régimes à prestations déterminées. On rencontre des obstacles d'un autre type quand on se trouve intégrés dans un fonds de pension géré par l'entreprise, que ce soit au plan national ou international. On sait d'expérience que le contrôle syndical s'obtient plus facilement lorsqu'il s'agit de régimes a cotisations déterminées; mais l'importance d'obtenir une forme de représentation syndicale sur des régimes à prestations déterminées doit être soulignée. Cette présence peut être assurée, par exemple, sur des comités mixtes. Surveiller, s'informer. Il ne faut pas négliger la cueillette des informations. Cela nous permet de voir agir la direction dans la gestion du régime; de négocier des améliorations par la convention collective; d'éviter même des cas de fraude, comme cela s'est produit avec les anciens propriétaires de la compagnie Expro à Valleyfield. Les cotisations courantes n'avaient pas été versées au fonds, même si elles avaient été perçues auprès des travailleurs. Après la faillite, ce régime s'est retrouvé incapable de rencontrer les promesses de rente et tous les crédits ont dû être diminués. En obtenant une emprise syndicale sur la gestion des fonds de retraite, on peut, par une surveillance régulière, empêcher ce type d'abus qui se traduit par des rentes de retraite réduites. Mais en plus d'améliorer la sécurité des fonds, on peut agir pour qu'ils servent davantage au développement de l'économie et que la priorité soit mise dans des investissements créateurs d'emplois. Plusieurs fonds privés, gérés par des fiducies canadiennes ou américaines, placent une très grande part de leurs actifs a I ouest ou au sud de nos frontières. Il est malheureux de constater que certaines unions américaines administrent des fonds où les cotisations sont envoyées directement à New-York ou Washington. Il y a à tout le moins une contradiction entre le fait d'envoyer, chaque mois, des millions aux États-Unis sous forme de cotisations à des fonds de pension et celui de demander à ses membres affiliés de contribuer deux heures de salaire par mois à un fonds de placement pour l'achat d'actions de compagnies de "chez-nous". Une présence syndicale accrue dans les décisions touchant le placement de nos fonds de pension assurerait aux caisses de retraite un rôle beaucoup plus dynamique dans l'économie du Québec. C'est d'abord ici qu'il faut investir, non à Wall Street; plusieurs centaines de millions de dollars retraverseraient la frontière si une telle règle était appliquée. D'autres critères pourraient aussi guider nos choix de placements: ne pas investir, par exemple, dans des entreprises qui déménagent usine ou siège social hors du Québec, qui investissent en Afrique du Sud, etc. Les REER collectifs. Les régimes enregistrés d'épargne-retraite représentent une autre forme importante d'épargne pour la retraite. Même s'il n'existe pas de données sur l'actif accumulé dans de tels régimes, on sait qu'en 1979, les Canadiens ont versé $3 milliards en cotisation dans des REER. On peut aussi estimer qu'au moins le quart des membres de la CSN contribuent à un REER. Le regroupement de cette épargne représenterait un potentiel important et la formule de "REER collectifs" offre une possibilité, jusqu'ici non exploitée, de permettre à nos membres de se donner de meilleures conditions de retraite en même temps que d'exercer un meilleur contrôle sur les décisions touchant l'investissement des sommes accumulées. Déjà, plusieurs syndicats, qui n'ont pas de fonds de retraite ou encore qui ont choisi de fournir ce service aux membres désireux d'accroître leurs épargnes de retraite, se sont prévalus de certains régimes en vue d'un meilleur contrôle. D'autres syndicats pourraient être amenés à en mettre sur pied si la centrale se donnait une orientation générale et des ressources de conseils pour assister à leur organisation. Pour exercer un contrôle syndical sur le type d'investissements, la formule est bien simple dans le cas d'un REER collectif. Actuellement, les ententes prises pour l'administration des fonds traditionnels, avec les divers fiduciaires, donnent généralement libre cours aux fiduciaires de décider des placements. Or l'acte de fiducie serait, selon notre formule, modifié pour prévoir que les fonds soient placés par le fiduciaire selon les instructions des instances syndicales. Un comité syndical national. Pour avoir une orientation commune quant aux politiques de placement, nous proposons la création d'un comité syndical national, composé de représentants de la CSN, des fédérations, des conseils centraux et de chaque syndicat participant qui, lors des réunions périodiques avec le fiduciaire, conseillerait les syndicats participants. Les caisses de travailleurs déjà existantes, à Montréal et à Québec, pourraient s'occuper de la vente de ces régimes. On peut déjà mentionner l'expérience du Syndicat de Carbures, à Shawinigan, qui a mis sur pied un REER collectif avec l'aide de la Caisse populaire des travailleurs de Québec. Le comité syndical national aurait pour fonction principale de formuler des conseils en vue de maximiser la sécurité et s'assurer du rendement des fonds investis, tout en privilégiant des investissements de nature à contribuer au développement économique du Québec, avec accent sur la création d'emplois. Il est important de souligner que la décision sur les politiques d'investissements demeurerait au niveau de chaque syndicat, et que l'administration des fonds relèverait de la responsabilité du fiduciaire désigné. Il s'agirait d'une formule peu coûteuse, quant aux frais administratifs, respectant prioritairement la sécurité et le rendement des sommes que les travailleurs conviennent d'accorder à leur régime d'épargne-retraite; elle permettrait toutefois d'exercer un degré de contrôle syndical sur les types de placement des épargnes, domaine qui échappe actuellement à notre contrôle. De plus, une telle implication de la centrale et des syndicats affiliés dans le domaine des régimes de retraite permettrait à un plus grand nombre de militantes et de militants d'améliorer leurs connaissances du fonctionnement des régimes, rendant ainsi davantage possible le contrôle syndical sur ces régimes. Ainsi, à mesure que l'expertise syndicale sur les choix de placements grandirait, un fonds commun de placement permettrait aux syndiqués de la CSN de canaliser encore plus directement les fonds de retraite vers des objectifs définis par les travailleuses et les travailleurs eux-mêmes. Il s'agirait d'une institution vouée aux prêts et placements des fonds de retraite, d'abord dans le but de le faire fructifier à l'avantage des syndiqués. La gestion des placements du fonds pourrait toujours être confiée à contrat à un fiduciaire et, le moment venu, la gestion pourrait être faite directement, par cette institution. Il est question, dans tous les cas, de se donner un instrument visant d'abord à accorder une meilleure sécurité et un rendement supérieur à plusieurs des fonds existants. En deuxième lieu, les instances syndicales pourraient, pour la première fois, commencer à exercer un certain pouvoir sur les immenses caisses d'épargne avec lesquelles les entreprises capitalistes se financent. Nous occuper de nos épargnes collectives. Par leurs cotisations au RRQ, aux régimes de pension supplémentaires privés et publics, par leurs taxes et impôts se transformant en subventions, les travailleurs participent déjà au financement des entreprises. Il ne s'agit pas de leur demander de se priver d'encore plus de revenus en versant des cotisations volontaires dans un fonds à rendement et sécurité douteux, avec un impact marginal sur les choix d'investissements des espoirs qui ne sauraient être comblés sont ainsi créés. Il s'agit plus précisément de canaliser une partie de notre pouvoir, tel que constitué dans nos fonds de retraite, pour exercer une influence sur les choix d'investissements. Une part importante de nos fonds de retraite est gardée en réserve. La meilleure façon de mettre ces fonds au service des travailleurs et du mouvement syndical ne serait-elle pas d'en négocier le dépôt dans nos deux Caisses populaires, plus près du mouvement, contrôlées par les travailleuses et les travailleurs? Même chose pour les réserves des fonds d'assurance maladie, des fonds de vacances; ce sont là des sommes qui nous appartiennent, mais qui sont généralement retenues par l'employeur. Ces fonds pourraient être déposés dans nos caisses. Des objectifs précis. En agissant ainsi, trois objectifs pourraient être atteints: les membres pourraient bénéficier des intérêts payés sur les dépôts; ces sommes déposées pourraient être mises au service des travailleuses et des travailleurs; enfin, la sécurité de ces fonds serait assurée. Actuellement, chaque fois qu'une entreprise déclare faillite, de longues procédures doivent être intentées pour ne récolter, finalement, qu'une part des payes de vacances réclamées. Ne serait-il pas possible d'envisager que des intérêts sur l'argent des vacances, qui appartient aux travailleurs mais qui profitent aux employeurs, soient plutôt versés dans un fonds géré par nos deux caisses? Ce fonds pourrait servir, par exemple, à faciliter l'organisation de vacances pour nos membres et leurs familles. Il n'est pas possible d'indiquer l'utilisation encore plus grande qui pourrait être faite de nos deux caisses sans dire un mot des relations de notre mouvement avec les caisses coopératives d'épargne et de crédit. Même si, par moment, nous avons pu espérer une certaine association avec diverses institutions du mouvement coopératif québécois, il nous a fallu renoncer, depuis plusieurs années, à toute stratégie commune d'intervention. Dès 1966, dans le cadre de la lutte contre l'endettement menée par notre service de la consommation et des coopératives, nous pouvions constater un refus de la très grande majorité des caisses populaires de s'associer aux intérêts des classes populaires, dans leurs pratiques et leurs politiques d'intervention. Elles n'ont pas évolué différemment, s'alignant davantage sur les banques et les grands de la finance. Nos caisses. Nous avons réussi, à la CSN, à développer des expériences significatives de coopération dans le secteur financier, en rupture avec ces pratiques et ces politiques. Entre autres, celles de la Caisse populaire des syndicats nationaux de Montréal et de la Caisse populaire des travailleurs de Québec. Tout en étant affiliées au mouvement Desjardins, ces deux caisses ont bâti, au fil des ans, une forme de coopération militante étroitement liée à la démarche de la CSN et, plus largement, à celle du mouvement ouvrier et populaire du Québec. On n'a pas hésité, malgré l'opposition des forces conservatrices, à sortir du modèle conventionnel d'institutions financières pour privilégier des pratiques différentes, mais réalisables, même si cela devait heurter les soi-disant principes de base de la finance. Au début des années '70, par exemple, fut lancé à Québec le projet de constituer un capital visant le développement populaire du milieu à partir de certaines épargnes recueillies sans intérêts. Même s'il avait décrié l'idée à l'époque, le mouvement Desjardins la reprend aujourd'hui pour s'associer à la mise en place d'une usine de récupération. Ce pas n'aurait peut-être pas été franchi si nous n'avions pas bousculé, il y a dix ans, les pratiques financières habituelles. En plus de tous les appuis quotidiens qu'elles apportent à la CSN, à ses organismes, à ses membres et à plusieurs groupes populaires, ces deux caisses tracent la voie à une coopération plus engagée au Québec. Ce qui est loin d'être négligeable quand on constate à quel point l'ensemble du mouvement coopératif demeure largement inféodé aux forces économiques dominantes et aux modèles traditionnels. S'il ne faut pas s'illusionner sur notre capacité de transformer subitement le cours des choses, il nous faut avoir le souci constant de nous renforcer, d'élargir le terrain que nous occupons. Dans cette perspective, nous saluons avec beaucoup d'intérêt le projet de création d'une caisse nationale au service du mouvement syndical et populaire du Québec, projet auquel travaillent actuellement les deux caisses. Les nouvelles technologies. Depuis quelques congrès, nous développons une approche syndicale des changements technologiques. Nous soutenons qu'il s'agit là d'une question qu'il ne faut pas abandonner aux autres, aux gouvernements et aux capitalistes; le risque serait trop grand que les transformations, qui sont déjà commencées, ne se fassent que dans l'intérêt des possédants. Dans la définition de notre position, nous insistons pour affirmer que le changement apporté par l'introduction de nouvelles technologies doit se faire dans l'intérêt des hommes et des femmes, pas à leur détriment. C'est pourquoi il faut nous impliquer, il faut porter nos revendications pour que ces transformations deviennent des instruments de progrès social, un facteur d'accroissement des richesses de la société, de la qualité des produits et des services, un moyen de développement de meilleures communications entre les personnes, d'accessibilité aux connaissances et aux informations, d'élimination des tâches asservissantes et dangereuses, de réduction d'inégalités. Mais si nous voulons que les changements technologiques produisent ces effets, on ne peut pas les laisser entre les seules mains des dirigeants économiques et politiques. Il nous faut, en même temps, nous interroger sur la nécessité de repenser toute l'organisation du travail de même que l'aménagement du temps de travail dans la société. Il ne faut pas, en effet, succomber aux sirènes qui soutiennent que la relance de l'emploi pourrait ne se fonder que sur l'informatisation de la société, sur l'accélération du virage technologique. Les emplois ne sont pas là. Les industries de haute technologie - celles qui fabriquent les composants électroniques comme les logiciels - seront très peu créatrices de nouveaux emplois. Même s'il s'agit d'industries stratégiques pour l'avenir, qui auront des effets d'entraînement sur l'ensemble des autres secteurs d'activités, les conséquences en terme d'emplois seront très restreintes. Par exemple, la fabrication de 15 000 à 25 000 robots aux États-Unis, d'ici 10 ans, ne créera que 3 000 à 5 000 emplois dans l'industrie de la robotique. Cependant, la mise en opération de ces robots sur les lignes de montage entraînera la suppression de 50 000 emplois dans le secteur de l'automobile. Au Québec des prévisions optimistes parlent de la création de 30 000 emplois dans ces industries d'ici 1990. Au sein même de ces industries il faut aussi mentionner deux tendances. Ce sont des industries qui elles aussi s'informatisent et s'automatisent. Et il s'agit souvent d'entreprises multinationales qui déménagent dans les pays semi-industrialisés, comme l'Asie du Sud-Est, les tâches de montage qui demandent encore beaucoup de main-d'oeuvre. La plupart des études prévoient maintenant que les nouvelles technologies entraîneront des abolitions d'emplois de façon plus massive que dans le passé, lorsque les emplois perdus ont été récupérés. Il s'agit donc d'un changement qui, aussi bien au plan qualitatif que quantitatif, diffère des changements antérieurs. L'informatisation du secteur tertiaire ne permettra plus de résorber la diminution des emplois dans le secteur secondaire. Au Québec. Il existe peu d'études sur le degré de pénétration des nouvelles technologies et leurs effets sur l'emploi dans les différents secteurs de travail au Québec. Les quelques-unes qui existent soulignent toutes l'importance des conséquences sur l'emploi: The Rocky Road to 1990 prévoit la disparition du quart à la moitié des emplois dans le secteur manufacturier au Canada. Un exemple saisissant de cette situation a été donné il y a quelques mois, au moment de l'annonce par la compagnie Alcan d'un investissement de $ 1 milliard à Laterrière, au Saguenay. Non seulement aucun emploi permanent ne sera créé, mais il est prévu que le nombre d'emplois dans ce secteur au Saguenay continuera de décroître. Des investissements aussi massifs, qui éliminent les emplois au nom de la productivité, démontrent à l'évidence quels intérêts sont servis dans ce type d'opérations. Quelques études sectorielles faites au Québec prévoient, notamment a cause des changements technologiques, la disparition de 30 a 45 pour cent des emplois dans l'industrie du textile d'ici une dizaine d'années; en annonce aussi la disparition de 900 à 1 750 emplois dans l'industrie du papier. Par contre pour le secteur des banques, même s'il s'agit d'un secteur en expansion et qu'on y assistera à l'introduction de nouveaux services, on ne prévoit pas de création de nouveaux emplois. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une enquête à caractère scientifique, le sondage fait par le groupe Relais sur les changements technologiques auprès de 1 582 syndicats affiliés à la CSN illustre combien l'écart est grand entre le nombre d'emplois disparus avec les changements technologiques depuis quatre ans et le nombre de nouveaux emplois qui ont été créés dans les entreprises, pour les mêmes raisons. On a constaté en effet 6 514 mises à pied pour 352 nouveaux emplois créés. Des effets sur le travail et sur la vie. Au Conseil confédéral spécial sur les changements technologiques, en novembre 1983, nous avons démontré comment les transformations profondes en cours allaient modifier substantiellement nos conditions de travail et nos conditions de vie. Nous avons rappelé que, traditionnellement, nous ne nous étions pas opposés globalement aux changements technologiques, parce que ces derniers pourraient être une source d'augmentation des richesses collectives et d'amélioration de la qualité de la vie. Nous avons cependant dû mener de dures luttes pour que la hausse de la productivité se traduise aussi par l'augmentation du niveau de vie et la diminution du temps de travail. Nous avons démontré de plus que l'utilisation patronale de la technologie, les formes de division du travail qui se sont mises en place, avaient entraîné une perte encore plus grande du contrôle collectif sur le processus de travail, la séparation des tâches de conception et d'exécution, la déqualification du travail, la division sexiste du travail, etc. Le travail a ainsi largement perdu son sens, son aspect créateur. Il s'en est suivi une augmentation considérable de l'absentéisme, du taux de roulement du personnel dans les entreprises, de la dégradation de la qualité des produits et des services. Avec l'augmentation de la scolarisation des jeunes, il s'est développé une contradiction de plus en plus flagrante entre les aspirations des individus et les possibilités de réalisation personnelle Dar l'exercice d'un travail. D'autre part, les impératifs de développement axés sur des objectifs de stricte productivité économique à court terme ont augmenté de façon dramatique les problèmes de la détérioration de l'environnement, de la dégradation de la durée et de la qualité des produits et des services. Le mode de production a ainsi profondément déterminé nos modes de consommation et de vie. L'ensemble de la population est maintenant amenée à payer les coûts économiques et sociaux de ce type de développement, sur lequel elle n'a aucun contrôle. C'est pourquoi nous devons soutenir avec encore plus de force nos revendications touchant le contrôle des travailleuses et des travailleurs sur l'organisation du travail et sa finalité. Pour une politique sociale du travail. Avec la révolution technologique, la question fondamentale qui se pose est de savoir si ces nouvelles technologies serviront d'abord à consolider ces tendances, si l'ensemble de la population aura de moins en moins de prise sur les finalités sociales du travail, de la production et de la consommation. En ce sens, les transformations en cours nous renvoient à la nécessité de réfléchir sur notre projet de société. Non seulement devons-nous nous demander comment créer de nouveaux emplois, mais aussi quels types d'emplois, en fonction de quels objectifs économiques et sociaux, en fonction de quelles finalités quant aux modèles de production et de consommation il nous faut créer. Toute politique de l'emploi doit donc s'appuyer sur une politique sociale du travail. La qualité des emplois. Par exemple, constatant que les changements technologiques dans le secteur de la forêt entraînaient des mises à pied, nos revendications sur l'emploi ont impliqué aussi que nous précisions quelle sorte d'emplois nous voulions, en fonction de notre conception de ce que doit être le développement de la forêt. C'est exactement l'objectif poursuivi par la FTPF dans sa campagne en faveur du reboisement: conservation et récupération de cette ressource naturelle, ce dont les entreprises ne se sont jamais inquiétés parce qu'elles ont toujours préféré le système de la coupe à blanc. De la même manière, il n'est pas seulement nécessaire de dénoncer les coupures dans le secteur public, qui ont entraîné la détérioration des conditions de travail et de la qualité des services: il faut aussi se demander comment la création de nouveaux emplois pourra mieux servir les besoins de la population. C'est une dimension importante de la réflexion amorcée par la CSN et la FAS sur une politique de la santé. Nous savons que les nouvelles technologies, parce qu'elles permettent de traiter de façon différente l'information, pourraient servir à démocratiser l'accès à la connaissance, favoriser l'expression et la créativité des individus. Il importe donc de réclamer la création de nouveaux services publics qui permettraient un meilleur accès à ces moyens, pour l'ensemble de la population. La FNC a déjà commencé une réflexion en ce sens et mis de l'avant plusieurs revendications, que nous avons soutenues au Sommet des communications, en octobre 1983. Il nous apparaît clair que l'ensemble des fédérations devra, chacune dans sa spécificité, prendre en compte ces questions, poursuivre la réflexion en vue d'élaborer des propositions syndicales. Dans la mesure où les changements technologiques transforment en profondeur la société dans laquelle nous vivons, nos politiques syndicales doivent porter sur la qualité des modèles à développer dans les différents secteurs. Il nous faut forcer l'État à assumer son rôle sur ce plan. Il n'est pas normal, et cela a des conséquences sociales néfastes, que le rôle des gouvernements se limite à fournir à l'entreprise privée, de manière quasi inconditionnelle, des fonds publics qui servent à financer des recherches qui, bien souvent, sont socialement inutiles. Les enjeux auxquels nous faisons face actuellement nécessitent que les choix de priorités s'effectuent de manière démocratique: ces changements doivent être planifiés par l'État, en fonction des besoins collectivement définis et non pas seulement en fonction des intérêts des entreprises, multinationales pour la plupart. Pour une politique syndicale de la productivité. Le discours patronal sur les changements technologiques se résume souvent à dire qu'ils sont nécessaires pour accroître la productivité des entreprises, pour les rendre plus compétitives. La création d'emplois serait finalement une conséquence lointaine de cette hausse de productivité et de compétitivité. Il s'agit là, à notre avis, d'une affirmation simpliste, même si la relance de l'emploi peut être en partie liée à l'augmentation de la productivité. En effet, il a été souvent constaté que les changements technologiques, dans le passé, ont entraîné une détérioration des conditions de travail; l'intérêt au travail des hommes et des femmes peut diminuer, ce qui entraîne des conséquences négatives sur la productivité. Des recherches récentes aux États-Unis montrent déjà que les effets des nouvelles technologies sur la productivité demeurent très limités si elles entraînent une détérioration des conditions de travail. Les conséquences négatives des changements engendrent toujours des coûts économiques, il n'est donc pas rentable d'envisager la croissance économique en la fondant exclusivement sur l'exploitation d'un travail qui perd de plus en plus de son sens. On sait par ailleurs que la faiblesse de la productivité globale des entreprises au Québec dépend de facteurs qui ne peuvent être corrigés seulement par l'introduction de nouvelles technologies. Une récente étude démontre que plus des trois-quarts de la différence de productivité entre le Québec et le Canada, dans l'industrie manufacturière, est attribuable à la faiblesse de la structure industrielle elle-même. Il est donc évident qu'une politique visant à augmenter la productivité au Québec doit impliquer une stratégie cohérente, globale et planifiée de développement économique. Le "virage technologique" dont parle avec ardeur le gouvernement québécois aura des retombées économiques limitées, et même négatives, s'il n'est pas en même temps associé à une volonté collective d'établir de véritables stratégies de développement dans tous les secteurs. De là l'importance pour nous, comme mouvement syndical, d'avancer notre point de vue sur cette question de la productivité au Québec. Si nous laissons le Conseil du patronat ou encore le Conseil du trésor traiter seuls de cette question, le risque est grand qu'ils confondent productivité et rendement de capital. Le souci du progrès social. Nous soutenons que tout développement économique qui tente de se faire au détriment du progrès social est voué à l'échec, à plus ou moins long terme. Pour nous, la croissance de la productivité est directement liée à l'amélioration des conditions de travail et de vie. La révolution technologique constituera un progrès sur tous les plans si nous savons, collectivement, assumer ce défi. C'est dans cette perspective que doivent se faire les investissements de l'État pour accélérer l'informatisation des entreprises. Les politiques de subventions, les différentes formes d'aide doivent être conditionnées à l'acceptation, par les entreprises, de la prise en charge des facteurs sociaux inhérents aux changements technologiques: au plan de l'emploi, au plan de l'amélioration des conditions de travail et à celui de la reconnaissance du droit des travailleurs et des travailleuses de pouvoir négocier ces changements. On sait aussi que les entreprises étrangères établies au Québec, les filiales des multinationales, investissent très peu en recherche-développement sur notre territoire; on fait plutôt ça dans les maisons mères, aux États-Unis. L'aide de l'État, dans ces cas précis, devrait donc être liée à l'obligation pour ces entreprises de réaliser au Québec une certaine part de recherche-développement. C'est essentiel si nous voulons que l'engagement de fonds publics se traduise par une véritable innovation industrielle, par la création de nouveaux emplois qualifiés. Sans ces conditions, les multinationales continueront d'établir ici des usines ou des succursales de deuxième ordre, qui sont souvent le chaînon le moins rentable, le plus ingrat et le moins créateur d'emplois du réseau. Il n'est pas illogique de soutenir que les entreprises qui effectuent des changements technologiques ayant pour effet de diminuer le nombre d'emplois devraient verser une taxe spéciale, par laquelle elles assumeraient une part des coûts sociaux provoqués par ces changements. Ces fonds pourraient être utilisés par la Caisse de stabilisation de l'emploi que nous réclamons depuis plus de sept ans pour protéger les travailleurs et les travailleuses mis à pied et pour aider à la création et au maintien d'emplois. Pour le plein emploi: la réduction du temps de travail. Pour faire face au chômage, pour éviter que les changements technologiques ne rendent plus dramatique encore ce grave problème social, pour empêcher qu'il ne se crée de plus en plus d inégalités dans l'accès au travail et dans la répartition du temps de travail, la revendication de la réduction généralisée du temps de travail est fondamentale. Elle est essentielle. Partout dans le monde, les organisations syndicales réclament la réduction du temps de travail comme mesure de création d'emplois et d'amélioration des conditions générales de vie. Les syndicats allemands, qui avaient longtemps résisté à cette approche, viennent de lancer une offensive en faveur de la semaine de 35 heures et ce sont les métallurgistes qui constituent le fer de lance de cette offensive En fait, il ne s'agit pas d'une revendication nouvelle pour le mouvement ouvrier. Le Premier Mai est justement devenu la fête internationale des travailleurs à la suite de luttes de 1886 pour la journée de travail de huit heures. Nous soutenons que si la révolution industrielle a fait passer la semaine de travail de 60 à 50 à 40 heures, la révolution technologique devrait permettre la réduction du temps de travail, par exemple de 40 à 35 à 30 heures par semaine. Pour nous, à la CSN, la réduction du temps de travail est d'abord et avant tout une mesure de justice sociale. Une résolution adoptée au conseil confédéral spécial sur les changements technologiques indique d'ailleurs que la réduction du temps de travail implique, quant à nous, la nécessité d'agir dans le sens d'un partage social des gains économiques et autres avantages engendrés par les nouvelles technologies. Est-il nécessaire de rappeler qu'en dépit des gains de productivité importants qu'ont connus les entreprises depuis une trentaine d'années, les heures de travail sont demeurées substantiellement les mêmes? Au Canada, la durée moyenne du temps de travail est passée de 41 heures en 1955 à 38,5 en 1983. Au Québec, si on exclut le travail à temps partiel, la durée moyenne de la semaine de travail était de 40,5 heures en 1982. On sait aussi que la loi sur les normes minimales de travail fixe la semaine de travail à 44 heures. Si on ajoute à cela l'utilisation largement abusive que fait le patronat du temps supplémentaire, on constate que dans certains secteurs, on est encore loin de la semaine de 40 heures. Les vacances, la retraite, les congés... Il est inacceptable que des travailleurs et travailleuses, surtout en usine, doivent se contenter encore aujourd'hui de deux ou trois semaines de vacances par année; dans certains pays d'Europe, on en est rendu à une cinquième semaine de vacances pour tous. C'est un retard inacceptable qui devra être corrigé. D'autre part, la reconnaissance du travail domestique comme travail social, le partage social de ces tâches, l'accès réel des femmes à l'emploi ne peuvent être envisagés sans une réorganisation en profondeur du temps de travail dans la société. Il en va de même pour l'accès à une retraite qui ne soit pas l'équivalent d'une mort sociale, pour une retraite progressive, à un âge plus jeune. Même chose en ce qui a trait au temps libre comme moyen de réalisation et d'épanouissement personnel, à la démocratisation de l'accès aux loisirs et aux vacances. Toutes ces revendications, propres à améliorer les conditions de vie, sont intimement liées à celles touchant l'aménagement du temps de travail. Dans nos syndicats. Notre objectif de réduire le temps de travail, de l'aménager autrement, nécessite un ensemble de mesures qui doivent être coordonnées et qui n'ont pas nécessairement la même signification pour tous les groupes dans la société, ni pour tous les secteurs de travail. C'est pourquoi il importe tellement que chacun s'approprie ces revendications en fonction de ses réalités propres. Il nous faut activer la réflexion autour de ces questions; nos fédérations doivent se donner des politiques fondées sur les positions que nous développons; nos syndicats doivent les transformer en objectifs de négociation. La réduction de temps de travail est la mesure universelle que nous réclamons. Elle doit être prioritaire, dans le contexte d'une loi-cadre portant sur les changements technologiques. Nos syndicats qui négocieront la réduction des heures de travail devront s'assurer, par des clauses précises dans les conventions, que cette réduction se traduira par la création de nouveaux emplois. Le syndicat de Marine Industries, par exemple, qui s'est donné un objectif de cet ordre, a calculé que l'introduction de la semaine de 35 heures pourrait signifier la création de 250 nouveaux emplois. Plusieurs autres mesures, que nous avons déjà adoptées, devront être vigoureusement reprises en charge: réduction ou abolition du temps supplémentaire, ou encore temps supplémentaire payé sous forme de congés, retraite facultative à 55 ans, allongement des vacances, augmentation des congés, etc. Avec l'introduction de nouvelles technologies, les congés-éducation, l'éducation permanente, deviennent des urgences. Il nous faut aussi une politique de formation professionnelle et générale qui vise l'amélioration de la vie au travail, un plus grand contrôle des individus sur leur environnement. Les programmes doivent contenir des mesures spéciales pour favoriser la formation et l'accès aux emplois qualifiés à des groupes plus traditionnellement défavorisés, en particulier les femmes. A ce sujet, le récent énoncé de politique gouvernementale sur l'éducation permanente est extrêmement décevant. Un défi global. Les nouvelles technologies nous posent un défi social global. Nous devons, à la fois, agir sur les politiques de l'État, remettre en cause le fonctionnement des entreprises et négocier sur ces questions. Nous nous sommes déjà donné une plate-forme de revendications. Il faudra poursuivre la réflexion et le débat, mais il nous faut aussi passer à l'action, surtout dans nos syndicats. Dans le cadre de ce congrès, la CSN fait de la réduction du temps de travail une de ses principales revendications pour la création de nouveaux emplois, pour l'amélioration générale des conditions de travail et de vie. Il est possible de s'organiser pour que le travail, pour que la vie, soient différents; mais les choses se passeront autrement à la seule condition que notre vigilance syndicale soit permanente et soutenue. La vigilance syndicale. Quand on insiste sur la nécessité d'infléchir syndicalement les choix d'investissements et de gestion économique, quand on détermine des positions touchant les nouvelles technologies, il ne faut pas oublier le lieu privilégié de l'action syndicale: l'entreprise ou l'institution où l'on travaille. Depuis quelques années, la CSN revendique la transparence économique, c'est-à-dire le droit pour les salariés d'avoir accès aux données économiques touchant l'entreprise: les bilans financiers, les plans d'investissements, les budgets d'opération, etc. Dans les institutions publiques, où ce type d'information est moins caché, les syndicats ont souvent un accès régulier aux bilans et budgets de leur municipalité, hôpital, ou institution d'enseignement. Et encore! A l'hôpital Notre-Dame à Montréal, les syndiqués tentent depuis plusieurs mois, sans succès jusqu'à présent, d'obtenir copie du rapport de la firme privée qui a recommandé des coupures de $7 millions. Dans les entreprises privées, il devient de plus en plus courant pour les syndicats affiliés à la CSN de demander dans leurs conventions collectives le droit d'accès à l'information financière de l'entreprise. Si la CSN prône la transparence économique, ce n'est pas seulement dans la perspective de nous permettre de savoir quel sort l'employeur nous réserve. Cela se fait aussi dans la perspective de permettre au syndicat de voir venir les coups, de planifier des actions pour prévenir des mises à pied, d'éviter de se retrouver dans un rapport de forces défavorable lors d'un renouvellement de la convention collective et, surtout, de développer des propositions concrètes. L'oeil ouvert. Même si l'on n'obtient pas immédiatement accès aux données financières confidentielles de l'entreprise, il est essentiel, pour les syndicats qui ne l'ont pas encore fait, de se donner comme pratique de suivre de façon régulière l'évolution de leur entreprise ou institution à partir des données qui sont disponibles. Il existe des rapports publics pour la plupart des institutions publiques; des rapports trimestriels et annuels sont rendus publics pour les entreprises inscrites à la bourse et les entreprises coopératives importantes. Bien que ce soient des rapports consolidés, c'est-à-dire globaux et non au niveau de chaque succursale, ces informations donnent quand même certaines indications sur l'évolution générale de l'entreprise. Il y a également certains indices qui peuvent être perçus sur les lieux de travail; ce sont des signes avant-coureurs. L'abandon de l'entretien annuel d'une usine ne peut-il pas, par exemple, indiquer l'intention de l'employeur de procéder à la fermeture des lieux? Le non renouvellement de stocks dans une entreprise de distribution ne peut-il pas refléter des difficultés de liquidité pour l'employeur? Le suivi régulier de l'évolution d'une entreprise doit permettre de planifier des actions syndicales visant à maximiser la création d'emplois et à assurer le maintien à long terme des emplois. On se retrouve ainsi en meilleur rapport de forces pour négocier des améliorations de salaires et de conditions de travail. Ce qui importe, c'est de pouvoir intervenir avant que les difficultés, mettant en cause des emplois ou l'avenir même de l'entreprise ou de l'institution, ne surviennent. Combien de fois, en analysant une entreprise au bord de la fermeture, ne découvre-t-on pas que des décisions fatales pour l'avenir ont été prises, tel un choix délibéré de désinvestir ou des erreurs quant au type de production ou quant au choix de gestion? Trois exemples. Je citerai trois exemples à l'appui. A Québec, les magasins à rayons Paquet - Le Syndicat ont été fermés après que l'entreprise ait épuisé toutes ses marges de crédit et se soit trouvée incapable de renouveler les stocks. Deux ans plus tôt, les propriétaires se versaient des dividendes de $ 1 842 000 alors que les profits n'avaient été que de $ 235 000. C'était un signe. A Waterloo, l'entreprise Les Champignons Slacks a fait faillite en février 1983. Quelques années plus tôt, le propriétaire s'était payé des dividendes de $ 200 000, alors que les bénéfices n'étaient que de $ 60 000. Les quelques modernisations effectuées l'avaient été entièrement par le biais d'emprunts. La banque a fermé l'entreprise. C'était un signe. A Sorel, la compagnie Celanese avait voulu faire croire qu'elle fermait son usine parce que la production de tapis était devenue déficitaire; au même moment, elle procédait à des investissements importants dans le méthanol, en Alberta. L'étude des rapports financiers a permis au syndicat de convaincre la population et le gouvernement qu'avec les investissements nécessaires, l'usine Pouvait être rentable. Dans ce cas, heureusement, le syndicat a pu intervenir avant une détérioration trop importante des actifs. Ces trois exemples démontrent la nécessité d'obtenir l'accès aux informations touchant l'entreprise et l'institution, afin d'en suivre l'évolution de manière régulière et continue. On peut ensuite, si cela fait défaut, organiser une mobilisation pour forcer un réinvestissement des profits, pour forcer un changement dans les pratiques de gestion ou de mise en marché, pour forcer une amélioration des services à la population, quand on constate qu'il y a détérioration. Au cours des prochains mois, le service de la recherche mettra à la disposition des syndicats un guide pratique d'analyse indiquant la nature des renseignements a recueillir et la façon de les analyser. Négociation et complémentarité. De la même manière, camarades, qu'il faut viser à faire de l'introduction de nouvelles technologies des objets de négociation, il semble tout à fait conséquent de vouloir faire porter nos négociations sur des objets aussi déterminants pour les emplois et les conditions de travail que peuvent l'être les choix d'investissements et les pratiques de gestion. Il ne faudra pas se surprendre du refus des employeurs de s'engager dans ce genre de négociations. Cependant, notre expérience nous enseigne que des sujets comme la santé-sécurité, les changements technologiques, les emplois, deviennent objet de négociation après qu'on s'en soit d'abord occupé nous-mêmes, en dehors des cadres de la stricte négociation. L'information aux membres et à la population, des campagnes de sensibilisation et d'action feront en sorte que cette préoccupation se généralise. Les entreprises devront bientôt constater qu'il s'agit d'un terrain où elles ne seront plus seules. Il nous faut prendre conscience que c'est par la voie de la négociation que nous pourrons atteindre nos objectifs; nous devons sans cesse avoir le souci d'augmenter les objets de négociation. C'est ainsi que lorsque nous développons des revendications concernant le contrôle de nos épargnes, nous devons traduire ces revendications à tous les paliers de négociation, la forme et la teneur des demandes s'ajustant au cadre de la négociation. C'est d'ailleurs dans le renforcement de notre capacité de négocier à plusieurs niveaux que notre force s'accroît et que nos possibilités d'obtenir gain de cause se trouvent augmentées. La dynamique qui peut se développer à partir des lieux multiples de négociations, - local, régional, sectoriel, national - , représente beaucoup plus qu'une addition arithmétique. Tous ces types d'intervention sont en effet complémentaires. Par rapport à la négociation, nos modes de fonctionnement doivent avoir toute la flexibilité nécessaire pour que nos objectifs, collectivement établis et partagés, soient atteints. Comme militants syndicaux, nous sommes dépositaires des problèmes que vivent nos membres; nous sommes mandatés pour orienter et organiser les forces syndicales, pour trouver des solutions, pour porter les problèmes là où des règlements peuvent se trouver. Les lieux ou encore les paliers de négociation ne sont pas des objectifs en soi; ils doivent être considérés comme des outils pour atteindre nos véritables objectifs. Il doit être possible d'intervenir, d'être écoutés et de régler des problèmes là où se prennent des décisions. Les lieux d'interventions et de négociation, toutefois, qu'ils soient locaux, régionaux, sectoriels ou nationaux ne sont pas des substituts les uns aux autres. L'important, c'est de pouvoir mettre l'outil syndical au service de nos objectifs: pour protéger nos emplois, pour ouvrir de nouvelles perspectives, pour assurer notre présence militante partout où les intérêts des travailleurs et des travailleuses sont en cause. L'organisation syndicale. Nous avons eu souvent l'occasion d'affirmer notre responsabilité en ce qui touche les efforts à mettre pour qu'un plus grand nombre d'hommes et de femmes puissent s'appuyer sur l'organisation syndicale: pour la défense de leurs droits, pour la conquête de meilleures conditions d'existence et pour s'affranchir de l'arbitraire patronal. C'est là une mission fondamentale qui nous occupe quotidiennement. Malgré toutes les embûches posées par les employeurs, notre organisation, la CSN, conserve sa grande capacité d'attraction, comme en témoignent les quelque 10 000 nouveaux membres qui viennent joindre nos rangs chaque année. Combien y en aurait-il eu si la syndicalisation était véritablement favorisée? Si les mesures législatives nécessaires pour faire disparaître les entraves à l'accréditation syndicale étaient adoptées? C'est pourquoi, en saluant aujourd'hui les représentants de ces nouveaux syndicats, nous insistons sur le courage et la détermination dont ils ont dû faire preuve pour atteindre leur objectif. Cette force d'attraction s'exerce en dépit des tentatives constantes du patronat et des gouvernements pour discréditer le mouvement syndical. Au mépris de notre histoire et de celle du peuple québécois, ils cherchent constamment à dénaturer le sens de nos revendications, de notre action et même, parfois, de notre existence. Pour ces gens-là, les travailleurs et travailleuses organisés, surtout quand ils le sont dans une centrale combative, constitueraient une espèce de caste dont les préoccupations seraient contraires aux intérêts et au bien-être le ceux et celles qui ne peuvent compter sur la force syndicale. De la mauvaise foi. Nous sommes en présence d'une mauvaise foi évidente. A chaque jour, des femmes et des hommes sont injustement congédiés, sans aucun moyen de recours, parce qu'ils ne sont pas syndiqués. La réalité, c'est encore la loi de l'arbitraire qui s'applique, le harcèlement sexuel, la discrimination sous toutes ses formes, le chantage à l'emploi, le marche-au-pas-ou-bien-va-travailler-ailleurs-si -t'es-pas-content. Ce sont des réalités que le patronat, les gouvernements et leurs technocrates tentent, par intérêt, de camoufler. Mais quoi qu'ils en disent, le mouvement syndical organisé demeure la seule espérance de changement pour des milliers de personnes qui veulent transformer leurs conditions de vie. La meilleure preuve en est l'acharnement qu'ils mettent à empêcher la syndicalisation quand elle se manifeste. Surtout, et c'est une constante, quand elle apparaît sous la forme d'un syndicat affilié à la CSN. "N'importe quoi, mais pas la CSN"! C'est une phrase que plusieurs ont entendue au moment d'user de leur droit d'association et de se syndiquer, ou encore de changer d'allégeance syndicale. Les statistiques accumulées au Ministère du travail confirment ces faits. Du monde de partout. Pour un mouvement comme le nôtre, l'arrivée de nouveaux membres constitue une grande bouffée d'air frais. Ne dit-on pas que l'organisation, c'est l'oxygène du mouvement? C'est l'assurance d'une régénération qui se poursuit. Depuis le dernier congrès, nous avons accueilli plus de 20 000 nouveaux membres, répartis dans environ 200 groupes différents. Ce sont des employés de caisses populaires à Ormstown, à Saint-Jean-de-Matha, à Côte-des-Neiges, à Ville Mont-Royal, à Trois-Pistoles, à Lennoxville, à Saint-Amable, à Douville. Ce sont les employés d'Air Satellite sur la Côte-Nord, les employés de bureau de Stanchem à Valleyfield, de Firestone à Joliette, de l'usine de transformation de poisson de Rivière-aux-Renards, de NL Chemical à Varennes. Ce sont les travailleurs à Montréal, des magasins Thibault Frères, IGA Léveillée et Provigo-Chibougamau dans le Nord-Ouest québécois, de IKEA à Québec, de Sintra à Saint-Jean, du magasin Continental et de l'usine de croustilles Yum Yum à Victoriaville. Ce sont les mesureurs des industries manufacturières de Mégantic, les instructeurs des écoles de conduite au Saguenay Lac Saint-Jean. Ce sont les chargés de cours de l'Université du Québec à Chicoutimi. Ce sont aussi des milliers de travailleuses et de travailleurs de l'hôtellerie qui, pour joindre les rangs de la CSN, ont dû affronter, en plus des employeurs, une union américaine, le Local 31, que la FTQ a finalement expulsé de ses rangs. Encore récemment, les employés de trois grands hôtels montréalais, le Bonaventure, le Régence Hyatt et l'Hôtel du Parc ont quitté le Local 31 pour se joindre aux quelque 8 000 membres du secteur hôtellerie affiliés à la CSN. Je rappelle la détermination de dizaines de militantes et de militants de la Station touristique du Mont-Tremblant qui, aux prises avec les Teamsters, ont réussi dans leur volonté d'instaurer la démocratie dans leur syndicat, puis de s'affilier à la CSN. Soulignons enfin le travail remarquable accompli par l'équipe d'organisation du Conseil central de Granby; durant les deux dernières années, quatre syndicats CSD sont revenus à la CSN grâce aux efforts de ces militantes et militants. Témoignant dans Nouvelles CSN de ces efforts au plan de l'organisation, le président du Conseil central, Jean-Claude Ménard, déclarait: "Au fil des ans, on a perdu le souvenir de ce que cela voulait dire d'avoir un syndicat lorsqu'on n'en avait pas. On oublie vite que le droit de s'exprimer librement que l'on trouve à la CSN, c'est quelque chose de grand qu'on ne trouve pas ailleurs". C'est par des actions quotidiennes, soutenues par des dizaines de militantes et militants dans toutes les régions du Québec, que de nouveaux groupes réussissent à s'organiser et peuvent ainsi, grâce à l'action collective, développer leur autonomie, réduire leur dépendance face aux employeurs. Le militantisme compense souvent pour les problèmes posés par les obstacles juridiques de tous ordres; mais l'élargissement des droits, et le droit d'association en est un fondamental, fait partie de notre responsabilité syndicale. Le vrai sens de notre action syndicale. Nous avons traversé des heures difficiles, vécu des périodes agitées tout au cours de notre histoire syndicale. Les pouvoirs politiques et économiques, les penseurs agissant pour le compte de ces pouvoirs en place n'ont jamais manqué d'attaquer notre mouvement. "Tu nous aimerais mieux plus tranquilles, Daniel? Ou peut-être à plat ventre devant vos petits amis de la Johns-Manville ? Compte pas là-dessus, mon cher. Tu seras déçu". C'est ce qu'avait répliqué le président de la CTCC-CSN du temps, le camarade Gérard Picard, à un ministre de Maurice Duplessis. Daniel Johnson. Si notre organisation syndicale a éprouvé des difficultés de parcours inhérentes à son type de fonctionnement, si la nécessite de définir des stratégies adaptées aux circonstances a pu nous conduire dans des débats tendus, si le besoin de recréer des consensus autour des actions à entreprendre nous a souvent occupés, la CSN n'a jamais, cependant, dévié des grands axes qui ont présidé à sa naissance: la justice, la liberté, la démocratie. Justice. Non pas la seule justice formelle, qui résulte de l'application mécanique de lois sanctionnées par des parlements intéresses; mais la justice fondamentale, la justice économique, la justice sociale: celle qui assure égalité et dignité! Liberté. Non pas la seule liberté civile, qui accorde des droits théoriques aux citoyens; mais surtout la liberté collective animée par la force de la collectivité et appuyée par elle; celle qui fait progresser la condition ouvrière! Démocratie. Non pas la seule démocratie parlementaire, à laquelle échappent les multinationales, les capitaux, les orientations industrielles; mais la véritable démocratie qui est totale et qui englobe ce qui est politique, ce qui est économique, ce qui est social, ce qui est culturel; celle qui assurerait, en même temps que le droit de vote, celui au travail, à la santé, au salaire décent! La tentation totalitaire. Voilà, camarades, ce qui dérange de plus en plus les autorités en place au Québec. La tentation totalitaire, celle qui consiste à prendre tous les moyens pour faire taire les oppositions, habite ce gouvernement. Nous refusons de le laisser définir en toute quiétude l'espace qui serait dévolu à un syndicalisme docile. Nous allons continuer de défendre, comme nous l'avons toujours fait, la place qui doit être celle d'un véritable syndicalisme libre dans la société québécoise. Que penser de l'entêtement d'un ministre qui veut à tout prix faire de la SAQ une coopérative dont personne ne veut, y compris le Conseil de la coopération du Québec. Le refus récent de renouveler le mandat de la présidente de la Commission des droits de la personne, madame Francine Fournier, doit être interprété dans cette optique. Cette décision s'explique principalement par le fait que la Commission dérangeait par ses prises de position, en particulier lors de l'adoption de la loi 111 à l'hiver 1983. Au même moment, la ministre déléguée à la condition féminine interpellait publiquement le Conseil du statut de la femme et remettait en question le sens de ses interventions, en même temps que sa légitimité et sa crédibilité auprès des Québécoises. En invoquant la "majorité silencieuse", la ministre jetait du discrédit sur les organisations et les groupes que les femmes ont choisi de se donner. L'ancienne présidente, madame Claire Bonenfant, ne s'était jamais gênée pour appuyer les revendications des femmes et dénoncer les politiques qui pouvaient leur nuire; ces interventions se sont faites même lorsqu'elles dérangeaient le pouvoir. Il y a d'ailleurs davantage qu'un symbole dans le fait que le premier ministre Lévesque ne se souvenait plus, il y a quelques mois, de l'existence d'un ministère de la condition féminine... Ce type de fonctionnement, plus technocratique, donc plus poli et civilisé, n'en demeure pas moins une manière élégante de faire taire celles et ceux qui refusent de marcher au pas. Un rappel inquiétant. Mais l'offensive la plus soutenue est menée contre le mouvement syndical, contre la CSN en premier lieu. A l'occasion des grandes crises qui se sont manifestées au vingtième siècle, deux approches de sortie de crise, tout à fait opposées, se sont développées au niveau mondial; l'une, démocratique, s'est appuyée sur les organisations syndicales; l'autre, totalitaire, a nié à ces organisations le droit d'exister en pleine autonomie et indépendance. Ainsi, pendant la crise des années '30, le mouvement syndical français, suédois et américain obligeait les États à assurer une sortie de crise davantage populaire. Ou bien on s'appuie sur les organisations populaires... C'est de cette façon qu'en France le mouvement syndical, solidement allié aux couches populaires, constituait le Front populaire et obtenait du gouvernement et du patronat des avantages sociaux que nous n'avons pas encore réussi à faire adopter ici. Les accords signés à cette époque indiquaient clairement une volonté politique de s'appuyer sur le mouvement syndical et les forces populaires organisées pour combattre efficacement la crise économique. En Suède, à la suite de grèves insurrectionnelles, le gouvernement devait démocratiser l'économie en accordant aux syndicats déjà implantés et au patronat, qui a alors dû s'organiser, une voix déterminante dans l'établissement d'une stratégie industrielle et des grandes orientations économiques du pays. Aux États-Unis, par sa politique du New Deal, le président Roosevelt reconnaissait aux organisations syndicales le rôle qu'elles devaient occuper dans la société en créant l'obligation, pour les patrons, de négocier et de conclure des conventions collectives. Il n'est pas possible, dans le cadre de ce rapport, de porter de jugements sur l'évolution politique, économique et sociale de ces pays depuis ces événements qui se sont produits il y a environ cinquante ans; ni d'évaluer comment, finalement, les syndicats américains ont pu être piégés par les objectifs du capital. Ces choix politiques témoignaient cependant d'une acceptation de s'appuyer sur le peuple organisé, donc sur l'action des forces démocratiques, pour privilégier un type de sortie de crise. Ou bien on écarte les organisations populaires. Tout à l'opposé, les États allemand, italien et espagnol déclaraient au même moment le syndicalisme hostile aux visées de l'État et cherchaient à contrôler, dominer et asservir les organisations syndicales et populaires. C'était la voie autoritaire empruntée par un projet national à l'intérieur duquel toutes et tous étaient conscrits. Au moment où l'Europe devait être reconstruite après la guerre, les mouvements syndicaux italien, belge, hollandais, autrichien qui avaient assumé la légitimité populaire par leur résistance et qui avaient amplement participé aux luttes populaires en vue de la reconquête des libertés, ont imposé leur présence politique, économique et sociale. En même temps, dans les pays d'Europe de l'Est, les organisations syndicales devenaient des rouages de l'État. L'histoire plus récente témoigne d'ailleurs avec parfois trop d'éloquence de cette tentation totalitaire en Afrique, en Amérique latine, en Asie, qui cherche à éliminer les organisations populaires. Le mouvement syndical se trouve le premier vise, régulièrement. S'il y a un enseignement majeur à tirer de tout cela, c'est celui que rien n'est jamais acquis en ce qui touche les valeurs démocratiques. Nous devons constater, aujourd'hui, qu'il y a à l'oeuvre des forces qui attirent notre société vers des terrains qui doivent inquiéter. Bloquer le véritable syndicalisme. Quand le gouvernement érige en fonctionnement systématique, dans plusieurs secteurs, la négation des groupes organisés pour privilégier le contact avec ce que la droite appelle commodément "la majorité silencieuse", cela n'est pas sans signification. Cela veut dire, très précisément, que ce gouvernement sait qu'il pourra plus facilement imposer ses volontés s'il réussit à écarter, ou encore à neutraliser, les organisations populaires. Ainsi, le terrain se retrouverait débarrassé de tout ce qui pourrait risquer de troubler un jeu dont les résultats seraient décidés à l'avance. Dans le secteur public. Des symptômes de cet ordre étaient apparus lors des dernières négociations dans le secteur public, dans le refus constant du gouvernement de négocier. Non pas un refus stratégique, mais un refus portant sur l'essentiel. Quand la CSN et les deux autres organismes syndicaux avaient proposé en avril '82 de reconsidérer les augmentations salariales des six derniers mois de la convention, à l'intérieur d'une nouvelle entente portant sur les années qui suivaient, le gouvernement n'avait pris que quelques heures pour statuer que la proposition syndicale en était une de rejet de sa proposition. Il manifestait alors, de façon très claire, une attitude qui allait demeurer jusqu'à la fin, jusqu'à l'adoption des décrets et de toutes les lois répressives: un refus absolu d'entreprendre la négociation sur l'essentiel: l'emploi. L'État n'avait plus de temps à perdre à négocier avec ses sujets-employés. Dans les hautes sphères du Pouvoir, le bien-être collectif avait été défini, déterminé. Il restait aux organisations syndicales le choix de le reconnaître et d'y collaborer. Ou encore, d'encourir les sanctions prévues aux lois répressives. Dans le secteur privé. D'une manière semblable, dans le secteur privé, le gouvernement s'accommode davantage d'un syndicalisme "raisonnable", qui a tendance à confondre les objectifs syndicaux avec les politiques gouvernementales. Dans d'autres pays et sous d'autres régimes, on appelle "officialiste" ce type de syndicalisme qui se satisfait avec constance des lois telles que proposées par les gouvernements. A court terme, bien sûr, cela rapporte des dividendes. Aujourd'hui, l'offensive sur ce plan est très large; elle s'est déjà manifestée à l'occasion des amendements à la loi sur les indemnités pour les malades et accidentés du travail, à l'occasion des mesures dérisoires prises pour favoriser l'emploi; l'enjeu risque d'être encore plus important par le biais de la Commission d'enquête sur le Code du travail. En effet, deux conceptions différentes de l'accréditation multipatronale sont en présence. Nous soutenons, à la CSN, que l'accréditation multipatronale doit conduire à l'existence d'un véritable syndicalisme; nous recherchons donc des aménagements au Code du travail qui seraient de nature à assurer à la fois la possibilité de se syndiquer et celle de vivre un véritable syndicalisme. Cela peut signifier l'accréditation, par exemple, de toutes les pharmacies dans une même ville, ou encore pour un secteur complet dans une région. Nous maintenons le souci constant que la vie syndicale, avec les exigences démocratiques que cela implique, soit possible à l'intérieur de nouvelles structures. Mais à ces aménagements nécessaires pour tenir compte des conditions objectives dans lesquelles vivent les travailleurs et les travailleuses, d'autres, parmi lesquels le patronat, opposent un élargissement mécanique des conditions de travail par l'extension de la loi des décrets, moyennant la perception d'une cotisation syndicale obligatoire. Cela, à notre avis, n'assure pas l'émergence d'une véritable vie syndicale mais favorise plutôt la désyndicalisation. Tant qu'elle ne sera pas remplacée par quelque chose de mieux, il ne s'agit pas de faire disparaître la loi des décrets; certains secteurs, dans les garages par exemple, l'utilisent pour assurer de meilleures conditions aux travailleurs. Mais nous trouverions ridicule que la réforme du Code du travail soit réduite à l'extension de cette loi. Dans notre approche, ce sont les conditions permettant une vraie vie syndicale que nous voulons favoriser. Dans l'autre thèse, c'est le syndicalisme lui-même qu'on cherche à aménager, pour des raisons de commodité ou même de "rentabilité". Le secteur de la construction connaît ces problèmes depuis l'adoption de la loi 290, en 1968. Le président de la CSN à l'époque, le camarade Marcel Pépin, disait d'ailleurs de cette loi, au moment de son adoption, qu'elle était sans doute bonne pour les organisations syndicales mais qu'elle ne l'était certainement pas pour le syndicalisme. Cela assure les cotisations syndicales, en effet; mais cela n'assure pas la vie syndicale. C'est une conception affairiste, bureaucratique, qui favorise l'établissement de monopoles syndicaux mais qui désapproprie les membres d'une prise réelle sur leurs conditions de travail et les dépossède d'à peu près toute capacité de décider eux-mêmes des actions à prendre pour changer les choses. Nous avons la plus intime conviction qu'il n'y a pas de substituts au syndicalisme authentique. La commission Châtillon. Dès sa première conférence de presse, le président de la Commission d'enquête sur le Code du travail, Monsieur Gilles Châtillon, déclarait que sa commission avait toutes les chances de réussir puisque "les patrons sont intéressés aux profits, les centrales syndicales aux cotisations et les travailleurs à leurs jobs". Cette manière cavalière de réduire le syndicalisme à une "business" traduit bien les sentiments des technocrates de droite au service du gouvernement. Dans leur vision technocratique, les organisations syndicales se seraient en quelque sorte développées en marge - et presqu'en dépit - des revendications des travailleurs. Des réductions semblables trahissent aussi une méconnaissance assez singulière de notre mouvement. A vrai dire, cette commission d'enquête est née dans l'adversité. Le patronat et les organisations syndicales avaient émis un avis unanime, au Conseil consultatif du travail et de la main d'oeuvre, relativement à la composition de la commission, à son mandat et à son fonctionnement. Aucun des éléments majeurs identifiés lors de cette consultation n'a été retenu. La FTQ fut seule à appuyer publiquement et officiellement la commission Châtillon. Il y a urgence, pourtant. Pourtant, l'urgence de procéder à une véritable réforme en profondeur du Code du travail n'est plus à démontrer. Nos principales exigences relatives au Code ont été consignées au cours de nos congrès. En 1970, le congrès était saisi de la proposition Pépin, suggérant un mode multipatronal d'accréditation et de négociation; le congrès de 1974 adoptait une véritable charte des droits des travailleurs; en 1976, le congrès appuyait plusieurs résolutions relatives aux lois du travail, au droit de grève, au droit d'association et même au monopole de représentation; en 1978, nous proposions d'entreprendre l'élaboration d'un véritable Code du travail; le congrès de 1980 adoptait une proposition visant à créer des comités inter-syndicaux FTQ-CEQ-CSN pour favoriser, notamment, l'accès à la syndicalisation; nous mettions de l'avant en 1982 l'idée de créer des syndicats inter-professionnels et des syndicats de chômeurs comme moyens collectifs en vue d'augmenter notre rapport de forces global. Depuis 1964. La dernière réforme du Code du travail remonte à 1964; on comprendra donc notre volonté de procéder à la révision de toutes les lois qui régissent les rapports collectifs: la santé-sécurité, les normes minimales de travail, la formation professionnelle, etc. Tout cela influence la vie syndicale. Mais il y a plus; il y a toute la dépendance des rapports collectifs de travail à l'égard du droit civil et du code de procédure civile; c'est en vertu de ce code que les injonctions, dont on connaît les effets sur la vie syndicale, sont émises. Nous avons souvent revendiqué la "déjudiciarisation" des relations de travail. A l'heure actuelle, par exemple, des centaines de requêtes syndicales sont bloquées au Tribunal du travail, en attendant que la Cour suprême se prononce sur une interprétation de l'article 45. De manière systématique, les employeurs utilisent ce procédé qui nie, dans les faits, le droit à la syndicalisation. Il nous apparaît absolument urgent que les jugements des tribunaux d'arbitrage, des agents d'accréditation, des commissaires du travail et du Tribunal du travail cessent d'être portés ailleurs, devant d'autres cours, aux seules fins de retarder l'accréditation des syndicats ou la réintégration des militants et militantes congédiés pour activités syndicales. Nous avons aussi continué de soutenir qu'à nos yeux, il ne saurait y avoir qu'un seul Code du travail. Il n'est pas question pour nous d'accepter que des codes distinctifs, pour le secteur public et le secteur privé, viennent isoler et diviser les travailleurs et, surtout, les travailleuses qui constituent au moins les deux tiers des employés du secteur public. Toutes ces questions, et tant d'autres encore, auraient dû être soumises à une véritable commission de révision des lois du travail, composée de personnes crédibles pour les parties. Le gouvernement a plutôt nommé comme président un haut fonctionnaire sans connaissance aucune du monde du travail, sans tenir compte des observations qui lui avaient été faites pour la composition de la commission. La plupart des indications que nous avons viennent confirmer nos appréhensions: le véritable mandat de cette commission se situe beaucoup plus du côté d'une agitation politique que d'une recherche rigoureuse de solutions aux problèmes posés par les lois du travail. Nous prendrons à son égard l'attitude qui s'imposera selon les circonstances; mais il n'est pas question d'abdiquer dans notre volonté de faire progresser le cadre législatif dans lequel doivent vivre et lutter les travailleurs et les travailleuses. Une centrale du public? Un projet circule depuis quelques mois, en provenance de la Centrale de l'enseignement du Québec, qui propose le regroupement de syndicats des secteurs public et parapublic. Nous disons clairement que ce projet comporte des éléments extrêmement inquiétants pour le syndicalisme. Nous soutenons que sa concrétisation représenterait une contribution majeure pour l'affaiblissement du mouvement syndical organisé, au Québec. Nous croyons que les véritables racines de la solidarité syndicale se retrouvent dans la démarche qui avait été entreprise entre la CSN et la CEQ et qui avait conduit, en 1979, à l'adoption d'une déclaration d'intention relative à l'unité syndicale. Mais qu'en est-il au juste de ce projet de la CEQ, qui a provoqué des réactions de colère chez plusieurs militants et militantes de la CSN dans les régions et qui, au sein même de la CEQ, suscite des réserves qui s'expriment de plus en plus? Il s'agit essentiellement d'offrir, à différents groupes des secteurs public et parapublic, une affiliation syndicale à un coût correspondant au degré et au type de services reçus de la centrale. Disons, pour parler net, que le projet en circulation offre la solidarité en pièces détachées. C'est là une conception qui nous est complètement étrangère puisque nous avons toujours maintenu qu'une centrale devait être un lieu organique de solidarité; que c'est justement en assurant la circulation quotidienne des idées, des services, des sommes à la disposition de celles et de ceux engagés dans des luttes dans tous les secteurs, que cette solidarité concrète trouvait son épanouissement. Une vision statique. Mais au-delà de ces considérations, le danger le plus important dans ce projet nous semble celui de refléter une vision statique d'une stratégie syndicale, qui consiste à calquer la composition d'une centrale sur celle de l'employeur. Ce serait, dans les faits, accréditer le discours patronal de division entre le public et le privé. L'État est davantage qu'un employeur plus gros que les autres et c'est créer des illusions de penser qu'il suffit d'agglutiner l'ensemble des groupes pour qu'un rapport de forces significatif soit établi. Nous avons toujours soutenu activement l'importance de favoriser la plus grande unité possible, tant au niveau de la négociation que de l'action, dans les négociations avec l'État-employeur et ses partenaires patronaux. Mais cela a toujours été une constante à la CSN de lier ces actions syndicales aux autres secteurs. Pour s'assurer, justement, que les revendications mises de l'avant servent l'ensemble des travailleuses, des travailleurs et des classes populaires. Le projet en circulation porte dans son essence le danger de favoriser davantage la réunion des intérêts corporatistes d'un secteur que la construction d'une véritable solidarité syndicale. Ce serait un grave échec pour le syndicalisme au Québec si ce projet devait prendre plus d'ampleur qu'il n'en a aujourd'hui. Nous invitons de façon très fraternelle nos camarades de la CEQ à réfléchir sur les conséquences désastreuses qui pourraient résulter de la consécration d'une division organisée des forces syndicales dans le secteur privé et dans le secteur public. Nous maintenons notre conviction que l'action syndicale doit privilégier l'établissement des plus larges solidarités possibles. La richesse de la CSN a toujours résidé dans sa capacité de dégager des aspirations communes, au-delà des différences sectorielles, des statuts, des niveaux de salaires; de favoriser l'émergence de consensus par une prise de conscience d'intérêts partagés. Poursuivre nos efforts. A tous les jours, des militantes et des militants de la CSN consacrent temps et énergie à former des syndicats. Chaque année, au moins trois millions de dollars des cotisations versées par nos membres affiliés servent à agrandir le champ de la syndicalisation. L'acte de se syndiquer demeure cependant l'un des seuls droits à s'exercer encore la plupart du temps dans la clandestinité, parce que les patrons résistent; parce qu'ils ont recours à des avocats que le système tolère et qui abusent du silence des lois. C'est ainsi que de véritables croisades contre la syndicalisation sont menées. Encore aujourd'hui, les employeurs congédient massivement pour simple fait d'organisation syndicale. Si autant de femmes et d'hommes n'ont pas encore accès à la syndicalisation, ce n'est certes pas à cause d'un effort insuffisant de la part des travailleuses et des travailleurs organisés. Ce qui révolte dans les déclarations d'hommes politiques ou de technocrates sur ce sujet, c'est que malgré les engagements pris aux Sommets économiques de la Malbaie, de Montebello et de Québec, malgré les promesses électorales et le programme - si souvent violé - du Parti québécois, on en soit encore aujourd'hui à proposer une commission d'étude qui présentera, peut-être, quelques changements législatifs à la fin de son mandat. Pourtant, dès l'hiver 1982, le ministre Pierre Marois proposait un projet de loi modifiant de façon substantielle le Code du travail. Le gouvernement Lévesque a mis cette proposition en veilleuse, remercié son ministre du travail et procédé, avec un autre ministre, à une réforme cosmétique pompeusement appelée Phase 1. Pour ce faire, il avait déjà pu compter sur l'appui officiel de la FTQ. Camarades, il n'est pas question pour la CSN d'abandonner la poursuite de nos revendications majeures touchant la révision de l'ensemble des lois du travail, la déjudiciarisation, l'existence d'un seul Code du travail s'appliquant à tous les secteurs, le retrait de l'utilisation de l'injonction, l'accès à la syndicalisation, la reconnaissance de la plénitude des droits syndicaux: droit de se syndiquer, de s'affilier, de négocier, droit de grève. C'est notre responsabilité de maintenir ces revendications et d'organiser la mobilisation nécessaire pour qu'elles prennent forme; il n'appartient pas aux gouvernements de définir l'importance de l'espace que peut occuper l'action syndicale et nous combattrons toute tentative qui pourrait aller dans cette direction. Des espaces de liberté. Les lois qui ont fait avancer la classe ouvrière ne sont venues, la plupart du temps, que consacrer un état de fait imposé par la détermination des travailleuses et des travailleurs organisées, par des luttes menées par des syndicats. C'est le cas pour le droit de se syndiquer, le droit de négocier, le droit de recourir à la grève dans tous les secteurs, pour l'établissement de l'égalité régionale et sectorielle des salaires dans l'industrie de la construction, pour l'indexation des salaires, pour l'adoption d'un loi anti-scab, Pour l'élargissement des droits parentaux, pour la diminution des écarts de salaires, pour l'élimination des discriminations, pour la progression de la liberté de l'information. Les gains, les améliorations arrachés à la suite de luttes ne sont pas le fait d'un seul moment, le fruit de l'instantané, en quelque sorte. Ces luttes s'inscrivent plutôt à l'intérieur d'un mouvement qui, par force d'entraînement, en arrive à définir de nouveaux espaces de liberté. C'est de cela qu'il faut s'inspirer pour poursuivre! Notre place, notre rôle. Que la CSN soit constamment sous les feux de l'actualité, que tout ce qui nous touche, ou à peu près, prenne la dimension d'un événement d'envergure nationale, que notre mouvement soit constamment sollicité afin qu'il prête son appui à de multiples causes, tout cela n'est pas sans signification. Le sens réel de cette attention, qu'on n'a jamais cessé de porter à notre mouvement, tient à la place immense qu'il a occupée depuis son arrivée dans la société québécoise il y a plus de soixante ans. On demande beaucoup à la CSN; on exige beaucoup de la CSN. Dans tous les milieux populaires et syndicaux, on réclame de notre mouvement qu'il soit toujours à la hauteur de toutes les exigences du militantisme, de toutes les exigences de la rigueur. On réclame que nous ne cessions pas de développer une force d'entraînement qui profite, finalement, aux classes populaires et aux groupes moins bien organisés. Si on exige tellement de notre mouvement, c'est qu'à toutes les époques, il a beaucoup donné à la société québécoise; les grands débats, les grandes causes, les grands gains, les grands affrontements ont fait le quotidien de notre centrale. En même temps, une grande part de notre force d'attraction repose sur notre capacité de répondre aux aspirations populaires. Nous avons choisi de déranger pour qu'il y ait plus de justice, pour qu'il y ait plus de pouvoirs dans les mains du monde ordinaire. Nous allons continuer de déranger, parce qu'il reste encore beaucoup à faire. Il y a vingt ans. Les journaux nous apprenaient, il y a quelques mois, que les jeunes "péquistes de gauche" étaient à la recherche d'un nouveau paradigme pour la gauche". (Vérification faite, un paradigme serait quelque chose comme un modèle, un exemple...) Selon eux, en effet, les idéaux des années soixante auraient conduit la société québécoise à un éclatement; les intérêts populaires se retrouveraient aujourd'hui complètement divisés. Il y aurait les oppositions jeunes - vieux, syndiquésnon-syndiqués, secteur public - secteur privé. Les idéaux qui ont amené la poussée des années soixante portaient sur une plus juste redistribution de la richesse, créée grâce à une croissance économique constante; ils reposaient aussi sur une plus grande sécurité sociale, obtenue par l'établissement de régimes universels de pensions et d'assurance maladie, sur l'accès à l'éducation. Au plan économique, on préconisait une part plus importante pour les sociétés d'État dans le développement économique; on réclamait l'établissement d'une véritable stratégie industrielle. Constamment, la CSN a soutenu ces revendications pour que le sort de l'ensemble soit amélioré. Ces luttes se poursuivent encore aujourd'hui et nous en soutenons d'autres qui sont de même nature, en ce sens qu'elles visent toujours à transformer radicalement les conditions d'existence qui sont faites à la majorité. Mais ces idéaux n'ont jamais, sauf exception et pour des périodes de temps très courtes, été poussés par les gouvernements qui se sont succédés. Le gouvernement Lesage, par exemple, s'est satisfait de légiférer sur certains éléments d'une révolution tranquille que les pressions populaires avaient rendus irréversibles. Aujourd'hui, le gouvernement Lévesque contribue à la dégradation des conditions sociales, à l'éclatement de nos fibres collectives en entretenant de façon active les oppositions entre divers groupes dans la société. La division pour cacher l'ineptie. C'est devenu une manière de gouverner que de cultiver les oppositions, de contribuer à dresser, par des arguments démagogiques, les jeunes contre les vieux, les syndiqués contre les non-syndiqués, les travailleuses et les travailleurs du secteur privé contre ceux et celles du secteur public. Le désintéressement de la chose politique, qui peut être constaté aujourd'hui auprès de larges couches de la population, en particulier chez les jeunes, n'est pas étranger à ce fonctionnement stérilisant. Les jeunes. Y a-t-il une famille, au Québec, qui échappe au chômage? Jeunes femmes, jeunes hommes dans la vingtaine, dans la trentaine qui n'ont pas encore occupé un emploi stable et pour qui se perpétue la dépendance familiale: ils ne peuvent même pas aspirer aux conditions légitimes et normales d'autonomie, d'indépendance et de liberté! Or, que propose le gouvernement pour les jeunes, en terme d'emplois valables et permanents? Rien. Essentiellement rien. Il y a bien un programme de retour à l'école secondaire et de stages en entreprises; mais il s'agit toujours d'un travail provisoire d'un an maximum, un travail précaire dont le seul objectif est de rendre les jeunes "socialement" aptes à la vie d'usine. Ce ne sont pas des emplois qu'on développe; c'est sur la disponibilité des jeunes à occuper des emplois temporaires qu'on met l'accent, la plupart du temps en connivence avec le principal employeur de la région. Aujourd'hui, la réforme des années soixante dans l'éducation est remise en cause, par exemple par le biais du réglement des études collégiales. On veut ainsi introduire différents niveaux de formation dans les CEGEP. L'orientation générale consiste à accentuer la spécialisation hâtive en dirigeant les jeunes vers des fonctions restreintes, avec une formation générale insuffisante. Une politique semblable place le jeune en situation précaire dès que survient un changement technique ou technologique. Nos membres affiliés à la FNEEQ ont toujours combattu une approche semblable. Avec la CSN, ils ont toujours revendiqué que la formation se situe au-dessus du niveau des besoins immédiats des entreprises; ce qui ne signifie aucunement que la formation doive être faite en marge des réalités du monde du travail, bien au contraire. Nos camarades de l'enseignement doivent continuer d'être attentifs à ce qui se passe dans leur milieu pour que le mouvement organisé, auquel ils appartiennent, puisse continuer d'assumer cette fonction qui consiste essentiellement à préparer l'avenir. Mais qui donc, au juste, empêche ce gouvernement "social-démocrate" d'établir une véritable politique de plein emploi et de déterminer des conditions acceptables pour l'obtention des subventions reliées à la création d'emplois? Les vieux?... Leurs parents?... Les non-syndiqués. Plus de 600 000 travailleuses et travailleurs du Québec, non syndiqués, vivent sous la seule protection du salaire minimum et des normes minimales. Le salaire minimum, qui avait été indexé sous le ministre Couture, a été désindexé sous le ministre Johnson et l'est demeuré depuis. De fait, c'est une perte de 28 pour cent du pouvoir d'achat qui a été encourue depuis 1976 pour ceux régis par le salaire minimum. Le salaire minimum québécois est aujourd'hui dépassé par la Saskatchewan, les Territoires du Nord-Ouest, et même par les États-Unis, il est au même niveau que celui du Manitoba et de l'Ontario. Pourtant, le Québec a régulièrement exercé un leadership en ce domaine. Les normes minimales n'établissent que quelques droits difficiles à faire appliquer car les coûts d'arbitrage, par exemple, doivent être défrayés pour la moitié par les personnes qui veulent les faire respecter. Cette loi est d'une inefficacité exemplaire. Or, la CSN a proposé au Sommet de Québec de rendre le salaire minimum négociable par secteur ou encore par région; nous avons réclamé l'amélioration générale des lois sociales touchant les vacances et les heures de travail. Le gouvernement n'a jamais daigné répondre à ces propositions. Mais qui donc l'empêche de hausser le salaire minimum et d'améliorer les droits sociaux de ces 600 000 personnes non syndiqués? Les syndiqués? Des emplois. C'est sous le fallacieux prétexte d'un besoin d'urgent et pressant d'injecter dans l'économie des centaines de millions de dollars que le gouvernement a eu recours à l'autoritarisme législatif et imposé par décret les conditions de travail de plus de 300 000 employés du secteur public et parapublic. Or, on nous apprend aujourd'hui qu'environ $ 300 millions prévus pour la relance n'ont même pas été dépensés! Les millions récupérés par la force des lois ont peut-être servi à diminuer le déficit par des opérations comptables. Mais où sont donc les emplois qui servaient de justification sociale aux attaques faites aux conditions de travail des employés de l'État? Mais qui donc empêche ce gouvernement de créer des emplois dans le secteur privé? Les employés du secteur public? La CSN-Construction a proposé un plan de relance axé sur le logement social; ce plan pourrait contribuer à résoudre, du moins en partie, les besoins des personnes âgées, des personnes handicapées, des familles moins bien nanties. Nous n'avons obtenu aucune réponse. Les seuls programmes de soutien à la construction s'adressent toujours aux personnes qui ont les moyens d'accéder à la propriété. Mais qui donc empêche ce gouvernement de développer le logement social? Les jeunes ? Des semeurs d'idées. Dans une publication de la CSN datant de 1970, on peut lire ce qui suit: "Rien dans l'histoire de l'humanité n'a pu étouffer ce désir de l'homme de construire quelque chose pour lui, à sa mesure, pour ses besoins. Aucun empire, si puissant soit-il, n'a réussi cela, ni par la guerre, ni par le luxe. Dans les pires moments, il s'est toujours trouvé des semeurs d'idées qui ont sauvé l'homme de l'asservissement total. La CSN rejoint les grands semeurs d'idées de l'histoire." Jamais peut-être, camarades, n'avons-nous eu autant qu'aujourd'hui la responsabilité collective de relancer les débats, soulever à nouveau de grandes questions dans un Québec en train de se transformer, au plan des idées et des aspirations sociales et politiques, en un immense désert. Si, en effet, notre tâche principale consiste à négocier avec le plus de rigueur possible des conventions collectives, nous ne perdons jamais de vue qu'en même temps, notre action syndicale a une portée sociale et politique majeure. Et même en accomplissant notre tâche principale de négociation, nous ne faisons pas que disposer d'une masse salariale, par exemple. Dans ce cas précis, une longue tradition de réduction des écarts de salaires illustre notre parti-pris de faire porter nos efforts vers l'amélioration des conditions de vie des plus faibles. Nous n'avons jamais hésité à nous porter à la défense des droits fondamentaux; c'est une vigilance permanente que nous avons exercée sur ces questions, à chaque fois que des gouvernements ou des pouvoirs les ont remis en cause, à chaque fois qu'ils ont voulu prendre des raccourcis avec la démocratie. Car le caractère non partisan de l'action politique de la CSN, et l'autonomie de notre démarche, n'assurent en rien le confort des partis politiques en place! Les nouvelles sensibilités. Nos objectifs sociaux, nos projets collectifs, ceux que nous avons élaborés, que nous avons proposés à la société, autour desquels nous avons organisé la mobilisation nécessaire ont fait avancer le bien-être de l'ensemble; ce rôle de ferment actif au sein du peuple doit demeurer pour tous les militantes et militants une constante préoccupation. De là l'importance pour notre mouvement d'être toujours aux aguets afin de pouvoir capter les messages de groupes qui, dans la société, sont plus particulièrement préoccupés par des questions comme le nucléaire, la qualité de la vie, l'environnement, la paix, l'aménagement de l'espace urbain. C'est justement quand le mouvement syndical se montre ouvert et accueillant à l'expression de ces sensibilités qu'il peut le mieux, avec sa capacité de porter les choses, prendre en compte ces espoirs et les traduire dans des revendications et des politiques concrètes. Le projet qui s'élabore actuellement sous l'égide de la Fédération du papier et de la forêt, en faveur d'un "Québec vert", en est une illustration éloquente. Dès les premières lignes de ce rapport, je disais comment le cul-de-sac qui s'offre comme seule perspective pour des milliers de jeunes au Québec devait nous concerner. Nous n'avons pas d'autre choix que l'ouverture face à ce drame que vivent quotidiennement tous ces jeunes à qui tout espoir est nie, systématiquement. Nous devons les rejoindre, prévoir des moyens pour les accueillir, leur prêter notre support en tant qu'organisation. Il ne faudrait pas que les rigueurs de la crise les amènent à penser que les travailleurs organisés sont des ennemis, alors que nous sommes des alliés. Nos syndicats, nos fédérations, nos conseils centraux sont invités de manière pressante à mettre en oeuvre toute l'imagination, toute l'invention qui nous caractérise afin que nous puissions intervenir de façon originale sur ce qui est devenu l'un des problèmes majeurs des sociétés post-industrielles. Développer des politiques, dégager des pistes, amener des propositions concrètes pour appuyer les efforts des jeunes fait aussi partie de nos responsabilités. Nos revendications touchant la retraite, qui pourrait être prise à un âge plus jeune, ou encore celles portant sur la réduction du temps de travail, sont de nature à dégager des postes de travail; leur réalisation ne pourra qu'être bénéfique pour les jeunes à la recherche d'un emploi. Contrairement aux préjugés répandus, les jeunes sont capables d'engagement et de militantisme; la manifestation pour la paix qui s'est tenue à Montréal le 22 octobre est la preuve de leur capacité de mobilisation pour des causes auxquelles ils croient. Les jonctions nécessaires. Les jonctions entre nos revendications syndicales et des revendications à portée plus large sont non seulement possible mais éminemment souhaitables. Je dirais même que c'est quand elles sont réussies que l'action syndicale prend toute sa dimension sociale. Les luttes pour la santé dans les usines ne sont pas étrangères aux problèmes de pollution vécus aux quatre coins du Québec. A Valleyfield, à Rouyn-Noranda, à Thetford-Mines, ce n'est pas seulement dans les usines qu'on joue avec la santé des travailleuses et des travailleurs: l'environnement complet est soumis à une agression constante qui salit les rues, détruit les paysages. On comprendra aussi à quel point les luttes de nos camarades de la FNEEQ sont intimement liées à la qualité de l'enseignement; comment les récentes mobilisations à l'hôpital Notre-Dame et à l'hôpital Louis-H Lafontaine à Montréal, comme au centre hospitalier des Iles-de-la-Madeleine sont des mobilisations populaires au sens précis du terme, c'est-à-dire faites en fonction des intérêts du peuple. Encore ce printemps, à l'hôpital de Chicoutimi, le syndicat a su entreprendre des actions appuyées par la population; ces actions ont permis la création de 55 postes supplémentaires pour assurer un meilleur service; elles ont aussi permis que les employés disposent du linge nécessaire pour laver les patients. Après le conflit, le syndicat a publié des annonces dans les journaux locaux pour remercier la population d'avoir compris que les actions des syndiqués visaient l'amélioration de la qualité des soins. Etre présents. Les actions sectorielles dont on a parlé auparavant, qu'elles soient dans les pêches, dans la forêt, dans les chantiers maritimes, dans la santé, dans l'éducation, rejoignent le même type de préoccupation que nous avions à d'autres époques, quand nous mettions de l'avant des politiques qui profitent aujourd'hui à l'ensemble. Nous comptons continuer à assumer cette responsabilité de porter nos analyses, nos revendications, nos objectifs sur toutes les tribunes et sur tous les terrains. Il nous faut investir tous les lieux où nous pourrons faire avancer notre vision originale de la société. Il nous faut avancer les éléments concrets d'une société que nous voulons différente. Une société axée sur la satisfaction des besoins des hommes et des femmes. Ces éléments constituent des pièces d'un socialisme que nous travaillons à construire. Il est évident que la crise économique ne s'est pas développée sans créer de multiples pressions sur notre organisation. La dureté et la longueur des luttes nous ont conduits à dégager, à l'interne, énormément d'énergie seulement pour conserver les acquis. Trop souvent, nous avons été placés dans une position de "repli sur soi" qui nous a empêchés de porter et de mener nos luttes sur un plus grand nombre de fronts et dans des lieux encore plus nombreux. Pire encore, nous nous sommes mis a douter collectivement de la pertinence et de la responsabilité que nous avons de nous présenter et d'être considérés comme les interprètes légitimes et représentatifs du monde ordinaire, partout où cela s'avère nécessaire. Le Conseil confédéral a entrepris d'y réfléchir plus profondément et a finalement conclu, dans sa proposition de politique de présence, que la CSN se devait de tout faire pour être reconnue et se comporter comme une organisation syndicale qui détient le mandat de défendre et de promouvoir les intérêts de ses membres et de la population partout où cela lui est possible. Au siècle dernier, nos pères ont gagné, au péril de leur vie, la reconnaissance juridique et publique de leurs organisations syndicales. En 1984, nous n'avons pas le droit de limiter nous-mêmes nos champs d'intervention. Au contraire, il nous faut travailler encore plus pour que notre organisation syndicale soit encore davantage le véritable porte-parole de la classe ouvrière de ce pays. La solidarité. A la CSN, nous ne comptabilisons pas la solidarité. Bien qu'il en ait souvent coûté cher à nos membres, à nos militantes et à nos militants, notre organisation s'est toujours fait un point d'honneur de mettre au service des plus démunis la force des uns pour aider les autres à s'en sortir. Toutes les expansions qu'a connues notre mouvement ont reflété cette donnée fondamentale, à savoir la conviction, qui s'est transmise dans nos rangs, qu'il fallait toujours agrandir le cercle de ceux et de celles pouvant compter sur l'instrument syndical pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions d'existence. Quand on regarde l'évolution de notre mouvement, on constate la préoccupation régulière de soutenir les efforts de libération des femmes et des hommes qui, dans d'autres usines, dans d'autres secteurs, dans d'autres institutions, aspiraient à des changements d'importance dans leur vie de travailleuses et de travailleurs. C'est à partir de corps de métiers dont plusieurs sont disparus que notre mouvement a commencé à s'implanter; les fendeurs de cuir, les barbiers-coiffeurs ont contribué, à l'époque, à agrandir notre organisation. Les ouvriers de la construction et ceux du papier et de la forêt ont largement constitué la base première d'action et d'expansion syndicale de la CSN. Il nous semble important de rappeler ces faits aujourd'hui parce qu'ils servent à éclairer la mission fondamentale de notre organisation syndicale, qui en est une de solidarité agissante et de partage concret. En effet, ces militantes et ces militants des usines de textile et de vêtement, ces travailleurs forestiers, ces mineurs, ces ouvrières et ouvriers d'usines, ces travailleurs de la construction ont accepté des sacrifices importants, aussi bien au plan des efforts militants consentis que des cotisations syndicales investies, dans des tentatives d'organisation de ce qu'on appelle aujourd'hui le secteur public. C'est à elles et à eux que les fonctionnaires, les employés d'hôpitaux, les professionnels, les enseignantes et les enseignants sont redevable aujourd'hui de pouvoir compter sur l'organisation syndicale pour défendre leurs droits. Est-il besoin de rappeler ici les premières tentatives de syndicalisation dans le secteur public et parapublic? De rappeler l'état d'exploitation absolue qui était le lot de la plupart des travailleuses et des travailleurs de ces secteurs il y a 30 ans, et même 20 ans pour plusieurs? Soumis aux volontés des politiciens pour le maintien de leurs emplois, à la merci des changements de gouvernement, exposés au chantage subtil exercé par les communautés religieuses dans les réseaux de l'éducation et de la santé, combien de femmes et d'hommes ont vécu l'humiliation, l'insécurité, l'incertitude tant qu'ils n'ont pu s'appuyer sur l'organisation syndicale pour gagner un minimum de dignité? Rappelons-nous comment, il y a tout juste dix ans, le cas des employés du Pavillon Saint-Dominique, à Québec, avait soulevé l'indignation dans plusieurs milieux; dans nos syndicats, on ne pouvait croire que des travailleuses et des travailleurs soient soumis à pareil traitement. Surtout sous la direction d'une communauté religieuse! Mais ce dont il faut se rendre compte, c'est que la situation qui prévalait encore au Pavillon Saint-Dominique, il y a dix, ans était considérée comme la norme dans les institutions de santé il y a trente ans. C'est à peu près à cette époque qu'ont commencé à se concrétiser les efforts des militantes et militants du secteur privé, pour que celles et ceux qui vivaient dans un état de servitude à peu près total puissent avoir accès aux moyens collectifs de libération. Ce partage ressemble à la CSN; cette capacité de mettre au service des plus faibles le rapport de forces établi par des groupes plus forts est une constante de notre organisation syndicale. Une constante dont l'application concrète, tout au cours de notre histoire, a correspondu aux grands mouvements économiques et sociaux qui ont transformé le Québec. Il n'y a pas de doute que l'amélioration de la qualité des services publics devait passer par la revalorisation des fonctions occupées par les employés de la fonction publique, des réseaux de la santé et de l'éducation. C'est de cette façon, sur la base de cette solidarité active, que les métallurgistes ont aidé les employés de l'État, que les ouvriers de la construction ont aidé les travailleuses et les travailleurs du réseau de la santé, que ces derniers ont appuyé les travailleurs forestiers. Ce mouvement s'est distingué dès les débuts par son originalité: farouchement indépendant face aux pouvoirs qui passent, ses structures et son fonctionnement reposent sur la solidarité entre les secteurs, entre les régions, entre les catégories de salariés. S'organiser pour travailler et vivre autrement. Tout au long de ce rapport, camarades, nous avons proposé de multiples manières de faire les choses autrement. Nous avons une alternative à proposer, une alternative à imposer: au plan économique, au plan culturel, au plan politique, au plan social, nous sommes convaincus qu'il faut s'organiser pour faire les choses autrement. C'est une responsabilité qui nous incombe de crier notre refus du gaspillage des ressources humaines, des richesses naturelles: on peut travailler autrement, on peut vivre autrement. Ce qui se passe tout autour de nous convainc de poursuivre ce travail patient et souvent difficile de semeurs d'idées dans une société où les pouvoirs politiques, les pouvoirs économiques mettent tout en oeuvre pour étouffer la créativité, l'invention, le goût et l'envie de faire autre chose, autrement. Nos lieux de travail demeurent les terrains privilégiés de notre action syndicale, où notre pouvoir peut prendre véritablement forme. Cela inquiète le capital. Parce que c'est là, dans l'entreprise et dans l'institution, qu'il impose ses lois: par l'organisation du travail, par le chantage à l'emploi, par la résistance à la syndicalisation, comme c'est encore quotidiennement le cas. Travailler et vivre autrement, c'est conquérir de nouveaux espaces de liberté. A tous les jours, avec constance, avec détermination. Si nous ne mettons pas notre force collective à transformer les choses, si nous ne mettons pas les ressources de notre mouvement au service du changement, qui le fera? Les jeunes, les démunis, ceux et celles que le système capitaliste a tellement déclassés qu'ils n'apparaissent même plus dans les statistiques officielles nous pressent d'agir. Il faut faire peser tout le poids de notre organisation syndicale dans le sens du changement. Nourrir l'espoir quand toutes les forces adverses poussent à la désespérance, c'est un rôle qui a toujours été celui de ceux qui se rangent du côté de la justice contre l'injustice, du côté de l'organisation collective contre la domination individualiste, du côté du partage contre celui du profit. Nous ne sommes pas seuls pour soutenir ce combat quotidien; la prise de position récente des évêques canadiens est venue appuyer cette conviction que la cause que nous défendons, de toutes les manières, est la cause de la dignité. Depuis longtemps, nous avons choisi notre camp. Le camp de la CSN est celui de la liberté, de la justice, de la démocratie. Nous nous rangeons résolument du côté de celles et de ceux qui refusent les diagnostics défaitistes. Nous affirmons avec la plus profonde conviction qu'il est possible de transformer le cours des choses. Nous pouvons agir. Nous devons agir. Nous avons été des combats d'hier, qui ont permis de défricher de nouveaux espaces de liberté. Nous sommes des combats d'aujourd'hui, qui assurent ce qui a été acquis et qui ouvrent de nouveaux chemins. Nous serons des combats de demain, parce que notre place est du côté du changement, du côté de l'action, du côté de la vie.