*{ Discours néo-libéral CSN, 1985 } Avec le monde. En Gaspésie, à chaque retour du printemps, les travailleuses et les travailleurs des usines de transformation du poisson, les pêcheurs, doivent reprendre le combat pour la réouverture de leurs usines; il leur faut bien accumuler le minimum de semaines de travail pour pouvoir passer les longs mois d'hiver sur l'assurance-chômage. Pendant ce temps, 80 pour cent du poisson qu'on consomme est transformé ailleurs, bien souvent aux États-Unis. A Shawinigan, à Valleyfield, des ouvriers qui ont 40 ans d'ancienneté, qui ont travaillé des dizaines d'années dans des industries pétrochimiques, dans le textile, se retrouvent dans la rue par suite de fermetures d'usines. A Sorel, des hommes et des femmes, dont la moyenne d'âge se situe à 42 ans, sont en grève depuis sept mois pour défendre leurs emplois, pour trouver des moyens de faire de la place à leurs enfants et à leurs petits enfants sur le chantier maritime. C'était aussi la revendication des syndicats de la Consol, à Ville de la Baie au Saguenay, de maintenir et de créer des emplois. Sur la Rive sud de Montréal, à l'hôpital de Saint-Ferdinand, à l'hôpital Notre-Dame, les travailleuses et les travailleurs doivent organiser la résistance face aux volontés des directions locales qui, dans leur réorganisation du travail conséquente des coupures de budget, coupent des postes, alourdissent les tâches, sans consultation des syndicats. A Sorel, ces dernières semaines, 856 travailleurs ont posé leur candidature à deux postes de journaliers qui s'ouvraient à la municipalité; ils venaient s 'ajouter aux quelques 400 autres qui étaient déjà inscrits dans la «banque» de réserve. En Abitibi, par un froid sibérien, des jeunes installent des tentes sur un lac glacé pour attirer l'attention sur la condition faite aux jeunes de moins de 30 ans: chômage, misère, malnutrition, avenir bloqué. Des jeunes traqués par le gouvernement Lévesque, qui soupçonne qu'on pourrait tricher pour survivre et qui donne des directives en conséquence. Le tirage au sort d'une cinquantaine d'emplois, au récent Salon de la Jeunesse, constitue à n 'en pas douter un signe de décadence pour une société. Ils sont nombreux, elles sont nombreuses; des jeunes, des assistés sociaux, des chômeurs, des chômeuses, des personnes âgées, des handicapés à dépendre de prestations sociales. «Ce peuple d'un million de personnes», pour reprendre l'expression de l'éditorialiste Jean-Claude Leclerc du Devoir, se retrouverait dans une situation encore plus précaire si nos réseaux publics étaient affaiblis comme le préconisent les champions de l'entreprise privée. Nos acquis sociaux sont remis en cause et dangereusement attaqués par l'application de politiques qui frappent directement nos réseaux de santé et d'éducation: ce sont les femmes qui, en première ligne, font les frais de ces reculs. Ce sont elles qui doivent prendre le relais à la maison, la plupart du temps parce qu'il n y a pas suffisamment de place dans les centres d'accueil, qu'il n 'y a pas suffisamment de place dans les garderies. Ou encore parce qu'elles doivent consacrer plus de temps aux travaux scolaires des enfants parce que les enseignants et les enseignantes ont vu leurs tâches augmenter, réduisant d'autant leur disponibilité auprès des élèves. Partout, les gouvernements sabrent dans les budgets sociaux. Mais les budgets militaires sont en hausse, le gouvernement conservateur suivant en cela l'exemple du président Reagan. Dans le dernier budget américain, 38 milliards $ sont coupés dans les programmes sociaux, mais le budget militaire est augmenté de 30 milliards $. Les dernières prévisions de dépenses, déposées par les conservateurs en février, indiquaient une hausse de 626 millions au ministère de la défense. En même temps, on réduit les sommes destinées à l'amélioration de l'environnement, on allonge le temps alloué aux entreprises pour se conformer à des normes qui demeurent très timides. Pluies acides, engins nucléaires, production industrielle socialement inutile gaspillage organisé en système font notre quotidien pendant que la faim, la misère, l'inquiétude s'installent. En faisant de l'emploi notre champ prioritaire d'action, nous indiquons un choix fondamental. En effet, même si bien des choses ont changé, c'est encore par un emploi, et dans un emploi, qu'on est valorisé et qu'on se valorise, qu'on acquiert un minimum d'indépendance. C'est aussi par l'emploi qu'on mesure la qualité d'une société. Bien sur, on constate que l'attitude face au travail s'est transformée; il n'a plus, comme autrefois, la valeur unique qu'on lui attribuait. Le temps libre, par exemple permet un meilleur épanouissement de la personne; c'est d'ailleurs l'une des raisons qui font de la réduction du temps de travail une de nos revendications majeures. Mais la conjoncture actuelle, faite de chômage, de fermetures d'usines, de coupures de postes, de réduction de services, d'inquiétude et de misère pour des centaines de milliers d'hommes et de femmes, exige que nous fassions ce choix. Autant par son existence que par sa qualité, l'emploi définit pour chacun et chacune le type de liberté, de droits et d'espoirs qui sont permis: le champ des libertés du chômeur, de l'assisté social, du jeune sur le bien-être est singulièrement restreint... Nous refusons ce genre de lendemains. Nous affirmons qu'il est possible de changer le cours des choses. Les stratégies sectorielles que nous avançons témoignent de notre capacité de proposer un type différent de développement. Le vide politique qu'on constate actuellement dans la société québécoise à la faveur duquel l'idéologie de droite enregistre des gains, force les organisations syndicales et populaires à s'organiser encore davantage pour résister aux attaques des possédants, pour reprendre le combat en faveur d'une société fondée sur la justice, pour défendre les acquis sociaux, les outils collectifs, que nos luttes nous ont procurés. Nous constatons malheureusement la fragilité de nos solidarités: avec les groupes populaires, avec les autres organisations syndicales, avec les peuples du monde. Nous savons aussi qu'il faut les renforcer, les solidifier, parce que la solidarité est le seul rempart que peuvent opposer les hommes et les femmes aux forces de l'argent. Dans plusieurs de nos syndicats, le militantisme est en baisse; il y a moins de monde pour combler les postes; les assemblées sont souvent désertées. Il ne faut pas craindre de le constater. Les gouvernements et le patronat, à la faveur d'une crise qui les a finalement servis, se sont acharnés à opérer des brèches dans notre capacité de résistance et d'attaque. Nous nous retrouvons aujourd'hui, dans la situation du coureur de fond à la recherche de son deuxième souffle. Il faut le trouver, trop d'espoirs en dépendent. Même si nous avons dû prendre une mesure plus modeste de nos espérances, les idéaux demeurent. Ce qui importe aujourd'hui, au milieu des difficultés, c'est de pouvoir s'arrêter ensemble un moment pour mieux voir où l'on va, mieux voir ce qui vient, afin d'amplifier, de redonner à notre monde le goût de l'action syndicale, de l'action syndicale CSN. Cela signifie s'équiper pour être mieux en mesure de mener, collectivement et massivement, la lutte idéologique des temps présents. Une lutte qui doit être menée plus précisément aujourd'hui contre ceux qui s'en prennent à tout ce qui est collectif, qui usurpent des concepts comme les droits et les libertés pour les faire servir leurs intérêts individuels. Depuis quelque temps, on les appelle les adeptes du nouveau libéralisme. Cela signifie qu'au moment où les ténors du nouveau libéralisme chantent les vertus de l'entreprise privée, il ne nous faut pas craindre de redire avec force notre parti pris du côté de l'action collective, de l'action syndicale, pour mieux bloquer les assauts contre les droits et libertés. Nos militantes, nos militants y retrouveront une confiance accrue, une assurance renouvelée: celle qui permet d'entreprendre les luttes, celle qui permet de les rendre à terme, celle qui permet de les gagner. Notre action syndicale quotidienne est liée à un grand projet social: il faut, aujourd'hui, nous resituer face à l'espoir d'une société différente, convaincus que le sens fondamental de notre action quotidienne, dans la recherche de résultats aujourd'hui, conduit à un ordre économique, politique, social et culturel fondé sur la démocratie, la paix, le partage, la générosité, la fraternité, la justice. Cette action conduit aussi à des rapports sociaux différents, que ce soit entre les personnes, face aux minorités, entre les hommes et les femmes, etc. Mais les gens ne sont pas assurés de leurs revenus, de leurs emplois. Ils sont inquiets face à l'avenir, s'interrogent sur les nouvelles technologies, sur les recyclages de main-d'oeuvre. Ils se posent des questions sur la finalité de leur travail, sur sa qualité, sur son organisation. Aux nouvelles interrogations, le mouvement syndical a été lent à répondre. Durant la période de difficultés économiques subies par ses membres, il a parfois été piégé dans certaines positions de repli, d'attentisme; une position mal vue et mal comprise par ses alliés naturels, les organismes sociaux, les groupes populaires. Nous connaissons des difficultés à retrouver l'efficacité de nos actions, à renouer avec nos victoires d'antan. Nous ne constituons plus, autant qu'auparavant, ce lieu de rassemblement recherché par ceux et celles voulant travailler à la transformation de la société. Ces difficultés pourraient nous amener à figer nos analyses afin de demeurer sur des terrains connus. Mais nous risquerions ainsi la perte de notre capacité d'intervention, un retrait progressif de la scène sociale; la marginalisation, en quelque sorte. Des capacités de mobilisation existent cependant. On le voit dans les mouvements pour la paix, qui rejoignent les jeunes en particulier. De nouvelles façons de sentir les choses, de les dire, se fraient un chemin jusque dans nos assemblées syndicales; on le constate dans le discours des femmes, dans les nouvelles pratiques qu'elles essaient d'implanter. Il faut être attentif à ces nouvelles valeurs; c'est de ce côté qu'il faut chercher. Notre syndicalisme sera mieux ajusté si nous prenons en compte les nouveaux enjeux, les nouveaux défis qui nous sont posés que si nous nous contentons d'essayer de recréer les conditions d'exercice de notre syndicalisme d'hier. Cette capacité de mobilisation existe aussi dans nos syndicats, quand les objectifs sont clairement définis, que les véritables enjeux sont identifiés: l'exemple le plus récent à cet égard est celui de Marine, où l'organisation du travail, telle que vue par la direction, avait des effets directs sur les emplois. On a pu constater la résistance farouche qui a été opposée à cette volonté patronale. On ne doit pas s'attendre à ce que ce congrès d'orientation soit constitué d'une série de recettes miracles susceptibles de régler tous les problèmes qui se posent à tous les niveaux. Depuis plusieurs mois, nous avons mis beaucoup d'efforts pour cerner les difficultés; nous proposons de poursuivre de nouveaux défis. Il appartiendra à chacun des organismes de la centrale, syndicats, fédérations, conseils centraux, structures d'appui, à tous ceux et celles qui y militent, élus et salariés, de traduire dans l'action quotidienne les orientations qui auront été arrêtées. Ce congrès ne dure pas trois jours: on doit pouvoir en étaler les effets sur un an, sur trois ans, sur cinq ans. C'est la seule manière d'assurer l'enracinement de nos revendications, de nos analyses, pour que nos syndicats puissent s'en emparer et les traduire dans leurs actions quotidiennes, dans leurs conventions. Pour qu'avec le monde. on puisse changer le cours des choses. L'emploi, notre priorité. Pendant que le taux de chômage reprenait, au début de janvier, une remontée qui pourrait venir ajouter encore à l'inquiétude des travailleurs et des travailleuses, pendant que les sondages font voir que le chômage représente le problème numéro un au Canada, le ministre conservateur des finances, Monsieur Michael Wilson, continue d'affirmer que le déficit est trop élevé et que c'est de ce côté que le gouvernement doit agir en priorité. Quels en sont les effets sur nos vies? Une étude du gouvernement québécois, rendue publique à Régina en février dernier, démontrait qu'une réduction du déficit fédéral de 9 milliards $ sur quatre ans entraînerait la perte de 238 000 emplois au Canada. En soutenant cette politique, le gouvernement conservateur n'invente rien. Il ne fait que suivre la ligne tracée aux États-Unis, une ligne qui a jeté dans la misère des millions de personnes, aussi bien dans les pays industrialisés que dans ceux en voie de développement. A ceux-là, on fait payer de leur vie, littéralement, l'injustice dans les échanges. Mais le dollar américain est fort! C'est ce qui compte! Pendant ce temps, on apprend qu'il n'a fallu que trois minutes à la Dominion Textiles pour prendre possession des biens de la compagnie Wabasso. Dans l'opération, 1 775 travailleurs et travailleuses risquent de se retrouver dans la rue, la plupart à un âge trop avancé pour espérer trouver quelqu'emploi intéressant. Dans une décision qui les touchait au plus profond de leur vie quotidienne, au plus profond de leur avenir et de celui de leurs familles, personne n'a eu le moindre mot à dire. Aucune influence populaire ou syndicale n'a pu être exercée. Les gouvernements ont pris acte. Nous affirmons que ce n'est pas normal. Nous affirmons que nous n'accepterons jamais, que nous dénoncerons toujours avec acharnement que la seule liberté qui, finalement, s'exprime à peu près sans contrainte, tout en niant de manière systématique celle des autres, soit la liberté de l'entreprise. Les premières répercussions d'une crise économique atteignent les emplois. Mais sommes-nous suffisamment conscients que ce sont les droits et les véritables libertés qui sombrent en même temps que l'espoir de conserver son emploi, d'en trouver un; L'espoir légitime d'occuper un emploi de qualité, un emploi utile à la société et dans lequel on se valorise? Harceler les gouvernements, surveiller les entreprises, défendre nos acquis, avancer des politiques de développement industriel, mobiliser pour faire avancer des revendications sectorielles, exercer un contrôle collectif sur les nouvelles technologies, pour qu'elles nous servent et non pas nous dominent; lutter contre toutes les formes de discrimination, organiser la vigilance syndicale sur les lieux de travail. Tout cela et encore bien d'autres choses font partie de nos responsabilités syndicales. A ce chapitre, le mouvement syndical doit se montrer ouvert. Ceux et celles qui n'ont pour tout partage que l'incertitude quant aux lendemains, que l'inquiétude devant les fins de mois, qu'un chômage qui s'achève et l'assistance sociale qui s'en vient, exigent de nous de l'imagination dans nos propositions, de la détermination dans nos revendications. Les jeunes nous pressent! Les femmes continuent de nous interpeller! C'est un défi que nous pouvons relever, comme nous avons su, à d'autres époques, en relever d'aussi difficiles qui ont fait avancer les conditions de vie des classes populaires. L'offensive patronale. Les périodes de crise économique ont toujours été l'occasion pour le capital et pour les gouvernements de s'en prendre aux acquis que les travailleurs et leurs organisations avaient pu réussir à arracher durant les années d'expansion. Les attaques patronales ont donc été, ces dernières années, proportionnelles à l'étendue de la crise économique qui a frappé avec une violence rarement égalée. Le monde du travail a été soumis à un tourbillon d'attaques. Elles sont venues de partout; elles continuent de s'abattre de tous les côtés: chômage, mises-à-pied, fermetures, chantage patronal sur l'emploi, fusions des tâches, travail à temps partiel, augmentations des charges et des heures de travail, lois spéciales anti-syndicales, injonctions, amendes, décrets, réouvertures et violations des conventions collectives, détérioration des services, baisse du pouvoir d'achat, gel et coupures de salaires, élargissement des écarts salariaux, rejet des femmes hors du travail rémunéré, etc. Une constante se dégage dans toutes ces attaques: la concertation manifeste du patronat et des gouvernements pour faire reculer les travailleurs organisés! Un gain obtenu par un groupe de patrons ou encore par un gouvernement devient immédiatement un objectif recherché par les autres patrons et les autres gouvernements. On a identifié trois vagues successives d'attaques patronales contre les travailleurs, les travailleuses et leurs organisations. Trois vagues successives, où on constate que chacune d'elles a pour but de préparer la suivante et d'imprimer un caractère de permanence aux conséquences qu'elles provoquent. On a d'abord subi des agressions au niveau des salaires et des clauses à incidences salariales, telle l'indexation. La seconde vague a vu le patronat imposer des reculs sur l'organisation du travail, sur les règles de la négociation. Les droits de gérance, sous toutes leurs formes, font l'objet de revendications patronales. L'ancienneté est remise en cause et pointée comme l'un des obstacles majeurs au développement économique; les conventions collectives seraient trop rigides et seraient un frein à une gérance souple de la main-d'oeuvre. Dans son discours idéologique, le patronat tente de s'allier les jeunes en leur faisant croire que ce sont les syndicats qui sont la cause première de leur incapacité à trouver un emploi stable. Dans la deuxième vague, le patronat recherche une hausse de productivité et une réduction du coût de production par le biais d'un plus grand contrôle sur la main-d'oeuvre. Il cherche aussi à affaiblir encore davantage les syndicats. Ces attaques sont moins spectaculaires, mais encore plus subtiles, parce qu'elles confèrent aux concessions un caractère permanent. Elles préparent la troisième vague, qui représente alors, pour la partie patronale, la possibilité d'exiger à nouveau les mêmes concessions, regroupées dans les deux premières vagues, à chaque fois qu'une entreprise, une région ou un pays le jugerait opportun. La compagnie Chrysler vient d'annoncer des profits nets dépassant les 2 milliards $ aux États-Unis et 250 millions $ au Canada. Chaque employé avait dû abandonner plusieurs milliers de dollars il y a quelques années. Chrysler a remis 500 $ à chaque travailleur cette année comme bonus. Appelé à commenter le fait que cette somme était loin d'atteindre le montant des concessions exigées par des employés, un dirigeant de l'entreprise déclarait publiquement qu'un cadeau, cela s'acceptait sans discussions... La troisième vague, finalement, démontre que le patronat évalue que la crise actuelle n'est pas passagère et que ses effets dureront encore plusieurs années. Le déficit comme prétexte. Les luttes à l'inflation et la volonté politique de réduire le déficit, à l'heure où la lutte pour l'emploi devrait être une priorité gouvernementale, sont la marque des politiques imposées par la droite. Ce sont les travailleurs, les travailleuses, le peuple qui en font les frais. Qui a oublié l'attaque sans précédent du gouvernement Lévesque en 82-83, contre les travailleuses et les travailleurs du secteur public sous prétexte d'aller récupérer 525 millions $ en salaires déjà négociés? La lutte à l'inflation a été supportée par les travailleuses et les travailleurs, car ce sont eux qui ont vu leur salaire réel diminuer. De 1978 à 1982, la perte du pouvoir d'achat fut de 6,9 %, calculée sur le salaire hebdomadaire moyen. Au Québec, en septembre 84, il y avait 689 000 bénéficiaires d'aide sociale, soit 2,3 % de plus qu'à la même période en 1983. Le nombre de personnes considérées comme pauvres était de 4,3 millions en 1983 au Canada, soit 23 % de plus qu'en 1981, selon les données de l'Organisation canadienne de lutte contre la pauvreté. Après l'inflation, qui a servi pendant plusieurs années d'argument majeur aux gouvernements, sous la pression des milieux d'affaires, pour refuser de s'attaquer à ce que le monde ordinaire considère comme le problème numéro un, le chômage, c'est maintenant au tour du déficit de jouer ce rôle. L'arrivée à Ottawa d'un gouvernement conservateur n'a fait qu'accentuer cette orientation. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il y a des victimes à ces choix économiques. Des victimes qui se retrouvent en majorité chez les jeunes, chez les femmes, chez tous ceux et celles que la crise économique place dans une situation précaire, quand ce n'en est pas une de dépendance absolue aux programmes sociaux. Or, toute compression de ces programmes a des effets directs chez ces personnes pour qui toute allocation relève du domaine vital. On a rarement vu une aussi belle unanimité dans les différentes associations patronales et les grandes entreprises pour identifier le déficit comme ennemi numéro un au Canada. Cette manifestation d'unité s'est raffermie au lendemain des dernières élections fédérales, avec des déclarations publiques de la part des présidents de la plupart des grandes banques canadiennes. Les associations patronales comme l'Association des manufacturiers, la Chambre de Commerce, le Conseil du Patronat, ont dénoncé avec encore plus de virulence le déficit, fixant des objectifs de réduction de 5 à 15 milliards $ à courte échéance. Nous convenons que le déficit gouvernemental devra éventuellement baisser: on pourrait difficilement soutenir qu'après une reprise durable le déficit fédéral reste au niveau actuel. Mais il est évident que réduire le déficit, dans la conjoncture actuelle, ne ferait que contribuer à replonger l'économie dans une nouvelle récession. Une reprise durable et une réduction du chômage auront comme conséquence directe un allégement du déficit par l'augmentation des revenus fiscaux et la réduction de dépenses au chapitre de l'assurance-chômage et de l'assistance sociale. Dans le contexte du chômage actuel, il est nécessaire pour les gouvernements d'avoir une politique de création d'emploi à long terme. Pourtant, il est impossible de trouver une telle politique, ni au niveau du gouvernement québécois ni au niveau fédéral. On favorise le temporaire, en attendant une reprise qui ne viendra pas parce qu'on ne prend pas les mesures pour qu'elle vienne. Une telle attitude ne fait qu'accentuer la création d'un marché du travail à rabais, caractérisé par la multiplicité des emplois temporaires, intermittents, occasionnels; bref, le travail précaire à son meilleur. Nos sociétés, qui n'ont jamais évolué dans le sens de politiques de plein emploi, n'ont jamais non plus reconnu un réel droit au travail des femmes. Les jeunes, de leur côté, se voient offrir des programmes gouvernementaux de dépendance, à caractère temporaire, qui n'améliorent pas, généralement, les possibilités ultérieures d'emploi. En l'absence d'une politique globale de plein emploi, ces programmes ne représentent qu'un ensemble de mesures palliatives à court terme. Ce qui est nécessaire, c'est d'intégrer véritablement les jeunes au marché du travail en leur faisant quitter leur statut d'assisté social ou de chômeur chronique. Mais les programmes qui visent cet objectif sont trop peu nombreux et ne disposent pas de fonds suffisants. Le véritable problème, c'est la pénurie d'emplois stables, permanents, utiles et de qualité. C'est à cela qu'il faut s'attaquer en priorité si l'on veut régler le chômage des jeunes, tout comme d'ailleurs le chômage qui frappe l'ensemble de notre société. Pour une politique de plein emploi. Il pourra paraître utopique à plusieurs que la CSN, dans la conjoncture actuelle, réaffirme sa conviction qu'il est possible de mettre en place les conditions favorables à la réalisation du plein emploi. Nous croyons que cela peut se faire. A condition de forcer les véritables choix, de prendre des moyens qui remettent en cause de façon irréversible les bases sur lesquelles s'appuie le système politique et économique de nos sociétés. Pour jeter les bases d'une telle politique, il y a des pistes à explorer. Nous avons eu l'occasion de développer plusieurs thèmes, de nombreuses revendications ont été mises de l'avant pour faire triompher des politiques préservant et créant des emplois. De nombreuses luttes ont dû être menées en ce sens; d'autres seront nécessaires. Nous préconisons un effort généralisé vers la réduction du temps de travail, de façon à augmenter le nombre d'emplois disponibles. Nous mettons de l'avant la négociation de programmes d'accès à l'égalité: la lutte aux discriminations fait partie de la lutte pour l'emploi. Nous rappelons la nécessité, dans nos syndicats, d'être vigilants; c'est le sens des comités de prospective dont nous proposons la création. Notre politique de plein emploi s'appuie aussi sur le développement de nos politiques sectorielles. En collaboration avec nos organismes affiliés, il nous faut poursuivre nos efforts pour préciser nos objectifs et les porter dans le débat public. C'est notre conviction que les hommes et les femmes impliqués dans leurs milieux de travail peuvent indiquer des orientations décisives en matière d'emplois. Politiques sectorielles. Au cours des dernières années, nous avons déblayé du terrain pour nous doter d'outils en vue de travailler à une appropriation par les travailleurs, les travailleuses et leurs organisations de moyens nécessaires à l'élargissement de leur autonomie. C'est le sens premier de nos revendications sectorielles, où se retrouvent nos préoccupations constantes de mieux connaître le contenu et l'environnement de notre travail. Nous voulons aussi pouvoir proposer des alternatives porteuses de nos objectifs. Il nous faut de plus équiper notre monde pour qu'il puisse travailler quotidiennement au changement de son milieu. Nous revendiquons une politique sectorielle d'emploi, axée sur des besoins sociaux et économiques criants: la rénovation domiciliaire, le reboisement forestier, l'électrification du transport en commun, la relance de l'industrie de la pêche, etc. Ceci permettrait de remettre en marche certains secteurs économiques de base, diminuant d'autant le chômage. Les jeunes comme le reste de la population, bénéficieraient de cette relance. Nous devons proposer des alternatives. Il faut donner une projection plus grande à nos actions syndicales quotidiennes. Comme organisation syndicale, principal instrument de défense et de lutte qui appartienne en propre aux travailleuses et aux travailleurs, nous avons la responsabilité d'unir les espoirs de changements, d'avancer nos propositions et de forcer les gouvernements et les employeurs à changer le cours des choses en modifiant les choix politiques, les choix économiques et les choix sociaux. Vigilance et implication. C'est cette même perspective qui nous a conduits à adopter les propositions concernant les leviers économiques: pouvoir agir; canaliser pour contrôler un peu mieux notre richesse collective dans le sens d'un développement centré sur la satisfaction des besoins des classes populaires; arracher du pouvoir; s'équiper pour renforcer nos interventions. Tout cela n'est pas étranger non plus à notre politique de présence, où nos préoccupations sont de nous informer et d'informer, d'interpeller, de dénoncer, d'organiser des résistances en même temps que de porter l'expression de la volonté collective, de proposer des alternatives et de les porter là où nous le jugeons nécessaire et approprié. C'est là le sens qu'il faut donner à nos revendications formulées en vue des transformations et des restructurations des secteurs industriels, des établissements et des institutions dans le sens des intérêts des travailleuses, des travailleurs et de la population. Nous avons collaboré avec plusieurs Fédérations pour parfaire nos analyses et élaborer des politiques de développement dans des secteurs comme les pêcheries, le textile-vêtement-chaussure, la construction, les mines d'amiante, les soins de santé, la forêt et les produits transformés, les chantiers maritimes, etc. Il nous faut poursuivre ce travail pour couvrir tous les terrains. C'est une dimension stratégique de notre action syndicale qui doit être constamment présente. Tel que nous le disions au Congrès régulier de 1984, «l'important, c'est de pouvoir mettre l'outil syndical au service de nos objectifs: pour protéger nos emplois, pour ouvrir de nouvelles perspectives, pour assurer notre présence militante partout où les intérêts des travailleurs et des travailleuses sont en cause»... Nous devons sans cesse avoir le souci d'augmenter l'étendue de nos objectifs de négociations». Nous avons souvent affirmé que nous ne pouvions abandonner à des conseils d'administration bien éloignés des besoins du monde des décisions qui nous touchent directement, aussi bien comme travailleurs et travailleuses que comme consommateurs. C'est le sens de notre insistance pour que le patronat, privé ou public, soit obligé de rendre des comptes, ce qu'il n'a pas fait jusqu'à maintenant. Les luttes pour l'information économique sont essentiellement des luttes de reconnaissance syndicale, ne l'oublions pas! Nous voulons voir clair dans l'attribution des subventions aux entreprises. Nous voulons connaître les choix qui sont faits par les administrations publiques, dans les institutions où nous travaillons. Nous revendiquons parce que ces choix, ces subventions ont des effets directs, et parfois dramatiques, sur nos vies. Nous exigeons qu'on nous rende des comptes dans ces matières où nous sommes intéressés au premier chef. Nous verrons plus loin les effets sur nos vies de l'introduction de ces nouvelles technologies. Mais il faut souligner dès maintenant qu'en matière d'emplois, les effets sont importants. La surveillance doit s'exercer de façon constante. Des transferts d'emplois majeurs sont possibles d'un pays à l'autre; les multinationales jouissent d'une liberté de manoeuvre qui n'a jamais été si grande. Dans l'état actuel des recherches, on peut constater que le nombre de nouveaux emplois créés par l'introduction des nouvelles technologies est de beaucoup inférieur à celui des emplois plus traditionnels qu'elles ont fait disparaître. Ce débat ne doit pas échapper au mouvement syndical. Lutte aux discriminations. La lutte contre toutes les formes de discrimination doit demeurer au coeur de notre vie syndicale. Par rapport à l'emploi, nous soulignons en particulier celles que subissent les femmes. Malgré le fait que le taux de participation des femmes à la main-d'oeuvre québécoise soit passé, entre 1971 et 1981, de 33,9 % à 47,5 %, leurs conditions de travail ne se sont guère améliorées. Encore maintenant, à égalité de statut, d'âge et de niveau de scolarité, les femmes gagnent nettement moins que les hommes. En moyenne, elles gagnent entre 57 et 64 % du salaire de leurs confrères. Elles vivent un chômage élevé et plus de 22 % des femmes en emploi occupent un poste à temps partiel, contre 6,1 % pour les hommes. De plus, près de 75 % des travailleuses sont employées dans le secteur tertiaire. En 1981, 34,3 % d'entre elles faisaient un travail administratif (de bureau), 10,1 % travaillaient dans la vente, 18,3% étaient dans les services et 5,5 % étaient enseignantes. Le marché du travail demeure donc très sexiste dans le sens où les femmes sont cantonnées dans certains secteurs de travail caractérisés par du travail non spécialisé, des salaires plus bas et une forte proportion de travail à temps partiel. Comment expliquer cette situation, sinon en admettant que le marché du travail a bien reproduit les divisions sexuelles qui existent dans notre société et qui font des femmes des êtres inférieurs? Lorsque l'on parle d'accès à l'emploi pour toutes et tous, nous devons admettre au départ que certains groupes dans notre société n'ont pas les mêmes chances et qu'ils ont été victimes de discrimination historique et systémique. C'est le cas bien particulier des femmes, des minorités visibles: autochtones, de couleur et handicapés. Réduire le temps de travail. C'est dans la réduction du temps de travail, sous toutes les formes que cette réduction peut prendre, que nous mettons l'essentiel de nos efforts pour que soient dégagés, en particulier à l'intention des jeunes, des espaces de travail. Le patronat, bien entendu, n'entend pas laisser aller les choses et on aura compris l'importance des enjeux en voyant l'insistance du Conseil du Patronat, ces derniers mois, à attaquer la notion de réduction du temps de travail pour la création d'emplois. Ce qui se dessine actuellement comme offensive, c'est plutôt l'allongement de la semaine normale de travail et la création de postes à temps partiel. Est-il nécessaire de rappeler qu'il y a un siècle, les grèves de Chicago, qui ont conduit à la fête des travailleurs et des travailleuses, le premier mai, ont été menées sur la base d'une revendication voulant réduire à 8 heures la journée de travail? Or, quand on constate aujourd'hui que la semaine moyenne de travail est encore ici de 41 heures, on peut voir à quel point, sur ce sujet précis, il reste encore beaucoup de chemin à faire. Les pistes pour dégager des espaces de travail sont multiples: nous avons eu l'occasion d'en adopter plusieurs. La réduction progressive de la semaine de travail, le réaménagement du temps de travail à l'intérieur même de la semaine de travail, l'augmentation des congés fériés - on en compte 7 au Québec, 10 en Belgique, 11 en Italie et 11,5 en Allemagne - , l'augmentation des semaines de vacances - elles sont ici au nombre de deux alors qu'elles sont au nombre de cinq en France, en Suède, au Danemark - , la mise en place de conditions favorables pour que dans des entreprises stables, les conditions de prises de retraite anticipée soient davantage attirantes, le double emploi, le temps supplémentaire compensé en congés plutôt qu'en salaire, etc. Dans la majorité des endroits où de telles mesures ont été introduites, des gains de productivité ont pu être constatés. Il importe aussi que ces gains soient partagés et appliqués au plus grand nombre sinon, le danger demeure que les syndicats qui avaient réussi des percées doivent reculer. L'exemple du syndicat de Kruger de Bromptonville est éclairant à cet égard. L'ayant gagnée en 1967, il a dû par la suite abandonner la clause du mois de vacances après un an de service. Elle n'avait pas été suffisamment élargie à l'industrie. Les moyens sont multiples; ce n'est pas l'imagination qui manque. Le syndicat des employés de Robert Giffard, dans le réseau des affaires sociales, poursuit actuellement une expérience intéressante, qui consiste à faciliter une prise de retraite anticipée. A Fer et Titane de Sorel, grâce à des mesures favorisant une pré-retraite à des conditions acceptables, plus personne ne travaille après 60 ans. Mais la volonté politique fait ici défaut. Comme ailleurs, le patronat joue à fond son rôle de force d'inertie. En Europe, où cette question est discutée depuis 10 ans, des gains ont été enregistrés: en France, en Suède, en Belgique, en Hollande, les gouvernements s'y sont montrés favorables et ont mis en place des politiques allant dans ce sens. Le cas français est intéressant à cet égard. En janvier '82, par voie d'ordonnance, le gouvernement incitait le patronat à diminuer d'une heure la semaine de travail, laissant à chaque secteur le soin de la mise en application. En un an, cette mesure aurait permis la création de 70 000 emplois. A cela, il faut ajouter certaines indications quant à l'effet de cette politique sur le chômage global, par le biais d'une comparaison entre la France et l'Angleterre où, comme on le sait, Madame Thatcher applique des politiques peut-être encore plus reaganiennes que celles de l'auteur lui-même... Or, selon les données de l'OCDE, pendant que le chômage augmentait en France de 41 pour cent entre 1980 et 1984, il augmentait de 97 pour cent en Angleterre durant la même période. Et pourtant, durant cette même période, le nombre d'heures de travail était réduit en France (de 40,6 à 38,7) pendant qu'il était en hausse en Angleterre (de 41,4 à 42,2). Nous ne prétendons pas que la réduction du temps de travail puisse constituer, à elle seule, la solution aux problèmes pressants qui se posent actuellement en matière d'emploi. Nous affirmons cependant qu'il s'agit là d'un moyen puissant pour changer le cours des choses et qu'il nous faudra envisager la nécessité de mobiliser encore davantage pour effectuer des percées significatives sur ce terrain. Les politiques de plein emploi ne seront appliquées que sous la pression des forces populaires: des grèves pourront être inévitables, puisqu'il s'agit souvent du dernier recours pour faire évoluer la société dans le sens d'une véritable civilisation, synonyme de culture, de progrès, d'enrichissement de l'être. Sur la pancarte d'un mineur de l'amiante, en grève en 1949, on pouvait lire l'inscription suivante: «la lutte livrée profitera à nos enfants». De plus en plus, celles qui se livrent aujourd'hui pour l'emploi rejoignent cette vérité fondamentale. Des emplois utiles, des emplois de qualité. La question de l'emploi a pris aujourd'hui une dimension qu'elle n'avait pas à un degré aussi élevé auparavant; c'est celle de la qualité, de la finalité, de l'utilité sociale des emplois. Les débats touchant la reconversion industrielle en sont une indication majeure. «Comment protéger les emplois actuels, en créer de nouveaux et assurer le bien-être économique de nos communautés et nations tout en réduisant les dépenses militaires et en augmentant les investissements dans la production de biens utiles à l'ensemble de la société?» s'est-on demandé dans une conférence internationale tenue à Boston, il y a moins d'un an, et à laquelle participait une délégation de la CSN. La reconversion était encore, jusqu'à tout récemment, une idée qui nous était pratiquement inconnue. La Fédération de la métallurgie a eu son premier débat de fond à ce sujet en octobre 1984: un débat très prometteur parce qu'il a permis de constater que le syndicalisme est capable de réflexion complexe sur ce sujet. Le débat doit cependant atteindre les travailleurs et travailleuses dans les milieux de travail. La première étape consiste à favoriser un débat large et approfondi parmi nos membres. Ce n'est qu'alors que nous pourrons espérer voir se dessiner des projets concrets de reconversion. Une stratégie syndicale pour la reconversion industrielle, c'est d'abord une lutte syndicale pour des emplois socialement utiles. Plus encore, les syndicats veulent à travers ces luttes se renforcer et faire des brèches dans les droits de gérance, particulièrement dans le choix des produits à fabriquer et dans l'organisation du travail. Les effets économiques négatifs des dépenses militaires et les avantages de la reconversion industrielle ont été démontrés. Les dépenses militaires créent le moins d'emplois directs et indirects par dollar investi, comparativement à toute autre production de biens ou de services. Ces dépenses créent peu de retombées technologiques, contrairement à ce que les politiciens véhiculent. La technologie utilisée dans les armes est de plus en plus sophistiquée et particularisée, de telle sorte qu'on ne lui trouve plus guère d'application civile. La meilleure façon de développer les technologies civiles consiste à y investir directement. En lien avec l'écologie. La nouvelle sensibilité qui se développe aujourd'hui à l'endroit d'une meilleure harmonie à maintenir dans nos liens avec les diverses composantes de l'univers est directement liée à l'emploi C'est ainsi que nos luttes en santé-sécurité sont toujours faites en lien avec les emplois. En accentuant les programmes de dépollution des cours d'eau, en construisant massivement des usines d'épuration, une technologie se développe, des emplois se créent. En adoptant des politiques conduisant à l'élimination des pluies acides, en créant des usines de récupération de déchets non toxiques comme le verre, le papier, les textiles, des emplois utiles sont créés. En aménageant nos forêts, on assure le renouvellement des stocks et on crée des emplois; on assure aussi les emplois de ceux qui dépendront de cette ressource dans les générations futures. En multipliant la création d'usines de traitement des déchets dangereux, en mettant sur pied des usines pour la récupération de déchets organiques comme le bran de scie, le fumier, le purin, l'environnement est préservé, des emplois sont créés. La même chose se produirait si nos gouvernements, nos municipalités accentuaient le développement des transports en commun; des emplois utiles seraient assurés à un moindre coût que les investissements de nature militaire. Pour vivre à notre goût. Nous sommes bien conscients des efforts nécessaires à l'implantation et à l'enracinement de revendications de cette nature; elles supposent des transformations en profondeur non seulement des usines de production mais, surtout, des mentalités. Il nous faut tenter de réfléchir davantage sur le type d'emplois que nous voulons. On ne peut évidemment plus concevoir une politique de plein emploi comme on le faisait il y a trente ans: nos conceptions sur la place du travail dans notre vie ont changé et sont appelées à changer encore. C'est pourquoi nous devons nous interroger sur le genre d'emploi que nous voulons, sur l'organisation du travail qui nous apparaît souhaitable, sur la durée de ces emplois. Bref, repenser le travail au plan de sa qualité et de sa finalité, de telle sorte que nous puissions un jour «Vivre à notre goût». Défendre nos outils collectifs, les renforcer. De plus en plus, nous parlons de défendre nos outils collectifs. Et aujourd'hui, sous les attaques qu'ils subissent de la part des apôtres d'une nouvelle droite, qui regrettent l'époque où nulle contrainte ne venait entraver leur marche triomphale vers le profit, nous affirmons la nécessité de les renforcer. Ces outils sont de nature et de niveaux divers: ils vont de notre syndicat local jusqu'à l'État, en passant par tous les réseaux publics de santé et d'éducation. Ce sont aussi les leviers que nous pourrions nous donner pour pouvoir, par exemple, canaliser davantage nos épargnes collectives dans le sens des intérêts populaires. Mais quelle que soit la nature de ces outils, on les reconnaît aujourd'hui par les attaques dirigées contre eux par les possédants. Qu'il s'agisse d'attaquer les syndicats, comme l'a fait le Conseil du Patronat au cours de toutes les audiences de la Commission Beaudry, ou encore de plaider en faveur de la réduction du rôle de l'État, le discours dominant est toujours le même. Essentiellement, tout ce qui constitue une entrave plus ou moins importante à faire des affaires, à faire des profits, à faire n'importe quoi, finalement, doit disparaître: les syndicats ont trop de pouvoir; l'État, avec ses règlements, constitue un poids pour les entreprises qui, par exemple, ne peuvent pas congédier n'importe qui, n'importe quand! Les lois sacrées, ce sont l'économie de marché, le retour des entreprises d'État à l'entreprise privée, l'initiative individuelle, la réduction des impôts, la déréglementation. Mais, il faut savoir traduire ces lois en termes simples. L'économie de marché, c'est la loi du plus fort, tout simplement. La petite entreprise qui est mangée par la moyenne qui, elle, finit par disparaître, engloutie par une multinationale. Le retour à l'entreprise privée, cela signifie que l'État, donc la collectivité, n'a pas à se mêler de faire ce que l'entreprise privée pourrait faire. «A moindre prix» soutient-elle. Or, c'est faux. Par exemple, aux États-Unis, où les soins de santé sont massivement privés, 10,7 pour cent du PNB y sont consacrés. Au Canada et au Québec, où ces soins sont surtout publics et beaucoup plus accessibles, ils représentent au plus 7 pour cent du PNB. En réalité, c'est qu'il y a des profits à réaliser dans la santé et dans l'éducation, aussi bien que dans l'acier ou le pétrole, et que ce sont des marchés qui leur échappent en partie. Nous avons vu aussi il y a quelques années, au moment de notre lutte en faveur de la nationalisation de l'assurance automobile, quelle résistance ils peuvent opposer aux changements. L'initiative individuelle nous ramène au mythe américain voulant que n'importe qui, à force de travail, puisse devenir millionnaire. Mais on sait combien des centaines devront être exploités, écrasés, pour qu'un seul parvienne à cet état. C'est la contrepartie absolue de nos principes syndicaux, qui veulent que ce soit la force de toutes et de tous qui serve à élever les conditions de l'ensemble. La réduction des impôts, grande revendication de ceux et de celles qui ont les moyens d'en payer, n'a pas d'autre signification profonde qu'un refus du partage minimal des richesses; c'est un comportement absolument anti-social. Et encore, les lois, faites souvent par des gens de leur monde, rendent possible que 8 000 personnes, ayant gagné plus de 50 000 $ en 1981, n'ont pas payé d'impôt au Canada, selon les chiffres du ministère du Revenu. La déréglementation, enfin, est un mot devenu à la mode, dans cette poussée du nouveau libéralisme, pour que disparaissent les obstacles à ses conquêtes et à son pouvoir. Le droit d'association, le droit de grèves, dans cette perspective, représentent des obstacles majeurs à l'expansion du capitalisme, comme le sont ici, au Québec, les dispositions anti-scabs. L'étendard des libertés. Cyniquement, c'est en portant bien haut l'étendard de la défense des libertés que ce nouveau libéralisme entreprend ses combats. Mais, comme nous l'avons démontré devant la Commission Beaudry, «La liberté de l'entreprise s'accommode fort mal des autres libertés». Ce qu'il faut comprendre est pourtant bien simple: l'État joue un mauvais rôle quand il se met au service de l'intérêt général en répartissant de façon plus équitable les richesses. Mais ce sont ceux-là même qui, dénonçant ce rôle, font tout pour mettre à leur service et faire jouer dans le sens de leurs intérêts la force de l'État. Depuis dix ans, les politiques favorables aux attentes de l'entreprise privée ont conduit à une détérioration constante de notre niveau de vie. De plus, ces politiques ont amené des problèmes dans les finances de l'État. En laissant monter les taux d'intérêt, le gouvernement a fait en sorte d'augmenter ses dépenses affectées au service de la dette. En réduisant les taxes des compagnies, il s'est privé de sources importantes de revenus. En laissant grimper le chômage, il a augmenté les charges sociales et diminué ses sources de revenus pendant que les dépenses liées aux conséquences de la crise augmentaient. De plus, les mesures d'exemptions fiscales aux compagnies n ont fait qu'aggraver la situation, les exemptions fiscales introduites depuis 1972 ont fait perdre 13,7 $ milliards en 1982 (ceci pour un nombre limité d'exemptions) selon les études du Ministère fédéral des finances. Une partie importante des revenus du gouvernement retourne à l'entreprise privée sous forme de subventions, programmes de soutien à l'investissement, etc. Selon le gouvernement fédéral lui-même, l'aide gouvernementale directe aux entreprises en 1979 fut de $ 6 milliards, soit un peu moins que l'équivalent payé en taxe fédérale par les entreprises, $ 6,9 milliards. Autre exemple: au Québec, le taux effectif d'impôt versé par les sociétés, en pourcentage de leurs bénéfices, était de 41,6 % en 1962, 34 % en 1975 et de 29,4 % en 1980. Les gouvernements et l'entreprise privée disent qu'il n'y a plus d'argent actuellement dans les coffres de l'État et qu'en conséquence, il faut couper dans les dépenses à caractère social. Ce sont pourtant les gouvernements eux-mêmes qui se sont privés de milliards de dollars par leurs politiques fiscales. Est-il nécessaire de rappeler la boutade de l'ancien ministre Parizeau. «Une compagnie qui paie des impôts au Québec devrait changer de comptable» ? «Balayer les conquêtes démocratiques». Pour faire échec aux attaques patronales, pour mettre fin à la confusion entretenue des idées et des valeurs dont certaines, comme la paix, comme la liberté, sont aujourd'hui carrément extorquées par la droite, qui salive à l'idée d'un système économique où n'importe qui peut faire n'importe quoi, il devient important de se ressaisir. Puisque le patronat - aussi bien privé que gouvernemental - monopolise les idées, soutient que l'État, comme les syndicats, constituent des obstacles au développement des autonomies et des libertés, nous devons nous donner les moyens d'analyser, jour après jour, l'avance ou le recul de nos idées. Nous devons proposer des analyses et des moyens visant à contrer le développement des idéologies patronales. Car ce qu'il faut comprendre et qu'a bien illustré le journaliste français Claude Julien du Monde Diplomatique, de passage au Québec en décembre dernier à l'invitation de la FNC, ce sont les conquêtes démocratiques que cette droite veut balayer. Ces conquêtes, nous le savons, ont été le fruit de l'action collective. C'est à cette action que la droite tente aujourd'hui d'enlever toute légitimité. C'est une constante dans notre organisation de vouloir que le plus grand nombre possible de militantes et de militants connaissent les grands rouages des mécanismes qui conditionnent nos vies. Les possédants, ceux qui détiennent le pouvoir économique et politique, comptent en effet sur l'ignorance dans laquelle on tient le monde pour mieux imposer leurs lois, pour mieux contrôler les leviers stratégiques. C'est ainsi que, par exemple, le monde des affaires dénigre le rôle joué par l'État pour être mieux en mesure de l'utiliser à ses propres fins. De même, on entend souvent des plaintes au sujet de la tendance à la bureaucratisation de l'État et de ses services à la population. Les travailleurs ont connu les effets dévastateurs de la loi du libre marché au dix-neuvième siècle. Les abominations produites par ce système ont été en partie corrigées par la négociation des conditions de travail et de salaires par les syndicats, de même que par l'intervention de l'État dans la redistribution des richesses. Ce dernier phénomène s'est surtout développé au cours des quelque 50 dernières années, où on a vu s'instaurer, graduellement, une série de mesures pour protéger les travailleurs, les travailleuses et leurs familles: assurance-chômage, assurance-maladie, assurance-hospitalisation, éducation publique, etc, sous l'impulsion, principalement, des syndicats. L'État québécois: le renforcer, le socialiser, le démocratiser. A ce stade-ci, dans la perspective de préserver les acquis et de nous donner des objectifs de transformation de la société, la CSN doit pouvoir soutenir le paradoxe suivant: lutter pour le renforcement de l'État québécois et, en même temps, lutter pour sa socialisation, sa démocratisation, en ayant à l'esprit que la répartition des juridictions, à l'intérieur du fédéralisme, lui ménage le secteur des services. Lutter pour le renforcement de l'État se situe en ligne directe avec la proposition principale adoptée par le congrès spécial de 1979: «La CSN s'engage dans une démarche d'appropriation par le peuple québécois des pouvoirs et institutions politiques, économiques et culturels (...)» Lutter pour la socialisation, la débureaucratisation, la démocratisation de ces pouvoirs et institutions, cela aussi se situe en ligne directe avec la même proposition, qui contenait aussi la volonté suivante: «Cette appropriation nécessite la démocratisation de ces pouvoirs et institutions.» Cette démocratisation signifiait, au sens de la proposition adoptée: «L 'élargissement des droits et libertés des travailleurs, des travailleuses et de leurs organisations, le développement de la capacité d'intervention des classes populaires sur tous les terrains de lutte.» Aujourd'hui, une option de fond, un choix fondamental doit continuer de prendre forme avec encore plus d'insistance: travailler constamment, par tous les moyens, à élargir l'appropriation, par toutes et par tous, du contrôle sur leur vie, dans la société, dans leurs organisations et, en tout premier lieu, dans leurs milieux de travail. Il ne s'agit donc pas de réduire le rôle de l'État; il doit jouer un rôle moteur, en particulier en ce qui a trait à sa responsabilité de planification au niveau de l'économie. Il s'agit plutôt de plaider en faveur d'une meilleure planification grâce à laquelle travailleurs, travailleuses et usagers pourraient exercer un plus grand pouvoir; pourraient définir, en collaboration avec les autres groupes d'usagers et de travailleurs, les éléments d'un développement économique favorable à nos objectifs: plein emploi, réduction des écarts de revenu, égalité entre les sexes, respect de l'écosystème, désarmement, etc. Dans la conjoncture actuelle, d'autre part, accepter la réduction des pouvoirs de l'État québécois signifierait, dans les faits, un accroissement des pouvoirs de l'État canadien, de l'État américain et des grandes entreprises multinationales et de leurs capitaux. Privatiser Hydro-Québec, par exemple, représenterait certes une régression collective. Nous sommes convaincus qu'au contraire, la ligne à suivre est celle que nous soutenons depuis longtemps, soit la démocratisation réelle de grands leviers économiques tels la Caisse de dépôt. L'État québécois n'est donc pas trop fort, dans cette perspective. Au contraire, il apparaît trop faible. Et ce ne sont pas les reculs constitutionnels que nous avons subis sous le gouvernement du Parti Québécois qui ont amélioré cette situation! Le renforcement de l'État québécois, en rapprochant de nous les centres du pouvoir, laisserait une plus grande marge d'initiative que travailleurs et usagers pourraient utiliser. Les syndiqués le savent d'expérience: il est plus facile, toutes proportions gardées, de négocier avec une entreprise dont le centre de décision se trouve au Québec qu'avec une multinationale. Cette position n'est pas nouvelle; elle se situe en continuité avec les politiques défendues par la CSN depuis les années '60, politiques qui visaient à accroître le rôle de l'État québécois face à l'État canadien et au capital privé. Le fond de la question demeure une meilleure prise sur nos vies et sur les matières qui les conditionnent. Il nous semble qu'une voie à privilégier devrait consister à forcer l'État à fournir aux citoyens les moyens de faire les choses plutôt, comme c'est encore le cas, de trop souvent faire les choses à leur place. C'est une optique qui diffère fondamentalement des courants de droite, personnifiés par Reagan et Thatcher, pour qui l'État doit se retirer du plus grand nombre de terrains possibles pour les laisser au capital privé. Pour le laisser libre, en fait, d'imposer à sa guise sa propre loi, celle du marché. Premières visées: les femmes. L'offensive actuelle contre le rôle majeur de l'État touche particulièrement les femmes. C'est, par exemple, le cas des attaques des dernières années contre toutes les législations sociales. Si l'État a trop pris en charge les services aux personnes, il faut donc les remettre entre leurs mains! Des débats tel que celui de l'universalité des programmes sociaux, ou celui concernant la politique familiale que le gouvernement du Québec veut mettre de l'avant, remettent en question les acquis de nos batailles pour une redistribution plus égalitaire de la richesse collective. Le gouvernement du Québec vient de faire paraître le livre vert sur la politique familiale. Les femmes étant les principales artisanes du bien-être de la famille seront concernées directement par tous les changements qui affecteront la famille. Non seulement ce document est-il très pauvre en mesures concrètes, mais il est complètement silencieux sur les questions du soutien économique aux familles. Toutes les questions relatives à la fiscalité sont complètement absentes, alors qu'elles peuvent avoir une grande implication dans une politique de la famille. Ces dernières années, la situation des garderies, loin de s'être améliorée, s'est détériorée. Les subventions gouvernementales n'étant pas augmentées, de nombreuses garderies ont dû fermer leurs portes. Des études démontrent que de plus en plus, les seuls parents capables de mettre leurs enfants en garderie sont ceux qui font un très bon salaire (35 000 $ et plus) ou ceux qui ont un très bas revenu, ces derniers ayant droit à des subventions gouvernementales. Il est courant d'entendre dire présentement que l'État ne peut tout prendre en charge, qu'il faut couper dans les dépenses publiques. Les discours sur la politique familiale mettent en valeur la responsabilité ultime de la famille élargie: les femmes verront s'accroître leurs responsabilités (lire leurs charges) familiales. De plus, l'État compte de plus en plus, et cela très clairement, sur l'action bénévole: «Une des principales priorités de mon gouvernement sera la révision complète des programmes sociaux du gouvernement en vue d'économiser autant d'argent que possible. Une façon d'atteindre cet objectif consiste à encourager le secteur du bénévolat à participer davantage à la réalisation de nos programmes sociaux.» (Brian Mulroney, 10 juin 1983). Il faut savoir que l'on retrouve les travailleuses bénévoles principalement dans le secteur des services sociaux. Leur présence est valorisée très clairement dans le but d'humaniser les services. Mais que doit-on penser d'un système où d'un côté se retrouvent des bénévoles, spécialistes en relations humaines, et de l'autre, les travailleurs professionnels, pressés par le temps et voués à l'efficacité? Les gouvernements comptent sur les femmes dans leurs programmes pour un «meilleur rendement des programmes sociaux». L'autonomie et la créativité des groupes bénévoles sont menacées: pour être financé au minimum, il faudra se conformer aux visées des gouvernements. D'autre part, soulignons qu'en plusieurs endroits, n'est plus bénévole qui veut. Pour être bénévole, il faut suivre des cours de formation, travailler sur des «shifts», etc. Quand on encadre de telle manière le bénévolat, on ne peut plus parler d'action volontaire! Et du même coup, on continue d'exploiter «gratuitement le don de soi de nombreuses femmes bénévoles dans le secteur public. Une réplique collective. La privatisation des services publics et la déréglementation font aujourd'hui partie du discours dominant; il en va de même en ce qui a trait à l'universalité des programmes sociaux. Sous prétexte de la crise, on veut amoindrir le rôle de l'État en ces domaines, croyant que l'insécurité dans laquelle se trouve la population aidera à s'en faire une alliée. Mais nous demeurons convaincus que ce qui est souhaité par les couches populaires, ce n'est pas l'affaiblissement de l'État, mais bien plutôt la disparition de la bureaucratisation tatillonne qu'on impose, par exemple aux jeunes assistés sociaux ou par la CSST, et du gaspillage des fonds publics. Mais le discours patronal aurait sans doute moins de prise si nous pouvions lui opposer une véritable décentralisation de l'administration des services publics. Une décentralisation et une réelle démocratisation pourraient permettre la reconstruction de solidarités sociales au niveau régional qui, plutôt que d'affaiblir l'État, participeraient à sa consolidation. Ainsi, le gouvernement ne pourrait plus élaborer à lui seul les politiques sociales et les administrer en vase clos. Agir sur les leviers. L'un des moyens d'augmenter le rapport de forces de la majorité dans la société pourrait passer par la canalisation des épargnes collectives, comme nous l'avons affirmé à maintes reprises depuis plusieurs années. En agissant ainsi à plusieurs niveaux d'intervention, nous serions davantage en mesure d'infléchir les décisions en vue d'un développement économique soumis aux intérêts de la collectivité. Nous avons, par exemple, des propositions claires touchant la Caisse de dépôt et de placement du Québec. Les récents événements qui ont entouré la subvention pour la modernisation de l'usine de la Domtar, à Windsor, ont magistralement illustré à quel point l'establishment financier anglo-canadien craignait la force potentielle d'un tel instrument. La présence que nous y réclamons constitue un moyen de s'assurer une certaine prise sur le contrôle et l'utilisation de cet outil de développement que s'est donné le Québec. Il peut être éclairant de rappeler que les pressions de la CSN et de la FTPF n'ont pas été étrangères aux décisions de la Domtar, sous contrôle public dans une proportion de 45 pour cent depuis quelques années, d'accentuer son développement au Québec plutôt qu'en Ontario. Avant ce changement de cap, Domtar avait, à toutes fins utiles, décidé de fermer ses usines de East Angus et de Beauharnois, tout en laissant planer une menace sur la survie de celle de Windsor, pour transporter sa production à Cornwall en Ontario. Ce levier économique, comme d'autres, se situe au niveau national. D'autres leviers se situent à d'autres niveaux. Il y a aussi la possibilité d'organiser un meilleur contrôle de nos propres épargnes, générées dans nos syndicats, pour qu'elles viennent augmenter notre rapport de forces global dans la société, en tant que syndiqués. Servant d'appui à nos luttes, elles seraient consacrées à un développement qui servirait davantage les classes populaires. Sur ces questions, nos revendications portent aussi sur différents niveaux d'intervention, qui sont complémentaires et qui, en conséquence, ne peuvent pas se substituer les uns aux autres. Nos fonds de pension, les REER collectifs dont nous avons suggéré la création il y a tout juste dix mois, au dernier congrès, les coopératives ouvrières de production et de services sont autant d'outils qui pourraient contribuer au renforcement de notre place dans la société québécoise. Qu'il s'agisse de la Caisse de dépôt et de placement du Québec, de l'administration et des placements de nos fonds de pension, des REER collectifs ou de l'administration des divers plans d'assurance, il s'agit de milliards qui appartiennent aux travailleuses et aux travailleurs, et il y va de notre intérêt d'en assurer la sécurité et d'en contrôler davantage l'utilisation. Est-ce faisable? Le défi est important mais peut être surmonté. Nous sommes souvent portés à mystifier la gestion économique, comme si nous ne pouvions acquérir le savoir requis, comme si nous ne pouvions rien faire de mieux et de différent, comme si l'idée de regrouper nos épargnes pour les mettre au service des intérêts des classes populaires ne pouvait que constituer un voeu pieux. Pourtant, à la CSN, nous avons su bâtir des expériences qui indiquent le contraire. Nous pensons, entre autres, aux deux Caisses populaires à Montréal et à Québec qui, sous l'instigation de militants de la CSN, se sont développées dans le sillon du mouvement. A titre d'exemple, l'implication qu'a développée la Caisse des travailleuses et travailleurs de Québec peut être intéressante. Cette caisse, au cours de la dernière année, a atteint un actif de vingt millions $. Avec celle des Syndicats nationaux de Montréal, c'est un actif global de plus de cinquante millions $ qui a ainsi été constitué. Comme quoi, le projet de regrouper nos épargnes peut être réalisable. Avec son actif de vingt millions $, la Caisse des travailleuses et travailleurs de Québec a su s'impliquer activement dans de multiples projets liés au mouvement ouvrier et populaire. Soulignons, à ce titre, les prêts et marges de crédits consentis à des organisations syndicales pour un montant global dépassant deux millions $; les prêts-solidarité (sans intérêt) consentis à des travailleuses et travailleurs en conflit pour un montant approchant le million $; le financement de quelque vingt-cinq coopératives d'habitation à Québec, à Rimouski, en Gaspésie, pour une implication globale dépassant les six millions $; de multiples interventions, sous forme de prêts et de marges de crédits parfois sans intérêt, auprès d'organisations populaires. Dans tous ces cas, la Caisse s'est associée sur la base de pratiques ouvertes, ajustées le mieux possible aux besoins des organisations requérantes et ce, bien souvent à l'encontre des pratiques conventionnelles développées par les institutions financières. C'est vrai pour le support fourni au mouvement syndical. Mais c'est particulièrement vrai pour les coopératives d'habitation où la Caisse doit quotidiennement contester les politiques conservatrices du mouvement Desjardins et imposer une approche différente. Et c'est encore plus vrai pour la multitude de projets populaires qui ne réussissent pas, nous comprenons pourquoi, à gagner l'attention des institutions financières. Qu'est-ce que cela signifie, sinon la volonté d'avoir toujours davantage une meilleure prise sur notre propre condition, une plus grande capacité de faire nous-mêmes les choses plutôt que de laisser les autres agir à notre place, souvent avec notre propre argent, et toujours, cependant, dans leurs propres intérêts? Des emplois de qualité, une vie meilleure, un développement différent dépendent de notre acharnement à vouloir organiser notre force collective et la faire servir dans notre intérêt. Prendre en mains notre avenir, nos vies. Le nombre de personnes qui, en dehors de nous, prennent des décisions qui nous affectent directement, tant dans nos vies personnelles qu'au travail, est incroyablement élevé. Plusieurs ressentent comme une véritable dépossession l'absence de prise réelle sur leur vie. De plus en plus, tout paraît réglé au-dessus de nos têtes: la complexité de l'organisation sociale, souvent perçue comme un labyrinthe, provoque la crainte et l'inquiétude chez plusieurs. Pour nous, il y a urgence d'intervenir massivement pour que le savoir cesse d'être concentré entre les mains d'une minorité équipée pour imposer sa domination. Peut-on, sans en payer un prix extrêmement élevé, laisser cette minorité contrôler seule, et dans son seul intérêt, les clés et les codes de l'avenir? A-t-on les moyens d'accorder un chèque en blanc à ceux qui contrôlent le pouvoir produit par les nouvelles technologies? Pouvons-nous intervenir efficacement face aux nouveaux défis qui nous sont posés par la transformation des lieux de travail, de la nature même du travail? Saurons-nous adapter l'organisation de la solidarité pour qu'elle puisse continuer de se construire? Car il faut être conscients que ces changements ont des effets directs sur le fonctionnement syndical quotidien. Toutes ces questions, comme bien d'autres, font partie des nouveaux enjeux, des nouveaux défis qui sont posés au mouvement syndical. Nous croyons qu'une bonne part de la réponse réside dans une implication plus grande des travailleuses et des travailleurs soutenus par leurs syndicats pour infléchir, dans le sens des intérêts populaires, les décisions qui engagent l'avenir. Nous croyons qu'il faut continuer d'élargir le champ du négociable pour mieux affronter le pouvoir patronal: en nous organisant pour surveiller sa gestion, pour questionner ses choix d'investissements, pour vérifier la qualité des produits et des services. Sinon, nous serons pris avec l'avenir qu'il nous aura préparé. Un avenir qui, bien sûr, irait dans le sens de ses intérêts. Les travailleurs et les travailleuses, dans les usines, sont les premiers à s'apercevoir que la direction laisse dépérir les machines, n'entretient plus l'appareil de production. C'est un signe qu'il nous faut savoir interpréter puisqu'en bout de ligne, ce sont nos emplois qui s'en vont tranquillement. C'est ainsi que les travailleurs de Marine ont réagi quand, il y a quelques années, ils se sont aperçus qu'il ne s'y faisait à peu près plus de construction navale; phénomène curieux pour un chantier maritime... La mobilisation des travailleurs avait amené la direction à abandonner sa politique de tout concentrer sur la division électrique. Ce sont là quelques exemples qui illustrent à quel point il nous faut être attentifs dans nos milieux de travail. Le guide que nous venons de publier sera d'une grande utilité à nos syndicats à cet égard. «A nous le progrès». La révolution technologique actuelle dépasse en ampleur ce que nous avait réservé la révolution industrielle. Nous avons déjà assisté à l'envahissement de la bureautique, qui est venue modifier les formes de travail dans le secteur tertiaire. L'un de ses effets a été de dépersonnaliser les échanges; que l'on pense par exemple au remplacement des caissières par le système des guichets automatiques. Plus récemment, la robotique a fait son apparition dans l'industrie. Des emplois ont été déqualifiés; par contre, des travaux répétitifs ou encore dangereux ne sont plus accomplis par des êtres humains. Aujourd'hui, c'est dans l'ère de la télématique que nous entrons. Mais contrairement à la robotique et à la bureautique, le produit de la télématique est abstrait: c'est l'information. Que cela nous réserve-t-il? Quels en seront les effets sur notre vie syndicale ? Le travail à domicile, le télé-travail, est en voie de pénétration dans une série de secteurs d'activités. On peut y trouver certains avantages, au niveau de la réduction des déplacements et dans un meilleur partage des charges domestiques. Par contre, cette transformation du travail comporte des risques certains, qui découlent de l'isolement dans lequel le travailleur ou la travailleuse se retrouve. Rien ne nous assure, dans l'état actuel des choses, qu'on ne connaîtra pas la même exploitation que celle dénoncée si souvent du travail des femmes à la maison, rivées à des machines à coudre louées à des compagnies, à des salaires se situant très loin du minimum. Il ne s'agit pas d'opposer une fin de non-recevoir aveugle face aux «nouvelles technologies». Elles ouvrent des portes au progrès ou à un mieux-être collectif; mais la question qui se pose est celle-ci: qui les utilise et à quelles fins? C'est dans le contexte d'un régime capitaliste que les conséquences de l'invasion des nouvelles technologies risquent d'être désastreuses. On ne peut pas dire: «Prenons le virage technologique, on verra après». Le laisser-faire en ce domaine a un prix fort élevé. Signalons qu'un débat entoure l'examen des conséquences économiques, sociales et culturelles des nouvelles technologies. Ce débat se pose entre optimistes et modérés. Pour les premiers, les nouvelles technologies favorisent la croissance économique et, à long terme, ont un effet positif sur l'emploi. Pour les plus modérés, il y a risque d'augmentation du chômage et, surtout, d'une déqualification fort inquiétante de la main-d'oeuvre. L'introduction des nouvelles technologies continuera d'avoir des effets majeurs sur l'emploi, mais d'autres effets sont aussi à prévoir. Plusieurs sont de nature irréversible; il n'est donc pas question de nous battre contre des moulins à vent, mais bien plutôt de tenter de comprendre pour mieux saisir les réalités. C'est ce qui soutient notre démarche, illustrée en particulier dans le dossier de novembre 1983 «A nous le progrès». Avec toute la prudence nécessaire, nous devons décider, en tant que travailleurs et travailleuses, en tant qu'organisation syndicale, si nous allons surveiller le changement en cherchant à le contrôler ou encore si le changement nous sera tout simplement imposé, avec les conséquences catastrophiques que cela pourrait entraîner. Contrôler notre avenir. Notre disponibilité est acquise pour toute action, pour toute réflexion, pour tout changement susceptible de contribuer à la progression de la société québécoise. Nous sommes tournés vers l'avenir parce que déjà le présent nous préoccupe. Quand nous indiquons la nécessité d'élargir le champ de la négociation, cela signifie qu'il faut, à notre avis, donner une priorité à l'action dans nos milieux de travail. Cela signifie choisir de se mobiliser sur des défis majeurs présents au coeur des transitions fondamentales actuellement en cours. Forcer les reculs des droits de gérance, rechercher l'exercice d'une plus grande emprise sur notre travail, son organisation, sa finalité, c'est lutter pour une meilleure maîtrise de nos moyens de production et d'échanges. C'est s'inscrire en faux contre la société totalitaire qui est en train de prendre forme sous l'égide des multinationales. C'est jusque dans les entreprises, jusque dans les institutions qu'il nous faut porter notre projet social et démocratique, car le développement de l'impérialisme met en danger notre avenir. Pour toutes ces raisons, il faut prendre notre place, prendre toute notre place: aujourd'hui, plus que jamais, cela exige de la lucidité, cela exige que nous sachions lire les stratégies, déchiffrer les plans patronaux. Nos syndicats sont sur la première ligne. Davantage de pouvoir. Le patronat a toujours recherché la disparition du syndicalisme. Mais aujourd'hui, à la faveur de la crise, utilisant de nouvelles méthodes et tablant sur un rapport de forces momentanément favorables à ses thèses, il accentue ses efforts pour faire disparaître le syndicat ou encore diminuer sa capacité d'intervention. Le patronat veut nous faire reculer sur les quelques pouvoirs qui ont pu être arrachés par les luttes passées, sur les quelques droits que les travailleuses et les travailleurs ont pu s'approprier au fil des ans. L'offensive actuelle contre le droit de grève, contre le droit de négocier dans le secteur public et parapublic en est l'exemple le plus marquant. Contourner le syndicat, le soumettre, le combattre, le faire disparaître, endiguer son influence auprès d'autres groupes sont des attitudes patronales constantes sous toutes les latitudes, la logique du profit s'accommode mal de la démocratie. De là les stratégies forçant les reculs sociaux. De là aussi les exigences de déréglementation sous le couvert de la compétitivité internationale, des exportations, de la modernisation. A ce niveau, nous devons comprendre que ces attitudes patronales visent autant à maintenir un pouvoir patronal qu'à régler des problèmes de coûts de production et de gestion. Nous avons une longue tradition d'exercice de la démocratie à l'intérieur de nos syndicats, de nos organisations syndicales. Il nous faut aller plus loin en privilégiant une approche concrète afin que nos syndicats puissent percevoir comme crédibles les objectifs audacieux que nous mettons de l'avant. Une dimension internationale. L'efficacité des luttes que nous menons chez nous dépend pour une bonne part de la prise en compte de la dimension internationale dans l'analyse des problèmes et dans les pratiques d'action. Il ne s'agit là que du prolongement nécessaire de notre action syndicale locale, régionale et nationale face à des situations concrètes qui nous atteignent. Dans le cadre d'une réorganisation internationale du capital, l'exercice de la démocratie dans l'entreprise constitue l'un des seuls remparts contre la société totalitaire qui tend à se développer, avec la concentration du pouvoir économique dans des centres de décisions de plus en plus restreints. A titre d'exemple, les États-Unis contrôlent 80 pour cent de toute la production mondiale de circuits intégrés, à la base de toute nouvelle technologie; les pays européens consomment à peu près quatre fois plus de circuits intégrés qu'ils n'en produisent. Cette situation de dépendance est encore plus accentuée pour le Canada et encore davantage pour le Québec. L'internationalisation de l'économie, la dépendance nationale, ce n'est pas au-dessus ou en dehors d'un pays. Cela se passe à travers ses structures et ses mentalités. Notre vie quotidienne, notre travail et notre avenir sont conditionnés, façonnés par cette mondialisation des rapports économiques. Non seulement nous n'y échappons pas, mais les pouvoirs en place gèrent leurs affaires en utilisant sciemment cette dimension. Notre action syndicale doit donc pouvoir s'articuler à partir des luttes que nous menons ici en lien avec les luttes qui se mènent ailleurs. De là, la nécessite d'un mouvement syndical national et international autonome dans sa pensée et dans son action. Moins que jamais, l'isolement n'est une solution dans le cadre de la politique internationale du capitalisme. Les récents colloques internationaux réunissant des militants de l'Alcan et du papier ont apporté une dimension concrète à cette donnée capitale. Il nous faut donc être en mesure d'élaborer et de proposer d'autres manières de produire et d'échanger, d'autres priorités pour rencontrer les véritables besoins. En fonction de nos options, centrées sur la démocratisation et la satisfaction des besoins, proposer nos alternatives concernant la gestion et le renouvellement des ressources de la planète, pour la paix, pour la qualité de l'environnement, etc. Notre action quotidienne sur les lieux de travail doit être empreinte de cette prise en compte de toutes les données de l'internationalisation de l'économie. Cette préoccupation nous conduit également à élaborer des plates-formes de revendications centrées sur des objectifs plus globaux; ce que sont nos revendications sectorielles et nos revendications portant sur les politiques industrielles. Une nouvelle approche. Nous devons continuer de négocier nos conditions de travail, mais il nous faut en même temps porter, au sein de l'entreprise ou de l'institution, notre projet social et démocratique. Dans ce sens, l'amélioration de la qualité des produits et des services, l'utilisation la meilleure des outils de travail, la mise en valeur des capacités manuelles et intellectuelles des travailleuses et des travailleurs, la souplesse et la mobilité dans l'organisation du travail, les choix d'investissements ne peuvent nous être étrangers. Cela exige, cependant, des changements majeurs dans nos attitudes. En s'appuyant constamment sur les sacro-saints droits de gérance et de propriété, le patronat, jusqu'à un certain point, a réussi à faire en sorte que nous nous sentions étrangers à notre lieu de travail. Nous proposons aujourd'hui d'investir ces lieux de travail: qu'il s'agisse de gestion économique, de choix d'investissements ou même de la qualité de la production ou des services, il faut nous impliquer, ne serait-ce que pour les effets qu'ont sur les emplois ce type de décisions, comme on l'a vu précédemment. Il faut peser de tout notre poids. Il ne s'agit pas ici de gérer à leur place. Il s'agit plutôt de nous organiser de sorte qu'une vigilance constante puisse s'exercer efficacement. Nous rendons-nous compte qu'un refus de nous préoccuper suffisamment de ces questions ne fait que maintenir, à toutes fins utiles, la politique traditionnelle du syndicalisme nord-américain: aux patrons les pouvoirs de décision, aux syndiqués les seuls pouvoirs de négociation des conditions de travail et de salaire? Pour atteindre ces objectifs, des droits devront être arrachés: le droit de connaître pleinement l'entreprise ou l'institution, le droit d'expression constante et directe des travailleurs et travailleuses à partir de leurs milieux de travail, de même que la reconnaissance, pour le syndicat de pouvoir négocier les modalités de cette expression, au même titre que les changements aux conditions de travail. En particulier dans les appareils d'État. En utilisant à toutes les sauces et de manière souvent démagogique les termes de participation et de concertation, le Parti québécois a fortement contribué à la confusion idéologique qui dure encore aujourd'hui. Le PQ présente la participation comme si la société ne reposait pas sur des conflits d'intérêts et des rapports de forces objectifs. Mais même ce type de participation est refusé par le patronat, qui y voit une atteinte à ses droits sacrés. Faire sentir notre présence, peser de tout notre poids, en lien avec les usagers et les groupes populaires, cela exige pour le mouvement syndical, pour la CSN, un choix décisif pour une implication majeure de tous les instants. La CSN pourrait-elle, à titre d'exemple, en collaboration avec les groupes concernés, dont les usagers, définir une politique économique par laquelle des appareils d'État comme Hydro-Québec joueraient un meilleur rôle dans le développement économico-social du Québec, tout en étant plus sensibles aux besoins de leurs travailleurs et des usagers? Le gouvernement a beaucoup parlé de décentralisation mais en fait, il n'a que déconcentré la gestion, tout en conservant le pouvoir de définition qu'il tient du fait qu'il détermine les enveloppes budgétaires et ses modalités d'utilisation par les programmes-cadres. La CSN pourrait-elle, en collaboration avec les usagers, défendre une véritable politique de décentralisation par laquelle les usagers et les syndiqués auraient un plus grand pouvoir de décision dans le fonctionnement, par exemple, des services publics? Mais il faut être conscient que défendre une décentralisation de ce type implique en même temps une lutte pour une prise grandissante aux pouvoirs de décision. Plus de pouvoirs autonomes pour les travailleuses et les travailleurs, plus de pouvoirs pour la population dans la détermination des orientations des services, cela signifie moins de pouvoir pour le gouvernement central, et cela nous assure que ce ne sera pas le pouvoir des administrations locales qui s'en trouvera renforce. De la même façon que la signature d'une convention collective représente une entente qui repose sur un rapport de forces et un compromis s'appuyant sur des intérêts opposés, ce type d'implication viserait à défendre les intérêts et les objectifs spécifiques des travailleurs et des usagers, là où un pouvoir peut être exercé. Il ne s'agirait pas seulement de recueillir des informations utiles aux travailleurs, mais aussi de poursuivre, à un niveau différent, nos propres politiques. Deux conditions préalables s'imposent: que le mouvement syndical ait défini les objectifs à défendre avec les travailleurs, travailleuses, usagers concernés et qu'il puisse exercer un contrôle démocratique sur ses mandataires. Mentalités et attitudes à transformer, à changer? C'est un fait. Mais si on s'engage dans cette voie, il faudra lutter pour exercer plus de pouvoirs. Il ne s'agit pas, aujourd'hui, de remettre en question les acquis et les positions de la CSN depuis la Révolution tranquille, notamment au niveau du renforcement de l'État québécois. Il s'agit plutôt de les développer et de les ajuster en tenant compte de notre expérience accumulée. Il s'agit enfin de les préciser sur les questions de décentralisation pour éviter que ce ne soient les discours dominants patronaux et gouvernementaux qui s'installent sur un terrain que nous aurions refusé d'occuper. En termes clairs, cela pourrait consister à rapprocher les lieux de décision du monde, comme nous le pratiquons à la CSN dans nos syndicats; ce qui constitue une bonne part de notre originalité. Mieux vivre. Le syndicalisme est essentiellement préoccupé par tout ce qui peut contribuer à l'amélioration des conditions de vie des travailleurs, des travailleuses et de la population. Du fond des temps, c'est cette aspiration profonde à mieux vivre, à développer davantage ses capacités, à trouver davantage de plaisir et de contentement qui a poussé les hommes et les femmes à lutter farouchement pour transformer leurs conditions d'existence. C'est à ces sources que se sont nourries les révolutions qui ont fait progresser l'humanité. La transformation du travail. Dans notre structure traditionnelle, la notion du lieu de travail et de permanence du travail entraînait automatiquement la permanence des rapports entre les mêmes travailleurs et travailleuses, sur une base constante. Il se créait donc ce que l'on peut appeler une culture de la solidarité, dont une des caractéristiques a été la transmission du savoir syndical en même temps que se faisait l'apprentissage du travail. Quand on entrait dans une entreprise pour trente ans, on apprenait à être syndiqué en même temps qu'on apprenait à travailler. Après une période plus ou moins longue, on en venait à occuper diverses fonctions. Avec la diminution de la permanence des emplois, avec l'apparition des diverses formes de travail précaire, avec les changements technologiques, avec la mobilité de la population, la culture syndicale, cette façon traditionnelle de se passer le savoir et les responsabilités, subit des transformations. La précarité des emplois diminue l'intérêt de s'impliquer dans des structures permanentes et rend plus difficile l'apprentissage de la culture de la solidarité. Partant de là, l'intérêt pour les responsabilités et les tâches dans une structure très organisée, ne peut que diminuer. Chaque individu s'implique en fonction de sa réalité et de sa finalité. Cela peut expliquer qu'il est de plus en plus difficile de recruter des gens pour s'engager à long terme dans des responsabilités globales. Cela nécessite une permanence suffisamment grande pour d'abord connaître les modes de fonctionnement de l'organisation en question, puis le temps nécessaire pour accomplir les mandats sur une période suffisamment longue pour voir les résultats de ce que l'on désire accomplir dans de telles structures. Le tout nécessite une période minimale d'une dizaine d'années pour arriver à être à l'aise dans des fonctions sectorielles, régionales ou nationales. Or, c'est là une période plus longue que ce qui existe maintenant, si on considère que durant une vie de travail, un individu change sept fois d'emploi; cela ne laisse guère plus de cinq ans en moyenne, soit à peine le temps de se familiariser avec la culture syndicale locale. Des valeurs qui changent, des pratiques à ajuster, des aspirations à combler. Dans les transformations actuelles, plusieurs ont des rapports avec l'organisation de notre vie syndicale. C'est ainsi qu'un peu partout, on constate des réticences plus marquées devant un fonctionnement à l'intérieur de formes déterminées, structurées, procédant par mandats, par délégation de pouvoir, par propositions formelles. On constate aussi, dans des syndicats, une plus grande disponibilité pour des actions ponctuelles, répondant à un besoin immédiat et n'impliquant pas un engagement de tous les instants. Vivre mieux, dans les circonstances, c'est aussi oser poser des questions de fond, amener ses interrogations, ménager l'espace nécessaire pour que puissent se tenir des débats francs, ouverts. Vivre mieux, c'est aussi pouvoir saisir toute la mesure des conditions d'exercice de notre militantisme syndical: est-il normal, cela va-t-il dans le sens d'une meilleure qualité de vie d'exiger des militantes, des militants, un tel engagement dans la cause syndicale? Un engagement qui mène parfois à l'impossibilité de tenir compte d'une vie privée gratifiante est-il absolument nécessaire au progrès des causes que nous défendons? Ces questions se posent aujourd'hui avec une persistance qui n'existait pas hier. Un grand nombre de militantes et de militants nous disent qu'une implication multiple, à la fois militante, culturelle et affective serait plus enrichissante et donnerait davantage envie à d'autres de participer à l'action syndicale. Se pourrait-il, par exemple, que le cumul des mandats syndicaux soit aussi dommageable pour la qualité de la vie démocratique de l'organisation syndicale que pour la qualité de la vie personnelle de celle ou de celui qui n'en fournit plus de courir d'une réunion à l'autre? Nous ne pouvons fournir toutes les réponses aujourd'hui. Mais nous devons faire preuve d'ouverture d'esprit pour accepter que de nouvelles sensibilités nous interpellent et questionnent nos certitudes. Comme d'autres organisations humaines, le syndicalisme est appelé à se transformer, à intérioriser les nouvelles valeurs véhiculées par ses propres membres. Mais le syndicalisme continuera toujours d'exiger un investissement personnel important. Militer n'est pas toujours de tout repos et ce serait une vision de l'esprit de faire croire que cela est possible sans un investissement personnel. Toutes les organisations s'appuient sur le militantisme de leurs membres. C'est d'ailleurs là-dessus que se fonde l'ancrage dans l'histoire, que se transmet la mémoire collective, l'expérience du mouvement. C'est en faisant en sorte que les responsabilités soient davantage partagées que se trouve, à notre avis, une partie des réponses aux exigences actuelles. C'est dans la transformation d'un nombre toujours plus grand de militantes et de militants que pourront être mieux distribuées les exigences de la militance. A cet égard, le rôle des salariés, au plan de la formation, est capital. Nos pratiques syndicales aussi sont interrogées par les nouvelles valeurs véhiculées, en particulier par les femmes. Ces dernières ont forcé certains constats: l'organisation de la vie syndicale les exclut encore de plusieurs paliers de décision: horaires des réunions, partage insuffisant des charges familiales, des responsabilités ménagères. Encore trop souvent, nos débats sont marqués au coin d'une violence verbale qui ne laisse pas suffisamment de place à l'expression de points de vue divergents; la qualité de notre vie démocratique doit préfigurer la société que nous voulons construire. Vivre mieux, cela passe aussi par le fait de retrouver le goût de l'action syndicale, de l'action syndicale CSN, et de prendre les moyens pour en assurer l'efficacité. Surtout chez les femmes. On parle de mutations dans les valeurs, on parle d'éclatement: parmi les plus touchés se trouvent le travail et la famille. Sur ces points précis, les femmes ont des revendications pour vivre mieux. La place toujours plus grande des femmes sur le marché du travail (34 % en 1969 -53 % en 1984) constitue certainement l'un des phénomènes sociaux parmi les plus importants de notre époque. Ce phénomène a non seulement bouleversé le monde du travail, mais aussi l'ensemble de l'organisation sociale et surtout la famille. Une femme qui travaille à l'extérieur, qui a une vie personnelle en dehors de son conjoint ou de ses enfants, remet en question la base même de l'oppression spécifique des femmes, à savoir que les femmes seraient d'abord et avant tout des ménagères. Les familles monoparentales ont doublé ces dernières années et on prévoit que d'ici 1990, ces familles seront plus nombreuses que les familles biparentales. Au Québec, on compte 1,8 millions de familles; 280 000 de ces familles ont comme chef une femme. Cependant, le taux de chômage est deux fois plus élevé chez les femmes chefs de famille que chez les hommes. Si les femmes travaillent de plus en plus à l'extérieur du foyer, ce n'est pas uniquement pour permettre à la famille de vivre un peu plus à l'aise, mais c'est davantage parce que la famille traditionnelle indissoluble connaît des modifications extrêmement profondes. Les femmes doivent donc avoir tous les moyens de se réaliser entièrement, comme n'importe quel homme qui travaille, avec ou sans enfants. Dans cette perspective, l'importance de développer des équipements collectifs comme les garderies est primordiale. Les femmes continuent, dans la majorité des cas, d'assumer les tâches ménagères et l'éducation des enfants. Cette situation place les femmes devant une double oppression au travail et à la maison, qui ne relève pas uniquement du système capitaliste, mais implique directement les hommes eux-mêmes. Cette lutte pour le partage des tâches domestiques demeure très difficile car elle remet en question les privilèges de l'homme. La société reconnaît aux femmes une fonction première de s'occuper des enfants et du foyer, sans que cela ne soit socialement reconnu. On utilise encore cette «vocation naturelle» pour leur payer des salaires plus bas et les exclure de la participation à la vie sociale, politique, etc. Cette division entre les hommes et les femmes est certainement la plus profonde, au point qu'elle est trouvée naturelle. Les femmes sortent de plus en plus de la maison, occupent un emploi rémunéré, se regroupent entre elles et à l'extérieur de leurs syndicats pour gagner des droits qui ne leur sont pas reconnus; elles ne veulent plus se conformer au «modèle» qui leur est proposé. S'ils ne prennent pas cette réalité en considération, les hommes ne pourront plus prétendre qu'ils veulent l'égalité des sexes. En 1980, 28 pour cent des Québécoises ne disposaient d'aucun revenu, contre 9 pour cent des Québécois. 68 pour cent d'entre elles avaient un revenu de moins de $ 10 000, comparativement à 37 pour cent des hommes. Nombreuses sont les femmes de 65 ans qui se retrouvent aujourd'hui dans la pauvreté; plusieurs ont travaillé gratuitement toute leur vie au foyer. De nouvelles sensibilités. Pendant que la société se transforme, que les luttes des femmes impriment de nouvelles dimensions, que notre type de syndicalisme est interpellé, on peut constater un changement profond dans les attitudes: l'importance apportée au travail n'est plus la même, la satisfaction tirée du travail va diminuant. Ces changements, quant à la perception du travail et de la famille, font en sorte que la notion d'avenir se trouve complètement bousculée. Si on y ajoute toute l'insécurité provoquée par les grands problèmes qui hantent le monde actuel: le danger nucléaire, les problèmes écologiques, les catastrophes appréhendées, l'avenir n'est plus synonyme de stabilité et de confort pour la majorité, mais peut-être d'inquiétude, d'insécurité, d'appréhension et de stress. Pendant ce temps, de nouvelles sensibilités émergent avec de plus en plus de force: pacifisme et écologie en sont les illustrations les plus marquantes. Ces deux courants traduisent sûrement, au niveau social, une prise de conscience personnelle concernant la santé et l'établissement de rapports davantage humains et égalitaires. Le syndicalisme intègre de plus en plus toute la problématique mise de l'avant et illustrée par de nombreux militants et militantes préoccupés de «l'avenir de la planète», selon l'expression consacrée. Des liens ont commencé à se créer; beaucoup reste à faire, cependant. En septembre 1984, un comité formé de militants CSN, d'universitaires et d'écologistes remettait au Bureau confédéral un rapport étoffé portant sur les questions d'énergie, dans lequel on peut constater comment écologie et syndicalisme peuvent arriver à des positions communes. Nous nous sommes rejoints aussi ailleurs: Québec Vert, Sommet populaire. Syndicalistes et écologistes combattent les mêmes pollueurs. Les jonctions doivent se faire plus nombreuses et prendre en compte l'ensemble des problèmes qui se posent aux uns et aux autres. Le développement de la conscience vis-à-vis ce qui touche l'emploi et la reconversion industrielle illustre bien de quelle manière peuvent se créer et s'affirmer des liens solidaires entre divers groupes de travailleurs et de travailleuses, de même qu'avec divers regroupements sociaux. Les effets du système capitaliste sont visibles à tous les niveaux: forêts dévastées, cours d'eau pollués, poumons bouchés, ouvriers estropiés. La course aux armements, toujours plus meurtriers, se poursuit avec une inquiétante fureur. Des désastres écologiques surviennent un peu partout. Nul pays n'est à l'abri de catastrophes du genre de celle arrivée récemment en Inde. Le milieu de travail demeure un lieu privilégié pour mener la lutte en vue d'atteindre des conditions permettant de vivre mieux. Toutes nos mobilisations sur les questions de santé et de sécurité au travail, de même que toutes nos revendications face aux lois et règlements touchant ce secteur sont témoins de notre souci constant de prendre en compte ces problèmes qui agressent notre santé. La santé-sécurité au travail, c'est, d'une certaine façon, l'écologie de l'entreprise. Loisirs et santé. En cette période de crise économique, où le chômage et les revenus insuffisants privent la moitié de la population de vacances, limitent l'accès aux loisirs, le mouvement syndical ne peut rester muet. Au même titre que la santé, l'éducation et l'ensemble des programmes sociaux, le développement des ressources collectives et des programmes de loisirs constituent un gain appréciable des vingt dernières années. Il ne peut être abandonné, ou encore réservé à une minorité, comme c'est la tendance actuelle. Pour la CSN, les temps libres de qualité passent par le maintien et l'élargissement des services publics de loisirs et de vacances, de même que par une plus grande emprise des travailleurs et des travailleuses sur ce temps libéré. Tout cela demeure en lien avec nos revendications sur la santé-sécurité au travail, sur la réduction du temps de travail: en effet, dans nos revendications, nous insistons pour que ces préoccupations soient présentes au moment de l'introduction de programmes d'activités physiques sur les lieux de travail. Tout compte. Dans cette vaste entreprise de changement de société à laquelle nous sommes conviés, tout compte. Le moindre gain négocié dans une convention collective, le moindre réaménagement du temps de travail déterminé par ceux et celles qui l'exercent, le moindre changement aux conditions de travail, allant dans le sens d'une meilleure protection de la santé des hommes et des femmes, de l'environnement: tout cela contribue à ce qu'on vive mieux! Le mieux-vivre, c'est une richesse qui occupe une place toujours plus importante dans la société, chez nos membres. Une richesse qui se traduit de multiples façons. Cela fait partie de nos responsabilités syndicales d'être à l'écoute pour saisir toute l'ampleur de ces nouvelles aspirations, afin d'être en mesure de les traduire concrètement au moment de nos négociations. Construire nos solidarités. La CSN a toujours été active au sein de la société québécoise. Les grands débats, les grandes causes, les grands affrontements qui ont fait avancer le Québec doivent continuer de marquer le quotidien de notre centrale. Nous avons l'exigence de porter, avec d'autres, les aspirations populaires. Cette responsabilité signifie encore plus concrètement, aujourd'hui, faire toute la place possible aux revendications des jeunes et des femmes. Ce qui implique l'audace d'avancer et de soutenir des propositions qui répondent aux interpellations qui nous sont faites. C'est aussi en leur faveur que nous devons faire peser le poids de notre organisation. D'ailleurs, l'ouverture sur les autres, le partage de leurs préoccupations, de leurs inquiétudes, constituent un rempart contre la tentation du repli sur l'appareil, la tentation de voir le monde à travers les seuls prismes de notre propre condition. Cette dimension a un sens historique: l'action syndicale dépasse les intérêts immédiats de ses membres et rejoint les grands débats sociaux en faveur de l'égalité, de la justice, du partage, de la démocratie. C'est dans cette perspective, qui en est une de solidarité, qu'il faut situer nos revendications, nos luttes, notre engagement tenace en faveur de l'accès à la syndicalisation pour les masses les plus larges possibles. Il s'agit, encore là, de l'élargissement d'un espace de libertés et nous devons mettre tous les efforts pour l'assurer. Mais cette solidarité nécessaire, qu'il nous faut construire quotidiennement, nous éprouvons toujours des difficultés à la cimenter durablement. Le phénomène n'est pas nouveau, mais il faut en saisir la dimension de manière à pouvoir agir sur les causes de ces difficultés. Les solidarités sont à bâtir concrètement, dans la clarté, dans le respect de la nature des autres groupes, des autres organisations, des autres peuples, sur des objectifs précis et sur la base de ce que nous sommes. Avec la population, les jeunes, les femmes, les groupes populaires, les organisations syndicales, les peuples du monde... Nous devons admettre que pour de multiples raisons, notre rapport de forces au sein de la société s'est affaibli au cours des dernières années, alors même que nous sentons l'urgence accrue du redéploiement d'une action syndicale soudée aux couches populaires. Le mouvement syndical est souvent perçu comme une grosse institution, riche et équipée, qui va chercher à la dernière minute l'appui de la population, une fois que sont précisées les revendications de ses membres. Les thèses, par exemple, nous attribuant le qualificatif de «corporatiste» sont-elles le seul fait de l'habileté de la propagande patronale et gouvernementale ou bien n'avons-nous pas l'obligation d'articuler plus soigneusement nos revendications, pour qu'elles soient davantage partagées par nos alliés sociaux? Lorsqu'ils élaborent une stratégie, dont ils sont les seuls maîtres, les syndiqués ne tiennent pas toujours suffisamment compte de l'impact de leurs actions sur l'opinion publique. Ce qui a pour conséquence de nous priver du soutien d'alliés potentiels qui, mal informés, se retrouvent attirés, chez les jeunes notamment, par des idées avancées par la droite et qui marquent des reculs sociaux. Nous pouvons constater qu'un des principaux effets de la crise économique a été de développer chez les jeunes une méfiance envers le syndicalisme, vu au même titre que n'importe quelle autre institution. Encore plus, on en arrive parfois à constater que le pouvoir politique et économique reprend et interprète à son compte la défense et le concept des «démunis», comme il l'avait fait il y a quelques années avec le concept de «solidarité». Au sein de notre centrale, il y a peu de jeunes de moins de 24 ans parce que les jeunes qui travaillent se retrouvent en bonne partie dans des secteurs peu syndiqués: la PME, le commerce, la restauration, la finance. Il est nécessaire d'accentuer nos efforts de syndicalisation dans ces secteurs. Là où ils sont syndiqués, les jeunes vivent très souvent des situations de travail particulières: temps partiel, temporaires, sur la liste de rappel, occasionnels, etc. Il apparaît donc essentiel, par le biais des négociations de conventions collectives, qu'ils puissent obtenir et conserver l'ensemble des droits dont disposent les travailleuses et les travailleurs à temps plein. Il importe également que les constitutions syndicales lèvent tous les obstacles susceptibles de nuire à leur intégration à la vie syndicale. Dans notre réseau d'éducation, les jeunes n'entendent pratiquement pas parler des syndicats, sinon par les journaux et à la télévision, dans les termes que l'on sait. Comment s'étonner que dans ces conditions, le mouvement syndical apparaisse comme une «grosse machine» étrangère et souvent réfractaire à leurs préoccupations? Il est vital pour nous d'amener au sein du réseau scolaire le débat syndical. C'est pourquoi avec les syndicats en milieu scolaire, nous devons voir comment on peut renforcer l'information sur le syndicalisme et sur le mouvement syndical auprès des étudiants. On devrait voir également comment on peut, avec les conseils centraux, développer cette action. Le domaine de l'éducation des adultes devrait être compris dans cet effort, soit sur leurs propres bases, soit en demandant d'introduire ces matières aux programmes réguliers de cours. Il existe un grand nombre de groupes de jeunes. Ils nous sont totalement étrangers, ou presque. Il est urgent de nous y intéresser, tant au niveau local et régional que national. Combien de syndicats s'intéressent-ils aux «Maisons de jeunes» qui ont poussé un peu partout dans la province? Combien sont attentifs aux efforts réalisés par de nombreux groupes de jeunes en vue de mettre en place des coopératives de travail ou des centres adaptés de recherche de travail? Nous ne pouvons assister, sans réagir, à une forme de récupération qui a de plus en plus cours et où on voit les plus désavantagés se retrouver défendus théoriquement par le pouvoir politique et par le patronat, dont une partie de l'offensive idéologique consiste à pointer du doigt, comme responsables de la misère des autres, les travailleurs et les travailleuses organisés. Certains, regroupés dans le RAJ ou l'ANEQ, résistent à cette offensive; mais il ne semble pas que ce soit le cas pour la majorité. Définition des objectifs communs. Cela ne signifie pas, cependant, que les situations objectives et les intérêts de tout le monde sont exactement au même niveau et du même ordre. Nous devons reconnaître les différences et les prendre en compte: entre le secteur privé et le secteur public, entre les hommes et les femmes, entre les bas salariés et les hauts salariés. Nous savons qu'un véritable consensus ne peut s'établir que sur la base de la reconnaissance des différences. Sinon, un groupe majoritaire risque d'imposer aux autres ses propres intérêts spécifiques, au nom d'un présumé intérêt général. La crise économique tend à créer une brisure au sein de la classe ouvrière. On retrouve, d'un côté, des travailleurs et des travailleuses des grandes entreprises privées et publiques, relativement protégés par la syndicalisation. Ce qui est un acquis positif et le résultat de luttes souvent difficiles. Mais de l'autre côté, on trouve une masse grandissante de travailleurs et de travailleuses condamnés à la précarité, à l'incertitude: chômeurs, handicapés, assistés sociaux, temps partiels, travailleurs et travailleuses clandestins. Les femmes, par ailleurs, sont souvent majoritaires dans ces catégories défavorisées. Un choix s'impose à notre avis. Nous devons définir, en collaboration avec les groupes représentatifs de ceux et celles qui se retrouvent dans des situations précaires, des objectifs communs qui pourraient nous réunifier sur le front des luttes. Dans le respect des intérêts propres et clairement définis de tous et chacun. La CSN, en effet, doit reconnaître que les syndiqués et les usagers n'ont pas nécessairement des intérêts identiques et qu'en conséquence, ce qui est en cause n'est pas la seule défense des conditions de travail de nos membres, même si c'est là une de nos missions fondamentales. Prenons par exemple la qualité des services. Les syndiqués sont portés à voir cette qualité par le biais de leurs propres conditions de travail. Les usagers, de leur côté, évaluent plutôt la qualité des services à la lumière de leurs propres besoins. C'est donc dans la mesure où on reconnaît leurs différences que les intérêts des usagers et des syndiqués peuvent se concilier. La définition de nos politiques d'éducation et de santé exige en conséquence de l'être en collaboration avec les groupes d'usagers concernés. Le travailleur ou la travailleuse préposée aux urgences, qui doit subir les engueulades des patients en attente de services parce que les lieux sont engorgés, partage le même problème et aurait intérêt à mettre en commun ses revendications. Une assurance retrouvée. Face au nombre effarant de sans-travail, face aux jeunes, aux femmes pour qui l'emploi, et en conséquence la syndicalisation demeurent trop souvent inaccessibles, il nous faut exercer un pouvoir d'attraction, être capables d'expliquer nos revendications, nos luttes. Pouvoir retisser, avec les groupes populaires, les liens qui nous ont déjà permis d'assurer des gains sociaux importants. D'où nous vient alors cette difficulté à maintenir notre discours syndical avec assurance et cohérence là où se déroule la guerre Nous nous interrogeons sur nos capacités à confronter les idées patronales. Nous nous sentons isolés. Nous arrivons difficilement à expliquer à la population les enjeux des luttes que nous menons souvent en son nom. Notre premier terrain de lutte idéologique, c'est notre milieu de travail; notre crédibilité, ce sont, entre autres, nos gains. Nos messages sont fondés sur les témoignages reçus des travailleuses et des travailleurs, à partir des situations et des conflits qu'ils vivent. Misons-nous assez sur nos victoires, sur les résultats de nos revendications, de leur cheminement progressif dans l'opinion publique, lors des négociations de nos conventions collectives? Pour briser ces multiples isolements ressentis chez les membres, chez les militants, dans la population en général depuis les années de crise, il devient nécessaire de retrouver notre assurance, de réaffirmer nos liens sociaux, de refaire nos réseaux de solidarité, qu'une droite opportuniste récupère par le biais des difficultés économiques croissantes, et ce en notre défaveur. Il ne faut pas craindre de le crier bien haut: travailler n'est pas une maladie honteuse et être syndiqués doit être une source de fierté. Ces réseaux, constitués depuis toujours à partir de nos revendications communes, de nos identités communes, de nos espoirs communs d'une société démocratique, sont nos bases idéologiques. Les mouvements féministes, les mouvements pacifistes s inscrivent aujourd'hui dans cette tradition développée auparavant par les militantes et les militants ouvriers. La démocratie ouvrière a permis de résister aux superstructures de pouvoir incarnées dans notre société industrielle par les monopoles financiers et les multinationales. L'idée de cette démocratie est aujourd'hui habilement récupérée par les forces de droite et le pouvoir patronal. Ainsi, aux concepts de travail en équipe, ils opposent les cercles de qualité et de vie au travail. Ils adoptent des processus décisionnels faisant appel à de faux consensus sur la responsabilité collective, cette fois dans la seule perspective de la productivité et de l'intérêt économique de l'entreprise. Le syndicat, il va sans dire, en est totalement exclu, alors que ce sont justement ces mécanismes qu'il devrait pouvoir négocier. Comment contre-attaquer sinon en refaisant nos liens avec nos alliés syndicaux et populaires et en replaçant dans sa véritable perspective le sens de cette démocratie que nous défendons, de cette démocratie basée sur notre solidarité naturelle. Nos revendications sociales, mises en lumière, éclairées par les négociations du secteur public ou certaines revendications nationales développées par le secteur privé dans le papier et la forêt (le reboisement), ou dans la construction (le logement), ou dans les communications (le droit du public à l'information), ou encore la métallurgie (la construction navale), ne doivent pas être le fruit de la réflexion des seuls syndiqués, à partir de leurs seules expériences de milieu de travail. Cela ne peut se faire sans la contribution de nos alliés naturels. L'idée de coalitions populaires (Québec vert, La Grande marche, universalité des programmes sociaux) implique le respect des partenaires et la volonté d'élaborer des revendications sociales soutenues par l'ensemble. La montée de l'idéologie de droite, illustrée par le rétrécissement du rôle de l'État et le retour à l'entreprise privée de larges pans de nos réseaux de santé et d'éducation, démontre l'urgence d'une action commune pour la défense de nos acquis sociaux. Nous ne serons jamais trop nombreux pour résister à ces assauts contre l'universalité des programmes, par exemple. Ou encore contre les droits des accidentés ou malades du travail. Des coalitions larges, sur des bases claires et concrètes, doivent être organisées avec les organisations syndicales, les groupes de femmes, les groupes populaires. Nous ne serons jamais trop nombreuses, trop nombreux pour mener à terme ces combats. Au niveau international, nous nous retrouvons avec un ordre économique et social fondé sur l'injustice, les inégalités et le non-respect des droits. Cela nous concerne tous et toutes. Malgré plusieurs années de croissance accélérée, la majorité des peuples se retrouve dans la pauvreté et la misère. Nous ne pouvons ignorer la dépendance qui persiste, et qui même s'accroît, pour de multiples nations et groupes sociaux. Les libertés civiles et démocratiques violées dans un grand nombre de pays ne doivent pas nous laisser indifférents. Notre action syndicale doit pouvoir continuer de prendre en compte ces situations et trouver des moyens concrets d'exercer une solidarité agissante. Nous ne sommes pas seuls. Dès la première ligne, écrite, parlée ou piquetée devant l'usine, nous devons continuer à crier que nous ne sommes pas seuls à parler le même langage, à partager les mêmes vérités, à vivre de la même manière, à dire et à décider entre nous autres, sans contrainte. Dans l'optique d'une meilleure unification de la CSN avec les autres groupes de travailleurs et d'usagers, les Conseils centraux devraient mettre davantage l'accent sur leur rôle socio-politique, qui n'a pas été suffisamment assumé ces dernières années, à notre avis. Une part essentielle de la dimension politique de notre action syndicale passe par ce chemin. Établir des ponts quand il n'en existe pas, les consolider là où c'est nécessaire, cela fait partie des exigences du mouvement syndical pour le temps présent. D'autant plus que les temps de transformation profonde sont aussi des temps propices à la confusion, comme on peut le constater avec le certain succès obtenu par les idéologies de droite... Le droit à l'avenir. Nos options fondamentales sont du coté du socialisme et de la démocratie. Quels que soient les noms qu'on ait pu donner à ces valeurs depuis au-delà de cent ans, elles ont toujours constitué les deux piliers sur lesquels se sont appuyées les luttes ouvrières. Des millions de personnes ont nourri leurs luttes à ces valeurs, ont poursuivi d'incessants combats pour qu'elles triomphent, à différentes époques et dans les lieux les plus diversifiés. Encore aujourd'hui, ces deux piliers doivent servir de soutien à notre projet de transformation de la société, à tous les niveaux. Y compris entre les pays, entre les peuples, pour que l'usage, la répartition et le développement des ressources soient toujours davantage équilibrés. Nous avons déjà fait des efforts en vue de clarifier nos points de vues: le congrès de 1978, en particulier, nous a servi à déterminer le contenu que nous mettions au socialisme autogestionnaire dont nous nous entêtons à jeter les bases. De ce socialisme, nous disions qu'il «devait élargir le champ de la liberté». Il n'est peut-être pas inutile au moment où nous tenons un congrès d'orientation sept ans plus tard, de nous rappeler collectivement ce qui nous avait réunis. «C'est au nom même du socialisme, au nom de tous les espoirs qu'il suscite chez des milliers de travailleurs que nous devons nous démarquer clairement et faire les critiques qui s'imposent de toutes les formes de déviations totalitaires et répressives qui caractérisent trop souvent le «monde socialiste». Notre conception du socialisme est tout le contraire de l'oppression et de la négation des droits de la personne. Le socialisme doit élargir le champ de la liberté et non le restreindre. Ce que nous voulons, c'est la liberté pour les travailleurs, de diriger les politiques de leur quartier, de leur ville, de leur pays: la liberté de gérer leurs usines, leurs écoles, leurs hôpitaux; la liberté d'habiter tous les contours de leur propre culture. Cela, nous le voulons en garantissant le pluralisme des opinions, des idées, des idéologies. Travailler aujourd'hui à la construction du socialisme, c'est d'abord reconnaître la nécessité pour les travailleurs et pour le peuple tout entier d'assurer leur maîtrise sur l'ensemble des institutions politiques, la vie économique, la culture. C'est favoriser l'émergence d'une démocratie nouvelle où les hommes et les femmes devront assumer collectivement la production de l'ensemble des biens et services en fonction de leurs besoins, de la qualité de leur vie individuelle et collective. Travailler à la construction du socialisme c'est enfin favoriser pour la classe ouvrière, pour l'ensemble des masses populaires, la réappropriation de leur culture, de leur travail, de leur cadre de vie.» Rappeler ces choix historiques de notre mouvement comporte deux aspects: cela nous fait prendre la mesure de ce qu'il reste à faire. Mais, surtout, cela nous rassure sur la valeur de ces choix, puisqu'encore aujourd'hui, ils se retrouvent au premier plan de l'actualité, avec une urgence encore plus marquée pour qu'ils soient menés à terme. Quand nous avons indiqué la priorité pour une action syndicale sur les lieux de travail, afin que tous les travailleurs et travailleuses soient davantage organisés par rapport à tous les problèmes qui s'y posent, il s'agissait là d'un choix conscient. Le faire, c'est résister à d'autres choix comme, par exemple, celui d'agir d'abord dans la sphère politique et dans les domaines du hors-travail. Nous ressouder avec cette conviction que tout commence sur les lieux de travail et que c'est d'abord à cet endroit qu'il nous faut prendre notre pouvoir, c'est prendre le pari qu'il est possible, sur nos propres bases et dans les lieux qui nous sont les plus familiers, d'agrandir, d'élargir le pouvoir des classes populaires. Il y a là des défis d'une dimension qu'on arrive à peine à imaginer. Mais c'est notre conviction que le syndicalisme ne peut se figer sur la défense de l'acquis. Il nous faut, toutes et tous ensemble, retrouver le sens du mouvement: accepter les remises en question, accepter de renouveler nos langages, interroger nos certitudes pour mieux les transmettre à ceux et celles qui n'ont pas toujours tout connu des luttes ouvrières, pour que notre langage soit ajusté aux sensibilités de notre temps. Pour soutenir cette démarche en vue d'un socialisme autogestionnaire qui serait à l'abri de certaines sirènes de l'anti-étatisme ou encore du corporatisme, il faut des organisations syndicales solides, équipées, adaptées, souples et démocratiques: le social, le politique ont une épaisseur que les schémas traditionnels politiques n'ont pas toujours su traduire correctement. Le défi qui nous est posé aujourd'hui, c'est de savoir comment nous pouvons travailler concrètement à la transformation de notre société. Notre expérience syndicale nous enseigne que ce n'est qu'au moment où nous pouvons traduire dans «l'ici et maintenant» nos grandes orientations que nous pouvons en assurer la pérennité. Encore aujourd'hui, nous sommes porteurs de ce droit à l'avenir que les travailleurs et les travailleuses des générations qui nous ont précédés ont su porter dans les moments les plus difficiles. Notre responsabilité consiste, aujourd'hui, à traduire toutes ces aspirations dans nos conventions collectives, dans nos rapports sociaux, dans nos vies, à tous les jours, avec patience, convaincus que ce sont là les chemins de l'avenir.