*{ Discours néo-libéral CSN, 1986 } Gagner du terrain. En 1985, nous avons réaffirmé notre volonté de ne pas faire chemin seul. Nous avons décidé ensemble de le faire «avec le monde», le monde ordinaire envers lequel nous avons pris un engagement sans équivoque de porter les espoirs et de défendre les droits au travail, les droits de décider collectivement de l'avenir, les droits à l'égalité pour les femmes, pour les jeunes, les droits à l'amélioration de la qualité de vie. Cet engagement n'est pas nouveau. C'est le préalable à notre droit d'association, à notre droit de grève. C'est notre seul rapport de forces. Lors de ce septième congrès spécial de la CSN, nous avons voulu renforcer cette solidarité. Notre congrès de 1986 revêt donc une importance majeure puisque, à peine un an plus tard, nous sommes réunis à nouveau pour, cette fois, nous interroger, nous questionner sur la portée des orientations que nous nous sommes résolus à inscrire à notre quotidien syndical. Le cinquante-troisième Congrès. Un congrès de la CSN, c'est une assemblée générale de la même nature que toute assemblée générale de syndicat. Ce qu'on y vote s'inscrit dans les orientations que nous nous sommes données, de la manière dont nos statuts et règlements le commandent. Ce qu'on y vote exige que nous soyons prêts, une fois l'assemblée ajournée, à traduire en action les décisions que nous prenons ensemble. Il y a trente ans, la révolution de l'automation industrielle suscitait autant d'interrogations que les derniers changements technologiques, aujourd'hui. Dans son rapport au congrès de 1956, le président Gérard Picard se demandait s'il s'agissait «de la fin de l'asservissement ou le commencement d'un nouvel esclavage». Encore aujourd'hui, il y a des mutations profondes dans notre société, dans nos milieux de travail. Nos derniers congrès ont témoigné, à leur manière, des effets de la «modernisation». Et que dire de nos débats sur l'action politique, qui sont revenus, bon an mal an, chaque fois que la conjoncture politique remettait en cause l'action syndicale de notre mouvement? Que ce soit sous Duplessis, que ce soit durant les années du régime libéral de Lesage ou de Bourassa 1, que ce soit au travers de la montée des forces nationalistes ou dans la foulée tumultueuse des groupes politiques, que ce soit avant le référendum de 1980, que ce soit après, à l'encontre de l'autoritarisme du gouvernement Lévesque, nous ne nous sommes jamais défilés de notre responsabilité de débattre et de dire ce qu'il nous fallait le mieux faire pour changer les choses. Que ce soit au congrès de 1960, de 1970 ou de 1985, nous nous sommes toujours souvenus des orientations fondamentales de la CSN. Il y a plusieurs années, la «continentalisation», prônée par certains super-pouvoirs capitalistes nord-américains, faisait également l'objet de nos réflexions. En 1955, notre président mentionnait déjà que «le Canada n'a jamais été, à toutes fins pratiques, que le quarante-neuvième état américain...» Aujourd'hui, nous ne disons pas autrement. Nous risquons d'assister cependant au dernier acte de ce malheureux scénario: la capitulation. Nos gouvernements Mulroney et Bourassa II, ces colporteurs de l'idéologie libre-échangiste, ont tous les attributs de polichinelles au pouvoir. Une chose est sûre: nous ne pourrons pas dire que nous ne les avons pas vus venir. Nous savons, mieux que tout autre, de quoi ils sont capables. Notre histoire, inscrite dans les débats fondamentaux de ceux et celles qui nous ont précédés, témoigne et montre les chemins à prendre, les actions à mener. L'automation, l'action politique, le libre-échange, ces trois exemples sont significatifs du sens que doit revêtir un congrès de la CSN. La vérité de notre combat et notre détermination traversent le temps, confondent les résistances, et trouvent, par la démocratie, des solutions communes à nos problèmes. Si nous faisions le bilan de tous nos congrès antérieurs, nous serions à même de constater que jamais un débat, ici, n'est clos tant et aussi longtemps que des solutions ne sont pas trouvées, que jamais les problèmes quotidiens de notre vie syndicale ne font en sorte de nous écarter de nos orientations profondes pour satisfaire quelqu'impatience passagère, pour justifier quelque tiédeur momentanée de nos convictions. Prendre conscience de cette réalité qui est vécue, chaque jour, par la travailleuse ou le travailleur, chercher les solutions à nos problèmes, en débattre avec franchise, renforcer nos valeurs doivent aujourd'hui occuper nos esprits, comme ils ont occupé l'esprit de celles et de ceux qui ont préparé les résolutions de ce cinquante-troisième congrès régulier de la CSN. Les signes ne sont pas trompeurs. Imaginons quelques instants, entre nous, une société d'ici où il n'y aurait pas de syndicat. Pour obtenir des salaires ou de meilleures conditions de travail, les travailleuses et les travailleurs se fieraient à la bonne foi de leurs employeurs. La richesse collective serait répartie selon les volontés des conseils d'administration des entreprises. La santé, la gestion de nos loisirs, voire l'éducation, seraient offertes en sous-traitance à l'entreprise privée. La loi du marché régirait nos rapports sociaux. Imaginons, entre nous, un État d'ici «runné comme une business» pour n'employer que le terme exact utilisé par un ministre du gouvernement Bourassa. Une sorte d'Affaire-État qui, comme toutes les affaires modernes, pige à pleines mains, pour survivre, dans vos goussets et les miens après avoir suffisamment coupé les budgets, congédié de personnel et prélevé des taxes régressives afin de se «rentabiliser». A vrai dire, nous n'avons pas à imaginer cet inimaginable. Les signes sont là et ne sont pas trompeurs. Depuis quelques années, le peuple québécois, ses travailleuses et travailleurs, sont agressés, jour après jour, par les intérêts dominants qui veulent récupérer le terrain qu'ils ont perdu à la faveur des luttes populaires. Ce n'est pas faire effort d'imagination que de réaliser que cette société, dont nous ne voudrions pas pour tout l'or du monde, nous est offerte comme un remède à tous nos maux. De la privatisation des services municipaux à la transformation de l'assurance-chômage en caisse d'assurance, les exemples ne manquent pas. Ce n'est pas faire effort d'imagination que d'observer les patrons québécois véhiculer de telles idées sans aucune pudeur. Le démarrage accéléré que notre peuple a connu depuis 25 ans est aujourd'hui freiné par les mêmes forces qui l'ont tenu dans l'ignorance, dans la pauvreté et dans la peur pendant cette période antérieure que l'Histoire a retenue comme étant celle de la «grande noirceur» et que malheureusement les grévistes de l'Amiante de 1949 sont moins nombreux aujourd'hui à nous rappeler. Notre système scolaire, nos protections sociales de santé, sont trop précieux pour devenir aujourd'hui des jouets entre les mains d'administrateurs rétrogrades ou d'une minorité revancharde anxieuse de reconquérir ses pouvoirs de gérance. La récession économique que nous avons dû subir ces dernières années avait un objectif précis: celui de s'attaquer à nos droits fondamentaux et faire en sorte que nous soyons contraints de revendiquer les premières nécessités. En remettant en question le droit de grève par le biais d'une législation répressive, le patron gouvernemental épaule le patron du secteur privé. En politique, l'échec référendaire de 1980 a marqué une cassure brutale de notre question nationale et de notre volonté d'autodétermination. Des doutes se sont installés dans nos esprits quant à notre avenir, celui de notre jeunesse, celui de notre culture, celui de notre langue. La confusion a pris la place de nos certitudes. Tout ce que nous nous sommes donné a été, et est encore, systématiquement remis en question. Des commissions d'enquête sont mises sur pied, par les gouvernements d'Ottawa et de Québec, pour ouvrir la porte toute grande à la privatisation ou à la réduction de larges pans de nos outils collectifs. A travers les diverses commissions d'enquête, qu'elles se nomment Forget ou Macdonald, au fédéral, à travers les cercles privés d'aviseurs, mis sur pied à Québec dans l'entourage du premier ministre, les gouvernements espèrent voir remettre nos systèmes sociaux en question et fournissent à l'entreprise privée des sources abondantes de profits. Pour l'ensemble des travailleuses et travailleurs de notre société, le mouvement syndical n'est pas synonyme de défaite ou de résignation: il est au contraire synonyme de luttes, de gains et de victoires contre l'asservissement, contre les pouvoirs arbitraires autant des patrons que des gouvernements. Les agressions dont sont victimes les syndiqués peuvent toujours alimenter momentanément les colonnes de préjugés véhiculés dans les médias, mais l'Histoire ne pourra jamais nier que les acquis syndicaux deviennent autant d'acquis populaires. Il nous faut être capables aujourd'hui de faire le point sur notre contribution au développement de notre société, comme il faut être capable de dire également où en sont les efforts syndicaux dans la conquête des droits collectifs. Il faut dire aussi où nous en sommes dans nos efforts quotidiens pour faire reculer l'arbitraire patronal dans nos lieux de travail. Il s'agit là d'un tout indissociable. Notre mouvement a toujours su faire face aux réalités économiques nouvelles, aux attaques sournoises contre nos idées, à l'injustice sociale, aux dominations politiques; nous devons aujourd'hui dire si nous sommes prêts cette fois encore à reprendre l'offensive au coeur même de notre réalité syndicale. Ce congrès-ci doit pouvoir juger de l'efficacité de notre combat. Les décisions prises maintenant auront des influences considérables sur notre avenir. Faisons le point. En 1985, nous affirmions que l'emploi demeurait la préoccupation fondamentale du peuple, de ses travailleuses et de ses travailleurs, de ses chômeuses et de ses chômeurs. Nous disions que les gouvernements devaient s'attaquer en priorité à ce problème au lieu de lutter aveuglément contre un déficit qui ne devait avoir comme conséquence qu'une remontée accrue du chômage. Où en sommes-nous ? Les deux paliers de gouvernements, québécois comme canadien, sabrent aujourd'hui dans les dépenses publiques, dans les programmes sociaux, privatisent les sociétés d'État et réduisent leur fonction publique. Ils s'attaquent au déficit et ne tiennent aucunement compte des avertissements du mouvement syndical. Le chômage persiste. Cet hiver, le Québec connaissait sa pire performance depuis septembre 1981. Entre janvier et février, il perdait quelque 44 000 emplois, alors que l'Ontario en gagnait 30 000. La reprise a été plus que modeste. En 1985, on dénombrait 13,5 % plus de chômeurs qu'en 1981. Et, sur les 105 000 emplois créés depuis, 100 000 sont des emplois à temps partiel ! Le Québec a récupéré en nombre mais non en qualité les emplois perdus durant la crise. Des emplois à temps plein ont été remplacés par des emplois à temps partiel et des emplois bien rémunérés du secteur primaire et des industries de la fabrication ont été remplacés par des emplois moins lucratifs dans le commerce et le secteur des services. Le Québec se désindustrialise. Nos secteurs traditionnels comme le cuir, le textile et le vêtement, ont subi en moins de dix ans des pertes de plus de 24 000 postes d'emploi. Le Québec a perdu une partie de sa pétrochimie au profit de l'Ontario et de l'Ouest. Ce déclin s'est fait sentir dans plusieurs autres secteurs, les mines d'amiante, de cuivre et de fer, les transports, les communications et les utilités publiques. Ces secteurs ont terminé l'année 1985 avec un niveau d'emploi inférieur à celui atteint à l'été de 1981. En somme, le Québec se désindustrialise progressivement et ne trouve, pour compenser les pertes d'emploi ainsi occasionnées, que des emplois à caractère précaire dans le seul secteur tertiaire. Les inégalités s'accentuent. Depuis 1976, le nombre d'assistés sociaux a triplé. Pourtant plus de 70 % des ménages bénéficiaires comptent au moins une personne apte au travail. Des chiffres de l'Organisation de lutte contre la pauvreté démontrent que près de 4 millions de Canadiennes et de Canadiens vivent dans un état de pauvreté. C'est chez les jeunes que l'on retrace l'augmentation la plus dramatique. C'est au Québec que la pauvreté atteint son niveau le plus élevé chez les personnes seules. Durant cette même période, pendant que les gouvernements nous font croire que le pays court à la faillite, le nombre de riches, ceux qui gagnent plus de 100 000 $ par année, s'est multiplié par quatorze en moins de dix ans, leur nombre passant de 5000 à 75000. Des taxes régressives. Pourtant, c'est nous que les gouvernements ont choisis de taxer davantage pour combler leurs déficits budgétaires. Le dernier budget Wilson proposait une hausse des taux de la taxe de vente fédérale, une hausse de taux sur les matériaux de construction et une sur les «péchés», tabac, vin, bière, spiritueux, qui vont totaliser des recettes annuelles, si l'on tient compte des deux hausses précédentes proposées dans ses derniers budgets, de plus de 3 $ milliards. Le gouvernement québécois, pour sa part, a choisi de taxer pour la première fois l'huile à chauffage et le gaz naturel utilisés à des fins domestiques. Au chapitre des impôts, c'est nous, les particuliers, qui procurons à l'État la majeure partie de ses ressources financières. Au Québec, cela représente 13,2 $ milliards, soit plus de 55 % du revenu. Les entreprises, elles, contribuent de moins en moins. Pour l'année 1984-85, leurs impôts ont totalisé 1,1 $ milliard, à peine 4,5 % des recettes globales du Québec. Et cela même si un rapport d'un comité spécial du gouvernement fédéral, le rapport Nielsen rendu public le 11 mars dernier, affirmait qu'«en ce qui concerne les déductions fiscales aux entreprises, elles totalisent 36 $ milliards, soit la taille actuelle du déficit fédéral annuel». Il y a moins de six semaines, le même gouvernement, après avoir versé 1,3 $ milliard pour sauver deux banques de l'Ouest en faillite, s'apprêtait à injecter 2$ autres milliards pour soutenir les compagnies pétrolières devenues nerveuses à la suite de la baisse du cours mondial du pétrole. C'est de notre argent qu'il s'agit. Dans un pays où les gouvernements en place planifient en catimini des opérations visant à réduire les programmes sociaux, à couper dans des services essentiels comme l'assurance-chômage, à désindexer les allocations familiales, ou à instaurer des tickets modérateurs, une telle audace est immorale et inquiétante. Puisque nous payons tant d'impôts, tant de taxes, nous nous attendons à ce qu'ils nous procurent ce dont nous avons besoin pour vivre. Nous ne nous attendons pas à ce que notre argent fasse un aller direct dans les poches des banquiers de la rue Saint-Jacques ou de Bay Street. Cet argent, nous en avons besoin et l'État doit nous assurer qu'il sert à développer des outils collectifs, à procurer à l'ensemble de la population les services dont elle a donné mandat à ses députés de les gérer en son nom. Nous avons besoin de cet argent pour garantir à nos enfants l'éducation de qualité qu'ils sont en droit d'attendre comme citoyennes et citoyens de ce pays. Nous en avons besoin pour procurer à nos personnes âgées une retraite digne et respectueuse des efforts qu'ils ont mis à construire ce pays. Nous en avons besoin pour améliorer la qualité de notre vie, de notre environnement, pour profiter des recherches scientifiques, dont les résultats doivent permettre de faire progresser l'ensemble de la société. Nous en avons besoin parce que nous rêvons collectivement d'une société où les droits de toutes et tous à une vie saine, à un travail stable, à une bonne santé, à une culture épanouie, à des loisirs suffisants seront respectés. Alors que la société québécoise, dans les domaines de la santé et de l'éducation, ne fait que rattraper, depuis 25 ans, le retard pris face au Canada anglais, le gouvernement veut nous faire croire que nous sommes en avance dans les secteurs de la santé et de l'éducation et que le temps est venu de sabrer dans les programmes sociaux. A cet égard, la négociation actuelle du secteur public est révélatrice des comportements gouvernementaux. Comme le gouvernement péquiste, le gouvernement libéral actuel assujettit cette négociation à une vision purement comptable de coûts-bénéfices, dont est absente toute analyse la moindrement sociale. Dénaturant le rôle indispensable des travailleurs de l'État, le gouvernement les assimile à une colonne de chiffres, à une masse salariale à comprimer. Ses offres récentes cachent le fait qu'elles remettent en cause autant les acquis des travailleuses et travailleurs que les responsabilités de l'État en matière de services sociaux, de santé et d'éducation au Québec. La négociation est devenue purement technique: c'est la loi de l'offre et de la demande à l'intérieur des paramètres déjà fixés par l'État-Employeur: pas question de négocier en tenant compte des effets que cette négociation pourra avoir sur la qualité de vie et des services. Il est de plus en plus visible, aujourd'hui, que les gouvernements ratatinent les mandats qui leur ont été confiés par la majorité. Ils croient, une fois la victoire électorale acquise, que tous les pouvoirs leur ont été conférés pour gérer l'État à la manière d'une entreprise privée. Nous n'avons pas besoin d'un tel État. Nous avons besoin d'un État qui assure une juste répartition des richesses exploitées par nos forces ouvrières. Nos impôts, nos taxes sont, à ce titre notre rapport de forces pour maintenir nos droits acquis collectivement et pour exiger que les gouvernements soient à l'écoute de nos problèmes, de nos besoins, de nos espoirs, non pas à la remorque de nos exploiteurs. Une tricherie économique. La vie économique est aujourd'hui encore plus perturbée par l'emprise qu'une minorité agissante exerce sur les gouvernements démocratiquement élus. Ces tricheurs véhiculent une idéologie trompeuse, par laquelle toute solution passe par l'industrie privée et la loi du marché. Cela s'appelle le néo-libéralisme. Cela justifie les hausses de chômage, la désindustrialisation, une population vouée à l'aide sociale, les budgets réactionnaires des gouvernements, les attaques aux droits des travailleuses et des travailleurs dans les entreprises. Ces nouveaux dogmes ont leurs modèles. Ils s'inspirent des techniques développées par les grandes firmes et les banquiers internationaux dans leur course aux profits à l'échelle planétaire. Ces grandes firmes, auxquelles les gouvernements s'agrippent par crainte de représailles, peuvent aujourd'hui, d'un claquement de doigts, déplacer une usine du Québec à Taiwan, ou l'inverse, de la Corée au Québec, pour satisfaire ladite loi du marché, profitant ici de subventions généreuses, profitant là d'une main-d'oeuvre abondante et peu rémunérée. Par la place prépondérante qu'elles occupent, ces grandes firmes exercent sur les gouvernements une pression telle que la plupart des régimes politiques actuels finissent par appliquer des mesures qui sont toutes semblables: la déréglementation, la privatisation, les restrictions aux droits syndicaux et les coupures sérieuses dans les programmes sociaux. L'arrivée au pouvoir de partis politiques soutenant cette ligne idéologique, Reagan aux États-Unis, Thatcher en Angleterre, Mulroney au Canada, Bourassa au Québec, Chirac en France renforce internationalement cette tendance à nous asservir aux strictes lois du libre marché, aux théories monétaristes, à la valorisation de l'entrepreneurship. Ce n'est pas un hasard que Bourassa ait créé ici deux nouveaux ministères, un pour la Privatisation et l'autre pour la Déréglementation et qu'il ait confié au président d'une chaîne d'épicerie la direction d'un comité consultatif dont le mandat est de réduire à l'insignifiance le rôle de l'État. La privatisation. Moins de six mois après son accession au pouvoir, le régime libéral remettait à la firme Lantic, pour une somme ridicule, les installations modernisées de la Raffinerie de Sucre de Saint-Hilaire qui, avec ses 43 ans d'activités, demeurait l'une de nos plus anciennes sociétés d'État. Il y a ainsi au Québec plus d'une soixantaine de sociétés d'État, dont les plus connues sont Hydro-Québec et Loto-Québec. Elles emploient près de 26 000 personnes et, indirectement, soutiennent quelque 64 000 emplois. C'est avec l'argent de nos impôts que ces sociétés ont d'abord été achetées, puis soutenues malgré des déficits parfois considérables, puis modernisées pour résister à la concurrence internationale. Le Conseil du patronat et les ineffables discoureurs des Chambres de Commerce salivent à l'idée de pouvoir récupérer des sources alléchantes de profits faciles. On les a même vus récemment présenter un plaidoyer devant la Commission Rochon pour permettre au secteur privé de faire concurrence au régime public par la mise en place de mutuelles indépendantes, de cliniques d'entreprises, d'hôpitaux privés. «L'une des industries les plus prometteuses d'avenir», disaient-ils malgré le fait connu que notre régime coûte 8,9 % de notre Produit National, alors que le régime américain fortement privatisé et où 32 000 000 d'Américains n'ont aucune assurance-santé, coûte 10,5 % de leur Produit National. La déréglementation. Dans l'industrie de la construction, le gouvernement libéral tente de déréglementer le placement des travailleurs pour permettre l'accès universel aux emplois jusqu'à maintenant réservés aux détenteurs des permis de travail. Au lieu de s'attaquer au véritable problème de la construction, qu'est le développement phénoménal d'une économie souterraine où des entreprises embauchent une main-d'oeuvre non qualifiée à des salaires de misère, travaillant dans des conditions dangereuses sans aucun recours, sans aucune protection, et sans que le prix des maisons en soit pour autant réduit, le gouvernement préfère légaliser les comportements illégaux de telles entreprises et brimer directement le droit au travail des vrais travailleurs de la construction. Dans la construction, comme dans toutes les industries, comme dans le secteur public, les travailleuses et travailleurs ont revendiqué et obtenu dans le passé une réglementation qui assure la qualité des produits et la qualité des services à l'ensemble de la population. Or toutes ces lois et tous ces règlements pour protéger l'environnement, la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs, les droits de la personne, les droits linguistiques, les lois nous protégeant contre des pratiques commerciales et financières douteuses, sont tout à coup remis en question parce qu'ils seraient devenus des entraves à l'essor économique. Aux États-Unis, la déréglementation a déjà entraîné des conséquences néfastes sur la sécurité dans le secteur des transports et sur les coûts des services. Les taux de téléphone ont augmenté, dans certains États, de plus de 400 %. Dans l'Angleterre de Madame Thatcher, les règlements d'urbanisme ont été suspendus dans les nouvelles zones industrielles. Les «wages councils», qui fixent des planchers légaux dans les industries à bas salaires et à faible syndicalisation, ne couvrent désormais plus les jeunes. Les seuils d'application des règles d'hygiène et de sécurité sont relevés. Le débat actuel sur la langue formule, on ne peut mieux, nos inquiétudes quant au sort que l'État réserve à notre collectivité «déréglementée». La déréglementation, dans ce secteur précis, aura pour effet d'affaiblir globalement la capacité d'affirmation du peuple québécois en même temps que sa liberté d'expression. En 1974, la CSN affirmait que «la lutte pour la langue française n'est pas seulement une lutte nécessaire à l'agrandissement des perspectives pratiques des travailleurs et à l'obtention de conditions de travail plus favorables. C'est aussi une lutte, un levier parmi d'autres de la lutte québécoise contre les forces de domination économique, politique et sociale. Elle est un levier du combat contre la domination capitaliste». La lutte pour le français constitue un point d'appui de la lutte contre le pouvoir. La volonté du gouvernement actuel de déréglementer ce secteur constitue, en s'attaquant à notre environnement linguistique et culturel, un point d'appui du pouvoir contre nous. Le libre-échange. La proposition de libre-échange canado-américain avancée par le gouvernement de Brian Mulroney n'est pas une idée nouvelle. A toutes les époques, des ténors du capitalisme ont clamé la nécessité de «continentaliser» la production et d'assujettir l'économie canadienne à la loi du libre marché nord-américain. La CSN s'est toujours opposée à une telle théorie et continue aujourd'hui de le faire pour la raison toute simple que ce n'est jamais le petit qui mange le gros. La situation minoritaire du Canada, et il va sans dire du Québec sur le continent nous rend vulnérables aux pouvoirs des négociateurs américains. Lorsque les États-Unis ont haussé, à l'automne 1985, leurs barrières tarifaires pour contrer la hausse des exportations canadiennes de poisson, ils invoquaient les coûts de production inférieurs au Canada. Et pour appuyer leur thèse, ils estimaient que l'assurance-chômage perçue par les pêcheurs canadiens durant la saison morte était une subvention déguisée... A vrai dire, les Américains protègent avec une jalousie peu commune leur marché. L'an dernier, le Congrès américain a voté pas moins de 300 lois protectionnistes et la résistance farouche affichée par le puissant Comité des Finances du Sénat américain a témoigné de l'intérêt mitigé des Américains à cette libéralisation des échanges. L'industrie québécoise du bois de sciage, par exemple, exporte vers les États-Unis plus de 45 % de sa production, un revenu annuel de près de 450 millions de dollars. Les producteurs américains prétendent que nos droits de coupe sont trop bas, parce que nos forêts sont publiques, et qu'en conséquence, les producteurs d'ici les concurrencent déloyalement... Ce n'est donc plus de questions techniques qu'il s'agit, mais de décisions découlant de la souveraineté économique et politique. Il est évident que nous ne déciderons jamais des politiques américaines. Il est tout aussi évident que les négociateurs américains poseront, d'autre part, leurs exigences sur les programmes canadiens et québécois d'aide aux entreprises, sur les niveaux des droits de coupe, sur certaines parties de l'assurance-chômage, etc. A long terme, un accord de libre-échange remettra en cause la capacité du Canada et des provinces de déterminer librement leurs politiques économiques. Le détournement de l'État. La vente de nos sociétés d'État, qui représentent des outils essentiels pour contrôler notre avenir économique, l'affaiblissement et la détérioration des réseaux publics de santé et d'éducation, l'accroissement des inégalités entre les riches et les pauvres, entre les régions, par suite des déréglementations, les emplois et les revenus menacés par le libre-échange sont autant de conséquences dramatiques de l'application d'une même conception de l'État à laquelle nous ne souscrirons jamais. Quand nous parlions, en 1979, de nous engager dans une démarche d'appropriation par le peuple québécois des pouvoirs et institutions politiques, économiques et culturelles, puis en 1985, quand nous parlions de lutter pour le renforcement de l'État et, en même temps, de lutter pour sa socialisation, sa démocratisation, nous voulions contrer le développement de l'État par des idéologies douteuses destinées à asservir ses travailleuses et travailleurs, à accroître les inégalités, à réduire les programmes sociaux, à multiplier le nombre de chômeurs et de chômeuses, à renforcer les positions idéologiques patronales, mais il ne fait pas de doute, aujourd'hui, que nous devrons rappeler aux gouvernements actuels la nature des mandats qui leur sont confiés en même temps que nos impôts, la responsabilité qu'ils sont tenus de porter à l'endroit des générations futures, et le respect à observer quant aux droits fondamentaux des travailleuses et travailleurs de ce pays. La priorité demeure, pour le peuple, le manque d'emplois. Nous soutenons que les gouvernements que nous avons élus trahissent leurs mandats démocratiques en refusant de s'attaquer, avant tout, à ce problème et à le résoudre. L'année qui vient de s'écouler nous a fait prendre conscience qu'il faut désormais redoubler d'efforts pour forcer à la retraite l'arrière-garde économique revenue au pouvoir et faire progresser nos idées, nos solutions. Et ces idées que nous mettons de l'avant dans nos milieux de travail, les résistances que nous développons face à l'arbitraire des décisions patronales, les ajustements que nous proposons dans nos syndicats pour riposter aux effets des «modernisations», les revendications à l'égard des droits à l'information, des changements technologiques et de l'organisation du travail que nous soutenons, doivent continuer à s'inscrire dans nos orientations. Il est de plus en plus urgent que tous les efforts tendent à rendre le travail accessible pour toutes et tous, car c'est dans le travail, notre seule véritable richesse, que nous pouvons nous affirmer, nous développer, nous épanouir individuellement et collectivement. Le travail est notre seule véritable richesse. De nouvelles stratégies patronales ont vu le jour dans les milieux de travail, dans les entreprises. Remettant en question, ces dernières années, les droits acquis antérieurement par les travailleuses, les patrons de l'État et du secteur privé ont amorcé, planifié, organisé leur offensive. Leur objectif: reconquérir les droits de gérance afin d'augmenter la rentabilité de leurs entreprises. Le mot d'ordre: attaquer, par le biais idéologique et politique, les acquis «sociaux» afin d'insécuriser la population et exercer, à l'endroit des syndiqués, une pression à la baisse sur les conditions négociées de travail. Leur stratégie: celle du «grain de sable», le retour à l'individualisation des compétences et à l'atomisation des relations de travail, devenue «gestion des ressources humaines». Une nouvelle terminologie du progrès technique nous laisse croire aujourd'hui que la modernité, le modernisme ou la modernisation doivent désormais inspirer l'évolution des relations de travail afin qu'à leur tour, elles se conforment aux usages modernes. Jusqu'à tout récemment, on modernisait un mobilier, un édifice, une usine. On adaptait, rénovait, améliorait une technologie pour l'adapter à de nouveaux standards de productivité. Désormais, si l'on en croit le langage patronal, on doit «moderniser» les relations de travail. Derrière ces mots passe-partout se dissimule l'objectif de nous faire endosser, sans notre avis, le progrès technique et sans que ce progrès soit synonyme de progrès social. Si ce progrès permet de résoudre des problèmes, d'améliorer le niveau et la qualité de la vie, de libérer la travailleuse et le travailleur de ses fardeaux de tâches, rien ne nous y oppose. Quand ce même progrès technique porte les germes de notre asservissement, tout est différent et tout doit être vu différemment. Les «modernisations». Sous le vocable de «modernisation» se dessine le projet de société des patrons, qui s'en inspirent pour reconquérir leurs droits de gérance et les soi-disant «espaces de liberté nécessaires au développement des entreprises». Le caractère irréversible des mutations technologiques nous force à nous adapter à des conditions nouvelles de travail. Les hausses de productivité sont de plus en plus liées à l'implantation industrielle de nouveaux équipements utilisant les technologies de l'informatique, de la robotique, de la bureautique, des équipements qui décuplent la vitesse à produire, sans aucune comparaison possible avec celle de l'être humain. Dans nos milieux de travail, on nous subordonne, sans avertissement, à la capacité de produire de ces nouveaux équipements. Le travail à domicile, le télé-travail, qui envahissent de nombreux secteurs d'activités, isolent les travailleuses et travailleurs. Le lieu de travail éclate, se modifie à partir de ces méthodes nouvelles. Même la vie syndicale et la solidarité ouvrière sont menacées par de telles transformations qui remettent en question les liens personnels. Les effets de ces implantations ne tardent d'ailleurs pas à se faire sentir. Nos syndicats sont contraints à entreprendre des luttes fondamentales pour défendre les droits au travail des travailleuses et travailleurs ainsi menacés. En Gaspésie, les travailleuses et les travailleurs des pêcheries se battent pour réouvrir chaque année leurs usines pendant que les gouvernements planifient et replanifient au-dessus d'eux de «soi-disantes» réorganisations de ce secteur. Dans les mines d'amiante, la baisse de plus de 50 % de la production et les réorganisations structurelles de la Société nationale de l'amiante menacent les droits au travail, à la sécurité d'emploi, au libre choix d'adhésion syndicale de milliers de mineurs. Des villes ont fermé sur la Côte-Nord, Shefferville, Gagnon, à la suite de décisions unilatérales des multinationales. Dans certaines régions, ces «modernisations» ont engendré la pauvreté: le taux de chômage élevé a accru la dépendance à l'aide sociale, compromis l'avenir de la jeune génération, engendré des malaises sociaux, suicides, ruptures de liens familiaux, etc. Lorsque les travailleurs et travailleuses s'organisent ici pour résister, les entreprises fractionnent et délocalisent la production afin d'éviter le débat et la négociation de leur responsabilité sociale. Tout en investissant le moins possible, les entreprises peuvent, pour faire face à la concurrence provoquée par la révolution de l'information, créer de nouvelles structures financières. Cette fois, on demande aux employés de participer financièrement à la relance de l'entreprise, en échange d'une réduction des salaires, d'une réduction de personnel et d'emprunts individuels liants. Afin de hausser la productivité et de maintenir un haut niveau de profit, l'entreprise pourra également recourir à toutes sortes de formes de «flexibilités», le vieux rêve patronal de l'atelier du siècle dernier, qui permet au patron d'exiger de ses employés leur adaptation continuelle aux besoins de l'entreprise. Dans cet univers «flexible», on retrouve d'abord la conception du «travail polyvalent»: les exemples ne manquent pas d'ouvriers spécialisés appelés à remplacer à d'autres tâches des camarades mis à pied à la suite d'une restructuration d'entreprise. Des luttes syndicales importantes se livrent, chaque jour, pour éviter qu'une telle idéologie vienne déstabiliser les équipes de travail et aliéner de leurs droits les plus âgés d'entre nous. On retrouve également le phénomène de la sous-traitance, connue dans le secteur public et parapublic sous le terme «faire-faire». Afin de bénéficier d'une main-d'oeuvre peu exigeante en salaires et avantages sociaux, dépendante de sursauts d'activité de l'entreprise, l'entreprise y recourt afin de maximiser ses profits, réalisables désormais par la simple élimination des périodes moins intenses de productivité. Cette proposition patronale ne sera jamais présentée en terme de réduction de personnel, mais plutôt en terme de sécurisation des emplois et comme facteur d'enrichissement du travail. Pourtant, elle a généralement comme conséquence la «précarisation des emplois». L'entreprise fera systématiquement l'embauche de nouveaux employés sur une base temporaire, quitte à recourir, si nécessaire, à des agences spécialisées dans ce type d'offres de main-d'oeuvre. Le travail à temps partiel ou temporaire est en nette croissance et représente déjà, en 1986, plus de 15,5 % de l'ensemble de la main-d'oeuvre canadienne. Ces travailleurs et travailleuses coûtent moins cher, ne participent pas généralement aux fonds de pension et n'ont aucune forme de sécurité d'emploi. Nous assistons, en dernier recours, à l'apparition du «travail au noir» qui définit les méthodes les plus basses de la flexibilité. Cette fois, l'entreprise pourra maximiser à volonté ses profits puisqu'elle contourne à la fois les normes minimales du Travail et à la fois toute réglementation industrielle relative aux conditions de sécurité, d'hygiène et de qualité des produits. Déjà perçue, par suite de l'inaction gouvernementale à appliquer les règlements et les lois, comme un phénomène irréversible dans certains secteurs, cette «économie souterraine» non seulement déstabilise la base industrielle mais développe une main-d'oeuvre à rabais, soumise à des rythmes accélérés de cadences de travail, à l'absence généralisée de conditions de sécurité et d'avantages sociaux et représente pour l'État le détournement de millions de dollars d'impôts nécessaires pour le maintien des services à la collectivité. Afin de récupérer les initiatives des employés et de mobiliser leurs compétences et leurs connaissances, les entreprises forment des cercles de qualité dont le premier objectif est l'accroissement de la productivité. Devant les mégastructures de pouvoir incarnées dans notre société industrielle par les multinationales et les monopoles financiers, le mouvement syndical a pu, à partir de revendications communes, d'espoirs communs, résister efficacement grâce à sa démarche démocratique. Voilà que nos idées sont aujourd'hui habilement récupérées par les forces de droite et le pouvoir patronal à la faveur des mutations technologiques qui exigent une réorganisation du travail. A nos volontés de travailler en équipe et de démocratiser l'entreprise, on nous confronte aux cercles de qualité. On y adopte des processus décisionnels faisant appel au consensus des travailleuses et travailleurs, à leur sens des responsabilités, mais cette fois dans l'unique perspective de la productivité et de la performance économique de l'entreprise. La participation syndicale - des expériences récentes nous le confirment - en est souvent exclue. Certaines entreprises instaurent de tels cercles avec l'intention affirmée de remplacer, par ce moyen, les structures syndicales. Les entreprises en arrivent à mettre sur pied des systèmes d'évaluation individuelle du rendement de chaque travailleuse et travailleur sur la base de ces nouveaux critères de participation aux intérêts de l'entreprise. Gare aux revendicateurs ! Ces systèmes serviront ensuite à bloquer ou accélérer les promotions dans les échelles de salaires. L'individualisation des compétences est alors l'ultime stratagème utilisé dans la planification de la modernité. Soutenues par les campagnes idéologiques dans les médias, les nouvelles valeurs néo-libérales de la primauté des libertés individuelles sur les libertés collectives, de la notion d'excellence, viennent trouver là leurs assises. Appliquées aux milieux de travail, ces valeurs signifient l'émulation entre employés, la course effrénée aux bonis à la productivité, le repli sur une fictive sécurité d'emploi liée, là encore, aux succès de l'entreprise. C'est le modèle japonais. Les syndicats n'y sont pas les bienvenus: ce sont des «irritants» dont on doit viser l'élimination ou la subordination. Ils ne sont pas les bienvenus parce qu'ils revendiquent que le travail soit valorisé. Pour le travailleur, la valorisation du travail n'aura sa réalité que dans la satisfaction que ce travail lui procure et dans le rapport étroit et quotidien qu'il lui permet d'entretenir avec son milieu familial et social. Ne nous laissons pas confondre par ces abus de langage, qui permettent à nos traditionnels exploiteurs de nous culpabiliser, d'affaiblir nos organisations, de soutenir l'assujettissement de nos valeurs sociales à leurs seuls objectifs d'accroissement de profits. Ne nous laissons pas récupérer des valeurs aussi profondes que celle du travail bien fait, du travail utile, alors qu'en réalité ce qu'on attend de nous c'est qu'on produise encore plus, toujours encore plus, pour satisfaire des intérêts qui ne sont pas les nôtres. C'est de notre dignité qu'il s'agit. Nous parler d'excellence dans un tel contexte, c'est nous mépriser. C'est soutenir que la valeur de notre travail n'a comme seul critère le profit que le capital en retire. Ce n'est plus là le travail comme expression de notre existence ou comme apport au bien collectif. Nous avons toujours été excellents, sinon leurs entreprises n'existeraient même pas et ils ne pourraient pas passer leurs journées à laisser fructifier leurs capitaux sans le moindre effort. Valoriser notre travail, c'est d'abord nous reconnaître, nous laisser participer démocratiquement à «leurs» entreprises qui sont d'abord les nôtres. C'est également nous remettre ce qui nous est dû, notre droit à un travail stable, utile et rémunérateur. Toutes ces stratégies patronales, certains économistes les ont qualifiées de stratégies du «grain de sable», parce qu'elles ont toutes pour objectif de réduire à cette plus simple expression le sens du travail, la responsabilité de la travailleuse et du travailleur et la place des organisations syndicales. Que doit-on faire? Si nous n'avons pas d'autre choix que de nous adapter à une réorganisation du travail que les mutations technologiques nous imposent, devons-nous du même coup accepter de devenir des «grains de sable» ? Non. Nous le ferons à notre manière et ils devront nous respecter. Il est anormal, en raison des en jeux importants soulevés par ces changements, que tout cela ne dépende que des seules décisions patronales. Nous devons faire autre chose que simplement réagir. Nous dégagerons, sur nos propres bases, des voies syndicales qui répondront véritablement à nos besoins; nous formulerons des revendications pour imprimer à ce cours nouveau des choses des changements qui devront se traduire dans l'entreprise par plus de démocratie, plus de pouvoir, une véritable requalification du travail et une meilleure qualité de vie. Comme nous l'affirmions récemment à l'usine de la Consol, à Ville La Baie, les entreprises qui tentent d'écarter les syndicats dans de telles opérations de changements technologiques font des calculs à courte vue. A la longue, cela leur coûtera plus cher parce qu'elles n'auront pas impliqué les travailleuses et les travailleurs. Il ne faut pas nous laisser déposséder de notre seule richesse, le travail. Au contraire, il faut multiplier nos interventions pour démocratiser ces entreprises, pour faire en sorte que nos droits et nos libertés soient respectés, parce qu'ils sont antérieurs et priment sur les libertés de toute entreprise. Nous devons nous ajuster radicalement. Le défi est de taille. Ce qu'on nous propose, dans le camp patronal, c'est un tournant radical des relations de travail, un changement brusque des attitudes et des habitudes. Nous devons nous y ajuster tout aussi radicalement. Le front s'est élargi: les possédants tentent de récupérer nos milieux de travail dans cette offensive politique et économique. Si nous voulons que notre mouvement syndical continue de porter les espoirs d'une société égalitaire et respectueuse des droits et libertés des personnes, il nous faut réagir avec force. Cela signifie, comme c'est le cas déjà dans de nombreux syndicats, une réflexion attentive sur les besoins et les attentes des travailleuses et travailleurs soumis à ces nouveaux rapports dans leurs entreprises. Cela signifie une réflexion encore plus poussée, pour notre mouvement, que celle amorcée en 1985, sur les besoins et les attentes des travailleuses et travailleurs sans emploi de notre société et sur les groupes défavorisés, les femmes notamment, et les jeunes. Les réponses et les solutions sont greffées tout autant aux intérêts professionnels que nous défendons par la négociation des contrats de travail qu'aux intérêts sociaux, économiques et culturels que nous nous sommes toujours proposés de défendre au nom des couches populaires du Québec. Ils ne demandent qu'à être, une fois de plus, pris en compte, pour motiver, soutenir et encadrer nos actions syndicales. Au cours de ses mandats des deux dernières années, la CSN a pu constater, par son soutien aux luttes des travailleuses et travailleurs, l'ampleur des offensives patronales. Lors de la grève des travailleurs de Marine, Sorel était devenue le champ de bataille idéologique du Conseil du patronat contre la mobilisation des syndiqués pour obtenir la réduction et l'aménagement du temps de travail. Lors de la grève des travailleuses et travailleurs de Saint-Ferdinand, nous avons vu le gouvernement expérimenter l'éventail de ses mesures répressives. La CSN a mené campagne contre la loi 42, qui remplaçait les rentes des accidentés du travail par des montants forfaitaires et abolissait leur recours devant la Commission des affaires sociales. Le gouvernement se rendait là à la demande des patrons qui, aujourd'hui, réclament que nous payions cette fois pour les accidents, blessures et maladies dont ils sont les seuls responsables. Le soutien de la CSN aux diverses coalitions, celle pour la paix, celle pour le droit de négocier, la présence de la CSN aux fronts de solidarité avec les groupes populaires, comme Solidarité Populaire Québec, les débats dans lesquels la CSN s'est impliquée, pour lesquels ont contribué régulièrement ses équipes de recherche et d'information, les efforts multipliés par les équipes des conseils centraux et des fédérations lors des travaux de la Commission Beaudry et ceux plus actuels de la Commission Rochon, nous démontrent, jour après jour, la nécessité de ne pas céder de terrain, de nous serrer les coudes avec toutes et tous ceux-là qui croient aux mêmes espaces de liberté. Organiser. A la désyndicalisation, il faut opposer la syndicalisation. Multiplier nos efforts afin que toutes les travailleuses et tous les travailleurs puissent compter sur une organisation qui protège et défende leurs droits. Malgré un taux élevé de désyndicalisation et la diminution des effectifs de la plupart des organisations syndicales nord-américaines, plus de 20 000 nouveaux membres ont joint la CSN au cours des deux dernières années, et cela en dépit d'une conjoncture difficile. Nos efforts, cependant, demeurent vains si nous ne pouvons enrayer le phénomène de la désyndicalisation progressive dont nous sommes témoins. Si nous pouvons encore organiser, c'est qu'il y a des raisons. La principale de ces raisons est sans nul doute la conviction que la CSN appartient à ceux qui y adhèrent, qui y sont libres et qui peuvent être soutenus, en tout temps, par un réseau vivant de solidarité. Mais les obstacles qu'ont à surmonter les travailleurs dans leur volonté de s'organiser sont souvent devenus disproportionnés quant aux capacités militantes d'y résister. L'éclatement des lieux de production, le morcellement des unités de travail, l'individualisation des tâches découragent les initiatives. Les patrons entretiennent une cohorte de plaideurs qui multiplient les embûches juridiques pour étouffer le droit de leurs employés à se syndiquer. Rappelons simplement qu'il fallut ainsi aux 1 200 chargés de cours de l'Université de Montréal plus de sept ans pour que soit reconnue leur volonté de se syndiquer. Devant la Commission Beaudry, la CSN a condamné de telles pressions qui empêchent l'exercice d'un droit fondamental, reconnu par la loi. Les lobbys qu'exercent aujourd'hui les patrons du Québec à l'endroit du gouvernement pour le forcer à mettre au rancart les propositions des commissaires témoignent de leur mauvaise foi et de leur volonté de s'opposer à tout progrès relatif à l'expression de nos droits. A cela s'ajoutent les menaces qu'ils profèrent à l'endroit des employés qui manifestent leur intention de se syndiquer et le chantage qu'ils exercent ensuite contre leurs emplois, contre leurs conditions de travail, voire contre leur intégrité physique. C'est avec l'énergie du désespoir que ces patrons combattent les tentatives de syndicalisation. S'agit-il là de «modernisation» ? Nous y voyons plutôt l'expression pour le moins évidente d'un comportement anachronique et rétrograde. Parlez-en aux nouveaux syndiqués, à leurs officiers. Il y en sûrement un bon nombre parmi nous dont c'est aujourd'hui le premier congrès, qui ont un mot ou deux à dire là-dessus. Cette attitude du patronat «moderniste» non seulement nous répugne, mais nous force à réaffirmer l'urgence d'obtenir la mise en application des principales recommandations de la commission Beaudry, principalement en ce qui concerne la déjudiciarisation du processus d'accréditation, accompagnée de pouvoirs adéquats au nouveau Conseil des relations de travail pour contrer la répression et l'ingérence patronale. Mobiliser. Aux pouvoirs accrus de gérance, il faut opposer le respect de nos droits. Les mutations technologiques ne doivent pas nous faire reculer, mais nous faire avancer. De nouveaux droits doivent s'inscrire dans nos conventions collectives; le droit à l'information, le droit à l'égalité, le droit au travail pour toutes et tous. Aux fermetures d'usine, aux coupures de postes dans le secteur public, il faut, comme à Desbiens, comme à l'hôpital Notre-Dame, opposer la revendication radicale du droit au travail pour toutes et tous. Une centaine de travailleurs de la Saint-Raymond Paper de Desbiens au Lac Saint-Jean ont occupé, ces mois derniers, l'usine que la compagnie a fermée, il y a quatre ans. Ces travailleurs ont décidé de reprendre possession de leur travail et la population locale les soutient. Il y a là tout l'équipement nécessaire pour une production de qualité. Puisque cette compagnie refuse de produire, qu'elle laisse la place à d'autres, qu'elle remette les équipements aux travailleurs. Cette usine, de toutes manières, ils l'ont amplement payée à même leurs sueurs. Aux fermetures d'usine, opposons l'ouverture des usines. Créons des coopératives ouvrières de production, où les travailleurs et travailleuses contrôlent la gestion, participent à l'élaboration des programmes de production et décident ensemble du présent et de l'avenir de leur entreprise. Ouvrons ces usines, ces institutions, ces ateliers de travail où la créativité ouvrière fera ses preuves, où de nouvelles formes d'organisation démocratique du travail seront expérimentées, où des produits et des services socialement utiles seront fabriqués et fournis démocratiquement aux consommateurs et aux usagers. Des groupes de travailleurs de la Chaîne coopérative du Saguenay, de J-E Jutras à Victoriaville, de David et Frères à Montréal, de la Boulangerie Landreville à Mont-Joli, de Servaas à Ville d'Anjou, combien d'autres exemples de syndicats qui, au lendemain d'une faillite, d'une fermeture ou d'un transfert d'activités cherchent, évaluent, analysent les difficultés de leurs entreprises et qui ont besoin d'une expertise appropriée. Nos expériences démontrent qu'un syndicat peut très bien être l'initiateur d'un projet de création d'une coopérative de travail. Pour cela, les travailleurs et les travailleuses doivent pouvoir compter sur des compétences en matière d'économie, en matières fiscale et légale, en comptabilité, en mise en marché. Il est urgent que ces travailleurs et travailleuses puissent accéder aux ressources diverses nécessaires à la création de telles coopératives ouvrières. Le syndicat, l'organisation syndicale doit être prête à jouer un rôle moteur dans l'apprentissage de leur nouvelle démarche. Nous contribuerons ainsi radicalement aux développements économiques régionaux, tout en contribuant aux efforts de restructuration dans divers secteurs économiques en vue d'une démocratisation et d'un développement centrés sur l'emploi. Aux coupures de postes dans les services publics et parapublics, il nous faut proposer et opposer nos droits de citoyennes et citoyens usagers, ne pas permettre la dégradation de la qualité des soins dans les hôpitaux, les cliniques, les centres d'accueil. Ne pas permettre qu'à la suite de réductions budgétaires dans les municipalités, les services à la collectivité soient confiés à des sous-traitants négligents et moins soucieux du bien public que de leurs profits éventuels. Il faut comme dans les CLSC démontrer que les coupures de postes et de services coûtent plus cher, quand elles se traduisent par le développement parallèle de cliniques privées. Pour en arriver là, les gouvernements n'ont pas d'autre choix que d'affaiblir les syndicats. Ils commencent par alimenter l'opinion publique d'un chantage à la catastrophe, du genre «si nous continuons comme ça, le Canada est en faillite en 1992...». Puis, ils réduisent les budgets. Les directions locales ne se gênent plus alors pour couper des postes, souvent essentiels, dans les unités de soins directs à la clientèle des services publics. Lorsque les syndicats se mobilisent, ils réduisent par décrets, par lois, leur droit de grève à une niveau symbolique. Le résultat est celui, malheureusement, que l'on connaît. C'est donc à une démarche tout aussi radicale qu'on nous convie. A leur volonté renouvelée de nous affaiblir, de nous démobiliser, les gouvernements et les patrons doivent s'attendre à ce que nous opposions notre mobilisation, notre détermination à défendre et à faire respecter nos droits. A leur volonté de nous déposséder de notre droit de grève, il faut opposer la grève. Nous savons que c'est par la mobilisation que nous pouvons faire progresser la négociation de nos droits. Négocier. Nous approchons de l'enjeu fondamental. Puisqu'on tente, par tous les moyens, de nous priver de notre droit d'association, d'affaiblir notre organisation, de trouver les moyens modernes de nous empêcher d'agir et de mobiliser les membres à la défense de leurs droits, il doit bien y avoir un objectif lié au quotidien des relations de travail. Celui-là, nous le connaissons bien: on nous refuse le droit de négocier. Les péripéties aux travers desquelles se démènent nos négociateurs et négociatrices, tant dans le public que dans le privé, découlent plus de l'acrobatie que de la véritable négociation. Les obstructions sont systématiques. Les refus prennent la forme de conditions préalables à la négociation. Dans la construction, cette année, les patrons vont jusqu'à demander la conciliation avant même la première séance de négociation. Dans le secteur public, on a multiplié les lois et les carcans juridiques, on nous a imposé la présence incongrue d'un Conseil des services essentiels qui se substitue aux négociateurs gouvernementaux, on a procédé unilatéralement pour nous soumettre à un cadre inique de négociation que l'on appelle «décrets». Ce qui un jour est négociable ne l'est plus le lendemain. Une loi n'attend pas l'autre. Dans le secteur privé, le nouveau patronat nous sert à la moderne les vieilles recettes: il multiplie les obstacles pour refuser la négociation d'une première convention collective; il traîne en longueur les règlements de griefs; il a sans cesse recours aux brefs d'évocation; il contourne la loi anti-scabs; il dépense en frais judiciaires des fortunes pour soutenir les mots d'ordre du Conseil du patronat; il s'appuie sur les directives du gouvernement à l'endroit de ses travailleuses et travailleurs syndiqués pour refuser à ses employés la libre négociation de leurs conditions de travail. Quand les patrons du secteur public développent la stratégie des congédiements administratifs, croyant par là esquiver l'arbitrage en invoquant l'ingérence indue dans les droits de gérance, quand ils quémandent au pouvoir judiciaire des injonctions pour empêcher les syndicats d'exercer leur rapport de forces, à leur refus de négocier, il faut opposer la mobilisation. Parce que, dans l'industrie des communications, il faut opposer à la censure le droit du public à l'information et la démocratisation. Parce que, dans les secteurs public et parapublic, il faut opposer à la baisse de qualité des soins, le droit à la santé, le droit à l'égalité. Parce que, dans les secteurs municipal et scolaire, il faut opposer à la sous-traitance et à la privatisation, le droit à des services de qualité et à la négociation. Parce que dans le milieu de l'enseignement, il faut opposer à la précarisation des emplois et à l'augmentation des fardeaux de tâches, le droit à une éducation de qualité et à la sécurité d'emploi. Parce que dans le secteur de la forêt et du papier, il faut opposer à la coupe à blanc de nos richesses forestières et au travail à forfait le droit à un Québec vert et à des conditions décentes de travail. Parce que dans le secteur de la métallurgie, il faut opposer aux fermetures d'usine ou à leurs départs outre-frontière, le droit à l'information et le droit d'association. Parce que dans le secteur des banques, de l'alimentation, il faut opposer, aux droits autoritaires de gérance et aux revenus insuffisants, le droit à la non-discrimination et le droit à la syndicalisation. Parce que dans le secteur du commerce, de l'hôtellerie, il faut opposer, aux embauches temporaires et à l'exploitation au salaire minimum, le droit au travail, le droit à la dignité. Il faut démocratiser l'entreprise par une action syndicale directe. L'analyse que nous faisons ensemble aujourd'hui nous porte à croire que nous avons vécu plus que notre lot de tactiques déloyales, de lois autoritaires, de menaces et de chantage à l'emploi, qui ont eu pour effet parfois de démobiliser nos membres et de restreindre la portée de nos revendications. Nous devons admettre qu'il est urgent à notre tour, sur notre terrain, avec nos moyens propres, de nous fixer des objectifs concrets destinés à nous faire progresser ensemble vers une société démocratique, juste, égalitaire et respectueuse des droits de toutes et tous. Affirmer notre appartenance. Dans la société québécoise, la CSN représente la détermination ouvrière et signifie la combativité. Il suffit, dans une réunion de famille, dans une conversation privée, de glisser le mot «CSN» pour qu'aussitôt le ton change. Personne ne demeure indifférent, ni aux critiques que nous portons sur notre société, ni aux luttes que l'on mène, ni aux gains que l'on enregistre, ni à la solidarité que nous manifestons. Porter le sigle de la CSN sur le chapeau de sécurité dans l'usine ou sur un chantier, afficher le macaron du syndicat, ont le même caractère provocateur que de brandir une pancarte sur une ligne de piquetage. Etre membre de la CSN, c'est affirmer notre liberté. C'est exprimer sa fierté d'être membre d'une organisation syndicale qui a été, et est encore, l'outil principal des travailleuses et travailleurs du Québec pour faire progresser leur société. La CSN a sa signification concrète dans l'histoire du Québec: elle était là, de toutes les Luttes, de toutes les oppositions, elle n'a jamais abdiqué, capitulé. Rappelons seulement la mobilisation entreprise au début des années 70 par les travailleuses et travailleurs du secteur public qui s'est soldée par une hausse générale du salaire minimum au Québec. Rappelons l'assurance-hospitalisation, l'assurance-santé, même l'assurance-automobile, de telles revendications, de tels projets sociaux auraient pu germer ailleurs qu'ici, mais c'est ici, dans cette même assemblée, que nos mères, nos pères, certaines et certains d'entre nous, ont entrepris de les inscrire dans leur projet de société et de les réaliser. On peut trouver amusant, certaines fois, de voir les publications patronales vanter prétentieusement des installations complexes anti-pollution ou les efforts soi-disant consciencieux des compagnies pour installer des machines équipées de systèmes visant à protéger la sécurité des ouvriers, quand on sait quelles Luttes acharnées les syndicats ont dû mener pour les arracher à ces mêmes compagnies. Mais où retrouve-t-on cette reconnaissance des gains obtenus par l'action syndicale ? Si nous affirmons que c'est par nos Luttes que dans telle ou telle ville la pollution a été réduite, que les compagnies respectent davantage la santé de leurs employés, que des fonds de pension et des régimes d'avantages sociaux existent, si nous affirmons que dans telle ou telle région cette usine est aujourd'hui en opération parce que le syndicat s'est battu pour empêcher que ses propriétaires ne partent un jour, à la dérobée, emportant la caisse et les chances d'emploi de toute une génération, qui, aujourd'hui, dans nos lieux de travail, peut le confirmer à part nous ? Nous avons Là une première tâche urgente à accomplir, celle d'affirmer et de défendre notre appartenance ouvrière, notre identité CSN. Ce n'est que par l'affirmation de notre réalité historique, de notre solidarité, que nous pourrons convaincre celles et ceux qui cherchent, aujourd'hui, des solutions à des problèmes d'un ordre nouveau, de se joindre à nous plutôt que de nous fuir. Ce n'est pas vrai que nous avons des solutions toutes faites à leur offrir mais nous devons les convaincre que la volonté et les moyens dont elles et ils ont besoin pour se défendre et répondre à leurs interrogations et à leurs problèmes, nous les avons. Soutenir nos idées. Qu'avons-nous à craindre de l'opinion publique lorsque nous affichons nos couleurs et défendons nos idées ? Les accusations qu'on nous porte ont-elles tant de résonance parmi nos membres, parmi notre monde qu'il faille désormais nous soustraire au débat social sur le rôle de l'État ou le comportement des pouvoirs économiques pour éviter toute confrontation dommageable ? Nous croyons qu'il y a eu, et qu'il y a encore, des stratégies organisées du monde patronal pour désinformer et mentir. Nous soutenons que les propriétaires des médias, et la plupart de leurs éditorialistes, ont des pratiques déloyales, qu'ils dénaturent l'information émanant des syndicats et des groupes populaires revendicateurs. La propriété de plus en plus concentrée des entreprises de presse éloigne les centres de décision, permet à la poignée de sociétés financières qui les contrôlent d'échapper au droit de regard syndical et réduit le contrôle démocratique. Nous n'avons pas d'autre choix, dans cette situation, que de réaffirmer l'urgence de nous doter de tous les moyens nécessaires afin que nos membres, voire la population, aient accès à une information honnête et véridique. Aux notes argumentaires que le Conseil du patronat fait parvenir à ses lobbyistes et porte-parole, la CSN doit pouvoir répondre, s'organiser pour équiper, à son tour, ses porte-parole syndicaux de tous les arguments destinés à contrer l'offensive idéologique menée par le patronat québécois et les préparer à défendre, sur la place publique, le terrain de nos idées contre le leur. A la publication patronale distribuée dans l'entreprise, dans l'organisme public ou parapublic, il faut opposer notre journal syndical pour rétablir les faits, raconter l'histoire de notre syndicat, exprimer notre vie syndicale, notre vie ouvrière, témoigner de nos problèmes, affirmer nos revendications. Nos journaux, nos publications, multiplions-les partout où les patrons veulent récupérer nos gains, propager leurs idées, affaiblir notre solidarité et déraciner nos droits et nos organisations. Nos syndicats désormais répondront directement, quand ils seront interpellés, dans nos milieux de travail, quand on les accusera d'être des obstacles au progrès social, quand on accusera ses membres d'empêcher la création d'emplois en protégeant leurs droits acquis, quand on les accusera de nuire à la liberté des entreprises et de faire fuir les investissements, quand on accusera les travailleurs d'être des privilégiés, des paresseux, des improductifs. Ce que le patronat doit savoir, c'est que nos traditions démocratiques s'accommodent mal d'un langage de duperie. Lorsque les médias d'information véhiculent et privilégient sans cesse la parole trompeuse de ceux qui exploitent, de ceux qui ne respectent pas les conventions signées, de ceux qui brisent nos résistances avec la complicité de l'appareil judiciaire, de ceux qui ne cherchent qu'à imposer leurs idées sans respecter les autres, vient un temps où la coupe déborde. Les syndicats dans leur milieu de travail, comme la CSN au plan national, comme les conseils centraux dans les régions, comme les fédérations dans les secteurs, devront se doter localement de politiques et de stratégies d'information pour contrer la propagande patronale. C'est là une étape essentielle pour amener les entreprises et leurs dirigeants à comprendre la nécessité de la démocratisation. Partager nos connaissances. Lorsqu'une ou un nouvel employé traverse pour la première fois le seuil de son lieu de travail, il est aujourd'hui reçu familièrement par un «responsable de la gestion des ressources humaines» qui imite, à s'y méprendre, le style du délégué syndical. Il est accueillant, compréhensif, prêt à répondre à toutes les questions. Il impose sa confiance. Ce n'est plus comme autrefois. La «gestion douce» est pratiquée de plus en plus comme alternative à la gestion autoritaire. Nous ne sommes pas contre. Nous avons toujours combattu l'aliénation. Dès ce premier instant, cependant, nous devons redoubler notre vigilance pour ne pas céder notre tradition. Ce rôle si important, si naturel, d'accueillir le nouvel employé ou la nouvelle employée, nous nous faisions un devoir de l'assumer afin de lui donner un appui, un soutien humain immédiat dans cette période unique d'apprentissage au métier et à sa vie de travailleur et de travailleuse. Si le nouvel employé n'a comme lien à l'entreprise que ce «gestionnaire» aux manières douces pour lui expliquer les nombreux avantages dont «la compagnie» le ferait bénéficier, la tâche sera lourde pour le syndicat sur les lieux de mobiliser un jour ce nouveau membre à l'appui d'une revendication collective. Parlez-en aux jeunes qui, aujourd'hui, cherchent des liens de parrainage pour ne pas être déroutés à jamais dans les méandres de plus en plus complexes des relations «modernes» de travail. Si nous sommes convaincus de l'urgence de démocratiser l'entreprise, nous devons assumer ce rôle traditionnel d'accueil. Car les patrons, eux, savent que c'est au seuil de l'entreprise que l'on commence à isoler un syndicat de sa base et à mieux contrôler la productivité de la main-d'oeuvre. Il n'y a pas que l'accueil cependant auquel nous devons désormais attacher une importance particulière; il y a la formation et l'implication du ou de la syndiqué dans sa démocratie et son assemblée syndicale. Car les patrons, en multipliant les obstacles juridiques, en ayant recours aux services des spécialistes aussi bien en terme de santé-sécurité, de minutage des tâches, de relations industrielles, ont compliqué à ce point les relations de travail que les syndicats se voient acculés à des tâches bureaucratiques de plus en plus lourdes. Leurs officiers sont isolés et l'action syndicale neutralisée. La solution réside dans la formation et l'implication rapide des membres, des nouveaux militants. Gagner de court le patron; opposer nos connaissances aux siennes. Pour cela, il faut partager nos connaissances, le plus rapidement possible, avec les arrivants, les impliquer dans la vie syndicale en les initiant aux divers comités du syndicat, en leur proposant des sessions de formation sur les différents aspects de leur convention collective, en les initiant à leur responsabilité syndicale, à la défense commune des revendications. Cette sensibilité particulière à la formation, la CSN l'a toujours préconisée parce qu'elle est une des valeurs profondes de la classe ouvrière, pour qui l'accès à l'éducation n'a jamais été facile. Connaître ses droits a toujours revêtu dans l'esprit des travailleuses et travailleurs la même importance que la connaissance acquise d'un métier ou d'une fonction. C'est là un devoir de tout syndicat, comme c'est là le devoir de la CSN, de ses instances qui la composent, de promouvoir la formation des membres, des officiers élus et des salariés afin de faire face adéquatement et efficacement aux attaques menées contre nous pour nous déposséder de nos droits. Le partage des connaissances nous commande des efforts particuliers. L'initiation fondamentale des membres à la négociation de leur convention collective suppose, non seulement la connaissance du Code du travail, mais l'élargissement et l'approfondissement de leurs connaissances économiques, allant parfois, comme dans le secteur public, jusqu'à la nécessité de comprendre les mécanismes d'un budget national. Nos revendications concernant les besoins de formation pour faire face aux changements technologiques, ainsi que le droit à l'information sur l'entreprise s'inscrivent dans cette démarche. Nous estimons que chaque entreprise, chaque établissement doit avoir son plan annuel de formation, établi conjointement par l'employeur et le syndicat. A un niveau plus étendu, nous estimons et soutenons que tout programme de formation professionnelle doit être négocié secteur par secteur, région par région, avec les organisations syndicales représentatives. Si le travailleur et la travailleuse sont préoccupés par la sécurité dans leur milieu de travail, leur syndicat doit pouvoir répondre par une formation appropriée, à laquelle les services de la CSN seront appelés à collaborer. Dans chaque entreprise, dans chaque établissement public ou parapublic, les syndicats doivent être le lieu où les connaissances se partagent et les officiers doivent pouvoir impliquer les membres à une participation accrue à leur vie syndicale. C'est par la connaissance de l'entreprise, de ses mécanismes, si complexes soient-ils, des relations de travail, de ses méthodes, toutes nouvelles qu'elles soient, d'organisation du travail, que nous pouvons établir nos rapports avec elle, la forcer à démocratiser ces rapports et à respecter nos droits. Ces connaissances sont des préalables essentiels à toute action qui a comme objectif d'être victorieuse. Nous n'échapperons pas à cette dimension exigeante: nos membres attendent que nous mettions à leur disposition tout le bagage de connaissances que nous avons, quitte à l'agrandir, afin qu'ils puissent être équipés et autonomes dans leurs actions quotidiennes à la défense de leur liberté et de leurs droits. Exercer nos responsabilités. Lorsqu'un décret, comme dans l'industrie de la construction, régit les relations de travail, qu'il réduit les pouvoirs des délégués syndicaux, qu'il réfère une partie de ses responsabilités à des tiers, spécialistes ou fonctionnaires, dont celle de surveiller l'application de la convention collective de travail, quel rôle peut jouer un syndicat? Lorsqu'une loi fixe, comme c'est actuellement le cas dans le secteur public, des règles particulières de fonctionnement et s'attaque directement à notre droit de négocier l'ensemble de nos conditions de travail, quel syndicat peut conserver la confiance de ses membres ? Quand une usine ferme et relocalise ailleurs sa production, quels pouvoirs demeurent à un syndicat pour exercer les mandats qui lui sont confiés en assemblée générale de protéger les emplois des membres ? Ces questions, nous sommes persuadés que la plupart des délégués à ce Congrès se les sont posées à un moment ou l'autre de leur vie syndicale. Nous nous les sommes posées en tentant de trouver, quelque part, la solution à cette érosion manifeste de nos juridictions syndicales. Dans notre mémoire à la Commission Beaudry, la CSN a repris ce questionnement en demandant aux commissaires d'inscrire «dans un seul Code, qui réunisse l'ensemble des droits, qui traduise la spécificité des relations de travail, et qui concerne la liberté d'association, la liberté de négociation et la liberté de grève, quelques droits fondamentaux tels que la protection de l'emploi, l'accès à l'égalité et l'accès à l'information complète sur ce qui peut avoir des effets sur nos conditions d'existence». Le rapport est sur les tablettes du ministre Paradis et n'en bougera pas si nous ne le faisons pas bouger. Nous sommes dans la même position que n'importe lequel des syndicats qui composent la CSN. Après avoir affirmé, au nom de l'ensemble des membres, nos revendications, en avoir débattu largement et démocratiquement dans nos instances, nous avons présenté à cette commission d'étude gouvernementale notre mémoire, l'avons défendu devant les commissaires et diffusé dans la population. La Commission Beaudry a fait rapport, a retenu certaines des recommandations que nous lui faisions, mais le gouvernement a décidé de ne pas y donner suite, le Conseil du patronat s'y opposant avec la vigueur habituelle qu'il déploie lorsqu'il s'agit des droits et libertés des travailleurs et travailleuses exploités par ceux-là qu'il représente. Qu'allons-nous faire? Nous replier sur le Code antérieur, attendre sagement et naïvement qu'on nous fasse signe et qu'on nous remette, dans l'antichambre du Pouvoir, les libertés «irritantes» que nous revendiquons? Pendant que les usines continuent de fermer, que les protections de l'emploi se détériorent, que nos droits fondamentaux sont érodés par ces mêmes pouvoirs publics, nous ne demeurerons pas les bras croisés. Nous avons un besoin urgent de ce nouveau Code. Nous en avons un besoin urgent pour nous faire respecter. Les efforts que nous développerons pour forcer la mise en application du rapport Beaudry sont de même nature et de la même pratique syndicale que développe, chaque jour, chaque syndicat dans chaque milieu de travail. Exercer nos responsabilités, c'est d'abord exercer nos capacités pour mener nos mandats à bonne fin. Et la CSN n'a pas à attendre qu'on définisse ailleurs que dans ses assemblées les pouvoirs et les mandats qui lui sont confiés par ses membres. Tant et aussi longtemps que toutes nos recommandations relatives à l'application du rapport de la Commission Beaudry n'auront pas donné les résultats que nous voulons, nous devrons persister à convaincre de la légitimité de nos revendications et nous mobiliser comme tout syndicat doit le faire quand la situation le réclame et qu'il est évident que nous avons affaire à des patrons de mauvaise foi. Après avoir affirmé nos droits, nos revendications, appris à bien connaître notre adversaire, identifié les obstacles qu'il a disposés pour ralentir ou restreindre l'exercice de nos mandats, nous établirons soigneusement notre plan d'attaque, nous mesurerons ses forces et ses faiblesses et nous nous renforcerons, d'abord dans nos assemblées, puis dans le réseau élargi de nos solidarités. Voilà où nous en sommes, comme organisation syndicale, et les alternatives ne sont pas nombreuses. Si nous voulons vraiment opposer notre liberté d'association, de négociation et de grève aux forces patronales qui s'organisent pour nous en déposséder, il nous faut affirmer ici, dès maintenant, notre volonté collective d'affronter ces forces et de les vaincre. Gagner du terrain. N'avez-vous jamais entendu, autour de vous, des militantes et militants affirmer que nos mandats syndicaux sont trop nombreux, trop lourds, que nous ne trouvons pas le temps nécessaire pour les mener à bien, que nous recourons trop souvent à des tactiques, sans doute éprouvées dans le passé, mais rendues inefficaces face aux nouvelles formes de gestion, aux nouvelles stratégies de nos adversaires ? A Québec, les employés des grands hôtels et restaurants étaient confrontés au travail du personnel-cadre, qui causait ainsi de nombreuses mises à pied et réduisait les heures travaillées par les syndiqués. Ils ont formé un front commun et gagné. Dans la région de Sorel-Tracy, l'ex-ministre de l'Industrie et du Commerce du Québec avait laissé circuler la rumeur de fermeture du chantier de Marine Industrie, contrôlé avec l'argent des Québécoises et Québécois. La population a formé un comité de citoyennes et de citoyens pour appuyer le syndicat. La rumeur s'est éteinte. Aux Iles-de-la-Madeleine, le ministre des Affaires sociales devait procéder à des coupures de personnel au Centre de santé de l'Archipel. 4 700 madelinots ont signé une pétition et empêché les coupures. A Windsor, dans les Cantons de l'Est, Domtar avait annoncé la fermeture de son usine de papier qui aurait provoqué la mise à pied de plus de 800 employés. La population toute entière s'en est mêlé. Domtar a préféré rester et bâtir une nouvelle usine. C'est désormais une conviction, parmi les syndiqués, que nos actions syndicales sont efficaces, que nos luttes sont victorieuses quand elles s'appuient sur des revendications élargies, collectives, quand elles misent sur nos solidarités naturelles avec la population qui les a comprises et partagées. A cet égard, nous avons le devoir d'exprimer clairement la légitimité de nos objectifs, de faire, chaque fois, la démonstration de nos capacités de proposer des alternatives et d'établir avec la population, des priorités de négociation qui tiendront compte du bien-être collectif et du progrès social. Il nous faut continuer de miser sur la solidarité. Multiplier nos chances de réussite, c'est multiplier toutes les occasions de nous unir pour gagner du terrain. Rendre notre action plus efficace. Dans le Bas Saint-Laurent, les travailleuses des succursales de la Banque nationale ont obtenu une accréditation syndicale régionale, pratiquant là une brèche importante dans le cartel des établissements financiers contre la syndicalisation. Rejetant la frontière fictive de leurs succursales imposée par le système bancaire, les employées ont refusé l'isolement, se sont regroupées et c'est ainsi qu'elles ont gagné. Des syndicats du secteur de l'agro-alimentaire négocient aujourd'hui en regroupant leurs énergies régionales. D'autres syndicats obtiennent des accréditations, unité par unité, succursale par succursale, commerce par commerce, institution par institution, en bâtissant sans relâche leur mobilisation à partir des volontés individuelles aussi bien que collectives des travailleuses et travailleurs concernés. Actuellement au Québec, 87 % des entreprises, d'ailleurs massivement concentrées dans le secteur tertiaire, comptent moins de 50 employés. Plus de 650 de nos syndicats comptent 50 membres ou moins. L'éclatement observé des lieux de production et la diminution constante, depuis 1966, de la taille des syndicats par suite de l'évolution de l'organisation des modes de production, forcent le mouvement syndical à s'inspirer des actions élargies des syndicats. Mieux que toute théorie, les travailleuses et travailleurs de Direct Film ou des Ambulances démontrent la capacité du mouvement syndical à ajuster radicalement son rapport de forces aux obstacles posés par les patrons d'aujourd'hui. Leurs efforts, toutefois, demandent à être soutenus. La taille des syndicats, le revenu des membres, la multiplication du nombre des négociations locales rendent, du même coup, de plus en plus difficiles l'organisation et la répartition des services du mouvement. Pour que notre action syndicale soit plus efficace, il nous faut, tout en encourageant la formation de syndicats régionaux regroupant des établissements de même type, constituer des équipes régionales assurant le travail de support aux conseils centraux dans l'exercice de ces nouvelles responsabilités. Pour cela, nous devrons mieux répartir nos efforts financiers, non seulement pour pallier aux difficultés de plusieurs conseils centraux de générer les ressources suffisantes pour assumer un tel rôle et atténuer la disparité des ressources entre les fédérations, mais également pour soutenir les travailleurs et travailleuses en grève ou victimes d'un lock-out. L'action syndicale est libératrice. Pour que notre action syndicale soit plus efficace, elle doit être généreuse, démocratique et libératrice. A l'échelle internationale, les pouvoirs patronaux soutiennent un ordre économique et social qui engendre l'injustice, les inégalités, les guerres. Les budgets militaires sont en hausse. Chez nos voisins du sud, on a coupé 38 $ milliards dans les programmes sociaux pendant qu'on augmentait le budget des armes de 30 $ milliards. De nombreuses guerres régionales en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Afrique, sont entretenues par le développement accéléré du complexe militaro-industriel. Pendant ce temps, des peuples victimes de famine, des peuples exploités du Tiers-Monde, attendent notre aide et notre solidarité. Notre action syndicale doit se tendre naturellement vers eux. Il faut pouvoir apporter notre contribution pour faire en sorte que, par des interventions à long terme, ils développent leur économie et accroissent leur autosuffisance alimentaire. Il faut, du même élan, faire comprendre à nos gouvernements canadien et québécois que les dépenses militaires actuelles sont intolérables et que l'argent qu'on dépense en armes devrait être utilisé à des fins plus socialement utiles. Il faut assurer notre présence sur plusieurs fronts. L'efficacité de notre action syndicale passe aussi par la solidarité que nous pouvons manifester au plan international. L'action syndicale est politique. La CSN est un mouvement syndical. Comme organisation, elle a un fonctionnement décentralisé, en même temps que solidaire. Elle rejoint régulièrement d'autres groupes et catégories de travailleuses et de travailleurs pour ensemble interpeller les idées reçues, les pouvoirs et les intérêts dominants. Elle est reconnue pour ses positions idéologiques et politiques. L'action syndicale est politique. La CSN fait de l'action politique lorsqu'elle intervient pour des propositions budgétaires, lorsqu'elle s'engage dans le débat du libre-échange, lorsqu'elle participe à des coalitions pour maintenir l'universalité des programmes sociaux ou pour obtenir un mode de scrutin plus démocratique. Parce qu'elle a un projet social et économique, une vision politique de l'État et des partis qui le gouvernent, qu'elle imagine le mieux-être, le mieux-vivre en termes concrets qui ont pour terrain le travail, le logement, l'environnement, la santé ou la paix, la CSN mobilise aux quatre coins de la province pour plus de justice sociale. C'est d'action politique qu'il s'agit. Pour que cette action soit plus efficace, sur ce terrain comme sur les autres, il nous faut, ensemble, réfléchir aux moyens dont nous disposons et revaloriser cette action en poursuivant nos recherches, en produisant des documents sur la question, en organisant des sessions de formation, en favorisant des échanges et en identifiant des champs prioritaires d'intervention. La CSN doit participer activement à de larges coalitions populaires et syndicales afin de défendre les acquis sociaux collectifs. Elle doit encourager ses membres à exercer une vigilance critique et à s'impliquer dans divers mouvements sur le plan politique, tout en respectant scrupuleusement l'indépendance de la CSN et de ses organismes. D'abord réduire le chômage. Mais d'abord tout faire pour réduire le chômage, qui est une énorme responsabilité collective. Cela doit être un engagement précis, immédiat, une priorité d'action et de négociation. A cette fin, il nous faudra compter sur tous nos moyens disponibles, sur toutes celles et tous ceux qui sont concernés par la négociation d'une convention collective et les impliquer dans cette démarche prioritaire. Nos fédérations devront y greffer leurs expertises sectorielles, nos conseils centraux y solidariser les militantes et militants de l'ensemble du mouvement. Car pour réduire le chômage, nous sommes persuadés qu'il nous faut, d'urgence, s'attaquer à la réduction et à l'aménagement du temps de travail, sous toutes les formes qu'ils peuvent représenter, par le raccourcissement de la journée ou de la semaine de travail, par l'obtention de congés payés, de congés-éducation, de vacances additionnelles, par le développement de la pré-retraite, par la compensation du temps supplémentaire en congés etc. Nous devons gagner cette bataille parce que la démocratisation des entreprises ne sera possible que dans la mesure où les jeunes seront au travail, et où les femmes auront accès à autre chose qu'à des emplois à temps partiel, occasionnels, à statut précaire, ou aux ghettos d'emploi et à la discrimination systémique dans l'organisation du travail. Le travail est une richesse collective, à laquelle toutes et tous doivent pouvoir accéder sans contrainte. Alors qu'on a célébré cette année, à travers le monde, le centième anniversaire du premier mai, à peine 3 000 travailleuses et travailleurs bénéficient, en 1986, de la semaine de quatre jours, dans tout au plus une cinquantaine d'entreprises. L'enjeu de la réduction horaire est simple. Chaque heure sauvée permet à des effectifs additionnels de combler les périodes démunies de main-d'oeuvre. Les travailleuses et travailleurs qui trouvent un emploi augmentent leur pouvoir d'achat, haussent leur consommation de biens et de services et entraînent la roue de l'économie. Une étude de la CSN nous a démontré que l'effet cumulatif de diverses mesures de réduction du temps de travail pourrait créer quelque 319 000 emplois à temps plein au Québec. En France, en moins d'un an, une ordonnance gouvernementale réduisant d'une heure la semaine de travail, a permis la création de plus de 70 000 emplois. Il est également essentiel, dans cette approche, que le Québec se dote d'une stratégie industrielle élaborée en fonction de cet objectif de plein emploi pour toutes les régions du Québec. Les symptômes de désindustrialisation de l'économie québécoise rendent, en effet, encore moins accessible l'objectif du plein emploi, tout en accroissant la dépendance économique. Parce que le chômage demeure la première préoccupation des travailleuses et des travailleurs, de leurs organisations populaires et syndicales, il nous faudra être reconnus comme des partenaires privilégiés dans les mécanismes de planification économique. Nous orienterons d'ailleurs une partie de nos efforts à mettre sur pied un comité de travail destiné à élaborer et à proposer à la population du Québec des éléments d'une politique de stratégie industrielle à partir des objectifs de développement économique, de bien-être, de qualité de vie et de plein emploi. La réduction et un aménagement général du temps de travail auraient des effets immédiats importants sur la création d'emplois, sur la libération du temps d'emploi, sur la diminution du travail précaire et permettraient aux travailleuses et travailleurs de s'approprier le sens de leur travail en même temps que le temps de vivre. S'approprier le sens du travail. Le travail perd tout son sens s'il devient sous-jacent à la machine si, au lieu de nous épanouir, il devient source de servitude et de désespoir. Lorsque les entreprises réorganisent leur production, les gestionnaires s'organisent pour que nous perdions du même coup le sens et la finalité de notre travail. Pour nombre de salariés, le droit de se maintenir en emploi est lié, malheureusement, lors de l'introduction dans les milieux de travail de nouvelles techniques ou de nouveaux procédés, à leur impossibilité de se former, de se recycler ou de se perfectionner. Il nous faut obtenir ce droit réel à la formation afin de conserver le sens de notre travail, afin d'en comprendre sa finalité. Nous sommes toutes et tous fiers d'un travail bien fait. Le sens de vivre, le sens profond de l'existence est relié à cet acte merveilleux de faire, de créer, de produire des biens et des services utiles à la société. Quand la travailleuse de garderie s'occupe d'un enfant, quand le menuisier-charpentier bâtit une maison, quand l'infirmier soigne un malade, quand l'enseignante donne aux jeunes ses connaissances, quand le travailleur d'un centre d'accueil nourrit un vieillard, quand la travailleuse d'hôtellerie accueille les visiteurs, quand la chauffeure d'autobus conduit les enfants à l'école, quand l'opérateur de machinerie lourde construit un barrage, quand tous ceux-là, toutes celles-là mettent le coeur à l'ouvrage, notre société, notre projet de société se définit et se compose. C'est là que se trouve le progrès. Des propositions pour gagner du terrain. Même si on constate que les forces dominantes de notre société ont été à l'offensive et, sur certains fronts, le sont encore, nous sommes persuadés que le mouvement syndical, par ses convictions, par sa persistance et par sa rigueur peut réunir aujourd'hui toutes les conditions nécessaires pour gagner du terrain. Nous connaissons nos adversaires. A toutes les époques, ils ont attaqué, voulant freiner nos revendications, voulant briser nos résistances. Ils ont profité de la crise économique pour refaire leur arsenal de méthodes arbitraires et de tactiques répressives. Avec des gouvernements en place, complices de leurs stratégies, ils ont cru un temps pouvoir nous diviser, nous neutraliser. Nous avons appris à mieux connaître ce dont ils sont capables. La CSN, avec son organisation qui pénètre tous les secteurs, qui couvre l'ensemble de l'activité économique et sociale du territoire, avec le nombre de ses syndicats et des militantes et militants qui les composent, avec ses moyens financiers, avec ses ressources techniques, son équipe de salariés, d'officières et d'officiers et sa longue tradition de solidarité avec les organisations progressistes du Québec, a été capable de résister à leurs attaques soutenues et de maintenir, en dépit de la conjoncture difficile, le dynamisme essentiel à la conquête des droits collectifs. Gagner du terrain veut dire gagner des batailles, et nous en sommes capables. Gagner du terrain veut dire s'organiser pour les gagner et nous en avons les moyens. Gagner du terrain veut dire se mettre ensemble à la tâche et nous en avons la force. Gagner du terrain, c'est offrir au plus grand nombre d'entre nous l'accès au savoir syndical et se battre pour s'assurer, dans les milieux de travail, un droit réel à la formation et au perfectionnement. Gagner du terrain, c'est, en priorité, aménager et diminuer le temps de travail afin de libérer le temps d'emploi et de réduire le chômage. Gagner du terrain, c'est s'ouvrir des perspectives, se donner des stratégies industrielles de développement économique qui feront échec au libre-échange, à la privatisation. Gagner du terrain, c'est organiser de nouveaux syndicats et se mobiliser pour obtenir l'adoption des principales recommandations du rapport Beaudry. Gagner du terrain, c'est consolider, élargir les acquis sociaux et les outils collectifs, c'est protéger et assurer le développement du français, notre langue de travail. Gagner du terrain, c'est valoriser notre action politique autonome et non partisane, c'est exercer une vigilance critique et remplir un rôle spécifique quant à la transformation sociale, économique et politique de la société. Gagner du terrain, c'est faire de la place aux jeunes, favoriser l'intégration des nouveaux membres à la vie syndicale et faire en sorte qu'ils et elles bénéficient des mêmes droits et avantages que celles et ceux qui détiennent des emplois réguliers. Gagner du terrain, c'est initier, élaborer et proposer des mesures, telles que des programmes d'accès à l'égalité, afin d'éliminer les obstacles qui défavorisent les femmes; c'est reconnaître la valeur socio-économique du travail au foyer; c'est poursuivre la lutte pour l'élargissement des droits parentaux et pour un réseau universel et gratuit de garderies contrôlé par les usagers et les travailleurs. Gagner du terrain, c'est réaffirmer que les employeurs ont la responsabilité d'assurer des milieux de travail sains et sécuritaires pour l'élimination du danger à la source, et la responsabilité d'assumer pleinement les coûts reliés aux maladies et accidents du travail. Gagner du terrain, c'est enfin exprimer nos préoccupations relatives à la paix, au désarmement; c'est élargir nos solidarités naturelles avec le Tiers-Monde. «Du fond des temps, disions-nous au dernier congrès spécial, c'est cette aspiration à mieux-vivre, à développer nos capacités, à trouver davantage de plaisir et de contentement qui a poussé les femmes et les hommes à lutter farouchement pour transformer leurs conditions d'existence.» Gagner du terrain, aujourd'hui, ce n'est pas seulement gagner pour nous, mais pour toutes celles et tous ceux qui, dans notre société, nous ont confié leurs espoirs de changements, de liberté.