*{ Discours néo-libéral CSN, 1988 } Pour un avenir à notre façon! Rapport du Comité exécutif, notes et propositions. Introduction. Il y a du mouvement dans ce thème qui doit guider les travaux de notre congrès. Il y a de l'espérance aussi, car nous partageons la conviction que l'avenir pourra être meilleur si nous travaillons à le bâtir, à le changer, à le façonner. A notre manière; à notre façon. Il y a encore, et surtout, notre capacité en même temps que notre responsabilité d'agir dans les entreprises, dans les établissements et les institutions, dans tous les secteurs d'activité, pour infléchir les politiques dans le sens des intérêts du plus grand nombre, pour que toutes et tous se réalisent pleinement dans un emploi utile, de qualité, bien rémunéré. Depuis ses origines, la raison d'être et l'objectif principal du mouvement syndical a consisté à faire progresser les droits des travailleuses et des travailleurs. Cet engagement s'est constamment traduit par un parti pris affiché du côté de la défense et de la promotion large des droits et des libertés: pour la justice contre les discriminations, pour l'équité contre les favoritismes, pour l'ouverture contre les égoïsmes. A toutes les époques, cela s'est traduit par des luttes concrètes, quotidiennes, difficiles et exigeantes. Cette responsabilité historique a été assumée par le mouvement syndical. Elle continue de l'être et nous en sommes. Les lois sont souvent venues traduire les gains réalisés par l'action collective conjuguée à l'effort des groupes, dans des luttes déterminées. C'est ainsi que dans un échange complexe à l'intérieur des mouvements sociaux, les gains arrachés par les uns finissent par profiter à l'ensemble. Le fondement même de toute action collective est là. Faut-il rappeler, cependant, que les acquis des lois ne sont que le reflet des rapports de forces qui dominent les sociétés, à un moment donné? D'où leur constante fragilité. Rien n'est assuré à tout jamais pour les travailleuses et les travailleurs quant à leurs droits fondamentaux. Ces droits acquis ont d'abord, à l'origine, dû être conquis. Ils représentent le résultat de luttes historiques, héroïques: pour la reconnaissance même du droit d'association, pour le droit de négocier librement la valeur du travail, pour le droit de recourir à la grève, pour ramener le temps de travail à des proportions plus décentes, pour l'assainissement progressif des milieux de travail. Fragiles, ces droits? La Cour suprême du Canada vient de confirmer l'absence de garantie constitutionnelle quant au droit à la négociation et à la grève. Les lois spéciales, les décrets continuent d'être utilisés par les gouvernements qui se succèdent pour limiter toujours davantage l'espace de liberté consenti aux travailleuses, aux travailleurs, à leurs organisations. La vigilance doit être constante, la solidarité indéfectible. C'est par l'action syndicale et son principal outil, la convention collective, que le pouvoir des travailleuses et des travailleurs peut s'implanter, s'élargir. Peut infléchir, finalement, les choix qui nous touchent quotidiennement, au coeur de nos vies. L'action syndicale doit être libre: la liberté syndicale,notre liberté d'action, inquiète les pouvoirs. C'est normal. Sans cette liberté, qu'ils cherchent constamment à restreindre, les attaques auraient encore plus de possibilités de réussite, les reculs qu'on veut toujours nous imposer, plus de risques de passer. Nos syndicats, nos organismes affiliés, l'ensemble du mouvement doivent s'emparer des propositions contenues dans le rapport du Comité exécutif pour les traduire en termes d'action à tous les niveaux de la vie syndicale. Entre les mains des militantes et militants, ces propositions peuvent devenir des outils privilégiés pour porter nos revendications. La situation, à notre avis, exige une action concrète, conséquente, concertée. Le congrès peut représenter un point de départ; nos efforts doivent y tendre. Il faut stopper l'appauvrissement de celles et de ceux qui bâtissent ce pays, pour qu'ils bénéficient de son enrichissement. Il faut revendiquer et mobiliser pour obtenir la réduction du temps de travail dans une perspective de partage, afin de permettre à celles et ceux qu'un système injuste réduit à l'inactivité et à l'assistance de se réaliser pleinement. Les jeunes, plus particulièrement, doivent compter sur notre solidarité, pour que des investissements, des politiques fassent en sorte qu'ils puissent, par leur travail, contribuer à l'avancement de notre société. Nous réaffirmons notre conviction que le plein emploi n'est pas une utopie; il est possible, réalisable, essentiel à l'établissement d'une société juste. Il ne faut pas reculer d'un pouce dans notre rôle de représentants de la majorité sociale du pays, pour que soient garantis à la population les meilleurs services, les meilleurs produits. Il faut poursuivre avec acharnement la lutte au travail qui tue, la promotion du droit à travailler en santé, la sensibilisation à la sauvegarde de l'environnement. Femmes, jeunes, immigrantes et immigrants, moins bien nantis doivent savoir qu'ils peuvent compter sur l'action syndicale, la solidarité syndicale, la force syndicale pour changer les rapports sociaux, pour transformer le quotidien, pour entreprendre, soutenir et gagner les combats nécessaires à l'établissement d'une société où les droits et les libertés seront la règle. Nul doute que le présent Congrès saura inscrire ses orientations et ses choix dans le sens d'une longue tradition qui a toujours caractérisé la CSN. I - Pour préparer un avenir à notre façon. Dans nos entreprises ou établissements. A - Élargir nos libertés syndicales. Encore hier, c'est en tremblant que quelqu'un s'est amené discrètement à la CSN pour s'informer comment, en 1988, on forme un syndicat. La réponse, pour être réaliste, n'en est pas moins brutale. En 1988, on forme encore un syndicat dans la clandestinité et on ne parle ouvertement qu'après avoir réussi à réunir une majorité suffisante permettant de formuler une demande d'accréditation. Le faire avant, c'est s'exposer à des représailles allant jusqu'au congédiement (dont la contestation donne lieu à des délais parfois interminables), sans recours efficace pour assurer sa propre défense. Même si le droit d'association est reconnu dans les chartes québécoise et canadienne, l'exercice de ce droit se pratique encore massivement dans la clandestinité lorsqu'il s'agit d'associations syndicales. Ce n'est qu'en 1872 que les "coalitions" de travailleuses et de travailleurs ont été décriminalisées. Eh oui! jusque-là, c'était un crime de se regrouper en syndicat pour forcer un patron à négocier quelques améliorations des conditions de travail et de salaire des ouvrières et des ouvriers. Les coalitions de travailleuses et de travailleurs ont été décriminalisées parce qu'on se rendait bien compte qu'on ne pouvait pas contraindre ainsi les travailleuses et les travailleurs, et favoriser en même temps le développement industriel. En effet, les vagues successives de mobilisation et de grève bloquaient tout développement. C'est ainsi que furent reconnues les premières libertés d'action syndicale. Depuis, les libertés ont connu quelques élargissements, fruits d'une volonté, d'une détermination, de mobilisations et de demandes systématiques lors des négociations de conventions collectives. Ainsi, a-t-on vu des patrons accepter, finalement et de façon très parcimonieuse, que des officières ou officiers, ou délégués syndicaux, puissent faire des enquêtes, rencontrer des syndiqués, discuter avec des contremaîtres, être libérés pour participer à des instances, disposer d'un local, etc. Au prix de quel labeur les travailleuses et les travailleurs ont-ils réussi à faire en sorte que le droit d'association soit autre chose qu'une abstraction théorique, mais devienne un premier espace de liberté! Quand on analyse nos libertés d'action syndicale, force nous est de constater qu'au plan législatif ou réglementaire, nous en sommes encore au même point. En effet, rien n'est prévu dans le Code du travail comme obligation faite à l'employeur de libérer les salariés pour négocier et appliquer la convention collective. Aucune obligation n'est faite non plus aux employeurs de libérer des militantes et des militants pour assumer des fonctions au sein du mouvement syndical. Aucune disposition d'arbitrage public n'est gratuite pour trancher les litiges. Les seules garanties que nous ayons sont consignées dans nos conventions collectives et quand on y regarde de près, ces garanties sont extrêmement variables d'un secteur à l'autre. Aussi constatons-nous que, depuis quelques années, nous avons peu progressé dans l'élargissement des libertés d'action syndicale. Dans le secteur public, nous avons même observé une application plus restrictive des dispositions contenues dans les conventions collectives à ce chapitre. Il apparaît important de reprendre l'offensive au chapitre des libertés syndicales. Bien que nous soyons toujours en attente d'une législation qui concrétiserait le droit d'association des travailleuses et des travailleurs en termes de libertés d'action, il nous faut réinscrire en tête de liste nos objectifs de libertés d'action syndicale; de même, il nous faut négocier leur élargissement dans les conventions collectives, afin que tous les syndiqués puissent assumer leurs tâches et leurs mandats syndicaux en toute liberté et sans être pénalisés. 1 - Proposition relative aux libertés syndicales. Considérant la reconnaissance du droit d'association et la légitimité d'agir syndicalement en toute liberté; Considérant la nécessité de créer les conditions nécessaires à l'exercice de ce droit par les travailleuses et les travailleurs dans leurs entreprises ou leurs établissements; Considérant la multiplicité des démarches et des recours requis pour l'exercice du droit d'association et la nécessité du contrôle démocratique par l'enquête, l'information, la formation, la négociation, etc; Considérant que la jurisprudence actuelle tend à subordonner les droits collectifs aux droits individuels, voire à les rendre inopérants; Il est proposé: Que les syndicats CSN accentuent leurs efforts de négociation des libertés d'action syndicale: - en négociant dans leurs conventions collectives un accroissement substantiel des libérations avec solde de leurs militantes et militants, pour leurs activités d'enquêtes, de griefs, d'application de convention collective, de négociation, de réunions et de participation aux instances des fédérations, des conseils centraux et de la confédération, - en négociant une totale liberté d'expression et de circulation de l'information syndicale, - en négociant des congés avec solde pour la formation syndicale, - en négociant des libérations sans perte de droits et privilèges pour les syndiqués qui assument des responsabilités dans les fédérations, dans les conseils centraux et dans la confédération. B. Instaurer l'égalité. L'égalité des femmes. Les femmes sont toujours victimes de discrimination historique et systémique attribuable en grande partie au fait qu'il existe une contradiction entre le discours gouvernemental officiel en faveur de la reconnaissance des femmes et les conditions réelles qui leur sont faites sur le marché du travail et dans la société. Les femmes sont constamment déchirées entre leur aspiration à l'autonomie et les choix qu'elles ont à poser pour conquérir cette autonomie économique et personnelle. Avoir ou ne pas avoir d'enfants, continuer à travailler si elles en ont, trouver un service de garde qui leur permettrait de travailler la tête en paix, avoir le temps de se perfectionner ou de suivre des cours afin de décrocher un emploi plus rémunérateur, voilà des questions auxquelles sont confrontées les femmes. Il ne fait pas de doute que les femmes doivent continuer de lutter pour la reconnaissance et le respect de leurs droits. Il faut éviter de tomber dans le piège qui nous est tendu: c'est-à-dire parce qu'un certain nombre de droits sont maintenant acquis, il nous faudrait être raisonnables et considérer que notre tour est passé. Si l'on ne remet plus en question le travail des femmes à l'extérieur du foyer, il faut se demander: quel travail font-elles et dans quelles conditions? La structure du travail est à modifier afin que les femmes s'y sentent à l'aise. Il faut que le travail des femmes soit reconnu à sa juste valeur, que les secteurs d'emploi soient décloisonnés et qu'elles puissent vraiment assumer leurs responsabilités parentales tout en étant actives sur le marché du travail. Une première manche est gagnée mais les enjeux de la lutte à poursuivre sont énormes. Parce que les femmes le savent, elles n'ont plus peur de parler des coûts de l'égalité. Après avoir élaboré des revendications dans le domaine de la fiscalité, elles savent maintenant ce que coûte l'implantation d'un réseau de services de garde. D'ailleurs, une grande partie des membres de la CSN s'apprête à négocier une restructuration salariale ayant comme objectif l'abolition des discriminations salariales. Pour progresser dans ce dossier, nous devons intensifier notre implication au niveau de la négociation collective. En tant que féministes-syndicalistes, la négociation constitue pour nous un terrain privilégié. Nous nous devons d'y être présentes afin de nous approprier ce processus de négociation. Il nous faudra aussi contribuer à la consolidation du mouvement des femmes et développer de plus en plus des revendications et des stratégies de luttes communes. 2 - Propositions relatives à l'égalité des femmes. Considérant que les femmes vivent une oppression spécifique et sont encore en situation d'inégalité; Considérant que, malgré un discours officiel qui ne s'oppose plus aux droits des femmes, les politiques économiques et sociales des gouvernements vont à l'encontre de ceux-ci; Considérant que la négociation collective est un terrain privilégié pour que progressent les droits des femmes au travail; Considérant que l'égalité entre les femmes et les hommes implique des choix politiques et économiques; Il est proposé: Que la CSN dénonce toute politique gouvernementale visant à faire reculer la recherche d'égalité pour les femmes et entreprenne des actions pour la contrer. Que la CSN, dans la priorité qu'elle accorde aux revendications en appui à la lutte des femmes, porte une attention particulière aux propositions concernant la réforme de la fiscalité, le régime d'aide sociale et la politique familiale. Les programmes d'accès à l'égalité. L'égalité pour les femmes sur le marché du travail ne peut s'obtenir sans l'implantation des programmes d'accès à l'égalité et la réévaluation du travail féminin. Comme nous l'avons constaté, la discrimination dont les femmes sont victimes persiste et se manifeste par le nombre d'emplois auxquels elles ont réellement accès: 60 % des femmes en emploi sont concentrées dans 20 professions sur 500 occupations recensées au Canada. La plupart des femmes se retrouvent en général dans le secrétariat, le travail de bureau, la vente et les services. Pour les travailleuses, cette situation est la source de nombreux désavantages; en premier lieu, celui de gagner un salaire inférieur à celui des hommes. En moyenne, au Canada, les femmes qui travaillent à temps plein gagnent 59 cents pour chaque dollar gagné par les hommes. Les femmes et les hommes n'occupent pas les mêmes emplois, et parce que le travail féminin est sous-évalué, nous trouvons là l'explication à cet écart de salaire. La discrimination subie par les femmes les affecte à d'autres niveaux: elles sont beaucoup plus susceptibles que les hommes de se retrouver dans des emplois à temps partiel, temporaires et à la pige avec des conditions de travail moins intéressantes. La stratégie syndicale: négocier des programmes d'accès à l'égalité. Nous croyons qu'il faut donner aux travailleuses, discriminées en tant que groupe, les moyens de rattraper les travailleurs au chapitre de l'accès à l'emploi et des conditions de travail. Les programmes d'accès à l'égalité sont un moyen d'y arriver; pour être efficaces, ces derniers doivent comprendre un ensemble de mesures, telles des mesures d'égalité, de redressement et de soutien. Les mesures d'égalité visent à favoriser une égalité des chances pour toutes et tous, à éliminer la discrimination directe et à neutraliser des pratiques de gestion du personnel. En voici quelques exemples: une clause interdisant la discrimination; une politique établissant que, pour un travail de valeur équivalente, les salaires sont égaux; la réorganisation des opérations et des postes de travail, etc. Parce que les mesures d'égalité ne réussissent pas à elles seules à corriger la discrimination systémique, les mesures de redressement proposent de remédier à la discrimination antérieure qui a exclu les femmes de certains emplois. Elles visent donc à accorder de manière préférentielle certains bénéfices. Ces mesures sont temporaires et ne demeurent que pour la durée du programme d'accès à l'égalité, jusqu'à ce que nos objectifs de représentativité des femmes soient atteints. Parce qu'elles ont systématiquement été écartées pendant des décennies d'un grand nombre d'emplois, il faut admettre la notion de rattrapage nécessaire afin que les femmes soient représentées dans tous les secteurs d'emploi. Par exemple, dans un établissement où les femmes sont sous-représentées, il s'agirait de favoriser l'embauche de femmes jusqu'à ce que les objectifs numériques visés soient atteints. Si elles sont présentes dans une entreprise ou établissement mais n'ont pas accès à tous les niveaux d'emploi, les femmes pourraient bénéficier d'un programme spécial de formation leur permettant d'y avoir accès. Dans certains milieux de travail, il pourrait s'avérer nécessaire de revoir les mécanismes d'application de l'ancienneté, si parfois ceux-ci limitaient les chances de promotion d'un groupe vis-à-vis d'un autre. Les mesures de soutien viennent appuyer les autres mesures comprises dans un programme d'accès à l'égalité. Elles faciliteront l'arrivée des femmes dans un milieu de travail et leur permettront de se maintenir en emploi (exemple: garderie en milieu de travail). Puisqu'un programme d'accès à l'égalité peut non seulement permettre aux femmes et à d'autres groupes d'avoir accès au travail, mais peut aussi nous donner des moyens pour améliorer l'organisation du travail et les conditions de travail dans un établissement, il est fondamental que les travailleuses et les travailleurs participent à toutes les étapes de la mise sur pied de ces programmes. L'expérience acquise depuis deux ans nous indique que les employeurs sont extrêmement réticents à négocier le contenu d'un programme d'accès à l'égalité. Dans des entreprises privées ayant obtenu un contrat du gouvernement fédéral ou ayant accepté une subvention du Secrétariat à la condition féminine du Québec pour le développement des programmes volontaires, certains syndicats font de grands efforts pour forcer l'employeur à les consulter au cours des étapes préparatoires et à négocier les différentes mesures du programme. Les employeurs ont un double discours: ils se disent en faveur de l'égalité des femmes en emploi mais refusent que les premières intéressées soient impliquées dans le choix des mesures d'un programme d'accès à l'égalité. Nous devons redoubler d'effort pour être consultées lors de la négociation des programmes d'accès à l'égalité qui ne peuvent être considérés différemment des autres questions syndicales. Nous ne pouvons négliger tout le travail de sensibilisation que nous aurons à entreprendre auprès des membres. Leur volonté d'avoir un milieu de travail exempt de discrimination est essentielle à la réussite d'un programme. Comme il nous appartient, en tant que syndicats, de prendre l'initiative afin que les choses changent, nous devons prendre tous les moyens pour que les programmes d'accès à l'égalité atteignent leurs objectifs. 3 - Propositions relatives programmes d'accès à l'égalité. Considérant que les femmes se retrouvent encore dans des ghettos d'emplois ou des métiers dits "féminins"; Considérant que la lutte pour l'égalité des femmes est une responsabilité collective et que nous devons prendre l'initiative en ce domaine; Considérant que les programmes d'accès à l'égalité constituent un des moyens privilégiés pour contrer la discrimination dont sont victimes les femmes et d'autres groupes-cibles sur le marché du travail; Considérant que, suite à une analyse de la discrimination, les programmes d'accès à l'égalité permettent l'instauration de mesures globales (sélection, embauche, mouvement de main-d'oeuvre, formation, recyclage, etc), afin d'éliminer tous les obstacles empêchant les femmes et d'autres groupes-cibles d'avoir accès à tous les emplois; Il est proposé: Que les syndicats mettent sur pied des comités "Accès à l'égalité" relevant de leur exécutif, afin d'élaborer des programmes sur une base syndicale. Que les femmes ou d'autres groupes-cibles soient représentés au sein de ces comités. Que les syndicats négocient chacune des étapes de la préparation et de l'implantation, ainsi que les mécanismes de contrôle d'un programme d'accès à l'égalité. Considérant que la négociation d'un programme d'accès à l'égalité est un dossier relativement complexe, parce qu'il touche à tous les aspects de l'organisation du travail et qu'il s'adresse aux femmes, aux personnes handicapées, aux autochtones, aux communautés culturelles et aux minorités visibles; Il est proposé: Que la CSN intensifie et diversifie les activités de formation concernant les programmes d'accès à l'égalité. Que la CSN assume, par le biais du CCGN, la coordination de ce dossier, afin d'en mesurer le degré d'avancement. Que la CSN prépare un guide complet de négociation des programmes d'accès à l'égalité. L'équité salariale. Si les femmes se dirigent encore vers un nombre limité d'emplois moins bien rémunérés, elles le font pour plusieurs raisons. Les femmes ont besoin de travailler mais leur formation ne leur permet pas toujours d'accéder à des emplois mieux payés. Les barrières à l'embauche et à la promotion les empêchent d'avoir accès à des emplois différents et mieux rémunérés. De fait, les stéréotypes, déterminant le rôle des femmes et des hommes dans la société, ont comme conséquence que les femmes ont accès à une moins grande diversité d'emplois. Ceux-ci comportent souvent le même genre de tâches qu'elles effectuent à la maison: ménage, soins des enfants et des malades, cuisine, couture, etc. Ces travaux n'étant pas socialement reconnus, et non rémunérés, ces types d'emplois sur le marché du travail sont demeurés mal payés. Le travail des femmes est sous-évalué. De façon générale, le fait que les femmes et les hommes ne se retrouvent pas dans les mêmes emplois, permet de renforcer l'idée que leur travail ne peut être comparé et donc, ne peut être évalué ni payé de la même façon. Que l'on pense ici à la différence entre les emplois de bureau et ceux de la production. Certaines caractéristiques du travail des femmes sont presque complètement ignorées, et plusieurs préjugés existent à l'effet que ce travail est plus facile, qu'il se fait dans de meilleures conditions, etc. Nous avons toutes et tous entendu: "Etre assise et répondre au téléphone sont des fonctions qui ne demandent pas tant d'effort" ou "Dactylographier des textes écrits par d'autres n'exige pas beaucoup d'initiative"... Pourtant, les emplois occupés par les femmes exigent d'elles des habiletés peu reconnues, sans parler des mauvaises conditions de travail liées à leurs emplois. Voici quelques caractéristiques de leur travail qui sont presque totalement oubliées: - la dextérité manuelle (emplois de bureau, inspection et emballage dans la production, etc); - les interruptions fréquentes et la simultanéité des tâches ( exemple: secrétaires, réceptionnistes, etc); - les conditions de travail (manque d'espace, bruit, produits toxiques, saleté, etc); - les tâches de relations humaines (contacts avec le public, soin des malades, travail avec les enfants, etc); - le sens des responsabilités, l'initiative (exemple: secrétaires). Nous ne remettons pas en cause le salaire gagné par les hommes, nous voulons plutôt évaluer quel serait le salaire des femmes en l'absence de discrimination. Il s'agit ici de mettre en pratique la notion "A travail équivalent, salaire égal", telle que définie dans la Charte des droits et libertés de la personne: "Tout employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit". Cette notion nous permet de comparer des emplois différents; elle nous oblige aussi à modifier nos jugements de valeur et notre façon d'évaluer le travail féminin. La législation interdisant la discrimination a encore un rôle important à jouer. Jusqu'à maintenant, elle n'a réussi qu'à corriger les écarts salariaux entre des emplois identiques. Nous avons un rôle et une responsabilité dans le dossier de l'équité salariale. Cette démarche exige que nous remettions en cause la "hiérarchie" des salaires et plusieurs préjugés qui ont été intégrés aux conventions collectives. En ce domaine, comme dans d'autres, nous devrons prendre l'initiative, car nous ne pouvons compter sur les employeurs. S'ils avaient respecté les lois en vigueur, cette notion d'un salaire égal pour un travail de valeur équivalente ferait maintenant partie des moeurs. 4 - Propositions relatives à l'équité salariale. Considérant que le confinement des femmes dans les ghettos d'emploi a comme conséquences pour elles des salaires inférieurs et des emplois dont la valeur n'est pas reconnue; Considérant que l'écart de salaire entre les femmes et les hommes est une manifestation importante de la discrimination systémique; Considérant qu'une plus grande égalité des femmes sur le marché du travail implique tout autant l'instauration des programmes d'accès à l'égalité que la réévaluation du travail féminin; Considérant que la discrimination salariale fondée sur le sexe est illégale, et qu'un employeur doit verser un salaire égal pour un travail de valeur équivalente; Considérant que l'équité salariale est une composante des conditions de travail, et que la négociation collective est la meilleure garantie pour arriver à des solutions adaptées et acceptées par toutes et tous; Considérant que les syndicats du secteur public et parapublic entreprennent des négociations sur la restructuration salariale avec, comme objectif, la correction des discriminations salariales faites aux femmes; Il est proposé: Que la CSN organise une campagne de sensibilisation dans tous les autres secteurs sur la question de l'équité salariale. Que les syndicats exigent des employeurs toutes les informations concernant leur structure salariale et le système de classification des emplois, s'il existe. Que les syndicats définissent l'abolition des discriminations salariales comme un des objectifs à atteindre dans le cadre de la négociation. Considérant que la loi canadienne sur les droits de la personne et la Charte des droits et libertés de la personne du Québec interdisant la discrimination salariale ont jusqu'à maintenant peu fait pour régler ce problème; Considérant que ces lois exigent une démarche trop exigeante en ce sens que ce sont les personnes qui se croient lésées qui doivent déposer une plainte aux organismes concernés et faire la preuve qu'elles sont discriminées; Il est proposé: Que la CSN revendique une loi de type pro-active, c'est-à-dire qui oblige les employeurs à prouver qu'ils appliquent le principe de l'équité salariale dans un cadre défini par la loi et à défaut de pouvoir le faire, qu'ils soient forcés de corriger les salaires. La place des femmes à la CSN. Depuis plusieurs années, le Comité de la condition féminine de la CSN a porté un grand intérêt aux conditions de vie des militantes du mouvement. Au Congrès de 1982, le Comité amorçait le débat sur la place des femmes à la CSN, en faisant l'analyse des obstacles à la représentation des femmes aux diverses instances décisionnelles. Une enquête venait confirmer la sous-représentation des femmes qui allait en s'accentuant aux niveaux plus exigeants et plus élevés. Cette enquête démontrait également que les femmes présentes aux instances n'étaient pas représentatives de l'ensemble des syndiquées. Plus jeunes, elles étaient généralement célibataires et gagnaient un salaire supérieur. Divers motifs expliquaient cette sous-représentativité des femmes à divers niveaux de la centrale. La responsabilité du soin des enfants et du travail domestique, assumée par les femmes en grande partie, les empêchait de participer activement à la vie syndicale. Outre celle des enfants, la présence d'un conjoint semblait aussi constituer un empêchement à la militance. Nombreuses étaient les militantes dont le conjoint se serait réjoui de les voir abandonner leurs activités syndicales. Depuis 1982, de nombreuses recommandations ont été adoptées visant à favoriser la participation accrue des femmes aux divers niveaux de la centrale: - paiement et indexation des frais de garde; - choix des heures et des lieux de réunion en tenant compte des responsabilités familiales; - développement d'outils et de programmes de formation s'adressant aux femmes; - décentralisation des tâches militantes afin d'éviter le cumul des mandats et fonctions syndicales. Où en sommes-nous aujourd'hui? Au Congrès de la CSN et dans d'autres instances du mouvement, des débats ont eu lieu sur ces questions. Depuis, certaines mesures ont effectivement été mises en place. Les frais de garde sont remboursés par tous les organismes de la centrale, et certains efforts ont été consentis au niveau des programmes de formation afin qu'ils reflètent davantage la réalité des femmes. Par ailleurs, à d'autres niveaux, les progrès sont difficilement mesurables. A la CSN, le nombre de femmes ne cesse d'augmenter; elles représentent aujourd'hui la moitié des membres. Pourtant, elles sont encore sous-représentées dans les différentes instances de la centrale. Les obstacles à la participation des femmes sont-ils toujours les mêmes? Nous croyons que oui, mais nous devons nous donner les moyens d'aller mesurer ces obstacles. Nous connaissons de plus en plus ce qu'est la discrimination systémique. En conséquence, nous devons appliquer les solutions pour la corriger également à l'intérieur de la CSN. 5 - Proposition relative à la place des femmes à la CSN. Considérant que le nombre de femmes, membres de la CSN, ne cesse d'augmenter; Considérant qu'il faut assurer les conditions d'une réelle accessibilité des femmes à tous les niveaux des structures du mouvement; Considérant que, depuis 1982, un débat sur la place des femmes à la CSN s'est amorcé; Considérant que, bien que des progrès aient été enregistrés, beaucoup reste à faire pour rendre réellement accessibles aux femmes les instances du mouvement; Il est proposé: Que la CSN mette sur pied un groupe de travail, composé majoritairement de femmes provenant de la CSN, des fédérations, des conseils centraux et du Comité de condition féminine, ayant pour mandat: - de faire l'analyse de la participation des femmes et des hommes aux diverses instances; - sur la base d'une enquête, de préciser et d'analyser les obstacles pouvant freiner la participation des femmes (exemple: responsabilités familiales, manque de formation syndicale, organisation du travail militant, etc); - de proposer des mesures concrètes visant à éliminer les obstacles identifiés et à permettre une complète accessibilité des femmes à tous les niveaux de la centrale; - à partir de ces conclusions, d'initier un débat dans les différents organismes de la CSN; - de préparer, à l'intention des syndicats, un guide d'application des mesures choisies. Le groupe de travail fera rapport au Conseil confédéral dans les dix-huit mois suivant le Congrès. Le harcèlement sexuel en milieu de travail. Le harcèlement sexuel fait encore partie de la vie quotidienne d'un grand nombre de travailleuses. Certains sondages récents viennent confirmer que ce phénomène est très répandu et que les femmes en sont particulièrement victimes au travail. 90 % des Québécoises et des Québécois qualifient d'important le problème du harcèlement sexuel. 23 % des femmes interviewées ont déjà été victimes de harcèlement sexuel et 39 % des victimes ont été harcelées sur les lieux de travail. Depuis 1985, le nombre de plaintes augmente constamment et les enquêtes sur le harcèlement sexuel en milieu de travail dominent nettement. Dans nos rapports avec les syndicats, nous sommes en mesure de juger que le nombre de cas de harcèlement sexuel est assez important, même si nous savons que, très souvent, le phénomène est gardé secret. Peu de cas de harcèlement sexuel d'une femme à l'égard d'un homme sont signalés et le nombre est très minime. La responsabilité de l'employeur. La loi canadienne sur les droits de la personne déclare que les employeurs relevant de son autorité sont présumés avoir posé eux-mêmes les actes fautifs commis par leurs dirigeants ou autres employés en matière de harcèlement sexuel au travail. Dans l'affaire Bonnie Robichaud, qui a eu le courage de mener le combat jusqu'en Cour suprême, l'employeur - qui était alors le ministère de la Défense - a été tenu responsable des actes discriminatoires accomplis par ses employés dans le cadre de leur emploi. Selon la Charte québécoise, l'employeur est aussi responsable d'assurer dans son entreprise ou établissement "un climat convenable" et des conditions de travail saines empêchant de donner prise au harcèlement. La responsabilité de l'employeur en ce domaine est claire et nous devrons prendre les moyens pour le forcer à l'assumer. Notre travail syndical. Depuis quelques années, un travail d'information, de sensibilisation et de formation a été effectué sur la question du harcèlement sexuel en milieu de travail: des documents ont été produits à cet effet et quelques centaines de femmes ont suivi la session de formation. Certains syndicats ont tenté de négocier des clauses concernant le harcèlement sexuel et d'autres ont eu à débattre avec les employeurs des politiques contre le harcèlement sexuel. Dans le secteur des affaires sociales, un débat s'est engagé sur la question des abus sexuels contre des bénéficiaires. Chez les enseignantes et enseignants de CÉGEP, une politique contre le harcèlement sexuel devant être instaurée dans chaque collège a été adoptée par les instances de la Fédération. Rappelons-nous le débat que nous avons eu sur cette question au CCNSP lors de la préparation des projets de convention collective en 1986. Les fédérations du secteur public n'ont pu s'entendre sur un mécanisme reconnaissant leur responsabilité dans le règlement des plaintes. Ce qui signifie que même si nous sommes prêts à reconnaître la responsabilité des employeurs en ce domaine, nous sommes plus réticents à admettre que souvent ce sont nos propres membres qui harcèlent, et que nous devons aussi prendre des mesures pour faire cesser ces pratiques. Par rapport au début des années 1980, nous avons évolué sur cette question mais nous devons poursuivre notre travail de sensibilisation pour que les femmes bénéficient de l'appui de leur syndicat. Il faudra nous doter de moyens bien concrets. A cet effet, le Comité a préparé un document intitulé: "Pour un milieu de travail exempt de harcèlement sexuel", contenant les divers éléments à considérer lors de la négociation de clauses et/ou d'une politique contre le harcèlement sexuel. 6 - Proposition relative au harcèlement sexuel en milieu de travail. Considérant que le harcèlement sexuel fait encore partie de la vie quotidienne d'un grand nombre de travailleuses; Considérant que plusieurs syndicats et organismes de la CSN ont amorcé un travail concret afin de contrer le harcèlement sexuel en milieu de travail; Considérant que l'employeur doit assurer dans son établissement un climat convenable et des conditions justes pour toutes et tous, et que de ce fait, il est responsable des actes fautifs commis par ses employés dans l'exercice de leurs fonctions; Considérant que des clauses et, ou une politique contre le harcèlement sexuel constituent une mesure de soutien intéressante dans le cadre de l'élaboration d'un programme d'accès à l'égalité; Il est proposé: Que les syndicats négocient des clauses et/ou une politique contre le harcèlement sexuel, reconnaissant la responsabilité de l'employeur en cette matière, et prévoyant des mécanismes de réception et de règlement des plaintes. Les garderies. Le développement du réseau des services de garde demeure une condition essentielle afin que les femmes et les hommes puissent assumer leurs responsabilités parentales tout en travaillant à l'extérieur. De plus, l'augmentation de la participation des femmes au marché du travail nous oblige à considérer le développement de ces services comme un besoin urgent. Pourtant, force nous est de constater le sous-développement du réseau des services de garde au Québec. Aujourd'hui, les parents d'environ 85 % des enfants d'âge préscolaire (0 à 6 ans), doivent recourir à des services de garde non reconnus, non réglementés et dont la qualité ne peut être vérifiée et garantie. Il en va de même pour environ 90 % des parents d'enfants d'âge scolaire (6 à 12 ans). Sans compter que les parents qui ont accès à des services de garde reconnus doivent payer des frais de garde de plus en plus élevés. Pour les enfants d'âge scolaire, ces frais atteignent une moyenne de 8 $ par jour par enfant et pour les enfants d'âge préscolaire, 15 $ par jour par enfant, pouvant représenter le coût d'un deuxième loyer. Il faut augmenter graduellement le nombre de places en services de garde reconnus car ce qui existe ne répond pas à tous les besoins. Il faut également que les frais de garde assumés par les parents diminuent car ils sont déjà trop élevés. Or, le développement et la consolidation d'un réseau de services de garde est impensable sans une participation accrue des gouvernements. Les parents, pour leur part, paient assez cher. Quant aux travailleuses et travailleurs des garderies, déjà sous-payés, ils réclament à juste titre de meilleures conditions de travail correspondant à leur compétence et à leur formation. Il est de plus en plus reconnu que des services de garde de qualité ont des effets bénéfiques sur tous les aspects du développement de l'enfant. Le contrôle des parents et la participation des travailleuses et travailleurs à la gestion des services de garde sont des conditions essentielles pour assurer la qualité de ces services. Autre facteur de qualité: ces services doivent être "sans but lucratif". En effet, un objectif basé sur les profits n'est pas compatible avec le développement d'un réseau de services de garde gratuit et accessible à toutes et à tous. C'est aussi le cas des services de santé et d'éducation où l'on ne pourrait prétendre à leur accessibilité, leur gratuité et leur qualité tout en réalisant des profits. Les récentes positions gouvernementales. En décembre 1987, le gouvernement fédéral présentait sa politique sur la garde des enfants. Cette stratégie nationale sur la garde des enfants n'a pas tenu compte des avis exprimés par la population canadienne lors des audiences publiques, tenues du mois de mars au mois de juin 1986. En effet, une forte majorité des groupes qui y sont intervenus privilégiait le "financement direct des services de garde" plutôt que l'aide financière aux parents, par le biais de déductions fiscales et d'un crédit d'impôt remboursable. Des 5,4 milliards $ annoncés par le gouvernement fédéral, 2,3 milliards $ seront alloués aux parents par le biais de la fiscalité. On distribue donc des avantages fiscaux pour des services qui sont insuffisants et beaucoup trop coûteux. De plus, le choix du gouvernement fédéral de hausser la déduction au chapitre des frais de garde de 2 000 à 4 000 $ (pour les enfants de moins de sept ans), profitera davantage aux familles à revenus élevés. Ainsi, le gouvernement ne répond pas aux véritables problèmes qui sont ceux de l'insuffisance du nombre de places en services de garde reconnus et du sous-financement des garderies existantes. De plus, cette politique prévoit 3 milliards $ au développement de 200 000 nouvelles places et au fonctionnement des services. Le gouvernement ne peut combler que le quart des besoins et cela, seulement après les sept prochaines années d'application de sa politique. Nos positions. Depuis de nombreuses années, la CSN a revendiqué un réseau de services de garde, gratuits et accessibles, contrôlés par les usagères et usagers ainsi que par les travailleuses et travailleurs. En ce sens, nous avons appuyé des projets de garderies de quartier et quelques demandes syndicales de garderies en milieu de travail. Nous croyons d'ailleurs qu'il faut favoriser et soutenir des projets de garderies en milieu de travail. Elles sont trop peu nombreuses. Ces dernières années, ce sont davantage les employeurs qui ont pris l'initiative de les développer. Le développement d'un tel réseau doit comprendre deux volets: premièrement, augmenter de façon significative le nombre de places et deuxièmement, nous rapprocher constamment de la gratuité des services, c'est-à-dire diminuer graduellement la contribution des parents. Si nous voulons que cet objectif devienne réalité en l'an 2 000, le nombre de places en services de garde reconnus aurait dû se développer au rythme d'au moins 12 000 nouvelles places par année à compter de 1986. Avec cette politique fédérale, nous sommes très loin du compte. Nous croyons que, dans l'intérêt des droits des femmes et des parents, et aussi avec un objectif de développement d'emploi, nous devons réactiver cette lutte, en lien avec les groupes de femmes, les responsables des services de garde et les autres syndicats. 7 - Proposition relative aux garderies. Considérant que les récentes politiques gouvernementales à cet égard visent davantage l'aide financière aux parents par le biais de déductions fiscales plutôt que le financement adéquat au développement et à la consolidation du réseau des services de garde; Il est proposé: Que la CSN s'oppose à toute politique gouvernementale visant à privilégier l'aide financière aux parents au détriment d'un financement adéquat du développement et de la consolidation du réseau des services de garde, et qu'elle réclame, de façon urgente, une entente fédérale-provinciale allant dans le sens de nos revendications. Les congés de maternité et les droits parentaux. Une condition essentielle facilitant l'accès des femmes au marché du travail serait qu'elles puissent bénéficier de congés de maternité payés à 100 %. Les congés parentaux, les congés de paternité et les congés pour adoption sont aussi nécessaires afin que toutes et tous puissent exercer leurs responsabilités parentales tout en travaillant à l'extérieur. Nos revendications reliées aux congés de maternité et aux droits parentaux sont connues et bien enracinées. Bien que tout n'est pas gagné et qu'il reste du travail à faire dans certains secteurs de la CSN, nous avons des acquis importants en ce domaine. Cependant, pour l'ensemble des travailleuses et des travailleurs du Québec, le congé de maternité sans perte de salaire et les droits parentaux ne sont pas reconnus. Le rapport du Comité de consultation sur la politique familiale, paru en avril 1986, qui se voulait le reflet d'une large consultation populaire, proposait que le gouvernement du Québec crée un programme entièrement québécois de congés de maternité et de remboursement du revenu en instaurant une caisse de maternité pour le financer. Le Comité recommandait aussi que la loi des normes du travail prévoie le congé de paternité et le congé parental sans solde. Dans un contexte où la population souhaite que les familles puissent bénéficier de nouvelles mesures de soutien et où le gouvernement nous annonce une politique familiale, le congé de maternité sans perte de salaire, le congé de paternité et les autres congés parentaux sont essentiels. Il est effectivement inadmissible que la majorité des Québécoises ne reçoivent que 60 % de leur revenu lorsqu'elles sont en congé de maternité. Cependant, nous nous opposons à ce que le financement additionnel nécessaire à l'octroi d'un congé de maternité soit assumé par les travailleuses et les travailleurs. Près de dix ans après l'adoption de l'ordonnance 17 (loi des normes du travail), le gouvernement n'a rien fait pour bonifier le régime des congés de maternité et n'a fait aucune modification accordant le droit au congé de paternité et aux congés parentaux. Voilà un autre exemple du discours contradictoire du gouvernement: d'un côté, il s'inquiète du taux de natalité très bas et de l'autre, il ne prend aucune mesure concrète afin de faciliter l'exercice des responsabilités parentales. Encore aujourd'hui, nous devons poursuivre notre travail de revendication sur les congés de maternité et les droits parentaux afin que le marché du travail s'ajuste aux nouvelles réalités des travailleuses et travailleurs. 8 - Proposition relative aux congés de maternité et aux congés parentaux. Considérant que le congé de maternité sans perte de salaire et les congés parentaux ne sont pas un acquis pour toutes les travailleuses et tous les travailleurs sans distinction; Considérant les positions de la CSN à l'effet que le congé de maternité soit de vingt semaines, sans perte de salaire, et que soit instituée une caisse québécoise pour le paiement de ces congés financée par tous les employeurs et administrée par l'État; Il est proposé: Que, dans la poursuite de son travail de revendication sur les congés de maternité et les droits parentaux afin que toutes et tous obtiennent ces droits, la CSN réclame que le financement additionnel nécessaire à l'octroi d'un congé de maternité de 20 semaines soit entièrement assumé par les employeurs. L'utilisation du français comme langue du travail pour les travailleuses et les travailleurs immigrants. Les questions d'immigration ont occupé beaucoup de place dans l'actualité québécoise depuis les deux dernières années. Ce sont d'abord les démographes qui ont alerté la population sur la chute de natalité et sur l'importance de contrer ce courant, entre autres en favorisant une hausse des niveaux d'immigration. Parallèlement à cette prise de conscience, l'arrivée massive de réfugiés à nos frontières a provoqué une véritable "crise" de l'administration fédérale. Alors que toutes les études nécessaires pour régler cette question de l'ouverture de nos portes aux réfugiés traînaient dans les officines gouvernementales depuis 1985, nous avons dû assister, impuissants et à notre grande honte, à la déportation des Turcs. Les Québécoises et les Québécois avaient été jusqu'ici habitués à traiter des questions linguistiques et culturelles en termes d'espace à négocier entre francophones et anglophones. Or, depuis quelque temps, une nouvelle donnée s'ajoute: le Québec, et particulièrement la région métropolitaine, deviennent multiculturels, et des groupes ethniques y revendiquent leur place. Ainsi, on assiste à l'émergence de tensions raciales et parfois inter-ethniques. On constate finalement qu'une part importante des immigrants qui s'établissent au Québec ne s'intègre pas à la majorité francophone. Le Comité d'immigration de la CSN estime que les gouvernements doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour favoriser l'intégration des nouveaux arrivants à la communauté québécoise et à la majorité francophone. Il est trop facile de jeter le blâme sur les seuls immigrantes et immigrants. En n'agissant pas maintenant, on menace la survie du français, et on perturbe la vie harmonieuse des membres des différentes ethnies. Lorsqu'ils arrivent au Québec, 80 % des immigrants ne parlent ni l'anglais ni le français. Quant aux services gouvernementaux en matière d'apprentissage du français, ils se résument à très peu de choses et leurs lacunes sont flagrantes. Le Comité d'immigration l'a d'ailleurs souligné dans le document intitulé "Politique syndicale de l'immigration", déposé au Conseil confédéral de septembre 1987. Les cours sont insuffisants, mal adaptés aux nouveaux arrivants et à leurs horaires de travail, de sorte que ce sont souvent les organisations ethniques, avec très peu de ressources financières, qui fournissent encore les meilleurs services. De plus, jusqu'à l'année dernière, alors qu'un modeste projet-pilote a été mis sur pied par le gouvernement du Québec, les femmes immigrantes à la maison n'avaient pas accès aux cours de français dans les COFI (Centre d'orientation et de formation des immigrants). En conséquence, on constatait en 1985 que 39 % des femmes immigrées ne pouvaient pas encore s'exprimer en français. Comment peut-on espérer que le français puisse devenir la langue d'usage dans la famille immigrante? Un des points sur lesquels le Comité d'immigration a beaucoup insisté est celui de favoriser par tous les moyens l'apprentissage de la langue française en milieu de travail pour les immigrantes et immigrants. Comme près de 90 % d'entre eux s'installent dans la grande région montréalaise et commencent, pour la plupart, leur apprentissage sur le marché du travail dans des petites et moyennes entreprises qui ne sont pas soumises par la Loi 101 à l'obligation d'implanter des comités de francisation, il y a peu de chances qu'ils soient en contact avec la langue française dans leur milieu de travail. De plus, ils sont souvent concentrés dans des ghettos d'emplois peu valorisés où on les rassemble sciemment ethnie par ethnie, les privant ainsi de contacts avec la communauté francophone. On oublie aussi trop souvent que plusieurs employeurs au Québec, et à Montréal en particulier, n'ont jamais instauré le français comme langue de travail et que les entreprises sont responsables en partie de la non-intégration à la communauté francophone de certains immigrants. Nos interventions collectives par rapport à l'apprentissage de la langue française doivent donc aussi s'exercer dans les milieux de travail, car la première chose que la plupart des immigrantes et immigrants doivent faire à leur arrivée au Québec est de se trouver un emploi. Le milieu de travail devient alors le pivot central de l'intégration à la communauté francophone. De plus, l'amélioration des conditions de travail des nouveaux arrivants passe par la maîtrise du français, ce qui leur permet d'acquérir une plus grande mobilité. Cette mobilité sert aussi à freiner la croissance de ces emplois sous-payés qui contribue à niveler à la baisse les conditions générales de travail au Québec. Conscient de la nécessité pour la CSN d'aider les immigrantes et immigrants à améliorer leurs conditions de travail et conscient également du fait que le gouvernement québécois doit réagir rapidement non seulement pour conserver au Québec son identité francophone mais aussi pour tenter de diminuer au maximum les réactions racistes qu'une inaction en ce domaine pourrait engendrer, le Comité d'immigration CSN a voulu apporter une première contribution pour que le français devienne la langue de travail des immigrantes et immigrants. Ainsi, le Conseil confédéral de la CSN votait-il en septembre 1987 la résolution suivante: "La CSN demande également que toutes les mesures nécessaires soient prises pour implanter des programmes d'apprentissage du français, accessibles à toutes et à tous... " et "...obliger les entreprises où se retrouvent des travailleuses et des travailleurs immigrants d'implanter des programmes subventionnés d'apprentissage du français sur les lieux et pendant les heures de travail, afin de faciliter l'apprentissage de la langue et de franciser les milieux de travail (ces mesures devraient s'appliquer aux entreprises comptant vingt employés et plus)." La réflexion n'est cependant pas terminée et c'est pour poursuivre ce travail que nous faisons la recommandation suivante. 9 - Proposition relative à la langue de travail pour les immigrantes et immigrants. Considérant que toute une série de mesures peuvent être envisagées pour favoriser l'intégration harmonieuse des immigrantes et des immigrants à la communauté francophone et ce, dans le respect de leur propre identité culturelle; Considérant que l'apprentissage du français en milieu de travail doit constituer une de ces mesures; Il est proposé: Que, dans la poursuite de sa réflexion sur toute cette question, la CSN organise un colloque dont le thème sera le suivant: "Le français langue de travail pour les immigrantes et les immigrants!" C - Infléchir les politiques de l'entreprise ou établissement et de l'État. 1 - Infléchir la politique de l'entreprise ou établissement sur la rémunération. Depuis plus de dix ans, le salaire moyen au Canada évolue moins rapidement que l'augmentation du coût de la vie. En effet, depuis 1977, le salaire moyen, tel que calculé par Statistique Canada, connaît une évolution inférieure à l'augmentation de l'indice des prix à la consommation, de sorte que l'on peut parler d'un certain appauvrissement des salariés canadiens et québécois. Les travailleuses et travailleurs syndiqués ont réussi, jusqu'au début des années 1980, à se tenir à l'abri de ce phénomène et à maintenir leur pouvoir d'achat, mais depuis 1981, ce n'est plus le cas. De 1981 à 1987, les hausses de salaire prévues dans les conventions collectives ont été inférieures à l'augmentation du coût de la vie: la perte globale du pouvoir d'achat durant cette période de six ans a été de 3,2 %. La chute du pouvoir d'achat a évidemment été beaucoup plus prononcée chez les travailleuses et travailleurs non syndiqués. Celles et ceux qui sont à la base de l'échelle salariale et travaillent au salaire minimum, ont particulièrement vu leur pouvoir d'achat dégringoler depuis dix ans. En 1978, le salaire minimum était de 3,00 $ l'heure. Pour que le salaire minimum corresponde au même pouvoir d'achat aujourd'hui, il devrait être fixé à 6,50 $. Actuellement, le salaire minimum du Québec est de 4,55 $. Cela représente une diminution du pouvoir d'achat du salaire minimum de 30 % en l'espace de dix ans. Il est à noter que la pression à la baisse n'a pas été ressentie de la même manière par ceux qui vivent des revenus d'investissements. En effet, seulement depuis les cinq dernières années, les bénéfices des sociétés canadiennes ont plus que doublé. Durant cette même période de cinq ans, le coût de la vie, tel que mesuré par l'indice des prix à la consommation, a connu une augmentation de 25 %. Un phénomène récent à signaler au chapitre de la rémunération est la tentative de certains employeurs d'introduire de nouvelles formules de flexibilité, par exemple la compression des coûts des avantages marginaux, l'extension du salaire individualisé permettant à l'employeur d'attribuer une partie du salaire selon sa propre évaluation du rendement de l'employé et la rémunération à double palier. Dans ces régimes, les nouveaux salariés sont rémunérés selon une échelle plus basse que les salariés déjà en place; l'échelle des nouveaux ne rejoint jamais celle des anciens. On peut comprendre qu'une telle pratique, en plus de constituer un geste de discrimination envers les nouveaux salariés, constitue une forme de pression à la baisse sur l'ensemble des salaires de l'établissement. Ces pratiques de rémunération semblent peu développées à ce jour, du moins chez les syndiqués. Par exemple, selon des statistiques récentes, environ 4 % des conventions collectives prévoient une rémunération à double palier. Le phénomène est particulièrement répandu dans certaines entreprises de vente au détail et la restauration. Cependant, de nombreuses autres tentatives de l'instaurer ont été signalées, le cas le plus célèbre étant celui - non réussi - de la Société canadienne des postes. Il est important, pour le mouvement syndical, de se prononcer contre le développement de la pratique de la rémunération à double ou multiples paliers. Il est important, également, pour le mouvement syndical dans son ensemble, de se préoccuper de la baisse du pouvoir d'achat des travailleuses et travailleurs, et de prévoir un mécanisme spécifique pour empêcher que ne se continue la dégradation du salaire minimum. Il est évident que l'existence d'un haut taux de chômage au cours des dernières années a contribué à cette dégradation du pouvoir d'achat, les employeurs se servant de la présence d'un grand nombre de chercheurs d'emploi pour forcer les salariés à accepter des salaires moindres. C'est pourquoi une politique de plein emploi constitue-t-elle un instrument majeur dans la lutte pour relever le niveau général de la rémunération au Québec. 10 - Propositions relatives à la rémunération. Considérant la baisse du pouvoir d'achat subie depuis le début des années '80 par l'ensemble des salariés québécois, syndiqués autant que non syndiqués; Considérant que la baisse du pouvoir d'achat a été encore plus forte chez les non syndiqués et particulièrement chez celles et ceux qui gagnent le salaire minimum; Considérant qu'en dépit de la récession économique une bonne partie des sociétés ont considérablement augmenté leur taux de profit; Considérant les tentatives de certains employeurs d'introduire des salaires à double ou multiples échelles; Considérant que la persistance d'un niveau élevé de chômage est un des principaux facteurs qui expliquent la pression à la baisse sur les salaires; Il est proposé: Que la CSN revendique une hausse du salaire minimum du Québec à 50 % du salaire moyen du Québec (cela représente 5,70 $ en janvier 1988), et qu'il soit indexé à tous les six mois pour le maintenir à cette proportion. Que la CSN invite les syndicats et les fédérations par le biais du Comité de coordination générale des négociations (CCGN) à développer des stratégies offensives sur la question de la rémunération. Que la CSN rejette sans réserve toute introduction de la pratique d'appliquer des salaires à double ou multiples échelles. 2 - Infléchir la politique de l'entreprise ou établissement et de l'État sur la santé et la sécurité du travail. La question de la santé et de la sécurité du travail restera toujours au centre des préoccupations du mouvement syndical. Que des travailleuses et travailleurs voient leur intégrité physique et mentale, et même leur vie, menacées par leurs conditions de travail, voilà qui n'est aucunement acceptable, ni pour elles et eux, ni pour le mouvement syndical. L'assainissement des conditions de travail constitue l'une des luttes continues les plus importantes de l'histoire du syndicalisme, ici comme ailleurs. Et c'est à travers cette lutte que les travailleuses et travailleurs ont appris qu'ils ne peuvent compter que sur leur unité et le rapport de forces qu'ils peuvent bâtir, pour faire progresser la question de la santé et de la sécurité du travail dans le sens de leurs intérêts. Ce sont des luttes qui ont obligé les employeurs à investir dans l'assainissement du milieu de travail; et ce sont des luttes qui ont obligé l'État à adopter des lois. Mais l'adoption des meilleures lois au monde n'a jamais été garante de justice sans la vigilance des premiers concernés. Et les lois sur la santé et la sécurité du travail ne font nullement exception à la règle. Le Québec s'est donné une loi ayant comme objectif "l'élimination des dangers à la source". Force est pourtant de constater que la noblesse d'un tel objectif est difficile à retrouver lorsqu'il s'agit de la réglementation, de l'interprétation et de l'application des dispositions de la loi. Aujourd'hui, huit ans après l'adoption de la loi sur la santé et la sécurité du travail, quelle est la situation au Québec? Une prévention qui prévient peu. Sur le plan de la prévention, le moins que l'on puisse dire, c'est que la situation laisse beaucoup à désirer: si le taux d'accidents mortels est à la baisse, comme il l'est d'ailleurs partout dans les pays industriels, le taux d'accidents occasionnant des blessures et lésions, par contre, ne cesse d'augmenter. Souvent, les programmes de prévention qu'exige la loi des employeurs ne sont que des formalités bureaucratiques sans impact réel sur le milieu de travail. Quant à l'inspection, qui est le fondement de toute politique efficace de prévention, la CSST la pratique à travers un service de dimension réduite, et souvent insuffisamment formé. Un service, d'ailleurs, qui reconnaît de moins en moins, et par voie de politiques administratives, la validité de l'exercice du droit de refus qu'accorde la loi à tout salarié appelé à travailler dans des conditions dangereuses. Et que dire du droit au retrait préventif, accordé par la loi à la travailleuse enceinte ou qui allaite! Combien de temps et d'énergie les syndicats dépensent-ils à tenter de faire reconnaître un tel droit? Et lorsque, à la suite d'une plainte ou à cause d'un exercice du droit de refus, un avis de correction est émis par un inspecteur, les travailleuses et travailleurs sont souvent confrontés aux délais interminables accordés à l'employeur par la CSST. Lorsque les délais d'exécution sont refusés, les employeurs recourent à la contestation juridique systématique, afin d'entraver tout progrès dans le domaine. Les frais occasionnés par cette "judiciarisation" à outrance ne seraient-ils pas mieux investis dans une véritable prévention, à tous égards "rentable" pour toute la société? Une politique de compensation injuste. Quant à la question de l'indemnisation des victimes des maladies et des accidents du travail, là aussi le tableau est sombre: refus de reconnaître la majorité des cas de maladies du travail; restriction de la reconnaissance des accidents; mesures de réadaptation nettement insuffisantes; ordres de retour précoce au travail, avant le rétablissement total des victimes; et la liste pourrait s'allonger davantage. La politique d'indemnisation, telle que pratiquée par la CSST, n'est pas une politique équitable. Or, c'est précisément dans la mesure où une telle politique est équitable qu'elle peut exercer une influence positive sur le développement d'une véritable politique de prévention. Pour un véritable changement. La CSN ne s'est pas contentée de faire le constat de l'ensemble de ces problèmes. Nous avons dressé un portrait global et détaillé de tous les aspects négatifs qu'implique la gestion juridique de la question de la santé et de la sécurité au travail. Et nous sommes allés plus loin en proposant des changements concrets destinés à redresser la situation dans ce domaine. Le fruit de ce travail est consigné dans le document adopté par le Conseil confédéral spécial sur la santé-sécurité, tenu le 26 février 1987. Intitulé "De minces acquis...déjà menacés", et renfermant 43 résolutions, ce document représente un outil en matière de réforme des lois québécoises régissant la santé et la sécurité au travail. Une véritable prise en charge. Le défi posé au mouvement syndical par la question de la santé et de la sécurité du travail demeure de taille. Pour relever un tel défi, le mouvement syndical ne peut compter que sur les syndicats et l'engagement solidaire de tous les membres. C'est par la prise en charge syndicale de la question au niveau local que les travailleuses et travailleurs peuvent infléchir la politique des entreprises ou établissements en matière de santé et de sécurité du travail. Et c'est dans la mesure où les syndicats s'approprieront pleinement la question que la CSN sera renforcée dans sa lutte pour faire avancer politiquement ce dossier sur le plan national. Force est pourtant de constater que la tâche n'est pas aisée. A l'heure actuelle, les syndicats ne sont pas seulement aux prises avec une judiciarisation excessive qui entrave le progrès en santé-sécurité, mais ils doivent vivre aussi avec un rythme effréné de changements dans leur milieu de travail. Loin de représenter un progrès en la matière, ces changements constituent souvent de nouveaux défis, car ils introduisent sur les lieux de travail de nouveaux dangers: nouvelles substances chimiques dont le profil toxicologique complet reste à définir; utilisation accrue des substances radioactives; nouveaux matériaux dont l'effet sur l'environnement de travail n'est pas toujours connu; nouvelles méthodes et techniques de travail imposées sans préparation ni formation appropriée des travailleuses et travailleurs. 11 - Propositions relatives à la santé-sécurité au travail. Pour une réelle prévention. Considérant l'objectif premier des syndicats de faire en sorte que des mesures soient prises pour éliminer les dangers à la source; Considérant que les syndicats rencontrent des difficultés importantes pour effectuer des enquêtes, intervenir efficacement au niveau de la prévention et assurer la défense de leurs membres, suite à un accident ou une maladie du travail, ou suite à l'exercice des droits prévus par la loi et les conventions collectives; Considérant qu'il est essentiel pour le syndicat d'avoir le droit d'arrêter un travail jugé dangereux pour protéger la santé et la sécurité de ses membres; Il est proposé: Que la priorité de négociation des conventions collectives concernant la prévention et la défense des membres porte sur une extension des droits syndicaux concernant: - le droit du syndicat d'arrêter un travail jugé dangereux, - le droit du syndicat d'enquêter seul en tout temps, le droit d'utiliser les appareils de mesure de son choix, payés par l'employeur, et le droit de faire appel aux personnes-ressources de son choix, - l'obtention d'un temps de libération suffisant des représentantes et représentants du syndicat, sans perte de salaire, pour effectuer le travail d'enquête, de prévention et de représentation de ses membres. Considérant qu'il est admis que le nombre d'inspecteurs à la CSST est insuffisant pour faire respecter la loi sur la santé et sur la sécurité du travail; Considérant qu'il est nécessaire d'améliorer le niveau de formation des inspecteurs; Considérant que les inspecteurs de la CSST ont joué beaucoup plus un rôle de conciliateur qu'un rôle de responsable de l'application de la loi; Considérant que les employeurs retardent la mise en application des correctifs exigés à cause du laxisme de la CSST qui accorde des prolongations des délais d'application des avis de correction; Il est proposé: Que la CSN exige que le nombre d'inspecteurs à la CSST soit considérablement augmenté afin de répondre aux besoins. Que la formation des inspecteurs soit améliorée. Que le rôle des inspecteurs consiste à appliquer strictement et rigoureusement la loi sur la santé et sur la sécurité du travail et ses règlements. Que la CSST refuse de prolonger des avis de correction et émette plutôt des avis d'infraction. Considérant l'augmentation continuelle du taux d'accidents et maladies attribuables aux conditions de travail et ce, malgré l'entrée en vigueur de la Loi 17 depuis une dizaine d'années; Considérant le mince bilan des programmes de prévention et le peu de satisfaction manifestée par les syndicats à l'égard de l'efficacité de ces programmes; Il est proposé: Que la CSN organise un forum de réflexion avec les délégués syndicaux provenant des secteurs dits 'prioritaires". Il aura pour objectif d'établir le bilan de l'application de la loi sur la santé et la sécurité du travail et de son efficacité à la lumière de son objectif déclaré: l'élimination des dangers à la source. Que la CSN publie dans les plus brefs délais un guide syndical sur la prévention afin d'appuyer le travail des syndicats. Considérant que la protection de la santé et de la sécurité des travailleuses et des travailleurs doit être assurée par l'élimination du danger à la source; Considérant que la réglementation concernant la sécurité des machines et des outils est souvent absente; Considérant que peu d'employeurs respectent les mesures de sécurité et les normes prescrites par règlement pour l'installation des machines et des équipements, ainsi que pour l'utilisation des produits toxiques et l'élimination de ceux qui sont formés lors des procédés de fabrication; Considérant qu'il est nécessaire de s'assurer que les employeurs ne puissent pas introduire dans le milieu de travail de nouvelles machines ou équipements qui ne respectent pas les normes de sécurité; Considérant qu'il est nécessaire de s'assurer que les employeurs n'utilisent pas de produits toxiques sans mesures sécuritaires adéquates; Considérant qu'il est nécessaire de s'assurer que toute modification à des procédés de fabrication n'entraîne pas de dangers d'exposition à de nouvelles substances toxiques; Il est proposé: Que la réglementation sur les normes sécuritaires concernant les outils, les machines et les équipements, ainsi que les substances toxiques, soit améliorée. Qu'un bureau public et indépendant de contrôle de la sécurité des machines soit mis sur pied dans les plus brefs délais. Ce bureau doit autoriser la mise en marché des machines et outils coupants, des machines et outils vibrants, des équipements ou machines et outils qui émettent du bruit ou des radiations. Que ce bureau de contrôle soit également responsable d'autoriser l'introduction de nouveaux procédés qui utilisent ou dégagent des produits toxiques, notamment des produits cancérigènes prouvés ou soupçonnés. Pour une meilleure prise en charge de la défense des victimes d'accidents et de maladies du travail. Considérant qu'il est dangereux pour une victime d'accident et de maladie du travail de retourner au travail avant d'être complètement guérie; Considérant que les victimes d'accidents et de maladies du travail doivent avoir le droit de retrouver leur emploi ou un autre emploi chez leur employeur, lorsqu'elles redeviennent capables de travailler; Il est proposé: Que la priorité de la négociation des conventions collectives concernant les victimes d'accidents et de maladies du travail porte sur l'interdiction de toute assignation temporaire à un travail "léger" avant que la victime ne soit complètement guérie selon l'évaluation du médecin de son choix, sur leur droit de retour illimité au travail, ainsi que sur l'adaptation des postes de travail pour faciliter leur réintégration au travail. Considérant que le syndicat a la responsabilité d'assumer la prise en charge de la défense de ses membres, victimes d'accidents et de maladies du travail; Il est proposé: Que les syndicats et leur comité syndical de santé-sécurité accordent une priorité à: - l'information des membres sur leurs droits concernant les accidents et les maladies du travail, - la constitution de dossiers sur les accidents et maladies du travail, en obtenant les avis d'accidents et en enquêtant sur les causes des accidents et des maladies du travail, - la préparation des dossiers des victimes d'accidents et de maladies du travail dont les réclamations sont contestées. Des lois nettement insuffisantes. Considérant que la CSST refuse d'interpréter la loi sur les accidents et sur les maladies professionnelles et la loi sur la santé et sur la sécurité du travail de façon libérale, comme elle est tenue de le faire, ce qui enlève leur peu d'impact à des lois déjà faibles et insuffisantes; Considérant que l'interprétation restrictive de la CSST concernant la définition d'un accident de travail a pour conséquences de priver des milliers de victimes de leur droit à l'indemnisation et de multiplier les contestations des décisions de la CSST; Considérant que l'interprétation restrictive de la CSST concernant le droit à la réadaptation a pour conséquence de priver des centaines de victimes de leur droit à la réadaptation; Considérant que la CSST applique de façon restrictive le droit de refus d'exécuter un travail jugé dangereux et le droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte, ainsi que le droit au retrait préventif face aux contaminants; Considérant également l'écoute, l'expression de compréhension et la sympathie manifeste que démontre le ministre du Travail, Pierre Paradis, à l'égard des positions qu'avance le patronat du Québec en rapport avec les lois régissant la santé et la sécurité du travail; Il est proposé: Que la CSN dénonce le comportement arbitraire de la CSST qui refuse de reconnaître les droits des victimes d'accidents et de maladies du travail, en restreignant la portée de la loi sur les accidents du travail et sur les maladies professionnelles ainsi que la loi sur la santé et sur la sécurité du travail, et exige que la CSST révise ses politiques administratives pour les rendre conformes à une interprétation large et libérale. Que la CSN dénonce l'aspect de collusion qui marque l'attitude du ministre du Travail, Pierre Paradis, vis-à-vis des positions prônées par le patronat du Québec en matière de santé et sécurité au travail. Que la CSN organise une campagne, au moment jugé opportun, en collaboration avec les autres composantes du mouvement syndical québécois pour mettre de l'avant les revendications syndicales quant à la réforme des lois actuelles et pour empêcher tout recul en matière de santé et sécurité au travail. 3 - Infléchir la politique de l'entreprise ou établissement sur ses choix et décisions économiques et réclamer la transparence économique. La majorité des syndicats ont, à une occasion ou une autre, recommandé à l'employeur: une manière différente et efficace d'organiser le processus de production; une façon d'améliorer la qualité de ses produits ou de ses services; des pistes pour développer des nouveaux produits ou services; le remplacement de la machinerie et/ou de l'équipement devenus désuets; une attention accrue à l'entretien préventif. Ces recommandations se font parfois de façon informelle, parfois plus explicite, lors de réunions de comités de santé-sécurité, de griefs ou lors de rencontres de négociation. La mauvaise gestion de certaines entreprises ou institutions est telle que plusieurs recommandations se font spontanément, sans même que le syndicat n'ait pris la peine de constituer un dossier sur des problèmes réels dont la majorité des membres sont conscients. Certains syndicats, par contre, consacrent des énergies à établir des "dossiers noirs" contre leur employeur pour développer un rapport de forces, tentant ainsi de s'allier une partie de l'opinion publique. D'autres préparent des analyses plus poussées de la situation financière de l'entreprise et exigent de l'employeur qu'il investisse dans son entreprise. D'autres encore, comme le Syndicat des travailleurs du papier de Clermont, préparent des mémoires à cet effet non seulement à l'intention de leur employeur mais des représentants de groupes d'intérêts dans leur communauté, ou entreprennent une campagne publique pour contrer une décision de l'employeur, comme l'ont fait le Syndicat des Employés généraux et le Syndicat des Infirmières de l'hôpital Sainte-Justine, pour empêcher la fermeture d'une unité. Ces exemples démontrent que les syndicats se préoccupent de l'avenir de leurs entreprises ou établissements. Ils démontrent aussi qu'ils ont une vision plus large de la communauté, de la qualité des produits ou des services et de leur qualité de vie. C'est la preuve de la capacité d'analyse et de la compétence des travailleuses et des travailleurs qui, du fait de leurs qualifications, de leurs expériences et de leur conscience sociale, voudraient infléchir les choix économiques qui déterminent leurs conditions de travail et de vie et celles de leur communauté. Les syndicats doivent continuellement se soucier de l'avenir de leur entreprise ou institution et intervenir à ce niveau de manière de plus en plus articulée. Pour ce faire, ils auront besoin de l'appui de leur fédération, de leur conseil central et de leur centrale, qui ont tous des responsabilités à cet égard. D'abord, lorsqu'un syndicat tente d'infléchir les choix économiques de l'employeur, il s'attaque directement aux droits de gérance et par le fait même, tente d'élargir le champ du négociable à l'intérieur de l'entreprise ou établissement. Ensuite, l'intérêt du syndicat local pour la sauvegarde et la promotion de l'emploi et la démocratie à l'intérieur de l'entreprise ou établissement, renforce la présence syndicale dans une région ou une communauté donnée. Finalement, n'est-ce pas l'ensemble des luttes et des gains des travailleuses et des travailleurs dans leur entreprise ou établissement, dans leur secteur d'activité et dans leur région qui définit la place de la CSN à l'intérieur de notre société? La transparence économique: une nécessité. Mais les syndicats ne peuvent pas exercer cette influence sans disposer d'une information suffisante sur l'état financier et économique de leur entreprise ou établissement. Sans cette information, aucun contrôle réel sur l'avenir de l'entreprise n'est possible. C'est pourquoi la transparence économique demeure l'un des principaux éléments de la stratégie syndicale que s'est donnée la CSN. En effet, la situation financière de l'employeur détermine sa capacité générale de financer les conditions de travail et de salaire de ses employés. Pour le syndicat local, une connaissance relativement précise de la santé financière de l'entreprise ou établissement permet: - d'établir, sur la base des faits disponibles, une image de la capacité financière de l'employeur; et ce faisant, - d'établir sur des bases plus solides les principales revendications des membres et de mieux en connaître la portée; - de remettre en question les décisions administratives, organisationnelles et économiques de l'employeur, afin d'élargir les frontières de sa capacité de payer et d'assurer la survie même de l'entreprise ou établissement, non seulement à court terme mais à long terme. Le droit à l'information: à la base de toute démocratisation. Insister sur une transparence économique, c'est aussi affirmer le droit des travailleuses et travailleurs à l'information. En effet, sans ce droit, nulle démocratie n'est possible, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'entreprise ou établissement. Après avoir abordé la question une première fois, lors de son Congrès de 1974, la CSN recommandait aux syndicats, au Congrès de 1984, d'inscrire dans leur projet de convention collective le droit à l'information économique et d'assurer le suivi de la situation économique de leur entreprise ou établissement. Des efforts ont été déployés par la CSN, ces dernières années, pour aider les syndicats à suivre l'évolution économique de leur employeur: publication d'un guide du suivi de l'entreprise ou établissement, sessions de formation sur l'analyse financière de l'entreprise ou établissement, appui du Service de la recherche, groupe de consultation. Sans avoir fait un bilan exhaustif de la pénétration de la revendication du droit à l'information dans les conventions collectives, on peut affirmer qu'un nombre infime de syndicats ont réussi à négocier ce genre de clause. Combien de syndicats ont déposé une demande à cet effet? Combien de syndicats, ayant déposé une telle demande, l'ont retirée en cours de négociation, se sentant incapables de développer un rapport de forces adéquat pour faire plier leurs employeurs sur cette question, compte tenu de leurs autres objectifs de négociation? Pour la très grande majorité des employeurs, le droit de ne pas partager avec le syndicat et avec le reste de la société les informations concernant les opérations économiques de leur entreprise ou établissement, a des fondements pratiques, mais aussi idéologiques. Pratiques, car cette information constitue pour l'employeur un avantage important dans son rapport de forces avec le syndicat. Pratiques, aussi, parce qu'en l'absence d'une obligation généralisée pour tous les employeurs de divulguer de telles informations, un employeur se sentirait vulnérable par rapport à ses concurrents, à moins que le syndicat puisse garantir la confidentialité des informations obtenues. Le refus par l'entreprise ou établissement de partager les informations financières avec le syndicat a des fondements idéologiques, puisque pour l'employeur, ce droit fait partie intégrante du droit de propriété, tout comme le droit de disposer des profits. Voilà un élément des droits de gérance défendu très jalousement et avec acharnement, même dans le secteur public où, pourtant, les institutions appartiennent à la collectivité. Il arrive exceptionnellement qu'un employeur offre de lui-même au syndicat la possibilité de prendre connaissance de sa situation économique. Cette occasion se présente lorsque l'employeur est en difficulté - ou prétend l'être - et désire de ce fait, obtenir d'importantes concessions de la part de salariés. Le syndicat devrait saisir cette chance pour faire inscrire dans la convention collective le droit à l'information économique. Un syndicat aux prises avec des problèmes importants de défense des acquis, confronté à la réalité d'une dégradation des conditions de travail et de salaire de ses membres, n'a souvent pas d'autre choix que d'utiliser le rapport de forces disponible pour tenter de régler les injustices les plus criantes. Ce qui explique que la revendication du droit à l'information ne soit pas toujours perçue comme une priorité par l'exécutif et par les membres. D'autant plus que plusieurs syndicats peuvent, en l'absence d'informations précises fournies par l'employeur, se faire malgré tout une certaine idée de la situation financière: - en analysant un certain nombre de ses décisions (investissement ou désinvestissement, nouveau produit ou service, etc); - en suivant l'évolution d'un certain nombre d'indices de ventes et de production, grâce à la collaboration d'employés syndiqués et dans certains cas, non syndiqués; - en consultant des revues économiques sectorielles; - en s'enquérant auprès de divers ministères des subventions accordées à l'entreprise; - en connaissant les planifications sectorielles dans les secteurs publics, etc. Une telle démarche peut être extrêmement utile. Cependant, il est important de réaliser, d'une part, qu'elle exige des militants du syndicat des énergies importantes et d'autre part, que les indices obtenus n'auront pas la précision des informations financières vérifiées que détient l'employeur. Nous croyons que les syndicats locaux peuvent et doivent améliorer leur connaissance de la santé économique de leur entreprise ou établissement sans pour autant sacrifier leurs autres objectifs de négociation. Il est intéressant de constater que plusieurs pays industrialisés ont adopté des législations garantissant le droit à l'information économique aux travailleuses et aux travailleurs ou à leurs organisations syndicales. C'est le cas notamment de la Suède, de la France, de l'Allemagne fédérale, de la Belgique, des Pays-Bas. Évidemment, l'histoire des relations de travail est spécifique à chaque pays, et le fait de citer ces exemples n'est certes pas suffisant pour convaincre le gouvernement du Québec de légiférer en ce sens. D'ailleurs, le rapport de la Commission Beaudry, qui avait fait des recommandations en ce sens - très timides du reste - n'est toujours pas mis en application. Certes, il est important que la CSN et l'ensemble du mouvement syndical au Québec reviennent constamment, dans leurs interventions publiques, sur la nécessité d'une telle législation qui, selon un sondage récent, reçoit l'adhésion de la majorité de la population du Québec. Mais ce n'est finalement qu'en faisant avancer cette revendication dans nos conventions collectives que l'on pourra éventuellement forcer le gouvernement à reconnaître ce droit pour l'ensemble des travailleuses et des travailleurs. La connaissance de la santé économique de l'entreprise ou établissement est un prérequis à toute action revendicative efficace d'un syndicat dont le but est de modifier les choix économiques de l'employeur. La connaissance de l'évolution du secteur économique dont leur employeur fait partie est également importante, de même que celle de l'évolution de la structure économique de leur région. 12 - Propositions relatives à la transparence économique de l'entreprise ou établissement. Considérant que la démocratisation des lieux et du quotidien du travail est essentielle à la démocratisation économique, au mieux-être et aux libertés démocratiques; Considérant l'impact des choix et décisions économiques des entreprises ou établissements sur le niveau et la qualité de l'emploi des travailleuses et travailleurs; Considérant la nécessité que les syndicats puissent infléchir ces choix et décisions dans un sens qui garantirait le maintien et la promotion des emplois durables, bien rémunérés, de qualité, et socialement utiles; Considérant que l'exercice de ce droit syndical fait partie intégrante de la démocratisation des relations de travail et qu'il exige au préalable un accès libre à toute information pertinente à la santé et à l'état financier de l'entreprise ou établissement et à ses perspectives; Il est proposé: Que, dans son projet de convention collective, chaque syndicat inclue une clause prévoyant le droit à l'information économique, qui stipule que l'employeur mette à la disposition du syndicat au moins toutes les informations financières, économiques et autres, nécessaires à l'évaluation de l'entreprise ou établissement et de ses perspectives et que, si besoin est, le syndicat garantisse à l'employeur la confidentialité des informations fournies, en lui indiquant son choix d'experts. Que les syndicats tentent d'infléchir les choix de l'entreprise ou établissement ayant une incidence sur le niveau et la qualité de l'emploi, ainsi que sur le niveau d'investissement, la nature, la finalité et la qualité des produits et services. Qu'afin de réaliser ce mandat, chaque syndicat nomme un ou des responsables du suivi de l'entreprise ou établissement au niveau de l'exécutif; que le guide CSN d'analyse de la santé financière de l'entreprise soit mis à la disposition de chaque syndicat; que des contenus de formation sur le suivi de l'entreprise ou établissement soient mis à la disposition des responsables des syndicats sur une base sectorielle et que la CSN prépare, à l'intention des syndicats, des fiches sectorielles et régionales, leur permettant de saisir les principales tendances dans leur secteur et leur région. 4 - Infléchir la politique de l'entreprise ou établissement sur la qualité des services et des produits. Les travailleuses et travailleurs constituent la richesse fondamentale de toute entreprise ou établissement et de toute société. Ils sont les agents créateurs dont les mains et les esprits façonnent tout produit et tout service. La qualité de ces produits et services est le reflet de la qualité du travail, la source constante de fierté des travailleuses et travailleurs. Cette qualité est, certes, déterminée dans une large mesure par les méthodes d'organisation du travail, les techniques de production et les moyens matériels mis à la disposition des travailleuses et des travailleurs, éléments qui relèvent toujours des droits de gérance que s'arrogent les employeurs. Non seulement de telles méthodes et techniques ont-elles une incidence directe sur la qualité des produits et services, mais elles peuvent aussi nuire à la capacité créative des travailleuses et travailleurs. Qu'il s'agisse de la production industrielle, du transport en commun, de l'éducation, de la santé, des services sociaux ou des services publics, il est évident que la qualité des produits et services est non seulement importante en soi, mais qu'elle est aussi un levier efficace qui devrait permettre aux syndicats de négocier les mécanismes pour que les travailleuses et travailleurs s'approprient l'organisation et la finalité de leur travail. Les travailleuses et travailleurs doivent donc infléchir toute politique ayant une incidence sur la qualité des produits et services qui sont l'objet de leur travail. Ils doivent également se réserver le droit de se prononcer en tout temps - et non exclusivement lors des conflits de travail - sur cette qualité, d'une manière crédible et de telle sorte que l'intérêt public, de même que la valeur de leur travail, soient sauvegardés. 13 - Propositions relatives à la qualité des services et produits. Considérant que des services et produits de qualité constituent une condition importante au maintien et au développement de l'emploi; Considérant que la qualité du travail se manifeste aussi dans la qualité des services et des produits; Considérant qu'un travail de qualité est une contribution essentielle à travers laquelle les travailleuses et travailleurs affirment leur propre valeur; Il est proposé: Que les syndicats se préoccupent en tout temps de la qualité des services et des produits de leur entreprise ou établissement, et prennent les dispositions pour infléchir les décisions touchant la qualité des services et produits. Que les syndicats et les organismes auxquels ils sont affiliés participent aux débats sociaux touchant la qualité des services et produits. 5 - Infléchir la politique de l'entreprise ou établissement et de l'État sur l'environnement. L'environnement, c'est le sol, l'air et l'eau sans lesquels aucune forme de vie ou d'organisation sociale n'est possible. C'est aussi tout le patrimoine végétal et animal de la planète, qui constitue non seulement sa merveilleuse richesse, mais également la base même de la vie du genre humain et de son avenir. Toute atteinte portée à cette richesse est en réalité une menace contre cet avenir. Tout tort infligé aujourd'hui au fragile équilibre marquant les rapports d'interdépendance et d'entraide entre les espèces vivantes de la terre, pèsera lourdement sur les générations futures. Des rapports étroits existent entre le mode de production, le travail humain et la qualité de l'environnement. Les pratiques industrielles conçues dans le seul but d'augmenter à tout prix des profits, l'exploitation intensive des ressources naturelles sans respect pour le rythme régénérateur de la nature, la pollution des lacs et des rivières, sont autant de pratiques qui ne peuvent que contribuer à la destruction de notre environnement. Les travailleuses et travailleurs ne peuvent rester indifférents aux menaces qui guettent l'environnement. L'adoption de pratiques industrielles aptes à sauvegarder l'environnement ne constitue nullement un frein à la croissance économique et sociale du pays, ni à son développement. Le défi auquel fait face la société aujourd'hui, c'est de s'efforcer de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité de satisfaire ceux à venir. Et cet objectif est réalisable tout comme le sont le plein emploi, un développement régional harmonieux, une politique fiscale juste et la protection de la santé des travailleuses et travailleurs. Les syndicats ont un rôle de premier plan à jouer en matière de protection de l'environnement. Certains syndicats, d'ailleurs, n'ont pas hésité à assumer cette responsabilité. Ainsi, le Syndicat des travailleurs d'Expro a-t-il déposé pour fins de négociation un projet de clause visant à donner aux travailleurs, par la voie de la convention collective, un droit de regard sur la politique environnementale de leur entreprise. Dans d'autres domaines, comme celui de la santé, de plus en plus de syndicats se montrent intéressés, et à juste titre, à influencer la politique de gestion des déchets dans leurs établissements. C'est pour les mêmes raisons que la CSN a déposé récemment deux mémoires touchant le nouveau projet de loi fédéral sur l'environnement et le développement d'une politique de gestion intégrée des déchets solides au Québec. 14 - Propositions relatives à l'environnement. Considérant que la protection de l'environnement est devenue une préoccupation majeure et prioritaire pour une grande partie de la population; Considérant que l'assainissement et la sauvegarde de l'environnement sont des domaines d'activité humaine socialement indispensables et générateurs d'emplois; Considérant que l'environnement est le prolongement naturel du milieu de travail; Il est proposé: Que les syndicats interviennent lorsque les pratiques de leurs entreprises et établissements sont susceptibles d'avoir des effets néfastes sur la qualité de l'environnement; Que les syndicats intègrent dans leur projet de convention collective des clauses reconnaissant leur droit de regard sur les pratiques ayant une incidence sur la qualité de l'environnement; que le droit à l'information, essentielle à la négociation de ces clauses, y soit inclus. Considérant que tout progrès dans le domaine de la protection de l'environnement ne peut être réalisé sans l'intervention de l'État par des lois efficaces et des règlements sévères, et par une surveillance soutenue; Considérant les volontés soutenues de déréglementer davantage les activités économiques; Considérant l'importance de la juridiction du Québec en matière de protection et de sauvegarde de l'environnement; Il est proposé: Que la CSN exige des gouvernements qu'ils révisent leurs règlements visant à mieux protéger l'environnement afin de les rendre plus sévères, notamment celui concernant la déclaration et la disposition des déchets toxiques, et que des permis d'opération ne soient émis qu'aux entreprises pouvant offrir la garantie que leurs opérations respecteront l'environnement. Que la CSN exige du gouvernement du Québec la création d'un fonds spécial de nettoyage de l'environnement, financé par les entreprises en proportion de leur responsabilité dans la charge générale de pollution. Que soit rendue publique toute entente d'aide gouvernementale, de délais ou de dérogation à la loi entre l'État et des entreprises dans le domaine de la protection de l'environnement. Que la CSN participe avec l'UPA et les autres organisations syndicales et populaires au mouvement de revendication pour un meilleur environnement. 6 - Infléchir la politique de l'entreprise ou établissement sur l'organisation et la flexibilité du travail Depuis quelques années, le patronat d'ici et d'ailleurs est à la recherche d'une plus grande flexibilité dans les rapports de travail. Cette flexibilité serait, selon le discours patronal, une condition indispensable pour relancer la productivité, améliorer la position concurrentielle des entreprises, bref pour mieux faire face aux difficultés économiques et éventuellement, créer de nouveaux emplois. Cette flexibilité qui doit prendre plusieurs formes, s'opposerait à la "rigidité" syndicale, aux "contraintes" inacceptables des conventions collectives. Dans le contexte de crise, de chômage, d'augmentation des inégalités, les théories patronales prennent davantage de place. Les employeurs n'hésitent plus à exiger et à imposer les transformations qu'ils désirent, sous la menace de fermeture, de déménagement, de mises à pied, etc. Cette nouvelle approche patronale n'est pas l'apanage du seul secteur industriel privé; elle est partagée par les administrateurs de services sociaux, de santé et d'éducation appartenant au secteur public. Face à ces offensives, le mouvement syndical semble souvent pris de court, cantonné dans des positions uniquement défensives ou dépassées, diront même certains. Il est évident pour toute personne qui se penche sur l'histoire des relations de travail que la complexité des conventions collectives, aujourd'hui remise en question par les patrons, n'est pas le produit d'un complot syndical. C'est l'héritage d'une organisation rigide du travail, qui remonte au début du siècle, une organisation morcelée et abrutissante, qui laissait de moins en moins de place à l'autonomie, l'initiative et la créativité des individus. Au contraire, les organisations syndicales ont toujours préconisé une certaine flexibilité, en contestant l'autoritarisme, en revalorisant les connaissances et le savoir-faire acquis par l'expérience, en réclamant des programmes de formation pour mieux qualifier les personnes, en demandant le droit à l'information et à la consultation sur la situation économique des entreprises ou établissements, sur les changements technologiques, etc, bref en revendiquant le respect des personnes et une démocratisation du milieu de travail. Il n'est pas étonnant que l'organisation patronale du travail ait rapidement montré ses limites et engendré ses propres contradictions, particulièrement en termes de croissance de la productivité. Si, dans un premier temps, la productivité avait subi une hausse importante due à la croissance économique, de multiples études réalisées à partir des années '50 démontrent que l'organisation patronale du travail a ensuite été rejetée par les travailleuses et travailleurs parce que le travail avait perdu son sens, qu'il n'y avait plus de place pour la motivation des individus. Ce rejet s'est manifesté par un plus grand absentéisme, par un roulement élevé de la main-d'oeuvre, par la détérioration de la qualité des produits et en conséquence, par des coûts plus grands pour les entreprises et des effets à la baisse sur la productivité. Dans presque tous les secteurs de l'industrie, les mêmes problèmes d'inefficacité et de basse productivité se sont posés: hiérarchisation trop rigide entre les divers paliers d'autorité, division trop poussée dans le partage des responsabilités, cadres trop nombreux, mauvaises communications, manque de fluidité dans la gestion de la production et des stocks, perte de temps, perte de matériel, mauvaise qualité des produits et des services, etc. Contrairement à ce qu'affirment beaucoup de patrons, la chute de la productivité n'était pas due à une rigidité syndicale. Au contraire, plusieurs études avaient démontré que dans plusieurs secteurs, les entreprises syndiquées étaient plus productives que les non syndiquées, et que le taux de rotation de la main-d'oeuvre était beaucoup plus bas dans les premières que dans les secondes. Cela s'expliquait par le fait que l'amélioration des conditions de travail entraîne une plus grande motivation au travail et force les employeurs à mieux gérer leur entreprise. On peut se demander aujourd'hui ce que contient le projet patronal d'une plus grande flexibilité du travail. Les organisations internationales qui ont analysé cette question présentent habituellement les aspects suivants: La flexibilité salariale. On peut regrouper sous ce thème l'ensemble des mesures visant à modérer ou à baisser les salaires, à faire disparaître dans les conventions les clauses d'indexation, à limiter l'augmentation du salaire minimum. On pense aussi aux mesures pour agir sur les écarts de salaires, pour introduire des formes de rémunération liées à la performance individuelle ou aux résultats collectifs, pour permettre l'utilisation de doubles échelles salariales. A ce thème se rattachent aussi les tentatives patronales de s'affranchir, en partie ou en totalité, des bénéfices marginaux et des coûts sociaux de l'entreprise ou établissement. La flexibilité salariale peut également prendre la forme de régimes de partage des profits avec les salariés, souvent aux dépens de la stabilité des salaires ou d'un taux raisonnable d'augmentation. La flexibilité de l'emploi. Il s'agit d'abord de la flexibilité dans la durée et le temps d'emploi, c'est-à-dire de la possibilité d'utiliser la main-d'oeuvre pour des périodes de temps déterminées en fonction de l'évolution des besoins de l'entreprise ou établissement (temps partiel, travail à la pige, travail saisonnier, etc); il s'agit aussi de la possibilité de multiplier les statuts juridiques d'emploi pour affranchir l'employeur de ses charges et obligations face à ses propres salariés. En un mot, cela signifie une précarisation du travail. La flexibilité technico-organisationnelle du travail. Ce thème réfère à la possibilité pour les entreprises ou établissements d'adapter l'organisation du travail à une technologie elle-même plus flexible. Les progrès de la technologie, l'utilisation de l'informatique et de la micro-électronique (robotique, conception et fabrication assistée par ordinateur, etc), permettent aux entreprises ou établissements de rendre la production plus adaptable aux variations de la demande. L'adaptation de la main-d'oeuvre à ces nouvelles technologies a une double signification pour le patronat: la réduction des temps improductifs de l'équipement et de la main-d'oeuvre, et la flexibilité-polyvalence des emplois. Laissées à la seule initiative des employeurs, ces nouvelles approches signifient généralement une détérioration des conditions de travail, un accroissement des inégalités et des discriminations, une volonté d'individualiser les rapports de travail. Cette nouvelle stratégie patronale constitue, certes, un défi nouveau pour le mouvement syndical, et nous n'avons pas toutes les réponses aux questions que ce défi soulève. On doit s'efforcer de mieux comprendre, voir comment ces diverses stratégies sont articulées, et ensuite formuler des alternatives crédibles. Il est important de noter que les différentes formules patronales de flexibilité constituent parfois un procédé efficace pour empêcher l'émergence d'un syndicat, particulièrement dans les nouvelles entreprises (Hyundai à Bromont, par exemple). C'est donc dire que dans chaque milieu de travail, les syndicats doivent surveiller les stratégies patronales; mieux encore, les prévoir, prendre les devants, imaginer de nouvelles initiatives. L'implantation de telles formes d'organisation du travail se fait parfois à l'occasion de la création d'une entreprise, de sa modernisation ou d'un changement de propriétaire (Alcan à La Baie, Chantier maritime de Lévis-Lauzon, etc). Toutes les entreprises ne procèdent pas à des modifications aussi importantes. La plupart vont agir de manière plus graduelle, et souvent plus détournée, à l'occasion de modifications mineures dans le processus de production ou de l'introduction d'une nouvelle machine. Il arrive aussi de plus en plus fréquemment que, dans le cadre des négociations, l'employeur propose un projet de fusion d'emplois, de métiers, ou révise la classification pour faire divers regroupements. A Marine Industrie, l'employeur est en demande depuis plusieurs négociations sur cette question. A l'usine Beloit de Sorel, le dernier conflit de travail portait en partie sur la question de la flexibilité. Dans le secteur public, nous assistons depuis quelque temps à des tentatives de réorganisation ou de fusion des départements dans les hôpitaux, au nom de l'efficacité et de la rationalisation des ressources humaines. Ces tentatives visent aussi à contourner la convention collective et précariser les emplois. Quelles sont les conséquences observées habituellement à la suite de l'augmentation de la polyvalence dans un milieu de travail? La première est évidemment l'augmentation de la charge de travail. Apprendre de nouvelles tâches, cela signifie faire de nouveaux apprentissages, qui sont souvent assez longs et mal organisés. De plus, ces apprentissages se font fréquemment sans l'appui nécessaire à l'employé concerné. Une nouvelle tâche, mal maîtrisée à cause d'un manque de formation, entraîne une surcharge de travail et une diminution de la satisfaction face au travail accompli. Autre aspect de l'augmentation de la charge de travail, la diminution du temps de repos. La réduction des temps "improductifs" est un objectif important de la polyvalence. Dans tout projet de réorganisation du travail, il y a évidemment la volonté patronale de produire plus avec moins de main-d'oeuvre. Les dangers de pertes d'emplois sont donc sérieux, et c'est ce qui rend les travailleuses et travailleurs si méfiants. Les résultats sur l'emploi peuvent être très diversifiés selon les types d'emplois (métier, production, services), ce qui accroît les risques de division entre les groupes, en particulier dans les entreprises où l'acceptation de la polyvalence est présentée comme une condition de survie. Pour ce qui est des effets sur les salaires, ils peuvent être divers. Mais il ne semble pas que l'ajout de tâches de valeur équivalente soit compensé par des augmentations salariales. La plupart des analyses faites sur la flexibilité des emplois concluent que telle qu'imposée par le patronat, elle entraîne habituellement une déqualification du travail. Par exemple, on peut exiger un diplôme de plus en plus élevé pour des emplois de plus en plus déqualifiés. Plusieurs salariés acceptent néanmoins les projets patronaux de flexibilité, et souvent les syndicats sont divisés sur cette question. Certains salariés l'acceptent avec fatalité, se disant que c'est le prix à payer pour sauver son propre emploi. D'autres y trouvent leur intérêt en croyant que la flexibilité peut briser la monotonie dans le travail, permettre de nouveaux apprentissages, de meilleures possibilités de promotion, etc. Les nouvelles formes d'organisation du travail exercent aussi beaucoup d'attraits sur les travailleuses et travailleurs, même si elles menacent de marginaliser les syndicats. Elles permettent souvent de se libérer d'un encadrement autoritaire, d'horaires de travail trop rigides, etc. Cela ne signifie-t-il pas que les projets patronaux de flexibilité savent aussi s'appuyer sur des préoccupations et des aspirations réelles et souvent légitimes des salariés? Où allons-nous? Éléments d'orientations syndicales. Comme organisation syndicale, nous avons toujours lutté contre les formes dominantes de l'organisation du travail. Nous avons soutenu que cela entraînait une détérioration des conditions de travail, que cela était à la base du mauvais fonctionnement des entreprises ou établissements, des mauvaises performances sur le plan de la productivité et de la dégradation de la qualité des produits et des services. La CSN affirme aussi que les syndicats doivent être des agents actifs de transformation de la société et des entreprises ou établissements et de démocratisation des lieux de travail. La CSN a toujours affirmé n'être pas contre les changements technologiques. Au contraire, nous sommes souvent intervenus pour en réclamer, puisqu'ils avaient parfois pour effet d'améliorer la qualité des conditions de travail et de santé-sécurité ou qu'ils étaient indispensables à la survie de l'entreprise. Ce que nous exigeons cependant, c'est que les syndicats soient partie liée à ces changements, non seulement pour limiter les effets négatifs possibles, mais surtout pour assurer une véritable maîtrise de ces changements et, par là, maximiser les effets positifs pour l'entreprise ou établissement et pour les salariés. Nous ne sommes pas des défenseurs du statu quo. Nous faisons le constat que les choses changent et qu'elles doivent changer, et que la meilleure façon de protéger nos acquis, c'est de proposer de nouvelles transformations, de ne pas être simplement la partie qui subit, mais aussi une force organisée qui met de l'avant sa propre vision des choses. Nous savons également que les aspirations et les besoins des individus évoluent, que l'arrivée des femmes sur le marché du travail modifie les valeurs face au travail, que les progrès de la scolarisation élèvent les exigences en termes de satisfaction au travail et que nous devons prendre en charge ces nouvelles aspirations pour en faire la promotion. C'est donc l'ensemble de ces orientations qui doivent nous guider dans nos stratégies syndicales. Il faut saisir l'occasion des profondes transformations qui marquent la société pour redéfinir les rapports de pouvoir de façon à ce que le syndicalisme fasse des progrès, et que nous augmentions notre capacité d'intervenir. Il nous faut nécessairement des perspectives et une stratégie à plus long terme, même si nous devons agir aussi à court terme. Il faut élaborer des projets syndicaux de modification de l'organisation du travail, proposer nos propres voies pour améliorer les qualifications des travailleuses et travailleurs, redéfinir les emplois en fonction de nouvelles exigences, imaginer de nouvelles façons de partager les tâches et de collaborer au travail, redonner au travail son caractère collectif, et faire la preuve que ces projets seront bénéfiques aussi pour l'entreprise ou établissement. Cela implique, bien sûr, la nécessité de nouvelles conquêtes sur les droits de gérance des patrons. Eux aussi auraient intérêt à reconnaître que le progrès de leur entreprise ou établissement passe nécessairement par une plus grande démocratie. Ce processus débouchera nécessairement sur un projet de négociation où les objectifs de modifier l'organisation du travail seront liés à un ensemble d'autres revendications tout aussi importantes. Il y a des périodes où il faut se poser les bonnes questions, reprendre certains débats de fond, même s'ils suscitent de l'insécurité et de l'incertitude. C'est à ce prix que nous pourrons trouver des solutions plus concrètes, mais aussi plus adéquates aux défis actuels. Dans la foulée du colloque tenu à l'automne 1987 sur les relations de travail, les syndicats et les fédérations devront échanger encore beaucoup d'informations. 15 - Propositions relatives à l'organisation et à la flexibilité du travail. Considérant que le travail subit actuellement de profondes transformations dans son organisation et son contenu dues à l'impact des changements technologiques et à l'incapacité des modes classiques d'organisation du travail de répondre aux besoins sociaux et économiques d'aujourd'hui; Considérant le rôle historique de la CSN dans l'amélioration générale des conditions de travail, leur humanisation et leur démocratisation; Considérant que de nouvelles méthodes d'organisation du travail, le rendant plus flexible, pourraient contribuer à démocratiser et humaniser le milieu de travail; Considérant que ces nouvelles approches et ces nouveaux défis sont trop importants pour que les syndicats les laissent à la seule volonté et initiative du patronat; Considérant qu'il est inacceptable que la recherche d'une flexibilité accrue sur les lieux de travail devienne un prétexte pour réduire les acquis des années de luttes syndicales, pour précariser les emplois ou pour les rendre moins valorisants; Il est proposé: Que les syndicats analysent l'évolution en cours de I 'organisation et du contenu du travail et l'effet de ces changements sur les conditions de travail. Que, suite à cette évaluation, des débats sectoriels soient engagés, afin que les syndicats mettent de l'avant des formes nouvelles d'organisation du travail visant une plus grande autonomie au travail, une meilleure utilisation des connaissances, savoir-faire et créativité des personnes, une régularisation des statuts d'emploi, l'amélioration réelle des qualifications, de nouvelles formes de collaboration entre travailleuses et travailleurs et un plus grand contrôle collectif et syndical sur l'organisation du travail. Que la CSN soit chargée de préparer un guide à l'intention des syndicats sur la question de l'organisation du travail. Que la CSN organise un colloque international sur les stratégies syndicales face aux nouvelles formes d'organisation du travail. 7 - Infléchir la politique de l'entreprise ou établissement sur la formation professionnelle. Les profondes transformations intervenues dans le monde du travail, particulièrement depuis la fin des années '70, ont mis en lumière l'importance de la formation professionnelle. Que ce soit les changements technologiques, la crise économique, la réorganisation dans les milieux de travail ou l'arrivée grandissante des femmes sur le marché du travail, tous ces phénomènes interpellent le domaine de la formation professionnelle. Alors que les changements technologiques et l'internationalisation de la concurrence modifient constamment l'organisation du travail ainsi que les méthodes et procédés de production de biens et de services, la formation de la main-d'oeuvre doit devenir une priorité dans une province comme le Québec, où encore en 1986 plus de 70 % de la main-d'oeuvre possédait un niveau d'éducation égal ou inférieur au niveau secondaire. L'éventualité d'une entente de libre-échange avec les États-Unis vient également ajouter à l'incertitude dans certains secteurs. Cependant, même si travailleurs, employeurs et gouvernements s'entendent de plus en plus sur l'importance de la formation professionnelle, il n'existe pas au Québec de loi reconnaissant le droit à la formation de la main-d'oeuvre en emploi. Alors que le principe du congé-éducation payé a été adopté depuis plus de 15 ans par l'Organisation internationale du travail (OIT), et bien que des groupes de travail mis sur pied par Ottawa et Québec aient formulé des recommandations en ce sens depuis quelques années, nos gouvernements n'ont pas donné suite à ces propositions. Tout en poursuivant nos démarches au niveau gouvernemental, il devient impératif, dans cette conjoncture, que les syndicats fassent de la formation, du perfectionnement et du recyclage un dossier prioritaire de négociation. C'est la sécurité d'emploi des travailleuses et travailleurs de la CSN à moyen terme tout autant que la qualité de leurs conditions de travail et de vie qui sont ici en cause. Beaucoup de chemin reste à parcourir sur le plan local dans nos syndicats pour exercer un contrôle réel et efficace sur les activités de formation dans les entreprises et établissements et sur les aspirations de formation des membres. Dans les conventions collectives du secteur public, on peut signaler des gains relatifs au niveau de l'augmentation de la masse salariale allouée à la formation et par rapport au droit de regard sur le contenu de certaines formations. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour que les syndiqués aient une prise réelle sur la formation professionnelle. Dans le secteur privé, sauf pour les travailleurs de la construction qui, grâce à une loi, ont un droit de regard sur leur formation, on peut affirmer que les syndicats en général ont peu de contrôle sur cette question. Comité de formation. Toutefois, ce ne sont ni les besoins ni les intérêts qui manquent à la base dans les syndicats de la CSN. Afin de mieux répondre aux aspirations de formation des membres, il convient que les syndicats se dotent d'un mécanisme préconisé dès 1981 par la CSN, soit le comité de formation. Dans le cas où de tels comités existent dans des syndicats, il importe de réactiver leur travail et-ou de faire en sorte qu'ils jouent un rôle efficace. Pour les syndicats du secteur public où existent des comités à l'échelle provinciale, il serait nécessaire de former sur le plan local des comités de formation ou de confier un mandat à un responsable à la formation. Les fonctions des comités de formation et, le cas échéant, du responsable à la formation sont de faire l'identification des besoins de formation des membres et l'évaluation des programmes accessibles, de faire de l'information auprès des membres et d'identifier des domaines de négociation en regard de la formation des membres. Le comité de formation et, le cas échéant, le responsable à la formation, devraient cependant faire en sorte que les négociations du syndicat portent prioritairement sur les sujets énoncés plus loin dans le texte. Comme nous l'avons déjà indiqué lors de la dernière négociation dans le secteur public et parapublic, les activités de formation ne doivent pas être conçues uniquement "pour développer les habiletés nécessaires à l'exercice d'une tâche donnée. Elles doivent permettre notamment: d'élargir les connaissances générales et les compétences dans le champ d'activité; d'être au fait des nouvelles théories, méthodes ou procédés de travail dans le secteur afin d'être en mesure de faire face aux changements affectant le secteur d'emploi ou le milieu de travail". Les activités qui intéressent le comité de formation concernent la formation de base, le perfectionnement et le recyclage. - La formation de base comprend l'ensemble des connaissances théoriques et pratiques permettant d'exercer un métier ou une profession. Cette formation s'acquiert généralement en institution mais pour des emplois non spécialisés, elle peut s'acquérir en entreprise. - Le perfectionnement s'entend dans le sens d'un programme d'activités permettant à un salarié d'acquérir une compétence accrue dans le champ d'activité qui lui est propre. La récupération scolaire doit être considérée comme du perfectionnement. - Par recyclage, on entend le processus permettant de s'adapter aux nouvelles exigences de son poste ou d'accéder à un autre titre, corps ou classe d'emploi. Priorités de négociation. Il est indispensable à toute intervention syndicale pertinente sur la formation de connaître les exigences que l'entreprise ou l'établissement a identifiées en termes de qualification de son personnel et sur les mesures de formation qu'elle entend mettre de l'avant à cet effet. Trop souvent la formation est imposée et survient après des r mouvements de personnel et promotions sans que ce soit nécessairement à l'avantage des employés. C'est tout le domaine de la transparence de l'entreprise ou de l'établissement qui est ici en cause. Un employeur qui veut bien former son personnel doit d'abord informer ses employés pour qu'ils puissent participer à cette formation. Il importe de plus en plus d'obtenir de l'employeur, par convention collective, un engagement chiffré à investir dans la formation professionnelle. Plusieurs formules peuvent être imaginées à cet effet. En 1980, selon les chiffres d'une commission d'enquête, les entreprises et établissements québécois auraient dépensé environ 325 millions $ pour réaliser des activités de formation, soit près de 1 % de la masse salariale. Compte tenu de ces données et de l'importance grandissante qui est maintenant accordée à la formation, il n'est pas exagéré de penser qu'en 1988, 1,5 % de la masse salariale des syndiqués devrait être réservé à la formation. Ce financement doit non seulement servir à défrayer les coûts rattachés aux activités de formation, tels les frais de scolarité, mais doit aussi être utilisé pour le maintien des salaires et pour les frais associés à la formation, tels les frais de nourriture, de transport et de garderie, le cas échéant. Plus que sur tout autre aspect, l'employeur voudra garder son droit de gérance sur les individus qu'il identifie pour recevoir la formation. Il apparaît cependant primordial que le syndicat doit s'assurer d'un contrôle sur cet aspect, que ce soit pour le respect de l'ancienneté, le droit pour toutes et tous à la formation ou pour favoriser les membres des groupes traditionnellement discriminés (femmes, autochtones, handicapés, communautés culturelles). La réalité observée quant à la formation professionnelle en milieu de travail indique un accès inégal en fonction de diverses catégories d'emploi et des différents secteurs. La proportion de femmes ayant eu accès aux activités de formation s'avère systématiquement inférieure au taux de fréquentation observé chez les hommes. On pourrait étendre ces observations aux autochtones, aux communautés culturelles, aux personnes handicapées. En milieu de travail, souvent celles et ceux qui détiennent des emplois de catégories hiérarchiquement moins élevées que d'autres ont plus difficilement accès aux activités de formation. Un exemple de cela, ce sont les employés de bureau qui, depuis un certain nombre d'années, ont dû faire face à l'avènement des changements technologiques. Elles affirment qu'elles ont reçu une formation incomplète ne leur permettant pas l'apprentissage des nouvelles méthodes et outils de travail. La formation constitue pour elles le seul moyen de s'adapter aux changements et, par conséquent, d'être davantage valorisées dans l'exercice de leur fonction. La formation constitue aussi un moyen privilégié pour les femmes qui veulent réintégrer le marché du travail après plusieurs années passées au foyer à se consacrer à l'éducation des enfants. Elle pourrait permettre aux femmes et à d'autres personnes, membres des groupes discriminés, d'avoir accès à des emplois dont ils ont été traditionnellement exclus. C'est pourquoi la formation est une mesure privilégiée dans l'élaboration des programmes d'accès à l'égalité. Parmi les divers types de programmes de formation mis à la disposition ou imposés aux employés, certains concernent directement le poste détenu par les salariés concernés. Étant directement associés aux exigences d'un poste, tous les coûts rattachés à la formation de cette nature devraient être assumés directement par l'employeur au même titre que tout autre coût de production et ne devraient pas perturber l'horaire régulier de l'employé. Un certain nombre d'entreprises et d'établissements offrent à l'heure actuelle des programmes de formation à leur personnel pour leur permettre d'accéder à des promotions ou à des mutations dans l'entreprise ou l'établissement. Nous croyons qu'il est aussi de la responsabilité des employeurs d'assumer la formation de leurs salariés lorsqu'il s'agit d'avoir accès à des promotions ou à des mutations à l'intérieur de l'entreprise ou établissement. Traditionnellement, la CSN et d'autres centrales syndicales ont négocié, dans des situations de licenciement, des indemnités et des préretraites en ce qui a trait aux plus âgés. Compte tenu des exigences actuelles du marché du travail et du taux de chômage, nous devons aller plus loin et ce, avant d'être confrontés aux mises à pied effectives. Il faut tenter de combiner aux programmes gouvernementaux existants, un engagement financier de l'employeur afin que les personnes appelées à subir des transformations importantes dans leurs milieux de travail ou appelées à voir disparaître leur emploi puissent se recycler dans des conditions matérielles décentes et dans des secteurs où il y a des perspectives d'emploi. La précarité actuelle de centaines de milliers d'emplois incite beaucoup de travailleuses et de travailleurs à retourner aux études pour éventuellement se trouver un emploi plus stable. De plus, du côté des entreprises ou établissements, les exigences académiques ont été souvent haussées ces dernières années; là où auparavant aucun prérequis académique n'était nécessaire pour un emploi, on demande maintenant un Secondaire V tout comme maintenant on exige un DEC là où un Secondaire V suffisait il n'y a pas cinq ans, et ainsi de suite. Les employeurs sont très réticents à accorder des congés même sans solde lorsqu'il s'agit d'aller acquérir une formation non reliée à l'emploi. Toutefois, comme syndicat soucieux des intérêts de nos membres à moyen et long termes, nous devons opérer d'importantes percées dans nos conventions à ce sujet. La reconnaissance des acquis. On entend de plus en plus parler de la reconnaissance des acquis. L'école n'étant pas le seul lieu d'apprentissage, on acquiert des connaissances et des habiletés tout au long de sa vie: dans diverses expériences de travail, au foyer, dans des activités bénévoles. Nous pouvons affirmer que ces connaissances et habiletés acquises ne sont pas reconnues sur le marché du travail. La démarche appelée "reconnaissance des acquis", à savoir l'évaluation des compétences professionnelles en regard du marché du travail, permettrait aux adultes d'identifier leurs acquis, de les faire évaluer et de prendre en main leur cheminement de formation et leur orientation professionnelle. Cela permettrait par exemple de développer l'accessibilité au marché du travail en fonction des réelles connaissances, aptitudes et habiletés développées par les femmes qui veulent réintégrer le marché du travail ou qui veulent changer d'emploi. Cela permettrait également de transférer la formation acquise en cours d'emploi par les travailleuses et travailleurs en cas de modification, de changement d'emploi ou en vue d'un recyclage. Le dossier de la reconnaissance des acquis progresse rapidement. Plusieurs expériences ont été tentées dans ce domaine pour le retour aux études et dans certains groupes, des travaux s'amorcent dans le but de faciliter la réintégration au marché du travail. Le mouvement syndical est, toutefois, passablement absent dans ce dossier. Il est important que nous nous intéressions à cette question et que nous développions notre propre analyse afin de pouvoir l'harmoniser ou, le cas échéant, l'opposer aux employeurs et aux institutions pour le respect de nos droits. Les CFP et les CCR. Les commissions de formation professionnelle de la main-d'oeuvre sont des organismes paragouvernementaux créés en 1970 en vertu de la loi provinciale sur la formation et la qualification professionnelles de la main-d'oeuvre. Elles sont au nombre de 11, établies dans chacune des régions administratives du Québec. Les CFP sont des organismes bipartites (employeurs-travailleurs) de consultation qui ont pour mandat de faire l'estimation des besoins en formation professionnelle dans les secteurs économiques de leur région administrative. Depuis 1984, le gouvernement leur a également confié la gestion des programmes gouvernementaux de financement aux entreprises pour la formation de la main-d'oeuvre. Pour connaître les besoins en formation de main-d'oeuvre, les CFP font appel aux Comités consultatifs régionaux (CCR), qui sont des organismes bipartites de consultation institués par le ministère de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu. Chaque CCR représente un secteur d'activité économique. Sauf pour le secteur de la construction, où les milieux patronaux et syndicaux décident de la formation à l'intérieur d'un comité de la Commission de la construction du Québec (CCQ), tous les secteurs économiques dans une région sont représentés parmi les CCR. Selon les régions administratives, il peut exister de 7 à 13 CCR représentant les secteurs des services et des industries de la région. Les CCR se réunissent en moyenne deux fois par année et les délégués travailleurs sont nommés à titre individuel et ne sont pas des représentants officiels de la CSN. Origines de notre politique de présence. En octobre 1985, le Bureau confédéral de la CSN adoptait une politique de présence dans les CFP et les CCR. Cette politique soulignait l'importance que des membres de la CSN siègent aux CFP et aux CCR et énonçait un cadre d'intervention confédérale afin d'établir clairement le mode de délégation, la responsabilité des organismes (fédérations, conseils centraux) ainsi que le mécanisme de coordination de l'ensemble de la démarche. On confiait alors aux conseils centraux le soin de s'assurer de la présence de membres CSN dans les différents CCR de leur CFP régionale et ce, en consultation avec les fédérations concernées. Les conseils centraux se voyaient également attribuer la responsabilité de coordonner cette présence. Les fédérations, quant à elles, conservaient leur rôle d'évaluation des besoins sectoriels de formation et d'élaboration des contenus de formation afin d'alimenter les membres de leurs secteurs de juridiction qui siégeaient aux CCR et aux CFP. La CSN, pour sa part, devait coordonner l'ensemble des opérations en réunissant, au minimum une fois par année, l'ensemble des responsables régionaux et de fédérations, ainsi que les membres CSN des conseils d'administration des CFP afin de faire le point sur notre présence. La CSN devait également faire rapport au Conseil confédéral. Depuis l'adoption de cette politique, une structure de coordination s'est mise sur pied et quelques réunions ont été organisées par la CSN, dans des conseils centraux et quelques fédérations. Toutefois, depuis l'arrivée au pouvoir des libéraux en décembre 1985, l'avenir des CFP et des CCR a été plus qu'incertain. De septembre 1986 à janvier 1988, les délégués n'ont pas été accrédités par le MMSR et la plupart de ces organismes n'ont pas tenu de réunion. Durant cette période, on parlait même de la disparition des CFP et des CCR. Un revirement s'est opéré dernièrement, et on assiste depuis quelques mois à la relance et au renforcement des CFP et des CCR. Notre présence dans les CFP et les CCR est importante pour la majorité des programmes de formation des travailleuses et des travailleurs dans le secteur privé et une part importante dans le secteur public passe par des programmes gérés par les CFP. De plus, les CFP et les CCR sont les seules structures formelles de consultation du monde du travail en matière de formation de la main-d'oeuvre. 16 - Propositions relatives à la formation professionnelle. Considérant que l'emploi est en évolution constante tant à cause des changements technologiques et de l'internationalisation de la concurrence que de la modification des méthodes et procédés de production de biens et de services; Considérant que, dans ce contexte, la formation de base, la formation professionnelle, le perfectionnement et le recyclage des travailleuses et des travailleurs revêt une importance grandissante; Il est proposé: Que la formation devienne une priorité de négociation pour les syndicats de la CSN. Qu'en conséquence, les syndicats mettent sur pied ou, le cas échéant, réactivent les comités de formation et nomment des responsables à la formation. Que, dans le cas où des comités de formation existent à l'échelle provinciale, les syndicats s'élisent des comités locaux de formation ou des responsables locaux à la formation. Que les comités de formation ou, le cas échéant, les responsables à la formation, aient entre autres pour mandat: - de faire l'évaluation des besoins de formation des membres, - de faire l'évaluation des programmes accessibles, - de faire l'identification des domaines de négociation en regard de la formation des membres, - de faire de l'information auprès des membres sur la formation. Considérant que les travailleuses et les travailleurs sont les premiers concernés par la formation que veut dispenser leur employeur; Considérant que la formation constitue un élément de plus en plus important de nos conditions de travail; Considérant les transformations importantes de l'organisation du travail et la disparition de certains emplois "dits" traditionnels; Il est proposé: Que les syndicats négocient le droit d'être informés sur les besoins de formation de leur entreprise ou établissement et sur les desseins de leur employeur en matière de formation, de perfectionnement et de recyclage du personnel. Que les syndicats négocient un engagement chiffré de leur employeur à investir dans la formation professionnelle. Ce montant devrait couvrir les frais directs reliés à la formation, au perfectionnement et au recyclage ainsi que les frais associés à ces formations, tels le maintien du salaire, les frais de garde, le transport, etc. Que les syndicats négocient un plan de formation dont le contenu soit convenu localement. Que les syndicats négocient un contrôle sur le choix des individus appelés à recevoir de la formation. Que les syndicats négocient des programmes de recyclage accessibles à toutes et à tous dans des emplois en demande. Considérant que le perfectionnement ou le recyclage relié à un emploi ou à un futur emploi dans l'entreprise ou l'établissement doit être assimilé à un coût de production de l'entreprise ou de l'établissement; Considérant la responsabilité des entreprises et établissements d'assumer ces formations de leurs employés; Il est proposé: Que le perfectionnement ou le recyclage relié à l'emploi actuel ou à un futur emploi dans l'entreprise ou l'établissement se fasse aux frais de l'employeur. Les heures de formation sont considérées comme des heures régulières de travail. Considérant les exigences actuelles du marché du travail et les aspirations personnelles des membres; Il est proposé: Que les syndicats négocient une possibilité de congé de formation pour leurs membres. Considérant que les femmes, les autochtones, les personnes handicapées et les membres des communautés culturelles ont traditionnellement été discriminés en emploi; Considérant que ces groupes ont un accès inégal à la formation en entreprise; Il est proposé: Que les syndicats favorisent l'accès à la formation pour les femmes et autres membres issus de groupes discriminés, dans la mesure où ces membres ont plus difficilement accès à la formation. Que, dans le cas des entreprises et établissements où sont élaborés des programmes d'accès à l'égalité, la formation soit une mesure privilégiée par les syndicats pour augmenter la présence des femmes ou des membres d'autres groupes discriminés dans les emplois où ils sont sous-représentés. Considérant que la reconnaissance des acquis scolaires et/ou des compétences acquises hors de l'école et du marché du travail constitue un élément important en formation des adultes; Considérant que le travail des femmes n'est pas reconnu à sa juste valeur, et qu'en conséquence, leurs expériences acquises ne sont pas reconnues, que ce soit à la maison, au sein de leurs activités de bénévolat ou dans les métiers traditionnellement féminins, et que cette situation les désavantage lorsqu'elles veulent réintégrer le marché du travail; Considérant que, depuis l'introduction de mesures législatives permettant les programmes d'accès à l'égalité, la question de la formation ainsi que celle de la reconnaissance des acquis prennent encore plus d'importance; Considérant que la reconnaissance des acquis est aussi très importante pour les travailleuses et travailleurs en emploi et qu'en ce sens la CSN doit développer sa propre expertise sur le sujet; Il est proposé: Que la CSN fasse un travail de recherche sur la reconnaissance des acquis dans le but de favoriser concrètement la négociation de mécanismes permettant la reconnaissance des acquis scolaires et/ou "expérientiels" ainsi que des mécanismes permettant de faire reconnaître la formation en entreprise. Que la CSN travaille en lien avec les groupes et organismes extérieurs qui développent une expertise sur cette question de la reconnaissance des acquis. Considérant la relance des Commissions de formation professionnelle (CFP) et des Comités consultatifs régionaux (CCR); Considérant le rôle important qui leur est dévolu dans l'estimation des besoins de formation des travailleuses et des travailleurs et la gestion des programmes de main-d'oeuvre; Considérant qu'à l'exception du secteur de la construction, ce sont les seuls organismes de consultation formelle du monde du travail en matière de formation de la main-d'oeuvre; Il est proposé: Que la CSN réitère la nécessité d'une présence active de représentantes et représentants de notre organisation dans les CFP et les CCR. Que la CSN encourage les fédérations et les conseils centraux à assurer un soutien effectif à nos représentantes et représentants au sein de ces organismes. Que la CSN assure une coordination de cette représentation en lien avec les fédérations et les conseils centraux. II - Pour préparer un avenir à notre façon. Dans nos régions. Notre engagement pour le plein emploi, la démocratie et le contrôle de notre développement exige une implication qui va au-delà de nos syndicats. Notre action doit se faire sentir tout autant dans nos régions et secteurs d'activité respectifs qui continuent aujourd'hui de souffrir de déséquilibre-échanges importants. Le développement régional. Pendant que l'économie du centre industriel de l'Ontario vit une situation qui se rapproche du plein emploi, avec des taux de chômage officiels de 3,9 % à Oshawa et 3,8 % à Toronto en janvier, plusieurs autres régions du Canada sont toujours aux prises avec des problèmes de sous-emploi tout à fait inacceptables, comme le Bas Saint-Laurent et la Gaspésie, avec un taux officiel de chômage de 16,1 %. Si on compare le Québec à l'Ontario, les données historiques semblent indiquer la permanence d'une augmentation des écarts dans les taux de chômage des deux provinces. En 1957 par exemple, le taux de chômage en Ontario était de 3,4 %, comparativement à 6,0 % au Québec, soit 76 % de plus. En 1986, cet écart était de 80 %, soit 11,0 % au Québec, comparativement à 6,1 % dans la province voisine. Les statistiques sur l'évolution des revenus par habitant dans les différentes provinces canadiennes semblent par contre démontrer une certaine diminution des écarts. Malheureusement, cette diminution s'explique par l'accroissement plus rapide des paiements de transfert (assurance-chômage, aide sociale, allocations familiales) dans les régions défavorisées. Si on exclut ces paiements de transfert, la répartition des revenus par habitant a très peu évolué depuis le milieu des années 1960. Ceci est particulièrement vrai pour le Québec, où le revenu par habitant, excluant les paiements de transfert, représentait 87,3 % de la moyenne canadienne en 1983, comparativement à 88,7 % en 1966, au moment où étaient mises en oeuvre au Canada les politiques de développement régional. Les différentes mesures gouvernementales, introduites à partir de cette époque (péréquation, subventions), ont donc eu comme résultat principal d'empêcher les écarts de s'accroître, tout en contribuant à diversifier quelque peu les économies régionales les moins développées du pays, celles des provinces de l'Atlantique et de l'est du Québec. Malgré cette réalité, il existe toujours au Québec plus de 60 localités ou régions entières qui sont à économie simple, mono-industrielle ou trop peu diversifiée. Échec des politiques gouvernementales Les interventions fédérales pour développer les régions sont devenues nécessaires au début des années 1960, à cause de la montée du chômage et de l'accroissement des inégalités régionales. Jusque-là, la politique économique fédérale consistait à utiliser les grandes politiques macro-économiques (politique monétaire, fiscale, budgétaire) pour stimuler la demande dans l'économie lors de ralentissements économiques, et la freiner en période de surchauffe. Ces politiques pancanadiennes étaient, et sont toujours d'ailleurs, dictées par des signaux qui proviennent du centre industriel du pays, principalement le sud de l'Ontario où le taux de chômage est le plus bas. Pour les régions à haut taux de chômage, des politiques restrictives (taux d'intérêt élevés, augmentations d'impôt, restrictions budgétaires) viennent toujours trop tôt, et des politiques expansionnistes, toujours trop tard. Les déséquilibre-échanges régionaux croissants ont contraint le gouvernement fédéral à s'engager dans des programmes de développement régional au début des années 1960. Ces politiques se sont accentuées avec la création du ministère de l'Expansion économique régionale (MEER) en 1969. En plus d'allouer des subventions aux entreprises qui acceptaient d'investir dans des "régions désignées", le ministère offrait un programme d'assistance à la construction d'infrastructures (routes, parcs industriels, installations portuaires, etc) dans certains centres définis comme pôles de croissance. Lors de la création du MEER, les intentions du gouvernement fédéral visaient principalement à stimuler le développement de l'est du Canada. Les nombreuses pressions politiques des autres régions du pays ont vite fait de diluer l'impact réel des politiques mises de l'avant. Ainsi, en 1982, 93 % du territoire canadien couvrant 50 % de la population du pays était-il défini comme zone désignée et admissible aux programmes de subventions. Il faut noter également que les énormes paiements ad hoc versés par le fédéral durant ces années à l'industrie automobile ontarienne par exemple, ont également réduit le véritable impact des programmes qui devaient, en principe, concrétiser la priorité donnée aux régions les moins développées. A la fin des années 1970, le gouvernement fédéral a commencé à diminuer les crédits au développement régional, préférant stimuler l'épargne et l'investissement à l'aide d'abris fiscaux. En 1982, le MEER était démantelé et fondu dans un ministère à vocation plus générale, le ministère de l'Expansion industrielle et régionale (MEIR). Et depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement conservateur de Brian Mulroney, plus préoccupé par la réduction du déficit et plus confiant que jamais dans l'efficacité des lois du marché, a diminué les budgets consacrés au développement régional de 30 % en termes réels entre 1984-85 et 1986-87. Le projet d'accord sur le libre-échange avec les États-Unis fait peser une nouvelle menace sur la possibilité qu'auront les gouvernements d'intervenir pour développer les régions par le biais de subventions au développement régional, puisque de telles subventions pourraient être considérées comme des pratiques commerciales déloyales par les Américains. Un grand nombre de facteurs ont aussi contribué à l'échec des politiques régionales au Canada, dont les plus importants sont: - centralisation des politiques fédérales de stabilisation et absence de coordination avec les provinces; - politiques de subvention ayant comme objectif premier la croissance économique et l'investissement, la création d'emplois étant reléguée au second rang; - absence de consultation et d'implication des citoyennes et des citoyens dans les régions concernées, donc développement imposé de l'extérieur; - interventions et ressources timides soumises à diverses pressions politiques des régions et de secteurs industriels; - plus récemment, lutte contre le déficit par la réduction des dépenses, confiance renouvelée dans l'efficacité des lois du marché et retrait graduel du gouvernement fédéral du champ du développement régional. Au niveau fédéral, la politique de développement régional semble actuellement dans une impasse. Quant au Québec, suite à l'évaluation de l'expérience de la tenue d'une quinzaine de sommets régionaux depuis 1983, le gouvernement devait publier un énoncé de sa politique de développement régional au printemps de cette année. Nous devrons donc saisir cette occasion pour, d'une part, exiger une consultation large, tant au niveau provincial que régional, sur cette question, et d'autre part, avancer notre propre point de vue sur le développement régional, en conformité avec un certain nombre de principes qui vont dans le sens de nos objectifs de plein emploi, de démocratie et de contrôle de notre développement. Pour une politique régionale axée sur le plein emploi et la démocratie. Une politique de développement régional ne viendra à bout des inégalités sociales et économiques que dans la mesure où elle s'accordera avec un certain nombre de principes: - La politique de développement régional doit être mise en oeuvre dans le but prioritaire de réaliser concrètement le plein emploi dans chaque région. Ceci implique, par exemple, que les politiques de subvention soient centrées prioritairement sur le nombre d'emplois créés directement et indirectement dans la région, en fonction des priorités de la région. - La politique de développement régional exige une concertation et une harmonisation des politiques à chaque palier de gouvernement en regard de l'objectif de plein emploi, et implique une adaptation et une différenciation régionales des politiques macro-économiques (monétaire, budgétaire, fiscale) fédérales. Selon le gouverneur de la Banque du Canada, les taux d'intérêt demeurent élevés au Canada, parce qu'il y aurait risque d'une aggravation de l'inflation. Ce risque n'existe cependant que dans les régions où les taux de chômage sont relativement bas, soit le sud de l'Ontario. Cette politique de taux d'intérêt élevés ralentit l'activité économique dans les régions déjà aux prises avec des taux de chômage élevés. Il est urgent d'élaborer des mécanismes de régionalisation des grandes politiques nationales comme la politique monétaire, par exemple, en instaurant des programmes de taux d'intérêt inférieurs dans les régions à haut taux de chômage afin de stimuler la création d'emplois dans ces régions. Au chapitre des programmes de sécurité du revenu, il serait aussi possible, comme la CSN l'a d'ailleurs suggéré, de permettre aux chômeuses et aux chômeurs des régions défavorisées de bénéficier plus longtemps des prestations d'assurance-chômage, ce qui aurait pour effet d'injecter des sommes supplémentaires dans ces régions. La politique régionale doit répondre d'abord aux préoccupations économiques, sociales et culturelles de chacune des régions; chaque région économique a une dynamique propre, et l'objectif de la politique régionale doit être de répondre en premier lieu à ses problèmes réels. Pour ce faire, elle doit reconnaître pour chaque région le droit à sa spécificité, par une déconcentration administrative et une décentralisation politique qui puissent garantir cette spécificité. A cet effet, il serait, par exemple, tout à fait possible et opportun de régionaliser certains services actuellement assumés directement et centralement par le gouvernement du Québec ou par le gouvernement fédéral, ou d'accentuer la régionalisation d'un certain nombre de services: les services sociaux et de santé, les services d'environnement, les services de promotion économique, tels les commissariats industriels, les services de loisir, tourisme, agriculture, pêcheries, etc. La politique régionale doit reposer sur une responsabilité partagée entre les régions, le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral. Ceci implique nécessairement une véritable concertation et une division relativement claire des pouvoirs entre ces trois instances. Au niveau constitutionnel, il devrait être reconnu que le gouvernement du Québec a la préséance et la responsabilité première du développement régional. Ceci étant dit, les vastes pouvoirs économiques du gouvernement fédéral nécessiteront qu'il soit considéré comme un véritable associé dans le processus de concertation, et non pas relégué au rôle de simple observateur. Dans le système fédératif actuel, les deux paliers de gouvernement sont condamnés à s'entendre. La politique régionale doit être démocratique, ce qui exige un développement des régions par les régions elles-mêmes, en favorisant les choix élaborés et arrêtés par elles. Deuxièmement, la démocratie régionale implique une participation active et concrète à la définition de ces choix par l'ensemble des groupes d'intérêts représentatifs présents dans la région. Généralement, on retrouverait des représentants des gouvernements fédéral et provincial, des représentants politiques régionaux, les organisations syndicales et agricoles, les organisations populaires ou communautaires en coalition ou non et les organisations patronales. Ces lieux de concertation régionaux doivent être décisionnels, et les décisions doivent découler de consensus. La politique régionale doit supporter le dynamisme des régions et fournir les moyens financiers et techniques de réaliser les projets conçus par les régions elles-mêmes. Chaque région ou table de concertation devrait avoir à sa disposition un fonds de développement régional, qui servirait à financer les structures régionales et à investir dans les projets retenus en fonction de l'emploi créé dans la région. Pour que ces fonds de développement régionaux puissent supporter efficacement les projets économiques, sociaux et culturels dans les régions, ils devront être dotés de ressources importantes. Une partie des sommes consacrées à des abris fiscaux, qui visent à encourager l'épargne et l'investissement des contribuables à revenus élevés et des entreprises, devrait être consacrée directement au développement régional, par l'entremise de ces fonds d'investissement régionaux. Plusieurs études, dont celles du ministère fédéral des Finances, ont démontré que les abris fiscaux pour les entreprises, qui s'élevaient à environ 12 à 15 milliards $ en 1983 au niveau fédéral seulement, sont peu efficaces pour créer de l'emploi. Ils sont soumis à très peu de contrôles, leur coût est imprévisible et les possibilités d'abus sont grandes. Ils profitent plus aux entreprises les plus rentables, généralement de grande taille. De plus, ils profitent généralement plus aux entreprises qui utilisent beaucoup de technologie et qui sont peu créatrices d'emploi. La politique régionale doit être articulée aux politiques nationales et sectorielles, par la participation régionale à l'élaboration de ces politiques et ensuite, par leur régionalisation. Par exemple, une politique nationale de développement de l'industrie touristique ne peut avoir la même implantation dans la région de Montréal que dans une région comme la Gaspésie ou Charlevoix; une politique d'environnement ou des affaires municipales relative au traitement des eaux usées ou à la pollution, n'a pas les mêmes implications dans une région fortement urbanisée ou industrialisée que dans une région semi-rurale faiblement concentrée. Les enjeux de la nouvelle politique forestière (Loi 150) sont majeurs pour le développement économique de plusieurs régions du Québec. Le renouvellement de notre ressource naturelle, l'utilisation polyvalente de la forêt, l'approvisionnement des industries forestières, l'aménagement des aires forestières sont autant d'enjeux qui trouveront leur application concrète et spécifique dans chacune des régions. Notre implication dans les régions. C'est évidemment par notre action militante et nos revendications dans nos régions respectives que notre mouvement pourra infléchir les choix régionaux qui ne respectent pas nos objectifs, ou qui vont à l'encontre des principes que nous mettons de l'avant. L'implication des conseils centraux dans le développement de leur région est certes exigeante. Elle exige d'abord l'approfondissement de la dynamique sociale, économique et culturelle de la région. Sans une bonne connaissance de cette réalité régionale, il sera difficile, voire impossible, d'élaborer des revendications qui soient crédibles. Dresser le portrait de la région, identifier ses forces et ses faiblesses, cela exige des ressources humaines: d'abord des militantes et militants syndicaux de la région provenant de différents secteurs, notamment de l'enseignement et de l'information, des ressources provenant des services généraux de la CSN, mais aussi d'autres ressources compétentes de la région travaillant dans divers organismes gouvernementaux ou paragouvernementaux (les économistes régionaux du ministère de l'Industrie et du Commerce, par exemple), qui disposent d'informations économiques et sociales essentielles à la compréhension de la réalité régionale. Des expériences comme celle du Conseil central de Lanaudière qui, à l'aide de ressources du CEGEP de Lanaudière, a dressé un portrait détaillé de l'industrie manufacturière de la région, auraient intérêt à être reprises dans d'autres régions. Il sera nécessaire de multiplier et de former les militantes et militants des conseils centraux qui décident de s'impliquer dans ce dossier. Le Service de la formation de la CSN offre déjà une session de formation sur l'économie et le plein emploi qui traite du développement régional. Des sessions plus centrées sur le développement régional et sur les régions spécifiques devront aussi être développées. Il va de soi que la participation à ces sessions constituera un atout majeur pour quiconque s'occupe du dossier du développement régional. Il sera aussi essentiel que les officières et officiers, les militantes et militants des conseils centraux, aient une bonne connaissance des différentes revendications sectorielles développées par les diverses fédérations de la CSN, ainsi que des positions développées sur les politiques nationales, tels la fiscalité et les programmes sociaux. L'élaboration d'une stratégie de développement régional doit aboutir à des revendications précises qui devront être guidées par nos objectifs de plein emploi, de démocratie et de contrôle de notre développement. Le rapport de forces qui sera nécessaire pour infléchir les politiques gouvernementales que nous savons être inspirées par des objectifs autres, doit nous inciter à développer des liens de solidarité avec les organisations populaires et communautaires, ainsi qu'avec d'autres organisations syndicales dans la région qui partagent nos objectifs de base. Il pourra être utile de développer des revendications régionales en coalition avec certaines de ces organisations, afin de susciter la mobilisation la plus large possible en appui à celles-ci. Plusieurs conseils centraux sont actifs à l'intérieur de coalitions populaires larges. D'autres n'ont que peu ou pas développé ce type de solidarité. L'expérience vécue à ce jour à l'intérieur de telles coalitions, tant par la confédération que par plusieurs conseils centraux, démontre qu'elles se sont avérées d'une importance capitale dans nos luttes contre les politiques de désengagement de l'État. Le rapport de forces qui a pu être développé contre le rapport de la Commission Forget sur la réforme de l'assurance-chômage et contre la réforme Paradis de l'aide sociale, en sont deux exemples. Ces coalitions pourraient devenir tout aussi importantes dans l'élaboration de politiques et de revendications de rechange pour consolider nos régions, développer l'emploi et étendre l'exercice de la démocratie. La participation aux sommets économiques régionaux a constitué, pour plusieurs conseils centraux, une expérience valable, selon un premier bilan qui en a été fait: "Si on se permet de faire une évaluation globale, dans la plupart des régions administratives ou des sous-régions où la CSN a participé à des sommets régionaux, le rapport de forces était suffisamment élevé pour que la participation s y soit avérée globalement positive. (Service de la recherche, CSN, Vers un bilan (provisoire) de la participation de la CSN aux sommets socio-économiques régionaux). Cette participation sera d'autant plus fructueuse que les conseils centraux pourront s'acquitter des tâches et responsabilités énumérées ci-haut. 17 - Propositions relatives à notre engagement dans le développement régional. Considérant l'énoncé politique du gouvernement du Québec sur la politique de développement régional; Considérant l'importance de la question régionale pour le développement du Québec; Considérant nos objectifs de plein emploi, de démocratie et de contrôle de notre développement; Il est proposé: Que, suite à l'énoncé gouvernemental sur la politique de développement régional: - la CSN exige du gouvernement du Québec une consultation large, tant au niveau provincial que régional sur cette question; - la CSN et les conseils centraux participent activement à cette consultation, en développant des propositions qui s'inspirent des principes suivants: - reconnaissance de la spécificité et de la dynamique propre de chaque région; - développement des régions par les régions elles-mêmes; - participation des régions à l'élaboration des politiques nationales et sectorielles; - adaptation régionale des politiques nationales et sectorielles; - déconcentration administrative et décentralisation politique - participation réelle aux choix régionaux des groupes d'intérêts représentatifs. Considérant que, dans les années à venir, de plus en plus de décisions ayant trait au développement régional se prendront au niveau des décisions administratives du Québec, des municipalités régionales de comté (MRC) et des gouvernements municipaux; Considérant que l'intervention à ces niveaux gouvernementaux relève des conseils centraux de la CSN; Il est proposé: Que la CSN recommande aux conseils centraux de s'impliquer davantage sur le plan de la politique régionale et municipale, qu'il s'agisse de gouvernements municipaux, des MRC, des organismes issus des sommets régionaux, des Conseils régionaux de développement (CRD), des Commissions de formation professionnelle (CFP), des commissions scolaires, des organismes régionaux de santé et de services sociaux, etc. Que cette implication du conseil central consiste en une participation aux forums régionaux, tels sommets, présentation de mémoires et autres représentations. Que de plus, que cela puisse aller jusqu'à des appuis ponctuels du conseil central, sur la base de nos revendications, à des mouvements représentatifs qui présentent des candidates et candidats aux élections municipales, scolaires et autres paliers administratifs. Considérant l'importance de la question régionale pour le développement du Québec; Considérant nos objectifs de plein emploi, de démocratie et de contrôle sur notre développement; Considérant la nécessité de développer des revendications concrètes qui vont dans le sens de ces objectifs; Considérant la nécessité de développer en région un rapport de forces le plus large possible en appui à nos revendications; Il est proposé: Que les conseils centraux accroissent leur implication dans le développement social, économique et culturel de leur région en s'acquittant entre autres des tâches suivantes: - dresser et mettre à jour le portrait social, économique et culturel de leur région; - dresser l'inventaire des ressources syndicales et autres disponibles dans la région, auxquelles ils pourront faire appel dans l'accomplissement de leur mandat sur la question régionale; - avec les organisations syndicales, populaires et communautaires de leur région, développer des champs communs de réflexion, de revendication et d'action; - mettre sur pied et développer des coalitions populaires régionales; - préparer la participation aux sommets socio-économiques régionaux, en coalition si opportun. Que la CSN mette sur pied dans les régions des sessions de formation sur l'économie et le développement régional pour les membres des exécutifs des conseils centraux. Qu'une session de formation sur l'économie et le plein emploi soit offerte à l'ensemble des militantes et militants des syndicats. III - Pour préparer un avenir à notre façon. Dans nos secteurs. Notre implication dans le développement régional est essentielle à la poursuite de nos objectifs mais elle ne sera pas suffisante si, parallèlement, nous ne déployons pas les efforts nécessaires à une meilleure compréhension des forces qui agissent sur l'évolution de l'emploi dans les différents secteurs d'activité qui déterminent la structure économique de notre société en perpétuel changement. Il est indéniable que la situation économique et industrielle subit aujourd'hui des transformations profondes à l'échelle mondiale. Des secteurs entiers en perte de vitesse, la concurrence économique qu'entreprennent efficacement des pays du Tiers monde nouvellement industrialisés, des méthodes de travail et de production industrielle archaïques qui ne sont pas en mesure d'assurer la survie de maintes entreprises ou les intérêts environnementaux et sanitaires de la société: tous ces facteurs militent clairement en faveur de nouvelles orientations sociales et économiques. Le Québec n'échappe pas aux forces qui restructurent les économies nationales. Pendant que des emplois à temps plein disparaissent dans plusieurs secteurs de l'industrie manufacturière comme le textile, le vêtement, la machinerie, les produits électriques, la métallurgie, d'autres se créent dans le commerce de gros et de détail, dans les services socio-culturels, financiers et personnels, entre autres. La qualité des emplois évolue aussi. Tandis que plusieurs milliers d'emplois stables et souvent de qualité ont été perdus dans le secteur manufacturier lors de la crise de 1981-1982, le secteur des services a généré un grand nombre d'emplois à temps partiel ou temporaires et à bas salaires. Ce déclin relatif du secteur manufacturier n'est pas propre au Québec; il existe dans tous les pays industriels développés. Ce qui est particulier au Québec cependant, c'est qu'il est beaucoup plus rapide. Ainsi, de 1961 à 1984, la part de l'emploi manufacturier dans l'ensemble de l'économie québécoise a diminué de 31 %, comparativement à seulement 6,7 % en Ontario. En 1961, les entreprises au Québec étaient responsables de 30,1 % de l'ensemble de la production manufacturière canadienne. En 1984, ce pourcentage n'était plus que 25,3 %. Pendant la même période, la part de l'Ontario passait de 49,5 % à 52,8 %. Le déclin continu et accéléré de la base manufacturière de notre société, qui souffre déjà de sous-emploi chronique, ne pourra qu'entraîner, à moyen et à long terme, encore plus de chômage, l'érosion de notre niveau de vie et le déclin économique général. Il faut d'abord considérer que le développement du secteur manufacturier a été à la base de l'élévation du niveau de vie dans les pays développés. Ces secteurs ont été et sont encore le foyer de l'innovation technologique qui a engendré des gains énormes de productivité dans tous les autres secteurs, que ce soit l'agriculture, les mines, la forêt, mais aussi dans les services, publics et privés. Or, non seulement les possibilités d'innovations technologiques sont-elles beaucoup moindres dans plusieurs secteurs des services - ce qui explique en partie les bas salaires et les conditions de travail précaires - mais un très grand nombre de services sont directement liés à l'activité manufacturière, tels la publicité, les finances, le transport, les communications, les services comptables, d'ingénierie, d'informatique, etc. Sans base manufacturière dynamique, ces services ne pourront dorénavant se développer de manière autonome, à l'abri de la concurrence internationale. Un autre élément dont il faut tenir compte est le fait que, dans le secteur tertiaire, un grand nombre d'emplois commandent de bas salaires et sont de nature précaire. Ainsi, la perte d'emplois permanents et mieux rémunérés du secteur manufacturier et leur remplacement par des emplois dans le secteur des services, engendrent-ils une érosion graduelle du pouvoir d'achat dans la société, ce qui à la longue réduit la demande, tant pour les biens de consommation que pour les services personnels, entraînant une diminution de l'emploi dans ces derniers secteurs. Le déclin rapide de la base manufacturière du Québec est d'autant plus inquiétant que cette industrie souffre depuis toujours de graves déséquilibres internes: - La part des secteurs mous, faiblement productifs et peu innovateurs, est toujours trop lourde, compte tenu de la concurrence des pays à faibles coûts de production, tandis que les industries fabriquant des biens d'équipement et des produits finis à haute valeur ajoutée sont trop peu développées. - De plus, plusieurs secteurs-clés de notre économie sont contrôlés par des intérêts étrangers, surtout américains, par exemple, celui des produits chimiques à 58 %, celui de la machinerie à 48,2 % et celui des produits électriques à 33,1 %. En conséquence, une part importante de la recherche industrielle et de l'innovation technologique est effectuée à l'extérieur de nos frontières et sert peu au soutien d'une évolution continue et équilibrée de notre économie. L'échec des politiques industrielles. Ce rapide tour d'horizon des principales faiblesses de notre économie nous oblige à questionner l'efficacité des interventions gouvernementales. Et ces interventions, tant au fédéral qu'au provincial, ont été nombreuses, importantes et variées: aide directe de l'État par les abris fiscaux, les subventions, les prêts, les garanties de prêts, le soutien technique aux entreprises, les politiques d'achat préférentielles, la politique commerciale, tarifaire et non tarifaire, l'aide à la recherche et au développement, les mégaprojets, la politique de développement régional, les sociétés d'État, la politique de main-d'oeuvre et autres. Certains de ces programmes ont entraîné des dépenses extrêmement importantes: par exemple, en 1981, à lui seul, le gouvernement fédéral a accordé aux entreprises des abris fiscaux de l'ordre de 12 à 15 milliards $. En 1983, l'ensemble des gouvernements au Canada ont dépensé environ 10 milliards $ en subventions directes et indirectes aux entreprises. Il faut souligner que la responsabilité des politiques et interventions gouvernementales incombe, que ce soit au niveau provincial ou fédéral, à un grand nombre de ministères et organismes; qu'il existe peu ou pas de coordination dans leur mise en oeuvre; que les objectifs qu'elles poursuivent sont souvent multiples, imprécis, parfois même contradictoires; que ces objectifs peuvent se modifier dans le temps au gré de la conjoncture économique et des pressions politiques. Aussi, ces politiques et interventions sont-elles décidées et mises en oeuvre à la pièce, et ne s'insèrent donc pas à l'intérieur d'une stratégie d'ensemble qui serait dictée par des choix précis de développement. Le fait que les deux paliers de gouvernement interviennent de manière non coordonnée et souvent contradictoire dans l'économie explique en partie cette situation. Ainsi, les disputes fédérales-provinciales ou interprovinciales sont-elles innombrables: l'emplacement de l'industrie automobile dans les années 1960, le contrat d'entretien des F-18 et la bataille fédérale-provinciale des pêcheries dans les années 1980, la répartition des contrats des frégates des forces armées canadiennes récemment, et aujourd'hui, l'emplacement d'un centre aérospatial canadien, n'en sont que quelques exemples. Il existe, cependant, une explication plus fondamentale au caractère éclaté et non coordonné des politiques économiques au Canada, et conséquemment, de leur inefficacité à générer des emplois de qualité en nombre suffisant. Elle a été identifiée par la Commission royale sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada (Commission McDonald): "La politique industrielle du Canada utilise une grande variété de moyens. Ni le gouvernement fédéral ni les provinces n'ont adopté de ligne directrice pour la politique industrielle. Phénomène qui témoigne de la dépendance totale envers les lois du marché et le secteur privé, moteurs de la croissance." L'échec des politiques industrielles au Canada s'explique par le fait que, fondamentalement, l'intervention économique de l'État vise à créer les conditions nécessaires au fonctionnement des lois du marché, et à permettre au secteur privé de fonctionner le plus librement possible, en le soutenant à l'aide d'interventions à la pièce et à court terme. Cet échec a d'ailleurs été confirmé récemment au cours d'une entrevue par Robert de Cotret, ministre fédéral responsable de la politique industrielle canadienne, comme en fait foi un article du journal La Presse du 21 septembre dernier: "Le Canada n'a plus, depuis plusieurs années, de stratégie globale de développement industriel et le nouveau ministre... avoue qu'il doit recommencer à zéro." Notre implication. La CSN et ses fédérations s'intéressent depuis de nombreuses années à l'évolution de l'emploi dans différents secteurs d'activité. Plusieurs analyses et plates-formes de revendications sectorielles ont été élaborées entre autres pour la forêt, les pêcheries, les chantiers maritimes, le textile, le vêtement et la chaussure, les garderies, la santé et les services sociaux. Une plate-forme est en voie d'élaboration pour le secteur de l'éducation. La Fédération de la métallurgie est impliquée dans une recherche sur la reconversion de l'industrie militaire. Des colloques sont tenus régulièrement, comme celui de mars dernier sur le secteur CEGEP. D'autres colloques ont été organisés dans le but de mieux comprendre la dynamique de certains secteurs d'activité et les stratégies patronales qui y sont déployées, et aussi pour nouer des liens de solidarité avec des travailleuses et travailleurs organisés dans d'autres régions du Canada et d'autres pays du monde: colloques sur l'aluminium, l'industrie du papier et de la forêt, la santé, l'agro-alimentaire. Toutes ces études, analyses et événements sectoriels nous ont permis de mieux comprendre les forces qui structurent ces secteurs d'activité et de faciliter l'élaboration de stratégies syndicales. Le secteur des services est certes appelé à se développer beaucoup plus rapidement que celui de la transformation, et il est primordial de voir à son développement harmonieux. Des emplois de qualité dans des services bien adaptés aux besoins des individus et des entreprises sont essentiels au développement d'une base industrielle dynamique. Bien comprendre la dynamique de tous nos secteurs d'activité, qu'ils soient en expansion ou en régression, nous permettra, en tant qu'organisation syndicale, d'agir de façon beaucoup plus éclairée et articulée sur plusieurs fronts: - l'élaboration de stratégies de négociation et d'organisation d'abord; - la définition de plates-formes de revendications sectorielles pour presser les gouvernements à agir, afin de consolider et développer des emplois de qualité et en nombre suffisant dans les divers secteurs d'activité où le Québec détient un avantage réel, de consolider ou de convertir les secteurs en difficulté, et de créer et développer l'emploi dans les secteurs d'avenir; - l'élaboration de revendications en ce qui concerne la formation professionnelle, afin de s'assurer que les travailleuses et travailleurs auront l'occasion d'adapter leurs qualifications aux exigences des emplois qui se créent et se transforment dans chacun des secteurs d'activité. Nous sommes conscients et nous comprenons qu'il existe dans plusieurs syndicats une grande résistance et une inquiétude profonde à aborder ouvertement certains sujets, telles la diversification, la restructuration ou la reconversion économique. Cependant, nous devons être conscients de l'urgence d'analyser dès maintenant ces forces qui opèrent ou qui opéreront demain des changements profonds dans l'évolution de nos secteurs d'activité, que ces changements soient négatifs ou positifs. Nous devons nous engager à tout mettre en oeuvre pour défendre et développer l'emploi dans nos lieux de travail. Ceci exige, comme nous l'avons vu, une implication concrète des syndicats, pour tenter d'infléchir les choix économiques des entreprises et assurer aux travailleuses et travailleurs un meilleur contrôle sur l'organisation de leur travail et sur le contenu de la formation. Les syndicats pourront d'autant mieux réussir qu'ils auront une bonne connaissance de la dynamique de leur secteur d'activité. Nous avons aussi des responsabilités envers les travailleuses et travailleurs qui, à cause de certains bouleversements profonds qui restructurent l'économie, se verront nier leur droit au travail. Ce qui implique, d'une part, que des efforts soient déployés pour faire en sorte que des emplois de qualité se créent dans d'autres secteurs d'activité et d'autre part, que ces travailleuses et travailleurs reçoivent la formation et le soutien nécessaires pour réintégrer le marché du travail le plus rapidement possible. Notre implication syndicale dans la compréhension, le suivi et le développement de nos secteurs économiques est d'autant plus importante, aujourd'hui, que le désengagement des gouvernements de leurs responsabilités dans le développement économique est toujours mis de l'avant. Reconnaître l'évolution rapide du marché du travail; prendre conscience que cette évolution laissée de plus en plus aux forces du marché peut être planifiée; continuer à développer, à proposer et à lancer sur la place publique des politiques sectorielles qui vont dans le sens du développement d'emplois de qualité et socialement utiles; élaborer des politiques qui consacreront le droit pour les travailleuses et travailleurs à une formation ou un recyclage adéquat; développer à partir de ces études et analyses des stratégies de négociation et d'organisation mieux articulées: voilà les tâches qui nous incombent dans les mois et les années à venir. Elles sont certes exigeantes, mais ne sont-elles pas essentielles pour que nos luttes deviennent plus offensives, pour que notre place dans le développement économique et social du Québec soit plus réelle? La coordination des négociations. Au cours des dix dernières années, la pratique de la négociation collective dans l'ensemble du mouvement est demeurée structurellement stable. C'est beaucoup plus au niveau de son contenu que la négociation collective a connu et continue de connaître des changements et de nouveaux champs. Ainsi en est-il du regain d'activité en matière de négociation des avantages sociaux, notamment ceux reliés à la préretraite et à la retraite. Des efforts soutenus sont déployés afin d'améliorer les dispositions relatives aux changements technologiques et à la question de la flexibilité. Des préoccupations majeures, comme celles liées aux statuts d'emploi et à la sécurité d'emploi, sont aussi fortement en cause. Pendant ces dernières années, nous en sommes venus à doter le mouvement d'analyses et d'instruments concrets permettant de mieux connaître les milieux de travail et les mutations qu'on y observe. En particulier, les instruments, autant ceux permettant d'accroître nos connaissances et notre expertise que ceux pouvant nous servir de guides et de politiques de négociation, commencent à subir le test de la négociation collective. Un rapide examen des résultats permet de constater un enracinement progressif des analyses et des instruments, mais nous révèle aussi que leur pénétration en termes de résultats pratiques demeure encore limitée. Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il en soit ainsi. Ce sont là des champs de négociation mettant en cause plusieurs nouvelles stratégies patronales qui ont, entre autres caractéristiques, celle d'être présentées et appliquées sous des formes diverses. Ces champs de négociation se présentent dans divers contextes: restructuration d'entreprises, concurrence dans un cadre éventuel de libre-échange, nouveaux procédés de production, etc. Comment concilier cet état de fait avec la perspective dégagée au Congrès de 1980? Rappelons quelques propositions. A ce congrès, le concept de négociation nationale était présenté. Il visait essentiellement à faire déborder le cadre traditionnel de la négociation collective pour entreprendre un type de négociation prenant en compte les aspirations et les problèmes de l'ensemble des travailleuses et des travailleurs. Nous voulions avoir un pouvoir réel de négocier directement plusieurs aspects des politiques sociales et économiques avec le gouvernement. Dans les faits, cela ne s'est pas traduit ainsi. Néanmoins, le mouvement syndical n'a pas pour autant été inactif, loin de là. En matière de politiques sociales, la CSN a été l'organisation syndicale québécoise qui a mis le maximum d'énergie, tant au plan provincial que régional, afin d'exprimer les préoccupations et les revendications des travailleuses et des travailleurs. Rappelons nos présentations devant la Commission consultative sur le travail (Commission Beaudry), ainsi que devant la Commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux (Commission Rochon). Il est aussi opportun de signaler nos présentations relatives à la nouvelle loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (Loi 42), de même que sur la réforme de l'assurance-chômage et de l'aide sociale. Toute cette activité a produit des résultats fort valables, allant de l'approfondissement des connaissances des grandes questions sociales à des résultats plus concrets, comme ceux observés notamment à l'égard du régime d'assurance-chômage, qui n'a pas connu les modifications souhaitées par les milieux conservateurs. Au point de vue de la politique économique, notre action a été concentrée autour du thème de l'emploi. Tant d'un point de vue global que local, ce thème demeure une constante. C'est dans cet esprit que les projets sectoriels de création et de protection d'emplois ont été à maintes reprises soumis aux gouvernements. De même en est-il de notre examen et de nos propositions sur la stratégie économique que nous discutons au présent Congrès. Ce tableau nous permet de constater que dans les faits, notre mouvement a continué de proposer et de revendiquer à la fois au plan de la négociation collective et au plan de l'action sociale et politique. Il n'y a pas eu de négociation nationale au sens des termes exprimés dans les propositions du Congrès de 1980. L'expérience nous indique que nous avons été tout de même en mesure de travailler à remplir nos devoirs d'organisation syndicale. Il est possible de se doter d'un moyen plus souple et moins ambitieux pour accomplir nos devoirs d'organisation syndicale en matière de négociation. Nous soumettons que la négociation collective est une responsabilité des syndicats et des fédérations, appuyée par la Confédération. Dans ce sens, nous fondons un grand espoir sur des formes de coordination des négociations, telles que celles établies dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration à Montréal en 1987. Et, de façon différente, celles que les syndicats de techniciens-ambulanciers ont développées, soit à la fois élargir le champ de la négociation et mettre en place une structure multipatronale de négociation. D'autres façons de faire permettent aussi d'améliorer les processus de coordination. Ainsi en est-il des sessions de formation spécialisée organisées par la Fédération de la métallurgie qui permettent l'acquisition de connaissances, l'échange d'informations et la recherche de consensus à l'égard d'un point ou de plusieurs points en matière de négociation. Nous venons de demander, dans le cadre des activités du Comité inter-fédérations du privé, une formule de groupe de travail inter-fédéral pour examiner et soumettre des politiques de négociation à l'égard de questions aussi importantes que la flexibilité, tant en matière de tâches que de rémunération. C'est vers la perspective d'une meilleure cohésion de nos principes de base dans le cadre de la négociation collective, que nous devons nous diriger. Nous l'avons déjà mentionné, de nombreux champs de négociation sont exigeants, d'autres sont plus nouveaux: mentionnons l'accès à l'égalité et l'équité salariale. Au cours des années qui viennent, notre action syndicale sera déterminante. Dans ce sens, la coordination des négociations s'imposera dans un contexte où nous pourrons développer des positions de base ajustables aux situations et aux priorités des syndicats. Pour ce faire, les fédérations ont un rôle majeur et c'est ainsi que nous croyons qu'il leur faut développer au maximum les liens entre elles afin de faciliter l'échange, l'analyse, le débat et la capacité de proposer. D'un point de vue formel, nous nous dirigeons vers une "coordination nationale des négociations". Cette coordination nationale se fait à l'intérieur de structures connues, le Comité de coordination des négociations du secteur public (CCNSP) et le Comité inter-fédérations du privé (CIFP). Chacun de ces comités a ses obligations, ses mandats et ses préoccupations particulières. C'est au niveau du Comité de coordination générale des négociations (CCGN), qu'à intervalles réguliers, des orientations fondamentales sont discutées et que l'évaluation de notre action en matière de négociation collective est faite. A notre avis, c'est une façon correcte de travailler dans le cadre d'un régime de négociation décentralisé dans le secteur privé et dans certaines parties des secteurs publics et, d'autre part, dans le cadre d'un régime plus centralisé qui est celui propre à l'ensemble du secteur public gouvernemental. Ce qui est à privilégier, d'un point de vue syndical, c'est l'échange en tenant compte des diversités sectorielles. C'est de cette façon que l'on améliorera notre capacité d'agir et qu'ainsi, nous réussirons à améliorer les conditions de travail et de vie des travailleuses et des travailleurs. 18 - Propositions relatives à notre engagement dans le développement sectoriel. Considérant l'évolution dans la division internationale du travail; Considérant l'absence de stratégie industrielle cohérente des gouvernements; Considérant nos objectifs de plein emploi, de démocratie et de contrôle sur notre développement; Considérant la nécessité de planifier le développement sectoriel en fonction de ces objectifs; Considérant la nécessité pour les syndicats d'approfondir leur compréhension de la dynamique des employeurs en vue d'infléchir leurs choix de développement; Il est proposé: Que les fédérations, avec l'appui des services confédéraux, approfondissent leurs connaissances des secteurs d'activité qui relèvent de leur juridiction. Qu'elles mettent à jour les analyses et plates-formes sectorielles existantes. Qu'elles effectuent les analyses et développent des plates-formes de revendications pour tous les autres secteurs de leur juridiction. Que chacune ait à cette fin un comité de l'emploi dont la tâche sera de mener à terme ces travaux et de les diffuser le plus largement possible à l'intérieur et à l'extérieur du mouvement. Que ces études et plates-formes sectorielles deviennent des instruments privilégiés dans la préparation et l'élaboration par le CCGN, les fédérations et les syndicats, de revendications en vue de négociations sectorielles et locales. Que ces études et plates-formes sectorielles deviennent des instruments privilégiés pour les fédérations et la Confédération, dans l'élaboration des stratégies d'organisation. Que la CSN poursuive ses travaux et recherches en vue de l'élaboration d'une stratégie de développement économique pour le Québec, en s'appuyant entre autres sur les études et plates-formes sectorielles élaborées par les fédérations. Considérant les transformations rapides dans l'organisation du travail et les besoins de formation qui en découlent; Considérant l'adaptation nécessaire des travailleuses et travailleurs à l'évolution de l'emploi et de la main-d'oeuvre dans chaque secteur d'activité; Considérant la nécessité pour la CSN, les fédérations et les syndicats d'identifier le plus précisément possible les besoins sectoriels de formation pour être en mesure d'intervenir plus efficacement auprès des gouvernements, de certains ministères et des employeurs locaux; Il est proposé: Que les fédérations développent, avec l'appui des services confédéraux, une expertise des besoins des membres en matière de formation de base, de recyclage, de perfectionnement et de reconnaissance des acquis. Que les fédérations, à partir de cette expertise, élaborent des politiques sectorielles de formation. Considérant que l'évolution de la situation économique, nationale et internationale exige des modifications et des changements, souvent profonds, dans les structures économiques du Québec et du Canada; Considérant que de tels changements doivent être réalisés, lorsque nécessaire, dans l'ordre et sans dislocation majeure de la vie économique du Québec et du Canada; Considérant qu'une politique de restructuration économique bien conçue constitue un levier efficace du développement économique du Québec et du Canada; Considérant que de tels changements ne doivent pas se réaliser au prix d'une baisse du niveau de l'emploi, de sa sécurité ou de sa qualité; Considérant que le plein emploi est à la fois indicateur et promoteur de la santé économique du Québec et du Canada; Considérant que l'accord de libre-échange proposé entre le Canada et les États-Unis est annonciateur, si ratifié, de dislocations économiques majeures et de pertes considérables d'emplois; Considérant que la production pour des fins militaires comporte des retombées économiques et sociales qui sont inférieures à celles assurées par la production civile à des fins socialement et humainement utiles; Considérant le nombre d'emplois qui relèvent du secteur de la production militaire et la nécessité que de tels emplois ne soient pas perdus sans que soient créés de nouveaux emplois dans d'autres domaines plus utiles; Il est proposé: Que les syndicats et les fédérations développent leurs propres analyses quant à une éventuelle restructuration ou reconversion des entreprises ou des secteurs qui se trouvent dans des secteurs vulnérables ou de production militaire. Que la CSN exige la création d'un fonds de reconversion et de restructuration économique, administré entre autres par des représentants des organisations syndicales et financé conjointement par les gouvernements provinciaux et fédéral. Ce fonds devrait: - financer des recherches en vue de l'élaboration de plans de restructuration et de reconversion possibles pour les secteurs économiques faibles ou vulnérables de l'économie, ainsi que pour le secteur de production militaire; - fournir une aide technique et financière aux entreprises concernées afin de leur permettre de se reconvertir. Une telle aide, financière ou autre, doit être accordée en fonction de la capacité génératrice d'emplois dans les nouveaux domaines d'activités proposés; - rendre disponibles des crédits nécessaires à la formation et au recyclage des travailleuses et travailleurs touchés dans le cadre des ententes fédérales-provinciales sur la formation professionnelle. Que la CSN entreprenne les démarches nécessaires auprès du public, des autres centrales syndicales, et du mouvement populaire afin de promouvoir la revendication de créer un tel fonds. IV - Pour préparer un avenir à notre façon. Dans notre société. Infléchir les grandes politiques. La droite politique, dont l'influence est prépondérante tant au gouvernement provincial que fédéral, prône une diminution du rôle de l'État dans tous les domaines où il intervient. Selon ce courant politique, l'efficacité économique impose un retrait de l'État de la sphère sociale et de la sphère économique, donc la privatisation des sociétés d'État et la déréglementation. On voudrait ainsi voir une fiscalité moins progressive, des programmes de soutien du revenu réduits et la privatisation de certains services de santé et d'éducation. La droite politique favorise également un traité de libre-échange qui forcerait le Canada et les provinces à se soumettre aux "règles du jeu" du libre-marché, telles que définies par les États-Unis. Si le Canada et le Québec devaient céder aux pressions de la droite, cela aurait des effets négatifs sur le volume d'emplois et rendrait impossible la création du plein emploi. Déjà, les conséquences, en termes de pertes d'emplois, se sont fait sentir dans les entreprises qui, en prévision du libre-échange, ont annoncé le transfert de leurs investissements aux États-Unis. L'expérience du plein emploi dans d'autres pays a démontré que le maintien et la revalorisation du rôle de l'État pour stabiliser l'activité économique et pour orienter le développement, est un prérequis pour permettre la mise en place d'une politique de plein emploi. L'atteinte de l'objectif du plein emploi exige la mise en place de politiques faisant en sorte que toute la population adhère à cet objectif et contribue selon ses capacités au travail productif. Cela est impossible si la société laisse se développer des couches de population qui sont soit pauvres, en mauvaise santé ou sans formation adéquate. Pour cette raison, le maintien de programmes vigoureux de soutien et de redistribution de revenus fait partie intégrante d'une politique de plein emploi, tout comme des programmes nationaux, universels et sans frais, de santé, de services sociaux et d'éducation. La mise en place d'une politique de plein emploi exige également que le gouvernement ait la capacité d'intervenir afin d'orienter le développement économique, en influençant par exemple les sociétés, pour qu'elles investissent dans des régions où l'on prévoit des pertes d'emplois dans des industries en déclin. Il est intéressant de constater que les pays d'Europe occidentale qui ont réussi à maintenir le plein emploi, c'est-à-dire un taux de chômage inférieur à 3 %, ne sont pas membres de la Communauté économique européenne. Il s'agit notamment de la Norvège, de la Suède, de l'Autriche et de la Suisse. Bien que ces pays possèdent des économies très ouvertes, ayant de très hauts niveaux d'échanges commerciaux avec leur voisin, ils ont voulu continuer à protéger certains secteurs à haute intensité de main-d'oeuvre (les services, l'agriculture, la recherche et le développement) et à imposer des contraintes aux investisseurs conformément à l'objectif du plein emploi, ce qu'une adhésion à la CEE n'aurait pas permis de faire. La CSN doit développer des analyses et plates-formes sur les grandes politiques nationales de nos gouvernements (gestion économique, fiscalité, politiques sociales, etc) et en diffuser aux syndicats affiliés le résultat, ainsi que des données sur la conjoncture économique, politique et sociale, au moyen d'un bulletin d'information publié régulièrement. L'ensemble des propositions qui découlent de notre analyse des grandes politiques vise à ce que nos gouvernements interviennent pour que ces politiques contribuent, d'une part, à la création du plein emploi et d'autre part, à une amélioration des services à la population. 1 - Infléchir la politique commerciale. L'entente commerciale Mulroney-Reagan, qualifiée d'entente de libre-échange, imposera une réorientation majeure de la politique économique canadienne, si jamais elle est ratifiée et mise en application. De fait, il est faux de qualifier de libre-échange le genre d'entente paraphée par le premier ministre Mulroney et le président Reagan. D'une part, cette entente ne garantit pas la libre circulation de biens, sans mesures de contrôle ou tarifs douaniers, entre le Canada et les États-Unis. D'autre part, sur les plans de l'investissement, de l'énergie et de l'intervention de l'État, cette entente va au-delà de ce qu'on définit habituellement comme une entente de libre-échange. Pas d'accès garanti au marché américain. Lors des négociations entre les deux pays, les négociateurs américains ont maintes fois insisté sur le fait que la souveraineté américaine, notamment en ce qui concerne la possibilité de faire appliquer des mesures de protection spéciales contre les importations canadiennes, n'était pas négociable. Les négociateurs américains ont bien voulu mettre sur pied un tribunal d'appel bilatéral, sans pouvoir autre que celui de vérifier si les lois américaines ont été bel et bien appliquées. Il est clair que ce mécanisme n'aura qu'une valeur symbolique: il a été qualifié de "face-saving device" pour le Canada par l'équipe de négociation américaine. L'ambassadeur américain au commerce international, Clayton Yeutter, a lui-même reconnu que l'entente canado-américaine "ne changerait pas d'un iota" le droit des industries américaines de réclamer des mesures de représailles contre les importations du Canada, en invoquant l'existence au Canada de subventions au développement régional, de prestations d'assurance-chômage trop généreuses, de droits de coupe et de tarifs d'électricité trop bas, et ainsi de suite. Le gouvernement a donc échoué lamentablement par rapport à son objectif prioritaire dans les négociations de libre-échange: il n'a obtenu aucune espèce d'accès garanti au marché américain. Si l'accès sans entrave des biens canadiens au marché américain n'a pas été obtenu, le pacte Mulroney-Reagan va cependant bien au-delà d'une entente de libre-échange dans d'autres domaines. L'entente comprend un engagement du gouvernement canadien d'éliminer les contraintes ou les conditions aux investissements américains au Canada. Elle contient un engagement du gouvernement canadien de "réduire les distorsions commerciales résultant d'actions gouvernementales" . Le Canada s'engage également par l'entente à garantir le maintien de l'expédition aux États-Unis de produits énergétiques, même en cas de pénurie ici, et aux mêmes prix que ces produits sont fournis aux Canadiens. Une "police d'assurance" pour la droite. Par cette entente, le gouvernement canadien s'engage à restreindre à tout jamais les pouvoirs d'intervention des gouvernements fédéral et provinciaux. La question que tout le monde se pose, c'est comment le gouvernement a pu laisser aller autant, sans même obtenir en retour l'accès garanti au marché américain, c'est-à-dire l'exemption pour le Canada de l'application des mesures protectionnistes par les États-Unis. C'est tout simplement que les concessions, vues comme des pertes par la majorité des citoyennes et citoyens, sont considérées comme des gains par les grandes entreprises et leurs alliés à droite de l'éventail politique. Cette entente constitue, pour les grandes entreprises et la droite canadienne, une police d'assurance que jamais plus l'État ne pourra intervenir pour placer des exigences de contenu canadien sur les investissements américains, établir de nouvelles sociétés d'État ou des programmes gouvernementaux qui fausseraient les règles du marché ou pour forcer les sociétés pétrolières à vendre moins cher leurs produits aux Canadiens. Puisque cette entente amènera une concurrence plus vive de la part de produits américains pour plusieurs types de produits canadiens, particulièrement dans des secteurs concentrés au Québec, il en résultera des pressions plus fortes en faveur d'une "harmonisation" de nos politiques sociales et de notre législation du travail avec le modèle américain. Les présidents de l'Association des manufacturiers canadiens et du Conseil du patronat du Québec ont déjà déclaré publiquement que l'entente de libre-échange obligerait le Canada et le Québec à sabrer dans l'assurance-chômage, dans la compensation des accidentés du travail, dans la loi anti-scabs et dans le salaire minimum. Plusieurs secteurs des économies québécoise et canadienne seront durement éprouvés par le libre-échange. Plusieurs PME pourraient y laisser leur peau. Cependant, très peu de porte-parole d'entreprises s'expriment sur la question. Les entreprises les plus importantes ont déjà mis en place des programmes de rechange. Ainsi, peu après la signature de l'entente, le président de Dominion Textile, une société ayant son siège social à Montréal, a annoncé d'un côté l'appui de son entreprise à cette entente et d'un autre côté, une réorientation de ses investissements vers les États-Unis. Quant aux plus petites entreprises incapables, elles, de transférer aussi facilement leurs investissements, elles ont subi beaucoup de pression de la part des associations patronales pour taire leur opposition à une entente jugée excellente, dans l'ensemble, pour le rapport de forces patronal. Même les patrons dans les secteurs vulnérables se sont fait convaincre qu'ils ont quelque chose à gagner d'une entente qui fera en sorte que le Canada et le Québec ressembleront davantage à la Caroline du Sud, par exemple, où l'assurance-chômage et le régime des accidents du travail ne protègent qu'une partie des victimes, où il n'y a pas de salaire minimum, où la formule Rand est illégale et où le taux de syndicalisation est de 4,5 %. Aucune consultation populaire. L'entente Mulroney-Reagan constitue d'abord et avant tout un projet politique ayant pour but de faire avancer les objectifs de la droite au Canada. Ce programme politique de droite n'a jamais été endossé par la population canadienne. On n'a qu'à se rappeler la façon dont le public a accueilli les tentatives du gouvernement canadien de désindexer les pensions ou, par le biais de la Commission Forget, de modifier à la baisse le régime d'assurance-chômage. Devant l'opposition massive de l'opinion publique canadienne, le gouvernement conservateur a dû reculer. Avec l'entente de libre-échange, il n'aurait qu'à évoquer le traité international entre le Canada et les États-Unis pour justifier telle ou telle mesure d'austérité. Sachant que la population n'aurait pas accordé de mandat pour effectuer un virage si important, le gouvernement conservateur a préféré procéder par subterfuge. Rappelons qu'avant les élections, le futur premier ministre Mulroney disait que le libre-échange "constituerait une menace pour la souveraineté économique et politique" du Canada. Son futur ministre des Finances, Michael Wilson, traitait ce projet de "simpliste et naïf: cela ne servirait qu'à diminuer notre capacité de concurrencer sur le plan international". A peine six mois après les élections, le premier ministre a signé une entente-cadre avec le président Reagan pour entamer les négociations mais, jusqu'à ce qu'une lettre confidentielle en provenance de Washington ne révèle l'importance des concessions canadiennes, le gouvernement canadien a nié s'être engagé dans de telles négociations: il ne cherchait qu'une "libéralisation des échanges", disait-il. A peine les négociations sont-elles conclues (10 décembre 1987) que Mulroney signe un traité avec Reagan (2 janvier 1988) sans permettre de consultation et annonce que le libre-échange est maintenant un fait accompli. La seule occasion qu'aura le peuple canadien de se prononcer sur ce projet et d'en débattre à fond, viendra au cours de la prochaine campagne électorale fédérale. Or, le mouvement syndical québécois et canadien fait preuve d'une quasi-unanimité en opposition au traité Mulroney-Reagan, et il est important que ses opinions sur cette question soient effectivement diffusées lors de la campagne électorale. La CSN devra donc, de concert avec ses partenaires au Québec et au Canada, prévoir une intensification de sa campagne d'information et de mobilisation contre ce traité, au cours des prochaines élections fédérales. Il ne s'agit pas seulement de contribuer à la défaite du Parti conservateur, mais également de s'assurer que les deux autres partis, s'ils sont élus, s'en tiennent à leur promesse de ne pas ratifier le traité Mulroney-Reagan. Commerce international et plein emploi. En s'opposant à ce traité, il ne s'agit pas pour nous de tourner le dos au commerce international, bien au contraire. Le Canada et le Québec sont des pays très ouverts sur le plan économique. 28 % de la production nationale est exportée, tandis que les États-Unis, pour leur part, exportent moins de 7 % de leur production nationale. La création du plein emploi exige l'élaboration d'une politique commerciale qui permette de maintenir et d'accroître l'importance du marché international, mais plus spécifiquement de développer des marchés pour des produits et services qui sont particulièrement créateurs d'emplois. Or, il est à signaler que le traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis n'offre aucune solution aux problèmes que le Canada pourra rencontrer à trouver des débouchés. D'une part, ce traité n'accorde aucune espèce d'accès garanti au marché américain, destination de 78 % de nos exportations: il n'exempte pas le Canada de l'application de mesures de protection spéciales par les États-Unis. D'autre part, ce traité, qui sera particulièrement néfaste pour les secteurs manufacturiers et des services au Canada, risque d'accentuer le rôle du Canada comme producteur de matières premières et semi-transformées, ce qui nuira à la création d'emplois au Canada. La CSN a développé, conjointement avec les autres membres de la Coalition québécoise d'opposition au libre-échange (CSN, CEQ, FTQ et UPA), les principes d'une politique de commerce international qui vise comme premier objectif la création du plein emploi au Canada et au Québec. Cette politique repose sur cinq éléments: a. la diversification des exportations; des politiques industrielles pour promouvoir davantage l'autosuffisance; b. dans certains secteurs, des négociations sectorielles avec les États-Unis; c. la création d'un forum bilatéral pour discuter des litiges commerciaux possibles; d. l'utilisation accrue par le Canada des mécanismes multilatéraux du GATT. a - Diversification des exportations. Au cours des années, le Canada a vu la part des États-Unis s'accroître en tant que destination de ses exportations, comme en témoigne le tableau suivant. L'entente de libre-échange augmentera notre dépendance à l'endroit des États-Unis et pourrait entraîner un affaiblissement de notre compétitivité sur les autres marchés du monde. En effet, l'économie américaine montre un taux de croissance de la productivité plus faible que chez tous nos autres partenaires commerciaux importants (Japon, Asie de l'est, CEE). Nous proposons une politique de diversification géographique de nos exportations. Il s'agit, pour le gouvernement canadien, d'aider les exportateurs à profiter du bas niveau de notre dollar, en fournissant un appui technique pour surmonter des obstacles comme: connaître les normes et standards des pays importateurs, traduire les informations en langues étrangères, développer des technologies appropriées au Tiers monde. Le Canada viserait ainsi à accroître ses exportations en priorité au régions suivantes: la Communauté économique européenne, le Japon, les nouveaux pays industrialisés (Corée du Sud, Taïwan, Chine, Inde, Brésil, Mexique), et les pays du Tiers monde qui sont d'importants bénéficiaires de l'aide internationale canadienne. b - Accroître l'autosuffisance. Les programmes d'appui du gouvernement québécois dans le domaine de l'agriculture ont démontré qu'il est possible d'accroître l'autosuffisance dans des secteurs où le Québec et le Canada sont lourdement déficitaires: de 1975 à 1985, le taux d'autosuffisance agricole au Québec est passé de 45 % à 75 %. Le Canada et le Québec devraient élaborer des politiques industrielles pour développer des produits qui pourraient se substituer aux importations, particulièrement dans le secteur manufacturier, là où l'impact sur l'emploi est le plus fort. Cela peut se faire avec un mélange judicieux d'appuis à la recherche et au développement, de subventions pour la mise sur pied de nouveaux secteurs et des politiques d'achat gouvernementales favorisant les produits locaux. Un effort particulier doit être fait dans le domaine de la machinerie et des équipements, où le Canada accuse un déficit commercial de 12,4 milliards $ (en 1986). Le Canada devrait appuyer le développement technologique d'équipements dans des secteurs où il est un important producteur, tels les pâtes et papiers, la transformation de certains minerais, la production hydro-électrique, les matériaux de construction, etc. c - Des ententes sectorielles. Dans des secteurs où on évalue que tant le Canada que les États-Unis peuvent bénéficier des économies d'échelle, le Canada devrait proposer la négociation d'ententes commerciales sectorielles sur le modèle du Pacte de l'auto. Dans ces ententes, l'élimination des droits de douanes permettant une rationalisation à l'échelle nord-américaine serait conditionnée à la mise en place de quotas de production minimale dans les deux pays. Il s'agit de reprendre un processus amorcé par les gouvernements canadien et américain en 1983, mais suspendu par le gouvernement Mulroney en septembre 1984. d - Forum bilatéral. Nous proposons que le Canada établisse, avec son plus important partenaire commercial, un forum où des litiges commerciaux éventuels puissent faire l'objet de discussions et de recherche d'une solution acceptable aux deux parties. Contrairement au mécanisme proposé par l'entente Mulroney-Reagan, les deux pays maintiendraient leur pleine autonomie en matière de lois commerciales et le droit d'avoir recours aux mécanismes du GATT, un forum international de négociation dont l'objectif est de diminuer les tarifs sur les produits et de régler les litiges commerciaux. Également, des discussions pourraient avoir lieu avant d'attendre une décision définitive de l'instance commerciale du pays, et sans imposer de délais irréalistes comme le fait l'accord du 2 janvier (300 à 315 jours). e - Mécanismes multilatéraux. Le gouvernement Mulroney propose, avec son entente bilatérale avec les États-Unis, de tourner le dos aux mécanismes multilatéraux qui existent depuis 1947 sous l'égide de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Selon l'article 1 801, lorsqu'un litige commercial entre le Canada et les États-Unis est référé à la Commission mixte du commerce canado-américain, on ne peut plus avoir recours aux mécanismes de règlements de litiges du GATT. Or, ces mécanismes n'ont pas du tout desservi le Canada. Sur les onze plaintes déposées par le Canada au GATT (six contre les États-Unis), le Canada a eu gain de cause dans dix cas (cinq des six plaintes logées contre les États-Unis). Non seulement le Canada a-t-il réussi à faire respecter les règles du commerce international, même par les États-Unis, mais il a également réussi à obtenir que ces règles préservent une espèce de "statut spécial" pour le Canada (notamment des barrières tarifaires plus élevées que celles des États-Unis et de la CEE), qui tenait compte de la vulnérabilité de l'économie canadienne. La Coalition d'opposition au libre-échange a déjà proposé que le Canada combatte le protectionnisme à l'échelle mondiale, en mettant de l'avant une libéralisation qui serait multilatérale et graduelle, et qui respecterait les besoins spécifiques du Canada, notamment: - par le maintien de mesures de protection pour les secteurs vulnérables à haute intensité de main-d'oeuvre, - par la reconnaissance du droit du Canada d'utiliser des moyens d'intervention ayant pour but de rendre plus équitable la distribution de la richesse au Canada et pour protéger la spécificité culturelle du Canada Considérant que le traité commercial Mulroney-Reagan, s'il est mis en application, fera perdre de nombreux emplois dans des secteurs vulnérables au Québec et au Canada; Considérant que ce traité contribuera à la détérioration des programmes sociaux et de redistribution des revenus; Considérant que ce traité aura comme conséquence la diminution de l'autonomie politique du Québec et du Canada et de leur capacité à combattre les disparités régionales; Considérant que ce traité n'offre aucune solution au problème du protectionnisme commercial qui se développe aux États-Unis; Considérant que les prochaines élections fédérales devraient porter sur le traité commercial Mulroney-Reagan; Il est proposé: Que le Congrès réaffirme l'opposition de la CSN au traité commercial Mulroney-Reagan; Que la CSN demande au gouvernement fédéral de tenir des élections et demande un mandat de la part du peuple canadien avant de ratifier et de mettre en application ce traité; Que, de concert avec les autres membres de la Coalition québécoise d'opposition au libre-échange (CEQ, FTQ et UPA), la CSN développe un projet alternatif au libre-échange qui repose sur les éléments suivants: a) la diversification des exportations; b) des politiques industrielles pour promouvoir davantage l'autosuffisance; c) des négociations sectorielles avec les États-Unis dans certains secteurs; d) la création d'un forum bilatéral pour discuter des litiges commerciaux possibles; e) l'utilisation accrue par le Canada des mécanismes multilatéraux du GATT. Que la CSN profite de la prochaine campagne électorale fédérale pour diffuser largement son opposition à l'accord de libre-échange, de même que son alternative à ce traité, tout en rappelant à ses membres les principales positions de la Centrale sur les autres thèmes en débat. Que la CSN développe les moyens d'assurer la cohérence des revendications et des interventions régionales et sectorielles. 2 - Infléchir la politique de la santé et des services sociaux. Pour qu'une société puisse atteindre un niveau de productivité permettant de créer le plein emploi, il faut évidemment qu'il existe un certain nombre de conditions de base. Une des plus importantes est celle d'avoir une population et une main-d'oeuvre en bonne santé. Or, le Québec a réalisé des progrès énormes à ce chapitre au cours des deux dernières décennies. On a connu, au cours de cette période relativement courte, la mise sur pied d'un régime d'assurance-maladie public et universel, ainsi qu'une planification et une extension des réseaux de santé et de services sociaux comprenant, entre autres, la création des Centres locaux de services communautaires (CLSC), dont les tâches devaient être en bonne partie consacrées à un rôle préventif. Il reste évidemment beaucoup à faire. Malgré l'accès à un système de santé et de services sociaux public et gratuit, établi depuis près de vingt ans, on constate encore de très importants écarts de plus de dix ans dans certains cas dans le niveau d'espérance de vie en bonne santé, selon le quartier de Montréal et les régions où l'on habite. On peut constater aussi qu'il y a eu, depuis quelques années, une certaine érosion de ce système. Globalement, le Québec se trouve encore inférieur à la moyenne canadienne en fonction de plusieurs indices de santé. Réflexion amorcée par la CSN. Face aux signes d'essoufflement et de stagnation du réseau, la CSN a amorcé, au début des années 1980, une réflexion sur la santé et les services sociaux. De concert avec les fédérations implantées dans le réseau, nous avons entrepris des études soumises pour débat dans les instances de la CSN et des organismes affiliés. Le document de travail Choisir la santé fut publié en 1984, suivi de Mieux vaut prévenir que guérir, adopté par le Conseil confédéral de juin 1985. Nous avons, au cours de nos débats sur la question, revendiqué l'établissement par le gouvernement du Québec d'une commission publique sur la santé et les services sociaux, demande à laquelle le gouvernement a donné suite en mettant sur pied la Commission Rochon en 1985. La CSN et ses organismes affiliés ont participé à toutes les étapes de la Commission Rochon, notamment en intervenant lors de toutes les audiences régionales tenues par cette Commission. Soulignons également le travail remarquable accompli par Norbert Rodrigue, en tant que membre de la Commission. Le Bureau confédéral a adopté en mars 1986 le mémoire national présenté à la Commission Rochon, mémoire intitulé Santé pour tous en l'an 2000: un choix de société. Enfin, en juin l987, le document-synthèse «Pour une politique de santé» était adopté par le Conseil. Santé et conditions de vie. Dans ces rapports, la CSN a développé un analyse globale des problèmes de santé, en démontrant que les conditions de vie avaient un impact majeur sur la santé physique et mentale. Une véritable politique de la santé et des services sociaux doit non seulement améliorer la qualité et la quantité des services, mais doit également chercher à prévenir plutôt qu'à guérir, notamment en agissant de façon prioritaire sur les conditions de vie et de travail. Conséquemment, nous avons prôné un retour des CLSC à leur mission originale, soit celle d'une intervention plus axée sur la prévention. Nous avons également revendiqué le parachèvement du réseau des CLSC au Québec. La CSN a souligné la détérioration provoquée par plus de dix ans de coupures et de restrictions budgétaires, dont voici certaines conséquences: - des urgences bondées et un manque de lits dans les hôpitaux offrant des soins de courte durée; - de longues listes d'attente pour avoir accès aux services sociaux; - la fermeture de certains départements spécialisés; - une absence flagrante de services dans plusieurs régions éloignées des grands centres; - une politique de réinsertion sociale des patients psychiatriques qui prend parfois l'allure d'une politique de dumping. La CSN s'est également inscrite en faux contre celles et ceux qui prônent la privatisation de certains services ou le ticket modérateur, jugeant que cela aurait pour effet de ramener le Québec à la situation inacceptable qui existait avant l'établissement d'un système public, alors que l'accessibilité aux services de santé dépendait de l'épaisseur du portefeuille. Le rapport Rochon. Le rapport de la Commission Rochon, rendu public en février dernier, a confirmé toutes les analyses réalisées par la CSN. Ce rapport, rédigé après plus de deux ans de travail et la tenue d'audiences auxquelles se sont adressées quelque 6 000 personnes, correspond dans sa majeure partie aux propositions mises de l'avant par la CSN. Ainsi, la Commission met en garde le gouvernement contre l'érosion du système public de santé et de services sociaux, si rien n'est fait pour corriger les lacunes de plus en plus importantes. La Commission constate que le système est devenu prisonnier de différents groupes d'intérêts, et qu'il semble incapable de répondre aux "écarts qui persistent, et parfois même s'agrandissent, entre quartiers, territoires, régions, types d'occupation". Ainsi, la Commission en vient à mettre de l'avant des propositions visant à ce que soient levés les obstacles qui entravent encore l'atteinte de l'accessibilité universelle. Selon la Commission, la solution à ces problèmes passe d'abord et avant tout par la décentralisation des soins de santé et de services sociaux. Elle avance donc l'idée d'une gestion participative des établissements, et de la création, dans chacune des régions administratives, de régies régionales élues au suffrage universel. La CSN n'a pas exprimé son accord avec toutes les recommandations de la Commission Rochon. Elle s'oppose par exemple à l'idée de doter les régies régionales d'un pouvoir de taxation qui pourrait avoir pour effet de créer des disparités. Le rapport est également décevant sur le plan des services sociaux. Mais, malgré ces lacunes, le rapport constitue une contribution majeure au débat sur la politique de santé au Québec, notamment en s'opposant sans réserve aux thèses favorables à la privatisation des soins de santé, dont certains des plus farouches partisans se trouvent dans des postes-clés au sein du Conseil des ministres du gouvernement québécois. La Commission Rochon considère que chaque pas vers le développement d'un secteur privé de la santé ne peut que mener à "un système avec différentes classes de services, l'une pour les riches, l'autre pour les pauvres". Des mois cruciaux. Il est important que la CSN et l'ensemble des organismes poursuivent leur travail en faveur de la démocratisation des services de santé et des services sociaux, afin de profiter de la conjoncture favorable créée par la publication du rapport Rochon. Malgré sa volonté d'enterrer rapidement ce rapport, le gouvernement Bourassa ne peut faire abstraction du travail monumental accompli par cette Commission, dont les recommandations reflètent des consensus très larges parmi la population québécoise. La ministre québécoise de la Santé et des Services sociaux poursuit actuellement une tournée en vue de préparer un Livre blanc, dont la sortie est prévue pour l'automne prochain. Pour que la réforme souhaitée, tant par la Commission Rochon que par la CSN, puisse se réaliser, il faut évidemment que les forces populaires qui se sont exprimées lors des audiences de la Commission Rochon, se concertent pour forcer le gouvernement québécois à donner suite aux recommandations du rapport Rochon. Ce travail est d'autant plus nécessaire que le gouvernement semble plus sensible aux pressions du lobby de l'entreprise privée favorable à la privatisation des services, qu'à la vaste majorité de la population qui voudrait améliorer l'accessibilité des soins pour l'ensemble. Compte tenu de sa représentativité en tant que force syndicale majoritaire des travailleuses et travailleurs de la santé et des services sociaux, la CSN a un rôle particulier à jouer dans ce travail. Nous avons également une longueur d'avance sur plusieurs autres intervenants, puisque nous nous sommes donné, à travers des analyses et débats des instances, une véritable politique de la santé et des services sociaux. Les prochains mois seront déterminants, à savoir si le Québec prendra le tournant d'une réforme progressiste de son régime de santé et de services sociaux, tel que souhaité par la CSN et de nombreux autres organismes québécois. 20 - Proposition relative a la santé et aux services sociaux Considérant que le système de santé et de services sociaux du Québec démontre des signes d'érosion et d'essoufflement; Considérant qu'au cours des dernières années, la CSN s'est dotée d'une politique de santé et de services sociaux qui mettrait l'accent sur la prévention et accroîtrait l'universalité d'accès; Considérant que le rapport Rochon confirme plusieurs orientations de la CSN et reflète un consensus populaire large et favorable à une réforme; Considérant que les prochains mois seront cruciaux pour le virage que prendra le Québec en matière de santé et de services sociaux; Il est proposé: Que, dans la poursuite de leurs interventions dans le débat public sur la santé, les services sociaux et la santé mentale, notamment lors de la publication du projet de réforme du ministère de la Santé et des Services sociaux, la CSN et ses organismes affiliés visent une sensibilisation encore plus large de la population à la nécessité de maintenir le caractère universel, accessible, public et gratuit de notre régime, de le consolider et de le démocratiser. 3 - Infléchir la politique d'éducation. La création du plein emploi dans une société exige un haut niveau de scolarité de la population en général et non seulement le développement d'une formation ultra-spécialisée pour quelques-uns en fonction des besoins à court terme des entreprises déjà en place. D'autres sociétés ont découvert avant nous que le développement d'une économie hautement sophistiquée et diversifiée repose d'abord et avant tout sur un haut niveau de connaissances partagé largement par la population. Une partie du retard économique du Québec dans le passé peut s'expliquer par le peu d'investissements publics dans nos réseaux d'éducation. Or, le Québec a rattrapé un retard important il y a vingt ans, en mettant en place sur tout le territoire le réseau public universel et gratuit d'enseignement collégial. Jusque-là sous-scolarisé par rapport au reste du Canada, le Québec a réussi à rejoindre la moyenne canadienne grâce à cette démocratisation de l'éducation post-secondaire. Quelques chiffres témoignent de l'importance des progrès réalisés; les effectifs étudiants dans les CEGEP sont passés de 33 738 élèves en 1968-69, à 136 147 élèves inscrits à temps plein en 1986. Soulignons le progrès réalisé par les filles, dont la proportion est passée durant cette période de 36 % à 52,5 % des effectifs étudiants. Mentionnons également le large consensus qui s'est développé, au sein du marché du travail, sur la valeur du diplôme collégial, le DEC. Problèmes soulevés au Colloque. Malgré ce bilan positif, d'importants problèmes subsistent dans le réseau CEGEP, problèmes que nous avons pu constater au cours d'un colloque sur les CEGEP organisé en mars dernier par la CSN et ses fédérations de l'éducation: la Fédération des employées et employés des services publics (FEESP) et la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ). Parmi les constats dévoilés au cours de ce colloque: - 30 % des nouveaux inscrits au CEGEP en 1980 n'ont pas obtenu de diplôme d'études collégiales; - il n'y avait encore, en 1985, que 42 % des jeunes de 17 et 18 ans inscrits dans un établissement d'enseignement collégial; - puisque seulement un quart des élèves à temps plein reçoivent une bourse et un tiers un prêt, de plus en plus de jeunes cégepiens doivent concilier travail à temps partiel et études à temps plein; - il y a tendance à augmenter la formation "opérationnelle à court terme", au détriment d'une formation générale apte à permettre la transmission des connaissances et une autonomie à long terme des personnes ainsi formées; - le réseau des CEGEP vit un étranglement avec l'effet accumulé de 107 millions $ de coupures au cours des dix dernières années, sans parler des coupures de salaires. Réaffirmer l'importance du réseau. La CSN doit se préoccuper d'une certaine érosion lente du réseau public collégial, non seulement parce que ses membres y travaillent, mais également parce que ses membres bénéficient de ces services. Rappelons le rôle important joué par les CEGEP: 1) Depuis leur création, les CEGEP se sont avérés de puissants outils collectifs de formation générale et professionnelle. 2) Les CEGEP demeurent le réseau d'enseignement public par excellence pour dispenser la formation aux travailleuses et travailleurs. Si, en 1968, le diplôme d'études secondaires n'était pas vraiment suffisant, le DEC deviendra indispensable en l'an 2 000 pour se bâtir un futur. L'aspect social de cet avenir devient de plus en plus important: le développement du sens critique des jeunes à travers leur formation contribuera à éviter toute érosion de nos droits démocratiques. 3) Malgré ses imperfections, le réseau CEGEP constitue pour les adultes d'aujourd'hui le moyen le plus sûr de suivre les nombreuses modifications actuelles de l'organisation du travail, notamment en raison des changements technologiques. 4) Enfin, le réseau des CEGEP représente un lieu important, dans tout le Québec, de promotion et de diffusion de notre langue et de notre culture. Une Commission d'enquête itinérante. A la conclusion du colloque de trois jours, la CSN, la FNEEQ et la FEESP ont convenu de réclamer du gouvernement du Québec qu'il mette sur pied une commission d'enquête itinérante chargée d'étudier la situation des CEGEP face aux nouveaux défis. Cette commission devra, par sa composition, être représentative du monde du réseau collégial, mais aussi du mouvement syndical, des organismes populaires et communautaires, des entreprises et des réseaux de l'enseignement secondaire et universitaire. Elle serait tenue d'organiser des audiences publiques larges dans toutes les régions, et rendrait son rapport dans un an. Nous avons proposé que cette commission d'enquête concentre ses travaux sur les aspects suivants: - les conditions de vie économiques et les réalités culturelles, ethniques, géographiques et familiales des jeunes, et leurs impacts sur leurs chances réelles d'avoir accès au CEGEP et de réussir des études collégiales; - les besoins et les profils de formation des jeunes et en particulier, l'articulation entre la formation générale et la formation professionnelle, et leurs besoins en termes de services dispensés par les CEGEP; - les liens de tous ordres entre les niveaux d'enseignement secondaire, collégial et universitaire, et entre le collégial et le marché du travail; - les besoins et la place des femmes, jeunes et adultes, dans les CEGEP, vues comme initiatrices de changement social et de transformation des situations d'inégalité qu'elles subissent dans la société; - les besoins de formation, de recyclage et de perfectionnement des adultes qui sont sur le marché du travail ou qui veulent y accéder, mais aussi des adultes qui ont besoin de formation pour d'autres raisons que celles reliées au travail; - les besoins de formation et de service des communautés où sont implantés les CEGEP, considérés sous un angle large, c'est-à-dire en termes de recherche, d'équipement mis à leur disposition, de programmes de cours, afin de permettre aux CEGEP de s'ouvrir davantage aux communautés environnantes et de mieux s'enraciner dans leur milieu; - le financement actuel des CEGEP et de l'ensemble de la formation de niveau collégial dispensée au Québec. Le gouvernement du Québec doit rapidement mettre sur pied cette commission d'enquête itinérante; il démontrerait ainsi qu'il a à coeur la démocratisation et l'amélioration de la formation collégiale dispensée aux jeunes et aux adultes, peu importe leur origine sociale, culturelle, ethnique et géographique. Le débat public sur le réseau des CEGEP pourrait avoir un effet déclencheur sur les aspirations des jeunes et des adultes à augmenter leur scolarisation. 21 - Propositions relatives à l'éducation. Considérant que la mise en place, il y a vingt ans, du réseau des CEGEP a permis au Québec de rattraper son retard considérable sur le plan de l'éducation post-secondaire; Considérant que ce réseau vit déjà certaines difficultés et pourrait se montrer incapable de faire face aux nouveaux défis, à cause de coupures budgétaires et des politiques à courte vue imposées par les autorités gouvernementales; Il est proposé: Que le Congrès de la CSN demande au gouvernement du Québec d'établir une commission d'enquête itinérante, pour étudier la situation des CEGEP et initier un large débat public au sujet du réseau des CEGEP. Que la commission d'enquête soit composée d'une représentation en provenance des milieux collégial, syndical, populaire, des entreprises et des autres réseaux d'éducation. Que la commission d'enquête soit tenue de prévoir des audiences dans toutes les régions du Québec et remplisse son mandat en un an. Une plate-forme en éducation. Dès les débuts de son histoire, la CSN s'est employée à susciter des débats publics sur la question de l'éducation. Lors de son Congrès de 1921, elle réclamait du gouvernement provincial le versement de sommes nécessaires à l'instauration de cours techniques pour les employés de la confection. En 1923, elle revendiquait que le gouvernement subventionne la publication de manuels d'enseignement "français et appropriés aux besoins du pays" pour les métiers de la construction et autres industries. Au début de la décennie 1960, la CSN joindra sa voix à celle des groupes progressistes réclamant une réforme de l'éducation. Mais dès 1969, soit dans les premières années de la mise en oeuvre de cette réforme, on la verra s'inquiéter de l'orientation donnée à l'éducation publique québécoise, en voie de devenir "la faillite la plus dispendieuse de notre histoire". Par la voix de son président, elle dénoncera le gouvernement qui s'adonne au patronage, oubliant ses engagements passés en faveur d'une participation aux décisions, et adopte une loi matraque, le bill 25, pour mater les enseignants. En 1970, Marcel Pépin invitera les congressistes à reprendre le combat de la démocratisation dans l'enseignement. L'intérêt de la CSN pour les questions d'éducation ne s'est jamais démenti par la suite. Tous les projets de loi, toutes les commissions parlementaires traitant de l'éducation ont été pour elle l'occasion de faire valoir les principes qui lui paraissent fondamentaux: la Commission Jean sur la formation professionnelle et socio-culturelle des adultes en 1982, les projets de loi 40 en 1982 et 3 en 1984 sur la restructuration des commissions scolaires élémentaires et secondaires et tout récemment, en mai 1988, le projet de loi 107 sur la réforme de la loi de l'instruction publique. La démocratisation de l'enseignement n'est pas encore chose faite: il nous faut poursuivre le débat. En outre, d'importants changements se sont opérés ces dernières années et exigent une adaptation de nos orientations et priorités, notamment aux chapitres de l'éducation des adultes et des communautés culturelles, de l'enseignement du français et des tendances gouvernementales à la privatisation. Tout ceci nous impose d'analyser la situation et de mettre à jour nos positions. C'est pourquoi le Bureau confédéral a mis sur pied un comité de travail chargé d'élaborer une plate-forme en éducation. Dès la prochaine année, des premiers rapports d'étape seront soumis au Conseil confédéral. 22 - Proposition relative à une plate-forme en éducation. Considérant que, plus de vingt ans après le rapport Parent, il y aurait lieu pour le Québec de s'interroger sur l'avenir de l'éducation plutôt que de procéder à quelques réformes à la pièce; Considérant le courant affirmé de privatiser des éléments du réseau de l'éducation; Considérant la précarisation accélérée des emplois dans le réseau de l'éducation; Considérant le développement de nouveaux besoins sociaux exigeant une adaptation des réseaux de l'éducation; Il est proposé: Que, dans l'élaboration de la plate-forme en éducation, basée sur les principes fondamentaux d'accessibilité, de gratuité et d'universalité et portant sur l'ensemble des réseaux d'éducation, la CSN fasse notamment une analyse de la démocratisation en fonction des réponses aux besoins socio-économiques actuels; une analyse du rôle de l'État, une analyse des conditions de vie et d'étude des étudiantes et étudiants, ainsi que de la place et du rôle des étudiantes, étudiants, salariés, citoyennes et citoyens dans le fonctionnement du système d'éducation. 4 - Infléchir la fiscalité et les programmes de sécurité du revenu. Aujourd'hui, au Canada, les 20 % des citoyennes et des citoyens les plus riches reçoivent 43 % de l'ensemble des revenus, comparativement à 42,6 % en 1951. Quant aux 20 % les plus pauvres, il ne reçoivent qu'un maigre 4,7 % des revenus, par rapport à 4,1 % en 1951. Si l'on considère que ces chiffres se rapportent à l'ensemble des revenus, incluant les allocations familiales, l'assurance-chômage, l'aide sociale, les pensions de vieillesse, etc, on peut conclure que l'impact de l'ensemble de ces programmes de sécurité du revenu a consisté à empêcher les écarts entre riches et pauvres de s'accroître. De plus, aujourd'hui plus que jamais, ces programmes sont remis en question au nom de la lutte contre les déficits importants accumulés par les gouvernements fédéral et provinciaux. Au Canada, la redistribution des revenus s'opère à travers deux mécanismes: le régime fiscal, qui constitue la principale source de revenus des gouvernements, et les paiements de transfert. En principe, le Québec et le Canada ont des régimes fiscaux progressifs, c'est-à-dire où l'on applique le principe que, plus on gagne, plus on devra augmenter la proportion de ses revenus qu'on envoie au fisc. L'application de ce principe a cependant été minée au cours des années par l'introduction d'une multitude d'exemptions et de déductions dont les particuliers à revenus élevés ont le plus profité. Un exemple relativement récent fut la décision du gouvernement fédéral en 1985, et du gouvernement québécois en 1986, d'exempter de l'impôt tous les gains de capital jusqu'à concurrence de 500 000 $ par particulier. Or, il est évident qu'une telle exemption n'offre rien aux contribuables à bas et à moyen revenus; elle ne peut qu'avantager celles et ceux qui vendent et achètent des biens à des fins spéculatives (les maisons familiales et les fermes sont déjà exemptées). C'est justement des mesures semblables qui expliquent que 13 000 Canadiens qui ont gagné plus de 50 000 $ en 1984, n'ont payé aucun impôt. En plus de multiplier de tels abris fiscaux, les gouvernements ont réduit de façon importante les taux d'imposition s'appliquant aux tranches de salaires les plus élevées, réduisant ainsi encore plus la progressivité du régime fiscal. L'équité des régimes fiscaux canadien et québécois a également été fortement ébranlée par la multiplication d'abris fiscaux pour les sociétés. En 1961-62, l'impôt des sociétés représentait 20,1 % de tous les revenus du gouvernement fédéral; en 1986-87, cette proportion est passée à 11,5 %. Les statistiques fiscales démontrent qu'en l983, sur un total de 320 000 sociétés rentables au Canada, 110 000 n'ont pas versé un sou d'impôt. La diminution du fardeau fiscal des contribuables à revenus élevés et des sociétés a été accompagnée d'une augmentation de ce fardeau pour les citoyennes et citoyens à revenus faibles et moyens. D'abord, la désindexation des tables d'impôt a fait en sorte que des individus, qui auparavant ne payaient pas d'impôt sont devenus, au cours des ans, contribuables malgré que leur salaire réel n'ait pas augmenté. Ensuite, les gouvernements ont de plus en plus recours à des taxes régressives qui frappent plus durement les personnes à bas revenus (taxes de vente fédérale et provinciale). Les programmes de sécurité du revenu, s'ils ont connu une expansion jusqu'au début des années 1970 (nouvelle loi de l'aide sociale et de l'assurance-chômage en 1971, réforme des allocations familiales en 1974 par exemple), ont été soumis depuis à des coupures constantes, parallèlement à l'augmentation importante du taux de chômage et conséquemment, du coût de ces programmes. L'effet conjugué de la diminution des sources de revenus des gouvernements, par le biais de réductions d'impôt pour les riches et les entreprises, et l'accroissement des paiements de transfert résultant de la hausse du chômage, a contribué à l'accumulation de déficits gouvernementaux importants. Dès son arrivée au pouvoir à l'automne 1984, le gouvernement conservateur exposa clairement que le problème majeur à résoudre au Canada était la réduction du déficit fédéral qui s'élevait à ce moment-là à 38 milliards $. Et pour le ministre des Finances, Michael Wilson, c'est essentiellement par une réduction sensible des dépenses que le gouvernement viendrait à bout du déficit. Un de ses premiers gestes fut de couper 400 millions $ dans le régime d'assurance-chômage et de mettre sur pied une commission d'enquête (Commission Forget) dont le mandat était de réviser de fond en comble ce même régime qui, en raison du taux élevé de chômage depuis la crise de 1981-82, entraînait des déboursés de plus de 10 milliards $ par année. Il devenait évident que la stratégie gouvernementale reposait en grande partie sur la réduction des coûts des programmes de sécurité du revenu. Malheureusement pour le gouvernement, son espoir de réduire le déficit en s'attaquant aux programmes sociaux s'est rapidement heurté à l'opposition farouche de la population canadienne. Ce sont les personnes âgées qui ont donné la charge lorsque, dans son premier budget, le ministre des Finances annonça son intention de désindexer partiellement les pensions de vieillesse. L'appui large du mouvement syndical et populaire canadien aux personnes âgées a obligé le gouvernement à reculer et à retirer cette mesure budgétaire. Victoire partielle, cependant, car le gouvernement est quand même allé de l'avant avec d'autres mesures tout aussi régressives, telles que la désindexation partielle des allocations familiales et des tables d'impôt, par exemple. Mais la mobilisation au Canada pour préserver le caractère universel des pensions de vieillesse et des allocations familiales indiquait au gouvernement, dès le début de son mandat, que sa stratégie de démanteler les programmes sociaux serait difficile à mettre en oeuvre. Le test suivant pour le gouvernement survint lors du dépôt du rapport de la Commission Forget, qui recommandait le démantèlement du régime d'assurance-chômage canadien. Si les milieux d'affaires se sont prononcés unanimement pour les coupures de 4 milliards $ proposées par la Commission Forget, la très grande majorité de la population canadienne a manifesté son opposition farouche à ce projet de réforme. Le gouvernement décida donc de ne pas aller de l'avant avec cette réforme. Si le gouvernement fédéral n'a pas réussi jusqu'à maintenant à sabrer comme il l'aurait voulu dans les programmes sociaux, une nouvelle offensive dans ce sens, cette fois plus sérieuse, n'est pas à exclure dans les mois ou les années à venir. Les efforts déployés par le gouvernement pour faire passer le déficit de 38 milliards $ en 1984 à environ 28,9 milliards $ en 1988, font en sorte que sa marge de manoeuvre est aujourd'hui extrêmement réduite advenant une récession dans les mois à venir, à moins de donner un grand coup dans les programmes sociaux. La réduction du déficit s'est effectuée en grande partie par la réduction des dépenses non statutaires, comme le développement économique, l'administration publique, les transferts aux provinces, etc. D'autres coupures à ce chapitre ne pourraient être que minimes. Ces dépenses représentent environ 32 % de l'ensemble des dépenses gouvernementales. Certaines dépenses sont tout à fait incompressibles, tel le versement des intérêts sur la dette publique, qui représente 23 % des dépenses fédérales. L'augmentation des recettes a joué un moindre rôle dans la réduction du déficit, même si les différentes mesures fiscales introduites par le gouvernement ont opéré un transfert important du fardeau fiscal des entreprises et des classes aisées vers les contribuables à revenus moyens et modestes. Le gouvernement fédéral vient de mettre en oeuvre la première étape de sa réforme fiscale, laquelle vise à rendre le régime fiscal canadien plus concurrentiel avec le régime américain. Toute augmentation d'impôt semble exclue pour le moment comme mesure importante de réduction du déficit. Ces augmentations pourraient venir, cependant, lors de la deuxième étape de la réforme fiscale, soit la mise en place, après les élections, d'une nouvelle taxe de vente fédérale. Cette hypothèse sera d'autant plus plausible si le projet d'accord sur le libre-échange se matérialise. En effet, le manque à gagner fiscal résultant de l'abolition complète des tarifs douaniers s'élèvera à plus de 2 milliards $ par année. Restent alors les programmes de sécurité du revenu (assurance-chômage, pensions de vieillesse, allocations familiales, etc) qui accaparent 45 % de l'ensemble des dépenses budgétaires. Advenant une récession dans les mois à venir et une augmentation conséquente du déficit fédéral, on pourrait s'attendre, après les élections, à ce que le gouvernement fédéral entreprenne une nouvelle offensive contre les programmes sociaux. Et cette fois, le rapport de la Commission Forget serait tout fin prêt. Tout dépendra évidemment du résultat des élections. Au niveau provincial, le dossier d'actualité est certes la réforme de l'aide sociale. En décembre 1987, le ministre du Travail et de la Sécurité du revenu rendait public un document d'orientation, lequel prévoit une réforme majeure de ce régime dont dépendent 650 000 femmes, hommes et enfants au Québec, et dont les dépenses s'élèvent à 2.2 milliards $ annuellement. La réforme vise principalement à culpabiliser les bénéficiaires face à leur situation de chômage. La discrimination, basée sur l'âge sera remplacée par une discrimination basée, cette fois, sur l'aptitude au travail. Pour la majorité des personnes aptes au travail, soit 75 % de l'ensemble des bénéficiaires, il y aura réduction des prestations et obligation de participer à des programmes de réinsertion au travail (stages en milieu de travail, travaux communautaires, retour aux études). Pour les personnes inaptes au travail, une légère augmentation des prestations est prévue. Étant donné le taux élevé de chômage au Québec, on peut s'attendre, si la réforme voit le jour, à une pression importante à la baisse sur l'ensemble des conditions de salaire et de travail au Québec, du fait que 300 000 adultes seront contraints, au risque d'être pénalisés, à se chercher du travail à n'importe quelle condition, sur un marché souffrant déjà d'une pénurie chronique d'emplois. 23 - Propositions relatives à l'aide sociale. Considérant les conséquences du projet de réforme de l'aide sociale sur le niveau de vie des assistés sociaux; Considérant les conséquences de ce projet de réforme sur les conditions de travail de l'ensemble des travailleurs du Québec; Considérant que ce projet de réforme remplacera une discrimination basée sur l'âge par une discrimination basée sur l'aptitude au travail; Considérant que toute réforme de la sécurité du revenu doit passer par une politique de plein emploi; Il est proposé: Que la CSN exige le retrait de l'actuel projet de réforme de l'aide sociale. Que la CSN, avec entre autres le Comité national des jeunes, exige une réforme qui reconnaît la parité des prestations pour les jeunes de moins de trente ans et ce, sans autre forme de discrimination. Que la CSN, en s'associant à tout autre groupe syndical ou populaire, revendique une réforme juste, équitable et sans discrimination de l'aide sociale en harmonie avec une politique de plein emploi. 24 - Proposition relative à la fiscalité. Considérant notre objectif de plein emploi; Considérant que les réformes successives de la fiscalité au niveau provincial et fédéral ont largement miné la nature progressive de notre régime fiscal; Considérant l'importance du régime fiscal dans la redistribution plus équitable des revenus au Canada et au Québec; Considérant la nécessité d'harmoniser le régime fiscal et les programmes de sécurité du revenu; Considérant la nature régressive des exemptions, des déductions et autres abris fiscaux; Il est proposé: Que le Congrès de la CSN réitère les principaux éléments qui doivent être à la base de toute réforme juste et équitable de la fiscalité, soit: - que l'impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés demeure la pierre angulaire du régime fiscal, que les taxes indirectes soient gelées à leur niveau actuel et qu'elles soient diminuées progressivement; - que les gouvernements canadien et québécois rétablissent la progressivité du régime d'impôt sur le revenu des particuliers, en rétablissant les taux d'impôt maximum au niveau minimal de 1985; - que les gouvernements fédéral et québécois rétablissent la part de l'impôt sur le revenu des sociétés dans l'ensemble des revenus gouvernementaux, au niveau minimal où elle était avant la récession de 1981-83; - que les sociétés soient soumises à un impôt minimum; - que l'ensemble des exemptions, déductions et autres abris fiscaux pour adultes, à l'exception de ceux liés à l'épargne en vue de la retraite, soient abolis et remplacés par un crédit d'impôt remboursable universel; - que les exemptions pour enfants à charge soient abolies, et que les sommes dégagées servent à bonifier le régime d'allocations familiales et le crédit d'impôt pour enfants; - que, mises à part quelques exemptions (taux d'impôt réduits pour les petites entreprises), les abris fiscaux pour les sociétés soient abolis en faveur d'un programme de subventions sélectives ou de taux d'intérêt réduits, accordés en fonction de la création d'emplois dans des régions à taux de chômage élevés, et en vue de la restructuration des différents secteurs économiques. - que la CSN, en lien avec les conseils centraux, entreprenne une étude sur la fiscalité municipale afin de développer une position sur la base de l'équité. V - Pour un avenir à notre façon. Démocratie, liberté et solidarité. Les droits et libertés. En 1987, la Cour suprême du Canada sanctionnait le droit d'association. On aurait pu croire qu'il s'agissait là d'une décision positive en ce qui a trait aux droits collectifs. Ce n'était pas le cas. Ce jugement, en effet, est fondé sur une absurdité: la finalité de l'exercice de ce droit est carrément écartée. Car les travailleuses et les travailleurs, quand ce droit est exercé, veulent en tout premier lieu se donner un outil pour négocier leurs conditions de travail. Dans le cas présent, reconnaître le droit d'association constitue un exercice purement formel, puisque le droit de négocier et son corollaire ne sont pas reconnus. Cela témoigne d'une conception individualiste, rétrécissante, qui a de plus en plus cours dans ce pays quand il est question de droits et de libertés. Plus qu'une coquille vide, un droit reconnu dans ces conditions en constitue en réalité la négation même. Cette application, cette vision des droits et des libertés des individus, réduite et restreinte, peut même aboutir à des situations absurdes, où des droits d'autres individus, d'une collectivité, peuvent être carrément niés. Ainsi, le restaurateur qui s'adresse à sa clientèle dans une autre langue que le français, au Québec, vient-il heurter le droit du client de recevoir un service dans sa langue. De ce fait, le droit d'une collectivité, d'un peuple, de vivre et de s'épanouir dans sa propre langue, la langue française, en Amérique, se trouve-t-il menacé par l'accumulation d'exemples de cette nature. C'est ainsi que la tendance à refuser de reconnaître les droits collectifs actuellement constatée risque-t-elle, en fin de compte, de mettre en péril les droits individuels eux-mêmes. Tout le monde - hormis quelques "dinosaures" - reconnaît qu'au Québec, il est absolument nécessaire d'apporter un soutien particulier au fait français en raison du nombre, de la force de la culture ambiante. Cette défense ne peut passer que par la reconnaissance de droits collectifs exercés par les francophones sur le territoire québécois. Quand ces mesures prises par la collectivité sont systématiquement déboulonnées par la Cour suprême sur la base de la reconnaissance prépondérante des droits individuels, il y a là un danger majeur. Ce sont les droits des francophones, pris individuellement, qui finissent par être niés. La quadrature du cercle est réalisée. Dans une perspective semblable, ce ne sont plus les rapports de droits qui règlent les tensions; ce sont les rapports de forces. Les dominants, et on sait qui ils sont en Amérique, finissent rapidement par imposer leur seule loi. 25 - Propositions relatives à la langue française. Considérant les positions historiques prises par la CSN en ce qui a trait à la défense et à la promotion de la langue française; Considérant la situation de constante fragilité dans laquelle se trouve la langue française; Considérant l'importance des efforts encore nécessaires pour la francisation des lieux de travail; Il est proposé: Que la CSN revendique auprès du gouvernement québécois le rétablissement et le renforcement de toutes les dispositions contenues à l'origine dans la Charte de la langue française, entre autres en étendant l'application de la Loi 101 aux entreprises de 50 employés ou moins. Que la CSN revendique, pour appliquer réellement les dispositions de la Loi 101, une augmentation substantielle du nombre d'enquêteurs. Que la CSN fasse pression auprès de l'Office de la langue française pour que soient augmentés les budgets actuellement mis à la disposition des organisations syndicales, afin d'assurer dans les syndicats le travail de sensibilisation, de formation et d'information en matière linguistique. Pour nous. Le risque est grand d'un retour à ces libertés formelles définies au siècle dernier, qui sous-tendaient que tous les hommes étant égaux (nous parlons ici d'une époque où la notion d'égalité excluait les femmes), les chances de réussite devaient être les mêmes. L'histoire s'est chargée de nous démontrer que les droits collectifs des travailleuses et des travailleurs n'auraient pu progresser à l'intérieur de ces conceptions abstraites, fondées sur la suprématie des droits individuels. Ce n'est en effet qu'à la suite de conquêtes comme le droit d'association, le droit de négociation, le droit de grève, que les droits des travailleuses et des travailleurs, pris individuellement, ont pu progresser. C'est donc la solidité des droits collectifs qui vient assurer la qualité des droits individuels. Un exemple suffira à faire comprendre cette donnée: le salaire, les conditions de travail acquis grâce à l'exercice de droits collectifs viennent donner un sens au droit individuel de vivre mieux, en meilleure santé, éduqué, dans des conditions de vie décentes. On sait cependant à quel point sont fragiles ces conquêtes, comment elles sont remises en question constamment, à la faveur de la reconnaissance d'idéologies à la mode ou encore, des faiblesses des lois visant à protéger ces droits collectifs. De fait, les exemples sont quotidiens où des femmes et des hommes, encore aujourd'hui, voient leurs droits individuels écrasés parce que les droits collectifs, sur lesquels leurs revendications et leurs aspirations reposaient, ont été bafoués. Avec, souvent, la collaboration de forces qui devraient en principe être là pour les protéger. Le cas du Manoir Richelieu est éloquent à cet égard. Une injustice a été commise à l'endroit des femmes et des hommes qui y ont consacré une partie de leur vie et qui se sont retrouvés dans la rue par la volonté d'un nouveau propriétaire; à peu près toutes les forces de notre sociététribunaux, police, gouvernement - ont contribué à illustrer la suprématie du droit de propriété sur tous les autres droits. On constate parfois avec étonnement que la distance qui nous sépare de certaines conceptions moyenâgeuses est particulièrement courte. La syndicalisation. Nous portons depuis plusieurs années des revendications permettant l'exercice des droits d'association et de grève. Quotidiennement, nous sommes mis en présence d'obstacles résultant de tactiques patronales qui finissent par devenir de véritables dénis de justice. La multiplication des recours juridiques, les pratiques déloyales, les lacunes des lois sont telles, que les droits collectifs reconnus en principe aux travailleuses et aux travailleurs finissent, eux aussi, par n'être que purement formels. Les tactiques patronales: une course à obstacles. Les embûches à la syndicalisation vont se multipliant; aux méthodes de plus en plus raffinées et spécialisées qu'utilise le patronat, viennent s'ajouter les tracasseries bureaucratiques des organismes gouvernementaux. La tactique la plus communément utilisée par les employeurs pour retarder l'obtention de l'accréditation est la contestation de l'unité appropriée pour négocier. Le syndicat a-t-il inclus dans sa demande tous les salariés au sens du Code? L'employeur maintiendra qu'il faut séparer les employés visés en deux unités d'accréditation. Par contre, il soutiendra le contraire si le syndicat a séparé les employés en deux unités. Depuis la modification apportée en 1983 par le gouvernement au Code du travail ne permettant plus aux employeurs de créer un syndicat de boutique après le dépôt d'une requête en accréditation par un syndicat dûment formé, ces derniers ont imaginé différents moyens de contourner le Code et retarder l'obtention de l'accréditation. Ce sont maintenant des intervenants extérieurs, qui en lieu et place de l'employeur, contestent l'accréditation. Ainsi voit-on fréquemment un salarié, défendu par un avocat patronal, contester le caractère représentatif du syndicat, ou encore, invoquer la Charte des droits pour n'être pas inclus dans l'unité d'accréditation. Encore là, un droit collectif est-il nié sur la base de l'exercice d'un droit individuel. Autre tactique patronale: la contestation de la validité d'un article ou l'autre du Code du travail. Même si, le plus souvent, la cause est perdue d'avance, il s'ensuit des retards qui ont un effet de démobilisation et de découragement sur les syndiqués. Pendant que s'allongent les délais occasionnés par leurs multiples contestations, les employeurs recourent - toujours aussi massivement - aux mesures punitives. Les statistiques du ministère québécois du Travail font état de 11 569 congédiements ou suspensions pour activités syndicales entre 1981 et 1986, dont 4 116 à la CSN, soit 35,6 %. En secours et en dépenses de congédiement, le Fonds de défense professionnelle de la CSN a versé, au cours de cette période, 2 026 087 $. Un autre moyen auquel recourent les employeurs les plus farouchement antisyndicaux est le changement régulier de propriétaire, celui-ci étant une compagnie à numéro extrêmement difficile à identifier. Le syndicat se perd alors en requêtes en vertu de l'article 45 du Code. Ou encore, l'employeur crée une situation confuse, de sorte que personne ne sait qui est l'employeur de qui. Chez Polystar-Polyfilm par exemple, les procédures en accréditation traînent depuis août 1986; tour à tour, le commissaire et le tribunal du Travail se prononcent et se contredisent sur l'identité de l'employeur. La complaisance des organismes gouvernementaux. Côté fédéral, le Conseil canadien des relations de travail (CCRT) accumule des records de lenteur. Les agents d'accréditation ne disposent d'aucun budget pour les déplacements, de sorte que tout se fait par courrier. C'est en années qu'il faut souvent mesurer les délais imposés aux syndicats en attente d'accréditation. Ainsi, le Syndicat des employés de Télévision Quatre-Saisons a attendu 16 mois son certificat d'accréditation, celui des employées de la Banque Nationale à Shawinigan l'attend depuis le 6 août 1986. Les pigistes de Radio-Canada ont attendu sept ans, les installateurs de Câble TV, cinq ans. Cependant, à l'occasion, le CCRT peut faire preuve de diligence. Ainsi, après avoir infligé une attente de quatre ans au Syndicat des employées de la Banque Nationale à Rimouski avant d'accorder l'accréditation, le CCRT n'a mis que six mois pour le décertifier... Le bureau du Commissaire général du travail du Québec, pour sa part, ne met guère plus d'empressement à permettre l'exercice du droit d'association. Dans tous les secteurs, il faut attendre en moyenne 45 jours pour obtenir un certificat d'accréditation lorsqu'il n'y a aucun problème. S'il y a contestation devant le Commissaire du travail, la moyenne monte à 175 jours, pour toutes les fédérations de la CSN. Le Tribunal du travail du Québec n'est pas non plus avare de records. Une vraie réforme: encore à venir. La CSN n'a pas ménagé les efforts, en particulier depuis que les travaux qui ont mené à la parution du rapport Beaudry ont été enclenchés, pour que les droits fondamentaux des travailleuses et des travailleurs soient l'objet d'une meilleure protection de la part des lois en vigueur. Le rapport livré en 1986 par la Commission Beaudry en est un dont le gouvernement du Québec aurait dû s'inspirer, si tant est qu'il est à la recherche d'une plus grande justice dans les rapports sociaux. Au contraire. Ce gouvernement a préféré aller dans le sens d'une modification des seules structures en vue de maquiller son inaction face à ce qui aurait dû être une véritable réforme du droit du travail et des droits collectifs qui y sont rattachés. Rien, en effet, dans ce qui a été adopté sous la forme de la Loi 30, ne rejoint l'un ou l'autre des objectifs prioritaires identifiés par la Commission Beaudry: la réunion de tous les pouvoirs à l'intérieur d'une commission des relations du travail dont l'indépendance serait garantie, une plus grande ouverture sur les formes d'accréditation permettant un accès plus simple à la syndicalisation (accréditation multipatronale, négociations regroupées, déclaration d'employeur unique) et reflétant, en même temps, les nouveaux types d'organisation du travail. Une vigilance constante ne sera pas inutile pour empêcher cette sourde et lente progression vers un état de fait qui risque de nous ramener, au plan des droits collectifs, à des niveaux où tout serait encore une fois remis en question. L'indispensable action collective. S'il est une constante dans l'action ouvrière et syndicale, c'est celle qui a consisté à faire en sorte que soit partagée et mise à la disposition du plus grand nombre la capacité d'influer sur son avenir que seule peut procurer l'action collective. A ce titre, il nous semble que notre première responsabilité est d'agir afin que notre organisation soit la plus ouverte à toutes les travailleuses et à tous les travailleurs, de toutes les régions, de toutes les professions, de tous les statuts. Il nous appartient de nous doter de stratégies de prospection pour pénétrer des secteurs auxquels le syndicalisme a été, jusqu'ici, à peu près étranger. Des catégories d'emploi sont régulièrement à l'origine du développement et de l'expansion d'institutions et d'entreprises; des ajustements de structure peuvent être nécessaires pour nous permettre d'épouser tous les contours que prend la recomposition du monde du travail. Les réalités professionnelles de nos membres sont de plus en plus prises en compte par notre syndicalisme; cette direction doit aller s'intensifiant. Le champ d'action du syndicalisme doit continuer de s'étendre et d'apporter des réponses aux nouveaux défis qui sont posés. Nous sommes capables d'agir. Le récent colloque organisé en collaboration avec nos fédérations impliquées dans le monde de l'éducation en témoigne. Comme en témoigne aussi le colloque que nous organisons avec la FNC et qui devrait se tenir à l'automne 1988, portant sur la protection des sources journalistiques. Le syndicalisme peut prendre en compte beaucoup plus de dimensions que d'autres - et parfois nous-mêmes - ne le pensent. Dans cette foulée, en collaboration avec la FPPSCQ, la CSN a répondu à l'appel des acupunctrices et des acupuncteurs qui voulaient se regrouper pour faire valoir collectivement leurs droits. Cela devait passer par la reconnaissance de leur profession, son autonomie par rapport à la Corporation des médecins. S'il avait fallu attendre que le Code du travail prévoie jusque dans ses moindres détails la manière et la forme de regroupement que devrait prendre l'organisation collective de ce groupe de professionnels, on serait encore à l'étape de l'exploration. Il fallait agir. Nous avons agi. Un groupe nous a interpellés; nous avons répondu. 26 - Proposition relative à l'organisation syndicale. Considérant la responsabilité première des organisations syndicales de consacrer les efforts et les moyens nécessaires à l'élargissement de la syndicalisation; Considérant les grands engagements pris par la CSN lors de ses précédents congrès en ce sens, en particulier celui de 1984; Il est proposé: Que la CSN se dote d'une stratégie de syndicalisation visant spécifiquement de nouveaux secteurs d'emploi, ainsi que des métiers ou professions peu touchés jusqu'à maintenant par la syndicalisation. La solidarité. Nous insistons souvent sur les avantages d'être syndiqués en ce sens que l'arbitraire patronal ne peut s'exercer comme ailleurs, en toute impunité. Collectifs, les moyens de défense sont davantage efficaces. Nous avons des moyens dont d'autres ne disposent pas. Cela implique des responsabilités. La défense et la promotion des droits collectifs sont essentiellement le fait des organisations syndicales, populaires et communautaires. Le soutien de ces organisations doit pour nous être constant, comme doit l'être la préoccupation de partager et de définir des objectifs sociaux, de construire la solidarité. C'est une expérience que nous vivons à l'intérieur de Solidarité populaire Québec. D'une quinzaine d'organisations qu'elle comptait à l'origine, elle en regroupe maintenant une centaine autour d'objectifs et d'analyses partagés. Née d'une coalition ponctuelle ayant pour but de défendre l'universalité des programmes sociaux, Solidarité populaire Québec est devenue un regroupement permanent de défense et de promotion des intérêts des groupes populaires organisés: lutte contre la désindexation des allocations familiales et des pensions de vieillesse, lutte pour l'assurance-chômage en lien avec les travaux de la Commission Forget et lutte pour le logement social, etc. Solidarité populaire Québec a pris l'initiative de mettre sur pied, en 1987, une commission populaire itinérante qui a entendu plus de 250 groupes et près de 900 personnes. Le rapport produit est soumis à la réflexion de tous les groupes constituants. Depuis février 1988, la CSN participe à un comité de préparation d'un Forum sur le plein emploi. Il s'agit d'une démarche originale, lancée par des représentantes et des représentants de plusieurs milieux: syndical, agricole, universitaire, de femmes, de l'Église et aussi patronal. L'objectif: créer un événement qui sensibilisera la population au problème que pose le chômage pour la société et susciter la réflexion sur les diverses facettes de l'objectif du plein emploi. Les organisatrices et organisateurs de cet événement, prévu pour l'automne 1989, entendent impliquer chacune des régions du Québec et l'ensemble des organisations québécoises. Aussi, la CSN entend-elle mettre à contribution tous ses organismes pour que la solidarité syndicale autour de l'objectif du plein emploi soit la plus forte et la plus dynamique possible. 27 - Proposition relative au forum sur le plein emploi. Considérant la priorité de la CSN pour le développement d'une stratégie de plein emploi pour le Québec; Considérant que l'atteinte de cet objectif sera le résultat d'une volonté largement partagée par les organisations syndicales, populaires, communautaires, associatives et la population en général; Il est proposé: Que la CSN endosse les objectifs du Forum sur le plein emploi, travaille avec les régions et les fédérations à la préparation de cet événement et mobilise l'ensemble de ses organismes en vue de participer au Forum qui aura lieu en automne 1989. La solidarité exige aussi de faire de la place à celles et ceux qui, comme jeunes, vivent habituellement des conditions de travail, de salaires et de vie davantage pénibles, et qui arrivent sur le marché du travail sans expérience ni connaissance syndicale. Le Comité des jeunes a fait un premier travail de sensibilisation et de structuration. Il serait important que tous les conseils centraux mettent sur pied leur propre comité de jeunes, pour ainsi relayer l'ensemble des préoccupations des jeunes CSN. 28 - Proposition relative aux jeunes. Considérant la volonté de la CSN de faire siennes les préoccupations des jeunes travailleuses et travailleurs; Considérant la nécessité pour la CSN de multiplier sa capacité de contacts auprès des jeunes travailleuses et travailleurs; Il est proposé: Que les conseils centraux développent des approches et des mécanismes permettant aux jeunes travailleuses et travailleurs de se regrouper, de s'impliquer et de se mobiliser pour l'atteinte des objectifs du mouvement. La solidarité, nous la partageons aussi avec des groupes représentatifs des diverses communautés culturelles du Québec. De sporadiques qu'elles étaient, nos rencontres sont devenues systématiques. Connaissant la fragilité des rapports dans notre propre communauté à l'égard des immigrantes, des immigrants et des réfugiés, il est important que comme organisation démocratique majeure dans la société, nous soyons alimentés par ces groupes, et que nous puissions être pour eux un support actif. Au plan canadien, la CSN s'est alliée au Congrès du travail du Canada (CTC), à la Conférence des évêques du Canada, à l'Église unie, au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), à la Confédération des syndicats canadiens, au Centre de pastorale en milieu ouvrier, au Gatt-Fly et à quelques collaborateurs universitaires, pour créer le Comité de travail pour la solidarité sociale. Ce comité a produit une déclaration publique appelée: Appel à la solidarité. L'objectif de cette déclaration vise à susciter la formation de coalitions régionales, à en nourrir la réflexion et à susciter le maximum d'adhésion aux impératifs de justice et d'équité qui ont été identifiés. Au plan international, nous avons commencé à développer des collaborations avec des organisations syndicales à qui nous pensons pouvoir apporter un appui valable pour leur développement. C'est le cas en Haïti, au Brésil, en Afrique du Sud, et au Chili. Le colloque La santé dans le monde, qui s'est tenu en novembre 1987, s'inscrivait directement dans cette volonté de partager avec d'autres nos expériences syndicales et communautaires. Le 53e Congrès a adopté le principe et la mise en place d'un instrument concret de solidarité. Nous avons créé le fonds Alliance: Syndicats - Tiers monde. La sensibilisation des assemblées, des militantes et militants a été plus longue et, disons-le, plus difficile que nous aurions pu le penser au départ. Nous demeurons cependant convaincus qu'il est de notre responsabilité d'augmenter les efforts, si besoin est, pour que les objectifs soient atteints. Cette notion de partage qu'a toujours su véhiculer le syndicalisme doit continuer de s'ancrer dans nos syndicats: les fédérations, qui ont la responsabilité des négociations, doivent continuer d'enraciner cette dimension de la solidarité internationale; quant à nous, nous comptons soutenir tous leurs efforts de la meilleure manière possible. 29 - Propositions relatives à la solidarité internationale. Considérant le soutien actif que nous devons continuer d'apporter aux peuples du Tiers monde; Considérant que cette solidarité doit s'inscrire dans des actions concrètes; Considérant l'invitation faite à la CSN par l'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) de réaliser un projet conjoint; Il est proposé: Que la CSN invite ses syndicats affiliés à négocier avec leurs employeurs des congés sans solde et sans perte de droits et privilèges pour leurs membres désireux de s'engager dans un programme de coopération internationale avec un organisme membre de l'AQOCI. Que la CSN favorise le jumelage de fédérations et conseils centraux avec des organisations homologues et partageant les mêmes objectifs et pratiques en pays étrangers et, qu'à cette fin, le Collectif international soit le forum d'organisation concrète de cette activité. Que la CSN exerce des représentations auprès du gouvernement canadien pour qu'il anime un mouvement au plan international, conduisant à l'allégement voire à l'effacement, de la dette extérieure des pays du Tiers monde. La nécessaire solidarité. La fragilité des individus laissés à eux-mêmes face aux volontés patronales n'est jamais aussi évidente qu'au moment où les situations font en sorte que c'est entre travailleuses et travailleurs que les tensions montent et finissent par devenir intolérables. Il y a cependant une constante: ce sont toujours les possédants qui y trouvent leur compte; jamais les travailleuses et travailleurs, ni les jeunes, ni les plus mal pris dans notre société. L'illustration la plus dramatique en a été donnée au moment de la grève des postiers l'année dernière. Pendant que des travailleurs ayant dix, vingt ou trente ans d'ancienneté défendaient leur emploi, des jeunes sans travail, attirés par un gain rapide et peu sensibilisés aux droits fondamentaux en cause, ont servi les visées patronales en allant faire office de scabs. Ni les jeunes, ni les travailleuses et travailleurs, ni les droits n'y ont gagné quoi que ce soit de ces affrontements: seule la Société des postes, et avec elle le patronat, en a retiré des bénéfices. Or, il faut constater que ces jeunes, comme bien d'autres dans leur situation, comptent parmi les plus démunis de notre société. C'est une utilisation semblable qui guette tous les milieux si nous ne savons pas nouer les liens de solidarité nécessaires; si nous ne réussissons pas à faire peser le poids de l'outil syndical dans le sens des intérêts du plus grand nombre. La solidarité inter-centrales. S'il est un champ de l'action syndicale où les organisations sont en mesure de faire front commun, c'est bien celui des droits. D'ailleurs, nous l'avons fait au cours des dernières années, en participant activement en 1986 à une coalition avec la FTQ, la CEQ et l'UPA contre les privatisations et surtout, contre le projet d'accord de libre-échange avec les États-Unis. Notre coalition québécoise s'est ensuite associée, en avril 1987, à une dizaine d'organisations pancanadiennes et à une coalition ontarienne pour former une coalition pancanadienne contre le libre-échange, à laquelle se sont jointes, depuis, des coalitions régionales de toutes les parties du pays. Il a été possible d'harmoniser analyses et positions en vue du développement de stratégies et d'actions communes. Le quotidien peut apporter son lot de difficultés. Il ne servirait à rien de les cacher. Mais nous voulons affirmer à nouveau notre disponibilité à participer à toute action ayant pour objectif l'élargissement, l'enracinement des droits. Avec nos camarades des autres organisations syndicales. Sur une base de lucidité et de franchise. 30 - Propositions relatives aux solidarités. Considérant les résultats positifs de la campagne unitaire menée par la FTQ, la CEQ, l'UPA et la CSN contre le projet d'accord Reagan-Mulroney; Considérant la capacité des quatre organisations syndicales de mener une action unitaire contre les privatisations; Il est proposé: Que la CSN poursuive avec les autres organisations syndicales des actions unitaires sur des bases précises et partagées; Que, parmi les priorités d'action de ce travail en coalition, on identifie le développement d'une plate-forme syndicale et populaire sur le plein emploi et l'autosuffisance agricole, ainsi que la revendication de la modification du Code du travail afin d'inclure le principe de l'accréditation multipatronale.