*{ Discours néo-libéral CSN, 1990 } Miser sur notre monde. Introduction. Les congrès de la CSN sont importants. Cette assemblée générale de nos syndicats, qui se tient aux deux ans, nous permet en effet de faire collectivement le point sur la situation, de partager nos expériences et de tracer les orientations qui guideront nos actions pour la suite de notre engagement. Nous entrons aujourd'hui dans le cinquante-cinquième Congrès de l'histoire de notre mouvement. Si les congrès de la CSN sont importants, il nous semble que celui qui s'ouvre à cette heure-ci revêt, à divers égards, un caractère particulier: nous sortons tout juste d'une décennie marquée par des changements brusques, rapides, à tous les niveaux; nous amorçons la dernière décennie de ce siècle dans une atmosphère générale qui nous porte à croire qu'elle ne sera pas moins turbulente. Qui, en effet, peut prévoir avec assurance de quoi sera faite la société québécoise de l'an 2000? Qui avait prévu, en 1980, la situation qui prévaut aujourd'hui, au Québec et dans le monde? Qui avait vu venir la crise économique du début de la décennie, l'ampleur qu'est en train de prendre la mondialisation de l'économie, le retour de la démocratie au Chili, la chute du totalitarisme en Europe de l'Est, le retour au pouvoir de Robert Bourassa, la revitalisation du débat sur la question nationale? Il y a peu de précédents, dans l'histoire, quant au nombre et à l'importance de changements radicaux à intervenir dans un laps de temps aussi court. Tout cela peut être inquiétant. Tout cela peut, aussi, être emballant. Cela tient, en effet, à la manière dont nous aborderons les choses. A l'attitude que nous déciderons d'adopter. Subir, ou influencer? Etre des débats, ou en retrait? Impulser, ou se défendre? Affirmer, ou se justifier? Se laisser imposer, ou proposer? Suivre, ou précéder? Prendre la mesure du futur, ou regretter frileusement les années passées? Une large part de notre projet syndical, de ce que nous portons comme projet de société, tient aux décisions que nous prendrons cette semaine. La facilité n'est pas à l'ordre du jour. Ni, d'ailleurs, la complaisance. Nous avons préparé le présent Congrès dans cet état d'esprit, en misant sur les caractéristiques fondamentales de notre mouvement, en misant sur notre monde. Tout au long de la préparation de ce Congrès, le Comité exécutif a mis à contribution les directions des fédérations et des conseils centraux, des militantes et des militants de syndicats, les comités confédéraux, les personnes salariées du mouvement. A compter de maintenant, c'est vous, membres délégués, qui avez la parole. Je vous invite à la prendre, à écouter, à débattre, à vous exprimer en toute liberté et en toute franchise sur l'ensemble des questions qui vous sont soumises: ce mouvement vous appartient; nous sommes ici chez nous. Il se passe des transformations majeures dans tous les secteurs de l'activité humaine: ces grands mouvements ne doivent pas échapper à notre compréhension. Cela exige cependant des efforts pour arriver à saisir les lignes de force qui s'inscrivent à la grandeur de la planète, dans la vie économique, dans la vie sociale. Mais c'est à ce prix que nous pourrons, militantes et militants, mener dans nos milieux des actions syndicales fondées sur la connaissance des enjeux, organiser des mobilisations appuyées sur l'ensemble des données. Les changements n'ont jamais été aussi nombreux, aussi complexes et, même s'il n'est pas simple de comprendre tous ces phénomènes qui se déroulent sous nos yeux, nous ne pouvons y échapper dans la mesure où nous voulons assurer à notre action syndicale toute la portée espérée. Le monde change vite. A l'aube de la dernière décennie du vingtième siècle, nous vivons dans une société de plus en plus complexe et agitée par des changements qui n'ont jamais été aussi nombreux et rapides. Il n'est pas simple de comprendre tous ces phénomènes qui se développent ici et ailleurs. Mais il nous faut examiner ceux qui engendrent des retombées et avec lesquels nous devons composer comme organisation syndicale et comme citoyennes et citoyens. Il ne se passe pas une journée sans qu'un journaliste, un politicien ou un homme d'affaires rappellent que désormais, le Québec n'évolue plus en vase clos, que rien n'est acquis de façon définitive dans le monde d'aujourd'hui. Pourquoi? L'économie se mondialise. On l'a répété à diverses reprises, au cours des dernières années, on ne peut que constater l'accélération du phénomène d'ouverture des marchés nationaux à la production étrangère. Les exportations mondiales représentaient, en 1986,19% de la production totale dans le monde, comparativement à 12% en 1965. Le Canada constitue, au plan économique, un pays toujours fortement tourné vers l'étranger: plus du quart (25,9%) du produit intérieur brut (PIB) était consacré aux exportations de marchandises en 1985, contre un cinquième (20,5%) en 1975. Il va de soi que le marché libre d'Europe 1992, l'accord du libre-échange canado-américain ainsi que les bouleversements politiques et économiques en Europe de l'est vont intensifier ce phénomène déjà marqué. Mais nous importons aussi beaucoup, et nous n'avons jamais autant entendu parler de concurrence et de productivité. En fait, cette internationalisation des échanges provoque non seulement l'augmentation du nombre de grands centres de pouvoir économique dans le monde, mais aussi un rétrécissement de l'écart qui sépare la capacité de production des grandes puissances économiques de celles de certains pays nouvellement industrialisés comme la Corée du sud et Taïwan. Les entreprises se concentrent. Manifestation privilégiée de ce phénomène, le développement d'entreprises multinationales, déjà présent dans les années 1960 et 1970, a connu un essor inégalé au cours de la dernière décennie. Ce mode d'organisation et de développement de la production à l'échelle mondiale, d'abord concentré dans les secteurs primaire et secondaire, atteint maintenant aussi le secteur des services. En 1990, tous les secteurs industriels-clés sont de plus en plus contrôlés par ce type d'entreprises multinationales: alimentation, automobile, industrie pétrolière, aluminium, électronique, équipement de transport, industrie chimique, produit pharmaceutique, etc. On a de plus assisté, au cours des récentes années, à la multiplication d'ententes de production conjointe et de programmes de financement conjoint en recherche-développement entre géants d'un même secteur. A titre d'exemple, mentionnons Mercedes et Mitsubishi, deux géants industriels, viennent de s'entendre pour faire des alliances pour la production et la recherche-développement dans divers secteurs où elles sont toutes deux présentes: automobile, aéronautique, informatique, etc. La Ford Escort vendue en Europe est composée de pièces fabriquées dans quinze pays différents! Enfin, comment ne pas souligner l'incessant chassé-croisé de prises de possession d'entreprises, de réseaux de distribution et de réseaux commerciaux de toutes sortes auxquelles nous assistons constamment depuis bon nombre d'années. Si certains empires, tel celui de Campeau Corporation, finissent par en périr, règle générale, ils réussissent tous. L'ensemble de ces réaménagements conduit donc à une concentration sans précédent du contrôle, ou à tout le moins de la propriété de nos lieux de travail. Le secteur tertiaire explose. La progression de l'emploi, on le sait, repose maintenant principalement sur le développement du secteur tertiaire. Au Canada, le secteur des services totalisait 54,7% de l'emploi en 1963, et 70,8% en 1987. Il en représentera près de 80% dans dix ans, soit en l'an 2000. Une portion significative de la croissance de ce secteur relève des services publics qui ont connu un développement majeur au Canada et au Québec dans les années 1960 et 1970. Au cours des années 1980, nous avons assisté à un déplacement de la création d'emplois au sein du secteur des services, à cause entre autres de la réduction du rôle de l'État dans l'économie. Et l'on prévoit que la croissance du tertiaire proviendra désormais de plus en plus des services commerciaux dont, par exemple, les services aux entreprises (services d'informatique, de comptabilité, de publicité, de recherche scientifique, de génie-conseil, etc). Ces données et ces constats sur l'évolution de la nature des emplois au cours des années 1990 font ressortir l'impérieuse nécessité d'une stratégie industrielle fructueuse pour assurer notre croissance économique future. Car s'il est évident que le secteur manufacturier générera de moins en moins d'emplois directs, il créera de plus en plus d'emplois indirects, dans les grands centres comme dans les régions. Il relève donc de notre responsabilité, au plan syndical comme au plan social, de faire en sorte que nos employeurs respectifs, quel que soit le secteur d'activité, agissent de façon à soutenir efficacement la concurrence soit intérieure ou internationale, selon le cas. Nos emplois en dépendent, ceux de bien d'autres personnes dans notre entourage aussi. La modernisation technologique est inégale. La dernière décennie a été marquée par de nombreux changements dans la production des biens et services originant de l'intensification de la concurrence tant intérieure qu'internationale. Le mouvement syndical a été interpellé à de multiples reprises par les modifications profondes des procédés de production engendrées par des changements technologiques. Sécurité d'emploi, mouvements de personnel, classification des tâches, formation et recyclage, caractéristiques de la production, hiérarchie salariale, etc, tous les éléments majeurs de nos conventions collectives ont été remis en cause. Toutefois, il serait erroné de prendre pour acquis que les changements technologiques ont investi tous les lieux de travail. Dans le contexte économique actuel de concurrence acharnée, on observe une double réalité: plusieurs secteurs et des milliers d'entreprises ont transformé substantiellement l'organisation de leur production au cours des dernières années. Par contre, d'autres secteurs et plusieurs entreprises ne procèdent pas à des investissements massifs destinés à améliorer la productivité de leurs installations. Globalement, et cette situation s'avère fort préoccupante pour nos membres, on constate un retard technologique important du Canada et du Québec par rapport aux grandes puissances industrielles du monde. Soulignons à cet égard, à titre d'exemple, que les machines-outils à commande numérique ne totalisent que 4,4% du stock canadien de machines-outils en 1983 contre 38,1% au Japon et 12,9% aux États-Unis. L'écart s'est sans doute réduit à la faveur d'investissements industriels importants et à la faveur de la reprise économique amorcée depuis lors au Canada et au Québec. Mais nous n'avons certainement pas effectué tout le rattrapage nécessaire sur ce plan. La question des changements technologiques ne peut nous laisser indifférents: nous devons agir lorsqu'ils pénètrent nos lieux de travail. Mais il faudra aussi, pour maintenir et créer des emplois ainsi que pour améliorer nos conditions de travail, en réclamer de plus en plus là où rien ne bouge. Autre élément majeur à souligner: la flexibilité des nouvelles technologies permet l'adaptation rapide des processus de production aux besoins des marchés. Mais, elle s'accompagne aussi très souvent de diverses autres formes de flexibilité dans l'organisation de la production et du travail. Nous sommes donc amenés à approfondir notre réflexion sur la façon de composer avec les nouvelles technologies: l'organisation du travail qui en découle ne peut être statique, ni encadrée dans des formules figées qui ne laissent pas de marge de manoeuvre ni d'autonomie à la travailleuse et au travailleur appelés à utiliser ces technologies. Cependant, cela n'implique aucunement la mise en veilleuse de l'approche collective dans la définition de nos conditions de travail. La gestion patronale se renouvelle. L'internationalisation de la concurrence par la mondialisation croissante des marchés, les succès du modèle japonais de gestion des ressources humaines, les caractéristiques des nouvelles technologies, l'importance du contrôle de la qualité de la production incitent bon nombre d'entreprises à associer le plus étroitement possible leur personnel au fonctionnement de leur département ou de leur unité de production. On cherche ainsi à atteindre un objectif fondamental: l'utilisation maximale des nouvelles capacités de production et par conséquent, le niveau de productivité le plus élevé possible de chaque personne employée. Sans faire l'inventaire exhaustif des diverses stratégies patronales en vogue à l'heure actuelle, il importe d'en saisir la nature et la portée globale. Ces nouvelles formes de gestion des ressources humaines se traduisent par le partage de valeurs (objectifs communs) et la confiance mutuelle en termes de philosophie ou d'approche globale. Au chapitre de la structure organisationnelle, on crée des groupes de travail semi-autonomes responsables du produit ou du client. Les tâches sont enrichies, le contenu est plus flexible, et l'entraînement est assumé par d'autres travailleuses et travailleurs. On reconnaît le droit de parole aux personnes employées en les invitant à des réunions, en facilitant leur participation au travail d'équipe et en leur donnant accès à plus d'informations. Enfin, les systèmes de rémunération comportent des éléments variables, liés notamment aux performances du groupe ou de l'équipe. En revanche, d'autres entreprises, sans aucun doute la majorité, cherchent au contraire à éloigner en quelque sorte leur personnel de toutes formes d'identification et d'adhésion aux objectifs et aux stratégies de l'entreprise. Mais comme elles évoluent dans le même contexte économique, elles cherchent à réduire les coûts de production par la réduction des coûts de la main-d'oeuvre. Elles font appel à de la main-d'oeuvre à statut précaire ou à temps partiel, en fonction des besoins. C'est ainsi qu'au Québec, le travail à temps partiel a presque doublé entre 1975 et 1988 (de 15,8% à 29,1% chez les femmes; de 3,8% à 7,4% chez les hommes). Ces données ne tiennent pas compte d'autres formes de travail précaire, comme le travail à la pige, le travail contractuel, le travail à domicile, etc. Nous sommes aussi aux prises avec l'imposition des clauses orphelins qui établissent des conditions salariales et de travail inférieures pour celles et ceux qui sont embauchés après la signature de la convention collective. A l'évidence, les organisations syndicales ne peuvent demeurer, ni ne demeurent immobiles face à ces phénomènes. Les bouleversements politiques et sociaux s'accélèrent. Les changements en cours ne se limitent pas au domaine économique. De nombreux bouleversements se produisent aussi aux plans politique, social et culturel, qui nous commandent d'agir si nous voulons défendre et promouvoir les intérêts de nos membres et oeuvrer au progrès de l'ensemble de la population. Déjà organisée et dotée d'un parlement commun, la Communauté économique européenne s'apprête, avec le projet d'Europe 1992, à signer un traité qui réglementera la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes entre les douze pays membres de cette Communauté. Suite aux luttes menées par les organisations syndicales et les partis politiques progressistes, l'État, le patronat et les syndicats cherchent à construire non seulement une Europe économique, mais aussi une Europe sociale où seraient davantage pris en compte les besoins de la population et de la main-d'oeuvre, notamment par la reconnaissance des droits et acquis des travailleuses et des travailleurs, mais aussi la protection des lois sociales. Pendant ce temps, l'Amérique du nord, notamment par le biais du libre-échange, ne met l'accent que sur le présumé développement économique construit au détriment de nombreux droits et acquis sociaux et syndicaux au Canada et au Québec. L'expression «présumé développement économique» s'avère malheureusement appropriée. En effet, contrairement aux promesses électorales des Conservateurs et aux évaluations du gouvernement Bourassa relativement au libre-échange, le Canada a connu, au cours de la majeure partie de 1989, un effondrement de sa balance commerciale avec les États-Unis. Entre les mois de janvier et octobre 1989, le libre-échange a été un facteur déterminant dans la perte de 6 000 emplois directs au Québec. Quant aux programmes sociaux et aux programmes de développement régional dont le maintien intégral a été l'objet de promesses électorales solennelles en 1988, on en connaît maintenant la réalité: par la réforme de l'assurance-chômage, le gouvernement canadien aligne le financement de ce régime sur le modèle américain, selon lequel le gouvernement ne cotise pas. Concrètement, des dizaines de milliers de Canadiennes et de Canadiens se voient retirer de précieuses sommes d'argent au moment même où ils sont sans emploi. Soulignons aussi que le ministre Wilson a coupé les subventions au développement régional de 400 millions de dollars annuellement. Objectif gouvernemental visé dans ces opérations: amorcer l'harmonisation de nos programmes avec ceux des États-Unis. Enfin, peut-on passer sous silence que l'instauration du libre-échange, en contradiction flagrante avec les discours électoraux conservateurs, s'effectue sans aucun programme d'ajustement pour les travailleuses et les travailleurs touchés, et que l'inflation s'est accélérée depuis la mise en vigueur du traité, alors que ténors fédéraux et provinciaux en prévoyaient le ralentissement. Bref, les conditions actuelles du traité du libre-échange Canada-États-Unis accentuent les inégalités économiques chez nous. Le Tiers monde s'appauvrit. De plus, le développement de l'économie mondiale continue de se faire en écrasant littéralement les pays du Tiers monde sous le fardeau de leur dette extérieure qui les maintient dans un état de pauvreté et de sous-développement chronique. Les pays riches continuent de piller leurs richesses naturelles, y exportent les entreprises les plus polluantes, traitent les peuples en «cheap labor» et y détruisent l'environnement. Les marchands de canons de l'hémisphère nord vendent des armes pour des guerres, sinon fomentées, à tout le moins soutenues et alimentées par les pays riches. Ainsi, le scandale de l'Irangate a démontré le rôle actif des États-Unis, supposé haut-lieu de la liberté et de la démocratie, dans la guerre entre l'Iran et l'Irak et dans la guerre civile au Nicaragua. Pendant ce temps, l'Union soviétique a continué, pendant une bonne partie de la décennie, à s'enliser dans la guerre d'Afghanistan. On pourrait aussi parler du taux élevé d'analphabétisme, d'indigence, de mortalité et de morbidité, dû aux mauvaises conditions de travail et de vie de millions d'êtres humains dans les pays dits en voie de développement de l'hémisphère sud, que l'hémisphère nord maintient et laisse croupir dans le sous-développement. Comme travailleuses et travailleurs, nous n'avons rien à gagner de l'exploitation éhontée des ressources de l'hémisphère sud. Non seulement les salaires y sont inacceptablement bas et les impôts des compagnies souvent inexistants, mais les normes de santé et sécurité des personnes et de protection de l'environnement y sont profondément déficientes, lorsqu'elles existent. Une poignée d'entreprises tire avantage de cette situation au détriment, d'abord de ces peuples, mais aussi de leurs ressources et de celles du globe. Nous nous appauvrissons ici, l'hémisphère sud et ses peuples aussi. Notre rapport de force à l'égard des grandes entreprises s'en trouve diminué et notre monde régresse. Nous avons donc tout intérêt à contribuer de diverses manières, par le développement de la solidarité internationale, à l'affranchissement des peuples du Tiers monde des dictatures, à leur développement réel et à l'amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Ainsi la solidarité sert aussi directement l'avancement de nos propres droits et de nos aspirations. L'économie est elle en crise ou en croissance? A écouter les politiciens, on en arrive à ne plus savoir si, depuis la crise économique de 1982, notre économie va bien ou mal. Avant chaque élection, à Québec ou à Ottawa, le gouvernement sortant, chiffres à l'appui, démontre à quel point l'économie de la province ou du pays a été performante sous sa gouverne. L'élection faite, il ne parle plus que de déficit budgétaire, de difficultés économiques énormes, proclamant qu'il faut nous serrer la ceinture pour nous développer. Les travailleuses et les travailleurs, syndiqués et non syndiqués, les sans-emploi, les personnes retraitées et les plus démunies de notre société ne savent plus si l'économie va bien ou mal, mais savent que la leur va de mal en pis. Tout coûte plus cher. A la fin de l'année, nous sommes plus pauvres que l'année précédente. Ça, tout le monde le vit, sauf la minorité de bien nantis qui profite de cette situation. Il y a croissance économique... Au plan de la croissance économique, le Canada s'est classé, de 1984 à 1988, au premier rang des 24 principaux pays à économie de marché qui forment l'Organisation de coopération pour le développement économique (OCDE). Et le Québec, durant la même période, se classait au premier rang au Canada. Le Québec a même dépassé le Japon pendant quatre de ces cinq années. ... mais aussi chômage élevé. Statistique Canada a évalué qu'en 1986, le taux de chômage canadien aurait été de 1% plus élevé si on avait tenu compte des personnes qui ne cherchent pas un emploi parce que découragées. Et le taux de chômage aurait été de 2% plus élevé si les statistiques avaient tenu compte du sous-emploi des personnes travaillant involontairement à temps partiel. Même chose pour le Québec: le taux de chômage réel au Québec se serait donc élevé à 12,6% en 1986, et à 13,4% en février 1990, ce qui est beaucoup plus élevé que le taux de chômage officiel, qui sous-estime de manière importante la réalité du chômage. En effet, il ne tient pas compte lui non plus des personnes qui ne cherchent pas d'emploi parce que découragées; il ne tient pas compte du sous-emploi des personnes travaillant involontairement à temps partiel; et il ne tient pas compte de la sous-utilisation des qualifications, donc du fait que les personnes occupent des emplois qui exigent des qualifications inférieures à celles qu'elles détiennent. ... les profits gonflent au détriment des salaires. Le produit intérieur brut (PIB) se compose de plusieurs éléments que l'on peut comparer entre eux, dont les profits et les salaires. Il apparaît clairement, à la lecture de ce tableau, que la croissance économique substantielle au Québec, de 1983 à 1988, s'est traduite par une répartition inégale entre les profits (+127%) et les salaires (+46,0%). Les autres principaux postes de revenus ont presque tous été accaparés par les détenteurs de capitaux. On voit donc qu'il y a eu une modification significative de la distribution de la richesse entre profits et salaires, entre détenteurs de capitaux et travailleuses et travailleurs. La taille des deux pastilles au tableau ci-dessous permet d'ailleurs de visualiser la croissance du PIB et l'évolution de chacune de ses composantes entre 1983 et 1988. Ainsi, la part des salaires dans le produit intérieur du Québec a chuté de 58,2% en 1983 à 54,4% en 1988. Pendant la même période, la part des profits grimpait de 7,2% à 10,5%. ... certains passent à la caisse. La répartition de la richesse entre les personnes qui travaillent se fait elle aussi de façon très inégale. En effet, lorsqu'on examine l'évolution du PIB et des salaires en dollars constants, de 1983 à 1988, on constate que le PIB per capita a augmenté de 24,2% et les salaires des cadres de 13,8%, sans compter les bonis dont ils bénéficient. Pendant ce temps, toutes les autres personnes salariées ont subi une perte de leur pouvoir d'achat. Parmi celles-ci, ce sont les personnes au salaire minimum qui ont été le plus pénalisées en subissant une perte de 6,3% tandis que le pouvoir d'achat de l'ensemble des personnes salariées du Québec a chuté de 2,6%. Parallèlement à l'augmentation réelle des profits et de la rémunération des cadres moyens et supérieurs, l'ensemble des personnes salariées du Québec a donc subi une perte de pouvoir d'achat. Et le salaire moyen des femmes, en 1986, n'était toujours que de 13 400 $ et n'équivalait encore qu'à 60% du salaire des hommes. ... une courte mise au point. Il arrive que des gens, aux prises avec une situation personnelle souvent difficile, reprennent à leur compte le discours de certains médias pour qui les syndicats et leurs membres se plaignent le ventre plein lorsqu'ils défendent leurs revendications dans le cadre du renouvellement de leurs conventions collectives. Nous croyons opportun, à ce sujet, de rappeler que les gains des travailleuses et travailleurs syndiqués, lorsqu'ils sont réels et consistants dans plusieurs secteurs, se répercutent inévitablement de façon positive sur les conditions de travail des personnes non syndiquées. Par contre, s'il y a recul ou stagnation parmi la main-d'oeuvre syndiquée, cela se répercute de la même manière. Le tableau de la page suivante illustre cette réalité. On y compare l'accroissement annuel de la rémunération hebdomadaire moyenne de toutes les personnes salariées du Québec avec la progression annuelle des taux de base dans les conventions collectives qui touchent 500 personnes employées et plus. Deux remarques s'imposent: les bonnes comme les mauvaises années sont les mêmes, globalement, que l'on examine l'ensemble de la main-d'oeuvre ou seulement les effectifs syndiqués. De plus, sur une période de plusieurs années, les augmentations cumulées de salaire dans chacun des groupes sont du même ordre: 83,8% pour l'ensemble de la main-d'oeuvre contre 86,3% pour les effectifs syndiqués entre 1977 et 1985. Pour la période 1983-89, les données correspondantes s'établissent à 25,0% et 27,6% respectivement. En somme, les reculs salariaux ou autres des effectifs syndiqués ne permettent d'aucune façon d'améliorer la situation des autres travailleuses et travailleurs. On voit plutôt que nos gains syndicaux facilitent l'obtention de meilleures conditions salariales pour les personnes non syndiquées. Ces mêmes chiffres, décomposés année par année, permettent aussi d'affirmer que la syndicalisation et la convention collective favorisent bel et bien de meilleures conditions salariales. Voilà qui confirme de manière tangible les effets de notre mission première. Bilan global: nous nous appauvrissons. En 1986, le quart des familles et près de la moitié (45,3%) des personnes seules vivant au Québec étaient sous le seuil de la pauvreté. En fait, selon le Conseil canadien de développement social (CCDS), le Québec qui représente 26% de la population canadienne comptait, en 1986, 30,9% des familles pauvres du Canada. Et la pauvreté a aussi un sexe. En effet, 45% des familles monoparentales, dont le chef est une femme, sont pauvres contre 10% de celles dirigées par un homme. Et 60% des Québécoises de 65 ans et plus sont pauvres. On estime qu'en 1990, le seuil de la pauvreté d'une famille de quatre personnes se situe à 29 000 $. Il s'en trouve certainement, dans nos familles et chez nos membres, qui gagnent moins que ce minimum annuel. Il y a donc eu une croissance économique réelle depuis 1983 au Québec, mais le partage de cette richesse est inéquitable parce que les gains de productivité ne se sont transformés qu'en augmentations substantielles des profits. Pendant ce temps, des régions et des sous-régions entières du Québec deviennent de plus en plus pauvres et défavorisées, de plus en plus laissées-pour-compte. Rappelons que dans son étude intitulée Deux Québec dans un, le Conseil des affaires sociales et de la famille démontre que plus de la moitié des municipalités du Québec sont en décroissance démographique, et que celle-ci s'accompagne toujours, pour ainsi dire, de la croissance de problèmes sociaux, de santé, culturels et économiques. Ces milieux défavorisés cumulent un ensemble de facteurs de risque qui ont des conséquences désastreuses sur la fonctionnalité, la morbidité et la mortalité (...). Parmi les conséquences de ces facteurs de risque, même s'ils n'en sont pas entièrement responsables, citons 2,5 fois plus de maladies cardio-vasculaires à Saint-Henri qu'à Westmount, 2 fois plus de tumeurs et d'accidents, un taux de mortalité de près de 3 fois supérieur, une espérance de vie inférieure de 11 ans, (...) les inégalités socio-économiques ont des conséquences majeures sur la délinquance, la mésadaptation et les difficultés de la vie quotidienne. L'action des gouvernements accentue les inégalités. Qu'a fait le gouvernement fédéral pour réduire ces iniquités que nous venons de voir? Comment a-t-il utilisé la fiscalité pour jouer son rôle dans la redistribution de la richesse? Voyons certains faits qui illustrent que la politique fiscale des conservateurs est faite pour favoriser l'accumulation de la richesse au détriment des personnes à faible et moyen revenus, qui constituent la majorité de la population. Réduction du déficit fédéral sur le dos des moins nantis Il n'y a pas que les impôts payés sur les revenus des individus qui permettent de juger de l'action du gouvernement. Il y a aussi les impôts payés sur les profits de même que les taxes à la consommation. Comme l'illustre le tableau 6, l'impôt sur les revenus des particuliers a augmenté de 72,4% de 1984-85 à 1989-90, tandis que les taxes à la consommation bondissaient de 88,3%. Pendant ce temps, l'impôt sur les revenus des sociétés n'augmentait que de 45,7%. Le fardeau fiscal est donc beaucoup plus lourdement porté par les individus que par les sociétés. Cette conclusion est fondée tant pour les impôts sur les revenus que pour les taxes à la consommation, qui ne cessent de grimper, situation que la TPS accentuera. Tout comme pour l'impôt sur les revenus des particuliers, ce ne sont pas les personnes à haut revenu qui sont victimes de l'évolution récente des taxes à la consommation ni de l'éventuelle TPS, puisque ces taxes sont sans rapport avec le revenu du consommateur. Elles sont les mêmes pour toute le monde. Au surplus, l'effet inflationniste de 2 à 3% que provoquera la TPS sera ressenti plus durement par celles et ceux qui gagnent peu. Examinons un dernier exemple pour illustrer que l'effort fiscal demandé aux individus au cours des dernières années est proportionnellement plus important pour les familles et les individus à revenu faible et moyen que pour celles et ceux à revenu élevé. On voit donc qu'une famille de deux enfants et de deux adultes, dont les deux revenus annuels totalisent 20 000 $, paie en impôts en 1990, 1 424 $ ou 7,1% de ses revenus de plus qu'elle payait, en 1984, sur un revenu équivalent quant au pouvoir d'achat. Pour des revenus de 40 000 $, il s'agit de 2 221 $ ou 5,6%, tandis que pour des revenus de 100 000 $, c'est 3 321 $ ou 3.3% de ses revenus. Ce sont donc les travailleuses, les travailleurs et la population qui font les frais des coûts de la réduction du déficit fédéral. Ce déficit, dans les faits, s'est quelque peu résorbé depuis 1984. De 38,3 milliards $ à cette date, il se situe actuellement autour de 29 milliards $. Il doit être diminue à nouveau, et plus sévèrement peut-être qu'au cours des dernières années. Mais il ne doit l'être d'aucune façon à travers les politiques fiscales actuelles et des taux d'intérêts élevés. La situation budgétaire actuelle au fédéral doit continuer de nous préoccuper. La dette gouvernementale fédérale accumulée atteint maintenant 300 millions $, plus de la moitié de notre production annuelle de biens et services (PIB). Les seuls intérêts sur la dette passée débordent maintenant le déficit annuel lui-même. Cette situation est aussi attribuable à la politique de taux d'intérêt élevé. Nous empruntons donc à nouveau pour payer les intérêts sur la dette passée. On parle alors de déficit budgétaire auto-entretenu. Cette approche économique du gouvernement conservateur conduit donc à des hausses d'impôts pour accroître les revenus et à des coupures de dépenses pour faire place au service de la dette. Le dernier budget Wilson procède à des choix politiques en matière de coupures de dépenses qui pénalisent surtout, tout comme les hausses d'impôts, les classes les moins favorisées de la société. Pensons aux coupures dans les paiements de transfert du fédéral aux provinces, qui servent au financement des services de santé et d'éducation. Une gestion québécoise restrictive en faveur de l'entreprise privée. Dès leur élection en décembre 1986, les libéraux de Robert Bourassa ont jeté les bases du type de gestion publique qu'ils entendaient poursuivre. Faisant une profession de foi à l'endroit de l'entreprise privée, le gouvernement choisissait de lui offrir la plus grande marge de manoeuvre économique possible. Pour offrir cette marge de manoeuvre, il ciblait les priorités suivantes: privatiser certaines sociétés d'État, réduire la part des dépenses gouvernementales dans l'économie, alléger le fardeau fiscal des particuliers et des entreprises. En privatisant certaines sociétés d'État sans qu'il n'y ait eu nécessité économique, le gouvernement a plutôt posé un geste essentiellement idéologique et politique qui consistait principalement à démontrer sa bonne foi aux entrepreneurs du privé. Ce sont d'ailleurs les manoeuvres que le gouvernement libéral a effectuées le plus rapidement après son élection, indiquant ainsi sa ferme intention de tenir ses promesses quant à la place de l'entreprise privée dans l'économie québécoise. Pourtant, toutes et tous connaissaient déjà, en 1985, les conséquences désastreuses qu'avaient eues les privatisations de Thatcher sur l'économie de la Grande-Bretagne. La réduction de la part des dépenses gouvernementales dans l'économie correspond aussi, quant à elle, à un retrait relatif de l'État en faveur de l'entreprise privée. En dépensant moins par rapport au produit intérieur brut (PIB), le gouvernement réduit son rôle d'agent économique, son rôle d'acheteur, d'investisseur et de créateur d'emplois. D'environ 26% de l'économie québécoise en 1985, les dépenses du gouvernement ont chuté à 22% en 1989. Malgré une croissance de ses revenus plus soutenue que prévue, il a maintenu sa politique de gestion restrictive de ses dépenses. Cette gestion restrictive accélère le développement des inégalités socio-économiques au Québec. En effet, les nombreuses compressions budgétaires ont particulièrement visé les ministères à vocation sociale, tels que la Santé et les services sociaux, l'Éducation, la Main-d'oeuvre et la Sécurité du revenu. Ces compressions affectent des services qui sont à la base des mesures sociales visant à atténuer les inégalités économiques entre les individus. Ce sont les plus démunis qui souffrent le plus du manque de ressources dans les services sociaux, les soins de santé ou l'éducation. Le tissu social se déchire davantage à chaque coupure budgétaire dans ces domaines. L'État paie moins, mais les besoins existent tout de même, et les problèmes demeurent et s'accentuent. D'ailleurs, le gouvernement libéral semble prêt à mener plus loin son offensive politique et budgétaire visant à dégager l'État de ses obligations de dispenser à l'ensemble de la population, par le biais de nos impôts, des services publics accessibles, gratuits et couvrant l'ensemble de ses besoins. A l'occasion du dépôt des crédits budgétaires en mars dernier, le président du Conseil du trésor, appuyé par le ministre Côté, a en effet déclaré que le gouvernement exigerait sous peu des citoyennes et des citoyens une contribution financière directe lorsqu'ils auront recours à divers services sociaux et de santé. On connaît les victimes de telles mesures. Plus globalement, en s'adonnant à une gestion restrictive des dépenses, le gouvernement abdique face au chômage. Malgré une forte croissance économique, le taux de chômage se maintient à un très haut niveau depuis 1982. Or, les périodes où le chômage a été le plus faible au Québec correspondaient à des phases d'activités économiques gouvernementales importantes. Maintenant, dans le cadre des coupures et des restrictions de ses activités, le gouvernement du Québec fait davantage la lutte aux personnes assistées sociales que la lutte au chômage. Ainsi, 20 inspecteurs et 200 agents enquêtent et visitent annuellement un ménage sur trois bénéficiant de l'aide sociale. Pourtant tout le monde sait que cela rapporterait énormément plus si de telles mesures étaient plutôt prises à l'égard des entreprises et des personnes à haut revenu qui ne paient pas leur part d'impôt! La situation financière de l'État n'a jamais été aussi bonne depuis le début des années 1970. Le déficit annuel est passé de trois à 1,5 milliard de dollars. Le décalage entre la santé des finances de l'État et les problèmes de sous-emploi, de pauvreté au Québec et de dégradation des services publics ne peut plus être caché ni maintenu. Comme le concluait le Conseil des affaires sociales et de la famille du Québec: Bref, tout réside dans la philosophie politique et économique dont l'État s'inspire. Car, avec l'importance qu'elles représentent dans l'économie de notre société, les dépenses publiques peuvent faire, à elles seules, la différence entre le progrès et la stagnation, entre l'enrichissement et l'appauvrissement, entre le développement et la dépendance. Question de choix. Au Canada ou au Québec: mêmes politiques, mêmes victimes. Tout comme au fédéral, les modifications apportées au régime québécois des impôts ont carrément favorisé les plus riches. Et la seule réforme fiscale de 1988, selon le ministre des Finances, entraînera un manque à gagner de 1,3 milliards de dollars pour le gouvernement en 1989. On peut questionner le fait que le gouvernement se soit privé, par ses réformes fiscales, de 1,3 milliards de dollars pour l'année 1989. Il aurait pu utiliser cet argent pour mieux répondre aux besoins de la population tout en maintenant le déficit à un niveau acceptable. De plus, à force de s'inspirer des politiques économiques d'Ottawa qui sabrent dans les programmes sociaux, le gouvernement se fait prendre à son propre piège lorsqu'Ottawa reporte le fardeau du déficit fédéral sur les provinces, qui reçoivent alors moins d'argent pour développer leurs propres programmes sociaux, de santé et d'éducation. Réductions dont la population fera encore les frais. Ainsi, sous tous les angles abordés, le gouvernement du Québec a contribué à accroître les inégalités socio-économiques par ses choix visant à favoriser d'abord et avant tout l'entreprise privée et les hauts salariés au détriment des intérêts de la majorité dont nous sommes. Quelques réflexions sur le Québec de la dernière décennie. Les choix politiques des gouvernements d'Ottawa et de Québec n'ont pas à eux seuls déterminé l'évolution de la société québécoise au cours des dix dernières années. Rappelons-nous que l'échec du référendum a eu un effet démobilisateur sur l'ensemble des personnes qui avaient été les plus actives sur cette question, tant chez les membres de notre mouvement que dans l'ensemble de la population. A celui-ci se sont par la suite ajoutés, en 1982, les chocs tout aussi démobilisateurs de la crise économique et des décrets dans le secteur public. Le patronat est alors passé à l'offensive tout comme aux États-Unis, après les reculs syndicaux imposés par Chrysler. Les gouvernements d'Ottawa et de Québec se sont inspirés de Reagan et de Thatcher. Les classes dominantes canadiennes et québécoises ont alors accaparé le terrain sur des questions névralgiques touchant directement la redéfinition du rôle de l'État et des activités économiques ainsi que les conditions dans lesquelles elles s'exercent. Le néo-libéralisme s'est installé. Ce courant se traduit au niveau des États, en termes politique et économique, par le désengagement de l'État de ses responsabilités sociales de protecteur du bien public. Les gouvernements Bourassa et Mulroney ont épousé ce courant. Leur discours, en apparence économique, est davantage idéologique. La clef de voûte du progrès est réduite aux lois du libre marché d'où, entre autres, la déréglementation et la privatisation. Les gouvernements et les bien-pensants ont décrété la fin de l'État-providence: la question nationale a été tenue pour morte, les travailleuses et les travailleurs accusés d'être responsables des difficultés économiques des entreprises et de «gras-durs» dans les services publics, les bénéficiaires de l'aide sociale de fraudeurs, et les personnes en chômage de profiteuses. L'intelligentsia québécoise est devenue de plus en plus silencieuse et absente de la scène publique. Les syndicats québécois, placés sur la défensive, se sont divisés. De nombreuses luttes à caractère progressiste ont changé de forme, sont devenues moins éclatantes. Le bipartisme, qui empêche l'ensemble des tendances et des intérêts d'être représentés à l'Assemblée nationale et le fait que, pour l'essentiel, le parti au pouvoir et l'opposition, outre la question nationale, partagent les mêmes politiques, ont fait en sorte qu'il n'y a pas à Québec une dynamique politique axée sur le progrès social. Démunies face à cette situation, les forces progressistes n'ont pas été capables d'empêcher la promulgation des lois répressives, ni de forcer le gouvernement à adopter des lois à caractère social et touchant le travail qui auraient été favorables à l'ensemble de la population et au monde syndical. Ainsi, les relations de travail, sous l'impact des lois, des injonctions, mais aussi de l'apparition des chartes, se sont judiciarisées et alourdies. Le règlement des problèmes s'est alors éloigné des personnes concernées au premier chef. L'impact des organisations syndicales sur l'évolution des conditions de travail s'en est donc, en partie, trouvé affecté. Les gouvernements ont aussi cherché à neutraliser le mouvement syndical par d'autres moyens. Ainsi, alors que nous sommes un mouvement tout à fait reconnu, ouvert et démocratique, nous avons été infiltrés par la GRC qui utilisait un de ses agents du SCRS comme provocateur dans nos rangs. Ce qui est parfaitement injustifié et anti-démocratique. Et hélas, les bien-pensants et les intellectuels ont été bien peu nombreux à dénoncer cette infiltration et à demander à Ottawa et à sa police au nom de quelle loi a-t-on infiltré la CSN. La démocratie est malade. Elle s'affaiblit. Nous devons la questionner. Avec l'ensemble des forces progressistes québécoises, nous devons contribuer à la revitaliser. Nous devons contribuer à élargir le débat politique, actuellement limité à certains aspects de la question nationale, à l'ensemble des dimensions de la société québécoise dans laquelle nous voulons vivre. Pour un avenir meilleur. Nous ne sommes pas seuls à vouloir changer la société dans laquelle nous vivons. Une philosophie de développement est de plus en plus largement partagée et mise en action dans la communauté mondiale. Elle se traduit par diverses manifestations qui illustrent la volonté grandissante des personnes et des collectivités de contrôler davantage leur vie, leur travail, leur environnement et les régimes politiques, économiques, sociaux et culturels dans lesquels elles vivent. Nous considérons que trois de ces grandes manifestations sont particulièrement porteuses d'espoir, entre autres parce qu'elles jettent un éclairage vivifiant sur le fait que tout n'est pas déterminé d'avance et hors de la portée de l'action collective des travailleuses, des travailleurs et de la population. Les luttes contre les dictatures. Par l'action des peuples, dont celle des syndicats, plusieurs pays d'Amérique latine, pourtant depuis longtemps sous le joug de la répression des dictatures militaires, sont redevenus des pays démocratiques. Tout comme les tortionnaires argentins, Pinochet est enfin tombé, de même que Ferdinando Marcos et Jean-Claude Duvalier, que d'aucuns croyaient dictateurs à vie. Nelson Mandela, symbole de la lutte contre l'Apartheid en Afrique du sud, a enfin été libéré de prison après 25 ans de détention. C'est une victoire majeure dans la lutte des Sud-africains contre la discrimination raciale et pour leur liberté, bien que l'Apartheid soit toujours en vigueur. Là aussi, les syndicats ont été de la lutte, malgré la répression institutionnalisée. Les luttes contre le totalitarisme. Solidarnosc, par sa lutte incessante, a été l'étincelle qui a permis à la Pologne d'ouvrir la première brèche qui a conduit, contre toute attente, à l'effondrement du mur de Berlin. L'Europe de l'est s'est affranchie du totalitarisme. Et la «perestroïka» et la «glasnost» cheminent. Tous les jeux ne sont pas faits dans le bloc de l'Est, mais un retour en arrière ne semble plus possible. Personne ne pouvait espérer et prévoir, il y a à peine quelques années, l'effondrement de ce mur. Cet effondrement n'est pas l'effet du hasard, c'est en majeure partie par l'effet de la volonté exprimée de ces peuples de vivre libres. Nous nous inscrivons donc en faux face aux personnes d'ici et d'ailleurs qui, devant l'heureux effondrement du totalitarisme en Europe de l'est, chantent sous diverses variantes la victoire du capitalisme et ses vertus. C'est la victoire des peuples décidés et mobilisés pour obtenir leur liberté qu'il faut saluer. Et à ce que nous sachions, les régimes économiques sous les dictatures militaires d'Amérique du sud et sous l'Apartheid, étaient et sont encore tous parfaitement capitalistes. Nous vivons nous aussi dans un régime capitaliste. Et nous ne considérons pas vivre dans un paradis de démocratie, de justice et d'équité. De nouveaux projets porteurs d'espoir et de progrès collectifs Ici aussi, et nous les faisons nôtres, des projets qui améliorent la qualité de vie sont portés par un nombre sans cesse croissant de personnes. Parmi ces projets, ceux qui concilient l'environnement et le développement économique nous apparaissent fondamentaux pour notre monde, pris dans tous les sens du terme. Ces projets se traduisent par l'adoption de certaines habitudes individuelles de vie plus saines, mais aussi dans des actions collectives comme celles des groupes pour la paix, la lutte des peuples autochtones contre les vols à basse altitude de l'OTAN au-dessus de leur territoire, les nombreuses associations pour la protection des divers aspects de l'environnement (eau, air, bruit, sol, cheptel, forêt, etc). Ces groupes foisonnent, et plusieurs de nos membres y militent. Ces préoccupations se développent rapidement et véhiculent des enjeux de société de plus en plus largement partagés. Ces projets qui prennent rapidement racines sont porteurs d'espoir et de progrès collectifs. C'est pourquoi nous entendons redoubler d'effort pour progresser dans la démocratisation de nos lieux de travail et dans la démocratisation des décisions qui impliquent des choix de société. Ces choix qui nous concernent, sont trop importants pour les laisser dans les seules mains des patrons et du gouvernement. Parmi ceux-ci, le droit du Québec à l'autodétermination n'est pas encore acquis, et des champs de juridiction vitaux pour notre identité nationale sont constamment menacés par les intrusions d'Ottawa, comme les communications et l'éducation. Les intrusions du fédéral, dans le champ de l'éducation, se sont en grande partie faites, ces dernières années, par le biais de la formation professionnelle des adultes, qui est un facteur de première importance pour nos emplois et notre identité nationale. Les choix déterminant le développement économique du Québec se font au profit d'une minorité, au détriment d'une majorité grandissante et de notre environnement global. Nous faisons nôtre cette conception du développement durable qui vient bouleverser toutes les approches du développement économique actuellement dominantes dans la société. Selon cette conception, l'écologie et l'économie sont étroitement liées à l'échelle locale autant qu'à l'échelle mondiale. Les causes et les effets de l'une et de l'autre sont en interaction constante. De plus, l'exploitation des ressources, le choix des investissements et les développements technologiques doivent être déterminés en fonction des besoins actuels et futurs des gens d'ici et du monde. C'est pourquoi nous entreprenons la dernière décennie du siècle avec enthousiasme et espoir, déterminés à lutter pour les aspirations collectives principalement centrées sur les grandes questions sociales comme le contrôle sur son travail, l'environnement, la lutte contre la discrimination sous toutes ses formes, une plus grande démocratisation des lieux de décision et la question nationale. Nous sommes déterminés à lutter pour une société qui soit davantage libre, juste et équitable. Nous sommes outillés et prêts à participer activement aux changements en cours et à l'édification de la société québécoise dans laquelle nous voulons vivre. Nous sommes prêts à relever les défis de la dernière décennie du siècle parce que nous avons confiance dans l'expérience, la vitalité, la sagesse et la détermination de nos membres et de nos syndicats. Nous savons que nous pouvons miser sur notre monde. Actualiser notre action. C'est donc dans le contexte global de la dernière décennie, marquée par de rapides et nombreux changements, qu'il faut apprécier l'ensemble des aspects de l'action syndicale que nous avons menée ces dernières années. Et nous ne devons pas craindre de questionner nos pratiques et d'examiner si nous avons toujours développé les meilleures stratégies. Mais il nous faut, aussi, reconnaître et miser sur nos forces. Il faut se questionner. Nous nous sommes développés numériquement mais nous avons perdu des membres, y compris dans des secteurs où nous sommes majoritaires, notamment dans le secteur public. Et parmi ces personnes qui ont quitté nos rangs, plusieurs étaient professionnelles et semi-professionnelles. Ces départs affectent négativement l'une de nos forces qui est notre caractère représentatif de la diversité de la main-d'oeuvre. Avons-nous suffisamment tenu compte des besoins et des aspirations de ces membres? La réflexion devra se faire sur ce sujet. Notons également que nous sommes, tout comme l'ensemble du mouvement syndical au Québec, faibles ou absents dans de nombreux types d'emplois et secteurs d'activité qui sont en développement et dans lesquels se crée et se créera, au cours des dix prochaines années, la majorité des emplois. Nous devrons prendre les moyens pour être présents et mener une offensive de recrutement dans certains de ces secteurs. Malgré les positions et les décisions prises dans les congrès de la CSN, et malgré la qualité des positions confédérales concernant plusieurs grandes questions d'intérêt général pour nos membres et pour la société, nous avons éprouvé des difficultés importantes à enraciner plusieurs d'entre elles dans nos pratiques syndicales à tous les niveaux de notre mouvement. Nous n'avons pas toujours réussi à les lier entre elles ni à développer l'enthousiasme et le dynamisme nécessaires au ralliement de l'ensemble des membres dans des actions articulées autour d'objectifs communs. De plus, nous avons hésité face à certaines réalités nouvelles, ce qui nous a occasionné des difficultés à tracer des lignes de conduite claires. En fait, collectivement nous connaissons encore mal plusieurs de ces changements, et nous en méconnaissons aussi les effets. Nous éprouvons des difficultés à les cerner parce que nous n'avons aucun contrôle sur les décisions et les changements faits dans nos lieux de travail, n'étant pas partie prenante à ces décisions. Sur des questions relatives à l'organisation du travail, par exemple, les travailleuses et les travailleurs ont trop souvent réagi de façon uniquement défensive face à certaines initiatives patronales et à plusieurs transformations en cours. Ce qui les a souvent défavorisés. Nous devons prendre les moyens pour acquérir davantage d'autonomie et de contrôle sur notre travail et investir les lieux où se concentre l'information et où se prennent des décisions qui nous concernent. Une conviction s'est développée: une très bonne convention collective ne garantit par nécessairement l'avenir. D'autres éléments doivent être périodiquement considérés, dont ceux de la productivité, de la concurrence, de la qualité des produits ou services, de la gestion de l'entreprise, de l'environnement, de la santé et sécurité, de la formation professionnelle, etc, et cela, en cours de convention. Les temps changent, et sans renier nos principes fondamentaux mais bien au contraire pour mieux les faire respecter, il faut actualiser nos analyses et notre action, résister aux attaques et participer au changement. Il faut miser sur nos atouts. Ce sont les membres de nos syndicats affiliés qui constituent notre principale force. Nous sommes maintenant près de 250 000 à composer et à développer notre mouvement. Cette force fondamentale de la CSN se déploie de diverses manières et sur de nombreuses questions où se matérialisent notre unité et notre solidarité, qui sont le ciment de notre mouvement. A cet égard, mentionnons que lors de la campagne volontaire du 0,25 $ qui a donné 1800 000 $ aux membres du Syndicat des travailleurs du Manoir Richelieu, les syndicats de la CSN ont fait preuve d'une très grande solidarité. Le Comité exécutif de la CSN tient à féliciter et à remercier chaleureusement tous les membres des syndicats qui ont contribué à cette campagne. Si cette bataille des travailleuses et des travailleurs du Manoir Richelieu, qui se sont faits littéralement voler leurs emplois, a été une défaite pour Pointe-au-Pic, elle s'est transformée en victoire dans d'autres endroits où les nouveaux patrons ont respecté les personnes employées et le syndicat existant. C'est le cas, notamment, pour Le Châteaubriand Sainte-Foy de Québec, pour l'Auberge des Gouverneurs de la Place Dupuis à Montréal, pour l'Auberge des Gouverneurs de l'Ile Charron. Dans l'ensemble, les relations de travail et les négociations n'ont pas été faciles pour le mouvement syndical et la CSN au cours de la dernière décennie. On comprend mieux, dès lors, que les dix dernières années n'ont pas été le théâtre de nombreuses et grandes victoires spectaculaires. Dans ce cadre, la résistance aux attaques et le maintien de nos acquis doivent être considérés comme des victoires. Dans nos négociations, des gains ont été remportés, de nouveaux champs ont été ouverts, des emplois ont été maintenus et créés. De nouvelles expériences de négociations regroupées ont été menées. Elles ont donné de bons résultats, comme par exemple dans le secteur de l'hôtellerie. Notre participation aux forums régionaux et au Forum national pour l'emploi manifeste en quelque sorte que, sans renier ni renoncer à nos moyens dits plus traditionnels de lutte, nous avons commencé à utiliser de nouveaux moyens et à agir sur de nouveaux terrains où se joue le rapport I le force, qui reste le moteur essentiel à l'amélioration de la qualité de nos conditions de travail et de vie. Nous avons fait la preuve, dans ces forums, dans certaines négociations et lors de notre participation à divers comités sectoriels et régionaux impliqués dans le développement économique et dans le développement des services publics, que nous savons distinguer et tenir compte, d'une part, des intérêts conflictuels existant entre nous et les patrons, d'autre part, des objectifs convergents que nous pouvons tous partager dans une situation donnée. La création du Groupe de consultation pour le maintien et la création d'emploi constitue un exemple illustrant bien que nous continuerons de revendiquer le «souhaitable», mais que nous tenons aussi compte du «faisable». Ce qui donne une dimension nouvelle à notre combativité, à notre unité et à notre solidarité. D'autres instruments d'intervention économique et sociale, comme la création de coopératives de travail, le développement de nos caisses d'épargne en milieu de travail et Bâtirente, vont également en ce sens. Bafoués par les décrets de 1982, les syndicats du secteur public se sont relevés et ont conclu leurs négociations en 1986 et cette année. La réorganisation de la perception des cotisations syndicales par les membres du secteur des affaires sociales touchés par la Loi 160 démontre de façon impressionnante la force de la conscience syndicale et de l'adhésion à notre mouvement. Par l'organisation de nouveaux syndicats, nous avons, au cours des années 1980, augmenté nos effectifs et commencé à pénétrer certains secteurs où nous étions peu ou pas présents et qui sont appelés à se développer, comme par exemple les ambulances, les garderies, les médecines douces. Pendant ce temps, nous avons aussi poursuivi notre implication avec des groupes communautaires et populaires dans des luttes pour la paix, la protection de l'environnement, l'éducation, l'équité sociale, le maintien et la création d'emploi et le développement économique. Nous avons fait de même sur de nombreuses autres questions, dont la réforme de l'aide sociale, en étant actifs au sein de Solidarité Populaire Québec. Nous nous sommes dotés d'une véritable politique de la santé et nous poursuivons la bataille sur ce terrain. Nous avons aussi avancé dans nos alliances avec des groupes progressistes du Canada, notamment pour les luttes contre la pauvreté, contre le libre-échange et contre la taxe sur les produits et services (TPS). Nous avons participé à l'amélioration de la condition féminine par notre action à l'intérieur de diverses alliances vouées à la défense et à la promotion de l'égalité des femmes, et par notre action dans nos syndicats et dans nos lieux de travail. A ce dernier niveau, mentionnons que nous poursuivons notre lente progression dans la négociation de congés de maternité et que nous avons commencé à négocier des programmes d'accès à l'égalité (PAE). La lutte est résolument engagée pour l'équité salariale à l'égard des femmes, et déjà des gains indéniables ont été obtenus lors des dernières négociations dans le secteur public. Il s'agit ici de la lutte la plus socialement importante des vingt dernières années. En effet, elle remet en question un des fondements majeurs de l'organisation économique de la société et implique des transformations profondes dans les rapports entre les femmes et les hommes. Par exemple, nous sommes passés, en vingt ans, de la conception que le salaire des femmes était un salaire d'appoint, puis à la conception qu'à travail égal, elles devaient avoir un salaire égal et enfin, dans nos rangs et dans certains lieux de travail, à travail équivalent, salaire égal c'est-à-dire, un salaire égal pour un travail de valeur comparable. De plus, nous avons participé activement à des coalitions intersyndicales. Sur ce plan, notons d'abord celle sur le libre-échange. Mais les deux éléments les plus marquants dans nos rapports avec les autres organisations syndicales sont évidemment notre alliance avec la CEQ dans les dernières négociations du secteur public, et celle avec la FTQ dans la construction cette dernière alliance nous a d'ailleurs permis de restaurer le droit de la CSN de négocier dans ce secteur. Ace sujet, rappelons qu'en décembre 1982, suite à des difficultés financières et politiques, le Congrès de la Fédération nationale des syndicats du bâtiment et du bois (FNSBB) avait remis à la Confédération l'ensemble de ses responsabilités pour que cette dernière procède à une réorganisation complète de son fonctionnement. C'est maintenant chose faite. La FNSBB deviendra la CSN-Construction lors de son congrès au début du mois de juin prochain. Enfin, il importe de reconnaître que, si la dernière décennie n'a pas été facile ni pour nous, ni pour le mouvement syndical en général en Amérique du nord, nous avons su, à la CSN, demeurer un mouvement syndical libre, fondé sur l'unité et la solidarité et axé sur la lutte pour l'équité au travail et dans la société. Mais il faut aussi reconnaître que les changements en cours dans le monde du travail et dans la société font en sorte qu'il nous reste beaucoup à faire pour défendre nos droits et notre monde. Ils nous obligent à être vigilants, à poser des gestes, à mener des luttes, à faire des choix et à ouvrir de nouvelles voies. La situation dans laquelle nous évoluons change, la société change, nous aurons encore à actualiser constamment notre action pour mener à terme le projet syndical que nous portons. Conclusion. A la jonction de deux décennies, à dix ans d'un nouveau millénaire, ce cinquante-cinquième Congrès nous interpelle. Rarement l'avons-nous été comme aujourd'hui. Ce congrès sera, bien sûr, un temps de retrouvailles, un moment intense de fraternité, un lieu de solidarité active. Nous en avons besoin. Cela fait du bien. Nous pourrons constater qu'en dépit des difficultés et de l'ampleur des défis relevés, notre action militante, notre action collective avance et porte des espoirs concrets d'un quotidien qu'il est possible d'améliorer: nous l'avons démontré à de nombreuses reprises au cours des ans. Si nous ne connaissons pas précisément ce que seront le Québec et le monde en l'an 2000, nous savons cependant qu'ils nous ressembleront dans la mesure où nous aurons investi les efforts nécessaires, à toutes les étapes de leur définition et de leur construction. Dans la continuité de notre histoire, bien entendu, parce que c'est là que nous trouvons notre inspiration; mais, aussi, résolument ancrés dans le présent; mais, surtout, courageusement tournés vers l'avenir: agents de changement déployant nos activités et nos capacités d'intervention et d'action, nous saurons nous imposer comme acteurs majeurs dans la construction d'une société qui finira par ressembler à nos aspirations. Une décennie en bouleversement. Ce cinquante-cinquième Congrès, camarades, nous invite à mieux saisir la nature des changements qui peuvent être constatés dans la plupart des secteurs de notre propre société. Il nous invite aussi à nous remettre en mémoire les objectifs fondamentaux que nous nous acharnons à poursuivre. Il nous invite enfin à prendre l'exacte mesure de notre capacité et des moyens à déployer pour que ces objectifs généreux se traduisent dans des réalisations concrètes. Des changements sont intervenus que nous avons recherchés. D'autres sont arrivés qui nous ont été imposés. Dans cette dernière décennie, en effet, le combat syndical n'a pas été à sens unique et nous n'en avons pas toujours été les principaux acteurs. Nous avons avancé et gagné sur des terrains; sur d'autres, nous avons reculé et parfois perdu. Dans plusieurs circonstances, par contre, le seul fait de n'avoir pas été pulvérisés a constitué des victoires majeures. Il y a dans tout cela des enseignements qu'il nous faut savoir tirer si nous voulons être encore mieux équipés pour les combats de demain. Avec l'appui actif de la classe politique, jouissant de l'attention bienveillante d'une grande partie des fabricants d'opinion, le monde des affaires a enregistré des gains aux dépens des travailleuses et des travailleurs organisés, nos membres. Mais aux dépens aussi des personnes les plus démunies et les moins bien nanties dans notre société, qui sont nos amis, nos frères et nos soeurs, nos connaissances, nos voisins. Nous l'avons vu précédemment, le rapport de force global s'est renversé à la faveur, en particulier, de la crise économique qui nous a frappés au début des années 80. Mais cela doit cesser! Nous sommes placés dans la situation de réagir, avec toute la violence que provoque en nous un état d'injustice qui se perpétue depuis trop longtemps! Nous avons combattu avec acharnement l'Accord de libre-échange avec les États-Unis: il a malgré tout été signé. Nous avons dénoncé depuis six ans le transfert systématique du fardeau fiscal des hauts salariés et des grandes sociétés sur le dos des petits et moyens salariés: ce transfert se poursuit en dépit de nos efforts et sera encore plus injuste avec l'introduction de la TPS en janvier prochain. Nous nous sommes érigés contre le désengagement de l'État dans le développement économique et la répartition de la richesse, pour le maintien et l'expansion de nos outils collectifs: mais ce sont les thèses de Reagan et de Thatcher qui ont séduit nos gouvernants. Cette montée des forces conservatrices a profondément modifié l'environnement global dans lequel s'inscrit le combat syndical. Le constater n'est pas faire preuve de faiblesse. La pire erreur, dans ce domaine comme dans d'autres, consisterait à ne pas avoir le courage de prendre l'exacte mesure du réel. Le combat syndical n'est pas à sens unique. Fervent du progrès social, il lui faut parfois traverser des périodes plus ardues. Nous y sommes. Et les défis sont extraordinaires! Non seulement s'agit-il d'endiguer ces reculs qui nous ont été imposés, il s'agit surtout de prendre les moyens pour conserver les droits qui ont pu être préservés et pour aller en arracher d'autres dont l'absence se fait cruellement sentir. Dans le vaste champ des relations du travail, par exemple. Mais comment faire? Mais comment donner encore plus d'ampleur à certains droits, quand il déjà est si difficile de protéger ce qui existe? Nous n'avons pas le choix d'agir. A moins de faillir à nos responsabilités. A moins de déroger à nos mandats. Toutes et tous ici présents, nous avons choisi, à un moment ou l'autre de notre vie, à tous les paliers de l'action syndicale, de consacrer de notre temps, de nous investir dans l'action collective, de porter, avec nos camarades de travail, leurs revendications et leurs espoirs. C'est cela le sens de notre mandat syndical qui consiste à être un instrument de libération, un instrument de progrès, un instrument de démocratie dans la société québécoise. Par respect pour celles et pour ceux qui, en d'autres temps et sous d'autres adversités, ont su porter le message syndical, par respect aussi pour celles et pour ceux qui vont nous suivre et qui seront en droit de nous interpeller sur ce que nous leur aurons laissé, il nous faut relever les défis du temps présent. Avec lucidité, avec courage, avec conviction. Le défi de l'emploi. Le premier de ces défis, c'est celui de l'emploi: des emplois en quantité, des emplois de qualité. Nos efforts ont été immenses, ces dernières années, sur ce front de lutte. Il faut poursuivre, si nécessaire avec encore plus de vigueur. Peser de tout notre poids; ne pas craindre de nous impliquer; nous équiper pour pouvoir intervenir en pleine possession des informations pertinentes à l'avenir de l'établissement, du secteur. Ne pas laisser à la seule gérance le soin d'organiser la modernisation des procédés de production, mais être là. Ne pas abandonner aux autres le champ de la formation professionnelle, mais agir de façon à ce que les travailleuses et les travailleurs soient partie prenante, avec leurs organisations, de ces orientations décisives pour l'avenir. Ne pas céder aux directions d'usines ou d'établissements la définition de nos responsabilités de travailleuses et de travailleurs en regard de l'organisation du travail, de la qualité du travail, mais former nos militantes et nos militants pour qu'ils prennent toute la place qui leur revient. La sensibilité ouvrière évolue au fil des transformations de la production ou encore de l'organisation des services. Cela est non seulement normal, c'est extrêmement sain. Ce n'est d'ailleurs pas d'aujourd'hui que notre réflexion nous porte à investir de nouveaux horizons. Je me permets de rappeler qu'au Congrès d'orientation tenu en 1985, notre mouvement avait déjà tracé quelques balises dans ce que nous pressentions alors comme une préoccupation qui risquait de devenir extrêmement présente. Plusieurs de nos syndicats l'ont en effet constaté par la suite. Le Comité exécutif écrivait alors dans son rapport: Avec toute la prudence nécessaire, nous devons décider, en tant que travailleuses et travailleurs, en tant qu'organisation syndicale, si nous allons surveiller le changement en cherchant à le contrôler ou encore si le changement nous sera tout simplement imposé, avec les conséquences catastrophiques que cela pourrait entraîner. Nous ajoutions ceci: L'amélioration de la qualité des produits et des services, l'utilisation la meilleure des outils de travail, la mise en valeur des capacités manuelles et intellectuelles des travailleurs, la souplesse et la mobilité dans l'organisation d u travail, les choix d'investissements ne peuvent nous être étrangers. Cela exige, cependant, des changements majeurs dans nos attitudes. Dans plusieurs syndicats, nos membres ont eu à prendre certaines réalités à bras-le-corps et, à plusieurs reprises, cette formidable capacité d'invention qui caractérise la CSN s'est manifestée, sous toutes sortes de formes: dans l'action revendicative, par exemple, avec les employés d'entretien de la STRSM; dans la mise sur pied de coopératives de travail dans les services ambulanciers, où nous avons continué d'innover après avoir assaini et rehaussé la qualité d'un secteur névralgique du réseau de la santé; par notre implication dans l'organisation du Forum pour l'emploi, porteur d'initiatives susceptibles de déboucher sur une coopération fructueuse des différents acteurs sociaux. L'emploi et l'environnement. Ce défi de l'emploi, s'il doit être celui d'une main- d'oeuvre formée et responsabilisée, ne pourra pas cependant échapper aux exigences reliées à un développement durable. De plus en plus, l'utilisation rationnelle des ressources renouvelables et non renouvelables sera à l'ordre du jour syndical. Il y aura un prix à payer, au niveau des emplois, pour ce qui détruit de façon irrémédiable, pour ce qui rase au sol, pour ce qui pollue dangereusement, pour ce qui, dans bien des secteurs, sème la mort. Nous ne pourrons pas échapper à ces échéances qui, déjà dans certains milieux, s'imposent et qui sont portées souvent par une jeunesse davantage inquiète que nous ne l'étions du sort global réservé à la planète. Faire semblant d'ignorer la réalité, refuser les remises en question, même quand elles sont déchirantes, ne pas s'ouvrir aux angoisses des jeunes, cela ne serait pas une attitude syndicale. Cela ne nous ressemblerait tout simplement pas. Ce qui, par contre, s'inscrirait dans notre tradition, et c'est d'ailleurs ce vers quoi nous tendons, c'est de travailler à transformer ce qui doit l'être pour que, le développement qui doit nous assurer une vie de qualité, soit durable. Il est fini le temps où il était encore possible de produire en détruisant; de fabriquer en rejetant, dans la nature, la désolation; de puiser à l'excès dans les ressources, sans souci de les renouveler: ce type de fonctionnement est d'ailleurs à l'image même du capitalisme, dont on sait que la préoccupation première, malgré les beaux discours, demeure la rentabilisation de l'investissement et la récolte maximale de profits, sans égard pour les personnes et les ressources. Ces impératifs, on l'aura compris, heurtent de plein fouet la préoccupation, de plus en plus présente, de forêts dont on s'assure de la reproduction, de l'eau qu'il faut cesser de polluer, de l'air qu'il ne faut plus charger de tonnes de produits toujours plus destructeurs. Comme travailleuses et comme travailleurs, nous aurons des choix à faire. Nous aurons aussi des revendications à porter et des sensibilisations à faire progresser. Nous devrons être du courant qui exige que les impératifs de production durable et non polluante soient présents dans la conception même des procédés. La meilleure méthode demeurera la prise en charge de l'État et des entreprises en ce qui a trait aux coûts de la dépollution. L'argument économique, en effet, est à peu près le seul qui, en bout de ligne, finit par être entendu et compris par les entreprises. Les propositions qui vous seront soumises, en lien avec ces préoccupations de la qualité de l'environnement et du développement durable, vont dans ce sens. Il n'est plus question, pour nous, de faire marche arrière là-dessus. Le Code du travail: une camisole de force. Il est un autre enjeu auquel nous ne pouvons échapper: celui d'être en mesure d'assumer, avec aplomb et efficacité, notre mandat syndical et notre mandat social. Un obstacle de taille se dresse cependant, si nous voulons remplir véritablement notre mission: le Code du travail québécois s'avère être de plus en plus une camisole de force. Avec les règles actuelles, à peu près toutes les personnes qu'il est possible de syndiquer l'ont été. L'évolution du marché du travail, sa fragmentation, la dispersion des personnes qui en découle rendent illusoire l'exercice du droit d'association. Il devrait en effet être dans la logique des choses qu'il soit possible, quand ce droit est exercé, que le rapport de force qui en découle favorise le relèvement des conditions de travail et de salaire de celles et de ceux qui décident de s'en prévaloir. Le Code du travail doit donc, en conséquence, subir des modifications en profondeur, des changements majeurs. Notre capacité de poursuivre nos objectifs de justice et d'égalité en dépend. Mais sur cette question vitale pour une organisation syndicale, nous devons dire que l'actuel ministre du Travail ne nous a nullement impressionnés. Au-delà des déclarations de bonnes intentions, particulièrement soporifiques, nous sommes encore à la recherche de la substance. Dans un cabinet ministériel rempli de personnes prêtes à voler au secours du droit de propriété, le seul ministre dont la responsabilité première consiste à veiller au respect des droits des travailleuses et des travailleurs ne trouve rien d'autre à faire que de se mettre à la remorque du «consensus des parties». Comment accepter qu'un ministre du Travail accorde, de fait, un droit de veto au Conseil du patronat sur des questions qui touchent les travailleuses et les travailleurs dans leurs droits les plus fondamentaux? Il y a là quelque chose d'immoral quand ce même ministre s'interdit d'agir parce que le patronat n'est pas d'accord avec une réforme susceptible d'assurer à des dizaines de milliers d'hommes et de femmes l'accès à la syndicalisation. Il y a toujours la restauration des articles 45 et 46 du Code du travail qui reste à faire. Cela fera deux ans en décembre que la Cour suprême, dans un jugement signé par le juge Jean Beetz, sabrait dans toute l'économie de notre droit du travail, patiemment érigée depuis 25 ans au Québec. Il y a pourtant urgence! On a vu souvent des gouvernements intervenir avec une rapidité parfois suspecte, prétextant le rétablissement de l'ordre public. Le désordre de l'injustice est néanmoins installé depuis ce jugement et personne ne bouge au gouvernement. Il en va sans doute des droits comme des lois, dont certaines sont plus légales que d'autres. Par l'inaction gouvernementale, des milliers de travailleuses et de travailleurs, parmi les plus fragiles et les plus vulnérables, sont actuellement à peu près sans défense devant toutes les tractations qui peuvent se faire entre compagnies à numéros, entités anonymes remplies d'aise devant la perspective de profiter des brèches si généreusement fournies par les cours de justice et le manque d'audace de nos gouvernants. Cela ne doit cependant pas nous éloigner de nos propres responsabilités. Si des amendements au Code du travail s'imposent, nous avons aussi, de notre côté, la responsabilité de nous organiser mieux pour recruter de nouveaux membres. Si chacun des secteurs qui compose la CSN y met les efforts nécessaires, en fait un souci quotidien, une quasi-obsession, nous sommes capables d'améliorer notre rapport de force global en augmentant le nombre de nos membres dans l'ensemble des secteurs d'activité. La question nationale. Avant l'an 2000, le Québec aura procédé à des choix fondamentaux, ou, alors, il aura laissé passer des occasions de contrôler véritablement sa destinée. Avec ce qu'elle a porté comme valeurs nationales et sociales depuis sa fondation, la CSN ne peut, sous aucune considération, être absente des grands débats qui ne manqueront pas d'agiter en profondeur la société québécoise. Il y a en effet des exigences aux prétentions qui sont les nôtres, dont celle de savoir, courageusement, choisir notre camp au moment où nous atteignons la conviction qu'une direction collective doit être prise et qu'il est temps de procéder. La consultation pré-congrès que nous avons menée est venue conforter ce point de vue: la CSN doit être de ces débats. Ce Québec de demain, de demain matin même, aura-t-il garanti son avenir démographique? Assumera-t-il les nouvelles exigences de son pluralisme ethnique? Sera-t-il encore français et aura-t-il pris les mesures pour le demeurer? Aura-t-il décidé d'exercer ce droit à l'autodétermination qui, encore aujourd'hui, n'existe qu'au titre de revendication collective? C'est dans cette perspective qu'en toute lucidité, nous soumettons au présent Congrès une proposition par laquelle nous indiquons un choix clair: le temps est venu, pour le Québec, de choisir son avenir, d'exercer sa pleine autonomie et son indépendance, à travers des structures politiques et organisationnelles à déterminer collectivement. Il y a longtemps que sur ces questions - et sur toutes les autres qui touchent de près ou de loin le destin de notre peuple - les lettres de créance de la CSN ont été validées. Elle-même le fruit de la résistance à l'oppression nationale, notre organisation syndicale a considéré, à toutes les époques et de toutes les manières, que rien de ce qui est québécois ne lui était étranger. Depuis 70 ans, quand d'autres se taisaient, nous avons parlé. Quand d'autres hésitaient, nous avons choisi. Quand d'autres étaient paralysés, nous avons agi. Nous entendons que cette tradition soit maintenue. Dix ans après l'échec référendaire, huit ans après le rapatriement d'une Constitution bâtie sur le dos des intérêts du Québec, trois ans après une entente en porte-à-faux appelée Accord du Lac Meech, après tous les efforts pour assurer non plus la survivance mais la viabilité de la langue française et de la culture québécoise, face au ressac provoqué au Canada anglais à l'endroit de tout ce qui est québécois et francophone, confrontés aux défis de continuer à construire, ici, une société ouverte et accueillante, nous nous tairions, nous ne prendrions pas parti? La CSN s'esquiverait, sous de fallacieux prétextes de tous ordres, malheureusement trop entendus dans les années 70, et véhiculés dans divers milieux par ce que nous avons compris plus tard être des agents des forces occultes fédérales? Nous laisserions la question nationale entre les mains de la garde montante du monde des affaires, sous prétexte de ne pas salir les nôtres? Non! Nous préférons être sur la ligne de feu et porter avec courage nos convictions, allant à l'essentiel quand le temps est venu de partager ce qui relève du fond des choses de ce qui ne tient qu'à l'accessoire. C'est à cette étape que nous apparaît être arrivé le Québec: opter pour la plénitude de sa souveraineté, aux plans politiques, culturels, économiques et sociaux. Le caractère artificiel de ce pays qu'on appelle le Canada, fondé sur trop d'ambiguïtés, est en train d'apparaître à la surface des choses, avec une précipitation telle qu'elle ne peut être expliquée que par la conjonction, dans le temps, de l'ensemble des forces centrifuges qui depuis longtemps exigeaient de pouvoir s'exprimer. Pour l'avenir économique du Québec, le maintien du lien fédéral est devenu un poids. Il n'y a pas que cela, mais cela importe quand même. Pour protéger nos politiques sociales, pour nous mettre à l'abri de stratégies économiques tout entières déterminées en fonction des intérêts de Toronto, pour avoir toute la prise nécessaire sur les leviers capables d'assurer notre avenir, la disparition du joug fédéral est devenu une nécessité, estimons-nous. Miser sur notre monde. C'est d'ailleurs le sens du thème sous lequel a été placé notre Congrès. Miser sur notre monde, en effet, c'est tabler sur la confiance que nous mettons dans toutes les forces à l'oeuvre au Québec; c'est aussi accepter un pari sur notre propre capacité d'influencer l'avenir du côté de la démocratie, de l'intégration harmonieuse des nouveaux arrivants, du respect des droits des travailleuses et des travailleurs, des droits des femmes, des droits des minorités. Pour une stratégie gagnante. La CSN a toujours compté et misé sur l'intelligence collective, l'expérience, la capacité d'analyse, la sagesse et la combativité des milliers de militantes et de militants à l'oeuvre dans tous ses organismes affiliés. Notre mouvement a toujours été un instrument de démocratie et de progrès social, voué à la défense et à la promotion de la liberté, de l'équité et de la justice. C'est là notre mission fondamentale, au nom de laquelle nous militons quotidiennement. Nous avons apprécié l'ensemble de notre action syndicale des dernières années à la lumière des grands changements qui sont survenus. Il ne faut pas craindre de s'interroger quant à nos pratiques et aux stratégies que nous avons empruntées. La prochaine décennie, en effet, peut être à la fois enrichissante et emballante pour notre mouvement, pour nos membres, si nous réussissons à miser sur nos forces et à corriger nos faiblesses. Les défis qui se posent, nous avons confiance de pouvoir les relever en continuant d'agir sur tous les plans en tant que force de progrès syndical et social. Le 55e Congrès doit marquer un moment dans notre cheminement, soit celui de l'adoption d'une stratégie qui nous permettra de participer à la construction de la société que nous voulons habiter en l'an 2000. Les principes fondamentaux de notre action, ceux qui nous ont guidés jusqu'ici, demeurent. Notre action, actualisée là où c'est nécessaire, continuera de s'appuyer sur ces principes. Le plan d'action qui est soumis au Congrès se veut une indication quant aux priorités sur lesquelles nos énergies et notre force collective doivent porter. Ce plan d'action n'écarte cependant pas l'ensemble de nos autres mandats et responsabilités. Cela implique par contre la nécessité d'effectuer certains choix. A partir de l'analyse de nos réalités, nous avons identifié six grands volets sur lesquels nous devons agir en priorité, au cours des deux prochaines années, pour que soit bien rempli notre rôle d'agent de transformation et de progrès syndical et social. Par notre engagement militant au quotidien, par la concrétisation de notre itinéraire syndical sur ces six volets, nous pourrons relever dans nos lieux de travail, dans le mouvement et dans la société les grands défis actuels. Nous évaluons qu'une stratégie syndicale gagnante, pour les années 90, devrait nous amener à concentrer prioritairement notre action sur les six volets suivants: Changer nos lieux de travail. Bâtir une société plus harmonieuse. Recruter de nouveaux membres. Augmenter l'efficacité de notre mouvement. Faire changer les législations. Développer des alliances. Miser sur notre monde, camarades, dans cette perspective, c'est nous appuyer sur ce qui a toujours fait la force de ce mouvement: les femmes et les hommes qui y adhérent. Notre énergie, nous le savons, c'est notre monde. Développer de nouvelles pratiques, actualiser notre action syndicale exige en conséquence que nous soyons attentifs à nos membres, que nous développions un syndicalisme qui corresponde à leurs préoccupations et à leurs besoins, que nous nous assurions que les objectifs sont partagés quand des mobilisations sont entreprises. Miser sur notre monde, camarades, c'est aussi, à la fois, travailler à développer une plus grande solidarité internationale au plan syndical, et travailler à un développement durable, respectueux de l'environnement et en mesure de satisfaire les besoins des gens d'ici et d'ailleurs dans le monde, aujourd'hui et demain encore. Miser sur notre monde, camarades, c'est aussi élargir et consolider nos alliances avec les autres organisations syndicales et les organisations communautaires, pour mieux relever les défis sociaux qui se posent aujourd'hui. C'est aussi s'allier étroitement au reste de la population québécoise et à ses organisations progressistes, afin de mieux agir sur une société dont nous voulons qu'elle soit à l'image de nos aspirations. Miser sur notre monde, camarades, c'est enfin exprimer toute notre confiance dans notre capacité de participer à la construction, avec l'ensemble des forces de progrès, d'un Québec plus juste, plus accueillant, plus fort, respectueux des droits et continuant de défricher de nouveaux champs de liberté.