*{ Discours néo-libéral CTC, 1980 } Bonjour, je ne m'attarderai pas à évoquer tous les événements importants qui ont marque ces deux dernières années, non plus qu'a vous rendre compte en détail de la façon dont j'ai tenu les commandes car les activités du CTC au cours de ces deux années sont bien connues des activistes du mouvement syndical et tout cela sera commenté en détail dans les rapports des différents comités du Congrès et dans d'autres formes de documentation que vous recevrez cette semaine. Je voudrais simplement dire un mot d'une question que je considère comme essentielle et fondamentale pour la direction du mouvement auquel j'appartiens. Je voudrais simplement vous faire part de certaines observations sur ce que je crois être des notions essentielles et vous parler non seulement du chemin parcouru mais encore, et c'est peut-être plus important, du chemin que je crois que nous allons suivre. Je n'ai pas besoin de vous dire que ces deux années ont été passionnantes. Une période pleine d'événements imprévus, de moments durs, d'hypertension, d'exigences impératives, de crises en puissance, mais jamais un seul moment d'ennui. En tant que président de notre organisation, j'ai eu ma part de controverses, certaines internes, d'autres externes; certaines qui ont peut-être servi ma popularité, d'autres qui ne m'ont pas rendu très populaire. C'est là la dynamique de notre mouvement, le mouvement auquel j'appartiens. Je crois que lorsqu'on est élu en tant que leader, on doit diriger sa barque en se tenant à la proue et non pas à la poupe. Cela signifie qu'il ne faut pas avoir peur de se mouiller. Cela signifie qu'il faut avoir le cran de se présenter de front pour défendre ses opinions, quelle que soit la popularité momentanée du combat ou son résultat. Cela signifie souvent que l'on reçoit plus de pommes cuites que de fleurs mais c'est aussi une façon de témoigner de son intégrité, car sans intégrité, il ne sert à rien de prétendre diriger. Je ne suis pas un masochiste - et je ne cherche pas à le paraître. Mais l'alternative serait d'esquiver les problèmes, d'être absent ou indisponible lorsqu'il faut se prononcer, ce serait de serrer les mains à la ronde, de prendre un air entendu et puis de ne faire pratiquement rien. J'ai une foi profonde et tenace dans les gens de notre mouvement et dans notre capacité d'être en violent désaccord au sujet de certains problèmes. Nous l'avons toujours été. Les deux dernières années n'ont pas fait exception à la règle. Nous ne sommes pas un monolithe. Nous avons tous une tendance instinctive à mettre les choses en doute et à mettre les gens au défi. C'est ce genre de qualité quelque peu non conformiste qui nous a tous attirés, au départ, dans le mouvement syndicaliste. Aussi, les gens ne devraient pas s'étonner si, de temps en temps, nous faisons un écart. A l'instant même, il y a des gens qui se frottent les mains et se lèchent les babines à l'idée d'un bain de sang, si l'on peut dire. A ces gens-là, je dis - et je le dis en votre nom - que les détracteurs de notre mouvement doivent comprendre que bien que nous ayons une certaine tendance à faire parfois un écart et à nous prendre aux mains, nous avons également démontré et continuerons à démontrer que nous avons la capacité de resserrer nos rangs au nom d'une cause commune et d'un but commun. J'ai commencé par vous dire que j'allais parler de notions essentielles; je vais donc commencer par le commencement car il se passe quelque chose de très essentiel, de très fondamental partout là-bas. Chacun nous demande ce que l'on attend des années 1980. Eh bien, je n'aime guère ce qui se passe un peu partout, sur le plan international tout comme sur le plan national. Il nous a fallu un certain temps pour nous extirper de la guerre froide et pour entrer dans une ère de coexistence pacifique et, à cause d'événements récents, nous sommes en train de retomber rapidement dans cette mentalité de guerre froide. Je peux comprendre les événements qui ont précipité tout cela. Je comprends les émotions de chacun. Mais je prétends que notre mouvement syndical, ici au Canada, devrait se montrer très hésitant à se joindre au choeur de ceux qui se montrent partisans et hystériques. Il faudrait prendre le temps de s'arrêter, de réfléchir et d'examiner. Et cela, c'est parce qu'il n'y a pas de gagnant dans un combat de ce genre. Les faits sont là, déplaisants mais inévitables, et c'est que les nations du monde, dans leur évolution idéologique et philosophique, sont devenues divisées. Diverses idéologies se sont partagé le monde mais, je le répète, le fait indéniable c'est que la structure actuelle des pouvoirs est divisée en trois camps: les deux superpuissances qui sont les États-Unis et l'Union soviétique, chacune d'elle s'efforçant à son tour d'obtenir l'appui et l'adhésion locale du groupe connu sous le nom de Tiers Monde. Le fait est que chacune des deux principales puissances possède une force militaire suffisante que pour les empêcher de s'intimider l'une l'autre. Aucune des deux ne peut gagner en déclenchant une action militaire contre l'autre, du moins sans provoquer un holocauste. Et en dépit de toute la propagande fondée, je pense, sur beaucoup d'hallucinations et de désirs que l'on prend pour des réalités, il est de toute évidence trop tard à ce stade du jeu pour croire si l'on est tant soit peu réaliste, que d'une façon ou d'une autre, l'Union soviétique et ses alliés vont se convertir au capitalisme ou que les États-Unis et ses amis deviendront communistes. Nous n'avons guère de chance non plus de convertir l'un et l'autre en socio-démocrates. La réponse consiste certainement, pour chacun de nous, à reconnaître la place des autres dans la société, que nous soyons d'accord, ou non, et de vivre en adoptant une politique de retenue et de coexistence pacifique. L'alternative est une guerre universelle et l'extinction finale de l'espèce humaine. Je m'inquiète du rôle du Canada dans cette perspective. La question de savoir ce que nous attendons des années 1980 est essentielle, en effet. La question est la suivante: survivrons-nous en tant qu'espèce humaine? Les autres questions deviennent de plus en plus futiles par comparaison. Le fait est que les superpuissances ont déjà assez d'armes perfectionnées pour détruire, à plusieurs reprises, tous les hommes, toutes les femmes et tous les enfants de notre planète et nous avons atteint le sommet de l'idiotie en créant cet objet connu sous le nom de bombe à neutrons qui est très perfectionnée: elle ne détruit que les gens tout en préservant l'investissement dans l'immobilier... Et lorsque les visiteurs d'autres mondes viendront ici pour ramasser les morceaux, ils écriront de longues dissertations au sujet de la mentalité scientifique qui avait créé celui-ci. La capacité nucléaire est en train de s'étendre et de proliférer d'une façon alarmante. Le club nucléaire ne cesse de s'agrandir et comprend maintenant un grand nombre de nations prétendument instables. Et certains prévoient même que les groupes de terroristes qui sillonnent le monde pourront bientôt acquérir certaines armes nucléaires miniatures très mobiles. C'est une pensée assez effrayante. Je pense qu'à la suite des récents événements en Iran et en Afghanistan, nous allons en revenir à la guerre froide. La détente semble s'effondrer, si elle n'est déjà chose morte. Le traité sur la limitation des armements stratégiques semble s'étioler sur sa tige et les vieux fiers-à-bras de la guerre froide brandissent une fois de plus leurs sabres; on entend parler de la conscription imminente aux États-Unis et toutes les alliances des années 50 et 60 semblent emportées dans un vent de folie. Je m'inquiète de la place occupée par le Canada dans cette configuration. Sur le plan des choses simples et pratiques, nous savons tous sans le moindre doute, que nos alliances de base et nos loyautés fondamentales sont sans conteste du côté de ce qu'il est convenu d'appeler le monde libre occidental, encore que certains de nos alliés se sentent embarrassés du fait d'un manque de liberté et bien que parfois aussi nous n'approuvions ni l'un ni l'autre. Cependant, en tant que pays et en tant que mouvement syndical national et avant que nous ne soyons poussés bon gré mal gré dans une direction quelconque, nous devons nous poser sérieusement certaines questions. La première de ces questions est de savoir dans quelle mesure tout cela représente un souci sincère pour le bien-être et la destinée des peuples du monde et dans quelle mesure il ne s'agit pas simplement de politique interne cynique. Je m'inquiète de voir les formes que revêtent les prétendues représailles au sujet de l'occupation de l'Afghanistan par les Soviets. S'ils veulent boycotter les Jeux olympiques, je le veux bien. Mais qu'ils ne continuent pas alors le commerce lucratif Vodka-Cola qui se poursuit actuellement car cela transforme toute la question en une farce. Laissez-les partir à la chasse à l'ours soviétique sur toute la question des droits de la personne; mais n'ayons pas en même temps le double étalon qui consiste à ignorer les véritables régions d'influence où la démocratie ne règne pas, où les droits de la personne sont violés effrontément tous les jours et sans excuse dans des pays tels que le Chili, l'Argentine, le Guatemala, l'Uruguay, le Paraguay, le Nicaragua et d'autres encore. Et débarrassons-nous de la notion qui veut que chaque fois que quelque part dans le monde, un mouvement voué à renverser le colonialisme arrive au pouvoir, nous déclarions automatiquement que l'un est une marionnette dont l'autre tire les ficelles et présumions d'emblée qu'ils sont l'ennemi. Nous avons fait cela avec Kenyata au Kenya il y a un peu d'années; ne recommençons pas à le faire aujourd'hui au Zimbabwe! Je pense que le Canada doit démontrer une fois de plus qu'il n'est le satellite de personne; et il nous faut répéter cela à intervalles réguliers parce que les gens oublient et commencent à confondre les choses. J'ai toujours apprécié le fait qu'en dépit de la domination économique évidente de notre pays par les États-Unis, nous avons, en somme, maintenu une identité souveraine distincte, avec un système judiciaire différent, un système politique différent, des attitudes différentes, une culture différente et ainsi de suite. J'ai toujours apprécié le fait que nous ne sommes pas une copie carbone de la politique étrangère soviétique. J'apprécie le fait que nous avons reconnu la République populaire de Chine il y a déjà longtemps. J'apprécie le fait de ne pas être traité de Gringo en Amérique latine. Je suis heureux de l'accueil et de la confiance que je trouve dans les Antilles. J'apprécie la bonne réputation dont jouissent les Canadiens et le mouvement du travail au Canada, en particulier chez nos amis du Tiers Monde et surtout chez ceux qui font encore partie du Commonwealth des nations. Je ne veux pas voir s'en aller à vau l'eau cette réputation si patiemment acquise parce qu'un quidam se balade autour du monde fort de l'argent qui lui est dû en exigeant des boycotts, et ainsi de suite. Si nous devons apparaître comme un peuple soucieux de maintenir son indépendance sur le plan international, cela signifie alors que nous devons nous affirmer chez nous. Cela signifie tout d'abord qu'il faut prendre des mesures nécessaires pour nous assurer la propriété et l'utilisation de nos ressources, établir des industries secondaires pour les transformer, créer des centres de recherche et de développement contrôlés par les Canadiens et autres mesures encore. Non seulement cela contribuera à ameliorer notre propre developperent économique et notre bien-être, mais cela démontrera de façon effective à nos amis et alliés autour du monde que nous ne sommes pas un satellite de notre puissant et amical voisin du sud. Il pourrait d'ailleurs se faire que cela devienne un facteur important dans le processus d'apaisement qut est nécessaire pour remettre un peu d'ordre dans le chaos auquel nous faisons face maintenant dans le Monde. Je prétends que le mouvement des syndicats devrait, avant tout, s'abstenir de toute hystérie de groupe et faire savoir a tous et à chacun que nous sommes les maîtres sur notre propre sol et dans notre propre organisation. Parlons un peu maintenant de démocratie. On nous dit qu'en dépit de toutes les lacunes évidentes de notre système, nous devrions être extraordinairement reconnaissants de vivre dans une société démocratique. Mais le fait est que presque toute nos institutions sont des monopoles contrôlés par quelques privilégiés qui ravissent nos ressources, modèlent nos esprits et aux injustices sociiales qu'ils accumulent ajoutent encore à la misère économique. Ils mettent nos téléphones sur écoutes, ouvrent notre courrier, s'infiltrent dans nos organisations et nous manipulent à chaque occasion. Et lorsque nous protestons, ils repondent: « Soyez donc reconnaissants, frères, car vous vivez dans une démocratie; songez que vous pourriez vivre au sein d'un système totalitaire. » Examinons cela un instant. Ne devrions-nous pas insister pour quelque chose de plus que le simple privilège d'aller aux urnes tous les quatre ou cinq ans? Ne devrions-nous pas insister pour obtenir quelque chose de plus que simplement le droit de réunion? Et dire des autres aspects de la démocratie? Que dire de la démocratie économique et de la repartition de la richesse collective de notre pays? Pourquoi ne pas faire participer des institutions du peuple et de leur accorder à eux leur mot à dire dans la planification et le développement économique du pays? Qu'en est-il du contrôle de nos ressources naturelles pour notre propre bénifice? Qu'en est-il du droit à un style de vie conforme au produit national brut? Qu'en est-il de la démocratie sociale? Du droit à des normes décentes de logement, à des possibilités et des installations et d'enseignement adéquates ? A l'accès à des systèmes de soins de santé ouverts à tous? Si elle n'est pas assortie d'une démocratie sociale et économique, la démocratie politique. réellement, signifie beaucoup moins qu'on voudrait nous le faire croire. C'est pour cela que nous avons fondé le Nouveau Parti démocratique, c'est pour cela que nous poursuivons cette alliance, c'est la raison pour laquelle nous mobilisons les adhésions dans l'arène politique: c'est parce qu'il n'y a pas d'autres alternatives viables que d'appuyer un parti créé par les travailleurs et qui n'a de compte à rendre qu'aux travailleurs. Je pense que la plus grande et unique entreprise collective dans notre histoire a été le lancement de la campagne parallèle du CTC en mai 1979. L'exemple le plus efficace et le mieux coordonné d'une action collective syndicaliste intelligente et valable a été la campagne du CTC entreprise en février 1980. Et ce n'est la qu'un commencement. Cela représente un tournant dynamique dans l'orientation adoptée par le mouvement canadien du travail. Cela signifie la création d'un véhicule de communication politique permanent qui n'a pas d'exemple à notre époque. Cela signifie l'établissement d'une véritable démocratie qui veillera à la présence agissante des travailleurs: c'est une faille ouverte dans le monopole du petit nombre de privilégiés et de l'élite désormais les espoirs et les aspirations des travailleurs esront sur le même pied que ceux des autres dans notre sotiété et la participation politique partisane récoltera plus d'avantages sur le plan humain et matériel que le privilège douteux de voter plus souvent qu'à notre tour pour les rouges ou pour les bleus. En dépit du peu de temps dont nous disposions, nous avons démontré notre potentiel et aucun commentateur politique intelligent ne dira le contraire. En mai 1979, nous avons atteint nos objectifs minimum: nous avons aidé à renverser les Libéraux et leur contrôle des salaires et nous avons limité les Tories à un gouvernement minoritaire. Nous avons maintenu notre contingent NDP intact et nous en avons élu neuf de plus. En février 1980, une fois de plus en dépit de la difficulté pratique de mobiliser nos troupes faute de temps et en dépit de la prétendue menace de l'impasse du tiers parti, nous avons aidé le NPD à obtenir le pourcentage de votes le plus élevé et augmenté le nombre de sièges NPD à Ottawa pour le porter au nombre le plus élevé qu'il ait connu dans l'histoire du parti. Ces résultats montrent clairement que nous sommes sur la bonne voie, et par ma foi, nous ferions mieux de rester sur cette voie car elle représente notre potentiel. Et c'est pourquoi ceux qui nous critiquent, et certains autres aussi, commencent à s'affoler: ils comprennent le potentiel énorme que représente ce que nous faisons. La clé de tout cela c'est le système de communications unique en son genre que nous possédons dans le mouvement du travail. Nous nous rencontrons chaque jour. Nous avons littéralement des milliers, peut-être des centaines de milliers de représentants au travail, de dirigeants syndicaux, de membres de comité, d'activistes syndicaux locaux qui occupent des positions, qui commandent le respect sur les lieux de travail et qui ont en outre des relations de confiance avec les travailleurs que nous avons le privilège de représenter. Nous allons mettre en oeuvre ce système de communications. La clé, lorsqu'on veut réussir une campagne parallèle, ce sont les démarches dans le milieu de travail. Il n'y a pas d'autre méthode. Or, ces démarches supposent la communication. Cela signifie un échange permanent d'éducation, l'éveil d'une prise de conscience politique, le développement de la conscience politique pour aboutir enfin à la maturité politique. Et la maturité politique déclenchera le genre d'actions politiques partisanes qui nous permettra de faire quelque chose au sujet de l'Establishment de notre pays. Pour arriver à ce but, nous utiliserons tous les moyens à notre disposition, tous les media de communication disponibles dans les écoles et les séminaires ou chaque fois que deux ou trois personnes se réunissent. Cela deviendra tout aussi naturel pour les délégués sur-le-tas de parler à leurs commettants de questions d'ordre politique aussi instinctivement qu'ils parlent maintenant des conventions collectives, des problèmes d'emploi et du jeu de balle d'hier soir. Voilà ce que nous ferons. Nous en ferons une véritable démocratie - une meilleure démocratie que jamais auparavant. Quand vous parlez aux gens ils disent: "il n'y a pas de système de classe dans notre pays, il n'y a pas de club exclusif." "Cela n'existe certainement pas dans le système judiciaire", disent-ils. Eh bien, je vous dis ceci: comparez les sentences infligées à Sean O'Flynn et à Jean-Claude Parrot, avec celle qui a été rendue contre Clarence Campbell, l'ancien président de la Ligue nationale de hockey et qu'on vienne m'expliquer après cela la démocratie de cette décision. Tâchez ensuite de suivre la gymnastique mentale à laquelle s'est livré le juge qui dit: "Clarence Campbell, c'est un malade, c'est un brave homme car tous ces bandits de la communauté des affaires sont venus témoigner en sa faveur; il est aussi coupable que l'enfer réuni mais je ne peux pas l'envoyer en prison parce qu'il est malade..." L'autre, pris la main dans le sac, n'était pas malade, ne vivait pas aux Bahamas, mais le bon juge a déclaré: "nous ne pouvons le traiter autrement que Clarence, sinon, ce serait une injustice." Aussi il s'en est tiré lui aussi. Il y en a, dans le mouvement syndical, qui décrivent cette nouvelle tendance qui nous porte à participer plus activement à la vie politique. Ils veulent maintenir le statu quo. Ils disent que la politique deviendra un guêpier et que nous serons en quelque sorte privés de notre indépendance; que notre vitalité sera diminuée ainsi que notre virilité et que cela nous rendra impotents. J'ai entendu dire que nous devrions adopter plutôt le "système des copains" et que lorsqu'un problème se présente et que nous avons un gouvernement bienveillant, nous devrions appeler un copain au Cabinet au lieu de recourir à une action syndicale. Je rejette cet argument qui ne tient pas debout. La négociation collective et les activités syndicalistes qui l'accompagnent ne sont pas, n'ont jamais été, et ne seront jamais incompatibles avec l'action politique. Personnellement, je n'ai aucune intention d'abdiquer mes responsabilités syndicales ou de renoncer à mes possibilités syndicales simplement parce qu'il se fait que je vote d'une manière partisane. Et je n'ai aucune intention de renoncer aux droits et aux libertés du mouvement syndical en faveur d'aucun gouvernement, si bienveillant soit-il. Permettez-moi maintenant de vous parler de la question vitale qui est celle de passer de l'étape des mots à l'étape des actes en ce qui concerne l'action collective qui un des instruments à notre disposition pour répondre aux défis posés par les années 80. Le fait est, qu'à l'inverse de certains autres mouvements syndicaux, nous n'avons pas fait grand chose à cet égard dans le passé. Je parle ici de la simple perspective de dire au patronat: "vous ne pouvez pas espérer nous faire la guerre ici et en même temps avoir des relations amicales avec nous là-bas." Au diable tout cela! Nous en sommes arrivés au stade ou nous pouvons commencer à agir. Et ce sera un engagement à long terme; il faudra nous montrer capables de réalisations concrètes en dépit des circonstances difficiles; cela va exiger des membres bien informés et mis au courant au jour le jour; et surtout cela nécessitera une planification intelligente et une participation courageuse de la part du leadership. L'action collective signifie que nous informerons l'adversaire que nous suivrons une certaine ligne d'action collective planifiée à moins qu'il ne se conforme à nos exigences. Ensuite, s'il s'abstient de répondre affirmativement, nous déclencherons l'action et démontrerons aux sceptiques notre capacité de la suspendre. Je ne parle pas ici d'aventures non planifiées, hâtivement conçues et vouées à l'avortement après quoi il n'y aurait plus qu'à essayer, tant bien que mal, de recoller les morceaux... Quelques instants de gloire, les manchettes dans les journaux et puis le désastre. Je dis cela parce que la réalité et non pas l'illusion sera la règle du jeu dans les années 80. Et je le répète, nous ne resterons pas les témoins inactifs de la destruction de notre propre espèce s'il y a une solution grâce à l'application de l'action collective. Certains affiliés s'y sont déjà essayé d'une façon modeste. Mon propre syndicat, celui des Travailleurs unis de l'automobile, l'a certainement fait; je sais qu'en Colombie-Britannique, on l'a fait, mais là encore, ils ont des règles de base qu'ils appliquent strictement pour éviter les abus. Voici quelques modestes exemples d'un début d'action collective. Prenez par exemple la bonne vieille Banque Impériale de Commerce et les bâtons qu'elle mettait dans les roues des syndicats qui organisaient ces petites filiales. Le problème, c'était le droit à l'existence; c'était la sécurité du syndicat. Nous aurions pu frapper ces filiales de la manière traditionnelle, jusqu'à épuisement, sans résultat. Je n'ai pas dit que les grèves sont démodées et dépassées et que nous n'en voulons plus jamais. Je fait simplement remarquer que dans ce cas nous avons utilisé une nouvelle technique. Au cours d'une courte semaine, nous avons dit à la Banque de Commerce: "Allez donc consulter votre ordinateur et demandez-lui combien d'argent le mouvement syndical a déposé dans vos bons vieux coffres; vous constaterez que cela se monte à quelque 800 millions de dollars et à moins que vous n'acceptiez cette vérité toute simple que le syndicat a le droit de continuer à exister, nous retirerons tout cet argent." Le signal SOS s'est allumé et moins de deux semaines après nous avions obtenu la sécurité de notre syndicat. Prenez encore la récente grève du Syndicat des travailleurs en communication du Canada contre la chère vieille Bell téléphone, un des plus vastes monopoles du pays, qui doit traiter avec un syndicat relativement peu important et un peu novice; il s'agit de gens qui en sont à négocier leur premier contrat. La stratégie de la Bell téléphone était de les affamer. Ici encore nous nous sommes joints à eux et cette fois-ci au lieu de retirer notre argent, nous en avons apporté. En moins d'une semaine, nous avions recueilli à la suite de ce mouvement syndical, plus d'un million de dollars. Lorsque la Bell téléphone a compris qu'elle ne traitait pas avec le seul STCC, elle a changé son fusil d'épaule du jour au lendemain et nous avons obtenu ce que nous voulions. Le STCC vous le dira: cette grève a été gagnée par la démonstration immédiate de la solidarité des travailleurs canadiens. Secrétariat professionnel international en Europe est entré dans le jeu à notre demande: les opératrices européennes ont refusé de transmettre les appels téléphoniques venant du Canada. Une autre démonstration d'action collective, mais cette fois sur le plan international. Également, à l'échelle internationale, nous avons fait appel à la solidarité des syndicalistes canadiens, leur demandant de venir en aide au Venezuela qui émergeait à peine d'une révolution sanglante et destructrice, déclenchée pour chasser son dictateur, Somoza; en moins d'une semaine, nous avons récolté $4 millions de dollars auprès du mouvement syndical canadien pour venir en aide à nos frères et soeurs du Venezuela. La grève de l'INCO, d'une façon modeste, est un autre exemple. Et avec la Croix bleue dans l'Ontario, la question en litige était, une fois de plus, le droit à l'existence. Il ne faut pas être docteur pour examiner l'anatomie de tous ces gens: ils ont une ligne qui va directement de leur coeur à leur portefeuille. Trouver un centre nerveux entre les deux et pincez-le et vous les coincez. Lorsque nous en aurons fini avec la Croix bleue, il n'y aura plus de relations entre elle et le mouvement des travailleurs organisés. De toute évidence, dans une situation comme celle de Boise Cascade, il faudra recourir au genre d'action collective dont je vous parle, pour arriver à une solution. Faisons un pas de plus et parlons maintenant de la menace concernant le secteur public et ses syndicats membres. Ce sont les tout derniers boucs émissaires politiques. On les a attaqués avec tous les stéréotypes possibles. Il sont "gros et gras"; ils sont "prospères" et "indexes" et "non productifs". Au diable! La plupart d'entre eux occupent de modestes emplois pour jouir du privilège d'obtenir moins que ceux qui sont dans le secteur privé. La seule différence c'est que l'employeur est le gouvernement. Cela exigera davantage que la force combinée du secteur public. Cela exigera une combinaison de force, de ressources et de solidarité dans le secteur privé. C'est cela le mouvement syndical! Et je vous le dis: une fois que les membres de l'Establishment politique se seront réveillés et auront compris qu'ils font face à un front uni et qu'ils se rendront compte des conséquences d'une action collective unie, ils réagiront comme ils ont toujours réagi, en obéissant et en se conformant au climat politique et social que nous, en tant qu'hommes et femmes, aurons décidé de leur imposer. Il nous faut afficher d'une façon efficace la solidarité que nous entendons démontrer. Nous pouvons commencer à cet égard par le Québec. Je sais que les émotions sont bouillonnantes là-bas. Il y a des forces à l'oeuvre qui les agitent consciemment et délibérément. Si nous voulons cependant exercer le genre de solidarité dont je parle, nous devons avoir confiance dans nos frères et soeurs syndicalistes du Québec. Il y a deux ans, nous avons eu un long et intense débat à ce sujet. Nous avons dit que notre mouvement syndical croit au droit d'autodétermination; nous avons exprimé l'espoir que, quelle que soit l'issue, la solidarité continuerait à régner dans nos rangs. Et je vous le dis, nous pouvons débattre ce sujet jusqu'au jugement dernier sans jamais arriver à une meilleure conclusion. Le Conseil exécutif a déterminé à l'unanimité et une fois pour toutes que l'autodétermination voulait dire l'autodétermination. Cela signifie que l'on ne ressassera plus la question et qu'elle ne fera pas l'objet d'un débat au cours de ce Congrès. Si nous devons survivre, si nous voulons continuer à nous développer, et si nous voulons réellement nous attaquer aux complexités économiques, sociales, politiques et humanitaires des années 1980, si nous désirons pour les autres ce que nous cherchons à obtenir pour nous-mêmes, nous devons alors tous, sans exception, être prêts à partager et à prendre sur nos épaules une part du fardeau. Que le débat cette semaine reflète une approche unie, positive et intelligente aux problèmes qui nous assiègent! Témoignons l'un à l'autre le même degré de sincérité que nous réclamons pour nous-mêmes. Déclarons à ce Congres, à cette treizième Assemblée statutaire, que nous avons vu émerger après tant d'années, un centre syndical national viable, dynamique et efficace que l'on appelle le Congrès du Travail du Canada. Bonne chance dans vos délibérations cette semaine et merci de votre attention.