*{ Discours néo-libéral CTC, 1982 } Les problèmes sont sociaux et économiques, disons-nous sur ces affiches, et la solution est manifestement politique. Il y a deux ans, nous nous demandions bien quoi faire avec le premier ministre de cette province, fallait-il l'inviter ou non? Au bout du compte, nous avons eu peine à l'empêcher de se faufiler à l'intérieur. S'il est vrai, comme le dit notre slogan, que les problèmes sont sociaux et économiques et que la solution est politique, alors cette réponse, ce sont les bonnes gens du Manitoba qui nous l'ont donnée. J'avais entrepris de rédiger quelque chose comme un rapport omnibus sur le passé, le présent et l'avenir, l'administration de nos affaires, notre participation, les événements internationaux, ce que nous pensons de la lutte qui se livre à l'échelle mondiale - Afghanistan, Pologne, Amérique Latine, Turquie, Moyen-Orient - les événements ici même, le départ des Métiers de la construction, etc. Mais je me suis ravisé, parce que tous ces faits que j'ai mentionnés, et qui sont importants, doivent être abordés dans le cadre des rapports et des résolutions qui vous seront soumis cette semaine. Nous n'allons pas les écarter, nous allons bel et bien nous y arrêter. Pour le moment, je veux plutôt partager avec vous ce que je ressens au plus profond de moi-même, tout comme mes collègues du Conseil exécutif, devant ce qui se passe aujourd'hui dans ce pays qui est le nôtre. Ce n'est pas un cliché de dire que nous commençons ce Congrès au milieu d'une crise d'une extrême gravité. Nous pouvons dire, sans crainte d'exagérer, que nous traversons la période la plus difficile et la plus périlleuse de l'histoire de notre mouvement syndical. Nous avons connu des hauts et des bas. Je ne me souviens pas d'une seule assemblée statutaire où nous nous soyons réunis pour constater que tout allait bien et que tout s'annonçait bien tranquille. Nous avons quand même connu des périodes de progrès économique, social et politique. Nous avons été mis à l'épreuve. Nous avons eu des réussites et des échecs. Et parfois même, des luttes entre nous, c'est vrai. Mais à travers tout ça, chacun d'entre nous a travaillé à bâtir un mouvement syndical, un mouvement syndical qui a été stigmatisé, injustement stéréotypé, secoué, trompé, calomnié tant et plus, et utilisé comme bouc émissaire bien commode. En dépit de tout, nous avons persisté et nous nous sommes révélés comme la force la plus bénéfique dans notre société canadienne. Aucune autre composante de notre société n'a travaillé de façon aussi soutenue pour le bien des gens. Aucun autre groupe ne s'est autant engagé à promouvoir le bien-être total de la famille humaine. Aucune autre organisation n'a accompli autant pour la cause du bien commun. Et tout ceci, je vous le dis, s'est accompli par notre attachement désintéressé à d'honnêtes et élémentaires valeurs et idéaux humanitaires. Mais pourquoi ces louanges adressées à nous-mêmes? Je les dis, mes amis, parce que je considère, et je crois que vous en êtes conscients, qu'on nous attaque, parce qu'on aimerait nous voir nous mettre bien gentiment et commodément sur la défensive, sans répliquer aux coups. Eh bien, moi je dis que nous n'avons sacrement rien à nous faire pardonner. Quant à messieurs Trudeau, MacEachen, Johnston, et Bouey, et messieurs Clark et Crosbie, monsieur Reagan et leur suite, madame Thatcher et compagnie, monsieur Milton Friedman, monsieur Carl Begie, avec tout votre vaudou et votre charabia économiques, vous monsieur et madame Élitiste, monopolisant et les pouvoirs partout, sachez bien que le mouvement syndical canadien a atteint sa majorité. Il ne dansera pas sur notre musique! Le mouvement syndical va répliquer à vos coups. Déjà elle se manifeste, la propagande rusée, bien orchestrée, soigneusement conçue et aidée par ceux qui, dans les médias, se font les valets de ces pouvoirs - pas tous, mais certains d'entre eux. Attendons-nous encore une fois à devoir porter le blâme pour tous les maux socio-économiques qui affligent notre pays. Mais cette fois-ci, messieurs les pouvoirs monopolisants, nous n'allons pas courir aux abris. Nous allons répliquer aux coups. Et nous sommes sérieux. Ce ne sont pas que des mots. Nous vous disons: "Assez c'est assez, nous n'allons plus en prendre, nous allons rassembler nos forces et lutter jusqu'au bout." Cette bataille, mes amis, c'est ici même, à ce congrès, cette semaine, qu'elle commence. Et je veux vous dire, en y mettant toute la gravité dont je suis capable, que le courage et la fibre morale de notre mouvement n'ont jamais été mis à l'épreuve comme ils vont l'être cette année et par la suite. La lutte qui s'annonce sera implacable parce que nos adversaires sont implacables. Laissez-moi vous en décrire le scénario qui vous est déjà familier, j'en suis sûr. Le secteur public est devenu le bouc émissaire tout nouveau et tout désigné, ces gens trop bien payés pour ce qu'ils ont à faire, comme le fait croire le stéréotype. _ preuve ce que Trudeau disait aux premiers ministres provinciaux lors de leur conférence; à preuve les coupures fédérales aux provinces, et les coupures infligées par ces dernières aux municipalités. Comme un cancer qui se répand. Ces gens qui sont blâmés pour cela tous les jours "victimes innocentes", nos confrères et nos compagnes du secteur public, nous allons tous nous solidariser avec eux dans notre lutte cette année. Les gens au pouvoir ont commencé par insinuer que ce ne serait pas une mauvaise chose d'imposer certains contrôles. Puis ils l'ont dit plus clairement. J'imagine qu'ils ont la naïveté de croire qu'ils pourront isoler le secteur public du secteur privé. Personne parmi nous n'est assez naïf pour croire que si ce cancer prend racine dans le secteur public, il ne se répandra pas rapidement au secteur privé. Dans la seconde moitié du scénario, nous regardons du côté du secteur privé et ce que nous y voyons est encore plus perfide. Nous assistons à l'heure actuelle à un chantage systématique exercé sur les travailleurs, à qui on offre des coupures et des concessions salariales ou touchant les avantages sociaux, en échange de la sécurité d'emploi. Ça n'a aucun sens sur le plan économique, mais je vous le dis, c'est là-dessus que va porter l'attaque contre la fibre morale de notre mouvement et notre capacité de serrer les rangs, parce que s'ils réussissent à faire accepter des concessions dans le secteur privé, les contrôles dans le secteur public suivront. Il ne sera plus question d'un pourcentage d'augmentation à ne pas dépasser. S'ils obtiennent ce qu'ils veulent dans le secteur privé, alors les employeurs de la fonction publique viendront leur demander: "Et maintenant, qu'est-ce que vous allez nous donner?" - On ne dira plus: "Jusqu'où pouvons-nous aller?" Et à mon avis, ils peuvent produire une propagande encore plus efficace auprès du cher grand public qui ne comprend aucunement ces questions, ce qui constituera pour nous tous un problème grave. Comme l'a clairement dit Howard Pawley, nous faisons face à la théorie monétariste, qui en fait, est une manipulation par le capitalisme international monopolisant. En réalité, la théorie de Milton Friedman élimine tout, à l'exception des très puissants. Elle élimine les petites entreprises tout comme on a éliminé les épiceries du coin, remplacées par des Loblaws et les autres monopoles. Le consommateur n'a pratiquement plus le choix de l'endroit où dépenser son argent. Elle rationalise, elle assimile et elle engendre le contrôle par les monopoles. Dans le système qu'elle propose actuellement pour le secteur privé (on en a déjà vu des exemples), l'entreprise se sert de l'argent des travailleurs non pas pour survivre, mais pour acquérir une autre compagnie, l'amalgamer et mettre à pied les travailleurs de cette dernière. C'est un spectacle peu édifiant où les travailleurs se trouvent à subventionner la main-mise de compagnies sur d'autres compagnies, main-mise qui nuit à d'autres travailleurs. Cette question a un autre aspect encore plus sinistre. Le processus où ils sont engagés - à moins d'une résistance universelle de la part des syndicats - mène à éliminer ou à sérieusement endommager l'entité qu'ils considèrent comme le principal ennemi, c'est-à-dire nous, le mouvement syndical. Point n'est besoin de vous le décrire. Les syndicats qui ne vont pas de l'avant, les syndicats qui doivent faire marche arrière, perdront tout crédibilité auprès des travailleurs, et au pire, ils seront anéantis. Quels travailleurs veulent d'un syndicat qui fait marche arrière? Ils peuvent reculer tout seuls. J'ai consacré trente-cinq années de ma vie à chercher à faire avancer la cause des travailleurs. Je ne veux pas d'un syndicat qui fera marche arrière. Par exemple, comment l'organisateur d'un syndicat qui accepte des concessions peut-il vanter les avantages d'adhérer à ce syndicat? C'est toute une tâche, croyez-moi. Il y a donc plus que des considérations monétaires en jeu. Après toutes ces années, mes chers amis, nous voilà peut-être revenus à la lutte des classes. Malgré la menace immédiate et préoccupante que représentent les concessions et les contrôles, revenons à notre problème essentiel: la dégradation de notre économie et la mauvaise administration économique et politique qui nous y a menés. Soyons-en certains: c'est le gouvernement fédéral et personne d'autre qui doit porter le blâme des conséquences économiques, sociales, et politiques de la situation. Bien sûr, le gouvernement essaie de faire partager ce blâme. C'est un petit jeu amusant. Maintenant il nous veut pour partenaires. Quand tout va bien, il ne sait même pas que nous existons. Lorsque les choses s'enveniment un peu, nous devenons des associés subalternes. Mais lorsque la situation se gâte et devient insupportable, nous devenons soudainement des associés principaux. Nous ne jouerons pas ce genre de jeu pour lui permettre de sauver ses atouts politiques. Quel a été le scénario depuis les dernières élections? Je vous rappelle la manière dont les Libéraux ont repris le pouvoir le 19 décembre 1979. Nous avions eu le budget Crosbie. Nous avions un leader de la Chambre qui, selon toute apparence, ne savait pas compter. Et ils ont coulé. Puis, ce fut une campagne électorale qui a porté entièrement et uniquement sur les questions économiques. Pas sur autre chose. Rappelez-vous les promesses libérales de ce temps-là: premièrement, relancer l'économie, deuxièmement, contenir les taux d'intérêt. Herb Gray disait: "Si les taux d'intérêt grimpent encore, je démissionne." Or, ils ont grimpé et il est toujours là. Que disaient alors les Libéraux? "Redonnez du travail aux Canadiens." Et encore: "Créez des emplois, une stratégie industrielle, une industrie secondaire; que nos ressources naturelles soient contrôlées et exploitées intelligemment par les Canadiens pour les Canadiens. Contenez les prix de l'énergie." Ils disaient aussi que le prix du pétrole pour les Canadiens ne devrait pas être lié à celui de cartel mondial. Toutes ces promesses ont été soigneusement oubliées ou systématiquement brisées. Retournés au pouvoir en février 1980, les Libéraux n'ont guère accompli que le contraire de ce qu'ils avaient promis. Or, il y a là quelque chose qui m'inquiète. J'avais toujours cru vivre en régime démocratique. Si notre démocratie est authentique, on ne peut tout de même pas les laisser s'en tirer impunément. La démocratie ne peut pas tolérer une immoralité politique aussi flagrante. Une démocratie ne peut permettre ni se permettre un gouvernement autoritaire qui méprise ceux qui l'ont élu. Qu'ont fait les Libéraux après avoir été élus sur la foi de leurs promesses? Pendant plus d'une année, tout le processus politique et parlementaire a été irrévocablement accaparé par la grande manoeuvre canadienne de diversion destinée à faire oublier les promesses électorales, la marasme économique, et le spectre du chômage massif. Il a été accaparé par ce qu'on a appellé la grande auscultation constitutionnelle. Mais pas par l'économie. Ensuite, nous avons eu le dialogue Nord-Sud sur les problèmes du tiers-monde, les voyages autour du globe, se terminant par le Mexique et Cancun en juin 1981. Or, pendant cette période, mes amis, les seuls qui ont critiqué incessamment, c'était nous du mouvement syndical. Les critiques ne venaient pas des valets du gouvernement au sein des médias, ni des conférenciers professionnels, ni des universitaires, favorables ou défavorables. Personne n'a prostesté excepté nous. Et c'est une vraie honte! Peut-être est-ce la raison pour laquelle nous n'avons pas été invités à ce grand événement d'austérité sur la colline du Parlement, lors de la visite de Sa Majesté il y a quelques semaines. C'était un bien faible prix à payer pour être constamment et objectivement des agitateurs. Sans doute à court de tactiques de diversion, les forces parlementaires et autres ont-elles commencé peu après à rajuster leur vision. Des questions ont été posées: "Où en est l'économie?" "Et le chômage?" "Qu'arrive-t-il à la productivité en chute?" "Et les licenciements?" "Combien d'usines ont fermé?" "Quel est ce spectre incroyable des taux d'intérêt exorbitants?" Nous savons que dans l'intersession d'été, ils sont retournés prendre le pouls des électeurs de leurs circonscriptions, bien que paraissant isolés contre les chocs de la sensibilité, ils ont tâté l'eau puis sont revenus dire à MacEachen et compagnie: "Ce sont les taux d'intérêt, l'état de l'économie, le chômage et d'autres histoires semblables." S'ils n'avaient pas encore compris, les élections partielles dans Spadina, Toronto et la victoire de Dan Heap, candidat NPD qui a défait l'héritier désigné de la couronne, Jim Coutts, a certainement dû leur ouvrir les yeux. Après tout ce temps, nous avons enfin eu le budget MacEachen du 12 novembre 1981. Des millions de Canadiens de toutes les catégories de revenu et pas seulement les travailleurs - personnes à leur compte, hommes d'affaires, agriculteurs - l'attendaient avec anxiété. Quelle fut la réaction à ce budget? Un étonnement général, un choc collectif. Personne n'en croyait ses yeux et ses oreilles. Il y a eu des vraies larmes de frustration, d'angoisse et de colère. Personne n'y trouvait de soulagement, sauf les très riches. Vous vous souvenez qu'on nous a dit ce soir-là de modérer nos attentes et de nous serrer la ceinture? Or, pas plus tard que le lendemain, M. MacEachen, pour prêcher les vertus du budgetque personne ne semblait voir - offrait à une demi-douzaine de journalistes un charmant déjeuner à Hull (Québec). La note: $2,000. Quelqu'un a bavassé, sans doute un qui n'y avait pas été invité. Et ça a soulevé une tempête! Cet homme qui prêche l'austérité et qui flambe $2,000 des deniers publics le lendemain pour un repas! Il s'en est tiré en disant: "Ne vous faites pas de bile, envoyez-moi la note et je paierai de ma poche." J'ai dit le lendemain à la télévision: "Toute personne comme MacEachen qui peut tout bonnement sortir de sa poche $2,000 pour payer une note de restaurant a beaucoup de chemin à faire pour se serrer la ceinture autant que nous autres." Revenons au Conseil exécutif qui, en décembre 1980, discutait de l'effet paralysant des taux d'intérêt élevés et qui commençait une campagne publique systématique sur la question. Nos dirigeants ont pris la parole dans les forums publics, dans les congrès syndicaux et ils ont écrit dans les journaux syndicaux. A sa réunion de juin 1981, le même Conseil exécutif a décidé de prendre l'initiative d'une coalition pour protester contre les taux d'intérêt, sachant, bien entendu, que seuls les très riches de notre société échappaient à leurs effets nocifs. Nous savions trouver des appuis car des groupes de protestations se formaient spontanément partout. Nous voulions canaliser ces efforts, les mobiliser, et nous l'avons fait. Nous ne les avons pas tous rejoints, car certains craignaient le feu de l'action. Mais ils reviennent maintenant. Ce fut seulement à la réunion de septembre du Conseil exécutif, tenue à Edmonton, qu'on a décidé d'organiser une manifestation le 21 novembre. Vous avez certainement tous entendu parler des 100,000 personnes prévues par McDermott. Certains n'y croyaient pas. La date choisie tombait la fin de semaine de la Coupe Grey, même genre de chose que cette fin de semaine-ci. Nous sommes la seule organisation capable de faire ça. Mais revenons au 21 novembre, et songeons que cette manifestation de grande envergure a été organisée en seulement quelques semaines: de septembre à novembre. Toute personne qui a eu le grand privilège d'y participer - je parle du moins pour moi - peut dire que ce fut un des événements les plus mémorables de sa vie. Beaucoup de gens, y compris des syndicalistes, ont cru que nous ne réussirions pas. Mais nous avons réussi et les gens ont répondu à notre appel non pas parce que nos moyens d'organisation étaient particulièrement sophistiqués ou que nous y aiyions consacré beaucoup d'argent: ils sont venus parce que nous leur présentions une question claire et nette et que c'était la première occasion qu'avaient ces cent mille personnes, dont beaucoup n'étaient pas des syndicalistes, de faire connaître leur réaction au budget MacEachen de façon efficace. Et que s'est-il produit? Il s'est fiché de nous parce que lui et d'autres ont cru qu'il s'agissait d'un événement sans lendemain, qui finirait là. Mais nous leur en avons promis des échos, et je leur redis aujourd'hui que le 21 novembre n'était que le commencement d'une croisade du Congrès du Travail du Canada contre les taux d'intérêt. Je peux vous affirmer que le rassemblement du 21 novembre et ses suites ont gagné plus d'alliés au Congrès du Travail du Canada que toute autre activité jusque-là. Nous recevons des flots de lettres de gens ordinaires que la question préoccupe. Mon bureau répond à chacune de ces lettres. Nous allons garder la confiance de ces gens. Nous poursuivrons les ralliements provinciaux et les forums provinciaux. La publicité que vous avez vue à la télévision a suscité des réactions sans précédent. Les gens nous téléphonent, nous donnent leur nom et leur adresse. Cet après-midi, le Conseil exécutif vous proposera un Énoncé de politique économique où sont exposées certaines mesures en vue de poursuivre cette campagne auprès du gouvernement. Nous resterons sur la brèche tant qu'il ne cessera pas de malmener les Canadiens avec les taux d'intérêt élevés. Il est tragique que nous devions mobiliser toutes nos ressources pour forcer un parti politique à réaliser la promesse qu'il avait faite aux électeurs, celle-là même qui l'a reporte au pouvoir. L'étape suivante du scénario a été la réunion du Conseil exécutif à Ottawa en décembre 1981, un mois après la manifestation du 21 novembre. Aussi incroyable que ça puisse paraître, nous n'avions reçu absolument aucune réaction de MacEachen, aucune réaction de Trudeau. Alors le Conseil exécutif a dit: "Nous sommes tous ici à Ottawa, et le gouvernement est réuni sur la Colline parlementaire. Dennis, envoie un télégramme au premier ministre et demande à être reçu cette semaine." C'est ce que nous avons fait. Nous nous sommes donc présentés un jour, à 3 heures de l'après-midi, je crois. Qui était la? MacEachen n'y était pas; ni Trudeau, ni Chrétien, ni Lalonde; aucun des gros canons n'y était. Nous étions devant Caccia, Olson, Axworthy, Gray, Munro, Erola, qui entraient et sortaient, revenaient pour cinq minutes, sortaient encore pour dix minutes, revenaient pour cinq minutes. Une véritable insulte calculée. C'est à l'occasion de cette réunion que les médias m'ont qualifié de brutal, caustique, insultant, mal engueulé: a-t-on jamais vu, prendre ainsi la vedette, etc. En réalité, mes amis, il s'agissait là d'une vraie rencontre en direct et spontanée avec des membres du Conseil exécutif, des chefs syndicaux, s'exprimant spontanément du fond du coeur et de leurs tripes, exposant les difficultés de la population et réclamant qu'on la libère d'un joug. Ce n'était pas une question de langage ou de manières. Le problème de ces élitistes bien protégés, c'est qu'ils n'avaient jamais rien vécu de semblable de leur vie. Ils n'avaient encore jamais rencontre face à face de vrais chefs syndicaux et du vrai monde. Tout démontés, ils sont allés se plaindre aux journalistes et se lamenter sur notre attitude. Bien, les gens qui sont ici avec moi peuvent vous dire ce qu'ils ont pensé de cette rencontre. Et je peux vous dire ma conclusion: il faudra davantage de cette attitude et moins de courbettes polies. Avançons encore plus loin dans le scénario. Nous arrivons aux coupures tant débattues à la conférence des premiers ministres provinciaux; puis Caccia et Axworthy m'avertissant publiquement de cesser d'être caustique et frondeur. Caccia explique que la normalisation et le dialogue avec le mouvement syndical supposent que nous retournions au Conseil économique et au Conseil industriel et à tous leurs autres conseils paternalistes, pour reprendre notre place en classe comme de bons élèves. Voilà sa conception d'un dialogue significatif. Laissez-moi vous dire un mot à propos du dialogue. Nous avons rejeté les tentatives gouvernementales en vue de rétablir les anciennes structures tripartites et de nous y enfermer. Ce n'est pas ça le dialogue. Ça ne vaut rien. Le tripartisme, c'est être assis autour d'une table pendant qu'un bureaucrate inscrit dans la pierre ce qu'on est censé accepter, uniquement pour que le gouvernement puisse répondre en Chambre par l'affirmative à la question: "Avez-vous consulté les syndicats?" Au diable tout ça, avons-nous répondu. Nous n'avons jamais dit que nous refusions de leur parler. Au contraire, nous sommes heureux d'en avoir l'occasion et nous continuerons à le faire. En février 1982, ce fut le ballon du contrat social. Une fuite du Cabinet du premier ministre est parvenue à l'agence Southam News. On y proposait un contrat social: si nous acceptions certaines restrictions volontaires, le gouvernement accepterait de négocier des points déjà promis aux Canadiens pendant la campagne électorale - taux d'intérêt, création d'emplois, et ainsi de suite. Mais l'article précisait également que si le gouvernement ne recevait aucune réponse, ou si nous répondions dans la négative, alors il ferait fi du CTC et s'adresserait directement aux affiliés. Voila le genre de proposition de contrat social qui m'a forcé à écrire aux affiliés pour les mettre en garde. Je vais vous lire certains extraits de cette lettre. "Il est bien clair que ce ballon n'est qu'un autre stratagème froidement calculé par le gouvernement en vue de faire oublier aux Canadiens ses politiques économiques délibérément dépressionnistes et de faire passer une fois de plus la faute sur le dos de nos syndicats en cherchant à faire croire que ce sont les salaries qui sont responsables du marasme actuel. Cette proposition est un stratagème politique évident, calculé et cynique; c'est une manoeuvre de diversion destinée à détourner l'attention du public des taux d'intérêt élevés et des effets dévastateurs du budget MacEachen. Elle vise à légitimer la notion voulant que le chaos économique actuel est imputable aux salariés et non à la mauvaise gestion économique du gouvernement. De plus, c'est un canular cruel et sauvage que de vouloir imputer la faute au salarié qui n'est que l'innocente victime de l'inflation et du désordre économique, et non sa cause. Et ainsi de suite... Il ne s'est pas passé grand-chose après cela. Pour une raison ou une autre, la plupart des autres médias n'ont pas donné beaucoup de couverture à cette histoire, qui a fini par s'éteindre. Ensuite, nous avons eu peu de temps après, malheureusement, le congrès de fondation de la Ligue canadienne de football. Et Trudeau a été invité. Naturellement, ils faisaient bonne figure ensemble. C'était en mars 1982. Et voilà qu'il rêvasse sur l'Allemagne, et la Suède, et le Japon, et qu'il parle du calme dans le monde industriel et des relations industrielles incroyablement civilisées dans ces pays-là et il dit quelque chose comme: "Pourquoi ne serions-nous pas comme eux, les gars? Pourquoi ne pouvons-nous pas nous attabler et nous entendre?" Bien, je vais vous dire comment ils y sont arrivés en Suède, les amis; cela a pris quarante-sept années interrompues de gouvernement social-démocrate dans ce pays. En Allemagne, après trente-sept années de gouvernement social-démocrate qui suscite beaucoup plus de rapports civilisés que Trudeau et ses Libéraux régressifs. Et lorsqu'il parle du mouvement syndical au Japon, il parle à travers son chapeau parce que le mouvement syndical japonais a très peu d'impact sur quoi que ce soit. Quand avez-vous entendu dire la dernière fois qu'on a emprisonné un chef syndical suédois ou allemand? Quand avez-vous entendu dire la dernière fois qu'il y a eu en Allemagne ou en Suède une grève longue et amère pour obtenir la reconnaissance syndicale? D'ailleurs, avec tout le respect que je leur porte, j'ajouterai que système suédois est bon pour les Suédois, de même, le système allemand est bon pour les Allemands, que le Japon est unique et ne peut-être comparé au Canada. Il est stupide au Canada. Il est stupide de proposer d'importer ces systèmes, car ils ne sont adaptés ni à notre histoire, ni à notre tempérament ni à notre milieu actuel. N'est-il pas étrange que chaque fois qu'ils mentionnent un modèle européen ou étranger, cela se rapporte toujours au mouvement syndical. J'aimerais qu'ils fassent la connaissance de mon ami Meshel d'Israël et que quelqu'un propose de remplacer notre système bancaire par la Banque d'Israël, laquelle appartient au mouvement syndical israélien, l'Histadrout, qui en assure également l'administration. Aimeraient-ils cette idée? Après avoir tergiversé dans toutes ces propositions, le gouvernement se tourne maintenant vers le gel des salaires dans le secteur public et l'obtention de concessions dans le secteur privé. Avant de donner notre réponse à tout cela... examinons ce qu'on ne nous a pas dit sur ce qui se passe au Canada. Oui, nous assistons à la pire récession de notre histoire depuis les tristes années trente, mais celle d'aujourd'hui n'est ni accidentelle, ni provoquée par les prétendues forces extérieures dont on parle tant, mais délibérément planifiée et exécutée par le gouvernement canadien, dans le cadre de la théorie monétariste et de la stratégie du capitalisme international monopolisant. Les taux d'intérêt élevés, les coupures dans la fonction publique, les réductions consenties aux compagnies bien nanties, les mises à pied massives et les fermetures d'usines... tout cela fait partie d'une stratégie consciente, et n'est pas un pur accident. La croisade de Milton Friedman contre l'inflation est la principale menace aux emplois. Non seulement la sécurité économique des travailleurs est-elle anéantie par l'application de cette théorie, mais ce sont victimes mêmes de cette idiotie qui sont blâmées pour ce chaos délibérément créé et qui sont invitées à se serrer la ceinture. La réalité est qu'au cours des cinq dernières années et demie, les salaires réels n'ont pas suivi l'inflation. Le travailleur moyen touche aujourd'hui $39.19 par semaine ou $2,038 par année de moins qu'en 1976. Il faut affirmer ceci d'une seule voix pendant cette assemblée statutaire: messieurs Trudeau et MacEachen, prétendre que les salaires des travailleurs sont la cause de l'inflation, est un mensonge froid et délibéré. Les banques bénéficient en premier chef de cette situation. Regardez leurs édifices. Regardez leurs salaires. Visitez leurs beaux appartements. Et moi je me demande: "Comment se fait-il qu'on ne leur parle pas d'inflation à eux?" Exemple: on a offert au consortium pétrolier, Alsands, un taux annuel de 20% de profits. Elles ont déclaré que ce n'était pas suffisant et se sont mises en grève. Pas un mot là-dessus. Imaginez qu'un syndicat revendique une augmentation de 20% tous les ans! Quelle serait la réaction officielle comparativement à celle des compagnies pétrolières? Toute cette salade est tellement perfide, ça me fait vomir. On nous dit que nous avons le choix entre l'inflation et le chômage, et on nous sert ensuite les deux à doses records. Où est le choix? Nous savons tous qu'on ne combat pas l'inflation en l'alimentant de chômeurs. On jugule l'inflation et le chômage par une stratégie économique intelligente - une stratégie qui mettra notre économie au service de tous les Canadiens. Qu'ils nous expliquent donc un peu. Notre économie est liée à l'économie américaine, disent-ils. Et pourtant, à côté de la politique économique de notre gouvernement, Reagan paraît mou. Notre politique monétaire est plus rigoureuse qu'aux États-Unis. Nos taux d'intérêt sont plus élevés qu'aux États-Unis. Nous sommes censés suivre leurs traces: comment se fait-il que nous les précédions pour ce qui est des taux d'intérêt? Notre politique fiscale est tout aussi rigoureuse. Nos gouvernements provinciaux et fédéral se bousculent pour couper les budgets et les déficits, et ils contribuent au déclin de notre économie au lieu de se concentrer sur le stimulant dont elle a désespérément besoin. Comparez la situation des propriétaires-occupants canadiens à celles qui prévaut aux États-Unis, où les paiements hypothécaires sont déductibles du revenu imposable. Voyez quels effets le budget MacEachen a eu sur les avantages sociaux des travailleurs canadiens et comparez avec la situation des travailleurs américains à cet égard. La main tendue aux "partenaires", mes amis, c'est une façon de faire porter à d'autres le fardeau de la responsabilité politique et de s'en décharger sur eux. En ce qui nous concerne, il faut agir sur le front social, au niveau communautaire, et certainement aussi sur le front de la négociation collective, mais la solution ultime est politique. Bien sûr, on va nous le faire payer cher, nous allons recevoir des coups et des bosses mais je pense que nous survivrons et que nous allons l'emporter. Et à la fin, parce que nous aurons coordonné nos forces comme jamais auparavant sur le front de la négociation collective, parce que nous aurons poursuivi et élargi notre action politique et sociale, à l'intérieur du mouvement syndical et au-delà, avec nos amis et nos alliés, parce que nous aurons fait front commun à une époque où l'histoire l'exige - il en sortira un mouvement syndical plus aguerri, plus engagé, qui aura clairement défini ses objectifs sociaux et politiques - et qui sera respecté d'un grand nombre d'un bout à l'autre du pays. Et quand ce jour viendra, notre mouvement syndical aura réalisé un vieux rêve, celui de pouvoir remettre ce pays entre les mains des gens auxquels il appartient de prime abord, l'honnête majorité travaillante, la base même de notre société, les hommes et les femmes ordinaires de tous les milieux. Voilà clairement le défi, voilà clairement l'objectif. Sûrement, nous n'allons pas laisser les Conservateurs récolter les fruits de tout ça! N'est-ce pas le temps? Notre pays n'est-il pas prêt enfin à élire Ed Broadbent et les Néo-démocrates? _ la fin de notre campagne, la population canadienne ne demandera qu'à leur donner cette chance. Voici maintenant le plan d'action et l'engagement. Comme premier point à l'ordre du jour cet après-midi, nous aurons deux énoncés de politique, formulés par notre Conseil exécutif. Tous deux ont été mûrement réfléchis, longuement débattus. Tous deux portent sur des questions essentielles à notre existence et à notre efficacité à titre d'organisation qui représente légitimement les travailleurs. L'un et l'autre énoncés - et je tiens à insister là-dessus le plus énergiquement possible - nous demanderont bien plus qu'un engagement verbal. Ils se complètent l'un l'autre. Ils exigent l'un et l'autre un engagement à long terme de la part de chacun d'entre nous. Ils exigent l'appui sans réserve de tous les affiliés du CTC et l'appui de tous nos membres respectifs, ceux des champs, des usines, des bureaux, dans tous nos secteurs. Sans cette volonté collective, sans cet appui sans réserve, sans la démonstration de notre vigueur, sans une action persévérante (car il ne suffit pas de parler, c'est ce que nous ferons qui compte) ce mandat n'aura pas de sens et nous échouerons misérablement. Nous ne sommes pas des militants écervelés. Nous n'avons pas cherché ce combat: nous nous devons à nous-mêmes et à ceux que nous avons le privilège de représenter, de nous tracer un plan d'action. Le premier énoncé de politique du Conseil exécutif a trait à la question économique. _ notre campagne permanente pour dénoncer l'état de notre économie. _ notre engagement vis-à-vis des amis qui forment avec nous la coalition contre les taux d'intérêt élevés. Ce document nous engage à poursuivre nos efforts à l'appui de nos compatriotes en détresse, y compris les milliers qui ne font pas partie du mouvement syndical. Il formule notre engagement à l'égard des millions de chômeurs, à travers le pays, syndiqués, et non syndiqués. C'est une de nos grandes priorités. L'énoncé nous engage vis-à-vis des gens qui ont répondu à notre campagne dans les médias et à d'autres qui de tant de façons différentes nous ont dit que le CTC est leur seule planche de salut. Il nous engage à élargir notre campagne parallèle, à une campagne générale et permanente de contacts personnels au travail afin de politiser notre milieu en vue de la solution politique ultime. On y énonce les solutions de rechange économiques du CTC, des solutions aptes à sortir notre pays du marasme. Il traite du gel des salaires et sera ensuite complété par une résolution qui sera présentée à la présente assemblée, une résolution qui propose une action totale allant jusqu'à un arrêt de travail à l'échelle nationale. Le deuxième énoncé de politique du Conseil exécutif porte sur les concessions salariales, qui, évidemment, sont infiniment plus imminentes. Mon syndicat, les TUA, et SITBA sur la côte du Pacifique, sont prêts à l'attaque. Je tiens à dire que les travailleurs de ce pays, malgré ce qui peut se passer aux États-Unis, ne se soumettront pas à un chantage systématique de ce genre. Les travailleurs de ce pays ont déjà subi deux coupures salariales automatiques substantielles et non récupérables. La première, lorsque les prix de l'énergie ont été fixés, et l'autre lorsque le gouvernement de MacEachen en novembre dernier a rendu imposables les avantages sociaux des travailleurs. Je vous rappelle encore une fois mes amis, que nous ne sommes pas des militants sans cervelle. Si nous étions convaincus un seul instant qu'en faisant des concessions nous pourrions contribuer à relancer l'économie, nous serions disposés à les recommander. Si nous étions convaincus qu'en nous sacrifiant davantage, nous contribuerions de façon importante à notre salut économique, nous n'hésiterions pas à invoquer cette mesure. Nous avons adopté des positions impopulaires dans le passé et nous en avons assumé les conséquences. Malheureusement, le cancer s'est déjà installé aux États-Unis. Et c'est regrettable. Nos collègues aux États-Unis des TUA par exemple, ont droit à leur opinion. Mais cela ne veut pas dire que nous devons suivre leur exemple; et bon Dieu, nous ne les imiterons pas. Cela va surprendre énormément un grand nombre de personnes qui ne comprennent ni n'apprécient la force morale du syndicalisme canadien. Pourtant, la position des TUA du Canada ne se borne pas à des paroles. Ni eux ni le SITBA ne veulent accorder de concessions, et avant de quitter la présente assemblée, nous comprendrons clairement qu'aucun autre d'entre nous ne le voudra non plus. Voilà l'engagement. La présente assemblée statutaire affirmera clairement et je l'espère, irrévocablement, que l'ensemble des syndicalistes canadiens ne suivront pas la voie de la récession. Nous aurons une réunion des principaux dirigeants cet après-midi après la levée de la séance pour étudier cette question et voir à ce qu'elle soit entièrement exécutée. Nous avons nos sceptiques. Ceux qui doutent de nos capacités. Et moi je vous dis, mes amis, chers confrères syndicalistes, chers confrères social-démocrates, que c'est aujourd'hui, et cette année, que notre mouvement syndical canadien doit faire la preuve définitive de sa détermination et de sa capacité d'agir sans entrave et de façon autonome pendant le congrès. Dès maintenant, les coupures salariales ne relanceront pas l'économie. Les coupures salariales ne sauveront pas l'industrie du marasme. Les coupures salariales jetteront le désarroi et nous ramèneront au cannibalisme des années trente. Les coupures salariales contribueront à émasculer et à salir le mouvement syndical, pour nous jeter dans les bras aimants du capitalisme international et des monopoles internationaux. Je ne sous-estime pas la gravité de la situation ni les conséquences de la lutte. Ce ne sera pas facile. Il va falloir déployer des efforts et un dévouement extraordinaires et aussi faire des sacrifices sans précédent. Mais vous savez, mes amis, on peut souvent atténuer ou même éviter les conflits lorsque l'adversaire sait qu'on est déterminé, capable et prêt à lutter. Nous sommes mis au défi et à l'épreuve. La solidarité que nous avons chantée ce matin, nous devons la transformer en une dynamique humaine, vivante et animée du souffle de vie auquel nous croyons tous, et nous en inspirer. Et je termine en disant: "Lorsque nous aurons compris l'immense force de l'unité, rien au monde ne pourra nous arrêter. Ensemble, nous vaincrons." Dieu vous bénisse. Bonne semaine!