*{ Discours néo-libéral CTC, 1984 } Je vous regarde, amis délégués, et je vois ici un groupe de Canadiens ressemblant à n'importe lequel autre groupe représentatif de notre société. Pourtant, au deuxième coup d'oeil, si j'évoque ce que les psychiatres appellent une "image mentale", je vois votre groupe sous un éclairage très différent mais néanmoins très réel. Je vois alors un groupe de vétérans portant les marques d'innombrables coups et blessures subis dans de nombreuses batailles. Je vois les bandages, les béquilles et les cicatrices que vous portez. Car, nous le savons tous, chacune des organisations représentées ici a encaissé bien des pertes ces deux dernières années. Rares sont ceux d'entre nous qui sont sortis de cette guerre indemnes. En effet, mes amis, c'est une guerre véritable que nous avons traversée, une guerre qui se poursuit encore, une guerre qui a été déclarée contre les travailleurs et travailleuses de notre pays et contre les organisations syndicales qui les représentent. Quand je parcours le pays et que je rencontre les syndicalistes, je vois très clairement leurs cicatrices, l'usure des luttes et les autres conséquences de ces deux années de combat. Mais je vois aussi autre chose: la détermination qui brille dans les yeux, et tous les signes que nous avons conservé notre force morale et un esprit indompté. Faisons donc savoir à tout le monde que nous ne sommes pas au plancher, et que notre contre-offensive ne fait que commencer! Il n'existe pas beaucoup de gens au pays - et peut-être est-ce aussi le cas pour certains parmi nous - qui ont pu mesurer jusqu'à quel point le mouvement syndical a été rudement mis à l'épreuve partout au pays depuis notre dernière assemblée. Ce fut pire que tout ce que nous avons connu dans notre histoire et pire que même les plus pessimistes d'entre nous l'avaient prédit. Et je m'empresse d'ajouter ici que, à titre de président du CTC, je suis énormément fier de notre mouvement et de tous ceux qui militent en son sein. Nous n'avons aucunement à nous excuser pour la façon dont nous avons riposté dans la bagarre, car quoique couverts de meurtrissures, nous avons clairement démontré notre intégrité et notre volonté de nous battre pour ce qui, à notre avis, nous appartient de droit. Dans le feu de l'action, et dans des circonstances extrêmes, nous avons démontré que nous sommes une force avec laquelle nos ennemis doivent compter. Si cette Assemblée ne devait rien faire d'autre cette semaine, elle se devrait de continuer à prouver que nous pouvons nous serrer les coudes pour défendre une cause commune et faire savoir à l'élite au pouvoir que le mouvement syndical sort encore plus fort de ce que nous avons vécu depuis quatre ans. Je suis heureux d'ajouter que malgré les souffrances inouïes que nous avons endurées, nous avons montré de la compassion et prêté main-forte à d'autres qui étaient dans le malheur. Et nous avons démontré de mille façons et à quantité de gens la valeur du syndicalisme authentique. C'est pourquoi j'aperçois une lueur à l'horizon. Il y a des raisons d'être optimistes, même s'il en existe aussi qui justifient un certain pessimisme. Certains de nos affiliés commencent à récolter les fruits de leur travail d'organisation chez Eaton et dans les forteresses autrefois invincibles des monopoles du commerce de détail. Bon nombre de nos amis des métiers de la construction qui s'étaient éloignés, cherchent maintenant les moyens de revenir à notre Congrès, au Parlement légitime des travailleurs. Vous pouvez être certains que nous allons leur tendre une main fraternelle. Et nous ferons de même pour d'autres organisations qui à l'heure actuelle ne font pas partie du CTC, ainsi que pour les travailleurs non syndiqués et d'autres groupes sociaux qui ont trouvé une inspiration dans ce que nous avons réalisé au cours des dernières années et qui se montrent intéressés à joindre notre mouvement. Il y a donc lieu d'être confiants et encouragés et nous n'avons certainement guère de choses à nous reprocher, sinon aucune. Je n'ai pas à vous dire qu'au moment ou nous nous réunissons à Montréal, nous sommes plus que jamais préoccupés par les désastres économiques et sociaux qui déchirent notre pays et ses habitants. Nous sommes éminemment conscients de la tragédie, induite par les pouvoirs publics, qui a transformé en chômeurs et en bénéficiaires de l'assistance sociale plus de deux millions de contribuables productifs, autrefois fiers de leur travail. Leur agonie constitue une véritable attaque contre leur dignité et nous en avons vu les effets déshumanisants. Quand les politiciens, les économistes, les scribes et autres élites échappant à ce désastre nous présentent froidement leurs statistiques, chiffres et pourcentages, ils ne semblent pas se rendre compte qu'en fait, ces données représentent des personnes humaines réelles, des Canadiens en chair et en os, qui méritent mieux que cela. Ce sont les victimes innocentes de la brutale politique économique d'un gouvernement et d'un parti dont les agissements nous ramènent au dix-neuvième siècle. Le chroniqueur économique Don McGillevary donnait récemment les définitions suivantes d'un optimiste et d'un pessimiste: le pessimiste est celui qui prévoit une nouvelle récession cette année, tandis que l'optimiste est celui qui croit qu'elle ne commencera que l'an prochain. Le gouvernement et le monde des affaires nous ont dit qu'une reprise économique s'était amorcée au début de 1983. Mais plus d'un an après le début de cette prétendue reprise, nous détenons toujours l'un des pires records de chômage des pays industrialisés. Pis encore, toutes les prévisions dignes de foi indiquent que la situation ne s'améliorera guère dans un avenir prévisible. En 1983, année de cette prétendue reprise, le taux du chômage s'est maintenu en moyenne à 11,9%, son plus haut niveau annuel depuis les années 30. En mars 1984, il s'établit encore à 11,4% et poursuit son ascension. Bien entendu, nous savons tous que, pour ce qui est des jeunes travailleurs, le taux était bien pire, atteignant 18,4% en mars 1984. Durant ce même mois, plus de 31,000 emplois sont disparus. Nous comptons toujours 168,000 emplois de moins qu'en août 1981, époque généralement reconnue comme le début de la crise. Quant aux jeunes de 15 à 24 ans, ils ont encore 322,000 emplois de moins qu'en août 1981. Le nombre des chômeurs vient d'augmenter pendant cinq mois d'affilée et on en compte maintenant 589,000 de plus qu'en août 1981. Les chiffres officiels indiquent qu'il y a 1,400,000 sans-travail, mais nous savons bien qu'en réalité, il y en a plus de deux millions. Après un an de cette prétendue reprise, les revenus souffrent encore de la crise. A la fin de 1983, le travailleur moyen aurait dû gagner un peu plus de $39 de plus par semaine pour se retrouver au niveau qu'il touchait à la fin de 1976. Les investissements dans l'entreprise continuent de baisser après avoir accusé des chutes en 1982 et 1983. Les taux d'intérêt élevés commencent à réapparaître et tout indique qu'ils continueront de monter durant le reste de 1984. Ce printemps, les taux réels d'intérêt, soit l'écart entre l'inflation et ce que les banques exigent pour l'argent qu'elles prêtent, sont bien près de toucher des sommets record et rien de laisse prévoir leur fléchissement. La politique "américaine" du gouvernement canadien en matière des taux d'intérêt a porté le taux de la Banque du Canada à près de 11% et le taux préférentiel des principales banques à 12%. Comme les taux hypothécaires atteignent 14% pour cinq ans, les mises en chantier ont accusé une baisse draconienne ces deux derniers mois. Et cette situation commence à influer sur les achats d'appareils ménagers, de meubles et ainsi de suite. Alors, qui donc oserait dire qu'il y a reprise de l'économie? C'est vrai qu'il y a une reprise: une reprise des profits pour les banques et les géants de l'entreprise. C'est là la théorie monétariste des retombées de Milton Friedman selon laquelle nous sommes censés bénéficier de tout cela. Mais ces profits accrus ne sont pas investis au Canada pour créer des emplois et accroître la prospérité comme le prévoyaient les économistes monétaristes. Au lieu de cela, les entreprises s'entre-dévorent. Ou bien, elles investissent leurs profits à l'étranger. Et l'histoire se répète, tout en empirant. Ceux qui se portent à la défense des politiques gouvernementales nous disent que la situation n'est pas particulière au Canada, comme on peut le lire tous les jours dans les journaux. Ils invoquent la complexité des facteurs qui échappent à tout contrôle et les pressions internationales, etc. C'est en partie vrai mais, je vous le dis, ils nous servent des comparaisons idiotes. Par exemple, ils me rabattent les oreilles avec les problèmes que rencontre le gouvernement socialiste de François Mitterand. Et pourquoi? Parce que les monétaristes sont enchantés de voir que les théories économiques qu'il a appliquées n'ont apparemment pas réussi à guérir la France de tous ses maux. Comparer la France au Canada est absurde. La France est profondément intégrée à la Communauté économique européenne. Tout comme la Grande-Bretagne, elle a perdu un empire colonial dont elle dépendait anciennement beaucoup. En outre, la France ne possède pas nos abondantes ressources naturelles et sa population est beaucoup plus nombreuse que la nôtre. On ne peut aucunement comparer les deux pays. La question que devrait se poser ces "experts" et commentateurs est la suivante: si François Mitterand en France, Bob Hawk en Australie, Felipe Gonzales en Espagne ou tout autre chef socio-démocrate gouvernaient le Canada (avec toutes ses richesses et son énorme potentiel), est-ce qu'ils sacrifieraient les travailleurs pour juguler l'inflation? Créeraient-ils sciemment un chômage massif en adoptant délibérément une politique économique conduisant à la dépression? Est-ce qu'ils rejetteraient la possibilité de créer une stratégie industrielle, de développer le secteur des industries secondaires si nécessaires, de favoriser la recherche et le développement au Canada et par des Canadiens? Est-ce que ces chefs socio-démocrates vendraient nos richesses aux enchères comme une entreprise qui ferme ses portes? Bien sûr que non! Ils ne feraient pas ca! Ils seraient plutôt ravis de toutes les richesses canadiennes, remercieraient le ciel et se retrousseraient les manches pour créer un nouveau paradis terrestre dans ce pays neuf et prometteur. C'est là ce qu'ils feraient. La leçon pratique à tirer de tout cela, c'est qu'Ed Broadbent et ses Néo-démocrates ne sacrifieraient pas non plus -les travailleurs si on leur donnait la chance d'implanter la social-démocratie au Canada! Nous avons ce qu'il faut pour faire de la social-démocratie une réalité au Canada. Vous vous souvenez peut-être de l'inscription qu'on pouvait lire sur la scène lors de la dernière Assemblée statutaire: "Les problèmes sont économiques et sociaux; la solution est politique". Nous l'avons sans cesse répété depuis: il n'y a pas d'autre moyen. Et cela vaut tout autant aujourd'hui qu'il y a deux ans. On m'a parfois reproché de le répéter trop souvent, mais je vais continuer à le faire. Cela ne signifie pas que nous abandonnions nos activités et nos objectifs syndicaux, comme certains l'ont prétendu, ni que nous nous en remettions entièrement au processus politique. Je n'ai jamais dit cela. L'activité syndicale normale et l'activité politique se complètent. L'une est le prolongement de l'autre; chacune a besoin de l'autre. L'innovation et l'avant-gardisme en matière de négociation collective établissent les fondements de lois nouvelles. Nos campagnes parallèles; la campagne de contacts personnels au travail; le programme de la "Nouvelle option économique"; la lutte au "cinq et six pour cent"; notre opposition aux concessions; nos inquiétudes face à la déréglementation; nos efforts concentrés sur la révolution technologique; notre Coalition pour sauvegarder le régime d'assurance-santé; l'appui que nous avons donné à certains groupes comme la Canadian Farm Survival Association, la B.C. Fishermen's Coalition et les autochtones; nos préoccupations à l'égard de la reforme des pensions; notre appui au mouvement en faveur de la paix; nos efforts pour la sauvegarde des droits de la personne; le témoignage de notre foi en l'égalité de la femme; nos nombreuses et diverses initiatives sur la scène internationale, enfin, toutes ces activités se complètent et renforcent notre option politique. Nous devons multiplier nos efforts sur les deux fronts. Je vous le déclare en toute sincérité: j'estime impensable que nous puissions nous tirer du présent bourbier avant d'avoir fait montre d'une grande maturité politique, c'est-à-dire avant d'avoir prouvé notre capacité de produire des votes en très grands nombres dans les occasions importantes. Je le répète, nous avons le potentiel nécessaire: nous sommes deux millions. Multiplions deux millions de syndiqués par le nombre de parents admissibles à voter, en plus des amis et voisins qui gravitent dans leur zone d'influence, et mesurez toute l'ampleur de notre potentiel! Comme je l'ai maintes et maintes fois répété, les travailleurs et travailleuses qui votent pour les Libéraux et les Conservateurs sont comme des poulets qui voteraient pour le colonel Sanders. Pourrais-je vous donner meilleur exemple que ce qui se passe en Colombie Britannique et en Saskatchewan? La Colombie Britannique possède tous les atouts du succès et de la prospérité. Elle est riche en ressources naturelles, elle est dotée d'un mouvement syndical fort, uni et viable; elle bénéficie d'une approche relativement sophistiquée en matière de négociation collective; elle pouvait se doter d'une alternative politique raisonnablement progressiste, éclairée et viable dans le Nouveau Parti démocratique. Ses électeurs, pensions-nous, étaient raisonnablement progressistes. Mais qu'est-il arrive? Nous avons maintenant un Liban au Canada simplement parce qu'une majorité des bonnes gens de la Colombie Britannique ont momentanément perdu la boule un jour de scrutin. Voilà donc pourquoi nous sommes en pleine guerre en Colombie Britannique. Nos troupes perdent leur sang. Et combien de temps a-t-il fallu pour en arriver la? Pas plus de temps qu'il a fallu aux électeurs pour marquer leurs bulletins de vote. C'est aussi simple que cela. Et c'est la même chose en Saskatchewan. En fait, les deux provinces les plus progressistes du pays sont devenues du jour au lendemain les plus réactionnaires et ça s'est fait dans les bureaux de scrutin. J'ai beaucoup d'admiration pour la force et le courage de nos gens en Colombie Britannique, mais c'est quand même une honte que nos travailleurs, nos ressources, nos énergies et notre détermination s'épuisent à défendre le statu quo. Nous nous battons comme des déchaînés, nous gagnons ce qui est déjà acquis, nous nous en réjouissons et chantons victoire. Depuis quand le mouvement ouvrier est-il le défenseur du statu quo? Voilà notre malheur. Est-ce une coïncidence si le seul gouvernement provincial qui n'a pas imposé de restrictions salariales est celui du Manitoba, un gouvernement neo-democrate? Est-ce une coïncidence si, de tous les pays membres du Commonwealth - et je suis bien placé pour le savoir étant président du Conseil syndical du Commonwealth - l'Australie est le seul à n'avoir pas imposé de gel des salaires et à ne pas persécuter sa propre fonction publique, est-ce une coïncidence dis-je, si ce pays est gouverné par un parti qui est l'équivalent du NPD? J'espère donc que bon nombre de nos efforts se concentreront dans cette direction-là. Ne nous laissons pas décourager par le scénario actuel, par les comptes rendus des journaux sur les sondages, etc. Trouvons un réconfort dans le fait que les travailleurs ont dernièrement élu des gouvernements socio-démocrates en Suède, en France, en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Australie et au Venezuela, tous membres du bloc de l'Ouest. S'ils ont eu la sagesse politique de le faire, nous le pouvons nous aussi, si nous nous y appliquons. Ce serait une illusion de croire que nous pouvons nous tirer du pétrin social et économique actuel sans recourir à une option politique de rechange. En d'autres termes, adoptons donc un nouveau slogan: le vote collectif du mouvement syndical est tout aussi important que la négociation collective. Et que ce soit notre objectif des deux prochaines années. L'endurance du mouvement syndical est étonnante. Même si certains commentateurs des médias écrivent depuis deux ans notre notice nécrologique, nous sommes bien loin d'être battus. Et malgré les coups et blessures dont je parlais tantôt, je crois fermement que notre vigueur et notre force spirituelle sont plus grandes qu'auparavant. La présente assemblée, malgré certaines allégations contraires, montrera que nous sommes plus unis que jamais. Bien entendu, je fais allusion à certaines tentatives récentes visant à diviser notre mouvement syndical. Car, comme le soulignait Louis Laberge dans son mot de bienvenue, c'est que nous représentons le dernier obstacle à vaincre aux yeux des monétaristes et des élitistes du pays. Ils auraient le champ libre si nous n'existions pas. Nous sommes la seule organisation viable qui puisse et veuille repousser leurs attaques. On a dit aux travailleurs du secteur privé de ne pas fraterniser avec ceux du secteur public, qui, supposément, jouissent de la sécurité d'emploi. On emploie même parfois l'expression "emploi assuré". Je ne connais pas de syndicat dont les membres ont des emplois assurés. "Pourquoi pas leur imposer des restrictions de 5 et 6 pour cent", dit-on aux travailleurs du secteur privé. "Ce sont les contribuables qui paient leurs salaires, des salaires bien indexés; les fonctionnaires ne font qu'enchaîner des trombones." Et aux travailleurs du secteur public on dit que les travailleurs du secteur privé sont cupides, égoïstes, trop bien payés, improductifs, qu'ils nous ferment les portes des marchés internationaux concurrentiels. Or, j'ignore ce que vous en savez, mais pour ma part, dans toutes les réunions auxquelles j'ai participé depuis deux ans, et elles ont été nombreuses, j'ai toujours été témoin de l'appui que le travailleur du secteur privé manifestait à l'endroit du travailleur du secteur public, et vice versa. C'est même là que j'ai entendu les discours les plus passionnés et les plus éloquents. Donc, je pense que nous devons faire entendre, de notre Assemblée, le message clair et sans équivoque que les tactiques de division n'auront pas de prise sur nous, que nous avons plus de points de ressemblance que de différence, que nous vivons dans un même milieu, partageons les mêmes difficultés, faisons partie d'une même grande famille et que, malgré tout ce qu'on en dira, nous demeurerons solidaires. Nous avons prouvé que nous pouvons demeurer unis. Lors de notre dernière Assemblée à Winnipeg, nous avons longuement débattu la question des concessions à la négociation collective. Nous ne parlions pas alors d'une probabilité ou de quelque cauchemar artificiel. Nous traitions d'exigences très réelles, très concrètes, bien planifiées et coordonnées de la part des employeurs. Nous faisions face à la malheureuse réalité des précédents établis aux tables de négociation aux États-Unis. Certes, les syndicats américains de certains de nos propres affiliés acceptaient à ce moment-là des concessions que nous, à l'Assemblée de Winnipeg, disions que nous allions rejeter. Inutile de vous faire un dessin pour illustrer la gravité de la situation! Et après avoir dûment débattu la question, nous avions dit d'une seule voix: assez, c'est assez! Il n'y aura pas de concessions au Canada! Nous ne nous embarquerons pas là-dedans et c'est à la frontière que ça s'arrête! Nous y sommes parvenus et nous en étions fiers. Nous avons stoppé la marée; nous avons tenu parole! Pour certains, les incrédules de l'intérieur et de l'extérieur, ce n'était que du verbiage démagogique. Certains doutaient de notre sincérité, d'autres doutaient que nous puissions y parvenir même si nous étions sincères. Mais le fait est que nous avons stoppé la marée, que nous avons tenu parole et que, si vous ne le savez déjà, nous avons été la première centrale syndicale des pays industrialisés de l'Ouest à le faire. Nous avons donné l'exemple. Nous avons donné courage et inspiration aux autres. Oh, il y a bien eu quelques petites défaillances ça et là, mais en général, nous avons tenu parole. Je sais que, dans bien des cas, il en a coûté cher aux organisations et aux gens. Je pense que le message a été très clair et que les employeurs l'ont enfin compris. Les multinationales, tout comme les employeurs canadiens, savent que le Canada n'est pas une terre à concessions! Je ne dis pas que la lutte est terminée. Mais nous avons gagné la première manche. Les employeurs reviendront avec leurs demandes de double palier et autres propositions fantaisistes. Nous allons revenir sur cette question plus tard cette semaine. Nous vous soumettrons alors un autre grand énoncé de politique sur les concessions. Je pense que nous devons faire entendre très clairement une fois de plus notre message: nous avons repoussé les concessions en 1982 et nous les rejetons avec encore plus de détermination en 1984. Comme vous le savez, les TUA ont été parmi les premiers à s'opposer aux concessions salariales et ils ont affronté quelques-uns des puissants géants de l'industrie automobile qui avaient déjà soutiré des milliards de dollars des poches des travailleurs américains. Ils ont aussi mené une lutte ardue contre les autres grands du secteur de l'aérospatiale et des usines de pièces et d'approvisionnement. Je suis extrêmement fier des sacrifices personnels énormes que se sont imposés les travailleurs et travailleuses de mon syndicat, les TUA. Lorsque j'ai appris que la Général Motors avait été contrainte de briser la tendance américaine et d'accepter un règlement "fait au Canada", je me suis écrié que c'était magnifique, que la Général Motors reconnaissait finalement que le Canada n'est pas les États-Unis! Saisissez-vous toute l'importance de cet exploit? Pendant cette grève cruciale chez Chrysler, j'ai observé attentivement la façon dont les média recherchaient systématiquement des preuves de dissension ou de mésentente au sein des syndicats. Ils ont interviewé des centaines de travailleurs des diverses usines Chrysler, ainsi que leurs épouses et les membres de leur famille sans trouver un seul travailleur qui n'était pas d'accord. Je me souviens très bien de ces entrevues qui m'ont réchauffé le coeur. Tous ont montré leur foi dans leur syndicat, leur confiance en Bob White; tous étaient conscients des risques possibles et savaient dans quoi ils s'embarquaient. La leçon à tirer pour nous tous y compris ceux qui n'ont pas encore eu à relever le défi des concessions, c'est que chaque syndicat qui a réussi à repousser les exigences patronales le doit à une mobilisation rationnelle de ses membres à tous les niveaux, à des communications quotidiennes avec ses effectifs et à un leadership responsable. Chaque travailleur, chaque travailleuse connaissait l'enjeu, y compris les risques possibles, avant d'entrer en grève. Rien ne peut remplacer un effectif averti et bien informé. Cela demeure toujours vrai. J'aimerais souligner la lutte menée par le SITBA en dépit des menaces écrasantes de mises à pied, d'une industrie malade, des marchés stagnants et d'un groupe fort déterminé d'employeurs. Eux aussi ont résisté à l'assaut et connu de grands sacrifices. Je rends hommage à nos amis de la fonction publique provinciale de la Colombie Britannique, qui ont donné un excellent exemple aux travailleurs des autres provinces dans leur premier affrontement avec Bill Bennett et ses manoeuvres d'intimidation. Je sais que le SCTP lutte depuis deux ans contre les exigences de concessions partout au pays, au prix de grands sacrifices. Et c'est aussi le cas des travailleurs de l'énergie et de la chimie, du SCFP, des métallos, du textile et du vêtement, cette industrie en déclin depuis si longtemps. Tous ont combattu avec acharnement et ont réussi. Nous sommes donc justifiés d'être fiers de notre lutte collective. En effet, rien n'est plus efficace que "des chefs qui travaillent en équipe et des membres solidaires". Une grande partie de ce combat a commencé ici au Quebec. Nos membres d'ici qui croyaient avoir élu un gouvernement amical ont eu toute une surprise. L'histoire de ce conflit vous est connue et vous savez comment nos confrères ont riposté. En fait, nous avons tous tiré des leçons de leur expérience. La coalition réalisée en Colombie Britannique est une inspiration pour nous tous. L'importance d'obtenir l'appui d'autres groupes de femmes et d'hommes pour multiplier réciproquement nos forces, apparaît clairement. A l'heure actuelle, en Allemagne, la Fédération des métallurgistes, refusant d'accorder des concessions, va même au-delà en faisant la grève pour obtenir la semaine de 35 heures. Nous leur avons exprimé notre appui et nous reparlerons sans doute de ce sujet avant la fin de la présente assemblée. Si nous sommes sérieux là-dessus, nous pourrons progressivement nous acheminer vers la réduction du temps de travail. L'objectif ne consistera pas seulement à remédier au chômage et à créer des emplois, mais ce sera en outre pour négocier efficacement et sans crainte des questions telles que les changements technologiques. Aucun syndicat ne raccourcira la semaine de travail par accident. Cela exigera un effort collectif. Et s'il le faut, le CTC organisera cette année une conférence sur la négociation collective coordonnée pour mettre nos idées ensemble et concevoir une discipline commune. Et je vous affirme que, malgré les rumeurs contraires, Dennis McDermott, en 1984, est en faveur de la réduction du temps de travail. En plus de collaborer avec les affiliés et de les aider dans diverses activités comme la défense contre le maraudage par des syndicats non affiliés, le CTC a mis en oeuvre plusieurs projets d'envergure régionale et nationale. Nous avons tenu notre conférence sur l'économie en mars 1983, sous le thème de "Riposte populaire à la dépression planifiée". Nous l'avons fait suivre du programme de la "Nouvelle option économique". A peu près en même temps, ou peut-être même un peu plus tôt, nous avons fait nôtre la déclaration des évêques catholiques sur l'économie. Nous nous sommes joints au Centre canadien de recherche en politiques de rechange et avons poursuivi cette initiative au-delà du cadre du mouvement ouvrier. Nous avons participé à un sommet syndical parallèle au Sommet des Sept qui eut lieu à Williamsburg, en Virginie. C'est là que nous avons rencontré le Secrétaire d'État américain George Shultz et l'homme aux jujubes lui-même, Ronald Reagan. Nous avons aussi discuté avec des syndicalistes de sept pays: la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Japon, la France, l'Italie, l'Allemagne et le Canada. Et malgré nos contextes différents, nous en sommes venus à un consensus que nous avons présenté à Reagan en lui disant que, si des syndicalistes des sept pays avaient pu s'entendre, les leaders politiques devraient réussir à faire de même. Reagan n'a rien répondu de très inspirant. En mars 1983, nous avons rencontré ces incroyablement courageux et imaginatifs dirigeants de la Canadian Farm Survival Association. L'un d'eux, qui est notre invité aujourd'hui, n'était pas présent à cette rencontre. Il était alors en prison et y faisait la grève de la faim. A la même époque, nous avons donné notre appui aux revendications constitutionnelles des leaders autochtones. Nous avons coparrainé des conférences sur le multiculturalisme en milieu de travail. Nous avons collaboré étroitement aux travaux de la Commission Abella sur l'action positive. La Coalition pour la sauvegarde de l'assurance-santé que nous avons instituée exerce une grande influence, je pense, sur la lutte contre l'érosion et le démantèlement des services de santé au Canada. Vers la fin de 1983 et au début de 1984, nous avons coordonné les efforts syndicaux pour la paix et appuyé et financé la campagne de la Caravane pour la paix. Nous avons collaboré aux travaux du Groupe de travail sur l'industrie pétrochimique et organisé notre propre séminaire sur l'évolution technologique. Et en plus de tout cela, le CTC a fait de nombreuses instances auprès du gouvernement fédéral et de ses ministères et organismes au sujet d'une foule de questions, dont le Code canadien du travail. Les amendements proposés au Code sont maintenant inscrits au Feuilleton de la Chambre. Pour vous donner une idée de la "progressivité" du parti libéral fédéral, les TUA obtinrent la formule Rand en 1946 et 38 ans plus tard, les Libéraux nous la servent sur un plateau. Nous avons parlé et fait des instances au sujet de l'imposition des avantages d'emploi dans le Nord, de la reforme des pensions et de la déréglementation, sujets dont vous serez saisis cette semaine. Pour ma part, je n'aimerais guère vivre dans cette société "déréglementée" au sud d'ici, que je visite à l'occasion. Nous parlerons d'hygiène et de sécurité, sujets qu'on néglige parfois en périodes difficiles. Le CTC a fait des instances au sujet du Bill C-157, ce projet de loi sur la création du tout nouveau Service du renseignement de sécurité. J'ai rencontré le solliciteur général Robert Kaplan à ce sujet en compagnie de l'Association canadienne des libertés civiles. Kaplan m'a dit que si ce service avait existé à l'époque du FLQ, nous n'aurions jamais eu à recourir à la Loi sur les mesures de guerre. Je l'ai regardé et lui ai dit: "Il faut que je réfléchisse à cela. Je ne suis pas sûr qu'il ne vaudrait pas mieux connaître des moments d'aberration du genre de la Loi sur les mesures de guerre à tous les 15 ou 20 ans plutôt que d'avoir la sorte de CIA ou KGB permanent que vous tentez d'instituer." Après une longue étude et beaucoup de prudence, nous avons décidé d'accepter une nomination à la Commission MacDonald en nous disant que nous irions voir ce qui s'y passe et en nous réservant une porte de sortie. Plus récemment, nous avons prudemment, et peut-être avec une certaine répugnance, accepté de participer aux travaux du Centre de la main-d'oeuvre et de la productivité. L'organisme n'en est qu'à ses premiers pas et nous allons voir ce qui va se passer. Si ça tourne mal, nous laisserons tomber. Conformément à la décision de la dernière Assemblée, la Commission des Statuts et des structures s'est promenée à travers le pays pour entendre les opinions de tous les secteurs de notre mouvement. La Commission présentera son rapport à la présente Assemblée. Il renferme plusieurs propositions de changements dont deux, et non les moindres, visent à améliorer la structure du CTC. Premièrement, on propose une représentation plus équitable des syndicats de la fonction publique et ensuite, une représentation plus équitable des femmes au sein du mouvement en ayant recours à l'action positive. Je sais que la première proposition prête moins à controverse que la seconde. Je serai franc avec vous. Il n'y a pas de moyen simple et ordonné de faire de l'action positive. Le statu quo en souffrira quelque peu. Nul doute que cela va déranger quelques vieilles notions et habitudes. Mais en fin de compte, on y croit ou on n'y croit pas. Pour avancer, il faut oser et c'est ce que nous faisons. Nous devons donner l'exemple en pratiquant ce que nous prêchons. Nous ne pouvons plus continuer de faire aux employeurs et aux gouvernements des déclarations moralisatrices tout en tournant le dos à nos propres obligations. Non, rien n'est parfait. On adopte un principe de base et on essaie de trouver une formule pour l'appliquer. Nous ne pouvons refléter tous les points de vue ni contenter tous les aspirants à des postes, ni même harmoniser toutes les priorités et tous les désirs de tous les affiliés. Mais nous croyons que notre principe fondamental est valide et que la formule proposée, quoique non parfaite, est raisonnablement équitable. Le pire qui peut arriver consisterait à nous chamailler sur la formule comme moyen de miner le principe. Si vous êtes oppose au principe, alors dites-le franchement. Ne rejetez pas la formule comme excuse pour noyer le poisson. J'ai confiance que des changements peuvent s'opérer dans des domaines et dans d'autres sans perturbation grave et je vous suggère de foncer et d'aller de l'avant. Il y aura des énoncés de politique sur la politique économique, la technologie, l'action politique, les femmes et l'action positive, les concessions salariales, les droits de la personne, la déréglementation, ainsi que sur la paix, la sécurité et le désarmement. Nous devons redoubler d'efforts pour marcher vers la relance et la poursuite du progrès. J'aimerais vous parler quelques instants de la scène internationale. Nous avons participé à des congrès qui ont porté sur la paix dans le monde. Lors de l'invasion de Grenade, nous assistions à l'Assemblée du Congrès des syndicats des Caraïbes. Nous sommes allés à la Nouvelle-Delhi à la Conférence du Commonwealth, nous gagner de nouveaux amis et alliés. Nous avons travaillé avec nos amis d'Amérique latine par l'intermédiaire de la CISL et de ses affiliés régionaux, afin d'apporter une aide tangible dans cette région. Nous sommes allés au Chili et avons pris part à plusieurs missions de la CISL dans les points chauds d'Amérique latine et encouragé l'initiative de paix du Contadora en Amérique centrale. En février 1983, nous avons rencontré tous les chefs syndicalistes régionaux et les membres des gouvernements de Panama, du Mexique, de la Colombie et du Venezuela. Nous avons envoyé de nos gens au Nicaragua, à Grenade, au Salvador, au Guatemala et ailleurs. Nous travaillons à bon nombre d'autres initiatives avec d'autres centrales syndicales nationales, de concert avec la CISL. Notre préoccupation majeure demeure cependant l'Amérique latine avec qui nous avons des affinités étroites puisque nous appartenons au même continent. Des pays tels que le Salvador, le Nicaragua, le Chili et le Guatemala sont des barils de poudre ou pourrait se déclencher une Troisième Guerre mondiale et provoquer un holocauste nucléaire qui réduirait à néant cette planète et tout être vivant. Quelles que soient nos convictions politiques, nous avons tous besoin de la paix. Pour ma part, je crois fermement qu'il y aurait eu une révolution interne au Nicaragua et la guerre civile au Salvador même si les Soviétiques n'avaient pas existé, si la révolution cubaine n'était jamais arrivée et si Karl Marx n'avait jamais vu le jour. C'est là un fait inéluctable, la Doctrine Monroe est un anachronisme. Les politiques américaines en Amérique latine sont absolument insensées et j'aimerais voir élire un gouvernement canadien qui aurait le cran nécessaire pour le dire. Je comprends l'aversion des Américains à l'égard du marxisme-léninisme. Ce que je ne puis pas comprendre c'est qu'ils préfèrent appuyer des dictatures militaires cruelles et fascistes. Je ne peux pas comprendre non plus qu'ils disent que quelqu'un comme Somoza est préférable aux sandinistes, que Pinochet représente une amélioration par rapport à Allende, que Castro est pire que Batista. Si nous voulons que la démocratie fleurisse et prospère en Amérique latine, il faut encourager l'épanouissement des forces démocratiques dans ces pays. Cela comprend les syndicats libres et authentiques et non les juntes militaires sadiques qui ont recours à la violence pour les supprimer. Nous continuons à appuyer le développement du syndicalisme dans quelques pays d'Afrique, dans les Caraïbes, en Amérique latine et en Asie. Vous verrez dans la liste de nos invités des gens qui viennent de ce sombre et dangereux pays qu'est l'Afrique du Sud, des travailleurs du Chili et du Salvador. Nous souhaitons la bienvenue à nos amis venus d'Europe, y compris des représentants du Syndicat polonais Solidarnösc, parce que nous ne les avons pas oubliés eux non plus. Nous ne pouvons pas être partout, pour aider tout le monde, mais nous essayons vraiment. Ce qu'il importe de comprendre, c'est que l'aide offerte par le CTC ne comporte aucune condition. L'Amérique centrale n'est pas la seule partie du village global dont les paysans et leurs cousins des villes sont en révolte. Notre promesse, c'est que tant et aussi longtemps que le mouvement syndical le pourra, il aidera les travailleurs, leurs organisations, leurs syndicats et leurs amis politiques à combattre les oppresseurs et à lutter pour leurs droits. Lorsque des salles de classe construites par des travailleurs canadiens sont expédiées au Belize, nous aidons ces gens à augmenter leur capacité de défendre leurs droits. De même lorsque nous finançons des séminaires professionnels pour les travailleurs de la santé publique en Afrique du Nord. Les droits des travailleurs ne sont jamais consentis par générosité. Il faut les arracher par des luttes constantes et difficiles. Nous avons appris la nécessité de nous soutenir les uns les autres. Mon dernier mot a trait à ce qui est peut-être l'article le plus important à l'ordre du jour de cette Assemblée. Il s'agit de toute la question de la recherche de la paix. Nous devons faire notre part; nous devons faire cause commune avec les autres partout dans le monde. Tout ce dont je viens de parler, tout ce dont nous allons discuter cette semaine - notre avenir économique, nos préoccupations sociales, le bien-être de notre pays - tout cela ne veut rien dire si nous devons être victimes d'un holocauste nucléaire. Notre droit fondamental à la survie s'applique à tous les gens du globe. Les travailleurs de Minsk ou de Moscou, ceux de Moline, de Minneapolis, de Montréal ou de Moncton se soucient bien peu d'être des victimes intentionnelles ou accidentelles. La tâche paraît énorme, le défi est immense. Notre mouvement n'est qu'un parmi beaucoup d'autres. Nous devons faire notre part parce que personne d'autre ne la fera à notre place. Je sais que nous en avons le talent, je sais que nous en avons la capacité et je sais aussi que nous en avons le courage. Nous devons assumer nos responsabilités, non seulement pour nous-mêmes, mais pour nos enfants et nos petits-enfants. Puissent-ils un jour écrire dans le livre de l'histoire, que nous leur avons légué un monde de paix, de prospérité et de sagesse, où chacun trouvera le pain, la liberté et la sécurité nécessaires, car ils seront garantis par la primauté de la famille humaine. Il nous incombe de veiller à ce qu'il en soit ainsi, grâce à ce que nous déciderons cette semaine et aux actions que nous entreprendrons en conséquence au cours des deux prochaines années.