*{ Discours néo-libéral CTC, 1986 } Il y a exactement 30 ans, le 28 avril 1956, quelque 1,600 syndicalistes retournaient chez eux après un congrès d'une semaine dans cette même ville de Toronto, ou ils avaient réuni et fusionné le Congrès des Métiers et du Travail et le Congrès Canadien du Travail. Ces confrères et compagnes ont agi avec maturité, conviction, clairvoyance et un grand souci d'unité en regroupant les forces de ces deux centrales. C'est à leur généreuse détermination et à leur recherche résolue de la solidarité que nous devons la formation de cette centrale que nous sommes fiers de saluer aujourd'hui, notre Congrès du Travail du Canada. Cette unité sur laquelle reposaient les efforts de nos confrères et compagnes d'il y a trente ans jouera aussi un rôle important, espérons-le, dans nos délibérations de cette semaine. Puisque nous allons tracer notre route pour les mois et les années à venir, il importe de le faire dans l'unité et la solidarité. Confrères et compagnes, serrons les coudes; que nous soyons du secteur public ou du secteur prive, restons solidaires; les plus ages comme les plus jeunes, travaillons dans l'unité. Si je lance d'abord pareil appel à l'unité en m'adressant à vous ce matin, c'est qu'il y a manifestement des forces dans notre pays qui s'emploient à détruire l'essence même de notre mouvement. Il y a des gens qui feront tout ce qu'ils peuvent (et ils jouissent d'une puissance économique énorme) pour contrer les efforts que nous déployons afin d'étendre le droit de négociation collective à d'autres travailleurs et travailleuses de notre pays. Sur un autre front, nous sommes tous les jours défiés par un gouvernement qui semble n'avoir d'autre but que d'abdiquer ses responsabilités traditionnelles pour abandonner au secteur prive la gestion de nombreuses institutions publiques. Et, suspendue au-dessus de nos têtes, il y a toujours la menace d'un holocauste nucléaire, qui nous fait constamment nous demander si la génération des écoliers d'aujourd'hui vivra pour saluer le vingt-et-unième siècle. C'est sur la toile de fond de ces défis pour notre mouvement et en songeant à la sécurité de tous que j'inaugure cette Assemblée biennale du trentième anniversaire du Congrès du Travail du Canada par un appel à l'unité. Avant de rédiger les notes de mon allocution, je suis allée chercher dans les archives le compte rendu de l'Assemblée de fondation du Congrès du Travail du Canada. En le parcourant, j'ai spécialement remarque la déclaration sur la politique économique. Certaines préoccupations que j'y ai relevées demeurent les mêmes, trente ans après. On y parlait à plusieurs reprises du taux de chômage élevé, de la nécessite d'investissements publics pour créer des emplois, du besoin d'investissements sociaux, et de la réduction des heures de travail pour augmenter le nombre d'emplois disponibles. Ce sont la des sujets familiers, n'est-ce pas? Aujourd'hui, nous sommes confrontes à des politiques gouvernementales asservies aux grandes institutions financières et aux grandes entreprises du Canada, des politiques qui font comme si la crise économique, qui pèse si lourdement sur les travailleurs et travailleuses, n'existait pas. Le dernier budget du gouvernement s'inscrit dans la tradition conservatrice de désintérêt pour les chômeurs et d'obsession du déficit. Ce même gouvernement s'enorgueillit du fait que, d'ici la fin de la décennie, les dépenses consacrées aux programmes gouvernementaux représenteront le même pourcentage du revenu national qu'il y a 25 ans. Cette politique sociale à courte vue entraîne des coupures dans les services à la population canadienne ainsi que des pertes d'emploi pour les travailleurs et travailleuses du secteur public qui assurent ces services. Je ne veux pas ce matin passer en revue toutes nos préoccupations vis-à-vis des politiques économiques et sociales de l'actuel gouvernement. Je me contenterai de dire que les résultats jusqu'à présent sont loin de correspondre à ce que les promesses électorales nous annonçaient. Je veux cependant m'inscrire en faux contre trois politiques connexes: la privatisation, la déréglementation et le libre-échange. Ce monstre à trois têtes constitue, pour le gouvernement conservateur, l'équivalent du triple punch de Maman Yokum. Pour ceux et celles qui sont trop jeunes pour se rappeler la bande dessinée d'Al Capp intitulée "Lil' Abner", le triple punch de Maman Yokum était son coup du knock-out infaillible. En fait, l'actuel gouvernement a entre les mains une force de knock-out semblable: la privatisation, la déréglementation et le libre-échange sont capables de démolir notre pays et la qualité de vie des Canadiens et des Canadiennes. Cette marche aveugle vers le libre-échange, dans laquelle s'est lance le gouvernement, ne cesse de me consterner. Je suis par ailleurs fière et extrêmement heureuse de voir que c'est le mouvement syndical canadien qui a finalement amené le public à s'inquiéter de ces politiques et programmes qui, non seulement sapent le tissu économique et social de notre pays, mais s'attaquent aux fondements mêmes de notre souveraineté et de notre mode de vie. Oui, chers confrères et compagnes, c'est notre mouvement qui a sonné l'alarme d'un bout à l'autre du pays sur la question du libre-échange. Ce sont les travailleurs et travailleuses des hôpitaux, des bureaux, des usines, des moulins et des chantiers, qui ont dit d'une même voix: "Un instant!" Vous ne vous attendez tout de même pas à ce que nous croyions que les répercussions du libre-échange vont apporter une augmentation de l'emploi au Canada". "Le premier ministre nous affirme qu'il négocie le libre accès au marche américain. Mais il se garde bien de mentionner que les États-Unis aussi auront libre accès au marche canadien." Et ces travailleurs et travailleuses d'ajouter: "Le libre-échange poussera les multinationales et les compagnies canadiennes à nous abandonner pour s'installer dans le sud des États-Unis, où elles profiteront des lois anti-sécurité syndicale, des faibles salaires et des conditions de travail pitoyables." Ils ont poursuivi en disant: "Les programmes sociaux et économiques pour lesquels nous avons lutte au cours des ans seront compromis, dans un contexte de libre-échange. Le gouvernement des États-Unis perçoit les programmes sociaux tels que l'assurance chômage, l'aide au développement régional, l'assurance-santé et l'appui au secteur agricole comme des subventions injustes." Les travailleurs canadiens ont compris dès le début que ce n'est pas seulement notre avenir économique qui est en jeu dans les pourparlers sur le libre-échange, mais c'est aussi notre indépendance politique. Ces deux dernières semaines, nous avons vu le Comité des finances du Sénat américain se demander s'il devait permettre au gouvernement des États-Unis d'entamer des pourparlers avec le Canada sur la libéralisation des échanges commerciaux. Vingt sénateurs américains, qui ne se préoccupaient certainement pas de l'avenir économique et politique du Canada, ont cependant tenu cet avenir entre leurs mains; voila un épisode qui va se répéter encore bien des fois si nous concluons un pacte de libre-échange avec les États-Unis. Pendant le débat du Comité sénatorial américain, l'un des sénateurs a dressé la liste des objectifs à poursuivre par les États-Unis dans leurs négociations avec le Canada, et en voici quelques-uns: obtenir que le gouvernement canadien réduise ses subventions; - que les produits et services américains aient un meilleur accès au marche canadien- que les brevets des produits américains soient mieux protégés sur le marche canadien; - que les entreprises américaines aient davantage accès aux contrats des gouvernements fédéral et provinciaux du Canada- que les provinces s'engagent à respecter tout accord commercial; - qu'on donne l'assurance que les investisseurs américains seront traites au Canada de la même manière que les investisseurs canadiens le sont aux États-Unis. Chacun de ces objectifs ébranlerait la liberté que nous avons au Canada de nous servir de nos institutions politiques démocratiques pour forger notre avenir social et notre avenir économique. Dans le débat sur le libre-échange, c'est notre indépendance politique qui est en jeu, même si notre premier ministre dit le contraire. Ces mêmes travailleurs et travailleuses du Canada ont aussi rapidement compris que l'économie canadienne ne saurait être intégrée à celle des États-Unis que si bon nombre de nos sociétés et institutions d'État sont mise aux enchères et vendues au secteur prive. Il est également clair que nos gouvernements voudront suivre l'exemple des États-Unis de Ronald Reagan, c'est-à-dire d'une économie déréglementée. C'est ainsi que nous assistons à la vente de l'Avionnerie DeHavilland à Boeing, une compagnie américaine, et des Arsenaux canadiens au secteur prive. Nous voyons aussi Canadair et Téléglobe Canada mis aux enchères. Du côte de la déréglementation, le gouvernement travaille en vitesse à supprimer des formes de protection essentielle des consommateurs pour que règne au Canada le chaos d'un marche libre semblable à celui des États-Unis. La déréglementation du transport aérien va à l'encontre de la sécurité des voyageurs et fait sauter des emplois. La déréglementation de l'industrie du transport affaiblit la qualité du service, augmente les risques et enlève des emplois aux travailleurs et travailleuses. La déréglementation de l'industrie des communications fait grimper les coûts pour les consommateurs ordinaires, les diminue pour les grandes compagnies, et fait sauter des emplois. Et la liste continue. Tout y passe, de la diminution du nombre d'inspections des viandes et donc du nombre des inspecteurs, jusqu'à la sous-traitance et la privatisation de l'enlèvement des ordures. On a aussi vu la vente des débits québécois de vins et alcools au secteur prive et la gestion de plusieurs hôpitaux et foyers publics qu'on a confiée à des entreprises privées. Il est dans notre intérêt, en tant que citoyens et citoyennes et travail leurs et travailleuses, de continuer à lutter contre le libre-échange, la déréglementation et la privatisation. Dans mon introduction et mon appel à l'unité, j'ai parle des forces à l'oeuvre dans notre pays qui cherchent à saper les bases mêmes de notre mouvement. J'attire ici votre attention sur les sérieuses contestations auxquelles nous faisons face devant les tribunaux depuis l'adoption de la Charte des droits et libertés. Dans au moins une dizaine de cas au pays, des droits que nous avons réussi à conquérir de haute lutte sont maintenant menaces par des interprétations judiciaires. Au Manitoba, l'article relatif à la sécurité syndicale et d'autres points importants de la loi provinciale sur les relations du travail sont contestes. En Colombie Britannique, au Manitoba et en Ontario, notre droit d'utiliser les cotisations syndicales pour faire pression sur les gouvernements afin qu'ils améliorent les lois du travail, les pensions et les lois sur la santé et la sécurité est mis en doute. Encore en Ontario, tout le régime de la Loi sur les relations du travail, qui définit bon nombre de lois et de libertés des travailleurs, est conteste devant les tribunaux. Puis il y a la cause intentée par les forces de droite pour des motifs politiques: la "National Citizens' Coalition" demande aux tribunaux de paralyser le programme social, économique et politique du mouvement syndical. Elle essaie de camoufler cette attaque politique sous le couvert de son interprétation de la Charte des droits concernant la liberté d'association, telle qu'elle est décrite dans la Partie I de la Loi Constitutionnelle au chapitre des libertés fondamentales, qui traite de la Charte canadienne des droits et libertés, et de la liberté de parole. Ces mots "libertés individuelles d'association et d'expression" suscitent instinctivement la sympathie, car après tout, dans notre société, nous croyons tous à la liberté de parole et d'association. Mais pour vraiment comprendre ces mots et leur sens réel pour le mouvement syndical, il faut regarder d'un peu plus près ce qui se passe. Ce que cette Coalition veut en réalité c'est amener les tribunaux à limiter les moyens pris par les syndicats pour représenter leurs membres. Elle veut que les tribunaux nous empêchent d'exercer toutes les pressions voulues sur les gouvernements pour qu'ils améliorent les lois du travail, les pensions, les lois sur la santé et la sécurité, l'assurance santé et les autres lois ou programmes qui revêtent tant d'importance pour le monde du travail. Elle veut faire dire aux tribunaux que le mouvement syndical peut dépenser notre argent uniquement pour négocier les conventions locales et acheminer les cas de griefs et d'arbitrages au niveau local. Ce que nous pouvons accomplir à la table de négociation n'est pas illimité, nous le savons tous. Si nous voulons vraiment représenter nos membres et aider tous les travailleurs et travailleuses, il faut que nous organisions des campagnes législatives et politiques efficaces pour convaincre les gouvernements d'adopter de meilleures lois. Au fond, la "National Citizens' Coalition" s'oppose à ce que nous appuyions financièrement le Nouveau Parti démocratique. Pourtant, elle ne soulève aucune objection quand les banques, les compagnies d'assurances, les pétrolières, la compagnie de pneus Michelin et les compagnies minières versent chaque année des centaines de milliers de dollars aux Libéraux et aux Conservateurs. Quand les compagnies donnent de l'argent aux Libéraux ou aux Conservateurs, demandent-elles à chacun de leurs actionnaires s'ils veulent bénéficier d'une remise proportionnelle du montant qui est verse au parti politique? Bien sûr que non. On attend des dirigeants de compagnie qu'ils veillent aux meilleurs intérêts de celle-ci, en fait de propriété collective et d'intérêts financiers. Or, les dirigeants du mouvement syndical ont une responsabilité semblable vis-à-vis des intérêts collectifs des travailleurs et travailleuses qui font partie du mouvement. Pour bien juger une cause comme celle la, il faut bien comprendre la nature des droits collectifs. Or, sans vouloir me montrer trop pessimiste, je dois avouer que je me demande si la magistrature est vraiment capable de comprendre la nature de notre action collective. Les juges, ainsi que l'ensemble de la population, doivent se poser des questions sur des impératifs tels que la solidarité des grévistes sur les lignes de piquetage; pour cela, il faudrait qu'ils comprennent ces impératifs. Ils devront trancher des questions portant sur les problèmes que nous éprouvons à continuer une action collective, lorsqu'il y a des gens qui essaient de profiter de la situation. Ils devront se pencher sur le fait que, si nos syndicats veulent survivre, nous devons collectivement appuyer les partis politiques qui reflètent le mieux nos idées et notre programme. Chacune de ces causes actuellement en instance aura de profondes répercussions sur la forme et la nature de notre mouvement, et ce qui est encore plus important, sur tout l'avenir du mouvement syndical. Je puis vous donner l'assurance que nous les suivons toutes de très près et que nous sommes effectivement inscrits comme intervenants dans plusieurs d'entre elles. Pendant que les tribunaux pèsent la question de nos liens politiques et de nos activités connexes, nous pouvons tirer une certaine satisfaction des signes qui montrent la popularité croissante d'Ed Broadbent et du Nouveau Parti démocratique dans toutes les parties du Canada. Non seulement 1986 marque-t-il le trentième anniversaire de la fondation du CTC mais c'est aussi le vingt-cinquième anniversaire de notre Nouveau Parti démocratique. Après un quart de siècle, nous pouvons dire, à bon droit, que nous sommes devenus une force d'envergure nationale. Les sondages indiquent que l'appui populaire dépasse vingt pour cent dans toutes les régions du pays. En outre nous croyons pouvoir faire élire des Néo-démocrates à l'est de la rivière des Outaouais. Le Cap-Breton et Corner Brook ont déjà montre que la chose était possible. Lors des prochaines élections fédérales, il y aura une réelle possibilité que les travailleurs et travailleuses du Québec et des provinces de l'Atlantique se joignent à leurs frères et soeurs des autres régions pour envoyer à Ottawa des députés du parti des travailleurs. En disant cela, je ne veux pas du tout laisser croire que le reste du pays peut dormir sur ses lauriers. L'Ontario connaît un changement marqué grâce à l'accord qui a mis fin à quarante ans de règne conservateur: il y a certes la de quoi faire espérer d'autres percées, au niveau fédéral celles-là. ` On peut aussi espérer que notre récent succès électoral au Manitoba sera suivi, avant la fin de l'année, de l'élection de gouvernements néo-démocrate en Saskatchewan et en Colombie Britannique et, bien que le défi soit de taille, de gains notables en Alberta. L'un des éléments essentiels pour maintenir et accroître l'appui populaire à notre parti, c'est le dialogue avec les membres de nos syndicats. On a démontré au Manitoba qu'il est possible de persuader les membres d'appuyer le Nouveau Parti démocratique sur des questions telles que la loi relative à la première convention collective, l'égalité des salaires et une banque d'emplois. En Ontario, l'appui des travailleurs aux Néo-démocrates a eu pour résultat l'introduction de lois progressistes sur l'équité salariale et la première convention. La loi concernant la première convention se rattache à un autre sujet que j'aimerais examiner avec vous ce matin. Laissez-moi d'abord vous dire clairement que nous devrons souscrire au principe d'une telle loi. Mais laissez moi vous dire tout aussi franchement que les gains obtenus par la négociation ne découleront pas nécessairement d'une loi, mais bien plutôt d'unités de négociation tenaces, militantes, engagées et bien organisées. Au cours des deux dernières années, nous avons connu plus que notre part de frustrations dans notre lutte pour aider les travailleurs et travailleuses du secteur des services à se syndiquer. D'abord, nous avons vécu cette bataille éprouvante livrée contre la compagnie Eaton par un groupe tout à fait étonnant de femmes et d'hommes remplis de courage, qui en avaient assez du paternalisme, du favoritisme et du sexisme d'Eaton. Une autre lutte héroïque a été livrée par les membres du Syndicat des employés de banque pour obtenir leur première convention collective au Centre VISA de la Banque de Commerce, ici, à Toronto. Ce ne sont la que deux exemples de la longue liste de confrontations que nous avons connues dans le secteur public depuis deux ans. Les gens qui travaillent dans ces banques et ces magasins, surtout des femmes, demeurent toujours parmi les plus mal payes et parmi les moins protégés de notre population active et nous avons tous le devoir de redoubler d'efforts pour travailler avec eux à leur obtenir le genre de protection et de sécurité syndicale dont bon nombre d'entre nous bénéficient. Analysant les circonstances de la grève à la Banque de Commerce, le Conseil canadien des relations du travail a dressé contre l'employeur un acte d'accusation cinglant qui passera à l'histoire, affirmant entre autres: "La Banque de Commerce canadienne impériale voulait dans l'immédiat réduire le syndicat à l'impuissance afin de pouvoir à long terme protéger ses affaires sans être gênée par la négociation collective." Le Conseil poursuivait, dans son jugement de 89 pages: "La Banque entend toujours ne rien ménager pour éviter que l'idée de la négociation collective se répande parmi ses employés. Elle a fait de la table de négociation sa principale ligne de défense." Le Conseil disait plus loin que la stratégie de la Banque consistait à "gagner du temps, changer les mots mais non la substance, et étirer les négociations à la limite". Le Conseil déclarait en outre dans sa décision: ''La Banque n'a guère bouge, et ce fut surtout sur des points ou les normes sont fixées par la loi." Bref, nous avons vu la Banque rejeter de façon intransigeante, mais adroitement camouflée, les principes de la liberté d'association sur lesquels le Code canadien du travail est fonde. Soit dit en passant, les mêmes critiques pourraient s'appliquer à la stratégie de négociation de Eaton, dont le comité de négociation est probablement allé à la même école que les négociateurs de la Banque de Commerce. ~ pas naïve au point de croire que les critiques du Conseil canadien des relations du travail, si sévères soient-elles, vont porter la haute direction de la Banque de Commerce à faire le mort. Elle a déjà émis un communiqué feignant la surprise éplorée de voir que quelqu'un ait pu penser du mal d'elle. Mais il est réconfortant que, de temps à autre, quelqu'un défende la légitimité et la justesse de notre position. Cependant, si nous voulons l'emporter, si nous voulons que cette affaire soit réglée d'une manière satisfaisante une fois pour toutes, il nous faudra mobiliser nos forces plus que jamais pour bâtir des unités de négociation solides et leur procurer des conventions qui assureront leur viabilité. Je disais tantôt que la plupart des employés de la Banque de Commerce et des magasins Eaton sont des femmes, et je veux maintenant dire quelques mots sur la façon dont les femmes, les minorités, les personnes handicapées et les autochtones sont traites sur le marché du travail. Lors de la Journée internationale des femmes, en 1985, le gouvernement fédéral a annoncé qu'il appliquerait les recommandations du Rapport de la Commission royale sur l'équité en matière d'emploi, la Commission Abella. L'action du gouvernement a pris la forme du projet de loi C-62, "Loi sur l'équité professionnelle", déposé à la Chambre des communes en juin dernier. Mercredi dernier, après de légères modifications, C-62 était adopte en troisième lecture. Mais contrairement à ce que le présent gouvernement aimerait qu'on croie, le Canada n'a pas encore de loi qui impose l'accès à l'égalité, loin de là! En effet, la Loi C-62 n'oblige même pas les employeurs à instaurer des programmes d'accès à l'égalité. A notre avis, cette loi ne pourra donc guère enrayer la discrimination systémique dont sont victimes depuis longtemps dans notre pays, les femmes, les autochtones, les personnes handicapées et les membres des minorités visibles. De concert avec une coalition d'organisations qui représentent les grands groupes mentionnes dans la loi, nous avons combattu collectivement pour obtenir un vaste remaniement de cette loi. Nous sommes d'avis que, premièrement, elle devrait comporter un mécanisme qui la fera respecter, afin que les employeurs soient vraiment obliges d'instaurer de tels programmes. En deuxième lieu, nous croyons qu'il faut obliger l'employeur à négocier avec le syndicat la planification et la mise en oeuvre des mesures d'accès à l'égalité. Troisièmement, le principe de l'égalité salariale pour un travail équivalent doit être incorpore aux programmes d'accès à l'égalité. Il nous semble également évident que le gouvernement, à titre de grand employeur, doit montrer la voie et s'assujettir aux dispositions de cette loi, dont relèveraient également les employés de la fonction publique, par le truchement de leurs syndicats. Enfin, tout employeur faisant affaire avec le gouvernement devrait être tenu d'appliquer dans sa propre entreprise un programme d'accès à l'égalité, qui soit conforme à cette loi. Ce que je veux vous dire ici, chers confrères et compagnes, c'est qu'il faut que Sa bouge en ce domaine. Tant que rien de concret ne sera fait sur les cinq points que je viens de mentionner, la Loi sur l'équité professionnelle n'aura pas suffisamment de poigne pour vraiment transformer le milieu de travail. Il existe un autre domaine qui, lui, subit des transformations, tantôt positives, tantôt négatives, je veux parler de la santé et de la sécurité des travailleurs et travailleuses. Du cote "négatif", nous avons vu se diluer les normes de santé et de sécurité dans plusieurs juridictions au Canada. Simultanément, les services d'inspection ont été affaiblis et les inspecteurs dissuades d'appliquer les règlements avec efficacité. La "déréglementation" a frappé le domaine de la santé-sécurité et, sauf la resplendissante exception du Manitoba, la situation empire au fur et à mesure qu'on regarde vers l'Ouest. Toutefois, le tableau n'est pas entièrement sombre. L'_le-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse, où nous avons lutté, ont légiféré en matière de santé-sécurité, et des succès ont été obtenus, grâce à notre action, au sein des commissions de la santé et de la sécurité du Québec et du Nouveau-Brunswick. Après six années de lutte, menée principalement par l'entremise de notre Comité national de la santé et de la sécurité, la Partie IV du Code canadien du travail a été améliorée, et pour la première fois, les employés de la fonction publique fédérale sont vises par le Code. Ces changements sont entres en vigueur le 31 mars de cette année, et nous espérons que d'ici quelques mois, d'autres groupes de travailleurs et travailleuses des domaines de juridiction fédérale seront protégés en vertu de la Partie IV du Code. Notre plus importante réalisation depuis le dernier congres reste cependant l'entente intervenue sur le "droit de savoir", c'est-à-dire le droit des travailleurs de connaître les substances dangereuses présentes en milieu de travail. Après deux années de négociations coriaces et parfois acrimonieuses, les syndicats, le patronat et le gouvernement ont atteint un consensus sur des règlements concernant le "droit de savoir", et on voit maintenant grandir dans tout le pays les appuis en faveur de cette protection. Je suis bien consciente que l'accord intervenu n'est pas parfait. Mais je tiens à vous assurer que nos négociateurs y ont mis le meilleur d'eux-mêmes et puisque nous avons réussi à nous entendre à la fois avec les employeurs et le gouvernement sur cette question difficile, nous devons nous employer, comme nous nous y sommes engages, à promouvoir les conditions exactes de l'entente, sans les modifier. Dans un autre domaine, je rappelle un autre type de préoccupations qui avaient été exprimées lors du congres de fondation du Congrès du Travail du Canada, il y a trente ans déjà, et qui ont encore des résonances dans nos délibérations de cette semaine. Le rapport de 1956 sur les affaires internationales déplorait, entre autres choses, "la suprématie des Blancs en Afrique du Sud", réclamait la destruction de "toutes les bombes à l'hydrogène et autres armes atomiques", et signalait combien la paix du monde était alors fragile. Nous insistons à nouveau aujourd'hui, en avril 1986, sur la nécessite impérieuse du désarmement dans un monde trouble où l'on allègue souvent le besoin essentiel de se défendre, pour justifier la course aux armements et l'amenuisement de l'espoir. D'autres se joignent à nous, dans une vague d'indignation grandissante, pour condamner le gouvernement raciste d'Afrique du Sud. En 1956, nous faisions ressortir une vérité fondamentale: "La défense n'est pas simplement affaire de canons, d'avions, de bombes, d'armées, de marine et d'aviation. Elle signifie également qu'il faut enrayer la pauvreté et l'exploitation, surtout dans les pays sous-développés où ces maux sont les plus aigus." Fait tragique, la pauvreté et l'exploitation sont encore un trait dominant des politiques et des économies de beaucoup de pays du tiers monde. Fait tragique, la lutte armée est presque universelle. Depuis la dernière Guerre mondiale, plus de 150 conflits majeurs ont éclaté, la plupart dans des pays en développement. A la racine même de ces conflits, on trouve des maux que nous dénonçons depuis longtemps: l'héritage du colonialisme, le racisme, la course ouverte et effrénée aux ressources commerciales, et une rivalité sans borne entre les superpuissances. Pour atteindre une paix durable, il faut que nos hommes et femmes d'État tracent des politiques qui inciteront au désarmement d'abord dans la mentalité même des gens. Il faudra à cette fin un véritable dialogue de la maturité, de la compréhension et un engagement, et pas seulement de belles paroles ; une nouvelle façon de penser, de nouvelles initiatives et non pas des vieux préjugés. C'est ce grand citoyen du monde qu'était Albert Einstein qui a dit: "Tout a changé si ce n'est notre manière de raisonner, et c'est pourquoi nous glissons vers un désastre sans précédent." Il a prononcé ces paroles après l'explosion de la première bombe atomique. Aujourd'hui, la paix est grandement en péril. Les deux superpuissances montrent trop peu de signes de vouloir acquiescer au désir des gens qui, dans le monde entier, voudraient une détente et un volte-face devant le précipice nucléaire. Elles semblent se préoccuper davantage de la technologie et de la conquête de l'espace que de la volonté politique. Les armes nucléaires constituent une menace immédiate à l'existence même l'humanité et n'apportent ni la paix ni la sécurité. Le prétexte des armements nucléaires comme moyen de défense n'est qu'un mythe qu'il faut faire éclater. Ce sont essentiellement des armes de destruction réciproque. La menace à la sécurité qu'engendrent le nombre croissant d'ogives nucléaires de part et d'autre, le perfectionnement des systèmes de lancement et les risques d'accident l'emporte de loin sur l'effet dissuasif de ces armes. Mais les superpuissances ne veulent toujours pas s'arrêter, s'acharnant à s'imaginer qu'elles peuvent bâtir la sécurité en amplifiant leur arsenal nucléaire et conventionnel. Le Congrès du Travail du Canada veut libérer ses membres, leurs familles et leurs enfants de la crainte de la dévastation nucléaire, de la guerre elle-même. Nous aimons notre planète et nous ne voulons pas être témoins de sa destruction. Elle ne doit pas servir de tremplin à ceux qui veulent jouer à la guerre des étoiles. Si les deux superpuissances s'entendaient pour abandonner la mise au point d'armements dans l'espace, qu'ils soient destines à la destruction de satellites ou à la défense contre les missiles balistiques, la stabilité internationale s'en trouverait profondément améliorée. De temps immémorial, quand les humains scrutaient le firmament, ils ne voyaient pas de satellites recelant la mort ni de plates-formes à rayons laser. Nos ancêtres furent terrifies à la vue de la comète Halley. Faisons en sorte que, lorsqu'elle reviendra dans 76 ans, nos enfants soient encore là pour la voir. Il serait bon de songer ici aux enfants et aux parents qui ne pourront vivre 76 ans, et probablement pas même 76 jours, parce que la faim et la maladie les déciment. Il y a presque dix ans, dix huit hommes d'État et chefs d'organisations internationales se sont rencontres à Bonn pour travailler à ce que leur président, Willy Brandt, président de l'Internationale socialiste, appelait un "Plaidoyer pour le changement: paix, justice, emplois". Le confrère Joe Morris, qui occupait alors la présidence du Congrès du Travail du Canada, était du nombre. En présentant le rapport de sa commission indépendante sur les questions de développement international, Willy Brandt a déclaré: "L'édification de notre avenir commun est beaucoup trop importante pour n'être laissée qu'aux gouvernements et aux experts. Voilà pourquoi nous lançons un appel aux jeunes, aux mouvements de femmes et aux syndicats, aux chefs politiques, intellectuels et religieux, aux savants et aux éducateurs, aux techniciens et aux gestionnaires, aux membres des communautés rurales et du monde des affaires. Puissent-ils tous comprendre et diriger leurs affaires en fonction de ce nouveau défi." Nous pensons que le Congrès du Travail du Canada a compris et a essayé de faire valoir la nécessite d'une action globale dans un monde interdépendant, une action qui nous mènera rapidement à la justice sociale pour tous les habitants de la terre. Au cours des deux dernières années, nous avons essaye d'assister au procès de chefs ouvriers en Pologne et nous avons proteste contre la détention de syndicalistes sans procès en Afrique du Sud. Les syndicats de ce pays, dont beaucoup se sont unis pour fonder la Confédération des syndicats sud-africains qui est représentée ici aujourd'hui, ont demande et reçu l'aide du Congrès du Travail du Canada. Nous continuerons de les soutenir dans la progression de leur force et l'exercice de leurs droits inaliénables. Tant qu'il restera une once d'apartheid en Afrique du Sud, le monde ne pourra pas jouir complètement des victoires obtenues ailleurs. Il faut que cessent les massacres, les emprisonnements, les assassinats, l'injustice et le traitement inhumain infliges à ceux qui sont nos frères et nos soeurs. L'avenir est possible pour l'Afrique du Sud. La paix et le bonheur y sont possibles. Mais pour cela, il faut l'égalité et le vote démocratique: une personne, une voix. Le monde devrait avoir honte de ce que nous avons laisse faire. Les droits de nos organisations, qu'ils concernent la direction de nos activités internes ou nos affiliations internationales, ou même qu'il s'agisse de nos droits de syndiques ne nous ont pas été donnes par charité. Nous les avons gagnés, et parfois même temporairement perdus, au fil de luttes acharnées et pénibles. Pour défendre nos droits, il faut travailler de plus en plus à ce que le processus politique de la démocratie fonctionne en notre faveur, sur le plan international comme dans notre pays. Nous n'avons cesse de demander au gouvernement de limiter, suspendre ou abolir l'aide au développement à l'intention de pays qui violent de façon flagrante les droits syndicaux essentiels. Beaucoup de ministres ou de porte-parole gouvernementaux ont vite fait de nier tout lien entre les droits de la personne et l'aide officielle au développement. Un tel simplisme ne rend justice à personne. Il ne faudrait être ni embarrassé ni surpris de ce que, au moment où nous avons demande une aide accrue pour le Nicaragua de l'après-Somoza, nous ayons particulièrement encourage les secours qui aideraient à prévenir les violations des droits syndicaux et contribueraient aux objectifs pluralistes annonces par la Junte au cours de l'été triomphal de 1979. Depuis lors, bien sûr, le Nicaragua a dû faire face à de nombreux problèmes, spécialement à une déstabilisation fomentée par le gouvernement des États-Unis et que nous réprouvons. Le Congrès du Travail du Canada regrette vivement que les objectifs du peuple nicaraguayen aient été frustres par la prétendue guerre des Contras et par les mesures de déstabilisation économique adoptées par les États-Unis. Nous croyons que les politiques délibérées d'escalade militaire menées par le gouvernement Reagan ne peuvent que compromettre davantage le développement démocratique du Nicaragua et nous condamnons l'aide des États-Unis aux Contras tout comme nous condamnons l'étranglement économique du Nicaragua, voulu par les États-Unis. Le Congrès du Travail du Canada a dit au gouvernement du Canada et directement même au gouvernement américain que les politiques interventionnistes de Reagan en Amérique centrale sont des politiques de guerre et non de paix. Nous disons que ces politiques aggravent les souffrances du peuple nicaraguayen, au lieu de les soulager. Nous disons que ces politiques amplifient le chaos international plutôt que de promouvoir des ententes internationales négociées telles que proposées par le groupe des pays de la Contadora. Pour que le Nicaragua survive, il faudra de toute évidence que soient respectes à son égard les principes de l'autodétermination nationale et de la non-intervention, ainsi que les principes fondamentaux du droit international. Le Canada peut et doit promouvoir hardiment ces politiques en Amérique centrale et s'opposer ouvertement à Ronald Reagan avant que celui-ci ne fasse de toute l'Amérique centrale un scénario de film atroce et sanglant. Il y a deux semaines, l'aviation américaine a frappé en Libye, déclenchant une nouvelle flambée de violence. Il ressort bien clairement des événements du 14 avril que le monde ne peut permettre à l'administration Reagan d'agir unilatéralement pour contrer le terrorisme. Au début de l'année, la Confédération internationale des syndicats libres faisait remarquer que "le terrorisme constitue une menace immédiate et croissante à la sécurité des travailleurs et de leurs familles partout dans le monde". Elle ajoutait que le mouvement syndical, à l'échelle internationale, devrait réclamer "une action intergouvernementale coordonnée, dans le cadre du Droit international, pour faire cesser toutes les formes de terrorisme". Le CTC a réclamé une séance spéciale de l'Organisation des Nations-Unies sur la question du terrorisme, et que le Secrétaire-Général de l'ONU s'emploie à convaincre les États membres que cette question incombe aux Nations-Unies. Le cycle de violence du terrorisme, qu'il soit encourage par la Libye ou par d'autres, ne sera brise ni par des raids aériens ni par des discours. S'il existe une solution, elle ne peut que passer par une collaboration et une coordination beaucoup plus grandes entre les pays membres des Nations-Unies, dans le respect du Droit international, de la Charte des Nations-Unies et des droits de tous les peuples. Je termine en jetant un coup d'oeil sur le programme à multiple facettes qui nous attend, programme qui nous mettra à l'épreuve comme nous ne l'avons encore jamais été. Nous devons d'abord faire face à un gouvernement dont les programmes et les politiques font fi de nos préoccupations pour embrasser celles des compagnies et des établissements financiers du pays. Notre légitimité est sérieusement contestée devant les tribunaux, comme si notre raison d'être devait passer par une révision judiciaire. Nous faisons face aux tactiques obstructionnistes que la cupidité dicte aux conseils d'administration des établissements financiers et des grandes entreprises commerciales, dont la stratégie n'a qu'un objectif: refuser à leurs employés une représentation syndicale pertinente et le droit de négociation collective. Nous faisons aussi face à des contestations dans la population. Enfin, nous avons devant nous le défi d'une paix, d'une sécurité et d'un avenir fragiles. Tous ces défis, nous n'avons d'autre choix que de les relever avec audace et courage, dans la confiance et la solidarité. Confrères et compagnes, j'ai commence mon message par un appel à l'unité. Je le termine par le même appel. Notre travail cette semaine servira de point de départ aux tâches que nous accomplirons au cours des semaines et des mois qui vont suivre. C'est sur cette base que reposera la superstructure qui donnera à notre Congrès sa vie, sa vigueur et tout son sens. Travaillons donc de toutes nos forces à nous comprendre et à nous entendre. Renouvelons tous notre engagement à bâtir notre solidarité et un monde meilleur pour nous-mêmes et pour nos enfants. Travaillons à bâtir la paix et l'unité.