*{ Discours néo-libéral FTQ, 1991 } Merci Louis. Encore une fois, nous voici rassemblés pour vivre ces moments privilégiés que constitue un congrès de la FTQ. Ce vingt-deuxième congrès qui s'ouvre ce matin aura quelque chose de particulier par rapport aux précédents. Celui qui pendant tant d'années a présidé à nos débats, qui dirigeait nos luttes et stimulait notre ardeur, se consacre maintenant à d'autres fonctions dans la grande famille de la FTQ. Louis, comme j'ai eu l'occasion de le souligner à quelques reprises depuis le 10 avril dernier, je te redis notre profonde reconnaissance à tous et à toutes pour cette grande centrale que tu as tant contribué à bâtir et ce dévouement inlassable que tu as mis à défendre la cause des travailleurs et des travailleuses. Et ce n'est pas fini; je sais, nous savons, que dans tes nouvelles fonctions au Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (FTQ), tu continues avec la même énergie et les mêmes convictions à préparer un avenir meilleur pour Québec et pour les hommes et les femmes qui l'habitent. Des années déterminantes. Le Québec vit présentement une période à la fois très éprouvante et très stimulante de son histoire. Très éprouvante parce que jamais dans le passé, tout au moins au cours de ce siècle qui s'achève, le Québec n'a-t-il eu à accomplir autant de tâches colossales à la fois. Il lui faut, en effet, redresser une situation économique accablante, se dépêtrer d'une démarche constitutionnelle qui ne mène nulle part, et réaffirmer sa foi en lui-même après les attaques injustes dont il a été l'objet et qu'il subit encore. Mais cette période est aussi très stimulante pour le Québec car elle est celle d'un rendez-vous que lui donne l'histoire et d'un défi que lui lance le monde. Très bientôt, en effet, le Québec pourra décider de son avenir politique et se donner, enfin, s'il le veut bien, tous les pouvoirs nécessaires à son épanouissement collectif. Dès maintenant, il est appelé à inscrire son économie dans le jeu d'une concurrence internationale complètement transformée par l'effondrement du bloc communiste, l'émergence de l'Europe de 1992 et la négociation d'un nouveau traité de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Ces tâches peuvent nous paraître colossales, mais nous serons capables de les exécuter. Ces défis peuvent être source d'inquiétudes, mais nous saurons nous montrer à la hauteur. Une situation économique difficile. Parlons d'abord de cette situation économique très difficile que nous traversons actuellement un peu partout au Québec. Nous savons quels graves problèmes et quelles profondes angoisses elle peut causer à des milliers et des milliers de personnes. C'est pourquoi nous devons tout mettre en oeuvre pour la redresser au plus vite. Vous le savez, nous le voyons partout, dans nos milieux de travail, parmi nos proches, nos amis, combien le chômage s'aggrave, comment cette récession n'en finit plus de finir, comment les usines les unes après les autres ferment, déménagent, comment les entreprises rationalisent leurs opérations et réduisent leur personnel. Pouvons-nous accepter que de plus en plus de familles n'arrivent plus à joindre les deux bouts, que les jeunes soient pour ainsi dire exclus du marché du travail et perdent espoir dans l'avenir, que les régions se vident et que les moins nantis de notre société aient à subir le fardeau du désengagement de l'État? Nous les subissons, tous et toutes, ces réductions des services publics et gouvernementaux, nous les entendons ces menaces de réduire l'accès à notre régime de santé et de services sociaux. Nous les payons ces taxes régressives et ces impôts mal répartis. Nous les voyons ces tentatives de l'État de délaisser les responsabilités qu'il assumait auparavant et d'en transférer le fardeau sur les simples citoyens et citoyennes. L'économie est en panne et les gouvernements sont aux prises avec de lourds déficits, ne cesse-t-on de nous dire. Des pistes prometteuses. Même si le tableau n'est guère reluisant, il ne faut pas mésestimer les moyens que nous avons de nous en sortir. Nous avons dans le passé fait la preuve de notre capacité de surmonter les difficultés et d'innover dans la recherche de solutions. Pensons aux grands sommets économiques et aux multiples sommets sectoriels et thématiques qui se sont tenus sous le gouvernement du Parti québécois. Pensons à la création de l'Institut national de productivité et à la Table nationale de l'emploi, lieux de concertation malheureusement démembrés lors de l'élection en 1985 du Parti libéral. Pensons aussi à Corvée-Habitation ou à la création du Fonds de solidarité, des initiatives dont la FTQ a été l'instigatrice et qui ont contribué de façon très tangible à raffermir l'économie du Québec. La FTQ, en ces occasions comme à beaucoup d'autres moments, a été une force de proposition et de changement, et elle le demeurera. Aujourd'hui, d'autres pistes prometteuses s'offrent à nous, comme cette nouvelle volonté de concertation qui se manifeste dans divers milieux, et cette fois, non pas à l'initiative d'un gouvernement, mais à celle de tous les autres partenaires. Qu'il suffise de signaler cette décision toute récente du Conseil du patronat d'adhérer au Forum pour l'emploi, après avoir refusé d'y participer depuis le début. Nous, à la FTQ, nous avons investi énormément d'énergie et d'espoir dans cette concertation qui reprend racine au Québec et qui fait déjà l'envie de nos voisins sur ce continent. Aucun gouvernement au Québec ne pourra désormais demeurer insensible à cette nouvelle réalité. Nous sommes confiants que la concertation constituera, à compter de maintenant, une voie de progrès durable de l'économie du Québec et de l'ensemble de nos rapports sociaux. Nous aurons l'occasion d'en reparler abondamment au cours de ce congrès et de discuter des moyens concrets de l'implanter dans nos moeurs. Une impasse dont il faut se sortir. Parlons maintenant de cette interminable saga de la réforme constitutionnelle au Canada et du cul-de-sac dans lequel le Québec risque de s'enfoncer si, sous la direction du gouvernement actuel, il continue de privilégier l'option fédérale. Depuis le temps qu'elle dure cette quête d'une place acceptable pour le Québec au sein de la Confédération, on croyait bien avoir atteint le fond du baril, avoir subi toutes les humiliations. La manière dont le Canada anglais a rejeté l'Accord du lac Meech, après trois années de tergiversations, a soulevé l'indignation générale du peuple québécois et relancé comme rarement auparavant la ferveur nationaliste. On a bien vu, en ce mois de juin 1990, le premier ministre du Québec redresser l'échine et hausser le ton. Mais hélas cette réaction a été de courte durée et notre chef de gouvernement a vite retrouvé ses accents complaisants à l'égard du fédéralisme. Le dernier épisode des propositions fédérales en encore donné la preuve. Au lieu de pourfendre cet ensemble de propositions qui n'accorde pour ainsi dire aucun nouveau pouvoir au Québec, à l'exception peut-être de la formation professionnelle, notre premier ministre a réussi y voir là une base de discussions acceptable. Et si l'on en juge par les démarches qu'il a entreprises il y a quelques semaines, tout indique que notre chef de gouvernement s'apprête à entrer de nouveau dans le jeu des pourparlers constitutionnels avec les autres provinces, même s'il s'était défendu de ne jamais s'y laisser reprendre. Tout cela ne serait que choses secondaires et finasseries à laisser au bon plaisir des politiciens si les conséquences pour le Québec ne risquaient pas d'être énormément dommageables. Parce que pendant tout ce temps qu'on perd à faire un pas en avant et deux autres en arrière, le Québec continue d'être privé des outils essentiels à son développement et de payer le prix d'une appartenance qui est loin à certains égards d'être à son avantage. Il faut donc raviver le combat pour la souveraineté et mobiliser toutes nos ressources pour que le gouvernement du Québec tienne au plus tôt ce référendum qui nous ouvrira la porte de la souveraineté et nous donnera la maîtrise de notre destin. C'est à nous de faire en sorte que le premier ministre Robert Bourassa ne puisse échapper à ses engagements et qu'il laisse le peuple du Québec décider librement de son avenir. Haro sur le Québec! Ce survol des grandes questions qui retiennent l'attention de notre société ne serait pas complet si l'on ne s'attardait un instant sur les attaques, que je qualifierais de vicieuses, dont le Québec est l'objet depuis quelque temps, tant ici même qu'à l'étranger. Ces attaques se sont portées surtout contre deux éléments essentiels de notre projet de société au Québec: celui d'assurer le développement optimal de nos ressources - je fais référence, vous l'avez deviné, au projet hydro-électrique de Grande-Baleine - et celui d'affirmer notre volonté de vivre en français. Ce que l'on a pu en entendre des énormités! Le Québec s'apprêterait, rien de moins qu'à commettre un génocide à l'égard des Cris de la Baie de James et à inonder un territoire grand comme la France! Quant à la législation linguistique en vigueur au Québec, en particulier les restrictions qu'elle impose à l'usage de l'anglais, elle constituerait une monstruosité comparable aux pires aberrations des régimes totalitaires! A propos de Grande-Baleine d'ailleurs, je me permettrai de dire que le gouvernement Bourassa est en grande partie responsable du bourbier inextricable dans lequel ce dossier est maintenant enlisé et des risques réels qu'il soit abandonné. Peut-on imaginer comportement plus inepte que celui de ce gouvernement qui, par son manque de clairvoyance, sa suffisance et son absence totale de leadership, a permis qu'un projet de développement aussi avantageux pour le Québec soit mis en péril? Cela dit, les critiques adressées au Québec au cours des derniers mois touchent des questions très délicates et n'en rapporter ici que les éléments les plus spectaculaires comporte le risque d'en déformer la nature ou de contourner trop facilement des objections fort légitimes, ce que je ne voudrais faire d'aucune façon. Il reste que ces accusations ont fait leur tour de presse et ont gravement porté atteinte à la réputation du Québec et à son image de société démocratique. Comment ne pas croire qu'il en restera quelque chose et que le Québec n'aura pas à payer, si ce n'est déjà fait, pour ces actes de salissage. Voilà un autre domaine où nous avons tout intérêt à redresser la situation. Des responsabilités nouvelles pour les syndicats. Ces graves problèmes qui confrontent le Québec nous interpellent en tant que citoyens et citoyennes, bien sûr, mais ils ont aussi de lourdes conséquences sur les travailleurs et travailleuses que nous sommes et sur les syndicats qui nous regroupent. Les milliers de mises à pied qu'entraîne la récession, le chômage très élevé qui découle des insuffisances de nos politiques économiques, les lacunes au plan de la formation professionnelle qui résultent de l'imbroglio constitutionnel, ou la paralysie de la construction que vient aggraver le report des travaux d'Hydro-Québec, tout cela a des effets très visibles dans nos rangs. Dans ce contexte, nos syndicats en sont parfois réduits à lutter pour protéger les acquis et à remettre à plus tard la négociation avec les employeurs d'améliorations nécessaires aux conditions de travail de leurs membres. En ces temps très difficiles où les appels aux sacrifices, qu'ils viennent des gouvernements ou des entreprises, étouffent par leur ampleur les justes demandes des travailleurs et des travailleuses, il arrive même que les syndiqués soient parfois perçus comme étant des privilégiés, voire même les responsables, en partie, du mauvais sort qui s'acharne sur tous et sur toutes. En dépit de ces circonstances défavorables, les syndicats ont continué d'être pour les travailleurs et les travailleuses du Québec l'instrument par excellence de la promotion et de la défense de leurs droits. A preuve, ce taux de syndicalisation qui a encore progressé depuis 1989 et qui atteint maintenant tout près de 47 %. Rares sont les endroits dans le monde où la présence syndicale s'affirme avec autant de force. Qui plus est, les syndicats québécois, et tout particulièrement ceux de la FTQ, sont même parvenus ces dernières années à élargir leur rôle et à assumer de nouvelles responsabilités pour le bénéfice de leurs membres. Je veux souligner ici, entre autres, le développement extraordinaire de ce réseau des délégués sociaux et des déléguées sociales parmi nos affiliés et les services éminemment précieux que ces centaines de syndiqués rendent, à titre bénévole, à leurs compagnons et compagnes de travail aux prises avec toutes sortes de problèmes personnels. Je signalerai aussi cet immense effort de participation que nos syndicats acceptent de faire à tous les niveaux, local, régional, national, dans tous les secteurs et tous les domaines de l'activité économique et sociale, afin de répondre aux multiples besoins de leurs membres et de s'adapter aux exigences toujours plus complexes de la vie dans une société moderne et démocratique. Ces appels à la participation deviendront encore plus fréquents à l'avenir, dans une économie où la concertation tiendra une place beaucoup plus importante que maintenant, et ils poseront pour nous, pour les syndicats, des exigences encore plus grandes quant à nos compétences, à nos ressources et à notre capacité d'adaptation. Il sera important alors d'être présent partout, et en particulier au niveau de l'entreprise, pour ne pas laisser l'employeur définir seul le milieu de travail de demain. De cela aussi, nous aurons l'occasion de reparler au cours du congrès, et en des termes très concrets. Les conséquences de mauvaises politiques. Ces graves problèmes que nous connaissons actuellement au Québec, les problèmes de nature économique tout particulièrement, sont les conséquences des politiques suivies par nos gouvernements, tant à Ottawa qu'à Québec, depuis quelques années. Bien sûr, il y a de grands courants à l'échelle internationale qui ont des répercussions inévitables chez nous. Bien sûr aussi, il y a cette récession qui nous frappe. Mais si nous n'avons guère de contrôle sur les phénomènes mondiaux, nous savons tous, et toutes, tant que nous sommes, que cette récession chez nous, ce sont nos gouvernements, principalement celui d'Ottawa, qui l'ont grandement provoquée. Quand on pense à cet entêtement, à cette obsession, quasiment suicidaire, de la Banque du Canada, à maintenir les taux d'intérêt à un niveau trop élevé; quand on voit l'impact désastreux des nouvelles taxes à la consommation que l'on a décidé d'implanter envers et contre toutes les protestations; quand on assiste à ce retrait très prononcé du financement de multiples programmes ou services publics, comme ce fut le cas dans le secteur du transport en commun; quand on constate tout cela, on sait très bien où sont les grands responsables de nos malheurs actuels. Les fausses promesses de la reprise. Mais attention, la récession n'explique pas tout. Et la reprise dont on nous chante les promesses ne corrigera pas tout, loin de là. Il y en a eu d'autres, dans le passé, des récessions, des crises économiques. En particulier, il y a eu celle du début des années 80. La période de croissance économique qui l'a suivie a-t-elle aidé à résorber le chômage éhonté qui sévit au Québec? A-t-elle permis de restructurer notre économie sur des bases plus solides? A-t-elle contribué à redonner espoir aux Jeunes, aux gens peu instruits, aux laissés pour compte de la désindustrialisation, à les convaincre qu'il y avait un avenir pour eux dans cette société soi-disant d'abondance? Nous connaissons, hélas, très bien les réponses. Il ne faut pas se leurrer. La reprise économique qui se manifestera un jour, que l'on souhaite et que l'on attend comme tout le monde, ne viendra pas à bout des problèmes actuels. Elle permettra à beaucoup de gens de retrouver un emploi, tant mieux, mais elle ne modifiera pas d'elle-même les orientations erronées de nos gouvernements et le credo des chefs d'entreprises dans les seules vertus de l'économie de marché. Car c'est là où se situent les causes profondes du marasme dans lequel est plongée notre économie et de la détresse qui accable une partie grandissante de notre population. Les gouvernements, en particulier celui d'Ottawa, se sont engagés depuis plusieurs années sur la voie du laisser faire, du désengagement, de la déréglementation que leur ont tracée les Reagan et les Thatcher. Ils ont commencé à abandonner leurs responsabilités sociales, au moment même où il aurait été encore plus nécessaire de les assumer. On pourrait en donner de nombreux exemples. Je me contenterai de souligner le resserrement des régimes d'assurance-chômage et d'aide sociale et l'accroissement du fardeau fiscal des individus. Tout cela avec la bénédiction tacite ou claironnée d'un monde des affaires, trop heureux d'avoir les coudées franches, de jouer à fond le jeu de la concurrence et de pouvoir contenir, quand ce n'est pas réduire, le niveau de ses impôts. Au Québec, il convient de le signaler, ces nouvelles tendances à réduire le rôle et les interventions de l'État ont eu moins de succès, grâce notamment à la vigilance active que les syndicats ont exercée et qui a permis jusqu'ici de préserver l'essentiel de nos régimes sociaux. Il faudra cependant continuer d'être sur nos gardes, car le gouvernement donne des signes inquiétants de sa volonté de diminuer le financement ou l'accessibilité de divers services publics. Une société de chômage. Le résultat de ces politiques et de ces orientations, c'est que le Québec est devenu une société de chômage, où les écarts de revenus s'élargissent entre riches et pauvres, où les régions périclitent à vue d'oeil. En 1989, la meilleure année que nous avons connue à cet égard, le taux de chômage a été de 9,3 %! En mars cette année, il a atteint 13,9 %. Au total, si l'on ajoute les prestataires de l'aide sociale à ceux et celles qui vivent de l'assurance-chômage, il y a environ 700 000 Québécois et ; Québécoises, oui près de trois quarts de million de personnes qui voudraient mais qui ne parviennent pas à trouver du travail. Il faut mettre fin à cette situation absolument inacceptable. Il n'est écrit nulle part que le destin du Québec soit de se démarquer par des taux de chômage records. Au contraire, nous avons les talents, les ressources, l'esprit d'initiative nécessaires pour être une société prospère et avant-gardiste. Nous l'avons démontré d'éclatante façon dans tous les domaines où notre pouvoir d'agir et de s'exprimer pouvait s exercer. Une impasse qui coûte cher au Québec. Tout comme le marasme de notre situation économique est imputable à de mauvaises politiques, l'impasse majeure dans laquelle la démarche constitutionnelle des gouvernements de Québec et d'Ottawa est aujourd'hui embourbée résulte d'orientations tout à fait contraires aux besoins et aux aspirations de la population. La démarche qu'entreprenait le gouvernement Bourassa, il y a plus de quatre ans, dans le but d'amener le Québec à adhérer à la Constitution ne pouvait produire que des résultats fort décevants. En se limitant, au départ, à quelques conditions insuffisantes, en refusant de mettre population dans le coup alors que pourtant il s'agissait de négocier son avenir, le Québec se plaçait dans une situation de faiblesse vis-à-vis ses interlocuteurs. Et le peu qu'il réussit malgré tout à retirer dans cet Accord du lac Meech devait finalement lui être refusé dans les circonstances humiliantes que l'on sait. Quant au gouvernement fédéral, comment peut-il s'étonner du mauvais accueil que l'ensemble de la population québécoise a fait à ses toutes récentes propositions constitutionnelles, quand on se rappelle seulement les revendications historiques du Québec sur la question du partage des pouvoirs? Mais pendant tout ce temps, depuis une bonne trentaine d'années en fait, les conséquences de cette incapacité de refaire la constitution canadienne se sont fait lourdement sentir. Québec n'a toujours pas le plein contrôle de son économie, de son éducation, ou de son immigration. Il est absent des négociations à l'échelle internationale qui pourtant peuvent être déterminantes pour la survie de son agriculture ou de ses industries. Il ne peut décider de la politique monétaire qui lui convient, et de grands panneaux de la politique fiscale lui échappent, pour ne donner que ces exemples. Et que dire des coûteux chevauchements de compétence entre Québec et Ottawa qui sont toujours aussi nombreux. Les conséquences qu'ils peuvent avoir sur l'efficacité des services à la population demeurent toujours aussi néfastes. Un bel exemple de gaspillage de fonds publics et de confusion dans un domaine qui en connaît déjà assez a failli encore nous être donné au début de ce mois quand le gouvernement fédéral a pris la décision de «garrocher» - le mot n'est pas trop fort - des millions de dollars dans la formation professionnelle au Québec. S'adressant à une kyrielle d'organismes pas tous compétents dans le domaine, Ottawa les a incités à s'improviser «courtiers en formation professionnelle» et a court-circuité du même coup le réseau des Commissions de formation professionnelle. Heureusement le bon sens a prévalu et, tout récemment, le ministre fédéral de l'Emploi et de l'Immigration annonçait qu'il mettait fin à cette invasion en terrain québécois. Les travailleurs et les travailleuses du Québec l'ont échappé belle! Un lourd grief syndical à l'endroit des gouvernements. Pour faire face aux grandes difficultés économiques de l'heure et pour résister aux pressions des entreprises obsédées par la recherche d'une plus grande compétitivité, les travailleurs et les travailleuses ont besoin de syndicats forts et solidaires. Ils ont besoin d'une législation du travail qui respecte leurs droits et réponde à leurs aspirations de justice et de progrès. Si, comme on l'a dit tout à l'heure, les syndicats n'ont rien perdu de leur solidité et de leur capacité d'agir en dépit des durs temps que nous traversons, il faut constater, par contre, que les interventions des gouvernements dans le domaine des relations de travail leur ont rendu la vie passablement difficile. Que reste-t-il du droit de négocier...? Il y a eu, comme nous le savons très bien, hélas, toute une série de lois spéciales et de décrets qui, autant à Québec qu'à Ottawa, ont eu pour effet d'entraver singulièrement, pour ne pas dire de réduire à néant, le droit de négociation et le droit de grève dans les secteurs public et parapublic et dans l'industrie de la construction. Il y a aussi ces lacunes et ces insuffisances des grandes lois du travail qui ont continué de nuire sensiblement à l'exercice des droits des travailleurs et des travailleuses, quand elles n'ont pas, en pratique, constitué un véritable déni de justice à leur endroit. Soulignons ici la tendance très forte à la judiciarisation des relations de travail, dont les victimes des accidents du travail et des maladies professionnelles peuvent témoigner abondamment, et qui contribue aussi à embourber sérieusement les procédures d'accréditation syndicale. A cela, on doit ajouter toutes les omissions et tous les retards à agir dans des dossiers pourtant urgents et d'intérêt vital pour nos membres ou pour les travailleurs et les travailleuses non syndiqués. Ainsi, Québec n'a toujours pas mis en vigueur la loi créant la Commission des relations de travail, ni donné suite à notre demande maintes fois répétée de modifier le Code du travail de façon à permettre l'accréditation multipatronale. Ces divers manquements du législateur ont souvent des conséquences néfastes, on le devine très bien. En matière d'accréditation, ils expliquent en bonne partie pourquoi le mouvement syndical a toujours beaucoup de mal à percer dans les milieux qui, justement, ont le plus besoin de sa présence: chez les femmes, les jeunes, les personnes immigrantes, ou dans les secteurs du commerce, de la restauration et des services financiers. Fort heureusement, nos syndicats ne se laissent pas abattre pour autant et, en dépit des obstacles, comme on l'a vu dans cette bataille gigantesque menée par les Métallos auprès des chauffeurs de taxi, et comme de nombreux autres affiliés de la FTQ en donnent régulièrement la preuve, continuent leurs efforts de recrutement de nouveaux membres. Un Québec des solidarités. Les solutions que la FTQ met de l'avant pour que le Québec redevienne un endroit où il fait bon vivre, une société confiante, dynamique et prospère, où tous et chacun peuvent contribuer au progrès de la collectivité, sont déjà bien connues. La FTQ propose l'adoption d'un projet de société fondé sur le plein emploi et elle appelle de tous ses voeux l'accession du Québec ~ la souveraineté. Ce sont là, selon nous, les conditions incontournables qui permettront à la société québécoise de devenir, enfin, ce pays qui nous appartient et que nous attendons depuis si longtemps. Ces deux objectifs que nous voulons atteindre au plus tôt ne peuvent, en fait, aller l'un sans l'autre. Le plein emploi ne nous apparaît possible, en effet, que dans le cadre d'un Québec souverain. Mais d'autre part, l'accession à la plénitude des pouvoirs politiques perdrait, pour nous, de sa valeur si elle ne conduisait à l'édification d'une société où le droit au travail est une réalité. Quant aux grandes actions que le mouvement syndical sera amené à poursuivre au Québec dans les prochaines années, elles gagneront grandement en efficacité, croyons-nous, si toutes les forces qui le composent parviennent à se rapprocher. En termes clairs, la FTQ pense que le temps est venu de travailler concrètement à une plus grande unité d'action du syndicalisme québécois. Tous ces objectifs, vous en conviendrez, forment un programme très ambitieux. Ils constituent un défi colossal pour le Québec et pour toute sa population, un défi que nous ne parviendrons à relever qu'en créant entre nous un nouveau réseau de solidarités. Il faut mettre en oeuvre un Québec des solidarités. Des solidarités nationales entre Québécoises et Québécois de toutes origines et de toutes souches. Des solidarités économiques et sociales pour relever, ensemble, et au bénéfice de tous et de toutes, l'économie du Québec. Des solidarités syndicales pour renforcer les moyens d'action des travailleurs et des travailleuses. Des solidarités nationales. Le Québec, bien que très majoritairement francophone encore aujourd'hui, est entré depuis quelques années dans une phase de diversification de sa population. Déjà, depuis fort longtemps, le Québec était, et il est toujours, le foyer d'une communauté anglophone importante, qui a joué un rôle majeur dans son développement. Par la suite, des immigrants et des immigrantes d'une multitude de pays sont venus s'y installer et c'est ce phénomène qui, au cours des deux ou trois dernières décennies, s'est considérablement amplifié, donnant à de grands quartiers de Montréal un caractère véritablement cosmopolite. Quant aux nations autochtones, qui en étaient les premiers habitants, elles affirment davantage leur présence maintenant et réclament avec une vigueur nouvelle la reconnaissance de leurs droits. Au moment où le Québec s'apprête à décider de son avenir politique, il devient de la plus haute importance que toutes les composantes de sa société se sentent pleinement acceptées et participent de plain-pied à la réalisation d'un projet collectif. La volonté d'accéder à la souveraineté ne s'est guère manifestée jusqu'à maintenant en dehors de la collectivité francophone. Cela s'explique, bien sûr, par des raisons qui remontent loin dans notre histoire, mais il serait souhaitable que les choses évoluent autrement à compter de maintenant. Si le Québec devient bientôt un pays, comme c'est notre désir le plus cher, nous voudrions qu'il soit le pays de tous ceux et de toutes celles qui y vivent. Cela demandera certainement des efforts de compréhension considérables entre francophones, anglophones, autochtones et membres des divers groupes ethniques. Un devoir d'accueil et un devoir d'intégration. Il faudra que chaque communauté assume ses devoirs, entre autres celui de l'accueil et celui de bien s'intégrer dans l'ensemble de la société. Il faudra, aussi, que chaque communauté reconnaisse la nécessité de faire des pas dans la direction de l'autre, de comprendre ses besoins et ses aspirations, et de tenter de les fondre dans un projet collectif. Pour nous, à la FTQ, il est important que le Québec définisse clairement et ouvertement la politique qu'il entend suivre en matière d'accueil et d'intégration. Nous ne saurions accepter qu'un Québec souverain s'inspire à cet égard du modèle du multiculturalisme canadien. Nous voulons certes que le Québec soit pluraliste, mais une société pluraliste, à notre avis, est celle qui reconnaît les différences et les intègre pour former un nouveau tout, différent de l'ancien. Ce n'est pas une société qui, au nom du droit à cette différence, vise à la maintenir; ça, c'est la ghettoïsation, ça, c'est l'isolement. Le projet collectif des Québécois et des Québécoises devra s'articuler, selon nous, autour de la reconnaissance d'une langue commune, le français, de la promotion des valeurs démocratiques, du respect des droits de la personne et des diverses communautés et de la recherche d'une justice sociale. Ce congrès nous donnera l'occasion de voir, en pratique, comment se bâtira cette nouvelle solidarité nationale, une solidarité d'où, en définitive, nous en sommes convaincus, chacune des communautés qui composent le Québec sortira gagnante et grandie. Des solidarités économiques et sociales. Pendant plusieurs années, dans la période qui a suivi la révolution tranquille, la société québécoise a accepté d'accorder le rythme de son progrès économique et social aux exigences d'une solidarité entre nantis et démunis. C'est alors que nous avons mis en place les systèmes d'éducation, de santé et de services sociaux dont nous bénéficions aujourd'hui. C'est alors aussi que nous avons façonné nos régimes de sécurité financière des aînés et des personnes dans le besoin, amélioré nos lois du travail et rendu notre fiscalité plus progressive. Nous avons ainsi, par l'intermédiaire de l'État, diminué les écarts entre les classes de notre société. Au cours de la dernière décennie, ce consensus social a commencé à s'effriter et, aujourd'hui, il vacille dangereusement, ébranlé par la hantise des gouvernements à réduire la dette publique et les ruades des gens d'affaires coincés par l'économie de marché. Et maintenant que les besoins d'assistance sont les plus grands, dans cette société où le fait de détenir un emploi est devenu «une chance», le soutien de l'État se dérobe et les démunis sont de plus en plus laissés à eux-mêmes. Nous ne pouvons tolérer plus longtemps que la misère, propagée par la désindustrialisation, l'impact du libre-échange, la mauvaise utilisation des ressources et la mauvaise gestion de la main-d'oeuvre, s'enracine dans nos villes et dans toutes nos régions. Il faut revenir à cette solidarité dont nous avons déjà fait preuve et qui nous a valu des progrès étincelants dans tellement de domaines. Le moyen le plus sûr d'y arriver est de mettre en oeuvre au plus tôt une véritable politique du plein emploi au Québec. Peut-on imaginer plus belle façon en effet d'exprimer notre solidarité avec tous les Québécois et toutes les Québécoises que de s'assurer que tous ceux et celles qui désirent avoir un emploi puissent en trouver? Quel instrument plus efficace avons-nous pour redonner aux gens le sens de leur dignité et les conditions d'une vie meilleure? Un objectif à faire partager. Cet objectif du plein emploi, il ne faut pas se le cacher, n'est pas encore partagé par tous les acteurs sociaux au Québec. C'est le mouvement syndical, et particulièrement la FTQ, soit dit sans vantardise, qui l'a d'abord mis de l'avant et nous sommes heureux de constater aujourd'hui que notre proposition gagne de plus en plus d'adeptes. Cela dit, il reste que nous devrons faire encore beaucoup d'efforts pour amener ces autres acteurs sociaux - je veux parler surtout des entreprises et du gouvernement du Québec - à y adhérer pleinement. Car la participation de tous est indispensable au succès de cet immense projet. Et les priorités des entreprises et des gouvernements, il ne faut pas s'en étonner, portent sur d'autres objectifs que le plein emploi. Pour obtenir le ralliement de tous nos partenaires sociaux derrière cet objectif du plein emploi, il faudra donc les convaincre. Cela veut dire, par exemple, que nous devrons nous attaquer à un certain défaitisme qui s'exprime parfois à ce sujet. n faudra transmettre aux autres cette conviction qui nous anime, leur dire que l'appel au plein emploi, ce n'est pas un voeu pieux, un souhait que l'on formule pour se donner bonne conscience, mais un objectif réalisable, à notre portée. n faudra leur dire, enfin, qu'avec l'effort de tout le monde, nous pouvons y parvenir. Comment nous parviendrons au plein emploi. Un certain nombre de conditions, bien sûr, doivent être réunies pour que le plein emploi se réalise, ici, au Québec. Sans entrer dans des considérations trop techniques, voyons quand même, dans les grandes lignes, ce qu'il faudra faire. D'abord, il sera nécessaire de créer un environnement économique favorable, c'est-à-dire s'assurer que les grandes politiques régissant les taux d'intérêt, la monnaie, la fiscalité, le budget de l'État, contribuent à relever le niveau de l'emploi. C'est, en somme, presque tout à fait le contraire de ce que le gouvernement fédéral, notamment, a fait au cours des dernières années. Par l'accession à la souveraineté, comme nous l'avons souligné en maintes occasions, le Québec obtiendra donc enfin le pouvoir de créer cet environnement économique favorable au plein emploi. Il faudra aussi que le Québec se donne une stratégie industrielle. Une base industrielle solide est vitale pour l'économie québécoise, pour percer les marchés d'exportation, pour rehausser notre productivité. Et comment pourrons-nous créer ces milliers et ces milliers d'emplois nouveaux dont nous avons besoin, si l'industrie québécoise continue de s'effriter comme elle le fait depuis plusieurs années? Un coup de barre s'impose, et rapidement, pour redresser la situation de notre industrie. Investir dans la formation professionnelle. La réalisation du plein emploi va demander aussi que le Québec comble le très sérieux retard qu'il accuse en matière de formation professionnelle. C'est un appel, et même un cri d'alarme, que nous avons lancé à maintes reprises dans le passé, mais il faut le répéter car les résultats tardent à venir et il est pourtant absolument indispensable de se mettre en marche. Si l'on veut conserver notre capacité concurrentielle dans les marchés mondiaux, il est urgent d'investir massivement en formation professionnelle et de mettre fin aux querelles qui paralysent nos efforts dans ce domaine. Comme l'a fait ressortir le colloque que nous avons tenu, nous la FTQ, il y a un an exactement, il faut que le Québec se dote d'une loi-cadre sur la formation professionnelle, qui oblige les employeurs à consacrer un budget à cette fin. Quant à nous, nous voulons participer, dans tous les milieux de travail, au sein de comités paritaires, à la mise en place des programmes de formation. La mise en place d'une politique de développement régional est aussi une composante essentielle d'une société de plein emploi. n faut renverser cette dynamique du «Québec cassé en deux» qui est apparue si évidente ces dernières années et soutenir la volonté des régions de se prendre en main et de consolider leur structure économique. Pour atteindre le plein emploi, il faudra également que l'État s'implique davantage dans l'activité économique, qu'il reprenne ce rôle moteur auquel il a renoncé graduellement depuis quelques années. Ainsi, c'est l'État qui doit être le catalyseur du renforcement de la structure industrielle du Québec, en concertation avec les entreprises et les syndicats, évidemment. Enfin, l'État doit assumer pleinement sa vocation de soutien aux personnes dans notre société, renverser en quelque sorte ces orientations visant à diminuer la portée des programmes sociaux qui se manifestent depuis quelques années. Ainsi, en négligeant le soutien aux personnes sans emploi, on réduit leur capacité d'occuper un jour un emploi. Comme on le voit, tous les partenaires sociaux devront contribuer activement à la réalisation du plein emploi. Et pour ce faire, il devront agir en concertation. Comme je l'ai souligné précédemment, nous avons déjà au Québec posé des jalons intéressants à cet égard. A partir de maintenant, il faudra les solidifier, en se donnant des mécanismes de planification, de participation à tous les niveaux, local, régional, sectoriel, ainsi qu'un cadre administratif La tâche qui nous attend est d'une ampleur colossale, mais il y va de l'intérêt de tous les Québécois et de toutes les Québécoises et nous saurons l'accomplir. Des solidarités syndicales. Si nous appelons le Québec à poursuivre des objectifs aussi élevés et aussi stimulants que la souveraineté et le plein emploi, nous croyons faire de même à l'égard du mouvement syndical en le conviant à créer de nouvelles solidarités dans ses rangs. Que ce soit dans les rapports entre les centrales, à l'intérieur de la FTQ ou entre les syndiqués d'une même section locale, ces nouvelles solidarités devront prendre le pas sur les facteurs de division, sur les rivalités, sur les égoïsmes. Elles devront remplacer un ensemble d'attitudes qui peuvent s'expliquer sans doute, mais qui ont de moins en moins leur place dans une société qui est appelée à évoluer aussi profondément que la nôtre. Déjà, entre les centrales, nous avons fait la démonstration depuis quelques années qu'il était possible de mettre nos efforts en commun et qu'il était de l'intérêt de nos membres de le faire. n faut continuer dans cette voie, maintenir le dialogue entre nous et s'interroger sérieusement sur les contours que devraient prendre le syndicalisme québécois à l'intérieur d'un Québec souverain. Nous ne sommes pas nombreux, six ou sept millions de personnes. Pouvons-nous nous permettre tant de dispersion sur le plan syndical? Ce qui m'amène à dire un mot des syndicats indépendants. Je parle ici de vrais syndicats, et non pas de cette plaie du monde du travail que sont les syndicats de boutique. Nous les connaissons ces indépendants. Nous savons quels facteurs ont pu favoriser leur expansion à un certain moment. Dans certains cas, il s'agit de groupes qui étaient membres de centrales et qui ont cru pouvoir mieux atteindre leurs objectifs en volant de leurs propres ailes. Mais aujourd'hui, je veux les inviter à reconsidérer leur orientation. L'heure est à la solidarité. De vrais syndiqués ne peuvent s'isoler des autres. Leur place est à l'intérieur d'une centrale, c'est en unissant leurs forces à celles de tous les autres travailleurs et travailleuses qu'ils pourront vraiment jouer un rôle utile pour toute la société. Mais là, pas question! Quant à ces syndicats de boutique dont il faut bien, hélas, constater l'existence, je me contenterai très succinctement de rappeler les torts considérables qu'ils causent à ces travailleurs et ces travailleuses dont ils prétendent défendre les intérêts. Et ce qui est le plus désolant à cet égard, c'est de voir que ce triste phénomène ne se manifeste pas seulement dans de petites compagnies soumises à l'influence d'un patron omniprésent, mais qu'il apparaît aussi dans de grandes entreprises québécoises, canadiennes ou multinationales. Certains géants de l'industrie poussent l'indécence jusqu'à mettre leurs immenses ressources au service d'une philosophie de gestion rétrograde et suscitent la création de pseudo-syndicats, qu'ils dominent complètement, privant des travailleurs et des travailleuses des moyens indispensables à la défense de leurs intérêts. C'est une honte que le Code du travail du Québec permette aussi facilement à un tel cancer de proliférer! Et la FTQ, elle? Si nous appelons à un rapprochement des centrales, il faut en toute logique accepter pour nous-mêmes que pareille invitation nous soit lancée. N'y a-t-il pas des démarches à entreprendre chez nous, à la FTQ? Je sais, la question est délicate. Il y a en jeu des structures, des traditions, des liens juridiques avec des syndicats canadiens ou internationaux. Un réaménagement de tout cela est-il possible? De toute façon, il faudra y penser, car la souveraineté du Québec nous imposera certainement des ajustements majeurs. L'accession à la souveraineté pose aussi le problème de ceux et celles de nos membres qui sont à l'emploi, au Québec, du gouvernement fédéral et de certaines autres sociétés parapubliques canadiennes. On dénombre environ 35 000 fonctionnaires fédéraux syndiqués au Québec, auxquels s'ajoutent quelque 10 000 postiers. La FTQ en a pris l'engagement très net. Au moment où le Québec accédera à la souveraineté, nous allons nous assurer que tous nos membres fédéraux soient intégrés dans la fonction publique québécoise et que leurs acquis syndicaux soient protégés. Parlant de solidarité syndicale, c'est bien là une action qui s'impose. Et c'est bien là aussi que pourrait se jumeler à la nôtre une solidarité qui serait, elle, nationale. Car cet engagement que prend la FTQ envers ce groupe de travailleurs et de travailleuses du Québec, c'est toute la société québécoise qui devrait l'endosser. L'accession du Québec à la souveraineté est un projet collectif et il serait impensable que nos frères et nos soeurs de la fonction publique fédérale aient à supporter plus que leur part de l'impact des ajustements qu'elle entraînera inévitablement. Enfin, dans chacune de nos sections locales, il faudra aussi développer de nouvelles solidarités entre confrères et consoeurs de travail. Des changements importants se feront, c'est même déjà commencé, dans nos usines, dans nos bureaux, partout, en rapport avec l'organisation des tâches, la recherche d'une plus grande productivité et quoi encore. n faudra que tout cela se fasse dans le respect de nos droits, dans ce vaste mouvement de concertation que nous proposons à nos partenaires, mais cela se fera. Nous aurons l'occasion au cours de ce congrès d'approfondir ces questions et de dégager des lignes d'action qui nous seront utiles à tous et à toutes. Des propositions au congrès. Pour terminer, j'aimerais vous soumettre un ensemble de cinq propositions qui traduisent concrètement, à mon avis, le travail que nous aurons à faire dans nos rangs pour que toutes ces solidarités dont je vous ai parlé jusqu'ici dépassent le stade des voeux pieux. Avec les déclarations de politique sur le développement durable, sur la solidarité internationale, sur la francisation des milieux de travail, sur la santé et la sécurité du travail et celle sur la formation de base, sur lesquelles vous serez aussi appelés à vous prononcer, ces propositions seront au coeur des travaux de ce vint-deuxième congrès de la FTQ. Première proposition. Mobilisation pour la souveraineté. «Que ce vingt-deuxième congrès appelle chacun des membres de la FTQ à joindre les rangs de Mouvement Québec, à travailler activement pour qu'un référendum sur la souveraineté du Québec soit tenu au plus tard à l'automne 1992 et à promouvoir cette souveraineté dans tous nos milieux de travail et auprès de tous les travailleurs et de toutes les travailleuses du Québec.» La FTQ a depuis longtemps fait le choix de la souveraineté du Québec. Comme nous l'avons dit il y a maintenant un an devant la Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec, la Commission Bélanger-Campeau, c'est le constat de l'impasse que le fédéralisme constituait pour le Québec dans des domaines aussi vitaux que l'économie, l'emploi, la population, la culture, la langue et l'éducation, qui a amené notre centrale à s'orienter vers cette option. C'est aussi la conviction que le Québec avait besoin d'une compétence pleine et entière dans tous ces domaines et qu'il perdait son temps à la revendiquer. Nous avons insisté aussi sur la priorité que représentait pour nous la mise en place d'une politique de plein emploi et sur le fait qu'une telle politique ne pouvait voir le jour que dans le cadre d'un Québec souverain. Cet extrait de notre mémoire à la Commission l'explique très bien: <;Nous en sommes venus, au fil des ans, à une vision communautariste du plein emploi, ancrée dans des pratiques de concertation à plusieurs paliers... Mais la concertation sociale a besoin pour s'incarner d'une collectivité vivante, d'une collectivité qui partage une culture, des objectifs, une histoire, une solidarité... Une politique concertée de plein emploi ne peut s'implanter ailleurs que dans un pays réel.» Ce pays réel, c'est le Québec. Mais ce pays réel, il reste à le construire, à l'amener dans le forum des nations souveraines. Pour y parvenir, nous aurons encore quelques étapes à franchir, des obstacles à surmonter. Ainsi, dans les mois qui viennent, va se poursuivre ce qui est en fait une nouvelle ronde de négociations constitutionnelles entre le gouvernement du Québec et le Canada anglais, une négociation à onze, quoi qu'en dise le premier ministre Robert Bourassa. Car le gouvernement qu'il dirige, en dépit de tous les rapports Allaire et de toutes les commissions jeunesse du Parti libéral, a fait le choix, et cela malgré toutes les apparences du contraire qu'il a voulu entretenir, a fait le choix du fédéralisme canadien. On voit dans quel cul-de-sac ces efforts de la dernière chance sont en train de nous mener: vers un Canada plus centralisé que jamais sur le plan économique, vers un Canada où le caractère distinct du Québec ne serait reconnu qu'à titre symbolique, vers un pays tout à fait inconciliable avec les aspirations du peuple québécois. Ne nous laissons pas prendre au jeu des promesses de renouvellement. Seule la souveraineté du Québec peut donner au peuple québécois un pays qui soit vraiment le sien. Cette souveraineté, il nous faut maintenant intensifier nos efforts pour la réaliser. Une grande échéance approche, nous le savons, une échéance à laquelle l'actuel gouvernement du Québec va essayer d'échapper, ou qu'il va tenter de contourner. Ne lui en laissons pas la possibilité. Il faut donc, nous à la FTQ, et en front commun avec toutes les forces vives de notre société, à l'intérieur de cette convergence nationale qu'est Mouvement Québec, partir en campagne, nous mobiliser pour que le peuple du Québec soit appelé à se prononcer dans les prochains mois dans un référendum sur la souveraineté. Deuxième proposition. Action syndicale en milieu de travail. «Que ce vingt-deuxième congrès invite chacun des affiliés à la FTQ à convier l'employeur avec lequel il négocie habituellement à une table de discussion de l'ensemble des problèmes qui ont trait à l 'évolution de l 'emploi et aux perspectives d'avenir de l'entreprise ou du service public où il est présent. Par cette action, les affiliés de la FTQ poseraient ainsi un des très importants jalons d'une politique de plein emploi au Québec.» J'ai souligné tout à l'heure la place que devrait occuper la concertation dans un Québec en marche vers le plein emploi. n va de soi que l'un des paliers de notre organisation sociale où cette concertation doit être le plus en évidence est le milieu de travail. C'est en effet là où les travailleurs et les travailleuses gagnent leur vie - à l'usine, au bureau, dans un chantier - qu'ils doivent pouvoir s'exprimer sur toutes les questions touchant de près ou de loin leur emploi et avoir la possibilité de participer aux décisions qui concernent leur avenir. D'autre part, on ne peut convier les grands acteurs sociaux à une concertation au sommet et tenter d'en dégager des consensus, alors qu'à la base on continuerait d'être à couteaux tirés. Il faut donc reproduire au niveau de l'entreprise ou du service public la concertation qui se fera à d'autres paliers, comme ceux de la région, de l'industrie ou de l'ensemble du Québec. n s'agit, en somme, de susciter, dans le cadre du milieu de travail, le même type de dialogue, sur les mêmes grands sujets, et dans le même climat de confiance, que ce qui se fait déjà, par exemple, au sein du Forum pour l'emploi. Serait donc inscrit à l'ordre du jour des discussions tout ce qui touche à la santé économique de l'entreprise ou à la qualité du service public, ainsi qu'au développement des ressources humaines, et qui n'est pas couvert par la convention collective. Sans vouloir être exhaustif, des questions comme la compétitivité, le développement de nouveaux marchés ou l'amélioration des services, la formation professionnelle, la protection des emplois, les nouvelles technologies, la productivité, les prévisions de la main-d'oeuvre, la place des jeunes ou la recherche, pourraient être abordées. Troisième proposition. Accès à la syndicalisation. «Que ce vingt-deuxième congrès presse le gouvernement du Québec de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour que le droit à la syndicalisation devienne une réalité accessible à tous les travailleurs et à toutes les travailleuses du Québec sans exception. «Qu'à cette fin, il presse le gouvernement du Québec: 1- de relancer la mise sur pied d'une véritable Commission des relations de travail; 2- de confier au Conseil consultatif de la main-d'oeuvre le mandat de réviser d'urgence les lois du travail et les mesures administratives qui briment le droit d'association.» Même si le mouvement syndical se porte bien au Québec et qu'il continue d'exercer un fort attrait sur les travailleurs et sur les travailleuses, il reste qu'un peu plus de la moitié de la main-d'oeuvre salariée n'en fait pas partie. Les gains que nous faisons sur le plan du recrutement ne parviennent pas à entamer de façon significative la masse de ces travailleurs et de ces travailleuses non syndiqués. Sans prétendre que le désir de se syndiquer soit unanime au sein de la population, il est indéniable qu'un nombre très élevé de personnes, dans tous les secteurs de l'économie, voudraient effectivement joindre nos rangs mais en sont, dans les faits, absolument incapables. Notre expérience de tous les jours nous en apporte la preuve. Nous savons que, dans une large mesure, cette situation découle directement des lacunes de la législation du travail. n faudra donc intensifier nos pressions sur le gouvernement pour qu'il apporte au plus tôt les modifications qui s'imposent. J'aimerais ajouter, d'autre part, que la syndicalisation, en plus d'être un droit, m'apparaît comme une condition presqu'indispensable d'une politique de plein emploi. Chose certaine, les pays qui sont parvenus à se doter d'une telle politique ont, tous, des taux de syndicalisation beaucoup plus élevés que le nôtre, au Québec. Quatrième proposition. Relations inter-centrales. «Que ce vingt-deuxième congrès encourage la FTQ à maintenir avec nos alliés des autres centrales syndicales au Québec un dialogue soutenu et à explorer avec eux de nouvelles voies de rapprochement.» Je ne reprendrai pas ici ce que je disais il y a quelques instants à propos de la nécessité d'établir de nouvelles solidarités au sein du mouvement syndical. Nous comprenons tous, je pense, devant l'ampleur des tâches qui nous attendent au Québec - tant pour créer cette société de plein emploi dont nous rêvons, que pour bâtir ce pays qui pourra lui permettre de fleurir - nous comprenons tous que les syndicats, et en particulier les centrales, devront faire preuve d'une plus grande unité d'action. J'ajouterai simplement que les quelques pays qui nous paraissent avoir atteint un niveau souhaitable de concertation sociale, la Suède et l'Allemagne notamment, sont aussi les pays où l'unité syndicale est le plus avancée. Cinquième proposition. Participation au développement économique. «Que ce vingt-deuxième congrès invite toutes les instances de la FTQ, chacune à leur niveau: sections locales, syndicats, conseils du travail et conseils régionaux, ainsi que sa direction. à participer aux exercices de concertation économique, de façon à y promouvoir la réalisation de notre objectif du plein emploi, à réclamer auprès du gouvernement les moyens indispensables d'une participation efficace à ces exercices. «Qu'en outre, ce vingt-deuxième congrès prie tous les alliés de la FTQ de se regrouper, là où c'est possible, au sein de conseils syndicaux sectoriels, dans le but de promouvoir le développement d'une stratégie industrielle dans leur secteur d 'activité, en conformité avec les objectifs d'une politique de plein emploi.» Nous avons tous et toutes été témoins depuis quelques années, au Québec, tant dans nos syndicats qu'au niveau de la FTQ, de l'intensification du phénomène de la participation. Dans tous les domaines, que ce soit en santé et sécurité du travail, en formation professionnelle, dans des organismes régionaux de développement économique, ou dans le cadre d'un plan de relance d'une industrie, nous recevons des invitations à participer. La FTQ n'a jamais hésité à répondre favorablement à ces appels, en autant que les conditions et les modes de fonctionnement de l'opération proposée nous semblaient susceptibles de conduire à quelque résultat valable. Je suis sûr que la plupart de nos syndicats ont eu en général la même attitude. Nous y avons mis beaucoup de bonne volonté et aussi le maximum d'efforts que nos maigres ressources humaines et matérielles pouvaient permettre. Mais voilà, nous n'avons pas tardé à constater que la bonne volonté et le dévouement sans limite ne suffisent pas. Pour pouvoir participer vraiment, il faut en avoir les moyens. La participation demande des ressources, des disponibilités, de la formation, qui souvent nous font défaut. Il nous faudra donc exiger, à partir de maintenant, et c'est auprès du gouvernement que nous devrons le faire, d'être dotés des moyens nous permettant de participer avec efficacité. Et, d'autre part, entre nous, syndicats de la ~Q, il faudra inventer de nouveaux lieux de coordination, dans le but, là encore, d'accroître l'efficacité de notre action. Voilà, cela complète l'ensemble de propositions que je tenais à soumettre à ce congrès. Je pense qu'elles peuvent constituer la base d'une action visant à raffermir notre syndicalisme et à accroître son influence au sein de notre société. Tous et toutes ensemble, en tant que délégués à ce congrès, nous aurons des décisions importantes à prendre, non seulement pour que la FTQ demeure une force de proposition et de changement, mais pour qu'elle soit aussi, dès notre retour dans nos milieux de travail, une force d'entraînement et de mobilisation. Appliquons-nous dès maintenant, avec une ardeur renouvelée, à promouvoir notre projet d'une société fondée sur le plein emploi et sur l'accession du peuple du Québec à la souveraineté. Je vous souhaite à tous et à toutes un excellent congrès.