*{Banque des Règlements Internationaux, 48e Rapport Annuel, Bâle, 1995, pp.3-13, 170-177.} *{ pagination originale du document: p.3} 1. LA SITUATION DE L'ÉCONOMIE MONDIALE L'idée directrice qui apparaît tout au long du présent Rapport est que l'évolution de la conjoncture internationale au cours de l'année écoulée a été soumise à l'influence conjuguée de trois facteurs dépressifs: déséquilibre pétrolier global, déséquilibre des paiements internationaux au sein du groupe des pays industrialisés consommateurs de pétrole et persistance des perturbations inflationnistes héritées de la fin des années soixante et du début de la présente décennie. Tous ces facteurs ont exercé une influence restrictive sur les politiques économiques, tandis que le climat d'incertitude qu'ils ont engendré a pesé sur les décisions des chefs d'entreprise, voire sur le comportement des consommateurs. Il en est résulté un nouveau ralentissement de l'expansion du commerce et de la production dans le monde. Il apparaît en outre tout à fait possible que, dans certains grands pays industrialisés, l'essoufflement actuel de la croissance soit dû à d'autres facteurs, de nature plus structurelle; toutefois, en raison de la faiblesse de l'économie mondiale, il est malaisé de les identifier et, partant, de concevoir les thérapeutiques appropriées. Si l'on considère que l'excédent pétrolier global s'est en fait contracté et que maints pays sont parvenus à améliorer la situation de leur balance des paiements et à -réduire l'inflation, ce diagnostic sur l'état de santé actuel de l'économie mondiale peut sembler quelque peu paradoxal. Une analyse plus fouillée infirme cependant une telle impression. En effet, il existe une interaction entre la contraction de l'excédent pétrolier, l'amélioration de la situation des balances de paiements clé beaucoup de pays, la modération de l'inflation et la médiocrité de la croissance dans tous les grands pays, à l'exception des États-unis. D'une part, alors que les déficits extérieurs, effectifs ou potentiels, ont entravé l'expansion dans un certain nombre de pays, la persistance de la hausse des coûts de production et le souvenir des récents excès inflationnistes ont exercé un effet de freinage sur le développement de la demande interne de tous les pays - y compris ceux qui ont enregistré des excédents de paiements courants. D'autre part, le ralentissement de la croissance qui en est résulté a aidé à comprimer l'excédent pétrolier global, en même temps qu'il permettait a de nombreux pays d'opérer un ajustement efficace de leur balance des paiements et contribuait à faire baisser les taux d'inflation. Mais que se passerait-il si l'économie mondiale venait à retrouver Lin rythme de croissance plus soutenue et titi niveau de l'emploi plus élevé ? Contraintes exercées par sur l'expansion interne. En ce qui concerne, tout d'abord, la question des les balances de paiements, on ne peut manquer d'être frappé par le nombre de pays dont la politique économique récente a été dominée par le désir de réaliser un ajustement - et les résultats obtenus à cet égard ne sont pas moins spectaculaires. Ces pays peuvent être répartis en quatre groupes. En premier lieu, les trois grands pays déficitaires européens du Groupe des Dix, dont le solde négatif global des paiements courants était de $11 milliards en 1976, ont connu une situation pratiquement équilibrée sur l'ensemble de l'année 1977, et ont même dégagé un excédent au second semestre. Par ailleurs, quatre autres pays développés ont réussi à ramener le déficit cumulé de leurs balances courantes de $8,5 milliards en 1976 à $2 milliards en 1977. *{ pagination originale du document: p.4} En outre, au cours de la même période, le solde déficitaire combiné de neuf pays en voie de développement taux de croissance élevé a fléchi de $11 milliards à $6,5 milliards; cette amélioration apparaîtrait encore plus spectaculaire si l'on prenait comme référence les déficits bien plus lourds observés en 1974 et en 1975. Enfin, le déficit des échanges commerciaux des pays socialistes d'Europe de l'Est s'est contracté, passant de $7 milliards à $3 milliards. Le redressement des positions extérieures de ces quatre groupes de pays se chiffre ainsi au total à plus de $24 milliards. Hormis le cas d'un petit nombre de pays qui ont bénéficié d'un relèvement des prix à l'exportation, ces succès remportés dans l'ajustement des comptes extérieurs ont été obtenus par le biais d'une gestion restrictive de la demande. La vigueur de cette politique économique et le dosage de ses divers éléments ont varié d'un pays à l'autre, mais les autorités ont en général recouru à des mesures de caractère monétaire et budgétaire et, dans certains cas, à une politique des revenus. Il est intéressant de noter que les gouvernements n'ont pas tous été contraints (et peut-être même pas la majorité d'entre eux) d'effectuer ces ajustements par manque de capitaux pour financer leur balance des paiements. L'offre de fonds par le canal du système bancaire international est demeurée abondante, et bon nombre de pays de ces groupes auraient pu différer l'ajustement de leurs comptes extérieurs ou l'étaler sur une période plus longue. *{ pagination originale du document: p.5} Le fait qu'ils n'ont pas agi de la sorte donne à penser que leur souci majeur était de lutter contre l'inflation interne et d'éviter de contracter un endettement extérieur par trop pesant, susceptible de leur poser des problèmes de financement à plus long terme. Les autorités ont préféré réagir sur le champ aux contraintes imposées par les déséquilibres intérieurs et extérieurs plutôt que d'attendre que des difficultés de financement ne surgissent. Autre fait frappant: les positions extérieures se sont révélées très sensibles aux variations de la demande interne. La demande de produits importés a fait preuve d'une très grande élasticité par rapport au revenu, même dans les économies où le taux de change réel ne s'est pas déprécié. Ce phénomène s'est traduit en pratique par une forte impulsion déflationniste qui s'est diffusée au reste du monde sous la forme d'un tassement, voire d'un fléchissement en valeur absolue, du volume des importations. Dans certains cas, les exportations ont également enregistré des résultats supérieurs à la moyenne. Ce sens des responsabilités dont ont fait preuve maints pays déficitaires constitue une évolution encourageante. La satisfaction aurait pu être encore plus grande si l'influence dépressive que ces attitudes ont exercée sur les échanges mondiaux avait été compensée de façon adéquate par des forces expansionnistes émanant d'autres sources. Mais il n'en a rien été. L'excédent pétrolier global a reculé, mais dans une proportion insuffisante; l'excédent courant cumulé des pays industrialisés à monnaie forte s'est même accru; enfin, l'incidence compensatrice la plus forte a été fournie, soit par des pays développés moins importants ou des pays en voie de développement, qui n'étaient guère en mesure de jouer un rôle de "locomotive ", soit par les États-unis, où l'accroissement rapide du déficit courant a créé autant de problèmes qu'il a contribué à en résoudre. Absence de toute stimulation nette de la part des pays excédentaires. Le groupe constitué par l'ensemble des pays excédentaires "traditionnels" - exportateurs de pétrole, Allemagne fédérale, Suisse et ' lapon - n'a pas exercé de stimulation nette sur l'activité économique dans le reste du monde. En effet, l'excédent global de leurs transactions courantes s'est très faiblement accru, passant de $51 milliards en 1976 à $52,5 milliards en 1977. Considérons tout d'abord les pays exportateurs de pétrole; on constate, certes, que l'excédent global de leurs transactions courantes est revenu de $40 milliards en 1976 à $34 milliards en 1977 et l'examen des chiffres trimestriels révèle l'existence d'une tendance à la baisse tout au long de l'année dernière. Aussi est-il fort possible qu'en 1978 le surplus n'atteigne en définitive qu'un tiers du maximum enregistré en 1974. Nul doute que ce fléchissement ne soit dû à un effort véritable et important d'adaptation au relèvement du prix du pétrole de fin 1973. L'ajustement s'est opéré de trois façons: réduction de la consommation de pétrole par unité de produit national brut dans beaucoup de grands pays industriels, davantage par le recours à d'autres sources que par une compression des dépenses énergétiques globales; diminution du prix réel du pétrole depuis 1974; enfin, absorption notable par les producteurs de pétrole e biens et de services importés. *{ pagination originale du document: p.6} Cette évolution rassurante masque cependant deux faits oui ne laissent d'inquiéter. D'abord le taux, d'expansion du volume des achats à l'étranger des pays exportateurs de pétrole ne cesse de se ralentir: très élevé en 1975, avec plus de 40%, ce taux est tombé à moins de 25% en l976 et probablement aux alentours de l5% en 1977. Cette tendance au fléchissement illustre, d'une part, les difficultés rencontrées par les pays "à faible capacité d'absorption " sur le plan social et technique ainsi qu'au niveau de l'organisation pour soutenir une forte progression des importations; elle reflète, d'autre part, le désir des pays "à forte capacité d'absorption" de maintenir le rythme d'expansion de leur économie à l'intérieur de limites supportables et moins inflationnistes, ainsi que la préoccupation suscitée chez certains d'entre eux par la détérioration de leur position extérieure. Le second fait est que, en dépit de la stagnation de l'activité économique mondiale, la valeur des exportations de pétrole a augmenté d'environ 10%; à noter toutefois due cette amélioration est due presque exclusivement à la hausse des prix du brut plutôt qu'à un accroissement sensible du volume des ventes. Si 'l'on tient compte de ces deux faits, rien n'interdit de penser que, dans l'hypothèse d'une croissance plus satisfaisante de l'économie mondiale, l'excédent pétrolier pourrait fort bien s'accroître à nouveau - perspective qui, en soi, rend cette hypothèse peu probable. Seules des économies de pétrole supplémentaires pourraient permettre de sortir de ce dilemme. Les pays industriels qui ont déjà obtenu de bons résultats dans la réduction de leur consommation de pétrole seront-ils capables de poursuivre dans cette voie? D'autre part, les États-unis - qui, parmi les grands pays industriels, ont le moins bien réussi à réduire de façon substantielle la consommation de pétrole par unité de produit national brut - seront-ils en mesure de suivre l'exemple des autres pays ? Tout aussi inquiétante est la persistance tenace d'excédents courants en République fédérale d'Allemagne et en Suisse et, davantage encore, l'accroissement de l'excédent des transactions courantes du japon, qui est passé de $3,7 milliards en 1976 à $11 milliards en 1977. En termes réels, les importations de biens et de services de l'Allemagne ont progressé de 4,2% d'une année -a l'autre, c'est-à-dire au même rythme que les exportations. L'incidence de l'évolution des échanges commerciaux allemands sur le reste du monde a donc été neutre: elle n'a ni accentué, ni compensé, l'impact des éléments dépressifs émanant d'autres sources. *{ pagination originale du document: p.7} En revanche, le volume des importations japonaises de biens et de services n'a augmenté que de 2%, alors que les ventes à l'étranger se sont développées à raison de 10,4%. Le japon a donc exercé un effet de contraction net sur l'activité mondiale; cette constatation vaut non seulement pour l'année dernière, mais aussi pour l'ensemble de la période 1974-77, tandis que l'effet net de l'évolution en Allemagne fédérale, dans cette perspective à plus long terme, a été expansionniste. La persistance d'excédents courants en Allemagne et en Suisse et la forte augmentation du surplus japonais sont d'autant plus étonnantes que ces trois pays ont connu une vive appréciation du cours de change effectif de leur monnaie. Si, dans chaque cas, cette valorisation s'est produite en grande partie tout récemment - entre septembre 1977 et fin mars 1978 - c'est beaucoup plus tôt que les cours de change effectifs du deutsche mark et du franc suisse ont commencé à se raffermir très sensiblement. Pour plusieurs raisons, l'appréciation du cours de change n'a apparemment guère modifié la situation des transactions courantes de ces pays. Les fortes hausses récentes des taux de change ont probablement exercé un vigoureux effet pervers (courbe en J); de plus, l'exécution de certaines transactions a sans doute été avancée du fait d'anticipations concernant les marchés des changes. Sur une période plus longue, les résultats supérieurs à la moyenne obtenus par l'Allemagne et la Suisse dans leur lutte contre l'inflation signifient que les taux de change réels de leur monnaie ont augmenté beaucoup moins que les taux nominaux - voire qu'ils n'ont pas progressé du tout pendant certaines périodes. Enfin, la demande interne est demeurée constamment atone l'année dernière en Allemagne et au Japon. Ce facteur, générateur l'excédents, s'est révélé aussi actif dans les pays à monnaie forte que l'incidence exercée dans les autres pays par des politiques restreignant délibérément la demande. Influence dépressive de l'inflation et des problèmes structurels. Les raisons de l'insuffisance du développement de la demande interne dans les pays (lui, précisément, n'étaient pas contraints d'adopter des politiques restrictives pour des raisons externes il s'agit surtout, mais pas exclusivement, du japon et de l'Allemagne -- sont assez complexes. L'explication la plus plausible est fournie Par l'effet de freinage qu'exercent sur la dépense globale l'expérience de l'inflation passée et la crainte de son retour. Il n'est pour s'en convaincre que d'examiner le comportement tant des entreprises que des pouvoirs publics. Si le redressement de l'activité économique n'a pu se poursuivre sur sa lancée, l'une des principales raisons en est que l'investissement du secteur privé n'a pas réagi Comme il convenait au mouvement de reprise conjoncturelle. Selon toute probabilité, l'attitude prudente des milieux industriels a été motivée non seulement par l'existence de capacités de production excédentaires, mais également par le souvenir de la surchauffe inflationniste du début des années soixante-dix, au terme de laquelle les profits ont été écrasés sous l'effet de l'alourdissement des coûts de la main-d'ouvre, des matières premières, de l'énergie et du financement, ainsi que par l'effondrement des marchés. Des événements plus récents ont apparemment justifié cette circonspection puisque les profits ont de nouveau été laminés par la hausse des coûts unitaires de main-d'ouvre et l'appréciation des monnaies. *{ pagination originale du document: p.8} Quant au secteur public, son effet expansionniste sur la demande globale a bien souvent diminué, et cela pour plusieurs motifs: effet automatique de l'inflation sur la pression fiscale; réticence à accroître les dépenses publiques, dont la part dans l'économie était déjà jugée excessive; volonté, de la part des gouvernements, de respecter leur engagement de limiter ou de réduire le déficit du secteur public, que l'opinion, avertie par les expériences antérieures, en est venue à associer au risque de voir resurgir l'inflation. Ou plus simplement, disons que le niveau fort élevé des dépenses et des déficits du secteur public a limité les possibilités d'intensifier les politiques budgétaires expansionnistes, alors que le souvenir d'un taux d'inflation à deux chiffres était encore bien présent dans les mémoires. Au premier abord, les raisons de cette préoccupation constante que suscite l'inflation peuvent paraître difficiles à comprendre. La hausse des prix ne s'est-elle pas ralentie dans un grand nombre de pays, tant développés qu'en voie de développement Le fait n'est certes pas contestable. -mais il est tout aussi certain que les circonstances qui semblent avoir été à l'origine de ce ralentissement peuvent n'être que passagères ou ne pas jouer en faveur de tous les pays en même temps. En fait, un examen plus attentif révèle clairement que les taux d'inflation n'ont reculé qu'en présence de deux types de situations - ou d'une heureuse combinaison des deux. Ce recul a eu lieu dans les pays qui ont maintenu, par l'application de politiques délibérément restrictives, une importante marge de capacités inutilisées dans leur économie. Il s'est également produit là où le taux de change effectif s'est apprécié - soit parce que les efforts d'ajustement plus récents de l'économie interne ont été couronnés de succès, soit parce qu'il existe une tradition plus ancienne de politique anti-inflationniste. Il est frappant - et en même temps inquiétant - de constater que le seul pays qui ait rétabli une situation de quasi-stabilité de ses prix de détail, à savoir la Suisse, n'y, est parvenu qu'au moyen d'une appréciation effective de plus d'un tiers de sa monnaie au cours des trois dernières années et parce que le niveau actuel du volume de production reste bien inférieur au maximum atteint avant la récession. Sans la rigidité excessive à la baisse des prix de détail, ces deux facteurs réunis auraient engendré une baisse effective des prix. L'Allemagne constitue un cas du même genre: le rythme de hausse des prix de détail s'y maintient toujours aux environs de 3%, malgré l'appréciation de 25%, entre la fin de 1975 et les derniers jours de mars 1978, du taux de change effectif du deutsche mark et une décélération de la croissance en 1977, qui a porté le chômage à un niveau élevé pour la période de l'après-guerre. À l'opposé, l'expérience des États-unis illustre parfaitement l'inquiétude que suscite l'inflation dans l'opinion publique. Parmi les grands pays industriels, seuls les États-unis sont parvenus à maintenir un taux d'expansion satisfaisant de l'activité économique au cours de l'année passée; or, parallèlement, le taux de change effectif du dollar s'est déprécié, cependant que le rythme de l'inflation interne s'accélérait quelque peu. On peut, semble-t-il, en conclure que, même si elles sont masquées par la présente "récession de croissance" ou par l'appréciation des taux de change, l'inflation et les anticipations inflationnistes restent très vivaces dans les pays industriels du monde occidental - et à plus forte raison, d'ailleurs, dans de nombreux pays en vole de développement. Bien que ce phénomène ne soit généralement pas la conséquence d'une demande excessive, mais reflète plutôt la persistance de la spirale des coûts et des prix, il n'en continue Pas moins de peser sur les décisions des secteurs public et privé en matière, de dépenses. *{ pagination originale du document: p.9} Certains signes indiquent toutefois que l'inflation, ou la crainte de l'accentuer, n'est peut-être pas la seule cause du ralentissement de la croissance économique dans certains grands pays industriels. Il est possible que, indépendamment de la faiblesse de la demande à l'échelle mondiale, cette croissance ait subi une rupture de tendance à long terme. Nombre de raisons militent en faveur de cette hypothèse. La part du profit dans le revenu national s'est réduite, et, dans plusieurs pays, ce mouvement de recul a commencé avant la récession. Le volume des dépenses en capital fixe n'augmente plus depuis plusieurs années. D'importantes capacités excédentaires sont apparues dans certaines branches d'activité - sidérurgie, construction navale, industrie textile, fibres artificielles, certaines industries pétrochimiques de base, etc. - soit en raison des phases d'expansion synchronisée des investissements survenues précédemment, soit en raison des succès remportés en matière d'industrialisation par un certain nombre de pays en voie de développement. Même les innovations dans le domaine technologique, qui s'orientent maintenant vers l'automatisation et les économies de main-d'ouvre, semblent d'une tout autre nature que celles qui conduisirent, dans le passé, à l'essor des investissements dans les industries électrique, automobile ou pétrochimique. De telles inadaptations donnent à penser que, après plusieurs décennies de croissance rapide pratiquement ininterrompue, on risque fort de se trouver en présence d'un ralentissement du type mis en évidence dans le "cycle de Kondratieff ". Étant donné toutefois le degré de sous-emploi de l'économie mondiale, il est excessivement difficile de juger si ces développements revêtent un caractère vraiment structurel. A l'évidence, certains d'entre eux sont simplement attribuables au fait que l'économie mondiale, particulièrement dans les pays industrialisés du monde occidental, fonctionne nettement en deçà du taux optimal d'utilisation de ses capacités; des problèmes essentiellement conjoncturels peuvent facilement passer pour structurels en pareille circonstance. Mais tant de signes laissent présumer l'existence de déséquilibres réellement fondamentaux que les responsables de la politique seraient mal avisés de ne pas en tenir compte et de s'efforcer de retrouver des taux de croissance comparables à ceux des années soixante. Une série de problèmes structurels d'une nature particulière semblent se poser à l'Allemagne et au Japon, où la croissance a constamment été induite par les exportations depuis le début des années cinquante; aussi les investissements industriels dans ces deux pays sont-ils étroitement tributaires des perspectives d'exportation. Sous l'effet conjugué de la décélération du taux d'accroissement des échanges mondiaux, de l'application de politiques restrictives de la demande par nombre de leurs clients traditionnels, de l'apparition du protectionnisme ainsi que du l'appréciation de leur monnaie, la reprise des investissements industriels dans ces deux pays s'est trouvée entravée. [,',adoption d'un nouveau type de croissance, fondée sur l'expansion de la demande interne, nécessite inévitablement beaucoup de temps. Facteurs d'expansion. Un certain nombre de pays ont sans conteste exercé une influence expansionniste sur l'économie mondiale 1 1 année dernière. Parmi les pays développés extérieurs au Groupe des Dix, cinq ont enregistré un accroissement de leur déficit global des paiements courants, qui est passé de $8,5 milliards en 19-0 à $15,8 milliards en 1977 ; de même, les pays en -voie de développement non producteurs de pétrole qui ne figurent pas dans le tableau de la page 4 ont vu également leur déficit courant s'accroître très légèrement. *{ pagination originale du document: p.10} Le principal élément de soutien de l'activité, l'année dernière, a toutefois été fourni par les États-unis, qui ont été les seuls parmi les grands pays développés à connaître un rythme d'expansion assez rapide, voisin de celui qui caractérise une reprise conjoncturelle classique. Cette évolution s'est accompagnée d'une élévation sensible du niveau de l'emploi et d'une réduction appréciable du chômage, cependant que la vive progression des bénéfices a permis d'obtenir une expansion satisfaisante des investissements. De ce fait, les importations américaines de biens et de services se sont accrues en l977 de 10,3% en valeur réelle par rapport à 1976, alors que les exportations ont Progressé de moins de 2%. Aussi la balance des paiements courants s'est-elle considérablement détériorée: de $l,4 milliards en 1976, le déficit est monté à $20,2 milliards en 1977. Entre 1975 et 1977, la dégradation de la balance américaine des paiements courants est encore plus prononcée puisqu'elle s'élève à $31,8 milliards. Pour deux raisons, cependant, l'incidence positive des États-unis sur La conjoncture internationale n'a peut-être pas été aussi forte que le laisseraient supposer ces chiffres globaux très élevés. La première, qui a déjà été mentionnée dans les commentaires sur la consommation de pétrole par unité de produit national brut, est que l'accroissement des importations américaines de biens et de services est dû, pour une large part, à une forte progression des achats de pétrole. Ce type de transactions lie pouvait guère relancer l'activité économique mondiale, puisque la capacité d'importation de la plupart des pays producteurs de pétrole se trouvait d'ores et déjà limitée pour des motifs qui ne sont pas liés aux recettes qu'ils tirent à présent des exportations. Au contraire, la forte demande américaine de pétrole peut avoir contribué au relèvement du prix de ce produit l'an passé et aggravé ainsi de manière indirecte les déficits pétroliers des autres pays importateurs de pétrole. La seconde restriction tient aux effets perturbateurs exercés sur les taux de change par le déficit considérable de la balance américaine des paiements courants. Certes, la dépréciation du dollar et l'appréciation des devises fortes ont été engendrées à la fois par le déficit américain et par les excédents des pays à monnaie forte, et ces deux évolutions ne peuvent donc pas être imputées en toute logique à un seul déséquilibre; mais il est possible que le déficit américain ait accentué l'appréciation effective des monnaies fortes par le biais des sorties autonomes de capitaux des États-unis en 19777 et pendant les premiers mois de 1978, qui sont venues renforcer l'incidence de la balance des paiements courants sur les taux de change. L'afflux correspond3nt de fonds spéculatifs en Allemagne, en Suisse et au japon a vraisemblablement porté le cours de ces monnaies au-delà du niveau qu'elles auraient atteint en tout état de cause, sous l'effet de leurs propres excédents, si les déficits enregistrés en contrepartie avaient été répartis de façon plus uniforme dans le reste du monde. Étant donné que les industries allemande et japonaise sont, comme indiqué précédemment, structurellement tournées vers l'exportation, cette revalorisation supplémentaire du deutsche mark - et du yen a encore dissuadé un peu plus les entreprises industrielles de ces deux pays de réaliser des investissements sur place et peut avoir retardé davantage la reprise tant espérée dans leurs économies nationales. *{ pagination originale du document: p.11} Enfin, le climat d'incertitude créé par les fluctuations prononcées des monnaies a certainement eu pour effet de freiner la croissance, non seulement dans les pays dont la monnaie s'appréciait, mais également à l'échelle mondiale. Asymétrie du processus d'ajustement. En résumé, ce rapide tour d'horizon montre que les politiques d'ajustement appliquées l'an passé ont en définitive exercé un effet dépressif net sur l'activité économique dans le monde, et ce pour deux raisons évidentes. En premier lieu, le déséquilibre pétrolier, même s'il se réduit, n'a pas disparu: la somme des déficits courants a donc été plus élevée que le total des excédents ajustables. En second lieu, la demande interne ne s'est pas développée de façon suffisamment dynamique dans les pays excédentaires, parce que l'accroissement des dépenses publiques et privées a été entravé par le souvenir des périodes d'inflation, la hausse actuelle des coûts et des prix ou des distorsions structurelles. *{ pagination originale du document: p.13} Un grand nombre de pays importants, tant industrialisés qu'en développement, sont parvenus à redresser la situation de leurs comptes extérieurs et sont maintenant en mesure d'assouplir l'orientation restrictive de leur politique économique. Leur tâche en sera d'autant facilitée qu'ils ont réussi, pour la plupart, à reconstituer leurs réserves extérieures et que les marchés internationaux des capitaux et du crédit demeurent liquides. Les chiffres relatifs aux variations de la consommation de pétrole par unité de produit national brut indiquent saris conteste que, sous une forme ou sous une autre, un ajustement réel à la hausse du prix du pétrole a déjà eu lieu, ce qui donne à penser que de nouveaux progrès pourront être réalisés. Bien entendu, ces espoirs reposent en grande partie sur l'hypothèse que les responsables des politiques économiques sauront faire face aux tâches décisives qui les attendent: coordonner efficacement leurs actions en vue d'inverser le sens des forces dépressives qui influencent l'économie mondiale. Certains de ces problèmes de politique économique sont examinés dans la conclusion du présent Rapport. *{ pagination originale du document: p.170} CONCLUSION. L'affaiblissement de l'activité économique dans le monde au cours de l'année écoulée a généralement surpris les observateurs. Existe-t-il un risque de voir l'évolution du commerce et (Je la production se poursuivre à un rythme aussi peu satisfaisant. Comment, dans ce cas, intervenir sans attiser l'inflation ? À l'évidence, un certain nombre de facteurs dépressifs influencent toujours l'économique mondiale. Ce sont les mêmes qui, l'an dernier, on fait pencher la balance vers un ralentissement du la croissance, Tout au moins hors des États-unis: l'excédent pétrolier, en diminution certes, mais toujours élevé; les déséquilibres des paiements entre les industriels avec, pour corollaire, les remous sur les marchés des changes; l'inflation persistante des coûts et des prix; enfin, des problèmes structurels dans certains pays industrialisés hautement développés dont l'activité est tournée vers l'exportation. En revanche, les forces qui pourraient relancer l'expansion semblent s'être raffermies. De nombreux pays, tant en Europe occidentale que parmi les nations en voie de développement, sont parvenus redresser sensiblement leur balance des paiements et t renforcer leurs réserves extérieures. Aucun indice de raréfaction des ressources destinées au financement des balances de paiements ne se manifeste. Au Japon et en Allemagne, on prend de plus en plus conscience de l'importance que revêt une croissance saine et soutenue de la demande interne, tant pour leur propre économie qu'à l'égard du reste du monde. Et l'on s'attend, aux États-unis à une poursuite de l'expansion, à un r1thme probablement ralenti, il est vrai. Il est donc peu vraisemblable, tout compte fait, que les influences dépressives Se révèlent suffisamment fortes pour plonger l'économie mondiale davantage dans la récession. Mais il semble tout aussi improbable que l'activité économique puisse retrouver un r7thme de croissance satisfaisant si elle ne bénéc1e pas d'une nouvelle dose de stimulants, qui devraient lui être administrés en tenant dûment compte des déséquilibres relatifs des paiements et de la nécessité de poursuivre la lutte contre l'inflation. Si aucun changement n'intervient dans les politiques suivies présentement, il a de fortes chances que l'activité économique et le commerce mondial continuent de se développer à une allure fort réduite. Bien qu'un tel développement puisse difficilement être qualifié de crise mondiale, ou être comparé à la dépression des années trente, il comporterait certaines implications lourdes de conséquences aussi bien pour le monde industrialisé que pour les pays en voie de développement. L'une d'elles serait, sans conteste, la persistance généralisée de taux de chômage élevés, surtout si, par suite des hausses continues de Salaires réels, les politiques d'investissement restaient fortement orientées vers des économies de main-d'ouvre. En pareil cas, les progrès de la productivité du travail pourraient égaler, voire dépasser, ceux de la production. En second lieu, le processus normal de transfert permanent des ressources productives - facteur entreprise, main-d'ouvre et capital - des secteurs en perte de vitesse vers les activités en expansion, bien loin de s'accélérer, risquerait en fait de se ralentir. *{ pagination originale du document: p.171} En effet, pour des raisons complémentaires, la stagnation de l'activité économique rendrait difficile la recherche d'une solution aux problèmes structurels, en ce qui concerne en particulier les problèmes nés des progrès de l'industrialisation dans certains pays en voie de développement. La première de ces raisons est que, dans une économi. e à croissance ralentie, il est malaisé de mesurer la part des capacités excédentaires résultant des modifications permanentes des avantages comparés et la part due simplement à la quasi-stagnation de l'activité. Aussi les pouvoirs publics seraient-ils davantage tentés d'accorder une protection douanière et une assistance financière, non seulement aux activités dont la "retraite anticipée " mérite d'être réalisée de manière ordonnée, mais également à certaines industries de croissance véritable, qui devraient pouvoir se tirer d'affaire toutes seules, La seconde raison est que maints chefs d'entreprise, paralysés par les incertitudes générales qui accompagnent une croissance indécise, hésiteraient à investir massivement dans des secteurs dont l'avenir pourrait être prometteur. Les changements de structure souhaitables seraient ainsi différés. De la main-d'ouvre et du capital se trouveraient immobilisés dans les entreprises en déclin qui réalisent des investissements défensifs sous le couvert d'un protectionnisme envahissant, sans qu'en compensation une évolution suffisamment dynamique se produise par ailleurs. En troisième lieu, Il faut probablement se rendre à l'évidence qu'une économie en semi-stagnation n'apporterait guère de contribution efficace à la lutte contre la spirale des coûts et des prix. Certes, le maintien de capacités excédentaires et la persistance du chômage éviteraient la résur1gerice de l'inflation par la demande. Il. est tout aussi vrai que, comme le souvenir de périodes prolongées de suremploi et d'inflation virulente demeure bien présent dans les esprits, ce serait une erreur de vouloir parvenir à un degré d'utilisation des ressources comparable à celui de l'âge d'or des années soixante. Mais on peut également penser que, après avoir recueilli les fruits de plusieurs décennies de croissance rapide et régulière, les agents économiques ne se contenteront vraisemblablement pas de menus accroissements de leurs revenus réels eu moins encore une stagnation de leurs gains. Des groupes de pressions efforceraient de s'approprier une part sans cesse plus importante d'un gâteau qui aurait cessé de s'agrandir. Il pourrait en résulter une pression continue à la hausse sur les salaires, les coûts et les prix; devant la persistance du chômage, les pouvoirs publics auraient alors fort à faire pour ne pas entériner ce mouvement. Les gouvernements n'auraient-ils pas plus de chances de freiner l'inflation, voire de la réduire, s'ils s'attachaient à satisfaire le désir d'amélioration du niveau de vie à un rythme acceptable de croissance réelle ? Enfin, la stagnation de la production dans le monde industrialisé aurait immanquablement des répercussions néfastes sur les pays en voie de développement. Au sein de ce groupe, ceux qui sont le plus lourdement endettés et oui ont réussi à ramener leur déficit des paiements courants à un niveau supportable risqueraient d'assister à l'anéantissement de ces efforts, tandis que les autres verraient leurs chances de développement économique sérieusement compromises. Cette évolution pourrait exercer à son tour des effets préjudiciables sur le monde occidental industrialisé, en général, et sur son système bancaire, fortement impliqué dans le financement des balances de paiements, en particulier. *{ pagination originale du document: p.172} Sur le plan international, on peut donc en conclure qu'il serait erroné de se résigner a une perspective de croissance médiocre. Les conséquences que risque d'entraîner une quasi-stagnation sont suffisamment sérieuses pour justifier un effort concerté à l'échelle internationale, visant à ramener l'économie mondiale sur la voie d'une une expansion plus satisfaisante. À n'en pas douter, même en présence du plus heureux concours de circonstances favorables et de politiques avisées, les pays industrialisés du monde occidental seraient incapables de retrouver le rythme de progression qui fut le leur jusqu'en 1973. La poursuite d'objectifs ambitieux en matière d'expansion serait vouée à l'échec par 1'ammenuisement du potentiel productif résultant de la faiblesse prolongée de l'investissement - pareil dessein serait en outre dangereux, car rien n'est Plus facile que de ranimer l'inflation induite par la demande. Mais il existe certainement une voie médiane entre la progression probablement très lente que laisse présumer l'évolution actuelle et les risques inhérents à des objectifs de croissance irréalistes. Les recommandations de politique économique qui s inspirent de l'analyse des facteurs dépressifs qui sont à l'origine du ralentissement actuel du développement du commerce et de la production dans le monde. Il s'agit tout d'abord de l'excédent pétrolier. Bien qu'il se soit contracté à un rythme très rapide durant l'année passée, la réduction obtenue n'est n'est pas entièrement le fruit d'un véritable ajustement; elle s'explique en partie par le rythme d'expansion trop lent de l'économie mondiale. en d'autres termes, faute d'un nouvel et important effort d'ajustement réel, toute reprise de l'activité économique se trouverait à nouveau contrecarrée par un accroissement du déséquilibre pétrolier. L'expérience a clairement montré que le recyclage de l'excédent, pour nécessaire qui soit, n'en demeure pas moins un palliatif; c'est le déséquilibre lui-même qui exerce une influence dépressive sur 1'.activité économique. La réalisation de l'une des conditions de l'ajustement réel - l'absorption de biens et de services par les pays producteurs de pétrole devra être étalée sur une période assez longue. La charge d'un nouvel effort clans ce domaine devra donc être supportée par les pays consommateurs de pétrole, qui n'ont guère d'autre choix que de réduire le montant total de leur facture pétrolière. Pour ce faire, point n'est besoin de recourir exclusivement à des mesures visant à diminuer la consommation énergétique globale; ce résultat peut en effet être obtenu en substituant d'autres formes d'énergie au pétrole, ou, dans certains pays, en développant la production pétrolière nationale. Le deuxième élément dépressif important est le déséquilibre des balances de Unis, paiements tu sein des pays industrialisés - plus spécialement entre les États-unis, d'une part, et le japon, l'Allemagne et la Suisse, de l'autre. Ce déséquilibre a engendré des modifications excessives des taux de change, qui ont accéléré la hausse des prix aux États-unis et mis en péril les investissements et la reprise dans les pays dont les monnaies s'appréciaient. Qui plus est, l'intensité de ces variations, ainsi que le dérèglement des marchés où elles se sont produites, ont porté un nouveau coup à la confiance des chefs d'entreprise., qui avait déjà été fortement ébranlée. La réduction de ce déséquilibre requiert des mesures d'ajustement, tant de la part des États-unis que des pays excédentaires. Ce serait toutefois manquer de réalisme et faire courir des risques à l'économie mondiale que de recommander aux États-unis de soumettre leur économie à une cure générale d'austérité et, inversement, de prôner pour l'Allemagne et le Japon une relance vigoureuse dans tous les secteurs de l'activité interne. *{ pagination originale du document: p.173} Le caractère irréaliste d'une telle proposition tient au fait qu'aucun de ces pays rie paraît disposé à subordonner ses objectifs de politique intérieure à des considérations de balance des paiements: les États-unis ne freineront pas 'leur croissance s'ils n'y sont pas contraints pour des raisons impératives d'équilibre interne; de même l'Allemagne et le japon ne prendront pas de mesures de relance qui, à leurs yeux, risqueraient de raviver l'inflation. -mais semblable recommandation constituerait également un risque pour l'économie mondiale. Parmi les grands pays industriels, seuls les États-unis connaissent un régime satisfaisant de croissance spontanée, alors que le japon comme l'Allemagne ont toutes les peines du monde à amorcer un mouvement de reprise autonome de la demande interne. Cette divergence est illustrée de façon saisissante par le niveau comparativement beaucoup plus élevé du déficit du secteur public en Allemagne et au Japon qu'aux États-unis. L'enseignement pratique de ce qui précède est que, bien qu'une accélération de l'expansion interne dans les pays excédentaires soit à coup sûr la bienvenue, l'incertitude subsiste néanmoins quant à l'ampleur que revêtira en fait ce mouvement. Aussi longtemps que ce doute demeurera, le reste du monde rie désirera guère voir les États-unis s'efforcer de freiner la demande intérieure plus qu'il n'est vraiment nécessaire pour contenir l'évolution des prix et des salaires dans la phase actuelle d'une reprise conjoncturelle déjà bien avancée. Il importe donc d'autant plus que les États-unis s'efforcent avant tout de réduire leurs importations de pétrole. Qu'un tel résultat soit à la portée de l'économie américaine est clairement démontré par la forte diminution de la consommation de pétrole par unité, de produit national brut constatée dans certains autres grands pays industrialisés. Il n'en est pas moins certain qu'un redressement durable du commerce et de la production dans le monde ne peut erre réalisé que si certains autres pays reprennent progressivement le rôle de moteur de l'expansion assumé par l'économie américaine. En principe, la responsabilité d'une telle tache semblerait devoir incomber au premier chef au Japon et à l'Allemagne, puisque ces deux pays ont obtenu des résultats remarquables dans leur lutte contre l'inflation et qu'une stimulation de leur demande interne servirait au mieux les intérêts de l'équilibre international. Dans la pratique, cependant, aucun de ces deux pays ne réussira probablement à raffermir notablement la demande mondiale sans l'appui d'un certain nombre d'autres pays. De par la structure même des appareils productifs allemand et japonais, tournés vers l'exportation, il n'est guère possible, compte tenu de la stagnation de l'activité mondiale, d'obtenir à court terme une relance satisfaisante de la demande interne par le biais des investissements ; en s'engageant et il ne serait pas réaliste non plus d'escompter un ajustement suffisamment rapide s'en remettant uniquement aux investissements publics ou à la consommation des ménages. Par Conséquent, il y a peut-être lieu de relancer l'expansion intérieure, à un rythme plus modéré toutefois, dans d'autres pays également - là où les contraintes exercées par les balances de paiements ont été atténuées et où l'inflation a nettement régressé. Que faire pour stimuler la demande interne Bien qu'il soi r risqué de généraliser en matière de régulation de la demande, on peut néanmoins avancer deux propositions globales. La première doit être formulée en termes négatifs: la relance de l'expansion ne devrait pas s'opérer par le biais d'un assouplissement de la politique monétaire, et cela pour plusieurs raisons. *{ pagination originale du document: p.174} D'abord, la liquidité du secteur, privé s'est améliorée dans la plupart des pays au cours des récentes années, et l'offre de ressources financières semble suffisante. Ensuite, une politique monétaire expansionniste peut n'entraîner qu'une baisse temporaire des taux d'intérêt et, de toute façon, ni les investissements ni la consommation ne paraissent réagir fortement à un recul du lover de l'argent. Quoi qu'il en suit, le véritable risque ne réside pas dans l'inefficacité d'une monétaire plus libérale, mais dans l'intensification. de la hausse des prix qui en résulterait. L'opinion publique en est -venue à associer l'évolution escomptée des; taux d'inflation à la croissance des agrégats monétaires par conséquent, toute politique s'orientant durablement vers une expansion monétaire plus rapide serait susceptible d'intensifier les anticipations inflationnistes. La seconde proposition peut s'énoncer de façon plus positive : comparées aux politiques monétaires, les mesures budgétaires de relance risqueraient moins, dans les circonstance, actuelles, de susciter des réactions compensatrices sur les marchés. Ce danger serait d'autant plus réduit que les politiques budgétaires seraient axées davantage sur les allégements fiscaux que sur l'accroissement des dépenses publiques, l'exception, peut-être, de diverses catégories de dépenses d'investissement à rendement élevé et immédiat. Trois considérations étayent ce point de vue. Tout d'abord, dans beaucoup de pays industrialisés occidentaux, le secteur public occupe désormais dans l'économie une place dont l'importance même exerce généralement un effet dissuasif sur la croissance économique; de plus, un élargissement des dépenses publiques pourrait laisser présager un nouveau tour de vis fiscal, qui ne ferait qu'envenimer la situation. Deuxièmement, seul un assouplissement des barèmes de l'impôt sur le revenu semble en mesure d'accroître le revenu disponible des ménages, de répondre aux aspirations d'amélioration du niveau de vie et de stimuler les dépenses de consommation, sans simultanément exacerber la pression à la hausse des coûts ni provoquer une nouvelle érosion des marges bénéficiaires. Or, compte tenu de la réticence affirmée des chefs d'entreprise à développer leurs investissements dans le climat d'incertitude actuel, il v a peu d'espoir de parvenir, sans une accélération des dépenses des ménages, à susciter une expansion de la demande interne. La troisième considération est que des réductions de l'impôt sur les bénéfices des entreprises contribueraient à une amélioration hautement nécessaire de la situation bénéficiaire de celles-ci et renforceraient, ce faisant, la propension à investir. La question principale est évidemment de savoir si une telle politique est compatible avec la nécessité de réduire encore les taux d'inflation; le simple fait de la poser indique déjà les limites auxquelles sont manifestement soumises les politiques de stimulation de la demande. Comme mentionné précédemment, ces contraintes existent dans les pays où la stagnation des investissements a ralenti l'expansion des capacités productives. Elles sont encore plus accentuées dans les pays qui n'ont réussi que très récemment à freiner l'inflation et où la réapparition prématurée de goulots d'étranglement pourrait conduire rapidement à une accélération de la hausse des prix. étant donné que la plupart des pays se trouvent dans ce dernier cas, les objectifs de croissance du monde industrialisé occidental doivent, par la force des choses, demeurer modestes. Cependant, si l'expansion budgétaire est assurée à un rythme modéré, en tenant dûment compte de la solidité de la position extérieure et du taux d'inflation de chaque pays, il est peu probable qu'elle déclenche une recrudescence de l'inflation par la demande, compte tenu du sous-emploi qui caractérise présentement les économies industrielles occidentales, à l'exception des États-unis. *{ pagination originale du document: p. 175} Dans la mesure où la réduction des taux d'imposition parvient à accroître efficacement les dépenses de consommation et, partant, à stimuler l'activité, elle pourrait ne provoquer que passagèrement une moins-value des rentrées fiscales et un élargissement du déficit du secteur public. Et quand bien même ce serait le cas, il y a actuellement de fortes chances que, du fait de l'ampleur du revirement survenu dans tous les grands pays, sauf aux États-unis, dans le rapport épargne/investissement du secteur privé, l'accroissement des besoins de financement du secteur public puisse être couvert sans qu'il y ait lieu de recourir à un important financement monétaire supplémentaire. C'est là finalement que se situe le coeur du problème, vu sous l'angle des anticipations inflationnistes et de la gestion de la demande. Il convient toutefois d'ajouter que, une fois amorcée une reprise vigoureuse des investissements dans le secteur privé, les besoins de financement des déficits du secteur public pourraient ne plus être couverts aussi largement à l'aide des excédents financiers du secteur privé. Il serait donc bon de faire en sorte que les mesures d'allégement fiscal visant à porter remède à la situation actuelle d'insuffisance de la demande puissent être rapportées dès que cette situation aura disparu. La question de savoir comment il faut s'attaquer à la spirale des coûts et des prix reste entière. On commettrait une grave erreur en ne tenant pas compte de la vigueur fondamentale de ces pressions inflationnistes, étant donné qu'elles risqueraient, si elles persistaient, de stopper prématurément toute reprise de la croissance. Malheureusement, il n'existe pas de recette miracle dans ce domaine, et il ne fait aucun doute que c'est à chaque pays de mettre en ouvre les moyens d'action qui correspondent â sa propre situation politique, sociale et institutionnelle. L'expérience prouve qu'il en va tout spécialement ainsi des politiques de revenus dont les modalités d'application et l'efficacité ont considérablement varié d'un pays à l'autre. D'un autre côté, la réduction des barèmes de l'impôt sur le revenu devrait ouvrir la voie à une plus grande modération en matière de salaires, puisqu'elle offre une solution de rechange pratique à l'augmentation des rémunérations avant de impôt. De même, la publication d'objectifs de croissance des agrégats monétaires et l'obtention de résultats satisfaisants en ce qui concerne leur réalisation créent un climat favorable à une modération des revendications salariales et des hausses de prix. Cet ensemble de propositions de politique économique - réduction de la facture pétrolière, action de relance concertée à l'échelle internationale axée sur la diminution des taux d'imposition et poursuite de la lutte contre l'inflation - pourrait contribuer à réactiver la croissance. Il permettrait également de ramener les déséquilibres des paiements courants à un niveau supportable, ce qui signifie que, avec l'adoption de mesures appropriées concernant les mouvements de capitaux, la disponibilité de moyens de financement à court terme et l'approvisionnement en réserves internationales, les déséquilibres restants ne constitueraient plus une source importante d'agitation monétaire et n'engendreraient plus des politiques d'ajustement exerçant des effets dépressifs asymétriques. Autrement dit, les politiques de financement des balances de paiements retrouveraient leur fonction normale qui est de compléter et de faciliter l'ajustement des paiements courants plutôt que de se substituer à ce processus. L'expérience de ces dernières années montre en effet clairement que, mis à part le transfert traditionnel de ressources réelles des pays hautement développés -vers les pays en développement, la persistance d'importants déséquilibres courants aboutit en dernier ressort à une pénible confrontation avec la réalité, soit pour les pays déficitaires, soit pour les pays excédentaires, soit pour les deux à la fois. *{ pagination originale du document: p.176} Si on peut admettre que la situation des paiements courants dans le monde est en vole d'amélioration, que peut-on dire du rôle qui revient aux politiques monétaires et financières au niveau international? Une première remarque concerne l'aide et les flux de capitaux à long terme à destination des pays en voie de développement. Comme mentionné précédemment, un déficit modéré de la balance des paiements courants de ces pays constitue l'une des caractéristiques normales de la structure internationale des échanges et des paiements. Ce qui l'est moins, c'est que les prêts bancaires à moyen terme, souvent assortis de taux, d'intérêt variables, contribuent de plus en plus à financer ces déficits. Un tel financement se traduit pour les pays concernés par des charges annuelles élevées et imprévisibles au titre du service de la dette; en outre, il accroît de plus en plus la vulnérabilité des banques prêteuses elles-mêmes à l'égard des risques par pays. En règle générale, les moyens de financement devraient être constitués en majeure partie d'aide, de prêts à long terme et d'investissements directs. Une deuxième préoccupation a trait à la position extérieure des États-unis. Le déficit excessif accusé l'an passé par la balance des paiements courants a été sérieusement aggravé par les sorties de capitaux, d'où une chute accélérée du dollar et une vaste agitation monétaire, en dépit d'acquisitions considérables de dollars par les banques centrales étrangères. Certes, si des mesures correctrices appropriées sont prises maintenant, tant aux États-unis que dans les autres pays, il se peut que la contraction du déficit des paiements courants fasse à elle seule refluer les capitaux privés vers les États-unis. Il est possible par ailleurs que les capitaux privés retournent vers les États-unis si des perspectives optimistes se font jour sur l'adoption de telles mesures; à en juger par le redressement du dollar en avril et en mai de cette année, on peut même penser qu'un revirement de cette nature s'est déjà produit. À l'effet cependant de conserver la maîtrise des flux de capitaux et pour renforcer la crédibilité de ces mesures d'ajustement fondamentales, les autorités devront maintenir les écarts de taux d'intérêt et les taux de croissance des agrégats monétaires à des niveaux appropriés et se tenir prêtes à intervenir activement sur les marchés des changes au cas où le besoin s'en ferait à nouveau sentir. Un troisième et important aspect de la politique économique concerne l'adéquation du volume et de la composition de la liquidité internationale. Le fait que tant de pays aient entrepris délibérément de renforcer leurs réserves en recourant à l'emprunt pourrait donner à penser qu'on se trouve en présence d'une demande authentique de réserves additionnelles. Il faut toutefois noter que cette demande a en partie porté sur des actifs de réserve libellés en devises autres que le dollar. Laisser subsister un déficit élevé de la balance des paiements courants des États-unis constituerait à coup sûr une réponse erronée à cette demande à double dimension, car on ne peut créer de cette façon d'importantes quantités de réserves sans mettre le dollar lui-même en péril et, partant, sans renforcer le désir de diversification. Ainsi, cinq années après l'effondrement du système de Bretton Woods, il semble que nous nous retrouvions *{ pagination originale du document: p.177} au -même point qu'à l'époque des parités fixes: nous nous apercevons que l'approvisionnement en réserves par l'intermédiaire d'un déficit élevé de la balance des paiements courants des États-unis est de nature à exercer de dangereux effets déstabilisateurs sur la croissance de l'activité mondiale.