*{Banque des Règlements Internationaux, 54e Rapport Annuel, Bâle, 1984, pp.3-7, 192-201.} *{ pagination originale du document: p. 3} 1. VERS UNE CROISSANCE DURABLE? La reprise de l'activité dans les Pays industriels a exercé une influence dominante sur l'économie mondiale au cours des dix-huit mois écoulés. Propulsée principalement par l'expansion vigoureuse de la dépense intérieure aux États-unis, elle a été aussi soutenue par le raffermissement autonome de la demande dans d'autres grands pays, en particulier en Allemagne et au Royaume-uni. Les effets de cette reprise sur le plan interne et à l'échelle internationale, ainsi que les espoirs qu'elle suscite et les nouveaux problèmes qu'elle crée, constituent le fil conducteur qui relie les divers chapitres du présent Rapport. On peut difficilement exagérer l'importance de la reprise. Le processus de désinflation dans lequel les principaux pays industrialisés se sont engagés en 1980 avait été précédé de deux chocs pétroliers, d'une longue période de politiques génératrices d'inflation, de sept années de ralentissement sensible de la croissance tendancielle dans les économies industrialisées, d'une aggravation du chômage et, sous l'action conjuguée de ces divers facteurs, de l'accumulation déséquilibrée de dettes tant sur le plan interne qu'à l'échelle internationale. Il n'est guère étonnant que la désinflation se soit accompagnée d'une sévère récession, d'une montée encore plus forte du chômage et de signes de fragilité financière à l'intérieur des économies et sur le plan international, exposant ainsi le monde aux risques d'une crise financière caractérisée. Celle-ci a néanmoins pu être évitée, grâce à l'efficacité de la coopération internationale et à l'application de politiques prudentes dans les divers pays. Parallèlement, le processus de désinflation a commencé à donner des résultats positifs sous la forme, non seulement d'une forte décélération du rythme de hausse des prix, mais également d'un renforcement progressif des structures financières des entreprises dans les pays industrialisés. Au cours de l'hiver 1982-83, il devint toutefois évident que, en l'absence d'un redémarrage rapide et prononcé clé l'activité économique dans ces pays, il serait de plus en plus difficile clé mairriser la crise financière internationale à l'aide de nouvelles mesures conservatoires et encore plus malaisé de lui trouver une solution durable. C'est à ce moment précis, c'est-à-dire à la fin de 1982, que l'économie américaine amorça son redressement, pratiquement à la onzième heure. Les effets positifs de la reprise américaine se sont clairement manifestés. Entre le creux de la récession au quatrième trimestre de 198-2 et le premier trimestre -de 1984, la, demande interne globale s'est accrue d'environ 10% en termes réels, et plus de cinq millions clé postes de travail ont été créés. De ce fait, le taux du chômage est tombé de son maximum de 10,7% à 7,8%. En même -temps, le rythme sur douze mois de la hausse des prix à la consommation, qui avait fléchi durant la récession de près de 15% en mars 1980 à moins de 4% à la fin de 1982, se situait toujours, en avril 198/4, à un niveau relativement bas. Il est vrai que cette évolution très favorable des prix est imputable en partie à la vive appréciation de la valeur pondérée du dollar depuis 1980. *{ pagination originale du document: p.4} Enfin, lus bénéfices et les structures financières du secteur des entreprises se sont considérablement améliorés, et la formation de capital fixe s'est ranimée - à un rythme assez rapide dans certains secteurs. La reprise américaine s'est transmise au reste du monde principalement par le biais de la vigoureuse expansion des importations des États-unis (plus de 30% entre le quatrième trimestre de 1982 et le premier trimestre de 1984). Celle-ci a joué un rôle décisif, en acheminant le commerce mondial de la récession vers la reprise; elle a fourni en même temps un stimulant extérieur salutaire au mouvement de reprise autonome amorcé dans certains autres grands pays industrialisés, en particulier l'Allemagne, le Royaume-uni et le japon. Il est, en effet, significatif et encourageant clé constater que les pays qui ont obtenu les meilleurs résultats dans la lutte contre l'inflation ont été aussi les mieux placés pour ranimer eux-mêmes leur économie et tirer profit - ultérieurement -- du redressement intervenu aux États-unis. En même temps, la -éprise américaine a contribué clé manière décisive au succès des politiques d'justement mises en ouvre par un certain nombre de pays déficitaires. Le solde des échanges commerciaux entre lus États-unis et le groupe des pays en développement non membres de l'OPEP est passé d'un léger excédent (0,3 milliard) en 1981 à un large déficit 13,2 milliards) en 1983, bien que ce revirement reflète, pour une part importante, la réduction autonome des importations des pays en développement. Quoi qu'il en soit, on ne peut guère imaginer que, sans le soutien de la conjoncture américaine, le déficit commercial global des pays en développement non membres de l'OPEP aurait pu se contracter, durant la même période, de 65 milliards à 26 milliards. De même, un certain nombre de pays déficitaires d'Europe occidentale n'auraient pas été en mesure d'améliorer substantiellement leurs comptes extérieurs sans le concours de la reprise conduite par les États-unis. En résumé, le retournement de la conjoncture américaine a procuré un soulagement considérable à l'économie mondiale en stimulant les échanges commerciaux, en favorisant le processus d'ajustement externe dans les pays déficitaires, -en renforçant le redémarrage de l'activité au Royaume-uni, en Allemagne et au japon, et en contribuant à la reprise de la croissance dans le reste du monde industrialisé. C'est dans le contexte de cette appréciation extrêmement positive que nous devons situer les préoccupations exprimées dans divers chapitres du présent Rapport et dans les recommandations de politique économique présentées dans la Conclusion. Elles concernent la nature de la reprise en cours aux États-unis, ses implications internationales, ainsi que son dynamisme et sa solidité. La meilleure façon de comprendre l'une ou l'autre de ces préoccupations est d'essayer d'analyser - avec un certain recul - l'origine de la reprise aux États-unis et les forces qui la sous-tendent actuellement. Est-elle la conséquence directe d'un retournement "normal" du cycle conjoncturel? Les progrès de la désinflation ont-ils été suffisants pour que, lors du développement de la reprise, le rythme de l'inflation ne s'accélère pas au-delà d'un niveau plus ou moins inévitable? La reprise a-t-elle été artificiellement stimulée par l'incidence des politiques mises en ouvre? Autant de questions auxquelles on ne peut apporter qu'une réponse nuancée. *{ pagination originale du document: p.5} On peut certainement attribuer cette reprise pour une part aux forces qui contribuent traditionnellement à un redressement de l'activité des entreprises: fin du mouvement de déstockage; durée de vie des automobiles et des biens durables des ménages; redémarrage de la construction de logements, sous l'effet à la fois des baisses de taux d'intérêt et de l'évolution démographique. Un autre élément de la reprise - augmentation des revenus réels et diminution du taux d'épargne des ménages - pourrait être dû à l'influence conjuguée du ralentissement sensible des taux d'inflation courants, de la baisse probable des taux d'inflation anticipés et, partant, du renforcement de la confiance des consommateurs. Le rôle de la politique monétaire dans ce processus a été déterminant. jusqu'ici, rien de plus normal. Mais on ne peut écarter l'hypothèse, tout à fait plausible, selon laquelle la politique budgétaire aurait également stimulé fortement l'activité des entreprises: il ne s'agit pas seulement de la part du déficit budgétaire imputable à l'aggravation de la récession et à l'incidence des stabilisateurs automatiques, même si l'élargissement antérieur des programmes sociaux a amplifié cette incidence et accentué également la croissance tendancielle des dépenses publiques; il s'agirait plutôt, et essentiellement, du déficit supplémentaire provoque par les nouvelles mesures discrétionnaires, à savoir les allégements fiscaux et l'augmentation des dépenses militaires. Les préoccupations suscitées sur les marchés des capitaux par le financement de l'élément structurel croissant du déficit budgétaire américain ont été ressenties très tôt et ont donc eu tendance à maintenir les taux d'intérêt à long terme à un niveau anormalement élevé en pleine période de récession. La reprise a pu s'en trouver quelque peu différée; mais les effets expansionnistes du déficit sur les revenus et les dépenses ont fini par prévaloir et favorisé puissamment tant le redémarrage que le dynamisme persistant de l'expansion conjoncturelle. Quels que soient les objectifs à moyen ou à long terme poursuivis par l'Administration des États-unis et inspirés de la théorie de l'offre, et qu'elle ait pu être l'efficacité jusqu'à présent des nouvelles mesures de stimulation de l'investissement, la politique américaine a favorisé, dans l'intervalle, un mouvement de reprise très classique induite par la demande. Du point de vue de l'économie américaine elle-même, une reprise de ce genre peut présenter deux types de risques: soi que, en portant les taux d'intérêt à des niveaux encore plus élevés qu'actuellement, elle puisse créer une situation dans laquelle l'incidence du ralentissement de la dépense privée l'emporterait sur les effets exercés par le déficit budgétaire sur le revenu et la dépense; autrement dit, en raison d'une "éviction" financière, l'élan de la reprise pourrait être cassé prématurément; soit que, au contraire, une recrudescence des anticipations inflationnistes, alimentée par la persistance d'importants déficits budgétaires, puisse préserver assez longtemps le dynamisme de la reprise, mais risque de déboucher par la suite sur une dépression soudaine et prolongée. Aucune de ces deux perspectives ne peut être considérée comme réjouissante. À l'échelle internationale, les préoccupations sont tout aussi importantes. Tout d'abord, on peut s'interroger sur ce qu'il adviendra en fait de l'économie américaine elle-même. Un ralentissement de la reprise aux États-unis est souhaitable et, comme le précise la Conclusion, c'est au reste du monde industrialisé qui incombe de mettre en ouvre des politiques permettant à sa propre reprise de conserver un dynamisme satisfaisant, quelle que soit la situation aux États-unis. *{ pagination originale du document: p.6} À cet effet, il convient essentiellement de mettre davantage encore l'accent sur l'application de politiques structurelles visant à accroître la souplesse du marché du travail et à stimuler l'investissement interne, bien que de telles politiques ne soient pas de nature à faire sentir rapidement leurs effets. Il n'empêche qu'un départ favorable a d'ores et déjà été pris, comme cri atteste le fait que l'activité a redémarré au Royaume-uni et en Allemagne, par exemple, indépendamment de la reprise intervenue aux États-unis. étant donné la dimension de l'économie clé ce pays, ni le japon, ni l'Europe (le l'Ouest ne peuvent espérer se mettre totalement à l'abri des conséquences d'un arrêt précoce de la reprise américaine, et encore moins d'une profonde dépression aux États-unis accompagnée de perturbations financières. Ce que la reprise américaine est en train de faire pour le reste du monde, une récession dans ce même pays pourrait le défaire tour aussi rapidement. Un autre sujet de préoccupation, plus immédiat que le premier, concerne l'influence exercée par le dosage actuel des politiques aux États-unis, via son influence sur les taux d'intérêt, sur l'évolution des cours de change. Nombre de raisons expliquent le niveau élevé du dollar à présent par rapport aux monnaies européennes et au yen japonais. Certaines de ces raisons tiennent à la vigueur de la reprise aux États-unis et aux rendements élevés des investissements qui en résultent; d'autres sont liées à des considérations de mise en sûreté des capitaux. D'un autre côté, on s'attendrait normalement qu'un déficit budgétaire structure élevé et croissant, conjugué à un déficit des paiements courants de plus en plus considérable, exerce une incidence néfaste sur le cours de change de la monnaie d'un pays. Avec le temps, les agents économiques en sont probablement venus à se former une opinion moins catégorique et, par conséquent, moins stable quant à la nature ou à l'importance de ces facteurs. Aussi n'est-il pas surprenant que les variations des écarts de taux d'intérêt nominaux ou réels n'aient pas exercé constamment des effets à sens unique sur l'évolution des cours de change durant ces dernières années. Il semble néanmoins raisonnable de supposer, à tout le moins, que les cours dollar/deutsche mark et dollar/yen ne seraient pas ce qu'ils sont aujourd'hui sans la persistance de très importants écarts de taux d'intérêt en faveur du dollar. Par leur incidence sur la compétitivité des secteurs de l'économie américaine exposés à la concurrence internationale, les niveaux actuels des taux de change réels risquent à l'évidence de renforcer les pressions protectionnistes aux États-unis. Dans le même temps, tout en stimulant la compétitivité des autres pays, ils ont limité dans une certaine mesure l'influence bénéfique qu'aurait PU avoir sur l'inflation dans le reste du monde industrialisé la baisse des cours en dollars du pétrole et des matières premières, engendrée par la récession. Avec la remontée des cours des produits de base, la persistance d'un taux de change élevé du dollar pourrait parfaitement contraindre certains des pays industrialisés à adopter des politiques anti-inflationnistes qui, autrement, ne seraient ni justifiées, ni indispensables. Mais surtout, la configuration actuelle des taux de change n'est, de toute évidence, pas compatible avec une structure soutenable à long terme des paiements courants (ou, si l'on se place sous l'angle opposé, des flux de capitaux). *{ pagination originale du document: p.7} Le rythme d'aggravation sans précédent de la position créditrice nette des États-unis a sensiblement augmenté les risques de futurs dérèglements financiers en provenance des marchés des changes. De fait, les incertitudes croissantes qui entourent l'évolution du dollar ont déjà créé une forte instabilité à court terme des cours de change et elles pourraient, avec le temps, provoquer des perturbations encore plus fortes. En résumé, si l'on ne peut nier que le déficit des paiements courants des États-unis a exercé des effets bénéfiques sur l'économie mondiale, il est peut-être bon de rappeler que l'abus des bonnes choses peut s'avérer dangereux. Une reprise déséquilibrée aux États-unis entraînera inévitablement une reprise déséquilibrée dans les autres pays. Enfin et surtout, le niveau élevé des taux d'intérêt en dollars a maintenu, et plus récemment a eu tendance à aggraver, la charge financière de l'endettement extérieur de divers pays. La dette extérieure totale des pays en développement non membres de l'OPEP (qui se chiffrait à l'équivalent de 560 milliards à la fin de 1983) est libellée en dollars à concurrence des deux tiers environ et est assortie pour plus de la moitié de taux d'intérêt flottants. Il y a un danger réel, surtout pour les pays dont l'endettement extérieur atteint plusieurs fois le montant de leurs recettes annuelles d'exportations: le bénéfice retiré d'un accroissement de leurs ventes à l'étranger ou d'une réduction de leurs importations risque d'être annulé par l'alourdissement de leur charge d'intérêt. En raison de la dimension actuelle des marchés internationaux des capitaux et du statut du dollar comme principale monnaie financière dans le monde, l'incidence internationale exercée par les taux d'intérêt américains est beaucoup plus forte que ne le donne à penser la dimension relative de la seule économie américaine. Il y a deux ans, le Rapport évoquait certaines préoccupations au sujet de la voie étroite de la politique économique dans un monde engagé dans un processus de désinflation: la poursuite de politiques anti-inflationnistes était certes indispensable, mais elle comportait un risque indéniable de récession cumulative. L'an dernier, le Rapport exprimait l'espoir que, avec les succès obtenus dans la lutte contre l'inflation eu le début de la reprise, les problèmes associés à la désinflation pourraient s'atténuer. Cette fois, la reprise est incontestablement en très Bonne voie et a déjà eu des effets bénéfiques; nous pouvons à présent nous efforcer de lui conférer un caractère équilibré et durable. *{ pagination originale du document: p.192} CONCLUSION. La persistance d'un niveau élevé de chômage dans la plupart des pays industriels et l'endettement international constituent assurément les deux problèmes majeurs auxquels se trouvent confrontés aujourd'hui les responsables de la politique économique. Certes, ces deux problèmes ont des origines fort différentes et requièrent donc l'application d'un traitement spécifique. D'un autre côté., ils sont l'un et l'autre le résultat d'évolutions à long terme et ne sau-raielit donc se prêter à des actions rapides. Une chose est sùre cependant: ni 1'lan ni l'autre ne pourra être durablement résolu tant que le monde industriel occidental ne corinairtra pas une croissance régulière et modérée; en l'absence d'une telle croissance, ces difficultés risquent même de s'aggraver au point de devenir incontrôlables. Fort heureusement, l'année écoulée a peu à peu confirmé la bonne nouvelle: le mouvement de reprise est à présent bien engagé dans la majeure partie de la zone OCDE. L'objectif essentiel de la politique économique du monde industrialisé devrait être de transformer cette reprise en un mouvement de croissance durable et équilibrée, l'accent étant mis également sur ces deux termes. La reprise ne devrait pas s'interrompre prématurément; mais il ne faudrait pas non plus la laisser se développer sous des formes qui, sans nécessairement briser net son élan, provoqueraient en fin de compte une récession encore plus profonde et plus déstabilisatrice que celle dont le monde est en train de sortir à grand-peine. Nous devons en effet nous garder de toute illusion: les fluctuations conjoncturelles, c'est-à-dire la succession de phases ascendantes et descendantes de l'activité économique, demeurent une caractéristique de l'économie de marché - mais il importe au plus haut point de savoir si le prochain renversement de tendance se produira plus ou moins tard et s'il s'agira d'une récession normale, inévitable et relativement brève, ou bien d'une alternance "surchauffe-dépression" ou, pire encore, d'une récession de type "structurel". Pour qu'aucune de ces hypothèses extrêmement néfastes ne se réalise, il importe de se pencher avec une attention particulière sur trois sujets de préoccupation étroitement interdépendants. Tout d'abord, le regain possible des tensions inflationnistes. Ensuite, les facteurs qui entravent la formation de capital fixe des entreprises ou qui l'orientent principalement vers des investissements économisant de la main-d'ouvre. Enfin, le niveau des taux d'intérêt en dollars, avec ses répercussions sur la croissance, les balances des paiements, les taux de change et la charge financière de l'endettement extérieur. Le premier de ces sujets devrait préoccuper la quasi-totalité des pays; le deuxième revêt plus d'importance pour l'Europe que pour les États-unis ou le japon; quant au troisième, s'il présente également un intérêt général, sa prise en charge relève de la responsabilité des États-unis. Le recul de l'inflation a été sensible dans la plupart des pays industriels, et dans certains cas, spectaculaire. En effet, dans bon nombre de pays, la hausse des prix est maintenant inférieure à ce qu'elle était pendant la première année de la précédente reprise conjoncturelle, et, parfois même, elle n'a jamais été aussi faible depuis le milieu des années soixante. *{ pagination originale du document: p.193} Ce mouvement semble cependant s'être interrompu; de plus, certains signes montrent, directement et indirectement, que les taux d'inflation anticipés demeurent supérieurs au rythme actuel de la hausse des prix. Toute réaccélération sensible de l'inflation compromettrait en soi, et par les mesures correctives qu'elle nécessiterait, la poursuite de la reprise. Comme l'expérience l'a prouvé en maintes occasions, c'est au stade actuel du cycle conjoncturel que les responsables de la politique économique devraient se préoccuper du problème de l'inflation, et l'aborder, par conséquent, en termes préventifs, au lieu d'attendre d'être acculés ultérieurement à des mesures anti-inflationnistes d'un coût social nécessairement fort élevé. Une attitude préventive passe d'abord et surtout par le maintien des politiques monétaires prudentes qui ont permis d'inverser, ces derniers temps, avec le succès que l'on sait, les tendances inflationnistes. Étant donné que la vitesse de circulation de la monnaie augmente habituellement durant la phase ascendante du cycle, les autorités monétaires ne devraient pas s'inquiéter outre mesure de la nécessité de satisfaire la demande additionnelle de monnaie liée à l'accroissement de la production réelle. Dans les pays qui poursuivent des objectifs monétaires, une baisse graduelle du taux d'expansion de ces agrégats, dans le cadre d'une stratégie à moyen terme, semblerait donc toujours justifiée. La mise en ouvre d'une telle politique soulignerait également la détermination des autorités de persévérer dans leurs efforts et pourrait contribuer à atténuer les anticipations inflationnistes. Niais cela ne saurait suffire. Dans tous les pays industriels, le processus de désinflation a bénéficié, Jusqu'à une date récente, de la baisse des cours des matières premières. Comme ce mouvement s'est arrêté, les pays industriels en tant que groupe devront s'appuyer encore davantage qu'auparavant sur la modération des impulsions inflationnistes d'origine interne. La pierre d'achoppement à cet égard est le marché du travail. À en juger d'après l'expérience antérieure, les politiques explicites de revenus ne sont guère efficaces, permettant tout au plus de montrer l'exemple par la modération des augmentations salariales dans le secteur public. Il conviendrait d'abandonner ou d'atténuer l'indexation des salaires; là où cela a déjà été fait, il faudrait s'opposer à tout retour de ce mécanisme sous une forme intégrale. Mais, parmi les mesures de politique économique susceptibles de donner les meilleurs résultats,, à défaut d'être les plus spectaculaires, figurent celles qui permettraient d'éliminer les goulots d'étranglement spécifiques qui risquent de se former dans les secteurs ou zones en expansion rapide. Il faudrait accélérer la mobilité professionnelle et géographique de la main-d'ouvre, de manière à lutter à la fois contre le chômage et la résurgence éventuelle de l'inflation par les salaires. Toutes les études menées sur l'évolution économique à plus long terme ont abouti à des conclusions convergentes en ce qui concerne la formation de capi al fixe dans les pays industriels au cours des dix dernières années. Tout d'abord, on constate depuis 197/ 3 une baisse tendancielle du taux global d'investissement. Ensuite, le renchérissement de l'énergie et, plus récemment, les profondes mutations dans la division internationale du travail - émergence d'un potentiel industriel dans certains grands pays en développement - ajoutés à l'impact cumulé de plusieurs années de récession, ont entraîné une obsolescence massive de l'appareil productif. *{ pagination originale du document: p.194} Pour l'instant, ce handicap n'a pas été compensé par un redressement suffisant de l'investissement dans les industries de pointe. Enfin, par suite de la forte augmentation des salaires réels et des coûts salariaux indirects, le peu d'Investissement net réalisé a servi essentiellement à économiser de la main-d'ouvre. C'est pourquoi le stock de capital est devenu insuffisant, même s'il est utilisé plus intensément, pour permettre un niveau d'emploi acceptable de la population active. La situation est particulièrement préoccupante à cet égard en Europe occidentale. Au japon, le problème du chômage ne revêt pas la même ampleur, tandis qu'aux États-unis il s'est sensiblement atténué, probablement sous l'influence conjuguée Cie plusieurs facteurs: stabilisation sur une période de dix ans des salaires réels, plus grande mobilité de la main-d'ouvre et du facteur d'entreprise et amélioration considérable des marges bénéficiaires. Il est possible que certaines caractéristiques de la situation américaine, qui contraste fortement avec celle de l'Europe, aient entravé les progrès de la productivité du travail et contribué à accroître ainsi le risque d'une recrudescence précoce de l'inflation. Il est vrai également que c'est le secteur des services qui a bénéficié pour une bonne part de la création de postes de travail - exemple difficile à suivre pour les pays européens soumis à des contraintes de balances des paiements et qui doivent donc concentrer davantage leur action sur le secteur des biens faisant l'objet d'échanges internationaux, autrement dit essentiellement sur les industries de transformation. L'expérience des États-unis n'est toutefois pas dénuée d'enseignements pour l'Europe, qui a cruellement besoin d'une amélioration des bénéfices, d'une baisse du prix du travail par rapport au coût du capital, d'un environnement plus favorable aux initiatives des chefs d'entreprise et d'une plus grande souplesse sur le marché de l'emploi. Il serait exagéré de qualifier ces problèmes d'"euro-sclérose", mais ils sont toutefois sérieux et apparemment propres à l'Europe. On constate l'amorce d'évolutions favorables dans la bonne direction, niais faute de traitements appropriés - qui demanderont nécessairement du temps - il y a un risque réel que la reprise économique ne puisse se développer pleinement dans de nombreux pays européens. En d'autres termes, elle pourraît ne pas acquérir une autonomie suffisante, grâce à l'expansion de l'investissement interne, qui lui permettrait de se poursuivre au-delà du ralentissement inévitable, et même souhaitable, de l'expansion de l'activité aux États-unis. Alors que les taux d'intérêt en dollars avaient enregistré une assez forte baisse entre leurs niveaux records de 1981-82 et le printemps de 1983, ils sont restés depuis lors excessivement élevés en comparaison des taux d'inflation courants. De plus, en termes nominaux, ils sont maintenant bien supérieurs à ce qu'ils étaient il y a un an. L'économie américaine elle-même a fait preuve jusqu'à présent d'une résistance remarquable face à ces niveaux exceptionnels des taux d'intérêt, Les vastes possibilités de déductions fiscales des charges d'intérêt n'y sont probablement pas -étrangères; cet avantage n'est cependant pas nouveau, et fournit tout au plus une explication partielle, d'autant plus qu'à la suite de la modification de la fiscalité en 1981, d'autres avantages ont joué un rôle plus important dans la motivation des investissements des entreprises. *{ pagination originale du document: p.195} Il est possible que l'amélioration de la rentabilité actuelle et future ait plus que compensé l'incidence négative des taux d'intérêt réels élevés. C'est une explication tout à fait plausible. Mais on ne peut malheureusement écarter une autre possibilité, selon laquelle la résistance de l'économie américaine pourrait aussi s'expliquer en partie par la persistance d'anticipations inflationnistes, de sorte que, en termes d'inflation prévue par opposition à l'inflation observée, les taux d'intérêt réels ne seraient peut-être pas très élevés. À dire vrai, aucune de ces interprétations n'incite à un grand optimisme au sujet de l'évolution ou de la durée de la reprise aux États-unis tant que les taux d'intérêt se maintiendront à leurs hauts niveaux actuels et, a fortiori, s'ils continuent de monter. La raison est évidente dans le cas où l'évolution effective de la hausse des prix viendrait à entériner les anticipations implicites dans les taux d'intérêt élevés. Si, en revanche, les taux d'intérêt actuels étaient véritablement élevés en termes réels, il est difficile d'imaginer que les taux de rentabilité escomptés de l'investissement puissent leur être supérieurs sur une très longue période. Les répercussions internationales du niveau élevé et croissant des taux d'intérêt aux États-unis constituent également une source de graves préoccupations. Compte tenu de la dimension du marché financier américain et du fait qu'une part importante des instruments financiers dans le monde est libellée en dollars, les taux d'intérêt américains affectent forcément les taux en vigueur dans les autres pays; ils exercent également une influence déséquilibrante sur les taux de change et, partant, sur la configuration internationale des balances des paiements courants; enfin et surtout, ils déterminent directement, par l'intermédiaire des taux flottants dont est assortie la dette extérieure, une grande partie de la charge d'intérêt des pays endettés. Il convient cependant de replacer ces influences dans leur véritable contexte. En premier lieu, quel que soit le niveau des taux d'intérêt américains, l'Europe occidentale devra continuer de s'attaquer aux problèmes plus spécifiquement internes mentionnés précédemment, tandis que les pays en développement auront toujours à fournir de gros efforts d'ajustement interne. En second lieu, la vive reprise conjoncturelle et le déficit important des paiements courants des États-unis ont contribué substantiellement à l'atténuation des difficultés de l'Europe et des pays en développement; cette influence positive n'a été, jusqu'à présent, neutralisée qu'en partie par le niveau des taux d'intérêt américains. En fait, la préoccupation - sérieuse s'il en est - concerne davantage l'avenir que le passé. Elle est due à la fois à l'évolution récente des taux d'intérêt observés aux États-unis, et à une analyse des facteurs qui la sous-tendent. Le présent Rapport partage l'opinion, largement répandue, selon laquelle le niveau actuel des taux d'intérêt américains est surtout attribuable à l'ampleur et à la progression de l'élément structurel du déficit budgétaire des États-unis. Le déficit a commencé à s'enraciner vers la fin de 1982 et l'on s'attend à ce qu'il persiste, même à un stade avancé de la reprise conjoncturelle, ce qui implique des besoins d'emprunt du secteur public exceptionnellement élevés à un moment où, d'ordinaire, la demande de crédit du secteur privé est en progression cyclique. *{ pagination originale du document: p.196} Cette situation a exercé, et exercera encore, une incidence directe sur les taux d'intérêt américains, elle peut également avoir une influence indirecte en ravivant les anticipations inflationnistes aux États-unis. Le niveau des taux d'intérêt américains impose un lourd effort d'ajustement supplémentaire aux pays débiteurs. Il contribue également à la surévaluation du dollar, qui, Jointe à la reprise vigoureuse aux États-unis, est en train d'engendrer un gigantesque déficit des paiements courants. La contrepartie de ce déficit - apport net de fonds aux États-unis - va probablement "financer", sur l'ensemble de l'année 1984, la moitié des besoins d'emprunt nets du gouvernement américain, ou encore un tiers de la demande globale de fonds découlant du déficit budgétaire et des besoins nets de financement du secteur des entreprises. Quelle que soit la base de comparaison retenue, il s'agit là de coefficients de financement très élevés. Une telle situation financière, marquée par la coexistence d'importants déficits du secteur public et des paiements courants, de taux d'intérêt élevés et d'entrées massives de capitaux, ne peut guère persister. Préoccupante pour n importe quel pays, elle devrait l'être particulièrement pour l'économie dominante du monde. Le fait que, pour un certain nombre de raisons, bonnes ou mauvaises, les États-unis ne sont pas tenus de réagir aussi vite que les autres pays aux contraintes de balance des paiements ne signifie pas que ces contraintes n'existent pas - la preuve en a été amplement fournie pendant les années soixante-dix. Seule une réduction rapide et sensible de la composante structurelle du déficit budgétaire des États-unis pourrait amener l'économie américaine, avec la perspective d'un "atterrissage en douceur", à un meilleur équilibre interne et externe, et, par conséquent, à une croissance plus lente mais plus durable. Faute d'une telle réduction, les déséquilibres seront néanmoins corrigés - mais le processus d'ajustement pourrait s'accompagner d'un renchérissement des taux d'intérêt, de perturbations économiques et financières à l'échelle mondiale ainsi que sur les marchés des changes, pour aboutir en fin de compte à une vive contraction de l'activité économique. Étant donné la dimension de l'économie américaine et la prédominance du dollar, le manque de convergence entre les politiques budgétaire et monétaire aux États-unis risque, tôt ou tard, de déstabiliser sérieusement l'économie mondiale. Il serait vain de chercher à savoir lequel de ces trois sujets de préoccupation - danger d'une recrudescence des pressions inflationnistes, problèmes "structurels" en Europe ou niveau des taux d'intérêt actuels et anticipés aux États-unis - doit être traité en priorité. Tous trois sont de grande importance, et une action correctrice doit être entreprise ou étendue immédiatement dans les trois directions. Mais ils se distinguent l'un de l'autre d'un point de vue capital. Il est peu probable que les politiques visant à améliorer l'environnement européen pour les investissements créateurs d'emplois ou à promouvoir la souplesse en matière salariale et la mobilité de la main-d'ouvre donnent des résultats à brève échéance. Un réaménagement de la politique budgétaire américaine pourrait avoir, en revanche, de par son incidence sur les anticipations, un effet presque immédiat sur les taux d'intérêt aux États-unis. Une croissance durable et équilibrée dans le monde industriel occidental, condition nécessaire de la maîtrise de la crise financière internationale, n'est pas pour autant suffisante, ni pour la traiter à court terme, ni pour y apporter une solution durable. *{ pagination originale du document: p.197} Comme l'a montré le présent Rapport, la coopération, lancée en 1982, entre tous les principaux acteurs de la scène financière internationale, s'est poursuivie en 1983 et dans les premiers mois de 1984, permettant d'éviter, jusqu'à présent, une crise financière générale. En même temps, l'adoption de mesures d'ajustement et la reprise de l'activité dans le monde industriel, États-unis en tête, ont permis de dégager, même sur le moyen terme, des perspectives relativement encourageantes pour un certain nombre de pays débiteurs, notamment en Asie et en Europe. Pour plusieurs raisons toutefois, la situation reste plus immédiatement préoccupante dans la plupart des pays d'Amérique latine: en premier lieu, du fait que le ratio endettement/exportations y est en moyenne plus élevé qu'ailleurs et que la hausse récente des taux d'intérêt à court terme en dollars alourdit sensiblement le service de leurs dettes, la majeure partie de celles-ci étant libellées en dollars et assorties de taux d'intérêt flottants; en deuxième lieu, dans la plupart des pays de l'hémisphère occidental, les efforts d'ajustement ont commencé beaucoup trop tard; en troisième lieu, ils ont porté principalement sur la réduction des importations. Enfin, fait non moins important, la fuite massive de capitaux a aggravé, et continue peut-être de le faire, les problèmes financiers extérieurs de certains pays latino-américains. Si l'évolution future des taux d'intérêt en dollars dépend en grande partie des États-unis, les autres aspects de la crise financière en Amérique latine soulignent l'importance de l'adoption de politiques appropriées par les pays débiteurs eux-mêmes. On a bon espoir maintenant que la reprise de plus en plus générale dans le monde industrialisé apporte un réconfort appréciable à ces pays, sous forme de recettes d'exportation, grâce à un accroissement de la demande de leurs produits et à l'amélioration de leurs termes de l'échange. Il serait regrettable que cette évolution ne s'accompagne pas, sur le plan, intérieur, d'efforts soutenus visant à faciliter l'indispensable ajustement extérieur. En d'autres termes, le répit actuel devrait être mis a profit pour orienter de plus en plus les politiques vers un ajustement en profondeur de l'économie interne, visant à améliorer, dès à présent et pour l'avenir, les résultats sur le plan des exportations. Dans trop de pays d'Amérique latine, la réduction des importations a été obtenue par l'application de mesures administratives et non au moyen d'un ajustement macro-économique de l'économie interne, alors que parallèlement on ne s'est pas suffisamment attaché à stimuler et à développer les exportations. Deux enseignements précis peuvent être retirés du contraste frappant constaté l'année dernière entre les pays d'Asie et ceux d'Amérique latine en ce qui concerne la nature de l'ajustement de la balance des paiements - contraste qui n'a pas échappé à l'attention des banques prêteuses. D'une part, la mise en ouvre de politiques macro-économiques destinées à atténuer la pression (le la demande interne et à freiner l'inflation constitue un préalable à la réussite d'un processus d'ajustement visant à l'établissement d'une structure durable et équilibrée de la balance des paiements. D'autre part, les pays qui ont, dans le même temps, maintenu leurs marchés ouverts et créé des industries d'exportation hautement compétitives ont bénéficié bien davantage de la reprise de la croissance dans les pays industrialisés que ceux qui ont appliqué des politiques de développement tournées vers l'intérieur et fondées sur la substitution de produits nationaux aux importations. *{ pagination originale du document: p.198} Enfin, il appartient à ceux des pays d'Amérique latine dont les résidents ont procédé à des exportations massives de capitaux de mettre bon ordre dans leur gestion en vue d'arrêter cet exode et, si possible, d'inverser partiellement le mouvement. On ne peut guère demander au reste du monde - qu'il s'agisse d'institutions multilatérales, de gouvernements, de banques ou d'entreprises d'assumer les tâches de développement que les ressortissants de ces mêmes pays refusent d'accomplir. Il est clair que la charge d'intérêt paraitrait beaucoup moins écrasante si elle pouvait être calculée en termes d'intérêts nets dus au reste du monde, c'est-à-dire intérêts à payer sur la dette extérieure déduction faite du revenu perçu (mais pas nécessairement rapatrié) par les détenteurs de capitaux exportés. La contrepartie d'un aménagement adéquat des politiques d'ajustement de la part des débiteurs devrait consister, pour les pays industrialisés, à ouvrir libéralement leur propre marché. Les pressions croissantes en faveur de l'édification de barrières protectionnistes entre ces pays eux-mêmes présentent déjà de graves dangers pour l'économie mondiale. Les obstacles dressés contre les importations de produits industriels et agricoles en provenance des pays en développement comportent un risque autrement plus grave et revêtent même un caractère explosif. Les pays industrialisés ont tout autant intérêt, financièrement et politiquement, que les, pays débiteurs eux-mêmes à trouver une solution au problème de l'endettement. Une solution durable est inconcevable sans un développement vigoureux des exportations des pays en développement vers le monde industrialisé. Quels que puissent être cependant les efforts d'ajustement appropriés des pays débiteurs pris dans leur ensemble, quand bien même ils seraient complétés par des politiques axées sur la croissance et la libéralisation des importations dans le monde industrialisé, leur déficit des paiements courants ne saurait être entièrement éliminé. On peut même se demander si l'élimination complète du déficit courant des pays en développement est vraiment souhaitable pour la croissance équilibrée de l'économie mondiale. En effet, en présence de l'ampleur de la charge d'intérêt des pays débiteurs, tout retour à un équilibre de la balance des paiements courants exigerait en fait que ces pays dégagent des excédents commerciaux anormalement élevés - ce qui, sur une longue période, ne nuirait pas seulement au processus de développement, mais irait également à l'encontre du bon sens politique. La question se pose donc de savoir comment financer les futurs déficits "justifiés" des comptes courants des pays en développement. Dans l'immédiat, les banques n'auront guère d'autre choix que de fournir les ressources additionnelles requises, que ce soit sous la forme de nouveaux crédits ou d'une capitalisation partielle des charges d'intérêt. Une liste impressionnante d'arguments peut être établie pour ou contre chacune de ces deux méthodes, et c'est aux banques elles-mêmes qu'il appartient de trancher, probablement cas par cas, sur la base de ce qui semble réalisable et suscite le moins d'objections de la part des parties concernées. *{ pagination originale du document: p.199} Mais il n'est pas douteux que les banques devront accepter, d'une façon ou d'une autre, dans leur propre intérêt, un certain accroissement de leurs créances sur les pays qui se sont engagés à appliquer des programmes sous l'égide du FNII et ont fait la preuve de leur capacité de les exécuter. Elles devront également faire face à une autre nécessité. Les pays qui ont obtenu des succès tangibles dans l'amélioration de leurs paiements courants, et en particulier ceux qui y sont parvenus en appliquant une politique d'ajustement interne appropriée, peuvent prétendre à juste titre à l'octroi de conditions financières sensiblement plus avantageuses en ce qui concerne à la fois le coût et les échéances. Le fonctionnement correct du marché requiert une différenciation notable des conditions de crédit, bien plus marquée que celle qui a été entreprise, assez timidement, jusqu'à présent. Il serait utile que les autorités des pays prêteurs eux-mêmes acceptent et encouragent une plus grande différenciation, notamment dans le domaine du financement des exportations. Il convient de reconnaître cependant, comme le mentionnait déjà le Rapport de l'an passé, que de telles politiques de prêt ne sauraient servir qu'à parer au plus pressé. L'expérience a clairement montré que pour diverses raisons - taux d'intérêt variables, échéances trop courtes, vive concurrence avec comme conséquence le risque d'un octroi excessif de crédits, absence de conditionnalité - le financement général d'un déficit extérieur par les banques ne constitue pas un moyen approprié pour le transfert de ressources réelles vers les pays en développement. On peut même se demander si, dans le cas surtout des pays qui ont une forte propension à exporter leurs propres capitaux, un financement général de balance des paiements, quelle qu'en soit 'la nature, est vraiment justifié, sauf dans le cadre d'un programme d'ajustement sous l'égide du FMI. À plus long terme, il faudrait que les flux financiers vers les pays en développement établissent un lien crédible entre les importations de fonds et le développement économique interne. Les capitaux sont évidemment fongibles; rien ne permet d'assurer que les entrées de capitaux sous la forme de financement de projets trouveront leur contrepartie interne, au sens macro-économique, dans un accroissement de l'investissement. Cette probabilité est cependant plus grande dans le cas du financement de projets qu'avec des entrées de capitaux n'ayant aucun lien spécifique avec l'investissement dans l'économie nationale. Divers flux financiers sont liés plus ou moins directement à l'investissement: crédit de financement d'importations de biens d'équipement; investissements directs; prêts des organisations de développement multilatérales, telles que la Banque mondiale; cofinancement de projets par les institutions officielles et les banques; aide bilatérale au développement. Étant donné l'ampleur du problème posé, toutes ces formules méritent d'être utilisées et développées. Les plus prometteuses semblent être celles - par exemple, les systèmes de cofinancement récemment mis sur pied par la Banque mondiale - qui établissent une coopération efficace entre les prêteurs privés et officiels. D'aucuns prétendent que le problème de l'endettement international a pris des proportions telles que, même dans l'hypothèse d'une croissance équilibrée dans les pays industrialisés et de l'application de politiques appropriées par les pays débiteurs et les créanciers, il ne pourra être durablement résolu sans une thérapeutique globale drastique. *{ pagination originale du document: p.200} Le présent Rapport ne partage pas ce pessimisme "systémique"; non seulement, de façon pragmatique, cri raison de l'absence de toute solution de rechange viable à J'approche cas par cas adoptée jusqu'à présent, mais encore pour un certain nombre de raisons de caractère plus positif. La plus importante de ces raisons est que les événements de ces douze derniers mois ont prouvé de manière indiscutable que ce qui semblait être un problème financier global assez homogène en automne 1982 masque en fait une grande diversité de situations entre les pays débiteurs. Un ou deux cas très difficiles existent en Europe de l'est et en Asie, à côté d'une majorité clé pays qui ont prouvé leur détermination et leur capacité d'entreprendre un ajustement externe et sont en train de recueillir les fruits de la reprise dans le monde industrialisé. Si la majorité des situations les plus délicates se trouvent en Amérique latine, on constate la aussi des différences dans je degré d'ajustement, la diversification des exportations, la position par rapport au pétrole et l'importance des sorties de capitaux nationaux. En ce qui concerne les pays lourdement endettés d'Afrique, leur situation est tout à fait différente de celle des pays en développement endettés à revenu moyen; la plupart d'entre eux ne pourraient se permettre de contracter de nouveaux prêts aux taux du marché, même si ces fonds étaient disponibles; ils ont besoin d'avances à des conditions très favorables ou d'aides. Comment songer à appliquer une thérapeutique globale devant une telle diversité de situations? Il serait, en outre, complètement erroné de considérer les pays endettés comme "insolvables" simplement parce que, en tant que groupe, ils ne paraissent pas en mesure, même à plus long terme, de rembourser le principal dû. C'est un fait économique simple - lié au processus épargne/investissement - que l'encours total de la dette continue de croître. Ce qui importe, c'est que chaque pays débiteur pris individuellement réussisse a) à adapter, à plus long terme, l'accroissement de sa dette à sa capacité d'en assurer le service et b) à faire la preuve, à plus court terme (pour rassurer ses créanciers vigilants), de son aptitude à maîtriser son endettement en arrêtant sa progression de temps à autre, voire en effectuant des remboursements partiels. On constate avec satisfaction que le nombre de pays qui répondent à l'un ou à l'autre de ces critères, ou aux deux à la fois, a augmenté depuis le début de 1983. Cela ne veut pas dire pour autant que les problèmes d'endettement international soient résolus, tant s'en faut. Mais cela signifie que le cours des événements a confirmé, Jusqu'à présent, la validité de la méthode utilisée actuellement pour les traiter. Grâce à la coopération étroite entre les emprunteurs, les banques prêteuses et les gouvernements et institutions internationales concernés, cette approche a encouragé la mise en ouvre de programmes concertés, axés à la fois sur l'ajustement et sur le financement. Cette coopération doit être poursuivie et développée, mais ce serait une erreur de vouloir la remplacer par des projets généraux inapplicables. Toutefois, pour que la coopération demeure efficace, il faut qu'elle soit confortée par deux lignes d'action. À plus long terme, il conviendra d'assainir les bases des flux de financement destinés aux pays en développement d'où l'insistance mise dans le présent Rapport sur le financement lié à l'investissement. *{ pagination originale du document: p.201} En même temps, pour être viable, l'approche actuelle dépend de manière décisive de la poursuite d'une reprise durable et équilibrée dans les pays industriels - ce qui appelle de la part de ces pays la mise en ouvre de politiques appropriées.