*{Banque des Règlements Internationaux, 63e Rapport Annuel, Bâle, 1993, pp.3-8, 235-245.} *{ pagination originale du document: p.3} 1. Turbulences sur les marchés des changes et récession plus générale en Europe. L'évolution économique de ces douze derniers mois peut difficilement être ramenée à une tendance généralisée, si ce n'est sur un plan: les aspects encourageants apparaissent presque tous hors d'Europe. Le plus important est le fait qu'une reprise modeste s'est amorcée aux États-unis, où, dans le même temps, la situation de l'industrie bancaire s'est sensiblement améliorée. Les bonnes nouvelles viennent également d'un certain nombre de pays en développement, d'Amérique latine notamment, mais, plus spécialement, d'Asie du Sud-est. L'annonce récente d'un nouveau programme de relance de grande envergure au japon permet d'espérer que la récession de croissance y touche à sa fin. En revanche, alors que l'activité paraît avoir redémarré au Royaume-uni, une nette détérioration s'est produite en Europe continentale, avec un recul de la production industrielle, une stagnation, au mieux, du produit intérieur brut et une augmentation du chômage et des déficits budgétaires. Les banques et autres institutions financières ont subi de sérieux revers dans plusieurs pays et les marchés des changes européens ont connu des perturbations d'une ampleur sans précédent. Le seul point incontestablement positif sur la scène européenne est la confirmation assez générale, voire dans certains cas l'accentuation, des progrès réalisés dans la lutte contre l'inflation. Le Chapitre II décrit la situation conjoncturelle des différents groupes de pays industriels et l'orientation de leur politique budgétaire. À maints égards, le ralentissement économique dans les anciennes économies industrielles a suivi une évolution cyclique quelque peu désynchronisée, mais sa durée a été exceptionnellement longue, et, dans les pays anglo-saxons, en récession déjà depuis 1989 ou 1990, la reprise s'est opérée lentement. Les politiques budgétaires anticycliques n'ont guère fait d'adeptes et, dans certains pays soumis à de sévères contraintes budgétaires, même les stabilisateurs automatiques n'ont pu entrer en jeu que modérément en raison de l'endettement antérieur accumulé. Les avantages à court terme procurés par les stabilisateurs automatiques, sans parler de la stimulation par les dépenses publiques, ont dû être évalués par rapport aux coûts de financement à long terme. Le japon a constitué la principale exception à la règle générale. Devant la faiblesse de l'activité, la politique monétaire a été nettement assouplie dans les pays qui avaient bénéficié d'un ralentissement de l'inflation et où n'existait pas de contrainte de cours de change (voir Chapitre VI). Si cet assouplissement ne paraît pas pour l'instant avoir ravivé l'inflation, il est tout aussi vrai que son effet anticyclique n'a pas été très sensible. Parmi les divers canaux de transmission internes par lesquels une baisse des taux d'intérêt à court terme est censée stimuler l'activité économique, l'allégement de la charge excessive de l'endettement, tant des ménages que des entreprises, semble avoir été le plus bénéfique. *{ pagination originale du document: p.4} Dans les pays où ces taux ont été ramenés relativement tôt à des niveaux très bas, les taux longs ont tardé à suivre le mouvement, même s'ils ont fini par fléchir. Dans d'autres, où les taux courts sont demeurés élevés ou se sont même tendus, les taux longs ont notablement diminué, amenant ainsi à se demander une fois de plus s'il fallait y voir davantage l'indication d'une forte crédibilité de la lutte contre l'inflation ou une conséquence de la mondialisation des marchés des capitaux. L'absence d'un véritable activisme anticyclique n'a pas été le reflet d'une sérénité devant les événements, ni d'une conviction tranquille qu'un ralentissement de l'activité est nécessairement suivi d'une reprise. Cette attitude des autorités a plutôt été dictée, compte tenu de l'expérience antérieure, par la prudence et la réticence à s'engager dans une voie qui accentuerait le déséquilibre structurel à plus long terme du secteur public. Elles craignaient qu'une action unilatérale de stimulation de l'économie ne s'avère de toute façon que peu efficace. Au surplus, jusqu'à une date récente, il n'y a guère eu d'enthousiasme pour une action coordonnée, que ce soit au niveau de la Communauté européenne ou du Groupe des Sept. L'un des domaines qui requiert instamment un surcroît d'attention est assurément la politique commerciale. Les risques de conflits y sont considérables, comme en témoigne l'annonce quasi quotidienne de nouvelles dissensions. La dérive récente vers le bilatéralisme et le régionalisme dans les échanges ainsi que le nouveau report de la conclusion des négociations commerciales de l'Uruguay Round dans le cadre du GATT constituent des développements préoccupants, qui sont examinés au Chapitre IV. En Europe, l'Allemagne est demeurée véritablement au centre du débat de politique économique, notamment en raison de son rôle-clé dans le mécanisme de change européen (MCE). Le ralentissement cyclique "normal", qui a fait suite à la phase prolongée de reprise amorcée en 1983, y avait été retardé, comme dans la majeure partie de l'Europe, par le puissant stimulant que l'unification a exercé sur la demande à partir du milieu de 1990. Il est clair, cependant, que les problèmes économiques du pays ne sont pas de nature purement conjoncturelle. On en veut pour preuve les importants transferts en provenance de l'Ouest qui, dans la partie orientale, maintiennent la demande intérieure à un niveau deux fois supérieur à celui - fortement réduit - de la production. Dans la partie occidentale, l'investissement privé a, en outre, nettement diminué, du fait notamment des nombreuses incitations visant à attirer les investisseurs vers l'autre partie du pays. Le PIB en termes réels de l'Allemagne occidentale est en recul depuis le milieu de 1991, exception faite du premier trimestre de l'an dernier, où il est remonté en flèche. Malgré ce tassement marqué, le rythme de la hausse des prix - sous l'effet en partie des modifications de la fiscalité indirecte, mais surtout à cause de l'inflation par les coûts induite par les fortes augmentations salariales -se situe à présent parmi les plus élevés des pays du Groupe des Sept. Compte tenu de la dimension du déficit budgétaire - reflet des transferts massifs de ressources vers la partie orientale du pays ainsi que du récent ralentissement conjoncturel - la politique monétaire a conservé un caractère nettement restrictif pendant une bonne partie de 1992 et n'a fait l'objet d'un assouplissement prudent, mais régulier, qu'à compter de septembre, lorsque des perturbations sont apparues sur les marchés des changes européens et que la faiblesse de l'activité est devenue de plus en plus manifeste. *{ pagination originale du document: p.5} Bien que la politique allemande ait suscité des critiques tant sur le plan national qu'à l'étranger, la situation interne était telle que la plupart des observateurs ne donnaient à l'action monétaire qu'une marge de manouvre réduite jusqu'à l'été, en raison du rythme de l'inflation et de la détérioration des finances publiques. Dans le même temps, cette situation créait, de toute évidence, des problèmes pour les pays liés à l'Allemagne au sein du MCE, ceux surtout dont les perspectives de croissance s'assombrissaient. En dépit, dans certains cas, d'une inflation moins élevée et d'un tassement de la demande intérieure, ces pays ont dû s'aligner sur les taux d'intérêt à court terme allemands, même en période de calme sur les marchés des changes. Leurs conditions internes différentes n'ont pas engendré l'attente d'une appréciation de leur monnaie et ne se sont donc pas traduites par un écart de taux d'intérêt favorable, à cause du rôle indiscutable du deutsche mark comme point d'ancrage nominal du système. *{ pagination originale du document: p.6} Cette situation, déjà relativement complexe, est encore devenue plus confuse avec le sort du Traité de Maastricht conclu en décembre 1991. Il était prévu que la ratification du Traité intervienne avant la fin de 1992. Au Danemark et en Irlande, un référendum était nécessaire. Si l'issue d'une telle consultation ne peut jamais être prévue avec certitude, pour les autres pays la ratification était généralement considérée comme un résultat acquis, eu égard au large consensus entre politiciens de sensibilités différentes. C'est pourquoi la perspective des deux référendums ne modifia en rien le sentiment général selon lequel la ratification ne faisait quasiment aucun doute. À cela s'ajoutait la conviction répandue que l'avènement de l'Union monétaire européenne, après plus de cinq années de quasi-stabilité des cours de change, ne serait pas perturbé par des réalignements délibérés au sein du MCE. L'opinion qui prévalait alors était que les réalignements pouvaient être différés, si les autorités le désiraient, au moyen d'ajustements mineurs des taux d'intérêt à court terme dont on pouvait attendre, compte tenu du degré élevé de mobilité des capitaux, qu'ils déclenchent des flux suffisamment amples pour atténuer les tensions sur les marchés des changes. Lorsque le peuple danois rejeta le Traité par une faible majorité, le 2 juin 1992, toutes ces hypothèses se trouvèrent remises en question. Ce refus impliquait inéluctablement que la ratification n'interviendrait pas en 1992 et que tout le calendrier prévu risquait d'être bouleversé, même si le Traité était finalement approuvé. En attendant, des réalignements ne pouvaient plus être exclus. La suite des événements modifia radicalement l'opinion concernant la possibilité de maintenir la stabilité des cours de change en procédant à des ajustements des taux à court terme. Les pires attaques spéculatives jamais enregistrées sur les marchés des changes, tant au niveau des montants mis en ceuvre que du nombre de monnaies concernées, éprouvèrent à l'extrême la capacité des autorités d'effectuer des ajustements de taux d'intérêt et de les défendre. Des différences significatives apparurent sur le plan de la sensibilité des économies nationales à des relèvements des taux courts, ce qui semblait traduire de profondes disparités structurelles des marchés des capitaux, difficiles à évaluer tant sous l'angle de la politique économique que sous celui de l'efficacité (voir Chapitre VI). Ces facteurs techniques, venant s'ajouter à la longueur et à l'intensité de la récession au Royaume-uni, ont incontestablement joué un rôle important dans la décision des autorités britanniques, en septembre dernier, de suspendre la participation de la livre sterling au MCE; cette attitude se justifiait par le fait qu'elle devait permettre d'adapter la politique monétaire aux impératifs de l'économie interne. Les attaques spéculatives sur d'autres monnaies s'intensifièrent aussi. Après une première dévaluation (antérieure à la décision britannique), l'Italie décidait, à son tour, "de s'abstenir momentanément d'intervenir sur les marchés des changes", tandis que l'Espagne dévaluait. En novembre 1992 et mai 1993, l'Espagne était contrainte de dévaluer à deux nouvelles reprises, nécessitant à chaque fois une dévaluation de l'escudo portugais également. Dans l'intervalle, la livre irlandaise avait été aussi dévaluée à la fin de janvier 1993. *{ pagination originale du document: p.7} En revanche, malgré de fortes pressions sur le franc français et la couronne danoise, les parités entre ces deux monnaies, celles du Benelux et le deutsche mark étaient préservées. Le Chapitre VIII et, pour partie, le Chapitre VI rendent compte de manière plus détaillée de ces faits et des questions qu'ils soulèvent. Deux d'entre elles méritent d'être relevées dans cette introduction. La première concerne le fonctionnement du MCE. La transformation graduelle de ce mécanisme, de régime de cours de change fixes mais ajustables en système de parités immuables, est largement responsable de la sévérité et de la dimension de la crise. Elle a fait obstacle aux ajustements préventifs qu'aurait justifiés l'apparition progressive de distorsions de change durables et d'autres déséquilibres graves. Les ajustements ont dû finalement être effectués de façon précipitée, dans des situations de crise, provoquant alors des attaques spéculatives, même lorsque les données fondamentales de l'économie étaient saines. Deuxièmement, l'ampleur et la rapidité des mouvements de capitaux, qui sont la conséquence de la déréglementation, de l'innovation et de la mondialisation des marchés, conduisent à s'interroger non seulement sur le MCE, mais aussi, d'une manière plus générale, sur l'ordre monétaire international. L'accroissement spectaculaire de la mobilité des capitaux a relancé le débat sur les mérites et les inconvénients des différents régimes de change. Les répercussions de la crise du MCE en septembre dernier n'ont pas aggravé outre mesure les problèmes qui s'accumulaient dans le secteur financier dans un nombre croissant de pays. On peut avancer à cela plusieurs explications. Les pertes consécutives aux variations de change se sont surtout concentrées sur le secteur officiel. Des institutions financières privées ont pu être en mesure d'utiliser leurs plus-values de change pour compenser leurs revers dans d'autres domaines. Au surplus, le recours à des techniques de couverture peut avoir procuré à certains opérateurs du marché une protection efficace. Enfin, les remous n'ont pas fortement affecté les grandes monnaies d'autres régions du globe, la crise ayant été géographiquement limitée. Aux États-unis, les sérieuses difficultés apparues dans le secteur financier ont été progressivement surmontées, mais à un coût élevé. Dans la plupart des autres pays connaissant une situation analogue, aucune amélioration n'est encore en vue. Le Chapitre VII analyse ces problèmes. Les aspects les plus intéressants portent sur les relations avec d'autres évolutions dans les économies concernées, en particulier le cycle des prix des actifs. Les événements plus encourageants émanent de quelques pays en développement, d'Extrême-orient notamment. La Chine mérite une mention spéciale à cet égard, car elle illustre de manière spectaculaire les forces dynamiques que peuvent déclencher une libéralisation, même contrôlée, et une ouverture sur le monde extérieur. Les économies d'Asie plus petites et en plein essor continuent à bénéficier puissamment des échanges internationaux. Il convient de noter qu'en 1992 la croissance dans le monde en développement a été nettement supérieure, pour la troisième année consécutive, à celle des pays développés . L'Amérique latine a accompli de nouveaux progrès dans la voie du redressement, malgré quelques exceptions et bien qu'il ne soit absolument pas certain que tous les enseignements du passé aient été retenus dans tous les cas (voir Chapitre III). *{ pagination originale du document: p.8} La situation s'est également améliorée l'an dernier dans les pays d'Europe orientale les plus avancés dans le processus de transition. Les échanges commerciaux avec l'Ouest ont constitué à cet égard le stimulant majeur. Les problèmes auxquels sont confrontées les autorités de ces économies en transition sont examinés au Chapitreiii, qui décrit en détail la restructuration du secteur financier, dont l'importance paraît vitale pour les perspectives de croissance à moyen terme. Compte tenu, toutefois, de sérieuses insuffisances et d'un manque de cohérence des politiques économiques actuellement mises en ouvre, l'avenir de nombreux pays de cette région reste sombre. L'élaboration d'un nouvel ordre politique, au moment où la restructuration nécessaire de l'économie impose des sacrifices longs et pénibles, constitue la tâche principale de ces pays, en particulier des nouveaux États de l'ex-union soviétique. Tels sont, pour l'essentiel, les thèmes examinés dans le Rapport de cette année. Un chapitre entier (V) est consacré, comme à l'accoutumée, à l'évolution de l'activité bancaire et financière internationale. L'ordre des chapitres a été légèrement modifié, les développements récents sur les marchés des changes étant décrits et analysés au Chapitre VIII. Conclusion. Les expériences de 1992 et du début de 1993 ont soulevé quelques questions nouvelles et mis davantage en relief divers problèmes plus anciens qui domineront sans doute le débat de politique économique dans les années à venir. Il s'agit, d'abord, de se demander ce que les responsables de l'action gouvernementale peuvent et devraient faire dans les pays industriels lorsqu'ils sont confrontés à une croissance anémique, dans la mesure où elle ne semble pas être simplement le résultat d'une variation conjoncturelle "normale" autour d'une trajectoire acceptée de croissance potentielle. Cette question est étroitement liée à celle, concrète, de savoir si le chômage risque d'augmenter plus ou moins indépendamment des fluctuations temporaires de l'activité. Si aucune réponse ne peut être proposée à cette double préoccupation, le danger est grand de voir les forces protectionnistes prendre le dessus, ce qui ne ferait qu'aggraver la situation. Une deuxième question importante: de nouveaux efforts sont-ils requis, dans de nombreux pays, pour asseoir l'activité financière sur des bases plus saines? À l'évidence, la santé du secteur financier dépend des résultats de l'économie réelle et les affecte en même temps, leçon que les événements récents ont soulignée avec force. Une troisième question, qui a acquis une plus grande urgence en 1992, concerne la nature des conseils et de l'aide fournis aux économies en transition d'Europe orientale. Il est généralement admis à présent que les difficultés ont été considérablement sous-estimées. Mais il est tout aussi clair que les pays les plus avancés dans le processus de transition ont obtenu quelques succès notables. En fait, pour certains, le pire est peut-être passé. Il reste à voir si le nouveau réalisme donnera rapidement des résultats ailleurs. Une quatrième question concerne les relations de change et, plus spécifiquement, les problèmes soulevés par l'existence de régimes de change différents dans un monde où les ajustements de portefeuille sont pratiquement instantanés. La possibilité de voir les flux de capitaux privés influencer les marchés des changes s'est accrue dans des proportions phénoménales au cours des dix à quinze dernières années. Quant aux éléments plus encourageants, les questions se posent principalement en termes de durabilité. Les faibles taux d'inflation réalisés dans beaucoup de pays seront-ils maintenus? Les améliorations structurelles et les taux de croissance élevés dans un grand nombre de pays en développement pourront-ils être poursuivis? En ce qui concerne le manque de vigueur de la croissance dans les pays industriels et la manière d'y répondre, il ne fait aucun doute que, dans quelques cas, la récession actuelle est la plus sévère de la deuxième moitié du siècle. *{ pagination originale du document: p.236} La Finlande a été particulièrement touchée, en raison de la perte de marchés d'exportation dans l'ex-union soviétique et de sérieux problèmes d'endettement dans le secteur privé. Le chômage y dépasse à présent 15 pour-cent et se situe à un niveau encore plus élevé en Espagne et en Irlande. Divers problèmes structurels ont également aggravé le fléchissement de l'activité en Suède et, dans une moindre mesure, en Australie et en Norvège. Les problèmes d'endettement et les cycles des prix des actifs réels ont été considérés comme des facteurs de la prolongation de la récession et de la lenteur de la reprise aux États-unis, au Royaume-uni et dans plusieurs autres pays. Là où rien ne laisse présager que la récession a dépassé le point le plus bas, il faut se garder de tout jugement sur sa gravité exacte par rapport aux récessions antérieures. En conclure, cependant, que ce que nous observons dans un pays après l'autre est en réalité plus qu'un ralentissement conjoncturel normal et ressemble fortement à un infléchissement durable de l'expansion tendancielle du potentiel de production ne concorderait pas entièrement avec les faits enregistrés jusqu'à présent. Après tout, la phase descendante actuelle succède, dans la plupart des cas, à la "reprise la plus longue et la plus vigoureuse de l'histoire récente", expression qui a été utilisée tellement souvent qu'elle est encore présente dans tous les esprits. D'autres arguments semblent également militer contre un pessimisme excessif. La modération salariale et la reconstitution des marges bénéficiaires, qui étaient notamment à l'origine de l'allongement de la reprise des années quatre-vingt, permettent aussi d'expliquer la surprenante capacité de résistance de l'investissement productif des entreprises durant la récession. L'épargne des ménages s'est sensiblement renforcée ces derniers temps dans un certain nombre de pays, accentuant évidemment à court terme le recul de la demande intérieure tout en concourant à créer une base financière plus saine pour la reprise. On semble constater par ailleurs une accélération des gains de productivité, non seulement dans le secteur manufacturier, mais aussi dans les services. Enfin, l'orientation à moyen terme vers un assainissement budgétaire, confirmée comme objectif malgré l'aggravation des déficits budgétaires au cours de la récession, devrait exercer une incidence favorable sur la confiance du secteur privé et les taux d'intérêt à long terme. La hausse tendancielle du chômage, notamment en Europe, est plus préoccupante. Amorcée au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, elle a été renforcée dans de nombreux cas par l'augmentation de la population active due à l'élévation des taux de participation et, quelquefois, à un fort courant d'immigration. Les possibilités d'inverser la tendance à long terme paraissent très limitées, même si la production se redresse et que l'inflation demeure faible. Les efforts entrepris pour atténuer l'extrême dureté de la concurrence sur le marché du travail en Europe ont même pu aggraver le chômage. Malgré la modération remarquable des salaires au cours des années quatre-vingt, il n'y a guère de signes d'assouplissement en profondeur du marché du travail. Quelques exemples tirés d'une longue liste de rigidités dans ce domaine peuvent aider à se faire une idée des questions et des défis auxquels doivent faire face les responsables de la politique économique. *{ pagination originale du document: p.237} Très souvent, les salaires sont fixés à des niveaux qui ne tiennent pas suffisamment compte de la productivité. Les impôts sur les salaires et les autres coûts de main-d'ouvre non salariaux acquittés par les employeurs pour financer diverses prestations sociales représentent désormais quelque 50 pour-cent ou plus du coût total du travail dans plusieurs pays d'Europe, érodant ainsi la compétitivité internationale des entreprises. Les indemnités de licenciement élevées, conjuguées à la faible mobilité de la main-d'ouvre, ont conféré à ceux qui disposent d'un emploi une influence disproportionnée ou pratiquement exclusive dans les négociations salariales. On peut le constater en Espagne, où les salaires réels ont continué de croître l'an dernier, en présence d'une stagnation de la production et d'une aggravation du chômage. Même l'adoption de mesures non orthodoxes ne semble guère avoir infléchi la tendance ascendante du chômage. Quelques pays ont mis en ouvre des systèmes de retraite anticipée ou assoupli les critères d'admission aux pensions d'invalidité, ce qui leur a permis de faire reculer légèrement le chômage. En contrepartie, malheureusement, ces mesures ont souvent creusé le déficit budgétaire et réduit la production potentielle. Plusieurs pays ont recouru à des systèmes de partage du travail, y compris à un raccourcissement de la semaine de travail. Cependant, l'effet sur le chômage a été relativement modéré dans la plupart des cas, en raison de la hausse des salaires horaires ou des gains de productivité. L'assouplissement des horaires a facilité l'emploi de travailleurs à temps partiel dans divers pays, encore que l'augmentation des effectifs reflète en grande partie une entrée plus importante de femmes dans la population active ou le fait que des chômeurs ont accepté un travail à temps partiel tout en recherchant un poste à plein temps. Globalement, des procédures souples de fixation des salaires, à l'instar de celles qui sont en vigueur aux États-unis, au japon et en Autriche, semblent offrir les meilleures chances de contenir le chômage, en dépit des fondements institutionnels très différents de ces systèmes. Aux États-unis et au japon, la plupart des salaires se négocient au niveau de l'entreprise ou de la profession et, grâce à une sensibilité élevée des rémunérations à l'évolution du marché - comprenant un système flexible de primes et participation aux bénéfices au japon -, ces deux pays ont pu s'adapter à des chocs défavorables et à des mutations technologiques, tout en enregistrant une hausse moindre ou simplement temporaire du chômage. En Autriche, les négociations salariales se font par secteur, mais sont coordonnées dans le cadre d'une politique globale des revenus où les revendications sont subordonnées à l'objectif général visant à maintenir un taux de change nominal fixe. Des systèmes de ce genre ne peuvent toutefois guère être facilement copiés par d'autres pays. Pour créer des conditions semblables, il ne suffit évidemment pas d'appliquer des mesures spécifiques sur le marché du travail; il convient plutôt de susciter un état d'esprit général de réalisme et de coopération et une plus grande disposition à utiliser les opportunités que peuvent offrir les marchés. *{ pagination originale du document: p.238} La lenteur de la croissance et la montée du chômage font surgir inévitablement le spectre du protectionnisme, surtout lorsqu'elles sont associées à une érosion de la compétitivité. Les pays industriels d'Europe occidentale ne sont plus uniquement confrontés à la concurrence des États-unis et du japon. De nouveaux concurrents se manifestent, en particulier en Extrêmeorient - et pas seulement les "nouvelles économies industrialisées" - mais aussi en Europe orientale. Un aspect important de la compétitivité tient assurément à l'évolution des cours de change réels. L'appréciation en termes réels des monnaies européennes et la vive dépréciation du dollar EU depuis 1985 ont grandement affecté la compétitivité. Des distorsions temporaires de taux de change entretiennent évidemment l'opinion que tel ou tel pays est "trop" compétitif et tendent ainsi à encourager un sentiment protectionniste. En ce qui concerne l'efficacité du protectionnisme lui-même, le vieux mythe selon lequel une restriction des importations permet de réduire le chômage laisse plutôt sceptique. Certes, limiter les achats à l'étranger peut sauver en courte période des emplois dans les industries exposées à la concurrence étrangère, mais au prix de pertes d'emplois dans d'autres secteurs. Les restrictions accroissent inévitablement les coûts et handicapent par conséquent les producteurs non protégés vis-à-vis de la concurrence; la hausse des prix qui en résulte diminue le pouvoir d'achat réel des ménages. En outre, les restrictions appellent des représailles: un pays enfermé dans un cercle vicieux de mesures de rétorsion commerciales ne ferait que remplacer les emplois hautement rémunérés dans ses secteurs les plus performants par des emplois faiblement rémunérés ailleurs. Une certaine considération a été accordée récemment à l'argument selon lequel les économies d'échelle dans les industries à technologie de pointe, et les effets induits par celles-ci, peuvent justifier des interventions de l'État dans les échanges commerciaux. Cet argument évoque la protection des industries naissantes, invoquée depuis longtemps pour justifier une exception à la doctrine du libre-échange. Il souligne à juste titre la nécessité de se montrer vigilant à l'égard d'une utilisation éventuelle des échanges et des pratiques restrictives par les partenaires commerciaux pour s'assurer un avantage à long terme. Mais de là à conclure que les échanges de produits de pointe doivent être vigoureusement "gérés" pour empêcher les concurrents de s'adjuger un tel avantage est un raisonnement qui ne tient pas compte d'autres considérations de poids. Tout d'abord, le développement de produits de pointe est si rapide que la structure des échanges et de la production évolue trop vite pour être couverte par le commerce "géré". En outre, l'affaiblissement des disciplines commerciales régissant traditionnellement les échanges laisse consommateurs et producteurs à la merci de groupes de pressions internes et élimine un puissant facteur d'accroissement de l'efficacité. Enfin, et ce n'est pas là le moins important, le commerce "géré" est inévitablement un commerce "politisé". L'une des grandes vertus des accords du GATT est la suivante: étant donné que les gouvernements devaient renoncer à des contrôles directs sur les échanges et permettre aux aspects commerciaux de prendre le dessus, les échanges internationaux ont effectivement connu une expansion considérable au cours des quarante dernières années. *{ pagination originale du document: p.239} Il est à espérer que, dans le plus haut intérêt commun, le maintien et l'extension de ce système finiront par prévaloir et que les questions en suspens dans l'Uruguay Round seront rapidement résolues. Compte tenu de ces préoccupations sur trois fronts - croissance, emploi et libre-échange -, qu'advient-il du rôle de la politique macro-économique et de la régulation de la demande en particulier? Le japon tient une place à part en ce sens qu'il a utilisé des périodes de croissance vigoureuse pour redresser le déséquilibre budgétaire, ce qui lui permet à présent de stimuler sensiblement la demande intérieure. Dans la plupart des pays, l'absence de flexibilité budgétaire - dans des situations où elle pourrait être nécessaire - résulte, avant tout, d'erreurs politiques antérieures, amplifiées par l'effet "boule de neige" de l'endettement public. Dans ces cas, la politique ne peut être que fermement axée sur l'assainissement à moyen terme des finances publiques. S'ils sont crédibles, de tels efforts peuvent contribuer à une nouvelle détente des taux d'intérêt à long terme ou, tout au moins, les empêcher de monter aux premiers stades de la reprise. Ils peuvent également restaurer la confiance de l'opinion publique. En courte période, il faudrait laisser en principe les stabilisateurs automatiques jouer leur rôle, mais uniquement là où la récession est grave et où le déficit structurel ainsi que l'encours d'endettement public ne sont pas excessivement élevés. On aurait aussi intérêt à songer à réaménager les dépenses et recettes en vue d'accroître l'investissement public dans les infrastructures et l'éducation et d'encourager ainsi l'investissement privé futur. La politique monétaire peut jouer un rôle utile, mais limité, dans la régulation de la demande. L'argument en faveur d'une orientation à moyen terme reste entièrement valable. Cela n'exclut pas des baisses de taux d'intérêt en présence d'un affaiblissement de la demande lorsque les tensions inflationnistes s'atténuent. Les ajustements de parités et une certaine modération des pressions à la hausse sur les coûts salariaux en Allemagne ont enfin permis à l'Europe de participer à la détente monétaire amorcée précédemment en Amérique du Nord et au japon. L'expérience des pays où ce processus a démarré donne à penser qu'il peut aller très loin sans raviver l'inflation. Cependant, maîtriser durablement l'inflation demeure un défi formidable. En outre, par suite des différences dans les structures financières et les mécanismes de transmission monétaire, les possibilités de recourir à la politique monétaire pour stimuler la demande, tout en contenant l'inflation, varient d'un pays à l'autre. L'expérience acquise durant les années quatre-vingt avec les bulles spéculatives et la tendance de certains cours de change flottants à "surréagir" aux baisses de taux d'intérêt constituent autant de mises en garde dont il faut tenir compte. Cela nous amène à nous demander si des efforts supplémentaires devraient être entrepris pour asseoir l'activité financière sur des bases plus saines. Il importe instamment de ne pas oublier les enseignements tirés de la gestion du processus de déréglementation, qui s'est accéléré au cours de la dernière décennie. Le Rapport de l'an passé consacrait un chapitre entier à cette question. L'élément nouveau, cette année, est l'extension des pertes sur prêts à un certain nombre de banques d'Europe continentale, parallèlement à l'aggravation de la crise bancaire dans plusieurs pays nordiques. *{ pagination originale du document: p.240} L'approfondissement de la crise bancaire en Suède et en Finlande a clairement montré que la déréglementation doit s'appuyer sur des politiques micro et macro-économiques prudentes et cohérentes. Cela signifie essentiellement un renforcement de la surveillance et de la réglementation prudentielles et un engagement ferme à long terme contre l'inflation, qui nécessite à son tour un degré élevé de discipline budgétaire. L'expérience de ces pays et, précédemment, de la Norvège a mis en évidence le risque que, en l'absence de garde-fous appropriés, la déréglementation ne se traduise paradoxalement par des interventions plus fréquentes et plus coûteuses de l'État dans le secteur financier, plutôt que l'inverse. Quelle que puisse être leur réticence, les gouvernements sont inévitablement appelés à intervenir dès que se manifeste un risque de crise financière mettant en danger l'économie réelle. Les banques centrales peuvent également être incitées à abaisser leur garde contre l'inflation. Il peut être tentant de penser que l'intervention du gouvernement peut, d'un coup de baguette magique, éliminer les coûts des difficultés financières. Certes, il est possible de contrecarrer des assauts déstabilisateurs lancés contre des banques, à la fois par la clientèle d'entreprises et les particuliers. La reconstitution des fonds propres des établissements affectés peut éviter de sévères restrictions des prêts. Les pertes peuvent être largement réparties, atténuant l'impact financier pour certains secteurs de la population. Pourtant, les coûts de l'intervention demeurent réels. Les conditions de concurrence sont inévitablement faussées entre les établissements faibles, qui bénéficient de soutiens, et les autres, qui n'en reçoivent pas. La fourniture de l'aide elle-même, quel que soit le soin mis à l'administrer, risque d'éroder les incitations à adopter des comportements prudents et de déboucher sur de plus grands problèmes. Les charges qui pèsent sur les finances publiques peuvent devenir excessives, et le sont déjà d'ailleurs dans quelques cas. En présence surtout d'un volume élevé d'exigibilités externes, les limites des possibilités de financement peuvent être rapidement mises à l'épreuve. Les coûts liés au règlement des difficultés financières incitent à accorder une plus grande place à la prévention. En dépit des efforts notables entrepris ces dernières années pour préserver l'intégrité du système financier, beaucoup reste à faire dans le domaine de la réglementation et de la surveillance prudentielles pour prendre en compte les nouvelles réalités de marché, tant à l'échelon national qu'international. Au niveau microprudentiel figurent en bonne place: la surveillance consolidée, sous une forme ou une autre, des structures organiques complexes; une plus grande coopération entre les différentes autorités de surveillance; et l'extension de la couverture des normes de fonds propres au-delà du risque de crédit. Les propositions publiées par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire en avril 1993, qui élargissent le dispositif des normes de fonds propres aux risques de marché et à la mesure du risque de taux d'intérêt, constituent un pas dans cette direction. En ce qui concerne les liens entre établissements et marchés, il importe de faire en sorte que les compartiments des instruments dérivés et les systèmes de paiement et de règlement opèrent sous la protection de sauvegardes appropriées. *{ pagination originale du document: p.241} De plus, pour mettre en place toutes ces lignes de défense, les autorités seront inévitablement amenées à s'interroger sur le dosage équilibré entre discipline de marché et intervention officielle. Limiter le "risque subjectif" et améliorer la publication d'informations constituent des objectifs-clés dans ce contexte. En ce qui concerne l'Europe orientale, les efforts résolus de stabilisation commencent à présent à porter leurs fruits, mais la route est encore longue. La mise en place d'une économie de marché requiert des modifications de l'ensemble du paysage économique, des institutions politiques et économiques, surtout financières, ainsi que des habitudes des personnes. Ce processus ne peut être accéléré au-delà d'un certain point. La cohérence des politiques économiques au cours de cette période revêt un rôle essentiel, car elle permet aux agents économiques de prévoir la direction dans laquelle s'orienteront les réformes. Une telle cohérence est difficile à réaliser en présence d'une baisse de la production et d'une montée du chômage, mais elle peut être confortée par l'aide extérieure. Dans le cas de l'Allemagne, cet effort a revêtu en partie la forme d'importants transferts publics. En Europe orientale, l'assistance technique et les prêts multilatéraux ont joué un rôle majeur aux premiers stades de la réforme. L'accès aux marchés occidentaux a été tout aussi essentiel. Il a non seulement orienté le processus de restructuration des entreprises, mais contribué également à limiter la chute de la production. Cela a accru le soutien populaire aux politiques gouvernementales fondées sur une intégration économique et politique plus complète avec l'Ouest. C'est pourquoi les restrictions récentes imposées par certains pays industriels aux importations en provenance de l'Europe orientale sont d'autant plus regrettables, compte tenu notamment de l'excédent commercial bilatéral des pays industriels avec cette région (quelque $6 milliards, abstraction faite de l'ex-union soviétique). Ces restrictions sont perçues en Europe orientale comme une véritable reculade par rapport à l'engagement précédent de soutenir le processus de transformation. La stabilisation macro-économique est toujours absente dans la plupart des régions de l'ex-union soviétique. Elle restera hors d'atteinte tant que les républiques ne choisiront pas clairement entre l'adoption d'une monnaie qui leur est propre ou l'acceptation de la banque centrale russe comme seule autorité d'émission. Les autres conditions préalables pour une régulation monétaire efficace sont la réduction des déficits budgétaires et le freinage de l'expansion du crédit aux entreprises déficitaires. De telles politiques auront de meilleures chances de succès si elles s'appuient sur un engagement ferme des pays industriels occidentaux d'apporter un volume élevé de ressources, sous réserve de la mise en ouvre de programmes d'ajustement déterminés. Les exemples de l'Estonie et de la Lettonie incitent à l'optimisme à cet égard et l'engagement occidental en faveur de la stabilisation en Russie a également pris des formes plus concrètes ces derniers mois. La question à présent est de savoir si le gouvernement russe peut réaliser et préserver un consensus suffisamment solide sur un programme de stabilisation, qui doit demeurer une condition préalable au soutien durable de l'Occident - et ce indépendamment du bénéfice que l'Occident peut en retirer. *{ pagination originale du document: p.242} Pour en venir à la quatrième question soulevée au début de la Conclusion, à savoir l'avenir des relations de change, quels enseignements peuvent être tirés de l'agitation sur les marchés des changes européens? La crise a éclaté (comme c'est généralement le cas) sous l'effet conjugué de plusieurs évolutions et circonstances défavorables. Deux d'entre elles - les distorsions des cours de change et le niveau élevé des taux d'intérêt à court terme allemands - ont été à présent corrigées ou sont en voie de l'être. Dans le même temps, les relations de change entre cinq monnaies ont résisté à une rude épreuve. On peut donc estimer que la crise est terminée. Cependant, même si cette opinion relativement optimiste, mais nullement déraisonnable, est confirmée dans les prochains mois, il serait imprudent de ne pas tirer la leçon des événements passés, à la fois pour les pays européens qui souhaitent maintenir des engagements de change explicites et pour ceux qui ont un cours de change flottant. La crise sur les marchés des changes a démontré que la capacité des mouvements de capitaux privés d'influer sur les cours de change s'est accrue de façon spectaculaire ces dix à quinze dernières années. Les raisons en sont patentes. Le démantèlement des contrôles des changes et, plus généralement, la déréglementation ont créé un nouvel environnement. L'accumulation massive de créances et dettes financières, tant sur le plan interne qu'à l'échelle internationale, a généré un énorme volume de fonds qui peuvent se déplacer très vite d'une monnaie à une autre. Un facteur supplémentaire a été l'émergence d'une stratégie de gestion dynamique des actifs et passifs, encouragée par les vagues successives d'innovations financières et les progrès de plus en plus rapides de l'informatique et des technologies de communication. Étant donné que les fluctuations de change influencent notablement les rendements des placements financiers internationaux, les gestionnaires de portefeuilles sont tenus de se faire une idée des modifications éventuelles ou probables des cours de change et peuvent souvent, en agissant en conformité avec leur opinion, contribuer eux-mêmes à la réalisation de leurs anticipations. Les autorités ne peuvent donc pas se permettre d'ignorer le rôle crucial des anticipations. Si elles souhaitent réaliser leurs objectifs de taux de change, elles devront agir sur ces anticipations, ou tout au moins éviter d'en susciter qui soient défavorables. La difficulté à cet égard réside dans le fait que, dans le monde transparent actuel, les informations que possèdent les opérateurs ne sont que rarement en retrait par rapport à celles dont disposent les autorités. D'où l'importance d'entreprendre des actions crédibles. La crédibilité, cependant, ne dépend pas seulement des intentions des responsables de l'action gouvernementale ni même de l'efficacité de leur politique, mais aussi de la viabilité des politiques elles-mêmes. En pratique, cela signifie que le recours à l'instrument le plus direct pour agir sur le marché des changes, à savoir les interventions, doit pouvoir s'appuyer sur des modifications de taux d'intérêt. *{ pagination originale du document: p.243} De telles modifications permettent tout à la fois d'augmenter le coût de la spéculation et de signaler clairement un infléchissement de la politique monétaire. Mais pour que cette stratégie soit efficace, il faut que les marchés des capitaux soient convaincus que les ajustements de taux d'intérêt sont durables, et qu'ils seront maintenus sur une période suffisamment longue. Les marchés fonderont leur jugement non seulement sur leur perception de la détermination des autorités de s'en tenir à leur objectif, mais également sur leur évaluation de l'aptitude de ces autorités à le faire - et c'est là que les données fondamentales de l'économie, tout comme la situation politique des pays concernés, revêtent une importance aussi capitale. Dans quelle mesure ces considérations affectent-elles spécifiquement le fonctionnement du mécanisme de change du SME? Premièrement, s'il est vrai que les engagements de change devront contribuer à modérer les penchants inflationnistes des gouvernements et agents économiques (ce qui est l'un des objectifs de tels engagements), ils ne pourront jouer ce rôle sur une longue période que si les marchés financiers sont persuadés que les facteurs internes responsables de l'inflation sont bien maîtrisés. Si les marchés n'en sont pas convaincus, ils imposeront un ajustement des parités. Pour éviter de subir cette contrainte, les autorités devront essayer d'identifier de telles situations et, si possible, s'accorder sur des réalignements préventifs. Deuxièmement, elles devront soigneusement évaluer les avantages respectifs d'un réalignement individuel et d'un réaménagement général. Ce dernier peut être considéré plus acceptable politiquement parlant. Mais, à en juger par l'expérience récente, l'accumulation graduelle de multiples tensions peut déboucher sur un processus de décision qui, sous la pression de la spéculation, risque de se révéler incontrôlable. Troisièmement, cependant, si des attaques se dirigeaient contre des monnaies de pays dont l'économie est fondamentalement saine et où la détermination des autorités est sans équivoque, il faudrait s'y opposer. Cette défense devrait comporter non seulement des interventions et des modifications de taux d'intérêt, mais mettre également en relief la nature multilatérale de l'engagement. La combinaison de réalignements plus fréquents dans le cas de pays dont les données fondamentales ne sont pas saines avec la préservation de la stabilité des changes dans les autres ne serait, à l'évidence, pas facile à gérer, que ce soit techniquement ou lorsque les réalignements requièrent des décisions politiques. On pourrait être tenté notamment d'ajuster trop rapidement les parités. Les effets contraignants de l'engagement de change sur le comportement des gouvernements et/ou des agents économiques pourraient s'en trouver affaiblis. De plus, des réalignements trop importants ou trop fréquents risqueraient de perturber les relations de change, même pour les pays bénéficiant d'une situation économique fondamentalement saine. Une solution pourrait consister à renforcer les engagements de change propres à ces pays et à accélérer leur accession à l'union monétaire. Certains pourraient juger cette perspective acceptable, d'autres non. Mais l'alternative risque d'être le maintien de la configuration actuelle d'arrangements de cours de change hétéroclites et potentiellement très instables, avec un régime de flottement pour deux grandes monnaies. *{ pagination originale du document: p.244} En tout état de cause, l'accroissement spectaculaire de la mobilité des capitaux peut également poser de sérieux problèmes pour les monnaies flottantes. Les forces du marché ont conduit par moments - en liaison parfois il est vrai avec des politiques erronées - à des fluctuations considérables à moyen terme des cours de change effectifs réels, qui les ont manifestement éloignés de l'équilibre interne et externe, ce qui pouvait se constater même sans le bénéfice du recul. De telles distorsions augmentent l'incertitude des dirigeants d'entreprise et risquent donc de provoquer un ajournement ou une annulation des décisions d'investissement ainsi qu'une mauvaise allocation des ressources productives à l'échelle internationale et de puissantes pressions protectionnistes. Ces distorsions pourraient fort bien réapparaître et se révéler particulièrement dommageables si elles devaient affecter les monnaies de pays entretenant d'étroites relations commerciales. D'où l'intérêt d'essayer de les endiguer. Cependant, le nouvel environnement rend un tel effort, aussi souhaitable soit-il, plus difficile à réaliser. Assurément, l'instabilité du marché des changes à très court terme peut être atténuée dans une certaine mesure par des interventions pratiquées au moment opportun et l'ampleur des fluctuations des taux de change réels à moyen terme peut être modérée par l'application de politiques économiques saines et internationalement compatibles. Il ne faudrait toutefois pas surestimer la probabilité d'une correction efficace des distorsions en dehors du cadre contraignant d'un engagement de taux de change explicite. Étant donné que les mouvements des cours de change réels exercent une incidence majeure sur l'économie interne, les pays qui ont mis récemment leur monnaie en flottement ne devront jamais perdre de vue pour autant l'aspect taux de change dans l'élaboration de leur politique monétaire et autres stratégies, même si, pour l'instant, ils n'ont pas d'engagement de change explicite. jusqu'à présent, des conditions favorables ont permis de réduire sensiblement les taux d'intérêt à court terme. Ces derniers mois, les cours des monnaies européennes mises en flottement semblent s'être stabilisés (voire appréciés) après une baisse initiale, et les tensions inflationnistes sont restées en grande partie apaisées. Cependant, si une modification de l'opinion des marchés des changes menace d'entraîner une dépréciation par trop marquée de leur monnaie, ces pays doivent demeurer vigilants à l'égard des risques inflationnistes - et se tenir prêts à relever les taux d'intérêt. Les gains durement acquis dans la lutte contre l'inflation pourraient être facilement perdus. Si la vigilance générale en matière d'inflation est maintenue et si tous les agents économiques ont pleinement conscience de cette détermination, les perspectives globales de contenir l'inflation à un bas niveau se présentent sous un jour favorable. Il ne faudrait pas oublier que les faibles taux d'inflation observés tout au long de la phase conjoncturelle actuelle ne reflètent pas des effets exceptionnels d'une baisse des prix ou d'autres facteurs spéciaux comme en 1986, mais qu'ils sont plutôt le fruit de plusieurs années de politiques monétaires résolument anti-inflationnistes. *{ pagination originale du document: p.245} Pour l'heure, peu de signes indiquent une réaccélération de l'inflation dans les pays qui sortent de la récession. De fait, les progrès impressionnants de productivité constatés dans certains d'entre eux, et qui pourraient eux-mêmes résulter des pressions exercées sur les coûts dans un environnement faiblement inflationniste, devraient permettre de contenir à l'avenir l'accroissement des coûts unitaires de main-d'ouvre. La politique monétaire demeure évidemment la clé du succès sur le front de l'inflation et, comme indiqué précédemment, une tâche difficile attend les autorités. Pour ce qui est des bienfaits de la maîtrise de l'inflation, l'expérience des pays en développement est encourageante. L'un des facteurs ayant contribué à la croissance remarquable dans les nouvelles économies industrialisées et autres pays d'Asie a été leur niveau modéré de hausse des prix. En outre, dans la plupart des pays d'Amérique latine, la réorientation des politiques vers la stabilité a comprimé l'inflation, et la croissance de la production est plus forte que durant les années quatre-vingt, à présent que les charges d'endettement sont sensiblement allégées. Comparée aux évolutions antérieures en Amérique latine, cette expérience récente montre que, s'il est possible de stimuler temporairement la production en laissant l'inflation s'accroître et l'endettement extérieur s'amplifier, une croissance durable n'est réalisable que dans un environnement faiblement inflationniste. Outre l'inflation modérée, la bonne tenue de l'épargne et la vigueur de l'investissement, jointes à des déficits budgétaires modestes (ou à des excédents) et à des gains de productivité substantiels, ont été les principales caractéristiques des résultats impressionnants en matière de croissance dans les NEI et leur ont ainsi permis de compenser l'incidence d'une augmentation plus faible des importations des pays industriels. Et pourtant, malgré des ratios épargne/PIB de 35 pour-cent ou plus, les NEI se trouvent elles-mêmes confrontées au défi d'autres pays hautement compétitifs d'Asie. Ainsi, tout comme dans les pays plus développés, dans un proche avenir leur croissance risque d'être plus lente que dans le passé en raison de l'affaiblissement de la compétitivité. Mais leur expérience constitue, à n'en pas douter, l'une des nouvelles les plus encourageantes de la période sous revue. Le processus de développement dans des pays jusque-là pauvres gagne à présent un pays après l'autre en Extrême-orient et s'étend aussi progressivement en Amérique latine. Il est à espérer que ce processus d'apprentissage mutuel ne s'arrêtera pas de sitôt.