*{Banque des Règlements Internationaux, 69e Rapport Annuel, Bâle, 1999, pp.3-10, 147-59.} *{ pagination originale du document: p.3} Introduction: des zones d'ombre dans les processus de marché. Le sentiment d'appréhension qui avait gagné la scène économique et financière au cours de la période sous revue s'est révélé injustifié. Sans doute tout n'est-il pas allé pour le mieux. En effet, la crise en Asie a perduré, rappelant à ceux qui étaient directement touchés comme à ceux qui ne l'étaient pas que les forces vives d'un système d'inspiration libérale peuvent être mises en échec par des faiblesses institutionnelles ou autres. L'extension des turbulences à la Russie a moins surpris les observateurs que les violentes répercussions qui ont ébranlé ultérieurement les marchés, à la suite de la dévaluation du rouble et du moratoire sur la dette de ce pays. Le désir d'échapper aux risques de crédit et de transfert a fait chuter les prix de nombreux actifs financiers et provoqué un tarissement de la liquidité sur plusieurs marchés. Dans les principaux centres, de lourdes pertes ont été enregistrées par des banques, fonds spéculatifs et autres institutions financières; l'une d'elles, respectée jusque-là pour la perspicacité de ses stratégies, a même dû être sauvée de la faillite. Néanmoins, les événements n'ont pas tourné aussi mal que certains le redoutaient. La crise qui a affecté les marchés des capitaux en août et septembre derniers a pu être contenue, grâce à la rapidité des réactions officielles. En outre, les mécanismes fondamentaux ont confirmé leur bonne capacité de fonctionnement, dans un climat de tension pourtant inhabituel. La dévaluation du réal brésilien n'a pas entraîné l'effondrement d'autres régimes de change en Amérique latine ou en Asie. Au contraire, l'impression générale qui prévaut au printemps de 1999 est qu'en Asie les marchés financiers se sont stabilisés et que la profonde récession qui avait frappé de nombreuses économies de la région touche à sa fin. Même en Europe orientale, que l'on aurait pu penser vulnérable, les conditions financières sont restées stables dans l'ensemble et les perspectives de croissance ne se sont que légèrement assombries. Au nombre des éléments qui ont concouru aux bonnes nouvelles de ces quelque douze derniers mois figure la vigueur persistante de l'économie américaine. Les gains réalisés, ou peut-être même anticipés, sur les marchés des actions, conjugués à une offre d'emploi abondante, ont alimenté les dépenses de consommation et apporté une importante contribution à la septième année consécutive de croissance économique. La modération inattendue de l'inflation a joué un rôle majeur, en permettant de maintenir les taux d'intérêt à de faibles niveaux. De plus, l'inflation a été généralement absente en Europe, où la demande globale s'est renforcée sous l'impulsion des dépenses de consommation, ce qui constitue un élément positif compte tenu de l'expansion modeste des exportations et du caractère encore hésitant de la confiance et de l'investissement des entreprises. L'entrée en vigueur de la monnaie unique et l'abaissement des taux d'intérêt dans la plupart des pays ont probablement concouru à ce résultat. Parmi les grands pays industriels, le japon est le seul qui n'ait pas progressé. *{ pagination originale du document: p.4} La période sous revue a aussi été caractérisée, cependant, par la persistance de certaines tendances, dans l'économie réelle comme dans le secteur financier, qui pourraient devenir préoccupantes. La croissance économique a suivi des évolutions divergentes, tant entre les groupes de pays qu'au sein de ces groupes. Des disparités analogues caractérisent les déséquilibres commerciaux. Les cours des produits de base se sont inscrits à leurs plus bas niveaux en termes réels depuis quarante ans et les prix de nombreux produits entrant dans les échanges internationaux ont également baissé. Dans le domaine financier, l'expansion du crédit a encore été étonnamment soutenue dans la plupart des pays industriels, mais elle reste très faible dans les économies handicapées par la fragilité de leur système bancaire. Les cours des actions n'ont cessé de battre des records dans beaucoup de pays industriels et les prix de l'immobilier ont amorcé une reprise. Le dollar EU a généralement fait preuve de fermeté, malgré l'alourdissement de l'endettement extérieur et la rivalité que pourrait représenter l'euro, lancé le 1er janvier 1999, en tant que monnaie de réserve. Enfin, sous l'effet des excès antérieurs et de la récente déréglementation, la restructuration financière s'est encore intensifiée. Des développements qui apparaissent inhabituels, voire déséquilibrés, ne doivent pas nécessairement être considérés comme peu durables. Ainsi, les avantages que l'on peut attendre des nouvelles technologies, en particulier dans la production de biens et de services financiers, pourraient justifier rationnellement diverses évolutions qu'il semble actuellement difficile d'expliquer. Cependant, un environnement caractérisé par d'importants déséquilibres macro-économiques et une vaste restructuration financière ne constitue pas pour les décideurs une base de départ favorable; avec des taux d'intérêt très bas et une quasi-stabilité des prix dans de nombreux pays, ils n'ont à présent qu'une marge de manouvre limitée pour abaisser les taux directeurs en termes réels. Un tel environnement exige, en outre, de continuer à privilégier des mesures visant à renforcer le système financier mondial, qui, depuis les événements de l'automne dernier, apparaît être l'élément le plus vulnérable de nos économies de marché. Cette Introduction du 69e Rapport annuel de la BRI se veut essentiellement rétrospective. À l'inverse, la Conclusion est davantage tournée vers l'avenir et axée sur les implications, en termes de politique économique, de l'analyse qui précède. En dernière partie, le chapitre Activités de la Banque décrit l'action accomplie par la BRI elle-même pour contribuer à la stabilité, tant monétaire que financière, au niveau mondial. Les activités de la Banque, qui reposent largement sur les travaux des nombreux comités de responsables officiels se réunissant à Bâle, ont connu récemment une importante expansion, liée à la multiplication des problèmes à résoudre. Désinflation mondiale et dynamique de crise. Le processus de désinflation mondiale amorcé depuis près de deux décennies s'est intensifié l'an dernier et s'est traduit par une stabilité effective des prix dans de nombreux pays et une baisse marquée des indices dans d'autres. Au sein des pays industriels (chapitre II), l'inflation est revenue en moyenne aux environs de 1,5 pour-cent, son plus bas niveau depuis les années 50. *{ pagination originale du document: p.5} Parmi les marchés émergents (chapitre II), la plupart des économies d'Asie du Sud-est ont enregistré une stabilité des prix inhabituelle, compte tenu de la nécessité d'absorber l'impact de la forte dévalorisation de leur monnaie. En République populaire de Chine et à Hong-kong (région administrative à statut spécial), la stabilité du change a été préservée et les prix internes ont diminué. En Amérique latine, où l'inflation est traditionnellement très élevée, les prix ont également baissé dans certains pays, tandis qu'au Brésil l'incidence inflationniste de la dépréciation du real, au début de 1999, était étonnamment discrète. Il ne serait toutefois guère judicieux d'extrapoler simplement ces tendances pour en conclure que la déflation à l'échelle mondiale constitue à présent le principal sujet de préoccupation pour la conduite de la politique économique (chapitre IV). La période sous revue a été marquée par une divergence exceptionnelle des résultats économiques entre pays industriels avancés et marchés émergents. Des différences notables ont été également enregistrées parmi les principaux pays industriels. Dans nombre d'entre eux, les écarts dans les résultats d'enquêtes sur le niveau de confiance (élevé) des consommateurs et celui (faible) des entreprises sont même frappants. L'évolution de l'économie et des prix dans le monde sera déterminée dans une large mesure par l'attitude des uns et des autres, selon que, dans ces différentes zones, ceux qui sont à la traîne suivront l'exemple des mieux placés ou que c'est l'inverse qui se produira. Par rapport au groupe des pays industriels, la plupart des économies émergentes ont vécu dans l'ensemble une année difficile. Dans une grande partie de l'Asie, à l'exception notable de la Chine et de l'Inde, le mieux que l'on puisse dire est que le pire semble passé, mais la fragilité des systèmes bancaires de la région continuera à freiner la croissance. Pour nombre de ces économies, le renversement soudain des entrées de capitaux a nécessité une compression brutale de l'activité afin de réduire les importations. Pour l'instant, l'amélioration considérable des soldes commerciaux en Asie est due en quasi-totalité à ce facteur. Alors que l'Amérique latine et d'autres marchés émergents ont d'abord été relativement épargnés par la crise en Russie, les sorties de capitaux enregistrées par la suite ont eu pour effet d'amener le Brésil et d'autres pays au bord de la récession ou même au-delà. Le Moyen-orient et l'Afrique, pour leur part, ont été durement touchés, dans le premier cas par la faiblesse des cours du pétrole et, dans le second, par celle d'autres produits de base. Si, globalement, les pays industriels avancés ont obtenu des résultats relativement satisfaisants, cela n'a pas été vrai pour tous. À l'une des extrémités se trouve le japon, avec une chute de la production, l'absence de signes probants d'une stabilisation et des baisses assez générales des prix. À l'opposé, les États-unis, et à un degré moindre les autres pays anglophones, ont bénéficié, en 1998 et au début de 1999, d'une croissance le plus souvent supérieure aux prévisions, alors que, dans le même temps, les salaires et les prix faisaient preuve d'une remarquable stabilité. L'Europe continentale a occupé une position médiane, avec une croissance d'abord soutenue, puis fléchissante, mais de profondes différences d'une économie à l'autre. Le fait que cette performance en demi-teinte se soit accompagnée de préoccupations sur la hausse des coûts salariaux en Allemagne, où le chômage reste pourtant très élevé, souligne précisément ces divergences. *{ pagination originale du document: p.6} En présence d'une telle fragilité en Asie du Sud-est et au japon, sans que l'on puisse parler de solidité dans la majeure partie de l'Europe continentale, il n'est pas surprenant que les cours des produits de base soient tombés à des niveaux très bas. Rien d'étonnant non plus que, dans l'ensemble, les prix des biens entrant dans les échanges internationaux aient fléchi, eux aussi, puisque de nombreuses industries du monde entier présentaient d'importantes capacités excédentaires. C'était le cas notamment au japon et en Asie en général, mais aussi aux États-unis. Alors que, dans ce dernier pays, le taux de chômage n'a cessé de baisser, les niveaux mesurés d'utilisation des capacités dans l'industrie manufacturière ont diminué, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre. En présence d'une intensification mondiale de la concurrence, les profits ont également commencé à se contracter, parfois nettement dans certains pays et secteurs. Ailleurs, en Europe continentale en particulier, ils ont été soutenus grâce à la conjonction de divers éléments d'importance variable: expansion salariale modérée, baisse des prix des facteurs, accroissement de la productivité et repli des taux d'intérêt. Il est intéressant d'analyser les causes de l'augmentation des capacités industrielles dans le monde, car elles pourraient avoir, par des voies diverses, d'autres implications pour les prix. La vigueur de l'investissement s'explique notamment par les avancées technologiques qui ont fait baisser les coûts de l'équipement informatique. Elle est également due à l'adhésion de plus en plus répandue aux lois du marché dans de nombreuses économies émergentes et en transition, conjuguée souvent à une stratégie de développement reposant sur l'investissement direct étranger, une croissance tirée par les exportations et un soutien public à la formation de capital. Une autre raison, cependant, tient au fait que, depuis plus d'une décennie, il y a toujours eu au moins un important centre financier où le coût du capital a été maintenu à un niveau artificiellement bas. Ce processus s'est peut-être amorcé au japon, à la fin des années 80, lorsque la flambée du marché des actions a provoqué une vive accélération de la formation de capital. Au début de la décennie suivante, aux États-unis, les taux d'intérêt sont tombés à des niveaux inhabituels, entraînant un recul du dollar et une forte augmentation des capacités de production dans les pays d'Asie dont la monnaie est rattachée à la devise américaine. En outre, alors qu'une bonne partie de cette augmentation était due, sous une forme ou une autre, aux entreprises nippones, on n'a pas observé de réduction correspondante des capacités de production de l'économie japonaise. Enfin, ces dernières années, les taux directeurs au japon ont également été ramenés à des niveaux très bas, tandis qu'ailleurs les marchés des actions ont enregistré des records de hausse, parallèlement à une vague d'introductions en Bourse ainsi que de fusions et acquisitions. Ce processus s'est accompagné d'une accélération de l'expansion du crédit et, en corollaire, d'une tendance à un assouplissement des normes de crédit et, plus généralement, à une plus grande prise de risque. Cette évolution a surtout été sensible au japon et dans d'autres régions d'Asie, où ses conséquences néfastes pour les banques n'apparaissent déjà que trop clairement. Ce comportement se retrouve, cependant, dans les institutions financières d'autres pays industriels, par suite de l'intensification de la concurrence et de la déréglementation. *{ pagination originale du document: p.7} On en veut pour preuve les abondantes entrées de fonds en Asie au début des années 90, par le biais essentiellement de prêts des banques européennes et japonaises à des marges en général de plus en plus faibles. La véritable flambée des émissions d'obligations à haut risque aux États-unis et les niveaux sans précédent d'endettement des consommateurs et d'insolvabilité des particuliers en sont d'autres exemples. Un comportement laxiste ou imprudent de la part des prêteurs recèle de nombreux dangers. Tout d'abord, le crédit est de plus en plus utilisé pour des acquisitions d'actifs financiers dont les prix sont portés à des niveaux irréalistes, alors même que l'augmentation des capacités de production fait baisser la rentabilité des actifs réels sous-jacents. Ensuite, l'attitude accommodante des bailleurs de fonds peut être sujette à des retournements brutaux. Le Mexique et l'Asie ont ainsi enregistré des entrées de fonds abondantes, qui ont été suivies de sorties encore plus massives. L'Asie étant aux prises avec des difficultés, les flux vers l'Amérique latine et la Russie se sont en fait accélérés, avant de s'inverser à la suite du moratoire russe. En conséquence, presque tous les marchés émergents se sont vu refuser l'accès, pratiquement d'un jour à l'autre, à la plupart des sources de crédits internationaux, tandis que les signatures d'entreprises de second rang se trouvaient pénalisées de manière analogue (chapitre VII). Les événements déclenchés par le moratoire russe ont mis en évidence un troisième risque potentiel d'une expansion rapide du crédit, qui réside dans l'incidence qu'elle exerce sur les marchés financiers à fort effet de levier. La défaillance russe a joué un rôle de catalyseur, en modifiant les règles du jeu pour tous ceux qui comptaient sur un quelconque renflouement. Les primes ont nettement augmenté et la liquidité s'est tarie sur de nombreux marchés secondaires, renforçant ces mouvements de taux. En outre, la solvabilité d'établissements connus pour avoir spéculé activement sur le rétrécissement de ces écarts s'est trouvée brutalement remise en question. Aussitôt, des appels de marge ont été exigés, contraignant à liquider tout ce qui paraissait venclable dans ces circonstances et répercutant ainsi les turbulences sur les titres de première qualité. Les estimations des risques de marché fondées sur la volatilité historique ont dépassé les seuils désirés, donnant lieu à des tentatives généralisées pour réduire l'exposition à ces risques, ce qui n'a fait qu'aggraver les perturbations (chapitre V). Ces tendances ont encore été amplifiées lorsque de nombreux investisseurs, constatant la faillite de leurs procédures de gestion du risque, se sont repliés vers la sécurité et la liquidité. Avant que le calme ne revienne enfin, les prix avaient affiché, dans beaucoup de marchés, des variations intrajournalières plusieurs fois supérieures à la normale. En octobre, le cours yen/dollar a augmenté de près de 7% sur une seule journée, les emprunteurs pratiquant l'effet de levier et lourdement endettés en yens ayant été forcés de liquider leurs positions (chapitre VI). Dans un tel contexte, on aurait pu redouter que l'incapacité du Brésil, au début de 1999, de maintenir le rattachement du real au dollar ne provoque une nouvelle phase de turbulences sur les monnaies et les marchés. En fait, au moment de la mise sous presse, il apparaît que les répercussions ont été bien contenues, peut-être parce que la dévaluation avait été largement anticipée et que beaucoup d'opérateurs avaient déjà réduit leurs positions. Les capitaux reprenaient même la direction de nombreux marchés émergents, mais les différentes catégories de bénéficiaires étaient toutefois l'objet d'une plus grande discrimination. *{ pagination originale du document: p.8} Les cours des actions avaient presque retrouvé leurs niveaux records dans plusieurs pays industriels après les réductions de taux d'intérêt de l'automne dernier, stimulant encore la confiance et les dépenses, et ils commençaient à se redresser en Asie du Sud-est. La vigueur persistante de l'économie américaine et du dollar, en termes effectifs, a eu aussi des avantages; ces deux éléments ont contribué à renforcer les exportations dans les pays où la demande intérieure restait relativement faible. Au japon, les investisseurs sont devenus moins sceptiques sur l'efficacité du programme gouvernemental de restructuration et de recapitalisation du système bancaire, et les cours des actions ont augmenté de manière substantielle. Il reste à voir, bien entendu, si ce nouvel optimisme met un terme définitif à la crise ou s'il ne s'agit là que d'une pause. Gestion et prévention des crises. En présence d'un tel environnement, il n'est pas surprenant que les taux officiels se soient inscrits en baisse presque partout. Aux États-unis et au Royaume-uni, ils ont été réduits à cause des préoccupations concernant la stabilité financière internationale et en prévision d'une contraction des dépenses. En Europe continentale, à mesure que les pressions désinflationnistes s'intensifiaient et que les marchés prenaient confiance dans la mise en oeuvre de l'euro, les taux courts ont convergé sans problème à de faibles niveaux; la Banque centrale européenne a abaissé ses taux en avril 1999. Fait sans précédent au japon, les taux au jour le jour ont été effectivement ramenés à zéro et la Banque du japon a fortement intensifié ses achats de titres du secteur privé. Dans les différents marchés émergents, les autorités ont généralement réagi aux crises de manière identique, souvent sous l'influence de programmes du FMI. Si les taux ont dû être relevés, dans un premier temps, pour restaurer la confiance des marchés des capitaux, ils ont ensuite été réduits lorsque cet objectif a été atteint. En fait, ils se situent à présent, dans de nombreux pays d'Asie, au-dessous de leurs niveaux antérieurs à la crise et ont également commencé à fléchir en Amérique latine. Pour gérer les crises, d'autres instruments, traditionnels ou parfois moins conventionnels, ont été également utilisés. Parmi les premiers, le resserrement budgétaire a été général mais, au Brésil, les mesures prises ont été insuffisantes pour réduire le déficit croissant et le régime de change n'a pu être maintenu. Auparavant, les autorités avaient réagi à l'affaiblissement de la confiance en intensifiant les émissions de titres à court terme et de dette interne indexée sur le dollar (comparable aux tesobonos mexicains); cette stratégie s'est finalement avérée coûteuse puisque la dévaluation a quand même eu lieu. Dans de nombreux pays d'Asie, tout comme pour l'action sur les taux d'intérêt, la politique budgétaire a d'abord été durcie puis assouplie, malgré les préoccupations suscitées par l'élévation des ratios d'endettement due à la nécessité de restructurer le système bancaire. En Chine, les dépenses publiques d'infrastructure ont nettement augmenté pour soutenir la demande intérieure. *{ pagination originale du document: p.9} Parmi les réactions moins conventionnelles figurent l'émission, par le gouvernement japonais, de coupons pour stimuler les dépenses des ménages ainsi que l'octroi de garanties de crédit en faveur des petites et moyennes entreprises. Autre exemple: l'acquisition directe d'actions par la Hong Kong Monetary Authority, qui a justifié cette initiative par la nécessité de faire échec aux spéculateurs cherchant à déstabiliser le marché financier local. Une autre illustration a été l'imposition par la Malaysia, en septembre dernier, de contrôles sur les sorties de fonds, tandis que l'Argentine a averti qu'elle remplacerait le peso par le dollar plutôt que de voir sa monnaie dévaluée. Enfin, le montage du FMI en faveur du Brésil a revêtu un caractère inhabituel, en ce sens qu'il a été complété par une aide financière bilatérale de $14,5 milliards mise sur pied avant la crise. Cette seconde ligne de défense a été établie par les banques centrales de dix-neuf pays et organisée pour l'essentiel sous l'égide de la BRI. Compte tenu des coûts et des difficultés liés à la gestion des crises, il n'est pas surprenant que leur prévention ait fait l'objet d'une attention particulière l'an passé. Lune des instances de travail a été le groupe Willard, comité informel réunissant de hauts responsables de pays industriels et de marchés émergents. Ses trois groupes de travail ont formulé diverses recommandations concrètes pour accroître la transparence et la responsabilité dans les secteurs public et privé, déterminer les moyens de renforcer les systèmes financiers nationaux et trouver des solutions pour associer plus étroitement le secteur privé à la gestion et à la résolution des crises. Ces efforts ont complété les travaux effectués dans des forums plus officiels, tels que celui des suppléants du G 10 et les divers comités d'experts nationaux qui se réunissent à la BRI (chapitre Activités de la Banque). Les discussions de l'an dernier ont été encourageantes, en ce sens que les participants de marchés émergents susceptibles d'être directement concernés par leurs résultats ont été de plus en plus consultés et y ont apporté leur propre contribution. C'est, en fait, le seul moyen de conférer une autorité morale à un processus de décision collectif, en l'absence d'une véritable législation internationale. Les développements récents ont eu également ceci d'encourageant que les recommandations présentées sont généralement pragmatiques et réalistes, car elles se fondent sur des réformes graduelles plutôt que sur des solutions globales. Comme les nations tiennent jalousement à préserver leur souveraineté, les propositions visant à instaurer une banque centrale mondiale, un prêteur international en dernier ressort, une instance de réglementation au niveau mondial ou une cour internationale des faillites ne paraissent guère réalisables dans un avenir proche. Conséquence importante de cette approche pragmatique, les travaux requis pour mettre en ouvre de multiples réformes modestes, mais raisonnables, exigeront beaucoup d'efforts, considération reprise dans la Conclusion du présent Rapport annuel. S'il reste sans doute beaucoup à faire pour accroître la résistance du monde financier aux crises, des actions ont au moins été entreprises. Dans le domaine de la transparence, des progrès significatifs ont d'ores et déjà été accomplis. Si les statistiques BRI jusque-là disponibles donnaient une image relativement exacte et actuelle du niveau d'endettement des pays d'Asie, elles ont déjà fait l'objet d'une première série d'améliorations. Dans le même ordre d'idées, l'accord sur un ensemble de normes visant à rendre publiques les réserves de change nationales, y compris les créances de hors-bilan, représente un progrès salutaire par rapport aux informations partielles communiquées précédemment. *{ pagination originale du document: p.10} Enfin, il convient de noter que diverses initiatives officielles ont été lancées pour mieux connaître les activités des institutions financières à fort effet de levier et ceux qui financent ces opérations. Un groupe de travail constitué par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a diffusé, en janvier dernier, deux rapports concernant l'implication des banques dans ces activités. Les récents événements en Asie et ceux qui sont liés à la crise russe ont révélé des signes parfois inquiétants de la complexité des interactions entre marchés et institutions financières ainsi que de la rapidité avec laquelle un type de risque peut, du fait de l'ampleur des effets de levier, se transformer en un risque d'une autre nature. En ce qui concerne le renforcement des systèmes financiers nationaux, l'initiative la plus importante de ces dernières années a peut-être été l'accord sur un ensemble de Principes fondamentaux pour un contrôle bancaire efficace. Cette approche consistant à s'accorder sur des normes internationales de saines pratiques a déjà été largement reprise, en particulier par les responsables de la surveillance des marchés des titres et des compagnies d'assurances. Uan passé, des démarches analogues ont été effectuées dans les domaines des paiements et règlements, de la transparence dans la mise en ouvre des politiques monétaires et financières ainsi que de la gouvernance d'entreprise. La mise à jour de l'accord de 1988 sur les fonds propres, proposée par le Comité de Bâle, fournira une autre référence utile à la communauté bancaire internationale. Les révisions prévues marqueront une nouvelle étape dans le recours à la discipline de marché pour compléter le contrôle prudentiel traditionnel et à l'utilisation accrue des modèles internes de risque pour le calcul des exigences de fonds propres. Compte tenu de l'ampleur des flux de capitaux qu'il génère, le secteur privé devra nécessairement prendre une part plus grande et plus directe à la gestion et à la résolution des crises. Nombre de recommandations formulées par les suppléants du G 10 après la crise mexicaine de 1995 ont été réitérées depuis, mais elles ne se sont pas encore concrétisées. Néanmoins, plusieurs développements récents méritent d'être signalés. La gestion des crises de la Corée et du Brésil a mis en évidence les efforts accomplis pour assurer le renouvellement concerté, mais volontaire, des lignes de crédit de banques commerciales. L'insistance du Club de Paris à faire inclure les obligations internationales, parallèlement aux prêts bancaires, dans la restructuration de la dette du Pakistan a constitué également un précédent notable. Enfin, comme les créanciers ont subi en 1998 leurs pertes les plus lourdes depuis la crise d'endettement des années 80, ils ont pris davantage conscience des risques auxquels ils sont exposés. S'il convient de saluer ces divers développements dans la mesure où ils permettront de réduire les entrées de fonds excessives dans les marchés émergents, il est à craindre, dans le même temps, qu'ils n'incitent encore plus à effectuer, de manière préventive, des retraits de capitaux privés qui s'y trouvent déjà. En d'autres termes, il importera d'agir judicieusement dans ce domaine, compte tenu des difficultés auxquelles restent confrontés de nombreux emprunteurs d'économies émergentes pour accéder aux marchés internationaux des capitaux. *{ pagination originale du document: p.147} VIII. Conclusion: ombres et lumière. Face aux problèmes économiques actuels, il n'existe pas de solution miracle. Alors qu'on aurait pensé pouvoir distinguer facilement les politiques tournées vers la stabilité macro-économique de celles qui ouvrent pour la stabilité financière, la réalité n'est pas aussi simple. Un manque de stabilité dans un domaine crée généralement de l'instabilité dans l'autre. Il convient de rappeler que, dans de nombreux pays industriels, l'inflation relativement élevée des années 70 et 80 avait conduit les investisseurs à chercher refuge dans l'immobilier, ce qui s'était traduit par une création de crédit excessive, des créances douteuses et des banques surexposées. Plus récemment, on observe le processus inverse en Asie du Sud-est, au japon et au Mexique; en effet, c'est à cause de la faiblesse des banques et d'une contraction correspondante du crédit qu'il n'a pas été possible de sortir plus tôt des turbulences macro-économiques. Ce constat comporte une sorte de défi, en ce sens que les initiatives officielles doivent être menées sur un large front pour produire une amélioration durable des niveaux de vie. Il est également admis de plus en plus que les différentes politiques requises pour promouvoir la stabilité macro-économique et financière présentent des caractéristiques fondamentales communes. La conduite de l'action monétaire et budgétaire exige de la transparence pour fournir un point d'ancrage aux anticipations. Mais la transparence est aussi nécessaire de la part des opérateurs des marchés financiers, si l'on veut que la discipline de marché favorise des comportements prudents. Autre trait commun des politiques menées sur ces deux fronts: elles doivent éviter de résoudre les difficultés du moment en aggravant celles du lendemain; l'aléa moral est un problème qui ne peut être ignoré. Enfin, il semble qu'on s'accorde à reconnaître dans ces deux domaines que la compréhension des mécanismes sous-jacents est imparfaite et que les résultats sont inévitablement entourés d'incertitude. Or, étant donné que même les plans les mieux conçus n'aboutissent pas toujours à ce qu'on escomptait, peut-être devrait-on mettre avant tout l'accent sur les politiques visant à éviter l'apparition de situations vraiment néfastes. Les faits observés l'an dernier, entre août et octobre, sur les marchés des capitaux ont rappelé aux décideurs que la probabilité de mouvements extrêmes des prix des actifs peut être élevée, au moins dans le sens d'une baisse. Les interactions entre diverses formes de risques, supposés jusque-là indépendants, ont entraîné des variations de prix considérables qui ont mis en péril la solidité de certaines institutions financières, quand ce n'est pas le fonctionnement des marchés. Les graves événements survenus récemment dans plusieurs pays émergents ont clairement montré que les variables macro-économiques peuvent également connaître des évolutions extrêmes. De même devrait-on se garder de *{ pagination originale du document: p.148} penser que les pays industriels avancés sont à l'abri de telles difficultés. Si la plupart des prévisionnistes s'attendent à la poursuite, voire à l'accélération, de la croissance, nombre d'incertitudes de caractère spécifique font que les prévisions actuelles comportent nécessairement une marge d'erreur importante. Comment évoluera la confiance des consommateurs au japon lorsque la restructuration des entreprises va prendre toute son ampleur? Quels seront les effets de l'instauration de l'euro sur la concurrence et les prix en Europe ainsi que sur la structure financière par laquelle s'exerce l'action de la politique monétaire? La diffusion des nouvelles technologies fera-t-elle baisser le chômage en offrant des espaces de production supplémentaires ou l'aggrave ra-t-el le en supprimant des postes de travail? La restructuration bancaire en Asie sera-t-elle menée rapidement ou restera-t-elle à l'état d'ébauche? À toutes ces questions pourraient s'en ajouter bien d'autres, et il n'est guère facile d'y trouver des réponses ni d'en prévoir les implications pour les politiques à mettre en ouvre. Rien n'indique non plus que la répartition des risques courants soit symétrique. En fait, une résurgence généralisée de l'inflation paraît moins probable qu'une poursuite de la désinflation, voire qu'une déflation. L'incertitude sape la confiance et entraîne une diminution des dépenses. Les déséquilibres ouvrent dans le même sens. Quand ils finissent par être corrigés, les gagnants n'accroissent pas nécessairement leurs dépenses alors que les perdants n'ont généralement d'autre possibilité que de réduire les leurs. En outre, les déséquilibres spécifiques évoqués dans l'Introduction du présent Rapport annuel risquent également d'avoir une incidence défavorable sur les résultats prévus. L'excédent généralisé des capacités de production pour les biens entrant dans les échanges internationaux pourrait avoir diverses implications. Il exerce déjà des pressions sur les prix dans les pays industriels avancés, même si les volumes d'exportations des pays asiatiques ne se sont pas encore pleinement ajustés aux dépréciations antérieures. Aux États-unis, les tendances protectionnistes s'amplifient, alors même que le chômage ne cesse de battre des records à la baisse. De surcroît, l'intensification de la concurrence au niveau des prix rend les entreprises vulnérables à toute accélération notable de leurs coûts. Si les profits se trouvaient encore comprimés aux États-unis, les répercussions sur les cours des actions pourraient être importantes, ce qui risquerait d'affecter la consommation. Enfin, les déséquilibres commerciaux records impliquent nécessairement, à un moment ou à un autre, une dépréciation du dollar et une hausse du yen et de l'euro. Si cela devait arriver avant que les économies du japon et d'Europe continentale aient retrouvé une croissance saine, on imagine aisément les conséquences néfastes qui en résulteraient pour l'économie mondiale. Ces préoccupations sont partagées par les responsables de la politique monétaire, comme en attestent leurs initiatives à ce jour. Les taux d'intérêt ont été fortement réduits dans l'ensemble du monde industriel et dans de nombreuses économies émergentes. La détente qui s'est produite dans les pays industriels avancés vers la fin de l'année dernière répondait aussi au désir de contribuer à atténuer les turbulences de marché par une augmentation de la liquidité. Il se peut, en outre, que l'action de la politique monétaire soit moins efficace si les prix amorcent une baisse généralisée, en raison surtout, mais pas uniquement, de l'impossibilité pour les taux d'intérêt nominaux de devenir negatifs. *{ pagination originale du document: p.149} Si cela était considéré comme un problème potentiel, alors les récentes réductions de taux dans certains pays pourraient correspondre également au souci de ne pas tomber dans un piège déflationniste, dont il serait sans doute difficile de sortir. Ce serait une erreur, cependant, de conclure que, pour résoudre les problèmes économiques actuels dans le monde, il suffit de continuer à assouplir la politique monétaire. Au fond, c'est avant tout parce qu'elle a été excessivement accommodante pendant des années que nombre de ces problèmes sont apparus. Outre certains dilemmes que pose la conduite de l'action monétaire, il convient d'accorder à présent davantage d'attention aux questions, tout aussi délicates, concernant le choix du régime de change, la politique budgétaire et la réforme du marché du travail. Dans le domaine de la stabilité financière plus précisément, il importe instamment, dans beaucoup de pays, de s'attaquer à la restructuration du système bancaire et, bien souvent, du secteur des entreprises. De multiples recommandations formulées récemment doivent être mises en application pour que, une fois les systèmes financiers assainis, l'amélioration obtenue revête un caractère durable. Politiques en faveur de la stabilité macro-économique. La conduite de la politique monétaire est conditionnée à présent, dans presque toutes les grandes régions du globe, par un ensemble de circonstances exceptionnelles. Aux États-unis, si les incertitudes et les choix auxquels la Réserve fédérale est confrontée sont habituels à certains égards, ils le sont moins sous d'autres aspects importants. Lorsque la politique monétaire est axée sur la stabilité des prix, il est d'usage de fonder les prévisions d'inflation sur une évaluation des capacités excédentaires dans l'économie. Ce qui est inhabituel, en revanche, c'est le degré d'incertitude qui entoure actuellement ces prévisions aux États-unis. Les estimations des niveaux de capacités sont complètement différentes selon qu'elles sont obtenues à partir de statistiques du marché du travail ou de données de stock de capital. En outre, on ne dispose encore d'aucune indication probante confirmant ou infirmant que l'économie américaine est entrée dans une "ère nouvelle" d'expansion accrue de la productivité. Les variations des prix des actifs ont également soumis la conduite normale de la politique monétaire américaine à des contraintes supplémentaires de plus en plus sévères. Si les perturbations financières mondiales de l'automne dernier ont contribué dans une certaine mesure à la décision d'abaisser les taux d'intérêt, la flambée antérieure des cours des actions, associée à la vive expansion du crédit, aurait pu faire penser à la nécessité d'un relèvement. On aboutit à une conclusion identique si l'on considère la reprise récente de ces cours jusqu'à des niveaux records et son incidence sur les dépenses de consommation. L'un des graves dangers pour la poursuite de l'expansion mondiale, à présent, est que l'économie américaine aille jusqu'à la surchauffe et que les craintes d'une récession ultérieure aient une incidence négative sur les marchés des actions, la richesse et les dépenses. Si le dollar venait à se déprécier en même temps, sous l'effet des sorties de capitaux et de l'ampleur du déficit commercial, une période de stagflation ne serait pas à exclure. Maintenant que les marchés internationaux des capitaux ont retrouvé un certain calme, la nécessité d'éviter une telle conjonction d'événements devrait être un critère important à prendre en compte au moment de définir l'orientation future de la politique monétaire. *{ pagination originale du document: p.150} En Europe, le défi exceptionnel en 1998 a été la mise en place de l'euro. Elle a été réalisée de main de maître, comme en témoigne la stabilité des cours de change intra-européens durant toute l'année. Pour la suite, l'enjeu sera de conduire la politique monétaire dans un environnement économique non seulement nouveau, mais destiné à évoluer rapidement sous l'impact de l'avènement de l'euro. Le fait que les positions conjoncturelles et les mouvements constatés des prix des actifs présentaient d'importantes différences au début de 1999 dans de nombreux États membres pose des problèmes pour l'action des autorités. D'autres complications résultent des fluctuations de la valeur de l'euro: la question est de savoir comment les interpréter et comment y répondre. Ce qui est clair, toutefois, c'est que l'objectif de la Banque centrale européenne est la stabilité des prix et que le danger de les voir trop baisser paraît aujourd'hui au moins aussi élevé que le risque inverse. La BCE a clairement indiqué dernièrement que ses réactions aux déviations par rapport à l'objectif d'inflation seront symétriques, ce qui veut dire que les taux directeurs pourraient encore diminuer en fonction des circonstances. Au japon, également, la politique monétaire s'inscrit dans un contexte très inhabituel, celui d'une baisse des prix. Si l'issue est loin d'être certaine, il semble toutefois que la plupart des ingrédients soient réunis pour une poursuite des pressions déflationnistes. Le poids de l'endettement supporté par les entreprises continue d'augmenter en termes réels, freinant l'investissement. Les coûts unitaires de main-d'ouvre s'alourdissent et la restructuration va accentuer le chômage, affectant encore la confiance et les dépenses de consommation. Si aucun phénomène de report d'achats n'est encore apparu en prévision de nouvelles baisses des prix, comme cela semble être le cas en Chine, une telle éventualité est cependant envisageable. Face à cette situation, la Banque du japon a pratiquement ramené les taux d'intérêt à zéro, accru la liquidité du système bancaire et acquis de grandes quantités de titres du secteur privé. Pour l'instant, ces mesures ont essentiellement eu l'effet d'un "coup d'épée dans l'eau", amenant à se demander ce qui, éventuellement, pourrait encore être tenté. L'expérience du japon montre bien les obstacles auxquels se heurte la politique monétaire lorsque les taux nominaux sont déjà très bas et les capacités excédentaires très élevées. Elle peut également fournir des indications sur les avantages, mais aussi les limites, de déclarations claires sur les objectifs des autorités. La forte appréciation du yen au second semestre constitue un élément important pour le japon. Elle pourrait profiter à ses concurrents en Asie, mais il est indéniable qu'elle frappera le secteur des exportations, qui est l'un des rares éléments de soutien de l'économie japonaise. Dans des circonstances plus normales, cette évolution aurait pu être contrée par une baisse des taux d'intérêt ou une intervention destinée à montrer que les taux seraient réduits si nécessaire. Toutefois, en l'absence d'une capacité crédible de tenir une telle promesse, il était plus difficile de s'opposer à cette appréciation indésirable de la monnaie. Le fait que les anticipations n'étaient pas ancrées sur une compréhension claire du rôle du cours de change dans la conduite de la politique japonaise n'a pas facilité les choses non plus. *{ pagination originale du document: p.151} Pour le moins, il devrait être clairement indiqué que les préoccupations liées au solde commercial doivent s'effacer, pour l'instant, devant l'objectif visant à mettre fin à la récession et à éviter l'apparition d'une mentalité déflationniste. Les doutes sur la possibilité de tenir des promesses relatives à la politique monétaire ont également joué à l'encontre de l'adoption d'objectifs explicites en termes d'inflation ou de niveau des prix. En principe, chacune de ces approches pourrait aider à prévenir une spirale baissière des anticipations de prix, contribuant ainsi à une diminution salutaire des taux réels à long terme anticipés. En pratique, cependant, il faut que les agents économiques soient convaincus que les autorités disposent des instruments nécessaires à la réalisation de leurs objectifs; or, cela ne semble pas être le cas pour l'instant. Si aucune de ces approches n'apparaît donc très utile en elle-même dans les circonstances actuelles, un tel changement de stratégie pourrait néanmoins fournir un soutien intéressant, à condition que d'autres solutions soient trouvées pour parvenir à réduire l'écart de PIB. La conjonction de très amples fluctuations du yen et de l'entrée en vigueur de l'euro a relancé, durant la période sous revue, les suggestions sur la meilleure façon de gérer de manière concertée un système de change mondial tripolaire. Les régimes de change flottant ont, certes, leurs propres problèmes, à commencer par la possibilité d'apparition de bulles des prix des actifs si les taux d'intérêt restent faibles, la lutte contre l'inflation reposant alors, pour une large part, sur l'appréciation du change. Aucun accord politique ne paraît toutefois devoir modifier sensiblement la configuration actuelle, dans laquelle la politique monétaire interne est essentiellement orientée vers les besoins de l'économie nationale. Un problème sous-jacent, d'une importance à la fois théorique et pratique, réside dans la propension persistante des investisseurs à emprunter dans des centres financiers où les taux d'intérêt sont faibles et à prêter dans ceux qui offrent une rémunération élevée, sans mesurer pleinement les conséquences liées au fait de devoir rembourser dans une monnaie qui se sera appréciée. Les aspects déstabilisateurs de telles anomalies exigent une étude plus approfondie. De nouvelles questions sur les cours de change se sont également posées dans de nombreuses économies émergentes, le principal enseignement étant que les régimes de parité glissante devraient être abandonnés soit pour un mécanisme beaucoup plus rigide, soit pour l'adoption volontaire d'un flottement administré. À l'appui de la première solution, on peut citer Hong-kong et l'Argentine qui ont défendu avec succès, l'an dernier, leur système de caisse d'émission, en le gérant de manière plus flexible (Hong-kong) ou en menaçant de dollariser l'économie et de s'abstenir de toute gestion du change (Argentine). Dans les deux cas, il a fallu en passer par des niveaux de taux d'intérêt difficilement supportables. D'autres pays, tel le Brésil, n'ont pas opté pour le flottement mais y ont été contraints dans un climat de crise. Les résultats n'ont généralement pas été satisfaisants. De même qu'en Asie l'an dernier, les monnaies ont eu tendance à surréagir, puis à remonter sous l'effet des politiques macroéconomiques de stabilisation. Les autorités brésiliennes ont également choisi de laisser les taux d'intérêt élevés contribuer à ce processus, alors qu'il paraissait pourtant probable que les effets qui en résulteraient, pour le service de la dette interne et le déficit budgétaire, exerceraient à terme des pressions sur le real. *{ pagination originale du document: p.152} À ce jour, grâce à une amélioration substantielle de l'excédent primaire et à l'évolution étonnamment favorable de l'inflation, le pari semble gagné. Le prochain défi pour le Brésil et les autres pays ayant adopté récemment un régime de flottement est de trouver un nouvel ancrage nominal pour guider leur politique monétaire sur longue période. Cela ne sera pas facile, vu le manque d'antécédents dans la lutte contre l'inflation, l'imprécision des données sur les agrégats de monnaie et de crédit et l'absence de procédures fiables pour établir des prévisions d'inflation. Or, sans cadre transparent pour la mise en ouvre de la politique monétaire, la gestion des pressions épisodiques sur la monnaie sera également délicate, moins cependant qu'avec un régime de parité glissante. La politique budgétaire n'a guère fait l'objet de discussions récemment. Il est communément admis qu'au japon les mesures de relance dans ce domaine ont (ou au moins avaient) un rôle utile à jouer pour stimuler la demande globale; en Europe continentale, la poursuite de l'assainissement est jugée souhaitable; aux États-unis, la situation s'est nettement améliorée et un resserrement ne semble pas nécessaire pour l'instant; dans les marchés émergents, une orientation restrictive semble constituer la réaction à court terme appropriée lorsque la monnaie est soumise à des pressions. Si ces affirmations sont en grande partie fondées, elles doivent toutes être nuancées, cependant, en fonction des circonstances. Au japon, où les limites de la stimulation monétaire apparaissent le plus nettement, l'impact des nombreux programmes de relance budgétaire a été amoindri par l'élévation de l'épargne des ménages. Cela traduit certainement les incertitudes croissantes sur la sécurité de l'emploi, mais aussi le caractère inadéquat des régimes de pension et la crainte d'une augmentation inéluctable des impôts pour assurer le service d'un endettement de plus en plus lourd. Ces dernières préoccupations ont été aggravées par la réaction budgétaire frileuse, qui n'est pas parvenue à restaurer la confiance du secteur privé, et par les arguments avancés pour justifier le resserrement marqué au cours de l'exercice 1997. L'inquiétude suscitée par un relèvement de la fiscalité s'est également amplifiée, lorsqu'il est devenu de plus en plus clair que les dépenses d'équipement actuelles répondent davantage à des considérations politiques qu'au souci d'accélérer des dépenses d'infrastructure de toute façon indispensables. En Europe, le besoin d'un assainissement à moyen terme ne peut être remis en cause. Il convient de rappeler, cependant, que l'un des avantages d'une position budgétaire solide est qu'elle facilite l'entrée en jeu des stabilisateurs automatiques. On ne peut exclure l'apparition, en Europe, d'une situation où la stimulation budgétaire constituerait de nouveau une réaction appropriée. Enfin, selon les manuels d'économie, une orientation budgétaire plus restrictive aux États-unis aiderait à atténuer la surchauffe et le risque d'appréciation erratique, puis de chute, de la monnaie. Si ce resserrement avait lieu, aussi improbable que cela puisse être pour des raisons politiques, il serait d'autant plus important que des mesures soient prises ailleurs pour favoriser une expansion de la demande globale. Au cours des récentes périodes de turbulences, le monde a largement bénéficié de la vigueur persistante de l'économie américaine. Toutefois, les stratégies de sortie devraient être la préoccupation majeure de tous les décideurs prudents, y compris aux États-unis. *{ pagination originale du document: p.153} Il n'est pas certain non plus qu'une orientation restrictive soit toujours utile lorsque des pressions commencent à s'exercer sur la monnaie d'un marché émergent. Dans les pays industriels dotés d'un régime de change flottant et où les capitaux circulent facilement, on s'attend généralement à ce que la monnaie s'affaiblisse en période de resserrement budgétaire, du fait de la baisse des taux d'intérêt et des sorties de capitaux. En revanche, dans les marchés émergents, une telle orientation peut entraîner à la fois une hausse du cours de change et un recul des taux d'intérêt, initialement élevés, en abaissant la prime de risque sur les emprunts à l'étranger. Cet argument paraît logique dans le cas du Brésil et de la Russie ainsi que pour d'autres pays dont la situation budgétaire est traditionnellement délicate. Il est moins évident qu'il s'applique aux pays d'Asie ou d'autres régions qui font état d'antécédents favorables dans ce domaine. Toutefois, sachant combien les marchés peuvent être inconstants en période de crise, il pourrait être justifié, dans de tels cas, de réduire dans un premier temps le déficit puis d'inverser cette tendance dès que la confiance est revenue. C'est pratiquement ce qui s'est passé récemment dans les pays d'Asie touchés par la crise; cependant, la question du moment où cette inflexion doit s'opérer reste très ouverte. Compte tenu de l'existence de capacités excédentaires dans le monde ainsi que d'un chômage élevé ou croissant en Europe, au japon et dans une grande partie des économies émergentes, des réformes s'imposent également au niveau de l'offre. Cela pourrait sembler paradoxal, étant donné que ces mesures auront pour effet d'accroître encore le potentiel productif. Il convient de ne pas oublier, cependant, le principe fondamental de l'économie classique, selon lequel des modifications de prix relatifs peuvent aussi contribuer largement à éliminer les déséquilibres économiques. Même avec une restructuration adéquate des entreprises et du secteur bancaire (voir ci-après), les capacités excédentaires sont telles dans de nombreux secteurs industriels que l'investissement y sera faible durant les années à venir, ce qui réduira les effets multiplicateurs sur l'emploi et le revenu. Dans ces circonstances, il importe de supprimer les restrictions de caractère réglementaire et les divers obstacles à la rentabilité qui entravent l'investissement dans d'autres secteurs, en particulier celui des services. Si cela vaut d'abord pour les marchés émergents, de nombreux pays industriels reconnaissent également qu'ils doivent aller dans le sens d'une déréglementation. Les initiatives prises sur le marché du travail pour améliorer les perspectives d'embauche des chômeurs ouvrent dans la même direction, car s'il est vrai qu'un travailleur dépense, un travailleur qui a confiance dépense davantage. C'est peut-être l'un des enseignements les plus clairs à tirer de l'expérience des États-unis au cours de ces dernières années. Politiques en faveur de la stabilité financière. Avant de voir comment éviter de nouveaux problèmes financiers, il importe de traiter ceux d'aujourd'hui. L'existence de capacités excédentaires dans de nombreux pays et secteurs de production demeure une menace sérieuse pour la stabilité financière. *{ pagination originale du document: p.154} Si ces surcapacités ne sont pas réduites ou résorbées de manière ordonnée, le taux de rendement du capital restera décevant, ce qui risque d'affaiblir durablement la confiance et les dépenses d'investissement. En outre, la solvabilité des institutions ayant financé l'expansion des équipements sera de plus en plus remise en question, ce qui pourrait engendrer un rationnement du crédit et avoir des conséquences néfastes sur l'ensemble de l'économie. De tels processus se trouvent déjà à un stade assez avancé en Asie du Sud-est, en Chine et au japon. Malheureusement, ces économies paraissent également, à plusieurs égards, les moins bien placées pour y faire face. La fermeture d'unités de production en Asie se heurte à des préoccupations concernant la réaction possible des concurrents habituels. Quoi qu'il en soit, étant donné l'ampleur des coûts irrécupérables, il est souvent préférable de continuer à produire à perte tant que les coûts variables sont couverts. À cet égard, le faible niveau des taux d'intérêt et la disponibilité de financements auprès du système bancaire (ou même à l'étranger) peuvent constituer d'importants freins à la restructuration. Les liquidations avec réalisation de l'actif à un prix suffisamment bas pour permettre aux acquéreurs de dégager des profits constituent une autre option, qui a cependant soulevé des difficultés en Asie, faute de législation adéquate sur les faillites. En dépit des progrès réalisés dans certains pays, il est encore trop tôt pour savoir comment les nouveaux textes seront appliqués. Enfin, les préoccupations liées aux coûts sociaux et politiques inhérents aux licenciements, ainsi que leurs effets sur la confiance en l'absence d'un régime de protection sociale efficace, font aussi sérieusement obstacle à la rationalisation de l'industrie dans toute l'Asie. Si les mesures à prendre pour traiter ces problèmes peuvent paraître évidentes, leur application restera délicate et coûteuse pour les actionnaires et éventuellement pour les gouvernements. Il est révélateur que la restructuration des entreprises vient tout juste de commencer au japon, alors que la nécessité s'en fait sentir depuis pratiquement dix ans. Si un tel processus semble s'amorcer en Chine, en Corée de même que dans d'autres pays, il reste à voir si les promesses seront réellement tenues. Un autre élément qui retarde la restructuration des entreprises, non seulement en Asie mais un peu partout dans le monde, concerne la solidité déjà douteuse du système bancaire. Aggraver ce problème en déclarant irrécouvrables davantage de prêts aux entreprises peut être un mal nécessaire, mais, politiquement, cette solution n'est guère tentante. L'une des raisons qui poussent à temporiser tient au fait que, le capital social étant amputé tant dans les entreprises que dans le secteur financier, ce serait alors les contribuables qui en feraient les frais. Tandis que les déposants pourraient en principe supporter une partie du fardeau, les autorités de nombreux pays émergents ont accordé une garantie implicite sur tous les dépôts pour éviter des retraits bancaires massifs, à l'exemple de ce qui s'est passé en Argentine en 1995 et, plus récemment, en Indonésie. Comme il est probable que les pertes sur prêts représenteront une proportion notable du PIB, les économies émergentes ne disposant pas d'un marché établi d'obligations d'État pourraient rencontrer des difficultés pour faire face à leurs besoins de financement, même si cela leur donne alors l'occasion de développer leur marché des capitaux. Quant aux pays où le système financier a atteint sa maturité, la menace d'un accroissement substantiel de la dette publique pourrait compliquer la mise en ouvre des politiques macro-économiques en faisant monter les taux d'intérêt à long terme, comme cela s'est produit récemment au Japon. *{ pagination originale du document: p.155} La manière dont s'opérera la restructuration du système bancaire sera déterminante pour son efficacité et sa durabilité. Les principaux objectifs visés doivent être la restauration de la solvabilité et de la rentabilité. Concrètement, pour être efficace, la restructuration doit être entreprise dès que le problème est identifié et aller aussi loin que nécessaire pour prévenir un rationnement injustifié du crédit. Il importe également d'exclure toute interférence politique et de faire preuve de transparence dans les procédures ainsi que dans la répartition des coûts. Enfin, pour éviter l'aléa moral, actionnaires et dirigeants des banques en cessation de paiements doivent être mis à contribution, dans certaines limites cependant en cas de crise systémique. Il est dommage que, dans quelques pays, ces principes n'aient pas toujours été appliqués avec le maximum de rigueur. Les négligences commises se paieront dans l'immédiat si la reprise est différée et sur le long terme si la restructuration des entreprises est retardée et qu'on retombe finalement dans les mêmes erreurs. Si les problèmes observés actuellement dans les systèmes financiers des marchés émergents sont essentiellement d'origine interne, ils ont été certainement amplifiés par les mouvements de capitaux internationaux. Il est indéniable que des flux qui paraissent modestes à l'échelle mondiale peuvent avoir des effets très néfastes sur de petites économies. Cela donne à penser que ces pays devraient faire preuve de la plus grande prudence pour supprimer les contrôles sur les entrées à court terme, surtout s'il existe des doutes sur la stabilité fondamentale de leur système financier (ce qui est généralement le cas). Ils devraient également moins hésiter à faire appel aux instruments prudentiels de marché, comme les réserves obligatoires, pour empêcher les banques de recourir de manière excessive aux emprunts à court terme en devises. Une telle approche, conjuguée à un régime de change moins étroitement administré, pourrait faire la différence. L'expérience récente suggère également que les pays désireux d'accepter, pour des raisons propres, de telles entrées de capitaux devraient mieux se préparer à l'éventualité de sorties brutales. Une solution consisterait à se constituer des réserves de change à partir d'un excédent commercial. Une telle approche serait cependant la parfaite illustration d'un sophisme de composition: quels genres de déséquilibres mondiaux enregistrerait-on si tous les marchés émergents s'engageaient dans cette voie? Une solution moins déstabilisante pourrait être celle que l'Argentine a adoptée dernièrement, en recourant à l'emprunt pour alimenter ses réserves et en organisant avec le secteur privé des facilités de crédit assorties de conditions contraignantes. Compte tenu du sentiment changeant du marché, les autorités pourraient, à certains moments, trouver relativement simple et avantageux de conclure des emprunts en devises à long terme en vue d'un usage ultérieur. Enfin, les pays pourraient recourir aux Lignes de crédit conditionnelles récemment instituées par le FMI. Parallèlement à des arrangements similaires avec le secteur privé, ce serait là une reconnaissance commune de la solidité du pays concerné qui contribuerait pour beaucoup à éviter les risques de contagion. *{ pagination originale du document: p.156} Dire que les marchés émergents devraient s'attaquer à leurs propres problèmes n'occulte pas le fait que la solution réside sans doute en partie dans certains aspects du fonctionnement des marchés internationaux des capitaux. Les comportements imprudents en matière de prêt ont résulté à la fois de l'érosion de la rentabilité des activités domestiques traditionnelles et de la conviction que les créanciers seraient protégés par diverses formes de filets de sécurité au cas où les risques se matérialiseraient. La première de ces causes est appelée à s'aggraver, en raison de l'intensification de la concurrence mondiale dans la prestation de services financiers et du surcroît d'attention accordé par la direction des établissements à la valeur pour l'actionnaire. Certes, il est possible que les banques réagissent en tarifant les risques de manière plus rigoureuse, mais il se peut également qu'elles continuent de se laisser entraîner dans des opérations encore plus hasardeuses. Le problème des comportements imprudents en matière de prêt, pour des questions de filet de sécurité, a connu dernièrement deux prolongements contradictoires. D'une part, les pertes enregistrées en Russie et en Chine ont clairement démontré la possibilité de pertes sur les marchés émergents. En avril 1999, ces épisodes semblaient avoir influé sur l'attitude des banques, même si l'enthousiasme des acquéreurs d'obligations émises par ces marchés n'était guère émoussé. Cette dernière tendance va probablement changer cependant si l'on applique les suggestions formulées récemment, préconisant que les détenteurs d'obligations soient appelés à participer à la restructuration de la dette extérieure d'un pays. D'autre part, l'enseignement à tirer de l'épisode Long-terrn Capital Management est que, pour les autorités prudentielles comme pour les principaux créanciers, un tel établissement financier non bancaire était trop complexe pour être mis en faillite. On pourrait s'inquiéter du message ainsi adressé aux banques et sociétés de courtage de taille encore plus grande qui pratiquent d'importantes opérations pour compte propre. Les avancées en matière de technologie et de déréglementation n'ont pas seulement modifié les comportements bancaires traditionnels, mais elles ont encouragé également les emprunteurs, et les banques, à recourir aux marchés des titres. Cette évolution comporte, elle aussi, des implications pour la stabilité financière et économique. En période de ralentissement conjoncturel, les banques de nombreux pays continuent de prêter à leur clientèle habituelle, ce qui contribue à soutenir les dépenses et atténue l'incidence du cycle. En revanche, les marchés ont tendance à changer brutalement d'attitude, en interrompant leurs concours à tous les débiteurs, sauf aux signatures de première qualité. Comme les banques elles-mêmes sont devenues plus dépendantes de ces marchés, soit pour leurs opérations de titrisation d'actifs, soit pour leurs émissions de titres, elles sont peut-être moins aptes à exercer cette fonction de régulation. Par ailleurs, compte tenu de l'expérience de l'an dernier, indiquant que les marges sur les marchés des capitaux montrent généralement une corrélation étroite avec le niveau des taux d'intérêt, on pourrait observer de plus amples variations cycliques de l'expansion du crédit et des dépenses qui y sont liées. Le risque d'un tarissement de la liquidité au moment où les marges augmentent implique, en outre, que, dans un système guidé par le marché, les phases de contraction peuvent être intrinsèquement plus brutales que les phases de reprise. Enfin, comme davantage de financements sont accordés par une foule d'investisseurs sur des marchés impersonnels dont il est facile de sortir, il devient de plus en plus difficile d'organiser des soutiens concertés en faveur d'emprunteurs souverains confrontés à des besoins de liquidité. *{ pagination originale du document: p.157} À l'instar des gouvernements, les banques se demandent pourquoi elles devraient assurer le renflouement d'autres établissements. Ces récents développements ont d'importantes implications au niveau des procédures internes de gestion du risque et de l'action des autorités. Par divers canaux, les institutions financières, notamment les banques, se trouvent exposées à un risque de marché plus élevé. En outre, ce risque présente une corrélation plus étroite qu'on ne le pensait avec le risque de crédit, car les positions sont souvent constituées avec des effets de levier, et le risque de crédit est également en corrélation plus étroite qu'on ne le croyait avec le risque de liquidité. De plus, il est apparu que les modèles de mesure des risques peuvent donner une impression de sécurité illusoire en perdant leur pouvoir de prédiction dans des conditions extrêmes; en fait, leur utilisation mécanique peut même contribuer aux turbulences. Il importe de s'en remettre beaucoup plus aux simulations de crise, tout en accordant davantage d'attention aux profils de résultats non linéaires et aux scénarios qui paraissaient précédemment si peu probables qu'on ne leur accordait guère d'importance. Parmi les implications concernant l'action des autorités, certaines vont plus loin que la simple vérification de l'existence de procédures internes adéquates pour la gestion du risque. Si les marchés deviennent relativement plus importants dans le système financier, et que le sentiment des opérateurs peut se modifier très rapidement, il devient tout aussi important de surveiller étroitement ces marchés et d'identifier les concentrations de risques. Dans certains pays où la banque centrale n'a plus la responsabilité directe du contrôle bancaire, elle s'est vu confier la défense de la stabilité financière globale. Ce rôle doit donc être mieux défini en ce qui concerne le soutien à apporter aux marchés. Toute la question est de savoir si une banque centrale dégagée de la responsabilité prudentielle sera en mesure d'obtenir l'information qu'elle demande lorsqu'elle en a besoin, afin d'exercer judicieusement et efficacement, dans un monde guidé par les marchés, sa fonction d'octroi de soutien de liquidité en cas d'urgence. En Europe continentale, une attention particulière doit être également apportée aux complications supplémentaires résultant des interactions d'une banque centrale supranationale avec diverses autorités de contrôle nationales. Comme le précise l'Introduction du présent Rapport annuel, un grand nombre de recommandations spécifiques et pratiques ont été formulées, l'année passée, sur les mesures à adopter pour améliorer la stabilité des systèmes financiers nationaux et celle du système financier international. Ces propositions reprennent en substance des initiatives antérieures des suppléants du G 10 ainsi que les travaux des divers comités constitués à Bâle, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de les rappeler toutes. De multiples réunions tenues récemment ont conduit à deux avancées importantes: l'élargissement de l'éventail des participants et l'identification des domaines d'accord et de désaccord. Si des désaccords subsistent, les domaines où un consensus se dégage sont à présent suffisamment nombreux pour qu'on puisse passer à l'application pratique. C'est la principale tâche qui incombe à la communauté internationale pour les prochaines années, mais elle est loin d'être facile. *{ pagination originale du document: p.158} Des codes de pratique internationaux sont préconisés dans de nombreux domaines et devraient figurer en bonne place sur la liste des recommandations à mettre en application. Par chance, l'expérience fournie par la mise en ouvre du premier de ces codes, les Principes fondamentaux pour un contrôle bancaire efficace, donne quelques indications sur la manière d'opérer. Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, à travers son Groupe de liaison et ses contacts avec les groupes régionaux d'autorités de contrôle, joue lui-même un rôle d'incitation et entend donner une place plus importante aux pressions émanant de la profession. Le FMI veillera au respect des recommandations dans le cadre des consultations au titre de l'article IV et a proposé un code de transparence pour tous ceux qui sont parties prenantes à la réglementation financière. L'idée est de définir plus précisément le mandat, les pouvoirs et la responsabilité des autorités de contrôle, afin qu'elles puissent s'acquitter encore mieux de leur tâche. Le secteur privé peut également apporter sa contribution, en imposant une discipline de marché aux pays ayant un régime prudentiel laxiste. La proposition des membres du G 7 invitant le FMI à publier son évaluation du respect, par les pays, des normes internationales devrait aider les intervenants à affiner leurs jugements. Enfin, il pourrait être envisagé de refuser le droit d'établissement dans de grands centres financiers aux banques des pays dont le régime prudentiel est jugé inadéquat. À l'évidence, le recours à tant de systèmes d'incitation différents traduit la conviction que l'application de principes de saines pratiques s'avérera, au mieux, difficile. En outre, d'énormes problèmes de ressources humaines et d'incitation interne pourraient ne pas être résolus avant plusieurs années. Toutes ces considérations militent encore davantage pour que les initiatives individuelles bénéficient du soutien sans réserve de la communauté internationale. En présence de tels défis, l'instauration récente du Forum de stabilité financière sous l'égide du Groupe des Sept représente une avancée importante. Cette instance réunit, pour la première fois, de hauts responsables des Trésors et des banques centrales, des autorités de contrôle nationales ainsi que les représentants des institutions financières et comités internationaux concernés par la stabilité financière. Ses efforts devraient permettre d'éviter de coûteux, et parfois irritants, chevauchements d'activité et d'établir les priorités d'application dans un monde où les besoins sont grands mais où l'expertise est rare. Il est également nécessaire de bien cerner les nouveaux domaines de vulnérabilité financière et de s'assurer qu'une action est entreprise pour y remédier. Enfin, des pressions politiques devraient s'exercer aux plus hauts niveaux internationaux pour que des comportements inacceptables ne se dissimulent pas derrière des artifices comptables, réglementaires ou autres. Pour mener à bien sa mission, le Forum devra toutefois résoudre les problèmes de composition auxquels ont été confrontés des groupes plus traditionnels. Comment maintenir une participation suffisamment réduite pour être efficace et, dans le même temps, suffisamment large pour obtenir une représentation harmonieuse entre économies industrielles et marchés émergents? Le fonctionnement d'une économie de marché peut présenter des zones d'ombre, en particulier lorsque les marchés des capitaux sont très libéralisés et que les anticipations sont vouées à des cycles d'optimisme et de pessimisme. *{ pagination originale du document: p.159} Ce constat ne devrait cependant pas nous masquer les avantages considérables de ce système et l'absence d'alternative plausible. La véritable tâche qui nous attend est d'améliorer ce que nous avons, avant que d'autres formules proposées ne commencent à paraître plus attrayantes qu'elles ne le sont réellement. Des initiatives efficaces et bien dosées dans le temps, visant à réduire la probabilité d'un retour à une réglementation beaucoup plus étroite et à un contrôle direct de l'État, ne peuvent qu'aller dans la bonne direction.